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Université Sorbonne Nouvelle-Paris 3


                   Mémoire final
                  De MASTER 2

Mention : Études cinématographiques et audiovisuelles
               Spécialité : Recherche




 Le choix et la découverte des
    contenus dématérialisés
Filtres, prescription et recommandation dans le
                marché de la VOD




       Auteur : GASULLA Dimitri




     Mémoire dirigé par KITSOPANIDOU Kira
      Soutenu à la session de septembre 2011
RÉSUMÉ – SUMMARY


    Titre Français : Le choix et la découverte des contenus dématérialisés. Filtres, pres-
cription et recommandation dans le marché de la VOD.

    Résumé : Ce travail de recherche analyse le développement économique du marché
français de la VOD. Internet et les TIC ont profondément modifié les modèles d’affaires
des industries créatives. Celles-ci doivent s’adapter aux exigences de l’économie du numé-
rique et de l’Internet. Nous avons conclu que la distribution des contenus culturels tient
une place stratégique dans cette économie, plus particulièrement la problématique de la
connexion entre l’offre et la demande.
Nous avons alors analysé les différents systèmes permettant d’internaliser les coûts de re-
cherche afin de faciliter le choix des consommateurs. Cette analyse est d’abord menée d’un
point de vue théorique, puis d’un point de vue pratique. Nous avons examiné de façon
détaillée trois types de systèmes : les stratégies de prescription, les systèmes de recherche
et de découverte de contenus, les systèmes de recommandation.
Nous concluons que la prescription est peu adaptée au marché de la VOD et que les
autres outils permettant de faciliter le choix des consommateurs sont encore dans une
phase d’expérimentation. Nous mettons en lumière des pistes de réflexion permettant à
un service de VOD de bénéficier des avantages et de comprendre les limites de chaque
système.

   Mots-clé : VOD, coûts de recherche, Internet, recommandation, prescription



   English Title : Choice and discovery of digital contents. Filters, prescription and
recommendation in the VOD market.

    Summary : This research analyzes the economic development of the French VOD
market. Internet and ICT have radically changed the business models of creative indus-
tries. They must meet the requirements of the digital economy. We concluded that the
distribution of cultural content is a strategic function, particularly the question of connec-
tion between supply and demand.
We then analyzed the different systems which can internalize the search costs in order to
facilitate consumer choice. This analysis is first conducted from a theoretical point of view
and then from a practical point of view. We examined in detail three types of systems :
prescription strategies, systems which allow research and content discovery, recommenda-
tion systems.
We conclude that the prescription is not adapted to the VOD market and that others
tools developed to facilitate consumer choice are still in an experimentation phase. We
highlight reflection tracks which allow to a VOD service to enjoy the benefits and to un-
derstand the limitations of each system.

   Key words : VOD, search costs, Internet, recommendation, prescription
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                                     @MrDimitriG

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nc-sa/3.0/ ou par courrier postal à Creative Commons, 171 Second Street, Suite 300, San
Francisco, California 94105, USA.
« Je le répète une fois de plus à l’intention des étu-
          diants en lettres qui commencent à savoir lire dès l’âge
          du permis de conduire, on peut très bien vivre sans la
          moindre espèce de culture. Moi-même, je n’ai pas mon
          permis de conduire, eh bien ça ne m’a jamais empêché
          de prendre l’autobus. »
Pierre DESPROGES, Vivons heureux en attendant la mort, Paris,
                              Éditions du Seuil, 1998, p. 167.
Table des matières

Avant-propos                                                                                              1

Introduction                                                                                              2


I    Les enjeux d’Internet pour le marché de la VOD                                                       4
1 La VOD, un mythe au service d’une idéologie ou le levier d’une évolution
  culturelle ?                                                                                             5
  1.1 La VOD, une technologie marquée par les espoirs d’Internet . . . . . . . .                           5
  1.2 La convergence, de l’imaginaire financier à la réalité culturelle et économique                       7
  1.3 Définition pratique de la VOD . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .                       9
       1.3.1 Any Time : la délinéarisation se heurte à la chronologie des médias                          10
       1.3.2 Any Where* (∗ : sous condition que vous vous situiez dans la bonne zone et au bon endroit)   11
       1.3.3 Any Device : l’interopérabilité en question . . . . . . . . . . . . . .                      11
       1.3.4 Un positionnement commercial flou . . . . . . . . . . . . . . . . . .                         14
       1.3.5 L’évolution du cadre législatif : les SMAD . . . . . . . . . . . . . .                       15
  1.4 L’avenir de la VOD en question . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .                      16

2 La distribution des contenus culturels sur Internet                                                  18
  2.1 L’industrie de la musique, un marché test . . . . . . . . . . . . . . . . . .                  . 18
  2.2 La loi Hadopi, principe et fonctionnement en question . . . . . . . . . . .                    . 21
      2.2.1 Patrick Waelbrœck : « Hadopi est une mauvaise réponse faite par
              des gens désemparés. » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .                 . 21
      2.2.2 Eric Walter, secrétaire général de l’Hadopi : « Nous souhaitons des
              systèmes de contrôle chez l’usager. » . . . . . . . . . . . . . . . .                  . 22
  2.3 Le « piratage », un concept façonné par les entreprises et des technologies
      développées par les individus. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .                 . 24
      2.3.1 « C’est la faute des autres » ou comment éviter de redéfinir les
              modalités d’un marché . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .                  .    24
      2.3.2 L’évolution technologique des systèmes de partage de fichiers . . .                       .    26
  2.4 L’offre, une stratégie économique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .                   .    30
              La largeur de l’offre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .               .    30
              La hiérarchie de l’offre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .                .    31
              La profondeur de l’offre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .                .    32
              La production de l’offre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .                .    32

3 L’économie du numérique et de l’Internet                                                34
  3.1 La discrimination par les prix, une stratégie pour bénéficier des effets de
      réseaux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 34

                                                    4
3.1.1  Les effets de réseaux, un formidable levier de développement . . . .               34
           3.1.2  Les différentes formes de discrimination par les prix . . . . . . . . .            35
                  Axe 1. La stratégie de discrimination. . . . . . . . . . . . . . . . . .          36
                  Axe 2. La stratégie de version. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .         36
                  Axe 3. La stratégie de vente par panier ou bundling. . . . . . . . . .            37
     3.2   Comment une offre surabondante redéfinit l’économie des industries créatives               38
           3.2.1 La dématérialisation des contenus, vers de nouveaux modes de créa-
                  tion, de réception et de distribution . . . . . . . . . . . . . . . . . .         39
           3.2.2 Une offre surabondante composée de biens informationnels . . . . .                  41
     3.3   The long tail, enjeux et critiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .       42


II     La découverte et le choix des contenus                                                       46
4 Les systèmes permettant d’internaliser les coûts de recherches                                    47
  4.1 La problématique du choix dans le secteur de la culture et l’intermédiation
       comme réponse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .            .   47
  4.2 La prescription et les dispositifs de jugement . . . . . . . . . . . . . . . .            .   49
  4.3 Usages et principes de la recommandation . . . . . . . . . . . . . . . . .                .   52
  4.4 Les différentes formes de recommandation . . . . . . . . . . . . . . . . .                 .   54
       4.4.1 Content based : sagesse des data . . . . . . . . . . . . . . . . . . .             .   54
       4.4.2 Collaborative filtering : sagesse de la foule . . . . . . . . . . . . .             .   55
       4.4.3 Social recommendation : sagesse des amis . . . . . . . . . . . . . .               .   56
       4.4.4 Conclusion : des systèmes perfectibles aux résultats orientés . . .                .   57


III Les filtres et les stratégies de prescription à l’épreuve du
marché de la VOD                                                59
5 Les stratégies éditoriales des plateformes de VOD, quelle place pour la
  prescription ?                                                                                    60
  5.1 Le rôle d’une stratégie éditoriale : la différenciation . . . . . . . . . . . . .              60
  5.2 La difficile expression d’une identité de marque à travers les contenus . . .                   62
       5.2.1 Les nouveautés . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .               62
       5.2.2 Les selections de films . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .               65
       5.2.3 Les promotions et contenus exclusifs . . . . . . . . . . . . . . . . .                 68
  5.3 L’engagement de l’utilisateur via des contenus de marques . . . . . . . . .                   70
       5.3.1 Les contenus éditoriaux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .              72
       5.3.2 Les contenus thématiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .                 73
       5.3.3 Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .             75
  5.4 Le dépassement de la prescription au profil de l’élargissement du choix du
       consommateur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .             76

6 Les      systèmes de recherche et de découverte de contenus                                     78
  6.1       Le moteur de recherche, prérequis d’une expérience utilisateur unifiée . .           . 79
  6.2       Les outils de recherche de contenus limités par les données sources . . . .         . 81
  6.3       Les outils de découverte de contenus, entre normalisation, personnalisation
            et curation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .   . 84
            6.3.1 Les tops . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .      . 85
            6.3.2 Les sélections d’agents prescripteurs . . . . . . . . . . . . . . . . .       . 86

                                                  5
6.3.3 Les outils de curation ou d’éditorialisation par les utilisateurs . . . 86
          6.3.4 Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 88
   6.4    Les systèmes de recherche et de découverte de contenus en question . . . . 88

7 Les rôles des systèmes de recommandation dans le marché de la                                        VOD              89
             AlloCiné . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .                        . . . .          89
             Amazon . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .                          . . . .          90
             Cinemur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .                         . . . .          90
             GetGlue . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .                         . . . .          91
             Jinni . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .                       . . . .          91
             Netflix . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .                        . . . .          92
  7.1 Les systèmes de recommandation basés sur le contenu . . . . . . . .                              . . . .          93
  7.2 Les systèmes de recommandation basés sur le filtrage collaboratif .                               . . . .          94
  7.3 Les systèmes de recommandation sociale . . . . . . . . . . . . . . .                             . . . .          95
  7.4 Les systèmes de recommandation hybrides . . . . . . . . . . . . . .                              . . . .          96
  7.5 Conclusion : la recommandation, une technologie à contextualiser .                               . . . .          97


Conclusion générale                                                                                                    99

IV       Annexes                                                                                                   102
Bibliographie thématique                                                                                               103
   Économie du cinéma et de l’audiovisuel . . . . . . . . . .      .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   103
   Économie de l’attention et coûts de recherche . . . . . .       .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   105
   Économie générale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .     .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   105
   Économie des industries créatives . . . . . . . . . . . . .     .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   106
   Économie du numérique et de l’Internet . . . . . . . . .        .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   108
   Théorie de l’engagement . . . . . . . . . . . . . . . . . .     .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   111
   Internet et les technologies de l’information . . . . . . .     .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   111
   Marketing et communication . . . . . . . . . . . . . . . .      .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   112
   Économie de la musique . . . . . . . . . . . . . . . . . .      .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   113
   Économie des contenus pour adultes . . . . . . . . . . .        .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   114
   Principes techniques et marketing de la recommandation          .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   115
   Sociologie et psychologie . . . . . . . . . . . . . . . . . .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   116
   Transmedia . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .    .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   117
   Économie du vin . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .     .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   117
   Économie de la VOD . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .      .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   118

Citations originales                                                                                                   120

Glossaire                                                                                                              123

Liste des figures                                                                                                       128

Bibliographie                                                                                                          148
Avant-propos

    Pour clore sa passionnante enquête sur la création et la diffusion de la culture mains-
tream à travers le monde, Frédéric Martel conclut par une mise en garde. Après avoir rendu
compte de la vivacité et de l’optimisme des puissances émergentes dans les industries créa-
tives, il précise que nous assistons à « une transformation radicale de la géopolitique des
échanges de contenus culturels et médiatiques. (. . .) Dans cette redistribution des cartes,
il y a des gagnants (les États-Unis et les pays émergents, notamment les BRIC [Brésil,
Russie, Inde, Chine]), et des perdants (les pays dominés). Il y a aussi des pays qui voient
diminuer leurs parts de marché. Faute d’avoir bâti des industries créatives puissantes, ils
sont en pertes de vitesse ; faute de ne pas avoir embrassé la mondialisation et ses marchés
potentiels, ils sont à la traîne ; faute d’avoir considéré Internet comme une source d’oppor-
tunités et pour y avoir vu seulement des menaces, ils risquent bientôt de ne plus arriver
à peser dans le marché des contenus. C’est le cas de l’Europe principalement, où des pays
comme le Portugal, l’Italie, l’Espagne, mais aussi, dans une moindre mesure, l’Allemagne
et la France, s’affaiblissent sur la carte des échanges culturels. » [MARTEL(2010), p. 425]
Le déclin de la compétitivité européenne en matière de production et de diffusion des
contenus grand public est le fait de nombreux facteurs, tant économiques que culturels.
Néanmoins, il en est un qui cristallise les positions de chacun : Internet. Les uns y voient
une chance, les autres une menace. Les pays émergents ont tout à gagner en tirant parti de
ce nouveau moyen de distribution, tandis que l’Europe et les États-Unis ont trop à perdre
pour s’y engager pleinement. L’avénement d’un nouveau modèle économique entraînerait
une redistribution des cartes où l’occident ne pourrait pas maintenir sa domination éco-
nomique et culturelle. Pour autant, il ne s’agit pas ici d’appréhender Internet comme une
fatalité, ni que les industries créatives européennes sont condamnées à dépérir plus ou
moins lentement sur l’autel de la mondialisation et du progrès technologique. Internet
peut devenir un formidable relai de croissance pour ces industries, pour peu que ces der-
nières s’en donnent les moyens. Un tel virage technologique arrivera à maturité tôt (par
nécessité économique) ou tard (par remplacement de la génération des décideurs), mais
dans les deux cas il est déjà en marche. C’est donc à nous, génération en attente de res-
ponsabilité ou décideurs en place, de développer et de promouvoir des moyens innovants
favorisant la diffusion des contenus.
En ne traitant volontairement que d’une infime partie du problème, le travail de recherche
qui suit n’a pas la prétention de dévoiler la solution qui inversera la tendance. En étudiant
le développement d’un nouveau mode de distribution des films de cinéma en France, la
vidéo à la demande (VOD), ce travail rend compte des problèmes auxquels est confron-
tée une industrie qui dématérialise ses produits et des réponses qu’elle met en place. Se
focaliser ainsi sur une filière permet de mettre en lumière des solutions originales à des
problématiques partagées par le monde des médias et de l’entertainment. C’est en cela
que nous espérons apporter un regard pertinent qui puisse contribuer au renouvellement
des modèles d’affaires des industries créatives européennes.


                                             1
Introduction

    Lorsqu’un consommateur se rend sur l’un des principaux services de VOD français,
il y trouvera un catalogue de plusieurs milliers de contenus. Il a donc potentiellement
beaucoup de chance d’en trouver au moins un qui le satisfera. Cette vaste quantité de
contenus est alors un bénéfice par rapport à un catalogue plus réduit. Sans compter que,
plus le nombre de contenus est important, plus il est libre dans son choix. Mais comment
le consommateur va-t-il effectuer son choix ? Déjà qu’il peut être difficile de choisir entre
une dizaine de DVD dans un rayon, alors entre plusieurs milliers de contenus. . . À moins
que le consommateur soit expert du cinéma et/ou des séries, la simple augmentation de
nombre de contenus aura pour conséquence de réduire ses capacités à réaliser un choix
juste, c’est-à-dire après avoir pris en compte toutes les possibilités qui s’offrent à lui.
Cette situation n’est pas propre au secteur de la VOD. Si vous n’en êtes pas convaincu,
essayer de choisir un nouveau forfait pour votre téléphone portable ou un service de
placement financier. Nous sommes de plus en plus souvent confrontés à des situations de-
mandant le traitement d’une quantité trop importante d’informations. Nombreuses sont
les sociétés qui ont été créées avec pour objectif de mettre en ordre et de hiérarchiser
ces informations. Ces sociétés s’appellent Google, Kelkoo ou Cdiscount. Elles partagent un
point commun, celui de se baser sur des critères objectifs pour classer les informations.
Ainsi, les résultats obtenus satisferont le plus grand nombre de personnes, que cela soit
en recherchant le site Web le plus pertinent, le meilleur prix ou le produit le plus adapté
à un besoin précis.
Seulement ces types de services sont inefficaces lorsqu’il s’agit de traiter de produits ex-
périentiels, c’est-à-dire des produits dont on ne connaît pas la valeur a priori. Il n’existe
pas de critères objectifs permettant de classer des vins, des chansons ou des films. Or la
dématérialisation des contenus culturels a eu pour conséquence une forte augmentation
du nombre de produits disponibles. Plusieurs systèmes ont donc été développés pour hié-
rarchiser et mettre en forme ces contenus selon différents critères.
L’objectif de ce travail est de documenter et de comprendre le fonctionnement de ces sys-
tème afin d’évaluer leurs conséquences. En orientant le choix des consommateurs, ces sys-
tèmes relèvent d’intérêts économiques non-négligeables. Mais surtout, ils offrent aux uti-
lisateurs la possibilité d’améliorer leurs processus de consommation de produits culturels.
L’expérience de l’utilisateur peut en être profondément modifiée et les services peuvent se
structurer autour de paradigmes jusque là peu investis (influence des choix des « amis »,
communautés de fan, etc.). Lorsque les contenus sont accessibles via de multiples canaux,
ce sont les services permettant d’y avoir accès qui retiendront l’attention des consom-
mateurs. Vous pouvez achetez un titre du catalogue d’Universal Music via iTunes, Deezer
ou Spotify. Lequel de ces services allez-vous privilégier, et pour quelles raisons ? En tant
qu’outils influençant l’expérience globale qu’un utilisateur aura d’un service, les systèmes
qui permettent de découvrir et de choisir des contenus prennent toute leur importance.
Notre étude portera plus particulièrement sur les systèmes développés pour le marché de


                                             2
la VOD. Nous nous attacherons à répondre à une double question : comment ces systèmes
sont mis en place dans les services de VOD et quels peuvent être leurs impacts sur l’ex-
périence des utilisateurs.
Pour répondre à cette question, nous commencerons par analyser l’environnement dans
lequel se développe le marché de la VOD : Internet. Nous verrons que le développement
de la VOD a beaucoup emprunté à l’imaginaire d’Internet. Mais que gratuité et ubiquité
sont actuellement des concepts difficilement applicables au marché de l’audiovisuel et du
cinéma. Les acteurs de ce milieu n’ont pas montré d’enthousiasme particulier à se lancer
dans la distribution numérique de leurs contenus ou à la numérisation de leurs activités.
Et pour cause, après avoir observé l’industrie de la musique perdre plus de la moitié de
son chiffre d’affaires en quelques années, il y a de quoi rester dubitatif sur les réelles oppor-
tunités que représentent Internet et les technologies qui l’accompagnent. Pourtant, nous
verrons que les récentes évolutions de l’industrie de la musique n’ont pas uniquement
bénéficié aux « pirates », mais témoignent davantage d’une redistribution de la valeur
s’effectuant au détriment des majors du disque. Internet crée de nouveaux enjeux pour
la distribution des contenus, c’est tout aussi certain que cette technologie permet à de
nouveaux outils de voir le jour. L’économie du numérique et de l’Internet offrent de nom-
breux outils et opportunités pour développer de nouveaux modèles d’affaires ou adapter
les anciens. Ceux pouvant se révéler utiles pour le marché de la VOD seront décrits dans
ce travail de recherche.
Dans un second temps, nous analyserons la problématique de la découverte et du choix
des contenus. En effet, le choix d’un produit culturel s’inscrit dans des processus de
consommation particulier. Il convient de bien le comprendre afin de décrire et d’évaluer
les systèmes qui ont été développés pour les accompagner. En poursuivant dans cette di-
rection, nous serons amenés à nous intéresser aux fonctionnements des outils permettant
de découvrir et de choisir des contenus, que cela soit de simples dispositifs de jugement ou
de complexes systèmes de recommandation. Enfin, étant donné que ce champ d’activité
est en plein développement, nous nous adonnerons à un exercice de prospective et à une
critique de ces évolutions.
Après avoir abordé de manière théorique les outils de choix et de découverte de contenus,
la partie suivante les analysera d’un point de vue pratique. Tout d’abord, nous nous foca-
liserons sur les différents filtres et stratégies de prescription qu’il est possible de retrouver
sur des services de VOD. Trois plateformes ont été retenues pour cette partie. Chacune
d’entre elles représentant un positionnement particulier : TF1 Vision pour l’exemple d’un
service généraliste et grand public, Universciné pour représenter le cas d’un service spécia-
lisé dans un marché niche (les films indépendants) et FilmoTV pour l’exemple d’un service
basé sur modèle économique émergeant, la SVOD (ou VOD par abonnement). Cette plu-
ralité d’acteurs nous permettra d’appréhender les trois principaux positionnements que les
services de VOD sont capables d’adopter. Nous commencerons par analyser les stratégies
éditoriales des plateformes de VOD. Nous essayerons de définir dans quelle mesure ces
dernières se démarquent des stratégies éditoriales traditionnelles et si elles peuvent être
considérées comme des stratégies de prescription. Puis, nous passerons à l’étude des sys-
tèmes de recherche et de découverte de contenus. Nous décrirons les différentes évolutions
qui s’offrent à ce champ d’activité en plein développement. Enfin, nous nous focaliserons
sur les systèmes de recommandation. Nous détaillerons les différentes façons de les inté-
grer au modèle économique d’un service de VOD. Que ces systèmes de recommandation
soient basés sur le contenu, le filtrage collaboratif ou bien sur des données sociales, chaque
solution influence le développement de l’entreprise qui la met en place.


