Consultez le sommaire et l'éditorial du n°15 de Conflits (octobre-novembre-décembre 2017). Acheter en ligne ce numéro : https://goo.gl/YQ6wod "Désigner l’ennemi, le fondement de l’action politique, n’est pas si simple. Dans l’entre-deux qui sépare l’ennemi et l’ami, se situent le neutre, le partenaire, le faux ami, le rallié…"

1. C NFLITSC NFLITS
C
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T
S n°15
TRIMESTRIEL
OCTOBRE-NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2017
FranceMETRO:9,90€-BEL/LUX:10€-DOM:10,50€-ITA/PORT.CONT.:10,50€-D:10,80€-CAN:13,99$cad–CH:15FS–MAR:110mad-NCAL/S:1350CFP–POL/S:1400CFP
ET AUSSI : Entretien avec Pierre Conesa I Portrait d’Angela Merkel I L’Asie centrale,
nouveau foyer islamiste ? I L’Afghanistan se rappelle à nous I L’Espagne futur grand d’Europe
I Brzezinski I Géopolitique des guerres puniques I Et toutes nos rubriques habituelles
Qui est
l’ennemi ?
Géopolitique • Histoire • Relations internationales

2. CONFLITS 3
4 COURRIER DES LECTEURS
ACTIVITÉS DE CONFLITS
5 ÉDITORIAL
Qui est l’ennemi?
Par Pascal Gauchon
6 ACTUALITÉ
10 ENTRETIEN
Pierre Conesa.
Le salafisme, notre ennemi
Propos recueillis par Pascal Gauchon
13 PORTRAIT
Angela Merkel über alles
Par Frédéric Pons
17 ENJEUX
Et si le gagnant du Brexit
était… l’Espagne?
Par Maxime Lefebvre
20 ENJEUX
Asie centrale: le prochain foyer islamiste?
Par Laurent Gayard
23 ENJEUX
L’Afghanistan se rappelle à nous
Par Rémy Sabathié
26 ENJEUX
Les milices paramilitaires loyalistes
en Syrie
Par Cédric de Penfentenyo
28 ENJEUX
Syrie: Washington perd du terrain
Par Fabrice Balanche
29 IDÉES REÇUES
internet et les libertés
Par Jean-Marc Huissoud
31 ENJEUX
Brzezinski et l’anomalie
géopolitique américaine
Par Florian Louis
34 GRANDE STRATÉGIE
Les guerres puniques. Terre contre mer?
ParYann Le Bohec
38 GRANDE BATAILLE
Aïn Djalout. Pourquoi le monde
n’est pas devenu mongol
Par Pierre Royer
69 GÉOPOLITIQUE ET ENTREPRISES
L’Europe contre le dumping social et fiscal?
Par David Simonnet
70 GÉOPOLITIQUE ET ENTREPRISES
Entretien avec Christian Harbulot
école de guerre économique:
ils s’instruisent pour vaincre
72 GÉOPOLITIQUE ET ENTREPRISES
Entretien avec Bernard Esambert
Guerre économique: qui est l’ennemi?
73 L’HISTOIRE MOT À MOT
“C’est bien taillé, mon fils.
Maintenant, il faut coudre.”
Par Pierre Royer
74 LANGUE DES MÉDIAS
Le terrorisme ne frappe pas en Russie
Par Ingrid Riocreux
75 BOULE DE CRISTAL ET MARC DE CAFÉ
Quand le soleil se levait sur le Venezuela
Par Jean-Baptiste Noé
76 BIBLIOTHÈQUE GÉOPOLITIQUE
Le pouvoir feutré de l’Amérique
Par Gérard Chaliand
77 CHRONIQUES
LiVRES/REVUES/CinémA/inTERnET
80 GÉOPO-TOURISME
Dubaï: mise en scène d’une ville-monde
ParThierry Buron
DOSSIER
Qui est l’ennemi?
41 Très cher ennemi
Par Pascal Gauchon
44 Que cache l’ennemi héréditaire?
Par Pierre Royer
45 L’ennemi en ses ambiguïtés
Par Serge Le Diraison
48 La représentation de l’ennemi
dans les affiches de guerre
Par Didier Giorgini
54 GRANDE CARTE
Les ennemis réels
ou supposés de l’Europe
Par Christophe Chabert
52 L’ennemi à l’ère du dieu marché
Par Jean-François Gayraud
54 Les états-Unis ami/ennemi
Par Franck Favier
56 La Chine
Ennemie hier, partenaire aujourd’hui?
