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Kelly Laugier
Sous la direction du Professeur M.Faynot
MÉMOIRE EN VUE DE L’OBTENTION DU BACHELOR
RESPONSABLE OPÉRATIONNEL À L’INTERNATIONAL
- ESCD 3A –
JUIN 2019
En quoi est-il préférable de passer d’une politique de répression à une politique d’accompagnement des usagers de
substances psychoactives en France ?
REMERCIEMENTS
Je remercie,
Toutes les personnes m’ayant apportés des conseils astucieux,
un regard singulier et un soutien indéfectible pour la réalisation de ce mémoire.
M. Nicolas Faynot, professeur d’anthropologie à l’école 3A et mon tuteur dans le
cadre de ce mémoire qui a usé de convenance pour répondre rapidement à mes
interrogations et m’aiguiller judicieusement.
Philippe, Éducateur spécialisé du CAARUD Ruptures de Lyon pour son
témoignage conséquent, honnête et précieux.
Nina Tissot, Rémi et Victoria, Louis, Marie-Claire pour leurs réponses et leur
intérêt.
Les membres du Quai 9 de Genève pour leur accueil, leur disponibilité et leur
enthousiasme.
M. Patrick Girard pour avoir accompagné la promotion 2018-2019 des Bachelor
de l’Ecole 3A dans la réalisation de notre mémoire de fin d’année.
Les personnes ayant relu ce mémoire et pris le temps de donner un avis critique
sur mon argumentation.
TABLES DES ABREVIATIONS
CAARUD : Centre d'Accueil et d'Accompagnement à la Réduction des risques
des Usagers de Drogues
CSAPA: Centre de Soins, d'Accompagnement et de Prévention en Addictologie
DRAMES: Décès en Relation avec l'Abus de Médicaments Et de Substances
ILS: Infraction à la Législation sur les Stupéfiants
OFDT: Observatoire Français des Drogues et des Toxicomanies
ONUDC: Office des Nations Unies contre la Drogue et le Crime
RdRD: Réduction Des Risques et des Dommages
SCMR: Salle de Consommation à Moindre Risque
SP : Substance psychoactive
UDVI: Usagers de Drogue par Voie Intraveineuse
VHB: Virus de l'Hépatite B
VHC: Virus de l'Hépatite C
1
SOMMAIRE
INTRODUCTION...................................................................................................................................1
I. La réduction des risques, une démarche pragmatique de santé publique .........................................6
A. Brève histoire des politiques de santé publique jusqu’à la guerre contre la drogue......................6
1. A l’origine................................................................................................................................6
2. Dès le XIXe siècle, une libre circulation des drogues...............................................................6
3. La place au contrôle contre un “problème” mondial...............................................................7
4. Une remise en question commune de la lutte anti-drogue......................................................9
B. Des politiques de prohibition à la réduction des risques ...........................................................10
1. Politiques et législations nationales de lutte contre les usages et les trafics ............................11
2. De la prohibition à la réduction des risques..........................................................................14
II. Les consommateurs dans la société, une relation ambivalente........................................................17
A. Les différentes pratiques de consommation...............................................................................17
1. Les différentes manières de penser l’addiction ......................................................................17
2. Les usages nationaux actuels..................................................................................................19
3. Les décès par overdoses .........................................................................................................21
4. La banalisation de la dépendance..........................................................................................21
5. Des facteurs de vulnérabilité..................................................................................................24
B. L’évolution du point de vue de l’Etat.........................................................................................24
1. Une mise en perspective des limites entre le licite et l’illicite ................................................25
2. De la drogue aux prescriptions de médicaments, des situations toujours addictives..............27
C. La précarité, le marché de la drogue et la résistance...................................................................29
1. Exclusion, précarité et problèmes d’insertions professionnelles ............................................29
2
2. Des problèmes de santé .........................................................................................................30
III. La réduction des risques, politique plus viable que la répression...............................................33
A. Des programmes déjà ancrés sur le territoire français ................................................................33