                                              3
Première partie

Les enjeux d’Internet pour le marché de
                la VOD




                   4
Chapitre 1

La VOD, un mythe au service d’une
idéologie ou le levier d’une évolution
culturelle ?

1.1      La VOD, une technologie marquée par les espoirs
         d’Internet
      « La société de l’information d’aujourd’hui demande de l’habilité, de l’agilité
      et de la rapidité dans la manipulation des informations. Là où autrefois notre
      puissance économique était uniquement déterminée par la profondeur de nos
      ports ou l’état de nos routes, aujourd’hui elle est déterminée aussi bien par
      notre capacité à transporter de grandes quantités d’informations rapidement
      et avec précision, que par notre capacité à utiliser et à comprendre ces informa-
      tions. Tout comme le réseau autoroutier a marqué un tournant historique dans
      notre commerce, aujourd’hui les "autoroutes de l’information" – en mesure de
      transporter les idées, les données et les images à travers le pays et autour du
      monde – sont essentielles à la puissance et à la compétitivité américaine. »
      [CLINTON et GORE(22 février 1993), p. 28]
    Près de vingt ans plus tard, ce rapport des anciens président et vice-président des
États-Unis en faveur des technologies de l’information et de la communication (TIC)
conserve sa pertinence. En se plaçant à l’aube d’une nouvelle évolution du commerce dont
le paradigme ne prendrait plus seulement en compte les infrastructures physiques mais
aussi les capacités liées à l’informatique, les auteurs décrivent une société qui s’apprête à
basculer dans un monde dématérialisé 1 . Pourtant, à cette époque, les réseaux permettant
l’échange de données et les outils qui rendent possible leur manipulation demeuraient prin-
cipalement utilisés par les militaires et les universitaires. La société décrite par Clinton
et Gore n’était alors qu’un ambitieux projet créé par certains milieux visionnaires, c’était
une utopie et c’est ce qu’a brillamment démontré Patrice Flichy.
D’après lui, toute innovation, toute technologie, est, lors de sa genèse, façonnée par des
utopies permettant « d’explorer la gamme des possibles » [FLICHY(2001), p. 15]. Lors-
   1. Ironie de l’économie, l’actuel président des État-Unis Barack Obama a déclaré que « nos in-
frastructures sont terriblement inefficaces et obsolètes. (. . .) Et qui plus est, plus longue sera l’éro-
sion de nos infrastructures, plus profonde sera l’érosion de notre avantage concurrentiel (. . .) Ce
dont nous avons besoin c’est d’un système intelligent d’infrastructures répondant aux besoins du XXIe
siècle. »[OBAMA(11 octobre 2010)]


                                                   5
qu’un projet parvient à devenir une véritable alternative aux dispositifs techniques exis-
tant, le modèle qu’il porte n’est plus synonyme d’idéal vers lequel tendre mais « devient
le schéma formalisé d’une technique à réaliser » [Ibid.]. Flichy parle alors d’utopie-projet
lorsque le projet accède à un stade expérimental et d’utopie-fantasmagorie quand il refuse
d’affronter la réalité technique.

    Si la rhétorique de Clinton et Gore conserve sa perspicacité, c’est d’une part qu’elle
utilise des arguments qui sont toujours liés au discours du développement d’une écono-
mie numérique 2 , et, d’autre part, que ces arguments sont aujourd’hui largement repris
par les promoteurs de nouveaux services utilisant Internet. En effet, l’utopie-projet des
« autoroutes de l’information » a été en partie reformulée dans celle, plus actuelle, de
l’économie numérique. Cela est d’autant plus visible lorsque les anciens locataires de la
Maison Blanche donnent des exemples de ce qu’il sera possible de réaliser grâce à ces
nouvelles technologies :
       « Le docteur souhaitant un avis sur le cas d’un patient pourrait transmettre
       le dossier médical à un collègue éloigné de plusieurs milliers de kilomètres.
       (. . .) L’écolier d’une petite ville pourrait, grâce à un PC, consulter, au sein
       de la Bibliothèque du Congrès, des milliers de livres, de disques, de vidéo ou
       de photographies qui auraient préalablement été numérisés. Les téléspectateurs
       pourraient choisir, à la maison, ce qu’ils veulent parmi des milliers de pro-
       grammes de télévision. »
       [CLINTON et GORE(22 février 1993), p. 28]
Flichy, qui commente également ce passage, nous dit que nous sommes bien face à une
utopie-projet qui présente « des alternatives par rapport à la circulation physique et à un
mode unidirectionnel de transmission de l’information » [FLICHY(2001), p. 28]. Il nous
rappelle par ailleurs que le commerce électronique et la télévision à la demande consti-
tuaient alors les deux killers applications 3 pour lesquelles les industriels du câble et du
téléphone (les deux domaines qui se préparaient à construire les « autoroutes de l’infor-
mation ») étaient prêt à investir [Ibid., p. 31].

    La volonté de donner accès à une consommation individualisée des produits culturels
via un terminal informatique, principe dont la VOD 4 est un aboutissement, se révèle
donc être présente dès le début des années 1990. Il nous faut alors rester prudents face
aux discours des différents acteurs proclamant que la VOD « c’est l’avenir ». C’était déjà
l’avenir il y a une quinzaine d’années et pourtant le marché demeure embryonnaire. La
récurrence de ce genre d’affirmation s’explique par le fait que la phase d’expérimentation
est également le moment où s’élaborent des discours œuvrant à la promotion du projet. Ils
peuvent être en charge de masquer les défauts d’une technologie ou de la légitimer afin que
    2. « L’apparition de nouvelles technologies à très haut débit (. . .) est susceptible de constituer la base
d’une nouvelle politique industrielle française et européenne. » [BESSON(2008), p. 3]
    3. Une killer application désigne un produit ou service fonctionnant uniquement avec une technologie
précise et qui justifie à lui seul l’achat de cette technologie. Les killers applications sont à rapprocher des
innovations de disruption car elles sont capables de créer un nouveau marché ou de rendre obsolètes les
produits et services dont elles intègrent les fonctionnalités.
    4. Nous utilisons l’acronyme anglais « VOD » plutôt que son homologue français « VàD » par souci de
cohérence avec les usages des secteurs audiovisuels et cinématographiques. L’utilisation du terme « VàD »
semble être l’apanage des institutions publiques alors que le service est exclusivement commercialisé sous
l’étiquette « VOD ». Ce désaveu de la langue française au sein de ce texte répond également au souhait
de faciliter sa circulation en lui accordant un titre évocateur.



                                                      6
les technologies alternatives soient abandonnées. Flichy parle respectivement d’idéologie-
masque et d’idéologie-mobilisation [Ibid., p. 16] :
    – Prétendre que l’électricité d’origine nucléaire est une technologie économique est
       idéologie-masque. Il n’est pas tenu compte des externalités et du projet politique
       dans lequel elle s’insère [PARISTECH REVIEW(4 octobre 2010)] ;
    – Prétendre que l’électricité d’origine nucléaire est une technologie écologique est une
       idéologie-mobilisatrice. Le nucléaire est présenté sous un nouvel angle plus apte à
       susciter le consensus [CONNOR(23 février 2009)].
De façon à pouvoir se développer, la VOD, au même titre que la télévision à la demande
ou la publicité interactive, doit donner lieu à des objets-frontière, « c’est-à-dire élaborer
des compromis qui permettent d’associer de multiples partenaires de façon suffisamment
lâche pour que chacun y trouve son compte, mais en même temps suffisamment rigide
pour que le dispositif puisse fonctionner » [Ibid., p. 15]. C’est lors de cette phase que
sont constituées les stratégies commerciales de chaque innovation. Le secteur de la VOD
demeure aujourd’hui à ce stade, comme en témoigne le nombre croissant de plateformes
qui tentent leur chance sur un marché qui finira inévitablement par se concentrer autour
d’un oligopole. Pour la France, on dénombrait, en 2006, quinze services de VOD. En 2010,
il y en a plus de quarante.
Étudier le développement de la VOD c’est donc avant tout étudier la société qui permet
à un tel projet de prendre forme. Le principal argument qui est utilisé en faveur de
la VOD est l’évolution des technologies qui modifierait à plus ou moins long terme les
comportements de l’individu en matière de consommation de produit audiovisuel. Cette
idée rejoint un discours plus global, celui de la convergence.


1.2     La convergence, de l’imaginaire financier à la réalité
        culturelle et économique
    Il est difficile de définir si la convergence est d’abord une idéologie auto-réalisatrice ou
la tendance de fond issue de l’évolution des technologies depuis les années 1970. Surement
les deux à la fois. Quoiqu’il en soit, la convergence désigne communément un phénomène
technique lié à la numérisation. Or la notion est plus complexe et nous pouvons distin-
guer deux conceptions de la convergence. L’une représente « le processus technique qui
rassemble les multiples fonctions des médias dans un unique terminal » [JENKINS(2008),
p. 3]. L’autre une modification des pratiques culturelles [Ibid.]. Cette dernière a récemment
été prise en compte par les industries créatives, donnant lieu à une production croissante
de contenu s’insérant dans ce qu’il est dorénavant tenu d’appeler une logique transmédia
[DENA(2009)].
Néanmoins c’est la convergence comme processus technique qui a longtemps prévalu. Elle
se justifie historiquement par l’évolution des technologies au cours du siècle. En effet,
grâce à une dynamique à l’œuvre depuis les années 1950–1960 mêlant la miniaturisation
croissante des composants aux avancées du codage, il a été, et est toujours, simultané-
ment possible de réduire les coûts de production tout en augmentant les performances
des circuits [CHANTEPIE et LE DIBERDER(2005), pp. 10–12]. Cet état de fait rend
progressivement possible l’informatisation de nombreuses activités, conduisant à leur rap-
prochement, à leur convergence. Dans un premier temps ce sont les technologies de l’infor-
matique et des télécommunications qui convergent, puis s’ajoutent celles de la télévision
et plus récemment l’ensemble des industries créatives [BOUQUILLON(2008), p. 152]. En
suivant cette logique, il a été prédit que les consommateurs du futur accéderont à tous

                                             7
médias et services via un unique terminal ou via un unique portail électronique.
Rétrospectivement, il apparaît logique de représenter la convergence comme un processus
naturel. Or, Philippe Bouquillon montre que cette idée est corrélée à celle de concurrence,
l’une entraînant l’autre et réciproquement. Il constate également que « la convergence et
la concurrence, du moins jusqu’à la première moitié des années 2000, existent d’abord
comme des discours et comme des idéologies qui accélèrent et légitiment des mutations du
capitalisme, en particulier des extensions de ses domaines, essentiellement alors dans l’au-
diovisuel et les télécommunications » [Ibid., pp. 153–154]. Nous pouvons ajouter qu’une
telle représentation de la convergence comporte un fort degré de déterminisme technique
en prétendant que le développement des TIC entraînera la modification des comporte-
ments des consommateurs dans un unique sens, celui prédit. Prédictions bien aventureuses
car « la mesure de la détermination éventuelle des effets d’une nouvelle technique est ir-
réalisable avant que celle-ci ne se soit fondue dans la société ; autrement dit, avant que la
société d’accueil ne l’ait tordue, détournée, démantelée, réordonnée à force d’appropria-
tions. » [GUICHARD(2009), p. 7] L’idéologie de la convergence se révèle être à la fois
idéologie-mobilisatrice (en promettant aux acteurs de nouvelles sources de revenus et des
économies d’échelle) et idéologie-masque (en ne se préoccupant guère des usages réels des
consommateurs).

    Jenkins nomme la conception précédente de la convergence l’« erreur du boitier noir ».
Ce boitier noir étant l’unique terminal que chaque foyer possédera dans son salon et qui
lui permettra d’accéder à tous ses désirs. Il continue par la remarque suivante : « je ne
sais pas pour vous, mais dans mon salon, je vois de plus en plus de boitiers noirs. Il y
a mon magnétoscope, mon décodeur pour le câble, mon lecteur DVD, mon enregistreur
numérique, ma chaîne hifi et mes deux consoles de jeux » [JENKINS(2008), p. 15]. Selon
lui, la convergence doit davantage s’entendre comme la complexification des liens entre les
nouveaux et les anciens médias, plutôt que la substitution de l’un par l’autre. Il rejoint
l’idée de Flichy qui, après avoir constaté l’individualisation des systèmes de communi-
cation, déduisait le prochain « déplacement des frontières » entre les médias, plutôt que
leur unification [FLICHY(1997), p. 238]. Jenkins définit la notion de convergence comme
« un changement de paradigme – le passage d’un monde où les contenus sont attachés à
des supports spécifiques vers un monde où les contenus circulent à travers de multiples
canaux, vers l’interdépendance accrue des systèmes de communication, vers de multiples
façons d’accéder à du contenu médiatique, et vers des relations toujours plus complexes
entre le top-down des médias corporatifs et le bottom-up de la culture participative. »
[JENKINS(2008), p. 254] Ce ne sont plus les technologies qui convergent mais les conte-
nus.
Dans un univers où le nombre de médias ne cesse d’augmenter et de se spécialiser, il de-
vient de plus en plus difficile pour ces mêmes médias de toucher et de retenir un nombre
important d’individus. Il devient alors de plus en plus difficile et de plus en plus couteux
pour les annonceurs de « toucher » leurs cibles. Ainsi, dans les années 1960, il était pos-
sible de toucher 80 % des femmes américaines avec une publicité diffusée en prime time
sur trois chaînes de télévision. Aujourd’hui, pour atteindre une audience similaire, une
publicité doit être diffusée sur 100 chaînes de télévision [BIANCO(12 juillet 2004)]. La
problématique du « contact » est elle aussi remise en cause au profit de l’investissement.
En effet, qu’est ce qui indique qu’un téléspectateur ne soit pas parti aux toilettes pendant
la coupure publicitaire 5 ? À l’inverse, un spectateur qui s’investit dans un programme, en
  5. Il a été observé aux États-Unis une surconsommation d’eau pendant la diffusion des spots publici-



                                                 8
devient plus ou moins fan, sera davantage susceptible d’être exposé aux messages publi-
citaires qui l’accompagnent.
Confrontés à ces difficultés, les annonceurs ont diversifié leurs achats d’espaces afin de
toucher plus efficacement leurs cibles tout en faisant varier les contextes de réceptions.
De leur côté les producteurs et diffuseurs de contenus ont individualisé les relations qu’ils
entretiennent avec leurs clients [GASULLA(30 janvier 2011)]. Grâce à la déclinaison des
contenus de manière rationnelle sur plusieurs supports, l’individu se voit proposer un
environnement médiatique dont il est capable de maîtriser le fonctionnement et lui per-
mettant d’optimiser sa consommation. Ainsi, chacun peut avoir une relation spécifique
à Twilight. Une personne préférant le cinéma peut aller voir le film, une autre peut se
contenter de lire le livre, un fan fera les deux et ira en plus participer sur Internet à des
forums dédiés à Twilight, etc. Cette nouvelle forme de consommation des contenus est
dénommée transmedia. Henry Jenkins en donne la définition suivante :
      « Une histoire transmedia se déroule à travers de multiple plateformes mé-
      diatiques où chaque nouveau texte apporte une contribution distinctive et pré-
      cieuse à l’ensemble de l’histoire. Dans la forme idéale du transmedia story-
      telling, chaque support fait ce qu’il fait de mieux, de sorte qu’une histoire
      pourrait être introduite dans un film et élargie par la télévision, des romans
      ou des bandes dessinées ; son monde pourrait être exploré à travers un jeu ou
      vécu comme une expérience dans un parc d’attraction. »
      [JENKINS(2008), pp. 97–98]
La récente évolution d’ESPN (un réseau de chaînes de télévision américaines spécialisé
dans le sport, propriété de Walt Disney Company) est significative de cette nouvelle lo-
gique. Ainsi, John Skipper, responsable des "contenus non-télévision", a déclaré : « Nous
ne sommes pas une société de télévision (. . .) Nous sommes un média spécialisé dans le
sport. Nous allons entouré les consommateurs avec différents médias. Nous n’allons pas
les laisser nous éteindre et ensuite s’éloigner de notre marque. » [ROSE(septembre 2005)].

    La première acceptation de la convergence s’insère clairement dans une logique éco-
nomique. La seconde, bien que répondant aux besoins des consommateurs en se ba-
sant sur des pratiques populaires, participe également au renforcement des intérêts des
grands groupes de communication. À l’optimisation de l’investissement des consomma-
teurs s’ajoute la possibilité de vendre des contenus de différentes façons tout en s’appuyant
sur des synergies. Ces deux drivers, satisfaction du client et rendement des entreprises, ne
sont pas antinomiques. Tous deux s’influencent mutuellement et modifient peu à peu les
relations qu’entretiennent médias et consommateurs.
C’est en tenant compte de ces deux drivers que les acteurs de la VOD doivent compo-
ser des stratégies économiquement viables et suffisamment attractives. Afin d’entrevoir
les changements que la VOD est susceptible d’apporter dans le secteur culturel, il est
nécessaire de la définir techniquement et commercialement.


1.3      Définition pratique de la VOD
    Comme nous l’a montré l’histoire des médias, la promotion d’une nouvelle technologie
est pensée en fonction des systèmes que le public connaît déjà. Edison a commercialisé le
taires insérés dans les films. Ce qui indiquerait que les téléspectateurs ne sont pas devant leur télévision
pendant ces diffusions [KESSOUS et al.(2010), p. 14].



                                                    9
kinétoscope en s’inspirant du succès du phonographe [FLICHY(1997), p. 110]. La télévi-
sion a été présentée comme une évolution de la radio (en lui ajoutant l’image) et du cinéma
(en rendant possible la diffusion de programme « en direct ») [WASSER(2001), p. 56]. La
VOD ne déroge pas à cette règle. Son principe de fonctionnement s’inspire positivement
de l’imaginaire entourant Internet et négativement des médias traditionnels. Plus encore,
elle possède un lien de parenté direct avec des systèmes tels que le « Théâtrophone » ou la
« Theater Television » [KITSOPANIDOU et PISANO(26–27 novembre 2010)]. Mode de
distribution alternatif à celui des mass media et suppression des contraintes physiques
sont les mots d’ordre. Le terme VOD définit ainsi l’adressage d’un contenu audiovisuel
de manière individualisée, délinéarisée et soustraite à toutes contraintes de localisation
ou de terminal de réception. Un individu peut alors regarder un contenu où il veut (sans
contrainte géographique), au moment où il le désire (sans contrainte temporelle) et de la
façon qui lui convient le plus (sans contrainte de matériel). C’est cette logique que célèbre
la formule « Any Time, Any Where, Any Device » 6 . Seulement l’expression est davantage
programmatique que réaliste.

