1. LUNDI 12 JANVIER 2009 15
L’ENTRETIEN DU LUNDI
«Une faillite doit être rendue possible
sans qu’elle menace tout le système»
Il n’est pas souhaitable que les Etats continuent à accorder leur garantie à leurs banques, estime Grégoire Bordier, du Groupement des banquiers genevois.
PROPOS RECUEILLIS PAR le même temps, le système de-
SÉBASTIEN RUCHE vrait permettre qu’un interve-
À GENÈVE nant qui a des problèmes
puisse tomber en faillite sans
Après une année 2008 particu- menacer l’équilibre de l’en-
lièrement mouvementée, la semble. Concernant le risque
question de la réglementation de sur-réglementation, cette
sera l’un des enjeux majeurs crise a bien montré que la ré-
pour le monde bancaire en glementation n’est pas forcé-
2009. La Suisse a pris les devants ment la panacée. Par
dès novembre, avec la mise sur exemple, le principe du
pied de nouveaux ratios pruden- «mark-to-market» a été énor-
tiels pour ses grandes banques, mément promu pendant des
alors que la Finma, l’Autorité fé- années et aujourd’hui, on le
dérale de surveillance des mar- critique tout aussi fortement
chés financiers, a démarré ses car il engendre des ventes for-
activités le 1er janvier (lire égale- cées et des affaiblissements
ment en page 3). de structure.
En tant qu’associé de Bordier &
Cie et président du Groupement En Suisse, l’Autorité de surveil-
des banquiers privés genevois, lance des marchés financiers,
Grégoire Bordier explique dans la Finma, a démarré ses activi-
quelles directions le système tés le 1er janvier. Va-t-on
bancaire international pourrait assister à un renforcement
être amélioré. notable des contraintes régle-
mentaires?
En 2009, l’Etat va-t-il demeurer Nous avons déjà attiré l’atten-
le plus grand banquier du tion sur le fait que la Finma ne
monde, après les sauvetages de devrait pas édicter des règles
2008 et les nationalisations de qui créeraient un «MiFID à la
facto qu’ils ont entraînées? suisse», trop contraignant et
Grégoire Bordier: La probléma- mal adapté. Leur gestion étant
tique à régler est la suivante: majoritairement offshore, les
comment faire pour éviter que établissements suisses ont be-
CRÉDIT PHOTOGRAPHIQUE: RÉGIS COLOMBO/DIAPO.CH
le système soit si imbriqué soin d’une très grande liberté
qu’aucun acteur ne puisse d’action pour satisfaire leur
faire faillite? On a vu en 2008 clientèle. Ce qui est assez
que la décision de laisser par- contre-intuitif pour un orga-
tir en faillite un seul établisse- nisme de contrôle, mais la plu-
ment d’envergure, Lehman part du temps, nous sommes
Brothers, s’était révélée très parvenus à des compromis qui
mauvaise, car elle a compro- satisfont les deux parties. La
mis la confiance dans création de la Finma est une
l’ensemble du système. Face à L’originalité du modèle juridique suisse continuera à être défendue, déclare Grégoire Bordier. excellente chose car elle
cette nécessité d’éviter tout concerne à la fois les banques
risque de réaction en chaîne, 2008 sur les consommateurs et simplement actives dans la tience est nécessaire pour ré- adapter la gestion à la situa- et les assurances. Nous
il n’est cependant pas conce- les investisseurs l’emporte gestion de fortune, s’attendent- cupérer leurs avoirs. tion du client, qui est définie pouvons espérer qu’elle amè-
vable que tous les encore sur les motifs d’espoir elles à faire l’objet de réclama- par tout un ensemble de critè- nera une rationalisation de la
établissements financiers suscités par les divers plans de tions de la part de clients Prenons un autre exemple: une res comme son âge, sa réglementation et un contrôle
conservent une garantie étati- relance. en ce début d’année? Prenons banque recommande à un fortune, etc. plus efficace que s’il était
que ad eternam. La réaction Nous traversons effectivement l’exemple d’un client ayant client un produit qu’elle croit mené par deux organismes sé-
des gouvernements a été une période de concrétisation opté pour un profil de risque sûr, en toute bonne foi. Or, De nouvelles exigences de parés. Je ne crois pas à une ex-
juste: il fallait absolument en- de la crise dans l’économie faible ou moyen: il pourrait quelques temps plus tard, ce fonds propres ont été appli- plosion des contraintes régle-
rayer le processus, garantir la réelle, avec des suppressions être déçu du conseil qui lui produit se révèle risqué, voire quées aux deux grandes ban- mentaires. Le niveau de
solvabilité et faire revenir de d’emplois, des réductions de a été fourni et pourrait très risqué et le client perd de ques suisses cette année. Vous réglementation est pour l’ins-
la confiance dans le système. capacités de production dans décider de se retourner l’argent. Ce dernier peut esti- attendez-vous à une montée de tant resté raisonnable, mais si
Mais, à long terme, il n’est pas toutes les industries. Personne contre sa banque. mer que la banque a échoué la réglementation bancaire nous avons parfois dû réagir de
crédible d’avoir un gouverne- n’est véritablement épargné. Dans le cadre d’une gestion dans son devoir de conseil. dans les années à venir? manière très claire à certaines
ment derrière ses grandes ban- Et les mauvaises nouvelles ris- normale, j’ai le sentiment L’Association suisse des ban- L’augmentation des fonds recommandations de la Com-
ques, quoi qu’il arrive et quoi quent bien de continuer à af- qu’il y a peu de risque que les quiers a défini les obligations propres constitue un pas im- mission fédérale des banques.