1. Agir en amont avec la prévention..........................................................................................33
2. Des programmes de réductions des risques à renforcer .........................................................37
3. Des structures médico-sociales à conserver ............................................................................39
B. Un programme de SMCR à développer.....................................................................................43
1. Les résultats de cette politique de réduction des risques en comparaison avec d’autres pays.44
2. Modifier les représentations des usages .................................................................................46
3. Prendre en compte les réussites exterieures pour les développer en France...........................47
CONCLUSION .....................................................................................................................................50
BIBLIOGRAPHIE..................................................................................................................................56
BIBLIOGRAPHIE..............................................................................................................................56
SITOGRAPHIE..................................................................................................................................56
PODCASTS........................................................................................................................................58
ILLUSTRATIONS .............................................................................................................................58
ANNEXES..............................................................................................................................................59
ABSTRACT........................................................................................................................................60
1
INTRODUCTION
La Réduction des risques a bousculé l’approche des consommateurs de SP (Substance
Psychoactives1
) et, plus généralement, amené à une compréhension renouvelée de la
considération et du traitement des addictions2
. En allant au-delà de l’aspect hygiéniste, la
philosophie de la réduction des risques encourage le développement de l’intervention des
politiques publiques et de professionnels mais suscite encore des débats houleux. S’identifiant
comme une action de santé publique pragmatique, la RdRD a pour objectif de limiter les risques
liés à l’usage de SP pour le consommateur, sans avoir comme principal but l’abstinence ou le
sevrage3
.
La Réduction des Risques née tout d’abord en Angleterre dans le contexte tumultueux
de l’épidémie du Sida dans les années 1980, vise à inciter le consommateur à avoir autant que
possible des comportements les moins néfastes sur sa santé. Une hiérarchie des risques établit
par ailleurs le fait qu’il est préférable de ne pas consommer de SP. Si l’on en consomme tout de
même, il faut le faire avec les substances les moins nocives et le moins dangereusement possible.
Par ailleurs, il est préférable qu’il ingère la substance par voie nasale ou qu’il utilise un outil
stérile4
. La connaissance des conditions et des motivations qui mènent les individus à l’usage de
SP est indispensable pour définir les actions efficaces de réductions des risques à appliquer.
Actuellement, la politique de RdR répond à l’ensemble des problématiques qui
surviennent tout au long du processus menant à la consommation addictive. Elle inclue ainsi la
prévention sur les risques sanitaires et sociaux, une médiation sociale entre les professionnels et
les acteurs publiques et enfin, elle fournit un accompagnement pour la réduction de la
consommation et des dommages que l’usager peut rencontrer. Cette politique fournit ses services
tant aux consommateurs à usages contrôlés qu’aux consommateurs en situation d’addiction et
enclins à des soins spécifiques. Néanmoins, les seuls 145 CAARUD présents en France aux
moyens souvent restreints ne peuvent soutenir les ambitions de cette politique5
. Il est ainsi
nécessaire de protéger et soutenir leur consolidation, leur attribuer les moyens manquant et de
1 Nous utiliserons ce terme générique tout au long du présent mémoire afin de faciliter son utilisation
2
Anne Coppel, Anne Coppel et la Réduction des risques, 2016, (En ligne), http://www.annecoppel.fr/reduction-des-risques-rdr/,
consulté le 20/05/19
3
Jauffret-Roustide M. et GRANIER J.M., Repenser la politique des drogues, Paris, Esprit, 2017, pp. 39-54
4
Ibid. Anne Coppel et la Réduction des risques
5
Ministère des Solidarités et de la Santé, La réduction des risques et des dommages chez les usagers de drogues, 2017, (En ligne),
https://solidarites-sante.gouv.fr/prevention-en-sante/addictions/article/la-reduction-des-risques-et-des-dommages-chez-les-
usagers-de-drogues, consulté le 15/05/19
2
soutenir les nouvelles synergies pour développer une capacité et un pouvoir d’action capable de
s’établir sur le territoire national.