Par Michel Nazet
58 La Russie, ennemi commode
Par Frédéric Munier
60 L’Union européenne n’a pas d’ennemis
Par Hadrien Desuin
62 Le terrorisme djihadiste,
ennemi absolu?
Par Frédéric Pichon
64 La criminalité organisée transnationale
Par Xavier Raufer
66 Science-fiction:
l’ennemi venu d’ailleurs
Par Didier Giorgini
68 Comment combattre l’ennemi?
Par John Mackenzie
Crédits photos: US National Archives and Records Administration: 11. National Gallery of Art: 42, 60. Museo nacional centro de Arte Reina Sofia: 19b. F. Balanche: 28g. Musée cantonal des Beaux-Arts, Lausanne: 73.
T. Buron: 7h, 80. Arnaud Calais Photographie: 69. Musée du Capitole, Rome: 37b. Carthage National Museum: 35b. C. Chabert: 50/51. G. Chaliand: 76b. Coll. part.: 29d, 44, 48h, 48bd, 49hg, 49hd, 49b, 57h. P. Conesa: 10.
Cartes Conflits: 19h, 21h, 24h, 28d, 35h, 39h, 81. DR: Une, 4, 6b, 7b, 8b, 9c, 9b, 12b, 14h, 15, 16, 18, 22, 23d, 24b, 25, 27h, 27b, 30, 31h, 32, 33, 37h, 39b, 40, 43, 46b, 47, 53h, 53b, 55b, 27b, 61, 63h, 63b, 65h, 65b, 67,
68, 71, 72, 74bd, 75h, 76h, 82h. Departement of Defence: 12h. F. Favier: 54.T. Flichy de La Neuville: 6h. P. Gauchon: 5. L. Gayard: 20. J.-F. Gayraud: 52. D. Giorgini: 48bg. C. Harbulot: 70. J.-M. Huissoud: 29g. Musée national du
palais Jatta à Ruvo di Puglia (Bari): 46h.A. de Kerros: 14b.Y. Le Bohec: 34. S. Le Diraison: 45. M. Lefebvre: 17. F. Louis: 31b. F. Munier: 58. NASA: 82b. US Navy: 55h. M. Nazet: 56. J.-B. Noé: C. de Penfentenyo: 26. Piazzale delle
Corporazioni, Ostia Antica: 36. F. Pichon: 62. F. Pons: 13. X. M. Raffray: 8h.A. Rangel: 9h. Raufer: 64. Ria/Novosti: 21b, 59h, 59b. I. Riocreux: 74bg. P. Royer: 38. R. Sabathié: 23g. Imperial War Museum, Londres: 41.
Copyright 2017 Conflits. Les manuscrits non insérés ne sont pas rendus. Sauf avec notre accord et dans les cas où elle est autorisée expressément par la loi et les conventions internationales, toute reproduction totale ou partielle
du présent numéro est interdite et constituerait une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du Code pénal. Sauf accord express, la reproduction des cartes publiées dans Conflits est formellement interdite.
L’illustration page 14 est de Aude de Kerros.
Conflits est édité par la Société d’Édition et de Presse
Antéios (SEPA), SARL au capital de 212000€. Siège
social: 55, bd Pereire – 75017 Paris. Gérant et
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Bulletin d’abonnement encarté non numéroté
COMité SCientifique
Le comité scientifique contribue à l’élaboration de la revue et veille au respect des principes énoncés dans l’éditorial du numéro 1, Manifeste pour une
géopolitique critique. Ses membres ne sont pas responsables personnellement des idées ni des faits exposés dans chacun des articles de la revue.