1.3.1      Any Time : la délinéarisation se heurte à la chronologie des
           médias
    La délinéarisation induit que le consommateur n’est plus « prisonnier » de la grille des
programmes et de l’ouverture des magasins. Il peut regarder le journal de 20 heures à 21
heures ou bien louer facilement un film à 4 heures du matin sans quitter son canapé. Néan-
moins il reste toujours contraint par la chronologie des médias, un maillon clé de l’économie
de l’audiovisuel (voir Figure 1.1). Celle-ci permet de capter un maximum de disposition
à payer en opérant un versionnage temporel des contenus [BOMSEL(4 octobre 2007), p.
11] (cf. 3.1.2).
Les films ou programmes de télévision ont des caractéristiques similaires aux biens infor-
mationnels. Leur production demande un investissement plus ou moins important et une
fois terminés leur reproduction s’effectue à des coûts marginaux quasi nuls. Qu’un film
fasse quatre millions ou dix mille entrées n’aura pas d’incidence sur les frais du produc-
teur, ceux-ci étant déjà engagés. Cela aura en revanche des conséquences sur ses recettes. Il
convient donc de maximiser l’exploitation d’un contenu, de faire en sorte que le plus grand
nombre d’individus le consomme. La définition du prix se trouve modifiée, il ne reflète
plus les coûts de production ni la rareté du bien, mais sa valeur [VARIAN(janvier 1997)].
Dans un multiplexe, qu’importe si vous allez voir un film d’auteur au budget de deux
millions d’euros ou un blockbuster américain à plusieurs centaines de millions de Dollars,
le prix du ticket est le même. En revanche, l’individu qui regardera ces films à la télévision,
lui, ne payera rien.
Le versionnage, la dégradation de la qualité, est le moyen d’opérer une discrimination
de manière à ce que le consommateur choisisse par lui-même la version du bien qui lui
convient le mieux. Les différentes versions du bien correspondent à autant de valeurs qui
reflètent une gamme de consentement-à-payer. Dans le cas de la chronologie des médias,
le versionnage agit sur la dimension temporelle du bien. Un fan de Twilight n’attendra
pas la diffusion du dernier opus sur TF1, il ira d’abord le voir au cinéma et achètera le
DVD (Digital Versatile Disc). Une personne faiblement impliquée se contentera de louer le
DVD ou d’attendre la diffusion sur Canal + quatre mois après la sortie du film. Une autre,
   6. Cette expression à été traduite en français par : « Quand je veux, où je veux, sur le support que je
veux ». Il est parfois ajouté un ultime « si je veux ».



                                                   10
ne s’y intéressant pas, le découvrira quelques années plus tard sur une chaîne gratuite de
la TNT (Télévision Numérique Terrestre). Dans cet exemple, le fan, en consommant les
versions du contenu correspondant aux premières fenêtres d’exploitation, dispose d’un
consentement-à-payer plus important que la personne ne s’intéressant pas au film. Il dé-
pense alors plus d’argent pour satisfaire ses désirs.
En France, la VOD ne peut donc pas se soustraire à toutes les contraintes temporelles.
Elle demeure dans le cadre mis en place par la chronologie des médias. La supprimer
serait, dans la situation actuelle, s’exposer à de potentielles pertes de recettes. Compte
tenu de la multiplication des moyens de valorisation des contenus, sa ré-évaluation n’en
demeure pas moins nécessaire [BOMSEL(mai 2008), pp. 23–24].

1.3.2      Any Where* (∗ : sous condition que vous vous situiez dans la bonne zone et au bon endroit)
     La suppression des contraintes géographiques peut se comprendre de deux façons.
La première renvoie à la dimension décentralisée et internationale d’Internet. Quelque
soit l’accès à Internet que vous possédez vous pouvez accéder à toutes les plateformes de
téléchargement. Cela ne signifie pourtant pas que vous pourrez consommer les contenus qui
y sont proposés. Ainsi, s’il est aisé de se rendre sur le site Web de The CW (une chaîne de
télévision américaine, propriété conjointe de CBS et Time Warner), il vous sera impossible
de visionner ou d’acheter quoi que ce soit si votre adresse IP (Internet Protocole) ne
provient pas des États-Unis 7 (Figure 1.2). La mise sur le marché de la VOD de contenus
à audiences internationales n’a pratiquement pas fait évoluer les contrats portant sur les
droits de diffusion. Obligeant par là le consommateur à se procurer ses contenus préférés
grâce à des moyens plus ou moins légaux. Par exemple, une « Gift Card » permet de
court-circuiter ce problème sur l’Apple TV, il devient alors possible d’acheter des contenus
sur le « Store US ».
La seconde façon d’appréhender la suppression des contraintes géographiques est de les
relier aux règles régissant le commerce physique. Dans une grande surface commerciale ou
spécialisée (GSC et GSS), le nombre de DVD (Digital Versatile Disc) présents en rayon
est le produit d’un compromis entre la place disponible et la rotation des titres. Dans
cette logique économique, le rayon « cinéma d’auteur de l’Europe de l’Est » pourra être
remplacé par une gamme de produits plus rémunératrice, par exemple des consommables
pour imprimantes. Dès lors, pour trouver des DVD de films à faible rendement financier
il est nécessaire de se déplacer dans des boutiques spécialisées. La VOD, en supprimant la
problématique du stockage, rend disponible à chaque Français un catalogue de plus de 4800
films [CNC(15 avril 2010)]. Seulement, il est fragmenté entre plus de 40 plateformes, ce
qui rend parfois problématique la recherche d’un contenu précis. Par ailleurs, une nouvelle
problématique apparaît dans ce contexte d’hyperchoix : quel titre choisir et comment ?

1.3.3      Any Device : l’interopérabilité en question
   La suppression des contraintes liées au terminal de réception sous-tend l’idée qu’un
individu peut télécharger un contenu en passant par son ordinateur ou sa console de
jeux et le regarder sur sa télévision ou son téléphone portable, etc. Si un expert en in-
formatique peut facilement réaliser cette interopérabilité entre différents hardwares et
   7. Voir à ce sujet les recommandations de la Commission Européenne pour la constitution d’un « mar-
ché unique numérique dynamique » [COMMISSION EUROPÉENNE(26 août 2010), pp. 8–16] et plus ré-
cemment sa volonté de permettre aux citoyens d’accéder à l’ensemble des services de télévisions payantes
disponibles dans les 27 pays de l’Union [PFANNER(3 février 2011)].


                                                  11
Figure 1.1 – Schéma récapitulatif de la chronologie des médias. Fenêtres d’exploitation
pour un film préfinancé par une chaîne de télévision à péage de première fenêtre. D’après
[ZELNIK et al.(janvier 2010), p. 47].
                                          12
Figure 1.2 – Capture d’écran du player de The CW. Le contenu est l’épisode 9 de la
saison 4 de Gossip Girl.


systèmes d’exploitations (OS : Operating System), cela est impossible pour un individu
normal. À l’inverse du DVD, la VOD ne bénéficie pas de normes internationales régu-
lant ses formats de distribution et d’exploitation. Vous pouvez regarder une vidéo en-
codée en Flash via Google TV mais la même opération est impossible avec un produit
Apple ou sur un téléphone fonctionnant sous Windows Mobile [GANAPATI(31 mars 2010)]
[SORREL(16 février 2010)]. Pourtant, la plupart des fabricants de matériel électronique
ont rejoint le forum DNLA (Digital Network Living Alliance) qui prescrit des règles et des
spécifications afin de garantir l’interopérabilité des produits entre différentes marques.
D’autres consortiums, œuvrant dans des directions similaires, sont apparus, tel que le
DECE (Digital Entertainment Content Ecosystem), mais les effets restent limités.
Quant aux DRMs (Digital Rights Management systems) qui permettent l’identification
d’un contenu et la description de ses règles d’accès et d’usage, ils demeurent des systèmes
propriétaires. Chaque DRMs ne fonctionne qu’avec le logiciel qui lui est associé, ce dernier
n’étant pas nécessairement développé pour tous les OS, soit par manque d’argent, soit
par volonté commerciale [OEA(septembre 2009), p. 18]. Si tous les acteurs s’accordent




Figure 1.3 – Capture d’écran de TF1 Vision, uniquement compatible avec les systèmes
d’exploitation de Microsoft.



                                            13
pour dire qu’il faut améliorer la compatibilité des produits et services pour le confort
du consommateur, tous gardent également en mémoire le tour de force d’Apple. Celle-ci
a assis sa domination sur le marché des baladeurs numériques et de la distribution de
musique en ligne grâce au verrouillage du couple iTunes-iPod. En refusant de licencier sa
technologie DRMs propriétaire, les titres téléchargés via iTunes ne pouvaient être lus que
sur un iPod, et inversement les iPod ne pouvaient lire que des titres achetés via iTunes.
Ainsi, en 2006, la part d’Apple sur les marchés américains des baladeurs numériques et de
la distribution de musique en ligne était d’environ 70 % [GEFFROY(juin 2009), pp. 66–
69]. Tous les acteurs craignent à la fois l’apparition d’un nouveau couple iTunes-iPod pour
l’audiovisuel et, en même temps, espèrent reconduire cette stratégie afin d’en profiter.
Ainsi, pour préparer l’arrivée prochaine des télévisions connectées, les différentes chaînes
de télévision françaises ont conclu des partenariats avec des constructeurs de téléviseurs 8
tout en faisant bloc contre Google [LEMONDE.FR(23 novembre 2010)].

1.3.4      Un positionnement commercial flou
    En théorie, la VOD est une évolution majeure dans l’économie de l’audiovisuel et la
distribution des contenus culturels. En réalité, ses capacités sont bridées par la nécessité
de ne pas entraver les marchés traditionnels du cinéma et de la télévision. Par exemple,
Time Warner a annoncé son projet de mettre en place un service VOD « premium ». Pour
un prix compris entre 20 et 30 $, les consommateurs américains pourront regarder un
film chez eux un mois après sa sortie en salle [SZALAI(9 septembre 2010)]. Un prix très
attractif. . . et une offre que les études donnent perdantes face au téléchargement illégal
[WALLENSTEIN(15 février 2011)]. 9 Relevant de questionnements similaires, il est ap-
paru aux États-Unis un débat visant à savoir qui, du câble, des télévisions connectées,
des services de streaming et de vidéo à la demande, remportera le futur marché de la
distribution numérique des contenus audiovisuels [ARNASON(2 décembre 2010)]. En ef-
fet, après l’annonce du lancement de Google TV lors de l’été 2010, le nombre de produits
et de services proposant de la vidéo n’a cessé d’augmenter [ORLIN(24 octobre 2010)]
[RICHTEL et STELTER(23 août 2010)]. En novembre 2010, les très puissants réseaux
américains de télévision par câble ont connu leur plus grande perte de clients (cord-
cutting) depuis les années 1980, soit entre trois et quatre millions de spectateurs en moins
[KASTELEIN(18 novembre 2010)]. Cela amène l’ensemble des acteurs de la filière à se
questionner sur leur avenir et à défendre leur business model :
       « Sur le fait qu’HBO et Cinemax ont récemment perdu 1,5 million d’abonnés,
       Bewkes dit : "Ne vous inquiétez pas pour HBO." Il dit que la diminution du
       nombre d’abonnés n’était pas due au cord-cutting, des gens qui résilient leurs
       abonnements au câble, mais était le résultat d’une modification de la façon
       dont les distributeurs ont vendu les offres d’HBO. »
       [LOWRY(6 décembre 2010)]
ESPN a entrepris une démarche comparable en publiant avec Nieslen une étude démon-
trant que les résiliations d’abonnement sont « pour le moment un phénomène "très mino-
ritaire" » [STELTER(5 décembre 2010)].
   8. TF1 a conclu un accord avec Samsung, Orange avec LG, M6 avec Sony, Canal + avec Technicolor et LG,
NRJ12 avec Philips [RIESTER et al.(1er juin 2010), p. 4]. Ces accords sont heureusement non-exclusifs.
   9. Cette annonce a été concrétisée en avril 2011. Les studios concernés sont Sony, 20th Century Fox, Uni-
versal et Warner Brothers. Certains films seront disponibles à la location 60 jours après leur sortie en salle,
et cela pour 29,99 $ par film [BARNES(19 avril 2011)]. D’ores et déjà, les plus grands réalisateurs et pro-
ducteurs américains se sont opposés à ce projet dans une lettre ouverte [MCCLINTOCK(21 avril 2011)].


                                                     14
Dans ce contexte où chaque acteur développe des produits et des services à même de
capter les revenus issus d’Internet, le rôle de la VOD reste encore à définir. Son posi-
tionnement sur le marché, c’est-à-dire l’image que les consommateurs ont de ce service
[PRLJEVIC(2007), p. 23], est encore flou. À ce jour, le modèle économique de la VOD
semble copié sur celui du DVD (dont elle reprend les fenêtres d’exploitation) et ne fait
pas preuve d’originalité. Le mode de commercialisation le plus innovant, la SVOD (Sub-
scription VOD : VOD par abonnement), ne dispose d’un film que trois ans après sa sortie
en salle. Il n’est alors plus apte à capter des consentement-à-payer élevés. Enfin, les pro-
blèmes d’interopérabilité et d’accès aux contenus précédemment cités renforcent le flou
quant au positionnement de la VOD.

1.3.5     L’évolution du cadre législatif : les SMAD
    Malgré tous ces problèmes, la VOD nourrit de grands espoirs. En témoigne le ré-
cent décret « SMAD » (Service Médias Audiovisuel à la Demande) qui a pour but de
« favoriser le soutien et l’exposition des œuvres européennes et d’expression originale
française » [SATELLIFAX(15 septembre 2010), p. 2]. Les nouveaux modes de consom-
mation appellent nécessairement de nouvelles approches législatives et ré-interrogent les
objectifs de ces dernières [LETAILLEUR et WEIGEL(12 décembre 2008)]. Ici le gouver-
nement français a jugé que les services de SVOD ont pour objectif de concurrencer les
chaînes de télévision payantes. Dès lors, contre l’avis du CSA (Conseil Supérieur de l’Au-
diovisuel) [CSA(7 octobre 2010)], il est apparu logique de leur imposer les mêmes obli-
gations 10 . Cette décision est pour le moins surprenante. En effet, comme nous l’avons
précédemment démontré, la VOD se rapproche davantage d’un DVD dématérialisé que
d’une chaîne de télévision. Qui plus est, le modèle d’affaires dominant de la VOD est
celui de la location. Or, jamais les magasins de location de VHS et de DVD n’ont été
tenus d’investir dans la production cinématographique et audiovisuelle française et euro-
péenne [BOROWSKY et SANSON(5 janvier 2011)]. Enfin, l’obligation d’investissement
est susceptible d’encourager les acteurs de la VOD à demander en contrepartie des droits
d’exclusivité dans l’exploitation des œuvres auxquelles ils ont apporté leur soutien. Une
pratique qui ira à l’encontre des intérêts des consommateurs, obligés de naviguer entre
plusieurs services pour trouver le film qu’il cherche.
Le développement de nouveaux services de distribution numérique des contenus culturels
aurait été l’occasion de redéfinir les objectifs de l’exception culturelle et les moyens d’ac-
tion disponibles à l’heure d’Internet pour encourager la production française. Il semble
qu’il a été préféré de ne rien remettre en cause et de calquer les obligations de ces services
(et donc d’influencer leur développement) sur celles des médias traditionnels. Le poids
des chaînes de télévision gratuites et de Canal + dans le financement de la production
cinématographique est trop important pour qu’une redéfinition du marché se fasse à leur
détriment. La décision conforte les acteurs historiques dans leurs pratiques et les avan-
tages dans la mise en place de leur propre service de VOD puisqu’ils possèdent déjà des
départements chargés d’investir dans la production audiovisuelle française. En revanche,
cette décision ralentira le développement des nouveaux acteurs et ne favorisera en rien
l’émergence de stratégies innovantes [BEUTH(14 septembre 2010)].
  10. « Dans la mesure où leur environnement concurrentiel est constitué par les chaînes de télé-
vision payantes (chaînes cinéma pour l’essentiel), leurs obligations ont vocation à s’en approcher. »
[JOURNAL OFFICIEL(14 novembre 2010)]




                                                 15
1.4      L’avenir de la VOD en question
    La VOD est une technologie développée à partir d’Internet. C’est donc logiquement
qu’elle s’inscrit dans l’esprit qui a participé au déploiement de ce réseau. Comme nous
l’avons vu, on prête à la VOD un avenir radieux. C’est à ce moment qu’elle devient un
mythe.
D’après Roland Barthes, « le mythe est un système de communication, c’est un message »
[BARTHES(1957), p. 181]. Il est pourvu d’une double fonction, « il désigne et il notifie, il
fait comprendre et impose » [Ibid., p. 190]. Le mythe s’empare d’un signe (constitué d’un
signifiant correspondant à un signifié) et le relègue au statut de simple signifiant. Il lui fait
ensuite correspondre un signifié afin de constituer un nouveau signe. Le mythe produit
donc un discours, une idéologie sur un signe lui préexistant. La VOD n’est qu’une tech-
nologie, elle est neutre. Pourtant elle est synonyme de disruption, elle signifie un profond
changement dans le secteur de l’audiovisuel. Nous avons vu qu’en théorie ses principes de
fonctionnement sont innovants, mais qu’en pratique ils sont bridés.
Si nous reprenons la taxinomie de Flichy, il apparaît que la VOD a clairement dépassé
le stade d’utopie-projet, puisque c’est une réalité technique. Comme nous l’avons déjà
dit, elle est au stade de la constitution d’objets-frontière. Elle tente de mettre en place
un système lui permettant d’être économiquement viable et suffisamment attractive pour
les consommateurs. Cela tout en veillant à créer un consensus avec les différents moyens
de valorisation des contenus audiovisuels lui préexistant. Les discours qui œuvrent à sa
promotion relèvent principalement de deux types d’idéologies.
Pour la première, la VOD est un moyen pour les acteurs indépendants de court-circuiter
le système de distribution mis en place par les acteurs dominants, c’est une idéologie-
mobilisatrice. Elle prend racine dans le fait qu’Internet « n’a pas été conçu pour permettre
à un émetteur de s’adresser à une masse de récepteurs, mais pour faciliter les échanges
entre individus tour à tour émetteurs et récepteurs. » [CARDON(2010), p. 8] Il serait
alors plus facile de contourner les médias traditionnels. Cette facette de la distribution
numérique des contenus culturels et d’Internet sera développée plus longuement dans la
suite de ce travail.
Pour la seconde, la VOD va « de toute façon » se substituer au marché physique de la vidéo
et aux chaînes de télévision payantes, c’est une idéologie-masque. Tout d’abord, comme
nous l’avons vu précédemment, la VOD fait face à de nombreux problèmes techniques
(interopérabilité) et commerciaux (difficulté de choix, fragmentation des catalogues, chro-
nologie des médias peu avantageuse, etc.). L’individualisation de la consommation reste le
seul argument qui ne soit pas biaisé. Mais il est daté, la vidéo domestique l’utilisait déjà
dans les années 1960 [WASSER(2001), p. 61]. Ensuite, cette idéologie s’appuie sur l’« er-
reur du boitier noir ». Elle considère la VOD comme l’aboutissement naturel de l’histoire
des technologies audiovisuelles et donc comme une évolution inévitable. Paradoxalement,
ce discours, qui voit dans la VOD le salut de l’audiovisuel, influence négativement sa crois-
sance. En France, d’après les professionnels du secteur, la VOD n’a réellement démarré
qu’en 2005 [FOREST(14 octobre 2010)]. En 2009, son chiffre d’affaires (à répartir entre
plus de 40 plateformes) représentait 6 % de celui de la vidéo physique 11 . Pourtant, l’État
français considère qu’elle va entrer en concurrence avec les chaînes de télévision payantes
et contraint son développement dans cette direction. D’après cette vision, l’avenir de la
VOD oscille entre DVD numérique et télévision délinéarisée.