La loi régissant l’usage, la vente et la production de SP de 1970 est obsolète et soutient à
ses dépens les politiques de stigmatisations6
tout en retardant l’avancée des réponses sociales et
sanitaires pour les consommateurs : un accompagnement de la consommation à moindre risque
dans des dispositifs déjà existants, des Salles de Consommation à Moindre Risque, des offres de
substitutions injectable etc.
Actuellement, 250 millions de personnes dans le monde encourent des risques car elles
font usage de SP illégales7
. Admettre cette réalité et instaurer une stratégie de prise en charge ou
d’accompagnement ne revient ni à cautionner cette consommation, ni à se montrer défaitiste.
C’est au contraire appréhender le monde dans son entièreté, avec des faits véritables, et une
approche responsable. La réduction des risques considérée comme philosophie d’action favorise
une perception humaniste et pragmatique au sein des politiques publiques misent en place. En
s’opposant à la vision passée de la “guerre à la drogue”, cette politique propose un projet de “vivre
ensemble”, un “care collectif” mis en place sur une morale de la “bientraitance”, qu’importe la
place de chacun - riverains, élus, soignants, usagers. La pertinence ainsi que le pouvoir de la RdR
découlent du désir de mettre à profit les capacités et les ressources des citoyens et des systèmes
sociaux.
Aujourd’hui, la pertinence de la Réduction des Risques n’est plus à démentir. L’Office
des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC), l’Organisation mondiale de la Santé
(OMS) et le programme commun des Nations Unies sur le sida (ONUSIDA) ont dans leurs
derniers rapports confirmé le fait que cette politique de santé publique permet d’une part de
réduire les risques associés à la consommation de SP et de prévenir la propagation du Sida.
Pourtant, à ce jour, seul un nombre réduit de pays ont mis en place des politiques de réductions
des risques pertinentes et suffisantes.
Les progrès permis depuis un peu moins de vingt ans par la Réduction des Risques
découlent d’un double renoncement : celui de l’élimination complète des SP comme unique
condition pour un “vivre ensemble” et celui de la privation comme seule finalité des actions de
préventions et de soins. Cette politique s’appuie sur une stabilité entre risque, plaisir et souffrance
et sa pratique s'établit sur l’accueil sans conditions préalables8
. Des résultats en France sont
6
BERGERON Henri et COLSON Renaud, les Drogues face au droit, Paris, Puf, 2015
7
Commission Globale de politique en matière de drogues , Régulation – Pour un contrôle responsable des drogue, rapport, 2018
8
JAUFFRET-ROUSTIDE Marie, Succès et limites du modèle des risques à la française, Alcoologie et addictologie, 2011, vol.33, p.
101-110
3
notables : entre 1994 et 1999, il y a une baisse de 80% des overdoses et une réduction de ⅔ de
morts du sida9
. Également, le programme d’échange de seringues instauré en 1994 par Simone
Veil10
et initié 4 ans plus tôt par Médecins du Monde permet aux usagers de mieux appréhender
les risques que leur consommation implique et de faire réduire les taux de contamination du sida
de 30% en 1992 à 3% en 200111
.
De l’autre côté de la frontière, en Suisse, les résultats de cette politique sont également
notables. Pays pionnier de lieux d’accueils de réduction des risques pour les consommateurs -
incluant leur instauration, leur développement et leur acceptation- il a su mettre à profit leurs
réussites dans le débat public. A Berne par exemple où la première Salle de Consommation à
Moindre Risque a ouvert en 1986, la criminalité liée aux SP a été réduite de 70%, les infections
du sida de 80% et les décès à cause de la consommation de SP de 50%. Tout cela s’est réalisé
entre 1975 et 200512
. Bien que la Suisse ait connu des épisodes important de scènes ouvertes13
,
incomparable en France, ces mesures peuvent être prises pour prévenir des risques et
accompagner les usagers déjà intégrés dans le processus d’addiction. Malgré ces chiffres positifs,
la précarisation des usagers tend à augmenter depuis quelques années et la Suisse vit cette
situation tout autant que la France14
.
