1. 20 août 2017 | Le Matin Dimanche Interview 21
Contrôle qualité
«LaSuisse devrait se doter
d’unministreduNumérique»
Informatique Le fondateur de la société genevoise Wisekey, Carlos Moreira, est un défenseur de longue
date de la cybersécurité. Il plaide aujourd’hui pour un engagement politique beaucoup plus marqué.
L
a vie de la société gene-
voise, avec siège social à
Zoug, spécialisée dans la
cybersécurité, n’a pas tou-
jours été un long fleuve
tranquille. En 2015, notam-
ment, alors qu’elle devait
fusionner avec un grand groupe brésilien et
entrer au Nasdaq, ses projets sont tombés à
l’eau. Mais, depuis un an, tout semble sou-
rire à son président et CEO, Carlos Moreira,
et à cette entreprise créée en 1999, la seule
de sa branche à être cotée à la Bourse suisse.
Pourquoi n’avez-vous pas fusionné
avec Garnero Group en 2014 et renoncé
à une entrée au Nasdaq, à New York?
La valorisation que l’on pouvait obtenir à ce
moment-là n’était pas à la hauteur de nos at-
tentes, car nous n’avions pas encore la taille
nécessaire pour accéder au Nasdaq. On a
préféré une cotation à la Bourse suisse, faire
grandir la société et préparer une entrée au
Nasdaq avec une valorisation adaptée. Nous
comptons franchir le pas au deuxième tri-
mestre 2018.
Est-ce que Wisekey aussi a souffert
de la suppression du taux plancher?
Pour nous, l’effet a été minime, car on ex-
porte notre technologie depuis plusieurs
centres dans le monde, ce qui nous permet
de jouer avec le prix en plusieurs monnaies.
Nous avons également baissé nos prix pour
être plus compétitifs avec d’autres sociétés
étrangères.
Le premier semestre 2017 a été un
véritable feu d’artifice pour Wisekey:
forte croissance des revenus à
15 millions de francs, intégration
et acquisition de plusieurs sociétés
étrangères; enfin, important contrat
signé avec un constructeur automobile
pour les voitures connectées.
Les nuages se sont dissipés?
Wisekey est arrivé à un état de maturité qui
nous permet de concrétiser des projets
d’une façon beaucoup prévisible qu’aupara-
vant. Le fait d’être à la Bourse suisse et les
obligations que cela comporte nous con-
traint à une disciple d’exécution des projets
beaucoup plus réaliste et efficace que lors-
que nous étions une société privée. Le mar-
ché nous a fait également davantage
confiance, car nous informons de façon pé-
riodique sur notre situation financière, les
nouveaux partenariats, les acquisitions, le
chiffre d’affaires et nos innovations.
Concrètement?
Dans les six premiers mois de cette année,
Wisekey a réalisé un chiffre d’affaires supé-
rieur à toute l’année 2016, et cette évolution
continuera jusqu’à la fin de l’année avec un
objectif de chiffre d’affaires de 55 millions
de francs, ce qui représente une croissance
de 300% sur un an. À cela s’ajoute le posi-
tionnement stratégique de la technologie de
Wisekey, car on a obtenu plus de 360 bre-
vets dans le domaine de l’Internet des objets
pendant l’année en cours. Ces brevets nous
permettent de nous défendre contre les
géants de l’informatique.
Qu’est-ce, au juste, que l’Internet des
objets, IoT en anglais, qui a largement
contribué à vos excellents résultats?
L’IoT permet la connexion de tout objet à
l’Internet et, à partir de celui-ci, de se con-
necter entre eux. Actuellement, on con-
necte les ordinateurs et les portables à l’In-
ternet, mais, graduellement, on commence
aussi à pouvoir tout connecter, afin de per-
mettre à ces objets d’agir de façon intelli-
gente. Les projections sont phénoménales,
avec 20 milliards d’objets connectés d’ici à
2020 et 1000 milliards en l’an 2050. Pour
cela, chaque objet aura besoin de la techno-
logie que Wisekey développe (identité, cy-
bersécurité, microprocesseurs et intelli-
gence artificielle). On ne peut plus au-
jourd’hui imaginer de les connecter à l’In-
ternet sans les doter de ces technologies, car
les conséquences seraient néfastes.
Comment survivez-vous, en tant
société suisse, dans un environnement
si compétitif?