  11. En 2010, le chiffres d’affaires de la VOD représente 9 % du marché de la vidéo et 30 % en volume
[LECHEVALLIER(18 janvier 2011)].


                                                16
Il n’existe donc pas de discours idéologique inscrivant la VOD dans le système éco-
nomique et culturel décrit par Jenkins. Un système où les contenus sont répartis entre
différents médias, autorisant différents modes de réception et où la participation est un
facteur clé. La VOD est, pour le moment, pensée comme un substitut aux DVD. La
transformation d’une innovation en un produit ou en un service marchand réside dans
le fait qu’il « s’agit moins de sélectionner parmi les utilisations possibles d’une technique
celles qui sont susceptibles de trouver un marché, que de produire l’usage d’un matériel qui
jusque là ne correspondait à aucun besoin socialement défini. » [FLICHY(1991), p. 19].
De tout temps, les nouvelles technologies ont dû capitaliser sur des pratiques existantes
afin de se constituer un public et de posséder les compétences nécessaires à un développe-
ment plus innovant. L’industrie du cinéma s’est développée en reprenant les formes de la
représentation théâtrale avant de s’en distinguer. Le studio d’enregistrement a longtemps
été utilisé pour que l’auditeur ait l’impression d’assister à une représentation en live. Ce
n’est que dans les années 1960 qu’ils ont commencé à servir la recherche d’une plus grande
complexité et créativité dans l’enregistrement des albums [KOSMICKI(2009)]. La VOD
doit donc avant tout trouver un modèle d’affaires innovant, capable de se substituer au
DVD tout en ne se fermant pas au développement de nouveaux usages. Ce n’est pas
d’une technique donnée qu’il faut attendre les solutions à la baisse du chiffre d’affaires
de la vidéo ou à l’échange illégal de contenus sous copyright, mais des initiatives qui vont
progressivement modifier les usages des individus. La VOD peut jouer un rôle important
dans ce dessein, encore faut-il éviter de l’emprisonner dans des logiques révolues . . .




Figure 1.4 – Capture d’écran du player d’Arte. Le contenu est un épisode de Tracks
consacré à Dario Argento. Il est « déconseillé aux moins de 18 ans ».


. . . et développer des services qui se servent d’Internet pour mettre en place des offres
correspondant aux besoins des consommateurs [MONTAGNON(27 janvier 2011)]. Cela
ne peut évidement que difficilement s’effectuer sans une compréhension des spécificités
des produits issus des industries créatives, des spécificités économiques d’Internet et des
liens qu’entretiennent ces deux secteurs.



                                             17
Chapitre 2

La distribution des contenus culturels
sur Internet

2.1     L’industrie de la musique, un marché test
    Depuis les années 2000, les industries créatives font face à la problématique de l’échange
illégal de leurs productions via Internet. Si à court terme le manque à gagner est difficile-
ment appréhendable, il ne fait en revanche aucun doute qu’à long terme la considération
des consommateurs envers les produits qu’ils acquièrent sans contrepartie ne sera en rien
favorable à l’ensemble des filières.
Le premier secteur touché par ce phénomène fut celui de musique. C’est à partir de lui
que sont théorisées les conséquences et réponses à apporter aux échanges illégaux. Il suffit
alors de mettre en relation l’évolution de la pénétration d’Internet avec celle du chiffre
d’affaires issu de la vente de disque pour conclure à l’existence d’un lien entre ces deux
faits. Mais cela serait une conclusion un peu hâtive. Au mieux un grossier raccourci,


                                                    Internet Penetration at Home in France (1998−2010)
                        10 20 30 40 50 60 70




                                                                                                                     ●
                                                                                                                ●
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           Percentage




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                                                                                      ●
                                                                             ●

                                                                       ●
                                                                  ●
                                                            ●

                                                       ●
                                                ●


                                               1998        2000       2002        2004        2006       2008       2010

                                                                                 Years


Figure 2.1 – Évolution de la pénétration d’Internet au domicile en France. Source :
[CREDOC(décembre 2010)].


au pire une mauvaise compréhension des enjeux. Deux visions s’opposent sur les effets
d’Internet et des TIC sur l’industrie du disque [WAELBROECK(janvier 2007)]. L’une y

                                                                                 18
Total Recorded Music Revenue in France (1995−2010)

                                                                         ●
                                                                     ●




                                1200
            Millions of Euros                         ●
                                                  ●       ●    ●              ●
                                1000    ●     ●

                                                                                  ●    ●

                                                                                             ●
                                800




                                                                                                 ●
                                600




                                                                                                     ●
                                                                                                         ●
                                                                                                              ●


                                       1995                   2000                    2005                   2010

                                                                         Years


Figure 2.2 – Évolution du chiffre d’affaires issu des ventes de musique enregistrée en
France. Source : SNEP.


voit l’essor du P2P, du streaming et du direct download qui favorise la « piraterie », le vol
des labels et indirectement des artistes. Les albums téléchargés illégalement influencent
négativement la ventes de disques. Pour l’autre, les échanges de fichiers musicaux per-
mettent aux « pirates » d’avoir accès plus facilement à de nombreux artistes sans pour
autant modifier leur consommation de CD (Compact Disc). La baisse du chiffre d’affaires
issu des ventes de musique enregistrée est alors la cause d’une trop grande concentration
des distributeurs empêchant le jeu de la concurrence de se réaliser pleinement. Ainsi que
d’une diminution dans la variété des produits proposés au consommateur dans les maga-
sins, à la radio et à la télévision. En France, le nombre de titres diffusés à la radio est
passé de 48 000 en 1996 à 24 000 en 2000 [ATTALI(2001), pp. 194–195].
Seulement, nous ne prenons en compte que deux acteurs du système : l’industrie du disque
et les consommateurs. Nous n’avons là que deux points de vue. Or, l’industrie de la mu-
sique ne s’y réduit pas. Ainsi, pendant que les ventes de disques s’effondrent, les recettes
liées aux concerts s’envolent. Aux États-Unis, entre 1999 et 2009, elles ont été multipliées
par trois (de 1,5 milliard à 4,6 milliards de dollars) [THE ECONOMIST(7 octobre 2010)].
Les données publiées par le Times sur l’industrie musicale britannique sont révélatrices
d’une autre vision de l’évolution en cours. Il y apparaît que les artistes sont nettement ga-
gnants dans ce nouveau système, au détriment des labels [THE TIMES(12 décembre 2009)]
(Figure 2.3) 1 .
La musique fait donc partie d’un vaste système économique. Comme le dit justement
Waelbrœck :
      « Si les perdants ont largement fait entendre leurs voix, il ne faudrait pas ou-
      blier les gagnants : les artistes indépendants qui profitent d’un outil pour expo-
      ser leurs nouveaux albums au public à faible coût, d’autres artistes qui vivent
      essentiellement de leurs concerts, les fabricants de lecteurs MP3 et DIVX, les
      fabricants de téléphones portables qui proposent des sonneries personnalisées,
      les fournisseurs d’accès à l’Internet haut débit, les agences de marketing qui
  1. Il est à noter que le marché anglais est spécifique car la population a toujours eu une « culture
musicale » beaucoup plus développée qu’en France [NÈGRE(4 décembre 2010)].


                                                                         19
Millions of Pounds                 Recorded Revenue (to Labels)                                                             Recorded Revenue (to Artists)




                                                                            Millions of Pounds
                               ●                                                                                        ●

                                          ●                                                                                        ●
                       1000




                                                                                                 140
                                                  ●                                                                                         ●
                       900




                                                                                                 120
                                                           ●                                                                                         ●
                       800




                                                                     ●                                                                                         ●


                              2004       2005    2006    2007       2008                                               2004       2005    2006     2007       2008

                                                Years                                                                                     Years


                                     Live Revenue (to Promoters)                                                                Live Revenue (to Artists)
  Millions of Pounds




                                                                            Millions of Pounds
                                                                     ●                                                                                         ●
                       80




                                                                                                 650
                                                           ●                                                                                         ●
                       70




                                                                                                 550
                       60




                                                  ●                                                                                         ●


                                          ●                                                                                        ●


                                                                                                 450
                       50




                               ●                                                                                        ●


                              2004       2005    2006    2007       2008                                               2004       2005    2006     2007       2008

                                                Years                                                                                     Years


                                       Performing Right Society                                                                   Total Music Revenue
                                                                                                 2120 2160 2200 2240
  Millions of Pounds




                                                                            Millions of Pounds




                                                                     ●                                                                                         ●
                       500




                                                  ●        ●
                                                                                                                                   ●        ●
                       460




                                          ●

                                                                                                                                                     ●
                       420




                               ●                                                                                        ●


                              2004       2005    2006    2007       2008                                               2004       2005    2006     2007       2008

                                                Years                                                                                     Years


Figure 2.3 – Évolution du chiffre d’affaires de l’industrie musicale au Royaume-Uni.
Sources : BPI, PRS [THE TIMES(12 décembre 2009)].


      exploitent les données des comportements en ligne de fans de musique, et la
      SACEM qui collecte les redevances sur les produits dérivés de la musique. »
      [WAELBROECK(21 septembre 2010), p. 8]
Plutôt que d’avoir une unique influence, positive ou négative, sur le marché du disque,
Internet et les TIC bouleversent l’ensemble du secteur de la musique. Plusieurs modèles
d’affaires se confrontent [BENGHOZI(24–27 mai 2011)]. La position dominante des ma-
jors est remise en cause par des nouvelles formes de valorisation qui se substituent au
modèle du disque [BENGHOZI et PARIS(1999)]. La numérisation de la musique per-
met l’émergence de modèles d’affaires innovants, celle-ci n’est plus uniquement consi-
dérée comme un bien culturel mais également comme un bien d’expérience et un bien
social [BOURREAU et al.(janvier 2008)]. La musique n’est plus seulement un produit
que l’on achète, ou pas. Elle possède des valeurs avec lesquelles il faut compter et qui
constituent le nouveau point névralgique de l’industrie musicale. C’est l’émergence du
« direct2fan » où l’artiste organise lui même sa communication et monétisation auprès

                                                                           20
d’une base de fans qu’il aura créée, entretenue et consolidée [DARCY(12 octobre 2010)]
[BERGER(15 novembre 2010)]. Ce genre de pratique est à ce jour principalement utilisé
par des artistes et labels indépendants, les majors n’ayant que rarement eu de vraie rela-
tion avec les fans. « Leurs utilisateurs finaux ne sont pas des consommateurs de musique,
mais plutôt les distributeurs, de Tower à iTunes. Alors que les radios savent jusqu’à la
donnée démographique la plus fine qui sont ses consommateurs, les majors ont toujours
produit du contenu et pris des décisions "au feeling". » [KNOPPER(25 août 2010)]

Le secteur de la musique ne s’effondre donc pas, il se transforme. De nouveaux acteurs ap-
paraissent et prennent la place des anciens. Pourtant, là encore, il a été préféré par l’État
la défense d’un raisonnement s’inscrivant dans une vision traditionnelle, et révolue, de la
musique, plutôt que d’accompagner son évolution. En s’efforçant de régler le problème du
piratage, principalement via la loi HADOPI, le gouvernement néglige le reste de la filière.
Quelles sont les mesures en faveur des prestations live ? Quelles sont les mesures visant à
améliorer l’efficience des sociétés d’auteurs ? Etc.


2.2     La loi Hadopi, principe et fonctionnement en ques-
        tion
2.2.1    Patrick Waelbrœck : « Hadopi est une mauvaise réponse
         faite par des gens désemparés. »




Figure 2.4 – Propositions de Google pour le terme « Hadop » en janvier 2011. Illustration
CC Geoffrey Dorne : @geoffreydorne.


   Malgré la difficile évaluation des effets de l’échange illégal de fichiers sur Internet, le
gouvernement a réfléchit à la mise en place de dispositifs censés lutter contre ces échanges.
Après un débat public et parlementaire agité [OWNI(décembre 2010a)], le législateur a


                                             21
finalement promulgué deux lois. L’une mettant en place une autorité publique indépen-
dante, l’Hadopi, acronyme de Haute Autorité pour la Diffusion des Œuvres et la Protection
des droits sur Internet. Elle est chargée de diriger la seconde loi qui instaure un système de
riposte graduée.
Une régulation plus poussée d’Internet et le développement d’offres légales attractives
semblent être la juste réponse pour endiguer le piratage, et l’empêcher de détruire 1,2
million d’emplois en Europe d’ici 2015 [TERA CONSULTANTS(3 mars 2010), p. 61] 2 .
Mais les multiples défauts qui accompagnent ces lois – et que ses différents défenseurs
persistent à ignorer –, ne fait que révéler l’incapacité de ses instigateurs à apporter une
réponse appropriée à une situation dont ils ne comprennent pas les tenants et les abou-
tissants.
Les actions de l’Hadopi vont pratiquement stopper le P2P, c’est certain, et on peut déjà
s’assurer que c’est ce qui sera communiqué lors de son bilan, mais qu’en est-il des autres
moyens existants sur Internet de se procurer gratuitement, ou peu s’en faut, des conte-
nus culturels ? Le cas du site de téléchargement Megaupload, qui permet de contourner
l’Hadopi, est à ce sujet révélateur. D’après ComScore, en 2008, le nombre d’internautes
français s’étant connectés sur ce site était de 350 000. En novembre 2010, ils étaient 7,4
millions [FERRAN(30 décembre 2010)] (cf. infra).
De même, comment appréhender le fait que « la chasse aux pirates sera automatisée grâce
à des bases de données constituées par les sociétés d’auteurs. Dans ces listes se trouvent
les œuvres les plus populaires et les nouveautés » [GABOULAUD(13 mars 2010)] ? Nous
pouvons donc être sanctionnés pour avoir téléchargé illégalement le dernier film d’Europa
Corp., mais pas pour un film de catalogue de Pyramide ? Pourtant ces deux sociétés ont
le même besoin de vendre leur production. Non seulement cette loi sera techniquement
dépassée plus rapidement que ne le pensent ses défenseurs, mais de surcroît elle ne « pro-
tège » qu’une minorité de produits, ceux dont le retour sur investissement est le plus
rapide. Elle ne favorise donc pas le développement de productions originales ou à la ren-
tabilité plus lente. C’est oublier que dans les industries créatives, ce sont les catalogues
d’œuvres anciennes qui permettent de financer la création présente et à venir. Leur vente
est certes faible comparée aux nouveautés, mais leur constance dans le temps leur permet
de constituer un actif tangible pour prévoir de futurs développements.
Enfin, la protection d’une minorité d’œuvres revient à inciter les industries culturelles à
persévérer dans la logique spéculative de l’« économie-casino », c’est-à-dire un système où
les producteurs lancent de plus en plus d’œuvres en espérant que l’une d’elles se retrouve
dans le nombre restreint d’œuvres à succès qui concentrent la majorité des recettes du
secteur. Cette logique est concomitante de celle de la théorie du « winner-take-all » et elle
induit une inflation des budgets de production et de promotion.
Mais, les remarques précédentes sont partiellement biaisées car elles ne prennent pas en
compte un volet fondamental du projet de lois : la réponse graduée.

2.2.2     Eric Walter, secrétaire général de l’Hadopi : « Nous souhai-
          tons des systèmes de contrôle chez l’usager. »
      « L’Hadopi met en œuvre un dispositif pédagogique de sensibilisation qui vise,
      par l’envoi de messages d’avertissement, appelés "recommandations", à infor-
      mer les internautes de leur obligation de surveillance de leur accès à internet
   2. Pour une critique de cette étude, voir la note publiée par le Social Science Research Concil :
[SSRC(22 mars 2010)]. Pour une revue des études traitant de la contrefaçon sur Internet, on se réfé-
rera au rapport de l’U.S. Government Accountability Office : [USGAO(12 avril 2010)].


                                                22
afin qu’il ne soit pas utilisé pour mettre à disposition ou reproduire des conte-
      nus numériques protégés par un droit d’auteur. »
      [HADOPI(10 janvier 2011)]
La réponse graduée instaure un système dont l’objectif est « to increase the expected cost
of infringing for final users »[BOMSEL et RANAIVOSON(2009), p. 27]. Les internautes
seront alors moins enclins à télécharger des contenus illégalement. Les droits de propriété
intellectuelle gagneront en efficience et assureront aux industries créatives une plus grande
efficacité dans la gestion de ces droits et dans la discrimination de l’accès aux contenus
[Ibid., p. 16].
Le fonctionnement de la réponse graduée est simple. Des sociétés privées sont chargées par




Figure 2.5 – Schéma explicatif de la réponse graduée extrait d’un prospectus distribué
aux péages des autoroutes en août 2010 [PEYRARD(26 août 2010)]. Illustration : Hadopi.


les organismes de défense professionnelle et de perception des droits (SACEM, SACD, etc.)
de détecter et de collecter les adresses IP 3 liées aux téléchargements illégaux de conte-
nus sous droit d’auteur. Les sociétés mandataires décident ensuite d’envoyer, ou non, à
l’Hadopi les adresses collectées. L’autorité publique indépendante ne sanctionne pas direc-
tement le citoyen à qui appartient l’adresse IP. Elle lui notifie d’abord par email que son
adresse IP a été utilisée pour télécharger illégalement un contenu. Si un second manque-
ment à la loi est observé, une lettre recommandée est substituée à l’email. Si un troisième
manquement est observé, l’Hadopi peut entamer la procédure juridique qui conduira, ou
non, à couper l’accès Internet du citoyen pendant une durée déterminée. La spécificité de
   3. Internet Protocol. L’adresse IP correspond à un numéro d’identification attribué à chaque appareil
se connectant à Internet, par exemple : 178.45.206.189. Les adresses IP utilisées par le grand public sont
uniques et correspondent à un appareil donné [WIKIPEDIA(10 janvier 2011)].


                                                   23
la réponse graduée est, qu’en fin de compte, elle ne sanctionnera pas le téléchargement
illégal d’un contenu. Réunir de telles preuves se révèle trop difficile et trop couteux à
mettre en œuvre. La sanction se déplace et l’Hadopi reprochera au citoyen d’avoir manqué
à son obligation de sécurisation de sa connexion Internet.
Ainsi, l’objectif premier n’est pas de sanctionner les personnes qui téléchargent illégale-
ment des contenus. Sans quoi, les deux premiers échelons ne seraient pas de mise. L’Hadopi
est également porteuse d’une mission d’information et d’éducation de l’internaute. Dès
lors, la surveillance d’un nombre réduit de contenus, ceux étant les plus populaires et les
plus susceptibles d’être téléchargés, apparaît davantage logique. Elle résulte d’un compro-
mis entre la volonté de « sensibiliser » un maximum de personnes et de limiter les coûts
liés à la collecte et aux traitements des données recueillies.
Pourtant, le système de la réponse graduée s’inscrit bien dans une logique qui vise à aug-
menter le risque lié au téléchargement illégal, dans une logique répressive. Pour certains,
l’objectif de l’Hadopi n’est pas tant la protection des œuvres que d’effectuer un premier pas
vers la régulation d’Internet [BAYART(6 octobre 2010)]. Une vision qui ne manque pas de
perspicacité à l’heure où le président de la République française, Nicolas Sarkozy, entend
porter cette problématique lors de sa présidence du G8 [WOITIER(11 janvier 2011)]. À
l’heure où le CSA entend étendre ses fonctions de régulations aux vidéos diffusées sur Inter-
net [GABLA(9 décembre 2010)]. À l’heure où le ministre de l’industrie Eric Besson entend
rapprocher le CSA, s’occupant de la régulation des contenus, et l’Autorité de Régulation des
Communications Électroniques et des Postes (ARCEP), qui s’occupent de la régulation des
réseaux [LEMONDE.FR(10 janvier 2011)]. À l’heure où la loi d’Orientation de Program-
mation pour la Performance de la Sécurité Intérieure (LOPPSI) a été votée et autorise le
blocage des sites à caractère manifestement pédopornographique. Filtrage qui sera effec-
tué par le pouvoir exécutif sans passer par un avis de la justice [OWNI(décembre 2010b)].
Sans compter les bénéfices économiques que les FAI peuvent attendre d’une suppression
de l’Internet illimité. La neutralité d’Internet est loin d’être un fait acquis.
Pourtant, le fait que la neutralité d’Internet soit remise en question ne concerne pas direc-
tement notre sujet. En revanche, la volonté de filtrer Internet pour empêcher les individus
de commettre des actes illégaux ou pour les protéger révèle deux points :
    – Une méconnaissance des technologies ;
    – Une approche des problématiques économiques et sociales centrée sur l’individu. Le
       système dans lequel celui-ci évolue n’est pas pris en considération.