Il est évident qu’il n’existe pas une unique stratégie en mesure de répondre à l’ensemble
des problèmes sanitaires auxquels notre société doit faire face. Néanmoins, la convergence
d’actions complémentaires permet d’aider à réduire le caractère dommageable qu’implique une
consommation de psychotropes. Ces actions impliquent l’intervention et la prévention en amont
et la Réduction des Risques (au travers d’outils stériles notamment) selon les attentes et les
besoins de l’usager accompagné. La RdR doit par ailleurs perfectionner ses stratégies actuelles et
futures en développant par exemple des Salles de Consommation à l’exemple de la Suisse, des
Pays-Bas ou du Canada.
Les consommateurs de SP ont les mêmes besoins que les autres individus et les réponses
qui leur sont donné doivent être de même ordre que celles données à nous tous.
Habitant depuis enfant à la frontière franco-suisse, j’ai pris une certaine habitude à
comparer les lois, les normes, les offres culturelles ou sanitaires proposées de part et d’autre de
9
Ibid. Anne Coppel et la Réduction des risques
10
La réduction des risques infectieux chez les toxicomanes, conférence de presse de Simone Veil du 21 juillet 1994, consulté le
11/05/19
11
Observatoire français des drogues et des toxicomanies, Drogues et addictions, données essentielles, 2019
12
LSTUP, Salles de consommations, Réponses Drogues, 2017
13
Consommation de psychotropes dans l’espace publique
14
Information recueillie lors de l’AG du Quai 9, Mai 2019
4
cette frontière. Ce regard comparatif est intéressant dans la mesure où il permet de prendre du
recul sur les mesures prises pour répondre à une problématique nationale. En ce sens, lors de
mes arrivées à la gare de Genève, je me retrouvais non loin de ce préfabriqué vert pétant où des
“toxicos”, m’avait on dit, pouvaient consommer en sureté des SP. Cette salle de consommation
à moindre risque, appelée Quai 9 y est installée depuis 2001 à l'initiative de l’association Première
ligne. Ayant vécu des débats houleux sur l’utilité d’une telle salle au sein de cette ville m’a alors
questionné. Était-il préférable que des personnes fassent usage de substances psychotropes dans
l’espace public et laissent leurs matériels derrière eux avec tous les risques pour le consommateur
et pour l’ensemble des citoyens que cela implique ? Le premier risque la transmission de maladies
à travers les outils réutilisés, le risque d’overdose et une forte marginalisation. Les deuxièmes
risquent également de se blesser ou de contracter une maladie avec les outils (seringues etc.) qui
peuvent être présents dans l’espace commun. Ne serait-il pas moins dangereux que ces usagers de
psychotropes fassent ce qu’ils désirent, avec le moins de risques possibles pour eux et pour la
société ?
Il était ainsi temps pour moi de me questionner sur les actions mises en place en France
pour pallier à ces risques pris également par des usagers en France. Me rendant compte que sur
le sol français, seules deux salles de consommation étaient présentes et que la politique nationale
de réduction des risques n’était pas à la tête de ce qui pouvait se faire dans des pays voisins, je me
suis alors questionnée sur ce qui pouvait être fait sur notre territoire.
Loin non plus d’être complètement en décalage ou en retard avec les politiques européennes ou
internationales qui se lançaient, j’ai appris que la France avançait elle aussi, bien que lentement.