Être Suisse dans le domaine de la cybersécu-
rité et l’IoT est un avantage pour autant
qu’onsachel’exploiter.Celapermetdedéve-
lopper une technologie neutre, pure et non
compromise par des influences gouverne-
mentales. Cela représente l’ADN de Wise-
key, car notre société, en plus de vendre des
produits et de développer l’innovation tech-
nologique, est également centrée sur le res-
pect de la sphère privée des utilisateurs. On
ne permet pas de mettre en danger les don-
nées privées d’une personne, comme c’est le
cas dans d’autres sociétés non suisses.
Les cyberattaques se sont multipliées
ces derniers mois, notamment les
logiciels rançonneurs. Avez-vous enfin
davantage de demandes de la part des
PME, notamment?
Absolument. Et la raison principale est
qu’aujourd’hui il est presque impossible
pour une PME de se défendre toute seule.
Les attaques deviennent de plus en plus
complexes et les moyens investis dans ces
attaques sont infiniment supérieurs à ce
qu’une entreprise peut faire pour se défen-
dre. Dès lors, les entreprises doivent, en
priorité, utiliser les services de sécurité
proposés par des sociétés suisses, afin de
les défendre sans compromettre leur inté-
grité.
En fait-on suffisamment sur le plan
politique, notamment pour faire de la
Suisse un véritable hub du numérique?
Il y a une tendance mondiale à avoir un
membre du gouvernement agissant comme
un ministre du Numérique ou bien un Chief
of Technology comme c’est le cas aux États-
Unis. La raison est purement due au fait
qu’un tel poste nécessite des connaissances
très pointues dans un domaine très spécia-
lisé qui devient, chaque jour, plus stratégi-
que dans un pays comme la Suisse. On pour-
rait avoir un ministre du Numérique attitré,
mais le système politique helvétique ne s’y
prête guère! Cela dit, on pourrait tout à fait
imaginer de nommer une personnalité hau-
tement spécialisée et au service de la Confé-
dération pour représenter les intérêts la
Suisse dans le domaine digital.
Comment voyez-vous l’évolution de
votre branche dans les années futures?
Nous nous concentrons actuellement sur
deux domaines stratégiques: le blockchain
(ndlr: une technologie qui permet de stocker et
transmettre des informations de manière
transparente, sécurisée et sans organe central
de contrôle) et l’intelligence artificielle. Et
pour cause: nous produisons des milliards
de terabytes d’informations connectées par
des milliards de microchips et des racines
cryptographiques que nous installons par-
tout. Nous commençons, à travers l’intelli-
gence artificielle, à pouvoir prédire le fonc-
tionnement des objets, ce qui nous permet
d’aider nos clients à prendre des décisions
en analysant ces données. Dans ce do-
maine, Wisekey devient une plate-forme in-
telligente à laquelle on peut se brancher
pour que nos clients soient plus efficaces et
sécurisés.
Question people: l’acteur américain
oscarisé Kevin Spacey est devenu votre
porte-drapeau. Pourquoi?
Kevin Spacey nous a aidés l’année dernière
à communiquer notre message concernant
la sécurité informatique au niveau mondial
avec l’autorité et le charisme qui le caractéri-
sent. Il est passionné de technologies et s’in-
vestit dans ce secteur. C’est dès lors un par-
tenaire idéal. U
«Être Suisse dans
le domaine de la
cybersécurité est
un avantage pour
autant qu’on sache
l’exploiter.»
Christian Beutler/Keystone
Élisabeth Eckert
elisabeth.eckert@lematindimanche.ch
«Les
attaques
sont de plus
en plus
complexes
et les moyens
investis dans
ces attaques
sont très
supérieurs
à ce qu’une
entreprise
peut faire
pour se
défendre»
En dates
1958
Naissance
Carlos Moreira est né
le 1er septembre
1958, en Espagne,
de nationalité suisse.
1983
ONU
Il devient expert en
télécommunications
et réseaux aux
Nations Unies,
à Genève.
1999
Wisekey
Il devient secrétaire
général de
l’Organisation
internationale
des transactions
électroniques
sécurisées (OISTE)
et fonde la société
Wisekey SA,
à Genève.
2016
Entrée en Bourse
Le 31 mars 2016,
Wisekey fait son
entrée à la Bourse et
compte aujourd’hui
plus de 3000
actionnaires.