2.3     Le « piratage », un concept façonné par les entre-
        prises et des technologies développées par les indi-
        vidus.
2.3.1    « C’est la faute des autres » ou comment éviter de redéfinir
         les modalités d’un marché
      « Je vous dis que le magnétoscope est au producteur américain de films et
      au public américain ce que l’étrangleur de Boston est à la femme seule à la
      maison. » [VALENTI(12 avril 1982)]
Jack Valenti a été le président de la Motion Picture Association of America (MPAA) de
1966 à 2004. Cette association est chargée de la défense des intérêts de ses adhérents et
plus particulièrement ceux des majors hollywoodiennes. Vingt ans après cette citation,

                                             24
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Filtres, prescription et recommandation dans le marché de la VOD

  • 1. Université Sorbonne Nouvelle-Paris 3 Mémoire final De MASTER 2 Mention : Études cinématographiques et audiovisuelles Spécialité : Recherche Le choix et la découverte des contenus dématérialisés Filtres, prescription et recommandation dans le marché de la VOD Auteur : GASULLA Dimitri Mémoire dirigé par KITSOPANIDOU Kira Soutenu à la session de septembre 2011
  • 2. RÉSUMÉ – SUMMARY Titre Français : Le choix et la découverte des contenus dématérialisés. Filtres, pres- cription et recommandation dans le marché de la VOD. Résumé : Ce travail de recherche analyse le développement économique du marché français de la VOD. Internet et les TIC ont profondément modifié les modèles d’affaires des industries créatives. Celles-ci doivent s’adapter aux exigences de l’économie du numé- rique et de l’Internet. Nous avons conclu que la distribution des contenus culturels tient une place stratégique dans cette économie, plus particulièrement la problématique de la connexion entre l’offre et la demande. Nous avons alors analysé les différents systèmes permettant d’internaliser les coûts de re- cherche afin de faciliter le choix des consommateurs. Cette analyse est d’abord menée d’un point de vue théorique, puis d’un point de vue pratique. Nous avons examiné de façon détaillée trois types de systèmes : les stratégies de prescription, les systèmes de recherche et de découverte de contenus, les systèmes de recommandation. Nous concluons que la prescription est peu adaptée au marché de la VOD et que les autres outils permettant de faciliter le choix des consommateurs sont encore dans une phase d’expérimentation. Nous mettons en lumière des pistes de réflexion permettant à un service de VOD de bénéficier des avantages et de comprendre les limites de chaque système. Mots-clé : VOD, coûts de recherche, Internet, recommandation, prescription English Title : Choice and discovery of digital contents. Filters, prescription and recommendation in the VOD market. Summary : This research analyzes the economic development of the French VOD market. Internet and ICT have radically changed the business models of creative indus- tries. They must meet the requirements of the digital economy. We concluded that the distribution of cultural content is a strategic function, particularly the question of connec- tion between supply and demand. We then analyzed the different systems which can internalize the search costs in order to facilitate consumer choice. This analysis is first conducted from a theoretical point of view and then from a practical point of view. We examined in detail three types of systems : prescription strategies, systems which allow research and content discovery, recommenda- tion systems. We conclude that the prescription is not adapted to the VOD market and that others tools developed to facilitate consumer choice are still in an experimentation phase. We highlight reflection tracks which allow to a VOD service to enjoy the benefits and to un- derstand the limitations of each system. Key words : VOD, search costs, Internet, recommendation, prescription
  • 3. Twitter @MrDimitriG E-mail dimitri.gasulla(at)gmail.com Blog http ://mediafragmentation.wordpress.com/ Ce texte a été réalisé avec L TEX 2ε et édité sous TEXshop. A Les graphiques ont été réalisés avec R. Cette œuvre est mise à disposition selon le contrat Attribution-NonCommercial- ShareAlike 3.0 Unported disponible en ligne http ://creativecommons.org/licenses/by- nc-sa/3.0/ ou par courrier postal à Creative Commons, 171 Second Street, Suite 300, San Francisco, California 94105, USA.
  • 4. « Je le répète une fois de plus à l’intention des étu- diants en lettres qui commencent à savoir lire dès l’âge du permis de conduire, on peut très bien vivre sans la moindre espèce de culture. Moi-même, je n’ai pas mon permis de conduire, eh bien ça ne m’a jamais empêché de prendre l’autobus. » Pierre DESPROGES, Vivons heureux en attendant la mort, Paris, Éditions du Seuil, 1998, p. 167.
  • 5. Table des matières Avant-propos 1 Introduction 2 I Les enjeux d’Internet pour le marché de la VOD 4 1 La VOD, un mythe au service d’une idéologie ou le levier d’une évolution culturelle ? 5 1.1 La VOD, une technologie marquée par les espoirs d’Internet . . . . . . . . 5 1.2 La convergence, de l’imaginaire financier à la réalité culturelle et économique 7 1.3 Définition pratique de la VOD . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9 1.3.1 Any Time : la délinéarisation se heurte à la chronologie des médias 10 1.3.2 Any Where* (∗ : sous condition que vous vous situiez dans la bonne zone et au bon endroit) 11 1.3.3 Any Device : l’interopérabilité en question . . . . . . . . . . . . . . 11 1.3.4 Un positionnement commercial flou . . . . . . . . . . . . . . . . . . 14 1.3.5 L’évolution du cadre législatif : les SMAD . . . . . . . . . . . . . . 15 1.4 L’avenir de la VOD en question . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 16 2 La distribution des contenus culturels sur Internet 18 2.1 L’industrie de la musique, un marché test . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 18 2.2 La loi Hadopi, principe et fonctionnement en question . . . . . . . . . . . . 21 2.2.1 Patrick Waelbrœck : « Hadopi est une mauvaise réponse faite par des gens désemparés. » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 21 2.2.2 Eric Walter, secrétaire général de l’Hadopi : « Nous souhaitons des systèmes de contrôle chez l’usager. » . . . . . . . . . . . . . . . . . 22 2.3 Le « piratage », un concept façonné par les entreprises et des technologies développées par les individus. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 24 2.3.1 « C’est la faute des autres » ou comment éviter de redéfinir les modalités d’un marché . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 24 2.3.2 L’évolution technologique des systèmes de partage de fichiers . . . . 26 2.4 L’offre, une stratégie économique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 30 La largeur de l’offre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 30 La hiérarchie de l’offre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 31 La profondeur de l’offre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 32 La production de l’offre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 32 3 L’économie du numérique et de l’Internet 34 3.1 La discrimination par les prix, une stratégie pour bénéficier des effets de réseaux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 34 4
  • 6. 3.1.1 Les effets de réseaux, un formidable levier de développement . . . . 34 3.1.2 Les différentes formes de discrimination par les prix . . . . . . . . . 35 Axe 1. La stratégie de discrimination. . . . . . . . . . . . . . . . . . 36 Axe 2. La stratégie de version. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 36 Axe 3. La stratégie de vente par panier ou bundling. . . . . . . . . . 37 3.2 Comment une offre surabondante redéfinit l’économie des industries créatives 38 3.2.1 La dématérialisation des contenus, vers de nouveaux modes de créa- tion, de réception et de distribution . . . . . . . . . . . . . . . . . . 39 3.2.2 Une offre surabondante composée de biens informationnels . . . . . 41 3.3 The long tail, enjeux et critiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 42 II La découverte et le choix des contenus 46 4 Les systèmes permettant d’internaliser les coûts de recherches 47 4.1 La problématique du choix dans le secteur de la culture et l’intermédiation comme réponse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 47 4.2 La prescription et les dispositifs de jugement . . . . . . . . . . . . . . . . . 49 4.3 Usages et principes de la recommandation . . . . . . . . . . . . . . . . . . 52 4.4 Les différentes formes de recommandation . . . . . . . . . . . . . . . . . . 54 4.4.1 Content based : sagesse des data . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 54 4.4.2 Collaborative filtering : sagesse de la foule . . . . . . . . . . . . . . 55 4.4.3 Social recommendation : sagesse des amis . . . . . . . . . . . . . . . 56 4.4.4 Conclusion : des systèmes perfectibles aux résultats orientés . . . . 57 III Les filtres et les stratégies de prescription à l’épreuve du marché de la VOD 59 5 Les stratégies éditoriales des plateformes de VOD, quelle place pour la prescription ? 60 5.1 Le rôle d’une stratégie éditoriale : la différenciation . . . . . . . . . . . . . 60 5.2 La difficile expression d’une identité de marque à travers les contenus . . . 62 5.2.1 Les nouveautés . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 62 5.2.2 Les selections de films . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 65 5.2.3 Les promotions et contenus exclusifs . . . . . . . . . . . . . . . . . 68 5.3 L’engagement de l’utilisateur via des contenus de marques . . . . . . . . . 70 5.3.1 Les contenus éditoriaux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 72 5.3.2 Les contenus thématiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 73 5.3.3 Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 75 5.4 Le dépassement de la prescription au profil de l’élargissement du choix du consommateur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 76 6 Les systèmes de recherche et de découverte de contenus 78 6.1 Le moteur de recherche, prérequis d’une expérience utilisateur unifiée . . . 79 6.2 Les outils de recherche de contenus limités par les données sources . . . . . 81 6.3 Les outils de découverte de contenus, entre normalisation, personnalisation et curation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 84 6.3.1 Les tops . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 85 6.3.2 Les sélections d’agents prescripteurs . . . . . . . . . . . . . . . . . . 86 5
  • 7. 6.3.3 Les outils de curation ou d’éditorialisation par les utilisateurs . . . 86 6.3.4 Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 88 6.4 Les systèmes de recherche et de découverte de contenus en question . . . . 88 7 Les rôles des systèmes de recommandation dans le marché de la VOD 89 AlloCiné . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 89 Amazon . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 90 Cinemur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 90 GetGlue . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 91 Jinni . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 91 Netflix . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 92 7.1 Les systèmes de recommandation basés sur le contenu . . . . . . . . . . . . 93 7.2 Les systèmes de recommandation basés sur le filtrage collaboratif . . . . . 94 7.3 Les systèmes de recommandation sociale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 95 7.4 Les systèmes de recommandation hybrides . . . . . . . . . . . . . . . . . . 96 7.5 Conclusion : la recommandation, une technologie à contextualiser . . . . . 97 Conclusion générale 99 IV Annexes 102 Bibliographie thématique 103 Économie du cinéma et de l’audiovisuel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 103 Économie de l’attention et coûts de recherche . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 105 Économie générale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 105 Économie des industries créatives . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 106 Économie du numérique et de l’Internet . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 108 Théorie de l’engagement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 111 Internet et les technologies de l’information . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 111 Marketing et communication . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 112 Économie de la musique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 113 Économie des contenus pour adultes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 114 Principes techniques et marketing de la recommandation . . . . . . . . . . . . . 115 Sociologie et psychologie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 116 Transmedia . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 117 Économie du vin . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 117 Économie de la VOD . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 118 Citations originales 120 Glossaire 123 Liste des figures 128 Bibliographie 148
  • 8. Avant-propos Pour clore sa passionnante enquête sur la création et la diffusion de la culture mains- tream à travers le monde, Frédéric Martel conclut par une mise en garde. Après avoir rendu compte de la vivacité et de l’optimisme des puissances émergentes dans les industries créa- tives, il précise que nous assistons à « une transformation radicale de la géopolitique des échanges de contenus culturels et médiatiques. (. . .) Dans cette redistribution des cartes, il y a des gagnants (les États-Unis et les pays émergents, notamment les BRIC [Brésil, Russie, Inde, Chine]), et des perdants (les pays dominés). Il y a aussi des pays qui voient diminuer leurs parts de marché. Faute d’avoir bâti des industries créatives puissantes, ils sont en pertes de vitesse ; faute de ne pas avoir embrassé la mondialisation et ses marchés potentiels, ils sont à la traîne ; faute d’avoir considéré Internet comme une source d’oppor- tunités et pour y avoir vu seulement des menaces, ils risquent bientôt de ne plus arriver à peser dans le marché des contenus. C’est le cas de l’Europe principalement, où des pays comme le Portugal, l’Italie, l’Espagne, mais aussi, dans une moindre mesure, l’Allemagne et la France, s’affaiblissent sur la carte des échanges culturels. » [MARTEL(2010), p. 425] Le déclin de la compétitivité européenne en matière de production et de diffusion des contenus grand public est le fait de nombreux facteurs, tant économiques que culturels. Néanmoins, il en est un qui cristallise les positions de chacun : Internet. Les uns y voient une chance, les autres une menace. Les pays émergents ont tout à gagner en tirant parti de ce nouveau moyen de distribution, tandis que l’Europe et les États-Unis ont trop à perdre pour s’y engager pleinement. L’avénement d’un nouveau modèle économique entraînerait une redistribution des cartes où l’occident ne pourrait pas maintenir sa domination éco- nomique et culturelle. Pour autant, il ne s’agit pas ici d’appréhender Internet comme une fatalité, ni que les industries créatives européennes sont condamnées à dépérir plus ou moins lentement sur l’autel de la mondialisation et du progrès technologique. Internet peut devenir un formidable relai de croissance pour ces industries, pour peu que ces der- nières s’en donnent les moyens. Un tel virage technologique arrivera à maturité tôt (par nécessité économique) ou tard (par remplacement de la génération des décideurs), mais dans les deux cas il est déjà en marche. C’est donc à nous, génération en attente de res- ponsabilité ou décideurs en place, de développer et de promouvoir des moyens innovants favorisant la diffusion des contenus. En ne traitant volontairement que d’une infime partie du problème, le travail de recherche qui suit n’a pas la prétention de dévoiler la solution qui inversera la tendance. En étudiant le développement d’un nouveau mode de distribution des films de cinéma en France, la vidéo à la demande (VOD), ce travail rend compte des problèmes auxquels est confron- tée une industrie qui dématérialise ses produits et des réponses qu’elle met en place. Se focaliser ainsi sur une filière permet de mettre en lumière des solutions originales à des problématiques partagées par le monde des médias et de l’entertainment. C’est en cela que nous espérons apporter un regard pertinent qui puisse contribuer au renouvellement des modèles d’affaires des industries créatives européennes. 1
  • 9. Introduction Lorsqu’un consommateur se rend sur l’un des principaux services de VOD français, il y trouvera un catalogue de plusieurs milliers de contenus. Il a donc potentiellement beaucoup de chance d’en trouver au moins un qui le satisfera. Cette vaste quantité de contenus est alors un bénéfice par rapport à un catalogue plus réduit. Sans compter que, plus le nombre de contenus est important, plus il est libre dans son choix. Mais comment le consommateur va-t-il effectuer son choix ? Déjà qu’il peut être difficile de choisir entre une dizaine de DVD dans un rayon, alors entre plusieurs milliers de contenus. . . À moins que le consommateur soit expert du cinéma et/ou des séries, la simple augmentation de nombre de contenus aura pour conséquence de réduire ses capacités à réaliser un choix juste, c’est-à-dire après avoir pris en compte toutes les possibilités qui s’offrent à lui. Cette situation n’est pas propre au secteur de la VOD. Si vous n’en êtes pas convaincu, essayer de choisir un nouveau forfait pour votre téléphone portable ou un service de placement financier. Nous sommes de plus en plus souvent confrontés à des situations de- mandant le traitement d’une quantité trop importante d’informations. Nombreuses sont les sociétés qui ont été créées avec pour objectif de mettre en ordre et de hiérarchiser ces informations. Ces sociétés s’appellent Google, Kelkoo ou Cdiscount. Elles partagent un point commun, celui de se baser sur des critères objectifs pour classer les informations. Ainsi, les résultats obtenus satisferont le plus grand nombre de personnes, que cela soit en recherchant le site Web le plus pertinent, le meilleur prix ou le produit le plus adapté à un besoin précis. Seulement ces types de services sont inefficaces lorsqu’il s’agit de traiter de produits ex- périentiels, c’est-à-dire des produits dont on ne connaît pas la valeur a priori. Il n’existe pas de critères objectifs permettant de classer des vins, des chansons ou des films. Or la dématérialisation des contenus culturels a eu pour conséquence une forte augmentation du nombre de produits disponibles. Plusieurs systèmes ont donc été développés pour hié- rarchiser et mettre en forme ces contenus selon différents critères. L’objectif de ce travail est de documenter et de comprendre le fonctionnement de ces sys- tème afin d’évaluer leurs conséquences. En orientant le choix des consommateurs, ces sys- tèmes relèvent d’intérêts économiques non-négligeables. Mais surtout, ils offrent aux uti- lisateurs la possibilité d’améliorer leurs processus de consommation de produits culturels. L’expérience de l’utilisateur peut en être profondément modifiée et les services peuvent se structurer autour de paradigmes jusque là peu investis (influence des choix des « amis », communautés de fan, etc.). Lorsque les contenus sont accessibles via de multiples canaux, ce sont les services permettant d’y avoir accès qui retiendront l’attention des consom- mateurs. Vous pouvez achetez un titre du catalogue d’Universal Music via iTunes, Deezer ou Spotify. Lequel de ces services allez-vous privilégier, et pour quelles raisons ? En tant qu’outils influençant l’expérience globale qu’un utilisateur aura d’un service, les systèmes qui permettent de découvrir et de choisir des contenus prennent toute leur importance. Notre étude portera plus particulièrement sur les systèmes développés pour le marché de 2