Au travers de différentes rencontres effectuées pour la rédaction de ce mémoire et des recherches
documentaires, mon avis a évolué. J’ai parfois eu des réserves à me déplacer dans les deux
CAARUD (Centre d’accueil et d’accompagnement à la réduction des usagers de SP) de Lyon
ainsi que dans le Quai 9 à Genève. Cela m’a pourtant permis de me rapprocher d’un milieu qui
m’était étranger. Être en réelle proximité avec des usagers de SP, m’entretenir avec une
sociologue, cinq éducateurs spécialisés, un pharmacien, quatre autres personnes bien ancrées en
addictologie et enfin recueillir des informations très pragmatiques au travers d’un questionnaire
en ligne (15 réponses), m’a beaucoup apporté quant au jugement que j’ai pu avoir et à l’objectivité
que j’ai voulu tenir.
Par ailleurs, j’ai écouté un grand nombre d’interviews d’usagers et de spécialistes en
addictologie dans le champ médical, sociologique et social afin d’élaborer des solutions s’adaptant
aux éléments recueillis. J’ai lu divers ouvrages ayant trait à la SP et à ce qui l’entoure ainsi que
des revues écrites par des usagers de SP (ASUD notamment). Enfin, j’ai questionné mon
5
entourage sur leur vision de la réduction des risques, et fait usage d’œuvres culturelles pour avoir
d’autres points de vue.
Finalement, m’éloigner des préjugés et d’une morale inconsciemment intégrée a constitué l’une
des difficultés les plus présentes pour la rédaction de ce dossier.
De ce fait, tout au long de ce mémoire, nous tenterons de répondre à la problématique
suivante :
En quoi est-il plus enviable pour les usagers de psychotropes de passer d’une politique de
répression à une politique d’accompagnement ?
Nous nous concentrerons principalement sur les addictions aux substances psychoactives
(ce qui est principalement consommé en salle de consommation soit l’héroïne, la cocaïne, le
crack, les nouvelles substances psychoactives etc.) en zone urbaine15
.
Nous ferons tout d’abord l’état des lieux de la politique répressive contre les SP en
intégrant son évolution jusqu’à aujourd’hui. Puis, nous verrons ses effets sur la précarisation et
la marginalisation des usagers de substances psychoactives. Enfin, nous élaborerons des
recommandations dans l’optique de faire valoir les outils de réductions des risques.
15
Annexe 1 - La population fréquentant les CAARUD
6
I. La réduction des risques, une démarche pragmatique de
santé publique
A. Brève histoire des politiques de santé publique jusqu’à la
guerre contre la drogue
1. A l’origine
L’usage de substances psychoactives a surtout été, dans son histoire, implicitement régulée
et encadrée par des normes sociales. Parmi elles, les règles juridiques ont tenu une place
secondaire, les rapports entre les substances psychoactives et les êtres humains étant normalisés
et réglés par des savoir-faire ne se retrouvant alors pas aux mains du droit. Ainsi, sans oublier les
menaces d’intoxication et les risques d’accoutumance, des sociétés « traditionnelles » se sont
évertuées à en maîtriser la consommation en les intégrant à leur culture et en leur attribuant une
fonctionnalité sociale. Ces pratiques occasionnelles étaient soumises à des rituels religieux,
conviviaux ou médicaux, à des coutumes et à des règles plus ou moins strictes16
.
A ce jour nous savons que les hommes du néolithiques cultivaient déjà le pavot17
. Des
traces de l’usage d’opium en Mésopotamie (3000 avant notre ère) puis durant toute l’Antiquité
ont également été retrouvées. Les médecins grecques qui en faisaient l’usage mettaient déjà en
garde contre ses excès 18
. Les Indiens des Andes, consommaient depuis plus de deux mille ans
sans avaries la coca, une plante sacrée19
. Durant le Moyen-âge, l’opium a pris une place
prépondérante dans la médecine, et durant la Renaissance, le laudanum20
est inventé. Nous
retrouvons cet usage règlementé et spécifique dans les sociétés du monde avec du hashis au
Moyen-Orient, du kat en Éthiopie, de l’Ayahuasca dans les Andes, de l’Iboga au Gabon et du
Peyotl au Mexique.