Jean-Paul Bled,Université Paris-Sorbonne • Michel Fauquier,Université de Poitiers • Jean-Pierre Ferrier,Université Paris II • Olivier Gohin,
Université Paris II • Recteur Michel Guillou, Université Lyon III • Christian Harbulot, Directeur de l’École de Guerre économique •
Jean-Marc Huissoud, Chercheur en géopolitique • Alain Juillet, ancien Haut Responsable pour l’Intelligence économique •
Pascal Lorot, Président de l’Institut Choiseul, directeur de la revue Géoéconomie • Martin Motte, Université Paris-Sorbonne, École de
guerre • Éric Pomès, Saint-Cyr Coëtquidan • Christophe Réveillard, Université Paris-Sorbonne • Jean-Pierre Vettovaglia, ancien
ambassadeur, Suisse • Bernard Wicht, Université de Lausanne • Recteur Charles Zorgbibe, Université Paris I
Rédacteur en chef
Pascal Gauchon
Secrétaire de rédaction
VéroniqueVillain
Maquette et cartographie
Adam Gwiazda
Publicité
VéroniqueVillain
Ont collaboré à ce numéro: Angel Alvarado Rangel, Francis Balanche,Thierry Buron, Christophe Chabert, Gérard Chaliand, Pierre Conesa,Axelle Degans,
Hadrien Desuin, Franck Favier,Thibaud Flichy de La Neuville, Pascal Gauchon, Laurent Gayard, Jean-François Gayraud, Didier Giorgini, Jean-Marc Huissoud,
Yann Le Bohec,Serge Le Diraison,Maxime Lefebvre,Florian Louis,John Mackenzie,Frédéric Munier,Michel Nazet,Jean-Baptiste Noé,Cédric de Penfentenyo,
Frédéric Pichon,Frédéric Pons,Mériadec Raffray,Xavier Raufer,Ingrid Riocreux,Pierre Royer,Rémy Sabathié,David Simonnet,TigraneYégavian.
Géopolitique • Histoire • Relations internationales
Trimestriel-octobre-novembre-décembre2017-n°15Trimestriel-octobre-novembre-décembre2017-n°15Trimestriel-octobre-novembre-dé
55, boulevard Pereire - 75017 Paris
01 42 67 81 61 - www.revueconflits.com

3. 4 CONFLITS
À
propos de la carte page 15 de votre numéro 13,je précise que
leBIOT(BritishIndianOceanTerritory)necomprendplusque
les îles Chagos,dot Diego Garcia,louée à l’armée américaine.
Jean-Marie B.,Internet
w Vous avez raison, mais notre carte consacrée aux dépendances mondiales du
Royaume-Unin’avaitpasàmentionnerlesbasesaméricaines.Ceterritoirebritannique
a été amputé en effet de quelques îles attribuées aux Seychelles en 1976. Il est
désert à l’exception du personnel militaire britannique et américain, puisque Diego
Garcia est en effet loué aux Américains depuis 1966; ce sont eux d’ailleurs qui ont
transféré la population indigène de Diego Garcia vers les Seychelles et vers Maurice.
P
ensez-vousqueledébatmondialiste/anti-mondialistearem-
placé le clivage gauche/droite?
Jean-François J.,Douchy
w Nousabordonsceproblèmedanslenuméroconsacréaupopulisme,etles
points de vue que nous exposons sont divers.C’est la position que soutient
Alain de Benoist. Dans mon éditorial, je défends l’idée que le clivage mon-
dialiste/antimondialistesesuperposeauprécédentsanslefairedisparaître.
Disons,pour réconcilier les deux points de vue,que gauche et droite se redé-
finissent aujourd’hui, comme cela s’est produit à de nombreuses reprises
dans l’histoire de France. La droite ressent une méfiance croissante envers
la mondialisation,la gauche,du moins la gauche bourgeoise,s’en réclame.
Mais,aprèstout,n’est-cepasreveniràlacoupuredudébutduXXe
XXe
XX siècleentre
internationalisme et patriotisme? L’extrême gauche en particulier est moins
anti-mondialiste qu’alter-mondialiste,comme elle le proclame elle-même.
À
proposdevotredossiersurlepopulisme,trèscomplet
et très intéressant, j’aimerais savoir comment vous
avez «sélectionné» les hommes et les partis popu-
listes.PourquoinepasconsidérercommepopulisteunEmma-
nuelMacronenruptureaveclespartisclassiques?Etpourquoi
ymettreunTrumpcandidatofficieldesrépublicains?
Anne S.,Bordeaux
w Le choix n’est pas simple car le mot populisme est un mot valise
où chacun met ce qu’il veut,et souvent ce qu’il n’aime pas.Il faut
partir d’une définition, au risque de la simplification et peut-être
mêmedel’arbitraire.Nousavonsreprisdanscenumérouneformule
classique: les mouvements qui combattent l’establishment, ou si
vouspréférezlesélites,aunomdupeuple.Leproblèmeestqueces
élitessontdiverses;ellesdonnentsouventl’impressiondeconverger
et d’entretenir des relations de complicité – on en a aujourd’hui un
exemple avec les élites politiques et médiatiques, en France du
moins.DonaldTrump avait le soutien d’une partie des élites écono-
miques dont il était issu, mais il se heurtait à l’hostilité des élites
médiatiques,politiques (y compris au sein du parti républicain) et
administratives.Macronentretenaitdesrelationsambiguësavecles
élitespolitiquesdonttémoignentseslienscomplexesavecFrançois
Hollande, il entendait bousculer beaucoup de positions acquises,
mais il portait les espoirs d’une grande partie de l’establishment
économique,médiatique et,comme on le voit,technocratique.