  • 10. la VOD. Nous nous attacherons à répondre à une double question : comment ces systèmes sont mis en place dans les services de VOD et quels peuvent être leurs impacts sur l’ex- périence des utilisateurs. Pour répondre à cette question, nous commencerons par analyser l’environnement dans lequel se développe le marché de la VOD : Internet. Nous verrons que le développement de la VOD a beaucoup emprunté à l’imaginaire d’Internet. Mais que gratuité et ubiquité sont actuellement des concepts difficilement applicables au marché de l’audiovisuel et du cinéma. Les acteurs de ce milieu n’ont pas montré d’enthousiasme particulier à se lancer dans la distribution numérique de leurs contenus ou à la numérisation de leurs activités. Et pour cause, après avoir observé l’industrie de la musique perdre plus de la moitié de son chiffre d’affaires en quelques années, il y a de quoi rester dubitatif sur les réelles oppor- tunités que représentent Internet et les technologies qui l’accompagnent. Pourtant, nous verrons que les récentes évolutions de l’industrie de la musique n’ont pas uniquement bénéficié aux « pirates », mais témoignent davantage d’une redistribution de la valeur s’effectuant au détriment des majors du disque. Internet crée de nouveaux enjeux pour la distribution des contenus, c’est tout aussi certain que cette technologie permet à de nouveaux outils de voir le jour. L’économie du numérique et de l’Internet offrent de nom- breux outils et opportunités pour développer de nouveaux modèles d’affaires ou adapter les anciens. Ceux pouvant se révéler utiles pour le marché de la VOD seront décrits dans ce travail de recherche. Dans un second temps, nous analyserons la problématique de la découverte et du choix des contenus. En effet, le choix d’un produit culturel s’inscrit dans des processus de consommation particulier. Il convient de bien le comprendre afin de décrire et d’évaluer les systèmes qui ont été développés pour les accompagner. En poursuivant dans cette di- rection, nous serons amenés à nous intéresser aux fonctionnements des outils permettant de découvrir et de choisir des contenus, que cela soit de simples dispositifs de jugement ou de complexes systèmes de recommandation. Enfin, étant donné que ce champ d’activité est en plein développement, nous nous adonnerons à un exercice de prospective et à une critique de ces évolutions. Après avoir abordé de manière théorique les outils de choix et de découverte de contenus, la partie suivante les analysera d’un point de vue pratique. Tout d’abord, nous nous foca- liserons sur les différents filtres et stratégies de prescription qu’il est possible de retrouver sur des services de VOD. Trois plateformes ont été retenues pour cette partie. Chacune d’entre elles représentant un positionnement particulier : TF1 Vision pour l’exemple d’un service généraliste et grand public, Universciné pour représenter le cas d’un service spécia- lisé dans un marché niche (les films indépendants) et FilmoTV pour l’exemple d’un service basé sur modèle économique émergeant, la SVOD (ou VOD par abonnement). Cette plu- ralité d’acteurs nous permettra d’appréhender les trois principaux positionnements que les services de VOD sont capables d’adopter. Nous commencerons par analyser les stratégies éditoriales des plateformes de VOD. Nous essayerons de définir dans quelle mesure ces dernières se démarquent des stratégies éditoriales traditionnelles et si elles peuvent être considérées comme des stratégies de prescription. Puis, nous passerons à l’étude des sys- tèmes de recherche et de découverte de contenus. Nous décrirons les différentes évolutions qui s’offrent à ce champ d’activité en plein développement. Enfin, nous nous focaliserons sur les systèmes de recommandation. Nous détaillerons les différentes façons de les inté- grer au modèle économique d’un service de VOD. Que ces systèmes de recommandation soient basés sur le contenu, le filtrage collaboratif ou bien sur des données sociales, chaque solution influence le développement de l’entreprise qui la met en place. 3
  • 11. Première partie Les enjeux d’Internet pour le marché de la VOD 4
  • 12. Chapitre 1 La VOD, un mythe au service d’une idéologie ou le levier d’une évolution culturelle ? 1.1 La VOD, une technologie marquée par les espoirs d’Internet « La société de l’information d’aujourd’hui demande de l’habilité, de l’agilité et de la rapidité dans la manipulation des informations. Là où autrefois notre puissance économique était uniquement déterminée par la profondeur de nos ports ou l’état de nos routes, aujourd’hui elle est déterminée aussi bien par notre capacité à transporter de grandes quantités d’informations rapidement et avec précision, que par notre capacité à utiliser et à comprendre ces informa- tions. Tout comme le réseau autoroutier a marqué un tournant historique dans notre commerce, aujourd’hui les "autoroutes de l’information" – en mesure de transporter les idées, les données et les images à travers le pays et autour du monde – sont essentielles à la puissance et à la compétitivité américaine. » [CLINTON et GORE(22 février 1993), p. 28] Près de vingt ans plus tard, ce rapport des anciens président et vice-président des États-Unis en faveur des technologies de l’information et de la communication (TIC) conserve sa pertinence. En se plaçant à l’aube d’une nouvelle évolution du commerce dont le paradigme ne prendrait plus seulement en compte les infrastructures physiques mais aussi les capacités liées à l’informatique, les auteurs décrivent une société qui s’apprête à basculer dans un monde dématérialisé 1 . Pourtant, à cette époque, les réseaux permettant l’échange de données et les outils qui rendent possible leur manipulation demeuraient prin- cipalement utilisés par les militaires et les universitaires. La société décrite par Clinton et Gore n’était alors qu’un ambitieux projet créé par certains milieux visionnaires, c’était une utopie et c’est ce qu’a brillamment démontré Patrice Flichy. D’après lui, toute innovation, toute technologie, est, lors de sa genèse, façonnée par des utopies permettant « d’explorer la gamme des possibles » [FLICHY(2001), p. 15]. Lors- 1. Ironie de l’économie, l’actuel président des État-Unis Barack Obama a déclaré que « nos in- frastructures sont terriblement inefficaces et obsolètes. (. . .) Et qui plus est, plus longue sera l’éro- sion de nos infrastructures, plus profonde sera l’érosion de notre avantage concurrentiel (. . .) Ce dont nous avons besoin c’est d’un système intelligent d’infrastructures répondant aux besoins du XXIe siècle. »[OBAMA(11 octobre 2010)] 5
  • 13. qu’un projet parvient à devenir une véritable alternative aux dispositifs techniques exis- tant, le modèle qu’il porte n’est plus synonyme d’idéal vers lequel tendre mais « devient le schéma formalisé d’une technique à réaliser » [Ibid.]. Flichy parle alors d’utopie-projet lorsque le projet accède à un stade expérimental et d’utopie-fantasmagorie quand il refuse d’affronter la réalité technique. Si la rhétorique de Clinton et Gore conserve sa perspicacité, c’est d’une part qu’elle utilise des arguments qui sont toujours liés au discours du développement d’une écono- mie numérique 2 , et, d’autre part, que ces arguments sont aujourd’hui largement repris par les promoteurs de nouveaux services utilisant Internet. En effet, l’utopie-projet des « autoroutes de l’information » a été en partie reformulée dans celle, plus actuelle, de l’économie numérique. Cela est d’autant plus visible lorsque les anciens locataires de la Maison Blanche donnent des exemples de ce qu’il sera possible de réaliser grâce à ces nouvelles technologies : « Le docteur souhaitant un avis sur le cas d’un patient pourrait transmettre le dossier médical à un collègue éloigné de plusieurs milliers de kilomètres. (. . .) L’écolier d’une petite ville pourrait, grâce à un PC, consulter, au sein de la Bibliothèque du Congrès, des milliers de livres, de disques, de vidéo ou de photographies qui auraient préalablement été numérisés. Les téléspectateurs pourraient choisir, à la maison, ce qu’ils veulent parmi des milliers de pro- grammes de télévision. » [CLINTON et GORE(22 février 1993), p. 28] Flichy, qui commente également ce passage, nous dit que nous sommes bien face à une utopie-projet qui présente « des alternatives par rapport à la circulation physique et à un mode unidirectionnel de transmission de l’information » [FLICHY(2001), p. 28]. Il nous rappelle par ailleurs que le commerce électronique et la télévision à la demande consti- tuaient alors les deux killers applications 3 pour lesquelles les industriels du câble et du téléphone (les deux domaines qui se préparaient à construire les « autoroutes de l’infor- mation ») étaient prêt à investir [Ibid., p. 31]. La volonté de donner accès à une consommation individualisée des produits culturels via un terminal informatique, principe dont la VOD 4 est un aboutissement, se révèle donc être présente dès le début des années 1990. Il nous faut alors rester prudents face aux discours des différents acteurs proclamant que la VOD « c’est l’avenir ». C’était déjà l’avenir il y a une quinzaine d’années et pourtant le marché demeure embryonnaire. La récurrence de ce genre d’affirmation s’explique par le fait que la phase d’expérimentation est également le moment où s’élaborent des discours œuvrant à la promotion du projet. Ils peuvent être en charge de masquer les défauts d’une technologie ou de la légitimer afin que 2. « L’apparition de nouvelles technologies à très haut débit (. . .) est susceptible de constituer la base d’une nouvelle politique industrielle française et européenne. » [BESSON(2008), p. 3] 3. Une killer application désigne un produit ou service fonctionnant uniquement avec une technologie précise et qui justifie à lui seul l’achat de cette technologie. Les killers applications sont à rapprocher des innovations de disruption car elles sont capables de créer un nouveau marché ou de rendre obsolètes les produits et services dont elles intègrent les fonctionnalités. 4. Nous utilisons l’acronyme anglais « VOD » plutôt que son homologue français « VàD » par souci de cohérence avec les usages des secteurs audiovisuels et cinématographiques. L’utilisation du terme « VàD » semble être l’apanage des institutions publiques alors que le service est exclusivement commercialisé sous l’étiquette « VOD ». Ce désaveu de la langue française au sein de ce texte répond également au souhait de faciliter sa circulation en lui accordant un titre évocateur. 6
  • 14. les technologies alternatives soient abandonnées. Flichy parle respectivement d’idéologie- masque et d’idéologie-mobilisation [Ibid., p. 16] : – Prétendre que l’électricité d’origine nucléaire est une technologie économique est idéologie-masque. Il n’est pas tenu compte des externalités et du projet politique dans lequel elle s’insère [PARISTECH REVIEW(4 octobre 2010)] ; – Prétendre que l’électricité d’origine nucléaire est une technologie écologique est une idéologie-mobilisatrice. Le nucléaire est présenté sous un nouvel angle plus apte à susciter le consensus [CONNOR(23 février 2009)]. De façon à pouvoir se développer, la VOD, au même titre que la télévision à la demande ou la publicité interactive, doit donner lieu à des objets-frontière, « c’est-à-dire élaborer des compromis qui permettent d’associer de multiples partenaires de façon suffisamment lâche pour que chacun y trouve son compte, mais en même temps suffisamment rigide pour que le dispositif puisse fonctionner » [Ibid., p. 15]. C’est lors de cette phase que sont constituées les stratégies commerciales de chaque innovation. Le secteur de la VOD demeure aujourd’hui à ce stade, comme en témoigne le nombre croissant de plateformes qui tentent leur chance sur un marché qui finira inévitablement par se concentrer autour d’un oligopole. Pour la France, on dénombrait, en 2006, quinze services de VOD. En 2010, il y en a plus de quarante. Étudier le développement de la VOD c’est donc avant tout étudier la société qui permet à un tel projet de prendre forme. Le principal argument qui est utilisé en faveur de la VOD est l’évolution des technologies qui modifierait à plus ou moins long terme les comportements de l’individu en matière de consommation de produit audiovisuel. Cette idée rejoint un discours plus global, celui de la convergence. 1.2 La convergence, de l’imaginaire financier à la réalité culturelle et économique Il est difficile de définir si la convergence est d’abord une idéologie auto-réalisatrice ou la tendance de fond issue de l’évolution des technologies depuis les années 1970. Surement les deux à la fois. Quoiqu’il en soit, la convergence désigne communément un phénomène technique lié à la numérisation. Or la notion est plus complexe et nous pouvons distin- guer deux conceptions de la convergence. L’une représente « le processus technique qui rassemble les multiples fonctions des médias dans un unique terminal » [JENKINS(2008), p. 3]. L’autre une modification des pratiques culturelles [Ibid.]. Cette dernière a récemment été prise en compte par les industries créatives, donnant lieu à une production croissante de contenu s’insérant dans ce qu’il est dorénavant tenu d’appeler une logique transmédia [DENA(2009)]. Néanmoins c’est la convergence comme processus technique qui a longtemps prévalu. Elle se justifie historiquement par l’évolution des technologies au cours du siècle. En effet, grâce à une dynamique à l’œuvre depuis les années 1950–1960 mêlant la miniaturisation croissante des composants aux avancées du codage, il a été, et est toujours, simultané- ment possible de réduire les coûts de production tout en augmentant les performances des circuits [CHANTEPIE et LE DIBERDER(2005), pp. 10–12]. Cet état de fait rend progressivement possible l’informatisation de nombreuses activités, conduisant à leur rap- prochement, à leur convergence. Dans un premier temps ce sont les technologies de l’infor- matique et des télécommunications qui convergent, puis s’ajoutent celles de la télévision et plus récemment l’ensemble des industries créatives [BOUQUILLON(2008), p. 152]. En suivant cette logique, il a été prédit que les consommateurs du futur accéderont à tous 7
  • 15. médias et services via un unique terminal ou via un unique portail électronique. Rétrospectivement, il apparaît logique de représenter la convergence comme un processus naturel. Or, Philippe Bouquillon montre que cette idée est corrélée à celle de concurrence, l’une entraînant l’autre et réciproquement. Il constate également que « la convergence et la concurrence, du moins jusqu’à la première moitié des années 2000, existent d’abord comme des discours et comme des idéologies qui accélèrent et légitiment des mutations du capitalisme, en particulier des extensions de ses domaines, essentiellement alors dans l’au- diovisuel et les télécommunications » [Ibid., pp. 153–154]. Nous pouvons ajouter qu’une telle représentation de la convergence comporte un fort degré de déterminisme technique en prétendant que le développement des TIC entraînera la modification des comporte- ments des consommateurs dans un unique sens, celui prédit. Prédictions bien aventureuses car « la mesure de la détermination éventuelle des effets d’une nouvelle technique est ir- réalisable avant que celle-ci ne se soit fondue dans la société ; autrement dit, avant que la société d’accueil ne l’ait tordue, détournée, démantelée, réordonnée à force d’appropria- tions. » [GUICHARD(2009), p. 7] L’idéologie de la convergence se révèle être à la fois idéologie-mobilisatrice (en promettant aux acteurs de nouvelles sources de revenus et des économies d’échelle) et idéologie-masque (en ne se préoccupant guère des usages réels des consommateurs). Jenkins nomme la conception précédente de la convergence l’« erreur du boitier noir ». Ce boitier noir étant l’unique terminal que chaque foyer possédera dans son salon et qui lui permettra d’accéder à tous ses désirs. Il continue par la remarque suivante : « je ne sais pas pour vous, mais dans mon salon, je vois de plus en plus de boitiers noirs. Il y a mon magnétoscope, mon décodeur pour le câble, mon lecteur DVD, mon enregistreur numérique, ma chaîne hifi et mes deux consoles de jeux » [JENKINS(2008), p. 15]. Selon lui, la convergence doit davantage s’entendre comme la complexification des liens entre les nouveaux et les anciens médias, plutôt que la substitution de l’un par l’autre. Il rejoint l’idée de Flichy qui, après avoir constaté l’individualisation des systèmes de communi- cation, déduisait le prochain « déplacement des frontières » entre les médias, plutôt que leur unification [FLICHY(1997), p. 238]. Jenkins définit la notion de convergence comme « un changement de paradigme – le passage d’un monde où les contenus sont attachés à des supports spécifiques vers un monde où les contenus circulent à travers de multiples canaux, vers l’interdépendance accrue des systèmes de communication, vers de multiples façons d’accéder à du contenu médiatique, et vers des relations toujours plus complexes entre le top-down des médias corporatifs et le bottom-up de la culture participative. » [JENKINS(2008), p. 254] Ce ne sont plus les technologies qui convergent mais les conte- nus. Dans un univers où le nombre de médias ne cesse d’augmenter et de se spécialiser, il de- vient de plus en plus difficile pour ces mêmes médias de toucher et de retenir un nombre important d’individus. Il devient alors de plus en plus difficile et de plus en plus couteux pour les annonceurs de « toucher » leurs cibles. Ainsi, dans les années 1960, il était pos- sible de toucher 80 % des femmes américaines avec une publicité diffusée en prime time sur trois chaînes de télévision. Aujourd’hui, pour atteindre une audience similaire, une publicité doit être diffusée sur 100 chaînes de télévision [BIANCO(12 juillet 2004)]. La problématique du « contact » est elle aussi remise en cause au profit de l’investissement. En effet, qu’est ce qui indique qu’un téléspectateur ne soit pas parti aux toilettes pendant la coupure publicitaire 5 ? À l’inverse, un spectateur qui s’investit dans un programme, en 5. Il a été observé aux États-Unis une surconsommation d’eau pendant la diffusion des spots publici- 8
  • 16. devient plus ou moins fan, sera davantage susceptible d’être exposé aux messages publi- citaires qui l’accompagnent. Confrontés à ces difficultés, les annonceurs ont diversifié leurs achats d’espaces afin de toucher plus efficacement leurs cibles tout en faisant varier les contextes de réceptions. De leur côté les producteurs et diffuseurs de contenus ont individualisé les relations qu’ils entretiennent avec leurs clients [GASULLA(30 janvier 2011)]. Grâce à la déclinaison des contenus de manière rationnelle sur plusieurs supports, l’individu se voit proposer un environnement médiatique dont il est capable de maîtriser le fonctionnement et lui per- mettant d’optimiser sa consommation. Ainsi, chacun peut avoir une relation spécifique à Twilight. Une personne préférant le cinéma peut aller voir le film, une autre peut se contenter de lire le livre, un fan fera les deux et ira en plus participer sur Internet à des forums dédiés à Twilight, etc. Cette nouvelle forme de consommation des contenus est dénommée transmedia. Henry Jenkins en donne la définition suivante : « Une histoire transmedia se déroule à travers de multiple plateformes mé- diatiques où chaque nouveau texte apporte une contribution distinctive et pré- cieuse à l’ensemble de l’histoire. Dans la forme idéale du transmedia story- telling, chaque support fait ce qu’il fait de mieux, de sorte qu’une histoire pourrait être introduite dans un film et élargie par la télévision, des romans ou des bandes dessinées ; son monde pourrait être exploré à travers un jeu ou vécu comme une expérience dans un parc d’attraction. » [JENKINS(2008), pp. 97–98] La récente évolution d’ESPN (un réseau de chaînes de télévision américaines spécialisé dans le sport, propriété de Walt Disney Company) est significative de cette nouvelle lo- gique. Ainsi, John Skipper, responsable des "contenus non-télévision", a déclaré : « Nous ne sommes pas une société de télévision (. . .) Nous sommes un média spécialisé dans le sport. Nous allons entouré les consommateurs avec différents médias. Nous n’allons pas les laisser nous éteindre et ensuite s’éloigner de notre marque. » [ROSE(septembre 2005)]. La première acceptation de la convergence s’insère clairement dans une logique éco- nomique. La seconde, bien que répondant aux besoins des consommateurs en se ba- sant sur des pratiques populaires, participe également au renforcement des intérêts des grands groupes de communication. À l’optimisation de l’investissement des consomma- teurs s’ajoute la possibilité de vendre des contenus de différentes façons tout en s’appuyant sur des synergies. Ces deux drivers, satisfaction du client et rendement des entreprises, ne sont pas antinomiques. Tous deux s’influencent mutuellement et modifient peu à peu les relations qu’entretiennent médias et consommateurs. C’est en tenant compte de ces deux drivers que les acteurs de la VOD doivent compo- ser des stratégies économiquement viables et suffisamment attractives. Afin d’entrevoir les changements que la VOD est susceptible d’apporter dans le secteur culturel, il est nécessaire de la définir techniquement et commercialement. 1.3 Définition pratique de la VOD Comme nous l’a montré l’histoire des médias, la promotion d’une nouvelle technologie est pensée en fonction des systèmes que le public connaît déjà. Edison a commercialisé le taires insérés dans les films. Ce qui indiquerait que les téléspectateurs ne sont pas devant leur télévision pendant ces diffusions [KESSOUS et al.(2010), p. 14]. 9