2. Dès le XIXe siècle, une libre circulation des drogues
A partir du XIXe siècle, les usages de certains de ces produits se sont progressivement
détachés des dispositifs de régulations professionnelles, religieuses ou culturelles qui l’encadraient
jusqu’alors21
. C’est ainsi que le libre commerce des substances psychoactives, rouages du système
financier et économique international de l’époque a provoqué, par manque d’adaptation, des
16
Le Monde Diplomatique, « Drogues, changer la donne » Manière de voir (2019), n°163
17
BERGERON Henri, Renaud COLSON, Les drogues face au droit, Paris : PUF, 2015. P.5
18
LOWESTEIN William, TAROT Jean-Pierre, PHAN Olivier, SIMON Pierre, Les drogues, Cannabis cocaïne, crack, ecstasy,
héroïne, Paris : Flammarion, , 2005, p.52
19
Le Monde Diplomatique, « Drogues, changer la donne » Manière de voir (2019), n°163
20
Opium ramolli dans l'eau, d’après le Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales (CNTRL)
21
Ibid. Les drogues face au droit
7
abus alarmants dans le monde entier22
. Les Etats-Unis, à la suite de l’Europe expansionniste vont
en faire progresser la production, le commerce et donc la consommation23
. Aux moyens de leur
puissance industrielle de l’époque, l’alcool, le tabac, le haschisch, la cocaïne, via la feuille de coca
et l’opium vont être répandus de manière exponentielle. Des Empires ont prospéré grâce à son
commerce, puis ont été affaibli par sa sénescence. En 1880, même un pays aussi grand que l’Inde
britannique profite à 14% des revenus du pays de son exclusivité de l’opium24
. Cependant, les SP
sont à cette époque en « libre » circulation. Cela produit une profonde tragédie humaine que
représente le fléau chinois de l’opium25
. Les grandes puissances de l’époque, à savoir l’Angleterre
et la France se font la guerre pour en avoir l’exclusivité par l’intermédiaire de conventions
internationales censées modérer les toxicomanies26
. La Régie indochinoise de l’opium créée par
la France fera concurrence à la Grande Bretagne pour l’approvisionnement en Europe27
. En près
d’un demi-siècle en Chine, des milliers de tonnes achèvent de mettre à bas le pays plus civilisé et
le plus peuplé du monde28
. Ses réserves se réduisaient à mesure que l’importation de SP était
importante, près d’un quart d’hommes chinois en faisaient l’usage et des dizaines de millions en
étaient dépendants29
. Malgré les demandes de l’Empereur, qui en prohibe la consommation et
l’importation, l’Angleterre qui considère “inopportun d’abandonner une source de revenus aussi
importants” 30
lui livre deux guerres31
et se fait concéder Hong Kong après avoir forcé ses portes.
Au premier ministre de l’époque, lord Palmerston de rassurer que “l’opium n’est pas plus
meurtrier que l’alcool”32
qui coûte par ailleurs moins cher que ce dernier en Angleterre à cette
époque.33
3. La place au contrôle contre un “problème” mondial
Face à cet avènement du commerce des SP, la consommation a considérablement
augmenté au niveau de l’Europe et dans leur sillage, les exportations de feuilles de coca et de
cocaïne aussi. Synthétisée pour la première fois en 1860 en Allemagne, cette dernière fut
22
Le Monde Diplomatique, « Drogues, changer la donne » Manière de voir (2019), n°27
23
Ibid.
24
Office des Nations-Unies contre la drogue et le crime, Cent ans de contrôle des drogues, Vienne, Nations-Unies, 2014
25
Ibid.
26
LOWESTEIN William, TAROT Jean-Pierre, PHAN Olivier, SIMON Pierre, Les drogues, Cannabis cocaïne, crack, ecstasy,
héroïne, Paris : Flammarion, , 2005, p.52
27
Ibid.