Tout est donc affaire de nuance, et aussi de style et d’électorat
visé et atteint.De ce point de vue,le caractère populiste deTrump
est indiscutable,à l’inverse de Macron.
l’URSSn’avaitpasalorsdefrontièreavecla
Tchécoslovaquieetnepouvaitdoncpaslui
porter secoursen casd’attaquedeBerlin.
Pour éviter de telles erreurs,Conflits s’ef-
force de mieux faire comprendre l’analyse
géopolitique.
Il le fait en particulier en distribuant dif-
férentsprix.
Le prix des mémoires Conflits récom-
penseunmémoireréalisépardesétudiants
et un mémoire réalisé par les lycéens. Il été
remis cette année le 31 mai dernier. Le pre-
mier a récompensé trois étudiants d’école
decommerce,ChristophedeCrémiers,Pier-
rickLangloisetLouis-MarieMasfayonpour
Al-Qaïda,résilience et affirmation d’une ins-
titutiondjihadiste.Unrésuméenaétépublié
danslenumérohors-série6denotrerevue.
Le second a été rédigé par une équipe de
lycéens du Lycée d’Hautefeuille et abordait
lethèmedelagéopolitiqueducaviar.
Le prix du meilleur mémoire de géopo-
litiquedel’Écoledeguerreaétéremisle29
juin à deux stagiaires de l’École: le lieute-
nant-colonel Cédric de Penfentenyo pour
Les Forces paramilitaires loyalistes en Syrie
depuis2011etlecapitainedecorvette(cana-
dien)JonathanLafontainepourRhétorique
géopolitiqueauservicedelapolitiqueidenti-
taire canadienne : le rôle du gouvernement,
desmédiasetdesforcesarméesdanslecasde
l’Arctique.
Vous trouverez un résumé du mémoire
de Cédric de Penfentenyo dans ce numéro
(pages26-27)etceluidumémoiredeJona-
than Lafontainedansleprochain numéro.
Letexteintégraldetouscesmémoiresest
présenté sur le site de Conflits (revuecon-
flits.com).
Lesmêmesprixserontattribuésen2018.
Pour tout renseignement, consulter le site
revueconflits.com
Notre équipe travaille actuellement à
l’élaboration d’un indicateur de la puis-
sance extrêmement large: il permettra de
rendre compte du rapport de forces entre
nations.Dansunpremiertemps,nousana-
lyserons les plus importantes d’entre elles
(une trentaine, dont bien sûr les pays du
G20). Les résultats seront présentés au
début 2018 et ils seront publiés dans
Conflits et,in extenso,sur notre site.
Les PROJeTs de CONFLITS
PRix CONFLITS
COuRRieR des LeCTeuRs
ÉCHOS
LongtempsdécriéeenFrance,considérée
commetrop«allemande»outrop«améri-
caine»,lagéopolitiqueamaintenanttrouvé
sa place.Elle le doit beaucoup à des figures
de proue comme Yves Lacoste et Gérard
Chaliand.
Il reste cependant beaucoup à faire, ne
serait-cequepoursortirdesidéesreçueset
même pour éviter des erreurs grossières.
Ainsi,enaoût,uneconsultanterégulièrede
la chaîne allemande ARD a-t-elle affirmé
que l’Allemagne possédait une frontière
avec la Hongrie.On pense à Édouard Her-
riot qui, dit-on, avait été surpris d’appren-
dre lors de la crise tchécoslovaque que
Pascal Gauchon remet le prix Conflits du meilleur
mémoire de géopolitique de l’École de guerre au
lieutenant-colonel de Penfentenyo. De gauche à
droite: le colonel Choutet, coordinateur de l’ensei-
gnement de l’École de guerre, le lieutenant-colonel
Cédric de Penfentenyo et le général de Reviers de
Mauny, directeur de l’École de guerre.

4. CONFLITS 5
Qui est l’ennemi ?
D
epuis la dialectique de Socrate,
la pensée occidentale vit en cou-
ple. La géopolitique, dont Thu-
cydide peut être considéré comme l’ini-
tiateur, n’échappe pas à cette règle. Il a
mis en lumière l’opposition entre terre
et mer dont il a fait le plus célèbre de
ces couples et qui a nourri la réflexion
des géopoliticiens allemands et anglo-
saxons. On peut le regretter car il a
évincé tous les autres, déjà présents chez
Thucycide – force/ruse, paix/guerre,
dominants/dominés, forts/faibles… et,
enfin, amis/ennemis.