  • 17. kinétoscope en s’inspirant du succès du phonographe [FLICHY(1997), p. 110]. La télévi- sion a été présentée comme une évolution de la radio (en lui ajoutant l’image) et du cinéma (en rendant possible la diffusion de programme « en direct ») [WASSER(2001), p. 56]. La VOD ne déroge pas à cette règle. Son principe de fonctionnement s’inspire positivement de l’imaginaire entourant Internet et négativement des médias traditionnels. Plus encore, elle possède un lien de parenté direct avec des systèmes tels que le « Théâtrophone » ou la « Theater Television » [KITSOPANIDOU et PISANO(26–27 novembre 2010)]. Mode de distribution alternatif à celui des mass media et suppression des contraintes physiques sont les mots d’ordre. Le terme VOD définit ainsi l’adressage d’un contenu audiovisuel de manière individualisée, délinéarisée et soustraite à toutes contraintes de localisation ou de terminal de réception. Un individu peut alors regarder un contenu où il veut (sans contrainte géographique), au moment où il le désire (sans contrainte temporelle) et de la façon qui lui convient le plus (sans contrainte de matériel). C’est cette logique que célèbre la formule « Any Time, Any Where, Any Device » 6 . Seulement l’expression est davantage programmatique que réaliste. 1.3.1 Any Time : la délinéarisation se heurte à la chronologie des médias La délinéarisation induit que le consommateur n’est plus « prisonnier » de la grille des programmes et de l’ouverture des magasins. Il peut regarder le journal de 20 heures à 21 heures ou bien louer facilement un film à 4 heures du matin sans quitter son canapé. Néan- moins il reste toujours contraint par la chronologie des médias, un maillon clé de l’économie de l’audiovisuel (voir Figure 1.1). Celle-ci permet de capter un maximum de disposition à payer en opérant un versionnage temporel des contenus [BOMSEL(4 octobre 2007), p. 11] (cf. 3.1.2). Les films ou programmes de télévision ont des caractéristiques similaires aux biens infor- mationnels. Leur production demande un investissement plus ou moins important et une fois terminés leur reproduction s’effectue à des coûts marginaux quasi nuls. Qu’un film fasse quatre millions ou dix mille entrées n’aura pas d’incidence sur les frais du produc- teur, ceux-ci étant déjà engagés. Cela aura en revanche des conséquences sur ses recettes. Il convient donc de maximiser l’exploitation d’un contenu, de faire en sorte que le plus grand nombre d’individus le consomme. La définition du prix se trouve modifiée, il ne reflète plus les coûts de production ni la rareté du bien, mais sa valeur [VARIAN(janvier 1997)]. Dans un multiplexe, qu’importe si vous allez voir un film d’auteur au budget de deux millions d’euros ou un blockbuster américain à plusieurs centaines de millions de Dollars, le prix du ticket est le même. En revanche, l’individu qui regardera ces films à la télévision, lui, ne payera rien. Le versionnage, la dégradation de la qualité, est le moyen d’opérer une discrimination de manière à ce que le consommateur choisisse par lui-même la version du bien qui lui convient le mieux. Les différentes versions du bien correspondent à autant de valeurs qui reflètent une gamme de consentement-à-payer. Dans le cas de la chronologie des médias, le versionnage agit sur la dimension temporelle du bien. Un fan de Twilight n’attendra pas la diffusion du dernier opus sur TF1, il ira d’abord le voir au cinéma et achètera le DVD (Digital Versatile Disc). Une personne faiblement impliquée se contentera de louer le DVD ou d’attendre la diffusion sur Canal + quatre mois après la sortie du film. Une autre, 6. Cette expression à été traduite en français par : « Quand je veux, où je veux, sur le support que je veux ». Il est parfois ajouté un ultime « si je veux ». 10
  • 18. ne s’y intéressant pas, le découvrira quelques années plus tard sur une chaîne gratuite de la TNT (Télévision Numérique Terrestre). Dans cet exemple, le fan, en consommant les versions du contenu correspondant aux premières fenêtres d’exploitation, dispose d’un consentement-à-payer plus important que la personne ne s’intéressant pas au film. Il dé- pense alors plus d’argent pour satisfaire ses désirs. En France, la VOD ne peut donc pas se soustraire à toutes les contraintes temporelles. Elle demeure dans le cadre mis en place par la chronologie des médias. La supprimer serait, dans la situation actuelle, s’exposer à de potentielles pertes de recettes. Compte tenu de la multiplication des moyens de valorisation des contenus, sa ré-évaluation n’en demeure pas moins nécessaire [BOMSEL(mai 2008), pp. 23–24]. 1.3.2 Any Where* (∗ : sous condition que vous vous situiez dans la bonne zone et au bon endroit) La suppression des contraintes géographiques peut se comprendre de deux façons. La première renvoie à la dimension décentralisée et internationale d’Internet. Quelque soit l’accès à Internet que vous possédez vous pouvez accéder à toutes les plateformes de téléchargement. Cela ne signifie pourtant pas que vous pourrez consommer les contenus qui y sont proposés. Ainsi, s’il est aisé de se rendre sur le site Web de The CW (une chaîne de télévision américaine, propriété conjointe de CBS et Time Warner), il vous sera impossible de visionner ou d’acheter quoi que ce soit si votre adresse IP (Internet Protocole) ne provient pas des États-Unis 7 (Figure 1.2). La mise sur le marché de la VOD de contenus à audiences internationales n’a pratiquement pas fait évoluer les contrats portant sur les droits de diffusion. Obligeant par là le consommateur à se procurer ses contenus préférés grâce à des moyens plus ou moins légaux. Par exemple, une « Gift Card » permet de court-circuiter ce problème sur l’Apple TV, il devient alors possible d’acheter des contenus sur le « Store US ». La seconde façon d’appréhender la suppression des contraintes géographiques est de les relier aux règles régissant le commerce physique. Dans une grande surface commerciale ou spécialisée (GSC et GSS), le nombre de DVD (Digital Versatile Disc) présents en rayon est le produit d’un compromis entre la place disponible et la rotation des titres. Dans cette logique économique, le rayon « cinéma d’auteur de l’Europe de l’Est » pourra être remplacé par une gamme de produits plus rémunératrice, par exemple des consommables pour imprimantes. Dès lors, pour trouver des DVD de films à faible rendement financier il est nécessaire de se déplacer dans des boutiques spécialisées. La VOD, en supprimant la problématique du stockage, rend disponible à chaque Français un catalogue de plus de 4800 films [CNC(15 avril 2010)]. Seulement, il est fragmenté entre plus de 40 plateformes, ce qui rend parfois problématique la recherche d’un contenu précis. Par ailleurs, une nouvelle problématique apparaît dans ce contexte d’hyperchoix : quel titre choisir et comment ? 1.3.3 Any Device : l’interopérabilité en question La suppression des contraintes liées au terminal de réception sous-tend l’idée qu’un individu peut télécharger un contenu en passant par son ordinateur ou sa console de jeux et le regarder sur sa télévision ou son téléphone portable, etc. Si un expert en in- formatique peut facilement réaliser cette interopérabilité entre différents hardwares et 7. Voir à ce sujet les recommandations de la Commission Européenne pour la constitution d’un « mar- ché unique numérique dynamique » [COMMISSION EUROPÉENNE(26 août 2010), pp. 8–16] et plus ré- cemment sa volonté de permettre aux citoyens d’accéder à l’ensemble des services de télévisions payantes disponibles dans les 27 pays de l’Union [PFANNER(3 février 2011)]. 11
  • 19. Figure 1.1 – Schéma récapitulatif de la chronologie des médias. Fenêtres d’exploitation pour un film préfinancé par une chaîne de télévision à péage de première fenêtre. D’après [ZELNIK et al.(janvier 2010), p. 47]. 12
  • 20. Figure 1.2 – Capture d’écran du player de The CW. Le contenu est l’épisode 9 de la saison 4 de Gossip Girl. systèmes d’exploitations (OS : Operating System), cela est impossible pour un individu normal. À l’inverse du DVD, la VOD ne bénéficie pas de normes internationales régu- lant ses formats de distribution et d’exploitation. Vous pouvez regarder une vidéo en- codée en Flash via Google TV mais la même opération est impossible avec un produit Apple ou sur un téléphone fonctionnant sous Windows Mobile [GANAPATI(31 mars 2010)] [SORREL(16 février 2010)]. Pourtant, la plupart des fabricants de matériel électronique ont rejoint le forum DNLA (Digital Network Living Alliance) qui prescrit des règles et des spécifications afin de garantir l’interopérabilité des produits entre différentes marques. D’autres consortiums, œuvrant dans des directions similaires, sont apparus, tel que le DECE (Digital Entertainment Content Ecosystem), mais les effets restent limités. Quant aux DRMs (Digital Rights Management systems) qui permettent l’identification d’un contenu et la description de ses règles d’accès et d’usage, ils demeurent des systèmes propriétaires. Chaque DRMs ne fonctionne qu’avec le logiciel qui lui est associé, ce dernier n’étant pas nécessairement développé pour tous les OS, soit par manque d’argent, soit par volonté commerciale [OEA(septembre 2009), p. 18]. Si tous les acteurs s’accordent Figure 1.3 – Capture d’écran de TF1 Vision, uniquement compatible avec les systèmes d’exploitation de Microsoft. 13
  • 21. pour dire qu’il faut améliorer la compatibilité des produits et services pour le confort du consommateur, tous gardent également en mémoire le tour de force d’Apple. Celle-ci a assis sa domination sur le marché des baladeurs numériques et de la distribution de musique en ligne grâce au verrouillage du couple iTunes-iPod. En refusant de licencier sa technologie DRMs propriétaire, les titres téléchargés via iTunes ne pouvaient être lus que sur un iPod, et inversement les iPod ne pouvaient lire que des titres achetés via iTunes. Ainsi, en 2006, la part d’Apple sur les marchés américains des baladeurs numériques et de la distribution de musique en ligne était d’environ 70 % [GEFFROY(juin 2009), pp. 66– 69]. Tous les acteurs craignent à la fois l’apparition d’un nouveau couple iTunes-iPod pour l’audiovisuel et, en même temps, espèrent reconduire cette stratégie afin d’en profiter. Ainsi, pour préparer l’arrivée prochaine des télévisions connectées, les différentes chaînes de télévision françaises ont conclu des partenariats avec des constructeurs de téléviseurs 8 tout en faisant bloc contre Google [LEMONDE.FR(23 novembre 2010)]. 1.3.4 Un positionnement commercial flou En théorie, la VOD est une évolution majeure dans l’économie de l’audiovisuel et la distribution des contenus culturels. En réalité, ses capacités sont bridées par la nécessité de ne pas entraver les marchés traditionnels du cinéma et de la télévision. Par exemple, Time Warner a annoncé son projet de mettre en place un service VOD « premium ». Pour un prix compris entre 20 et 30 $, les consommateurs américains pourront regarder un film chez eux un mois après sa sortie en salle [SZALAI(9 septembre 2010)]. Un prix très attractif. . . et une offre que les études donnent perdantes face au téléchargement illégal [WALLENSTEIN(15 février 2011)]. 9 Relevant de questionnements similaires, il est ap- paru aux États-Unis un débat visant à savoir qui, du câble, des télévisions connectées, des services de streaming et de vidéo à la demande, remportera le futur marché de la distribution numérique des contenus audiovisuels [ARNASON(2 décembre 2010)]. En ef- fet, après l’annonce du lancement de Google TV lors de l’été 2010, le nombre de produits et de services proposant de la vidéo n’a cessé d’augmenter [ORLIN(24 octobre 2010)] [RICHTEL et STELTER(23 août 2010)]. En novembre 2010, les très puissants réseaux américains de télévision par câble ont connu leur plus grande perte de clients (cord- cutting) depuis les années 1980, soit entre trois et quatre millions de spectateurs en moins [KASTELEIN(18 novembre 2010)]. Cela amène l’ensemble des acteurs de la filière à se questionner sur leur avenir et à défendre leur business model : « Sur le fait qu’HBO et Cinemax ont récemment perdu 1,5 million d’abonnés, Bewkes dit : "Ne vous inquiétez pas pour HBO." Il dit que la diminution du nombre d’abonnés n’était pas due au cord-cutting, des gens qui résilient leurs abonnements au câble, mais était le résultat d’une modification de la façon dont les distributeurs ont vendu les offres d’HBO. » [LOWRY(6 décembre 2010)] ESPN a entrepris une démarche comparable en publiant avec Nieslen une étude démon- trant que les résiliations d’abonnement sont « pour le moment un phénomène "très mino- ritaire" » [STELTER(5 décembre 2010)]. 8. TF1 a conclu un accord avec Samsung, Orange avec LG, M6 avec Sony, Canal + avec Technicolor et LG, NRJ12 avec Philips [RIESTER et al.(1er juin 2010), p. 4]. Ces accords sont heureusement non-exclusifs. 9. Cette annonce a été concrétisée en avril 2011. Les studios concernés sont Sony, 20th Century Fox, Uni- versal et Warner Brothers. Certains films seront disponibles à la location 60 jours après leur sortie en salle, et cela pour 29,99 $ par film [BARNES(19 avril 2011)]. D’ores et déjà, les plus grands réalisateurs et pro- ducteurs américains se sont opposés à ce projet dans une lettre ouverte [MCCLINTOCK(21 avril 2011)]. 14
  • 22. Dans ce contexte où chaque acteur développe des produits et des services à même de capter les revenus issus d’Internet, le rôle de la VOD reste encore à définir. Son posi- tionnement sur le marché, c’est-à-dire l’image que les consommateurs ont de ce service [PRLJEVIC(2007), p. 23], est encore flou. À ce jour, le modèle économique de la VOD semble copié sur celui du DVD (dont elle reprend les fenêtres d’exploitation) et ne fait pas preuve d’originalité. Le mode de commercialisation le plus innovant, la SVOD (Sub- scription VOD : VOD par abonnement), ne dispose d’un film que trois ans après sa sortie en salle. Il n’est alors plus apte à capter des consentement-à-payer élevés. Enfin, les pro- blèmes d’interopérabilité et d’accès aux contenus précédemment cités renforcent le flou quant au positionnement de la VOD. 1.3.5 L’évolution du cadre législatif : les SMAD Malgré tous ces problèmes, la VOD nourrit de grands espoirs. En témoigne le ré- cent décret « SMAD » (Service Médias Audiovisuel à la Demande) qui a pour but de « favoriser le soutien et l’exposition des œuvres européennes et d’expression originale française » [SATELLIFAX(15 septembre 2010), p. 2]. Les nouveaux modes de consom- mation appellent nécessairement de nouvelles approches législatives et ré-interrogent les objectifs de ces dernières [LETAILLEUR et WEIGEL(12 décembre 2008)]. Ici le gouver- nement français a jugé que les services de SVOD ont pour objectif de concurrencer les chaînes de télévision payantes. Dès lors, contre l’avis du CSA (Conseil Supérieur de l’Au- diovisuel) [CSA(7 octobre 2010)], il est apparu logique de leur imposer les mêmes obli- gations 10 . Cette décision est pour le moins surprenante. En effet, comme nous l’avons précédemment démontré, la VOD se rapproche davantage d’un DVD dématérialisé que d’une chaîne de télévision. Qui plus est, le modèle d’affaires dominant de la VOD est celui de la location. Or, jamais les magasins de location de VHS et de DVD n’ont été tenus d’investir dans la production cinématographique et audiovisuelle française et euro- péenne [BOROWSKY et SANSON(5 janvier 2011)]. Enfin, l’obligation d’investissement est susceptible d’encourager les acteurs de la VOD à demander en contrepartie des droits d’exclusivité dans l’exploitation des œuvres auxquelles ils ont apporté leur soutien. Une pratique qui ira à l’encontre des intérêts des consommateurs, obligés de naviguer entre plusieurs services pour trouver le film qu’il cherche. Le développement de nouveaux services de distribution numérique des contenus culturels aurait été l’occasion de redéfinir les objectifs de l’exception culturelle et les moyens d’ac- tion disponibles à l’heure d’Internet pour encourager la production française. Il semble qu’il a été préféré de ne rien remettre en cause et de calquer les obligations de ces services (et donc d’influencer leur développement) sur celles des médias traditionnels. Le poids des chaînes de télévision gratuites et de Canal + dans le financement de la production cinématographique est trop important pour qu’une redéfinition du marché se fasse à leur détriment. La décision conforte les acteurs historiques dans leurs pratiques et les avan- tages dans la mise en place de leur propre service de VOD puisqu’ils possèdent déjà des départements chargés d’investir dans la production audiovisuelle française. En revanche, cette décision ralentira le développement des nouveaux acteurs et ne favorisera en rien l’émergence de stratégies innovantes [BEUTH(14 septembre 2010)]. 10. « Dans la mesure où leur environnement concurrentiel est constitué par les chaînes de télé- vision payantes (chaînes cinéma pour l’essentiel), leurs obligations ont vocation à s’en approcher. » [JOURNAL OFFICIEL(14 novembre 2010)] 15
  • 23. 1.4 L’avenir de la VOD en question La VOD est une technologie développée à partir d’Internet. C’est donc logiquement qu’elle s’inscrit dans l’esprit qui a participé au déploiement de ce réseau. Comme nous l’avons vu, on prête à la VOD un avenir radieux. C’est à ce moment qu’elle devient un mythe. D’après Roland Barthes, « le mythe est un système de communication, c’est un message » [BARTHES(1957), p. 181]. Il est pourvu d’une double fonction, « il désigne et il notifie, il fait comprendre et impose » [Ibid., p. 190]. Le mythe s’empare d’un signe (constitué d’un signifiant correspondant à un signifié) et le relègue au statut de simple signifiant. Il lui fait ensuite correspondre un signifié afin de constituer un nouveau signe. Le mythe produit donc un discours, une idéologie sur un signe lui préexistant. La VOD n’est qu’une tech- nologie, elle est neutre. Pourtant elle est synonyme de disruption, elle signifie un profond changement dans le secteur de l’audiovisuel. Nous avons vu qu’en théorie ses principes de fonctionnement sont innovants, mais qu’en pratique ils sont bridés. Si nous reprenons la taxinomie de Flichy, il apparaît que la VOD a clairement dépassé le stade d’utopie-projet, puisque c’est une réalité technique. Comme nous l’avons déjà dit, elle est au stade de la constitution d’objets-frontière. Elle tente de mettre en place un système lui permettant d’être économiquement viable et suffisamment attractive pour les consommateurs. Cela tout en veillant à créer un consensus avec les différents moyens de valorisation des contenus audiovisuels lui préexistant. Les discours qui œuvrent à sa promotion relèvent principalement de deux types d’idéologies. Pour la première, la VOD est un moyen pour les acteurs indépendants de court-circuiter le système de distribution mis en place par les acteurs dominants, c’est une idéologie- mobilisatrice. Elle prend racine dans le fait qu’Internet « n’a pas été conçu pour permettre à un émetteur de s’adresser à une masse de récepteurs, mais pour faciliter les échanges entre individus tour à tour émetteurs et récepteurs. » [CARDON(2010), p. 8] Il serait alors plus facile de contourner les médias traditionnels. Cette facette de la distribution numérique des contenus culturels et d’Internet sera développée plus longuement dans la suite de ce travail. Pour la seconde, la VOD va « de toute façon » se substituer au marché physique de la vidéo et aux chaînes de télévision payantes, c’est une idéologie-masque. Tout d’abord, comme nous l’avons vu précédemment, la VOD fait face à de nombreux problèmes techniques (interopérabilité) et commerciaux (difficulté de choix, fragmentation des catalogues, chro- nologie des médias peu avantageuse, etc.). L’individualisation de la consommation reste le seul argument qui ne soit pas biaisé. Mais il est daté, la vidéo domestique l’utilisait déjà dans les années 1960 [WASSER(2001), p. 61]. Ensuite, cette idéologie s’appuie sur l’« er- reur du boitier noir ». Elle considère la VOD comme l’aboutissement naturel de l’histoire des technologies audiovisuelles et donc comme une évolution inévitable. Paradoxalement, ce discours, qui voit dans la VOD le salut de l’audiovisuel, influence négativement sa crois- sance. En France, d’après les professionnels du secteur, la VOD n’a réellement démarré qu’en 2005 [FOREST(14 octobre 2010)]. En 2009, son chiffre d’affaires (à répartir entre plus de 40 plateformes) représentait 6 % de celui de la vidéo physique 11 . Pourtant, l’État français considère qu’elle va entrer en concurrence avec les chaînes de télévision payantes et contraint son développement dans cette direction. D’après cette vision, l’avenir de la VOD oscille entre DVD numérique et télévision délinéarisée. 11. En 2010, le chiffres d’affaires de la VOD représente 9 % du marché de la vidéo et 30 % en volume [LECHEVALLIER(18 janvier 2011)]. 16