qu’elles fassent. Cela pourrait fluer dans les mois qui banques se fassent attaquer, du banquier, notamment portant, c’est la première di-
être assimilé à un tremplin viennent, jusqu’au retourne- même si les portefeuilles ont dans le cadre du mandat de rection logique, elle limitera Enfin, vous attendez-vous à
pour de nouveaux excès, po- ment que nous prévoyons pour perdu de l’argent. Car ces per- gestion de fortune, comme les risques, mais cette seule davantage d’agressivité de la
tentiellement encore plus gra- fin 2009. tes sont compréhensibles au par exemple la diversification solution reste insuffisante. part de l’Union européenne en
ves que les précédents. vu des dégâts qu’ont subi les des portefeuilles et l’informa- L’idéal serait d’obtenir un sys- 2009 sur les thèmes du secret
En attendant, certains clients marchés. Dans la banque pri- tion au client. Les règles de tème qui préserve suffisam- bancaire et de la fiscalité de
Les pouvoirs publics devraient risquent d’être assez vée, les clients ont souvent droit suisse assurent une pro- ment de liberté aux banques, l’épargne?
donc se désengager au plus mécontents de la performance déjà vécu plusieurs cycles, tection de l’investisseur. Mais pour qu’elles restent innova- Dans le domaine particulière-
vite? de leurs portefeuilles en 2008. comme celui de 2001-2003. Ils en pratique, une ligne de trices et qu’elles puissent fi- ment complexe de la fiscalité
La réaction étatique a été la Les banques, privées ou comprennent donc que la pa- conduite demeure essentielle: nancer les entreprises. Dans de l’épargne, les banquiers pri-
bonne: forte baisse des taux vés sont toujours ouverts à la
d’intérêt, consolidation du sys- négociation. Mais l’imposition
tème, importants programmes d’un système fiscal par un pays
de dépense. Les gouvernements
sont aujourd’hui au maximum
«Moins complexes, plus transparents et plus liquides» ou un des négociateurs est ab-
solument inacceptable. Il faut
de ce qu’ils peuvent faire pour trouver une solution qui res-
relancer l’activité. Mais l’écono- Quelles conséquences les évé- rés les portefeuilles, dans la Des pertes importantes ont été de l’autre, une approche res- pecte le droit suisse et la ma-
mie réelle n’est pas encore re- nements de 2008, avec l’affaire façon dont les établissements enregistrées par le fait de pro- semblant davantage au private nière dont on a voulu élaborer
partie. Le jour où ce sera le cas, Madoff en cerise sur le gâteau, structurent leurs compéten- duits structurés, soit parce equity, avec des délais de rem- notre législation, avec le secret
tous les ingrédients semblent auront-ils à l’avenir sur l’activité ces. Nous allons également as- qu’ils avaient été émis par Leh- boursements plus longs et des professionnel des banquiers,
réunis pour une reprise forte. quotidienne des banques pri- sister à un recentrage sur no- man, soit parce qu’ils avaient rendements espérés plus éle- l’imposition à la source, l’ab-
vées? tre métier de base, à savoir la franchi leur barrière. Par ail- vés. sence d’échange automatique
Quand? L’impact sur l’industrie sera gestion de fortune et la sélec- leurs, des fonds alternatifs d’informations par exemple.
Sans avoir de boule de cristal, profond. On s’est aperçu que tion de titres, avec un éloigne- n’ont pas pu honorer leurs ap- Finalement, qu’est-ce que Concernant l’UE, ses membres
nous estimons, chez Bordier, certains produits, certains ment probable des structures pels de marge et ont vu la va- le monde de la finance a appris vont d’abord négocier entre
que l’économie se redressera fonds se sont trouvés dans de distribution. Des stratégies leur nette de leur actif baisser de l’année 2008? eux. Je ne pense pas que le ris-
fin 2009, avec une anticipation une situation unique, dans largement basées sur des pro- de manière importante. L’in- Cette année très particulière a que soit particulièrement fort
des marchés dès le milieu de laquelle l’analyse du risque duits, des fonds, sont dustrie des hedge funds va montré que l’étendue de la sur le secret bancaire cette an-
l’année. La période de contrac- avec des outils comme la «Va- aujourd’hui beaucoup moins d’ailleurs évoluer elle aussi, crise n’avait pas été anticipée née. Les pressions sont
tion devrait s’achever fin 2009- lue at Risk» ou une approche évidentes qu’elles ne l’étaient avec une très forte réduction par les marchés. Même si les toujours là, car notre modèle
début 2010, elle aurait donc basée sur l’expérience passée il y a un an. du nombre d’acteurs et avec problèmes du subprime juridique ne correspond pas à
duré environ un an. n’était plus pertinente. Nous une polarisation beaucoup étaient déjà connus, très peu celui de nos voisins. Nous le dé-
allons donc assister à des C’est donc la fin des produits plus claire entre d’un côté, des d’acteurs ont véritablement vu fendrons.
Pour le moment, le trauma- changements importants structurés et autres outils de stratégies liquides bénéficiant la débâcle financière qui s’en
tisme qu’a provoqué l’année dans la manière dont sont gé- gestion complexes? d’une transparence élevée et est suivie. – (SR) [s.ruche@agefi.com]