Efficace quand il faut agir car elle sim-
plifie, la pensée binaire ne permet pas de
bienappréhenderleréel.Ellelaissedecôté
l’entre-deux et l’ailleurs. Après l’affronte-
ment (pacifique celui-là) entre stratèges
anglo-saxonsetallemandspoursavoirqui
l’emporte de la terre ou de la mer, Spyk-
man démontre le rôle décisif du contact
entre les deux éléments, les régions litto-
ralesou,selonsaformule,lerimland.Voilà
pour l’entre-deux. La conquête de la troi-
sième dimension a fait émerger les puis-
sances aériennes et aérospatiales, sans
parler du cyberespace – voilà pour l’ail-
leurs.Les stratèges chinois nous ont habi-
tués à ces dépassements qui valent pour
tous les couples évoqués.
Les militaires athéniens n’avaient pas
leur subtilité. Pendant la guerre du Pélo-
ponnèse les habitants de l’île de Mélos
veulent rester en dehors du conflit. En
416 av. J.-C., une flotte athénienne
débarque et leur impose l’alternative: se
rallier à Athènes ou être détruits, et en
effet la cité sera prise,les hommes massa-
crés, les femmes et les enfants réduits en
esclavage.Unesortedeversionantiquede
la formule du leader communiste Jdanov
au début de la guerre froide: «Tout ce qui
n’est pas avec nous est contre nous.» Ami
PAsCAL GAuCHOn
❝DÉSIGNER L’ENNEMI,
LE FONDEMENT DE
L’ACTION POLITIQUE,
N’EST PAS SI SIMPLE.
DANS L’ENTRE-DEUX
QUI SÉPARE L’ENNEMI
ET L’AMI, SE SITUENT
LE NEUTRE, LE
PARTENAIRE, LE FAUX
AMI, LE RALLIÉ…
❞
ou ennemi, il faut choisir et en assumer
toutes les conséquences, disent Athènes
comme Moscou.
LesSoviétiquessesontpourtantmontrés
beaucoup plus subtils en d’autres circons-
tances. Ils ont su dépasser l’antagonisme
simplificateur ami/ennemi. Ils ont admis
la neutralité de la Finlande ou de l’Au-
triche.Ilsontchoyédes«compagnonsde
route» recrutés parmi les intellectuels
que Lénine méprisait. Ils se sont associés
à l’ennemi de demain (Hitler) contre
celui d’après-demain (les démocraties
occidentales).
En fait, désigner l’ennemi, le fonde-
ment de l’action politique, n’est pas si
simple.Dansl’entre-deuxquiséparel’en-
nemi et l’ami, se situent le neutre, le par-
tenaire, le faux ami, le rallié… Même en
ne retenant que l’ennemi franchement
hostile, il est impossible de mettre ce
terme au singulier; nous sommes
confrontés à de multiples ennemis en
fonction du champ de bataille (militaire,
économique, diplomatique et même
«cyber») et de l’époque (ennemi d’au-
jourd’hui et de demain). Désigner l’en-
nemi revient à désigner l’ennemi, celui
qui fait peser la menace la plus grave
aujourd’hui, sans oublier les autres.
Un ennemi peut en cacher un autre
commelenoteLaRougeetlaJaune,revue
des polytechniciens: «Ce n’est pas parce
qu’une menace nouvelle apparaît (le terro-
risme) que les anciennes disparaissent (1)
.»
Un ennemi évident peut être manipulé
par des faux amis; quand Pierre Conesa
explique que les États-Unis s’acharnent à
«fabriquerdesennemis»depuis1991,veut-
il dire autre chose (2)
? La menace commu-
niste leur permettait de souder le camp
occidental autour d’eux, la menace isla-
miste provoque le même effet – deux
menaces bien réelles et en même temps
instrumentalisées.
Pouréviterderetomberdanslessimpli-
fications à la Jdanov,il convient de dépas-
ser la dialectique socratique et de se
demander: «Qui est l’ennemi?», c’est-à-
dire qui est le véritable ennemi. w
1.CitéinPhilippeWodka-Gallien,Guerrefroideépisode
II? Dissuasion et diplomatie à l’épreuve, Lavauzelle,
2016..
2. Voir l’interview de Pierre Conesa, page 10.
ÉDITORIAL