1. Médias : un nouveau visage
Dans un contexte d’abondance de l’offre de contenus
culturels et informationnels en ligne, la fonctionnalité
de recommandation personnalisée est devenue indis-
pensable pour permettre à l’utilisateur de trouver le
contenu qui corresponde le mieux à ses envies.
Cette fonctionnalité met en œuvre des algorithmes dits
« prédictifs » qui visent, à partir d’une vaste quantité de
données, à évaluer l’appétence d’un utilisateur pour un
contenu. Parmi les données qui sont le plus couram-
ment exploitées par les moteurs de recommandation,
on trouve les comportements passés de l’utilisateur (les
contenus qu’il a consultés et apprécié précédemment),
les comportements des autres utilisateurs du service
(on parle alors de filtrage « collaboratif »), ou encore les
métadonnées associées aux contenus. Ces dernières
permettent d’affiner la connaissance qu’a l’algorithme
des goûts de l’utilisateur (par exemple, pour les films
historiques francophones).
Cependant, la recommandation personnalisée conduit
rapidement à une hyperpersonnalisation de la consom-
mation des contenus en ligne, qui s’accompagne de
certaines menaces sociétales, pour la diversité cultu-
relle et le pluralisme des idées, deux objectifs de poli-
tique publique auxquels l’Europe, et tout particulière-
ment la France, est attachée.
Le risque de « bulles de filtres »
autour des contenus culturels, une
menace pour la diversité culturelle
Cette menace résulte de la personnalisation de la
consommation de contenus culturels sur les services
de vidéo ou de musique à la demande, et en particulier
les services par abonnement qui mettent largement en
avant la fonctionnalité de recommandation. Netflix est
certainement l’acteur qui a le plus communiqué sur son
moteur de recommandation, annonçant que 80 % des
contenus visionnés par ses abonnés étaient issues de
recommandations. Les plateformes de streaming musi-
cal comme Spotify ou Deezer exposent aussi ample-
ment cette fonctionnalité, d’autant qu’elle peut, dans
le contexte où les catalogues proposés sont similaires,
constituer pour elles un facteur différenciant vis-à-vis
de leurs concurrents.
L’objectif principal de ces services est de trouver l’al-
gorithme (et les bonnes données) qui s’approchera au
mieux des goûts existants de l’utilisateur et, ainsi, d’évi-
ter de le décevoir en lui proposant un contenu qu’il n’ai-
merait pas. Ceci peut conduire à enfermer les utilisa-
teurs dans leurs goûts, ou plus exactement leurs goûts
présupposés par l’algorithme sur la base de leurs habi-
tudes de consommation passées. On parle de « bulles
de filtres », selon l’expression introduite par l’activiste
américain Eli Pariser en 2011.
L’hyperpersonnalisation
des médias
Par Philippe de Cuetos (2003)
La recommandation personnalisée pose des menaces sur la diversité et
le pluralisme, à moins de concevoir des systèmes plus vertueux ?
TELECOM n°191
www.telecom-paristech.org38
2. Médias : un nouveau visage
Le risque de « chambres d’échos
médiatiques » autour des contenus
informationnels, une menace pour le
pluralisme des idées
Les moteurs de recommandation sont également à
la base de l’utilisation des réseaux sociaux comme
Facebook ou Twitter. En effet, ces plateformes utilisent
ces outils pour hiérarchiser les « posts » à afficher à
l’utilisateur en fonction de ceux qui sont partagés par
ses contacts les plus proches, ou ceux provenant des
sources qu’il a le plus l’habitude de consulter.
Alors que de plus en plus d’internautes utilisent les
réseaux sociaux pour s’informer, notamment via les
« posts » renvoyant directement sur des articles de
presse, la personnalisation de leur flux d’actualité, qui
peut parfois se traduire par une forte polarisation poli-
tique, risque de les enfermer dans une vision partielle
du monde.
Un tel phénomène, que l’on qualifie aussi de « chambre
d’écho », s’avère peu propice au débat démocratique et
à la formation d’un esprit critique, qui supposent pour
l’individu d’être confronté à une certaine variété d’idées
et d’opinions.
Des opportunités pour concevoir des
moteurs de recommandation plus
vertueux
La fonctionnalité de recommandation de contenus pour-
rait, au contraire, venir favoriser la diversité et le plura-
lisme, à condition d’être conçue avec de tels objectifs.
Les moteurs de recommandation qui, selon une
démarche d’autonomisation de l’utilisateur (« user
empowerment »), expliquent très précisément les
raisons qui amènent à proposer tel contenu, constituent
une première démarche dans ce sens : ils permettent
en effet à l’utilisateur de prendre conscience des déter-
minants de sa consommation et de la possibilité qui
lui est offerte d’élargir ses goûts ou d’être confronté à
d’autres opinions.
De manière sans doute encore plus efficace, les résul-
tats de l’algorithme pourraient être enrichis de proposi-
tions surprenantes, soit en introduisant une part de pur
hasard (ou « sérendipité »), soit en générant des propo-
sitions qui seraient seulement partiellement éloignées
de ses goûts (ou des points de vue qu’il a l’habitude de
consulter s’agissant de contenus d’information).
L’enjeu principal pour l’éditeur du service réside alors
dans sa capacité à exposer de telles propositions à
l’utilisateur de manière suffisamment ingénieuse pour
parvenir à l’intriguer et l’amener à prendre le risque
d’être déçu, et ce, sans conséquence majeure sur son
niveau d’appréciation générale du service afin de
minimiser le « churn » . Il s’agit d’une opportunité de
concevoir de nouveaux systèmes de recommandation
plus vertueux vis-à-vis des objectifs de diversité et de
pluralisme.
PHILIPPE DE CUETOS
Philippe de Cuetos (2003) est ingénieur
en télécommunications et titulaire d'un
doctorat. Il a contribué à l’élaboration de
standards internationaux et piloté plusieurs
projets de recherche et développement
dans le domaine de la diffusion des médias
audiovisuels. Il travaille aujourd’hui, au sein
du Ministère de la culture, à l’élaboration et
la mise en place des politiques publiques de
modernisation de la diffusion audiovisuelle
etàl’évolutiondelarégulationdanslecontextedudéveloppement
de l’intelligence artificielle et de l’accès aux données.
REPÈRES
La recommandation de contenus basés sur des
algorithmes prenant principalement en compte
les goûts prononcés des utilisateurs-clients des
plateformes vidéo et audio risque d’enfermer le
consomm'acteur dans ses habitudes. Il faut veil-
ler à titre individuel et pourquoi pas collectif
(responsabilité de la société) d’ajouter des notions
de surprise, de curiosité (de façon aléatoire par
ex.) dans ces moteurs de recommandation pour
permettre d’élargir les choix possibles.
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