  • 24. Il n’existe donc pas de discours idéologique inscrivant la VOD dans le système éco- nomique et culturel décrit par Jenkins. Un système où les contenus sont répartis entre différents médias, autorisant différents modes de réception et où la participation est un facteur clé. La VOD est, pour le moment, pensée comme un substitut aux DVD. La transformation d’une innovation en un produit ou en un service marchand réside dans le fait qu’il « s’agit moins de sélectionner parmi les utilisations possibles d’une technique celles qui sont susceptibles de trouver un marché, que de produire l’usage d’un matériel qui jusque là ne correspondait à aucun besoin socialement défini. » [FLICHY(1991), p. 19]. De tout temps, les nouvelles technologies ont dû capitaliser sur des pratiques existantes afin de se constituer un public et de posséder les compétences nécessaires à un développe- ment plus innovant. L’industrie du cinéma s’est développée en reprenant les formes de la représentation théâtrale avant de s’en distinguer. Le studio d’enregistrement a longtemps été utilisé pour que l’auditeur ait l’impression d’assister à une représentation en live. Ce n’est que dans les années 1960 qu’ils ont commencé à servir la recherche d’une plus grande complexité et créativité dans l’enregistrement des albums [KOSMICKI(2009)]. La VOD doit donc avant tout trouver un modèle d’affaires innovant, capable de se substituer au DVD tout en ne se fermant pas au développement de nouveaux usages. Ce n’est pas d’une technique donnée qu’il faut attendre les solutions à la baisse du chiffre d’affaires de la vidéo ou à l’échange illégal de contenus sous copyright, mais des initiatives qui vont progressivement modifier les usages des individus. La VOD peut jouer un rôle important dans ce dessein, encore faut-il éviter de l’emprisonner dans des logiques révolues . . . Figure 1.4 – Capture d’écran du player d’Arte. Le contenu est un épisode de Tracks consacré à Dario Argento. Il est « déconseillé aux moins de 18 ans ». . . . et développer des services qui se servent d’Internet pour mettre en place des offres correspondant aux besoins des consommateurs [MONTAGNON(27 janvier 2011)]. Cela ne peut évidement que difficilement s’effectuer sans une compréhension des spécificités des produits issus des industries créatives, des spécificités économiques d’Internet et des liens qu’entretiennent ces deux secteurs. 17
  • 25. Chapitre 2 La distribution des contenus culturels sur Internet 2.1 L’industrie de la musique, un marché test Depuis les années 2000, les industries créatives font face à la problématique de l’échange illégal de leurs productions via Internet. Si à court terme le manque à gagner est difficile- ment appréhendable, il ne fait en revanche aucun doute qu’à long terme la considération des consommateurs envers les produits qu’ils acquièrent sans contrepartie ne sera en rien favorable à l’ensemble des filières. Le premier secteur touché par ce phénomène fut celui de musique. C’est à partir de lui que sont théorisées les conséquences et réponses à apporter aux échanges illégaux. Il suffit alors de mettre en relation l’évolution de la pénétration d’Internet avec celle du chiffre d’affaires issu de la vente de disque pour conclure à l’existence d’un lien entre ces deux faits. Mais cela serait une conclusion un peu hâtive. Au mieux un grossier raccourci, Internet Penetration at Home in France (1998−2010) 10 20 30 40 50 60 70 ● ● ● ● Percentage ● ● ● ● ● ● ● ● ● 1998 2000 2002 2004 2006 2008 2010 Years Figure 2.1 – Évolution de la pénétration d’Internet au domicile en France. Source : [CREDOC(décembre 2010)]. au pire une mauvaise compréhension des enjeux. Deux visions s’opposent sur les effets d’Internet et des TIC sur l’industrie du disque [WAELBROECK(janvier 2007)]. L’une y 18
  • 26. Total Recorded Music Revenue in France (1995−2010) ● ● 1200 Millions of Euros ● ● ● ● ● 1000 ● ● ● ● ● 800 ● 600 ● ● ● 1995 2000 2005 2010 Years Figure 2.2 – Évolution du chiffre d’affaires issu des ventes de musique enregistrée en France. Source : SNEP. voit l’essor du P2P, du streaming et du direct download qui favorise la « piraterie », le vol des labels et indirectement des artistes. Les albums téléchargés illégalement influencent négativement la ventes de disques. Pour l’autre, les échanges de fichiers musicaux per- mettent aux « pirates » d’avoir accès plus facilement à de nombreux artistes sans pour autant modifier leur consommation de CD (Compact Disc). La baisse du chiffre d’affaires issu des ventes de musique enregistrée est alors la cause d’une trop grande concentration des distributeurs empêchant le jeu de la concurrence de se réaliser pleinement. Ainsi que d’une diminution dans la variété des produits proposés au consommateur dans les maga- sins, à la radio et à la télévision. En France, le nombre de titres diffusés à la radio est passé de 48 000 en 1996 à 24 000 en 2000 [ATTALI(2001), pp. 194–195]. Seulement, nous ne prenons en compte que deux acteurs du système : l’industrie du disque et les consommateurs. Nous n’avons là que deux points de vue. Or, l’industrie de la mu- sique ne s’y réduit pas. Ainsi, pendant que les ventes de disques s’effondrent, les recettes liées aux concerts s’envolent. Aux États-Unis, entre 1999 et 2009, elles ont été multipliées par trois (de 1,5 milliard à 4,6 milliards de dollars) [THE ECONOMIST(7 octobre 2010)]. Les données publiées par le Times sur l’industrie musicale britannique sont révélatrices d’une autre vision de l’évolution en cours. Il y apparaît que les artistes sont nettement ga- gnants dans ce nouveau système, au détriment des labels [THE TIMES(12 décembre 2009)] (Figure 2.3) 1 . La musique fait donc partie d’un vaste système économique. Comme le dit justement Waelbrœck : « Si les perdants ont largement fait entendre leurs voix, il ne faudrait pas ou- blier les gagnants : les artistes indépendants qui profitent d’un outil pour expo- ser leurs nouveaux albums au public à faible coût, d’autres artistes qui vivent essentiellement de leurs concerts, les fabricants de lecteurs MP3 et DIVX, les fabricants de téléphones portables qui proposent des sonneries personnalisées, les fournisseurs d’accès à l’Internet haut débit, les agences de marketing qui 1. Il est à noter que le marché anglais est spécifique car la population a toujours eu une « culture musicale » beaucoup plus développée qu’en France [NÈGRE(4 décembre 2010)]. 19
  • 27. Millions of Pounds Recorded Revenue (to Labels) Recorded Revenue (to Artists) Millions of Pounds ● ● ● ● 1000 140 ● ● 900 120 ● ● 800 ● ● 2004 2005 2006 2007 2008 2004 2005 2006 2007 2008 Years Years Live Revenue (to Promoters) Live Revenue (to Artists) Millions of Pounds Millions of Pounds ● ● 80 650 ● ● 70 550 60 ● ● ● ● 450 50 ● ● 2004 2005 2006 2007 2008 2004 2005 2006 2007 2008 Years Years Performing Right Society Total Music Revenue 2120 2160 2200 2240 Millions of Pounds Millions of Pounds ● ● 500 ● ● ● ● 460 ● ● 420 ● ● 2004 2005 2006 2007 2008 2004 2005 2006 2007 2008 Years Years Figure 2.3 – Évolution du chiffre d’affaires de l’industrie musicale au Royaume-Uni. Sources : BPI, PRS [THE TIMES(12 décembre 2009)]. exploitent les données des comportements en ligne de fans de musique, et la SACEM qui collecte les redevances sur les produits dérivés de la musique. » [WAELBROECK(21 septembre 2010), p. 8] Plutôt que d’avoir une unique influence, positive ou négative, sur le marché du disque, Internet et les TIC bouleversent l’ensemble du secteur de la musique. Plusieurs modèles d’affaires se confrontent [BENGHOZI(24–27 mai 2011)]. La position dominante des ma- jors est remise en cause par des nouvelles formes de valorisation qui se substituent au modèle du disque [BENGHOZI et PARIS(1999)]. La numérisation de la musique per- met l’émergence de modèles d’affaires innovants, celle-ci n’est plus uniquement consi- dérée comme un bien culturel mais également comme un bien d’expérience et un bien social [BOURREAU et al.(janvier 2008)]. La musique n’est plus seulement un produit que l’on achète, ou pas. Elle possède des valeurs avec lesquelles il faut compter et qui constituent le nouveau point névralgique de l’industrie musicale. C’est l’émergence du « direct2fan » où l’artiste organise lui même sa communication et monétisation auprès 20
  • 28. d’une base de fans qu’il aura créée, entretenue et consolidée [DARCY(12 octobre 2010)] [BERGER(15 novembre 2010)]. Ce genre de pratique est à ce jour principalement utilisé par des artistes et labels indépendants, les majors n’ayant que rarement eu de vraie rela- tion avec les fans. « Leurs utilisateurs finaux ne sont pas des consommateurs de musique, mais plutôt les distributeurs, de Tower à iTunes. Alors que les radios savent jusqu’à la donnée démographique la plus fine qui sont ses consommateurs, les majors ont toujours produit du contenu et pris des décisions "au feeling". » [KNOPPER(25 août 2010)] Le secteur de la musique ne s’effondre donc pas, il se transforme. De nouveaux acteurs ap- paraissent et prennent la place des anciens. Pourtant, là encore, il a été préféré par l’État la défense d’un raisonnement s’inscrivant dans une vision traditionnelle, et révolue, de la musique, plutôt que d’accompagner son évolution. En s’efforçant de régler le problème du piratage, principalement via la loi HADOPI, le gouvernement néglige le reste de la filière. Quelles sont les mesures en faveur des prestations live ? Quelles sont les mesures visant à améliorer l’efficience des sociétés d’auteurs ? Etc. 2.2 La loi Hadopi, principe et fonctionnement en ques- tion 2.2.1 Patrick Waelbrœck : « Hadopi est une mauvaise réponse faite par des gens désemparés. » Figure 2.4 – Propositions de Google pour le terme « Hadop » en janvier 2011. Illustration CC Geoffrey Dorne : @geoffreydorne. Malgré la difficile évaluation des effets de l’échange illégal de fichiers sur Internet, le gouvernement a réfléchit à la mise en place de dispositifs censés lutter contre ces échanges. Après un débat public et parlementaire agité [OWNI(décembre 2010a)], le législateur a 21
  • 29. finalement promulgué deux lois. L’une mettant en place une autorité publique indépen- dante, l’Hadopi, acronyme de Haute Autorité pour la Diffusion des Œuvres et la Protection des droits sur Internet. Elle est chargée de diriger la seconde loi qui instaure un système de riposte graduée. Une régulation plus poussée d’Internet et le développement d’offres légales attractives semblent être la juste réponse pour endiguer le piratage, et l’empêcher de détruire 1,2 million d’emplois en Europe d’ici 2015 [TERA CONSULTANTS(3 mars 2010), p. 61] 2 . Mais les multiples défauts qui accompagnent ces lois – et que ses différents défenseurs persistent à ignorer –, ne fait que révéler l’incapacité de ses instigateurs à apporter une réponse appropriée à une situation dont ils ne comprennent pas les tenants et les abou- tissants. Les actions de l’Hadopi vont pratiquement stopper le P2P, c’est certain, et on peut déjà s’assurer que c’est ce qui sera communiqué lors de son bilan, mais qu’en est-il des autres moyens existants sur Internet de se procurer gratuitement, ou peu s’en faut, des conte- nus culturels ? Le cas du site de téléchargement Megaupload, qui permet de contourner l’Hadopi, est à ce sujet révélateur. D’après ComScore, en 2008, le nombre d’internautes français s’étant connectés sur ce site était de 350 000. En novembre 2010, ils étaient 7,4 millions [FERRAN(30 décembre 2010)] (cf. infra). De même, comment appréhender le fait que « la chasse aux pirates sera automatisée grâce à des bases de données constituées par les sociétés d’auteurs. Dans ces listes se trouvent les œuvres les plus populaires et les nouveautés » [GABOULAUD(13 mars 2010)] ? Nous pouvons donc être sanctionnés pour avoir téléchargé illégalement le dernier film d’Europa Corp., mais pas pour un film de catalogue de Pyramide ? Pourtant ces deux sociétés ont le même besoin de vendre leur production. Non seulement cette loi sera techniquement dépassée plus rapidement que ne le pensent ses défenseurs, mais de surcroît elle ne « pro- tège » qu’une minorité de produits, ceux dont le retour sur investissement est le plus rapide. Elle ne favorise donc pas le développement de productions originales ou à la ren- tabilité plus lente. C’est oublier que dans les industries créatives, ce sont les catalogues d’œuvres anciennes qui permettent de financer la création présente et à venir. Leur vente est certes faible comparée aux nouveautés, mais leur constance dans le temps leur permet de constituer un actif tangible pour prévoir de futurs développements. Enfin, la protection d’une minorité d’œuvres revient à inciter les industries culturelles à persévérer dans la logique spéculative de l’« économie-casino », c’est-à-dire un système où les producteurs lancent de plus en plus d’œuvres en espérant que l’une d’elles se retrouve dans le nombre restreint d’œuvres à succès qui concentrent la majorité des recettes du secteur. Cette logique est concomitante de celle de la théorie du « winner-take-all » et elle induit une inflation des budgets de production et de promotion. Mais, les remarques précédentes sont partiellement biaisées car elles ne prennent pas en compte un volet fondamental du projet de lois : la réponse graduée. 2.2.2 Eric Walter, secrétaire général de l’Hadopi : « Nous souhai- tons des systèmes de contrôle chez l’usager. » « L’Hadopi met en œuvre un dispositif pédagogique de sensibilisation qui vise, par l’envoi de messages d’avertissement, appelés "recommandations", à infor- mer les internautes de leur obligation de surveillance de leur accès à internet 2. Pour une critique de cette étude, voir la note publiée par le Social Science Research Concil : [SSRC(22 mars 2010)]. Pour une revue des études traitant de la contrefaçon sur Internet, on se réfé- rera au rapport de l’U.S. Government Accountability Office : [USGAO(12 avril 2010)]. 22
  • 30. afin qu’il ne soit pas utilisé pour mettre à disposition ou reproduire des conte- nus numériques protégés par un droit d’auteur. » [HADOPI(10 janvier 2011)] La réponse graduée instaure un système dont l’objectif est « to increase the expected cost of infringing for final users »[BOMSEL et RANAIVOSON(2009), p. 27]. Les internautes seront alors moins enclins à télécharger des contenus illégalement. Les droits de propriété intellectuelle gagneront en efficience et assureront aux industries créatives une plus grande efficacité dans la gestion de ces droits et dans la discrimination de l’accès aux contenus [Ibid., p. 16]. Le fonctionnement de la réponse graduée est simple. Des sociétés privées sont chargées par Figure 2.5 – Schéma explicatif de la réponse graduée extrait d’un prospectus distribué aux péages des autoroutes en août 2010 [PEYRARD(26 août 2010)]. Illustration : Hadopi. les organismes de défense professionnelle et de perception des droits (SACEM, SACD, etc.) de détecter et de collecter les adresses IP 3 liées aux téléchargements illégaux de conte- nus sous droit d’auteur. Les sociétés mandataires décident ensuite d’envoyer, ou non, à l’Hadopi les adresses collectées. L’autorité publique indépendante ne sanctionne pas direc- tement le citoyen à qui appartient l’adresse IP. Elle lui notifie d’abord par email que son adresse IP a été utilisée pour télécharger illégalement un contenu. Si un second manque- ment à la loi est observé, une lettre recommandée est substituée à l’email. Si un troisième manquement est observé, l’Hadopi peut entamer la procédure juridique qui conduira, ou non, à couper l’accès Internet du citoyen pendant une durée déterminée. La spécificité de 3. Internet Protocol. L’adresse IP correspond à un numéro d’identification attribué à chaque appareil se connectant à Internet, par exemple : 178.45.206.189. Les adresses IP utilisées par le grand public sont uniques et correspondent à un appareil donné [WIKIPEDIA(10 janvier 2011)]. 23
  • 31. la réponse graduée est, qu’en fin de compte, elle ne sanctionnera pas le téléchargement illégal d’un contenu. Réunir de telles preuves se révèle trop difficile et trop couteux à mettre en œuvre. La sanction se déplace et l’Hadopi reprochera au citoyen d’avoir manqué à son obligation de sécurisation de sa connexion Internet. Ainsi, l’objectif premier n’est pas de sanctionner les personnes qui téléchargent illégale- ment des contenus. Sans quoi, les deux premiers échelons ne seraient pas de mise. L’Hadopi est également porteuse d’une mission d’information et d’éducation de l’internaute. Dès lors, la surveillance d’un nombre réduit de contenus, ceux étant les plus populaires et les plus susceptibles d’être téléchargés, apparaît davantage logique. Elle résulte d’un compro- mis entre la volonté de « sensibiliser » un maximum de personnes et de limiter les coûts liés à la collecte et aux traitements des données recueillies. Pourtant, le système de la réponse graduée s’inscrit bien dans une logique qui vise à aug- menter le risque lié au téléchargement illégal, dans une logique répressive. Pour certains, l’objectif de l’Hadopi n’est pas tant la protection des œuvres que d’effectuer un premier pas vers la régulation d’Internet [BAYART(6 octobre 2010)]. Une vision qui ne manque pas de perspicacité à l’heure où le président de la République française, Nicolas Sarkozy, entend porter cette problématique lors de sa présidence du G8 [WOITIER(11 janvier 2011)]. À l’heure où le CSA entend étendre ses fonctions de régulations aux vidéos diffusées sur Inter- net [GABLA(9 décembre 2010)]. À l’heure où le ministre de l’industrie Eric Besson entend rapprocher le CSA, s’occupant de la régulation des contenus, et l’Autorité de Régulation des Communications Électroniques et des Postes (ARCEP), qui s’occupent de la régulation des réseaux [LEMONDE.FR(10 janvier 2011)]. À l’heure où la loi d’Orientation de Program- mation pour la Performance de la Sécurité Intérieure (LOPPSI) a été votée et autorise le blocage des sites à caractère manifestement pédopornographique. Filtrage qui sera effec- tué par le pouvoir exécutif sans passer par un avis de la justice [OWNI(décembre 2010b)]. Sans compter les bénéfices économiques que les FAI peuvent attendre d’une suppression de l’Internet illimité. La neutralité d’Internet est loin d’être un fait acquis. Pourtant, le fait que la neutralité d’Internet soit remise en question ne concerne pas direc- tement notre sujet. En revanche, la volonté de filtrer Internet pour empêcher les individus de commettre des actes illégaux ou pour les protéger révèle deux points : – Une méconnaissance des technologies ; – Une approche des problématiques économiques et sociales centrée sur l’individu. Le système dans lequel celui-ci évolue n’est pas pris en considération. 2.3 Le « piratage », un concept façonné par les entre- prises et des technologies développées par les indi- vidus. 2.3.1 « C’est la faute des autres » ou comment éviter de redéfinir les modalités d’un marché « Je vous dis que le magnétoscope est au producteur américain de films et au public américain ce que l’étrangleur de Boston est à la femme seule à la maison. » [VALENTI(12 avril 1982)] Jack Valenti a été le président de la Motion Picture Association of America (MPAA) de 1966 à 2004. Cette association est chargée de la défense des intérêts de ses adhérents et plus particulièrement ceux des majors hollywoodiennes. Vingt ans après cette citation, 24