28
Le Monde Diplomatique, « Drogues, changer la donne » Manière de voir (2019), n°163, p27
29
Office des Nations-Unies contre la drogue et le crime, Cent ans de contrôle des drogues, Vienne, Nations-Unies, 2014
30
COPEL Anne et Christian BACHMANN, Le Dragon domestique, Paris : Albin Michel, 1989
31
La première a été conduite par l’Angleterre en 1939 et la seconde par la France et l’Angleterre en 1856
32
Le Dragon domestique, op.cit
33
Dr William LOWESTEIN, Dr Jean-Pierre TAROT, Dr Olivier PHAN, Pierre SIMON, Les drogues, Cannabis cocaïne, crack,
ecstasy, héroïne, Paris : Flammarion, 2005, p.52
8
commercialisée de manière agressive et entraîna des outrances dans le monde entier34
. A cette
époque, il a été considéré comme primordial de contrôler l’usage des SP. Ainsi, depuis le début
du XXe siècle,35
l’interdiction de la production représente le fondement de l’ensemble des actions
et politiques contre les SP appliquées par la communauté internationale. La notion de
développement de culture alternative émerge ainsi afin que les producteurs ne cultivent plus de
pavot ou autre substances destinées à leur transformation en SP36
.
En 1906, à l’initiative du président américain Roosevelt convaincu par l’évêque américain
C.H Brent , une commission internationale de l’opium se réunit37
à Shanghai et tente de fonder
les principes de la prohibition de l’usage non thérapeutique des SP38
. C’est à la Haye, en 1912
que le tout premier traité international sur le contrôle des SP au niveau mondial est rédigé. Cette
convention internationale de l’opium marque la naissance d’un contrôle mondial du commerce,
de la culture et de la consommation d’opium mais également d’héroïne, de morphine et de
cocaïne39
. Bien que ce texte soit une première dans la lutte contre les substances psychoactives, il
faudra attendre une douzaine de déclarations et d’accords au cours du siècle suivant pour
constituer un corpus significatif de droit international40
.
Durant le XXe siècle, de nombreux traités internationaux vont être votés et des
résolutions vont être ratifiées pour criminaliser certains usages de SP. Des pays vont prendre des
mesures plus ou moins répressives face à la consommation de substances psychoactives tandis
que d’autres attendront la fin du siècle pour en appliquer une prohibition sévère.
Durant l’entre-deux guerres, trois conventions ont été adoptées. En 1920, le Comité
consultatif sur le trafic de SP nuisibles est institué comme premier organe de lutte contre les SP.
Il peut être considéré comme le précurseur de la Commission des stupéfiants de 194641
rattaché
à l’Organisation des Nations-Unies. La “convention pour la répression du trafic illicite des SP
nuisibles” de 1936 représente le premier écrit international à “criminaliser certaines infractions
liées aux SP”42
.
Après la seconde guerre mondiale, l’ONU donne un nouvel élan à la lutte contre les SP
via différents protocoles43
. En 1948, l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) est créée et des
34
Ibid. Cent ans de contrôle des drogues
35
Id. « Drogues, changer la donne » p.26
36
Déborah Alimi, “Drogues, et développement : vers de nouvelles perspectives ?” Drogues, enjeux internationaux, n°11, OFDT,
juin 2018, consulté le 18/04/19
37
Chronologie : 100 ans de contrôle des drogues, UNODC
38
BERGERON Henri, Renaud COLSON, Les drogues face au droit, Paris : PUF, 2015. P.66
39
Ibid.
40
Office des Nations-Unies contre la drogue et le crime, Cent ans de contrôle des drogues, Vienne, Nations-Unies, 2014
41
BERGERON Henri, Renaud COLSON, Les drogues face au droit, Paris : PUF, 2015, 109p
42
Le Monde Diplomatique, Manière de voir (2019), n°163, Drogues, changer la donne
43
Office des Nations-Unies contre la drogue et le crime, Chronologie : 100 ans de contrôle des drogues, Vienne, Nations-Unies,
2014
9
“experts condamnent la coca pour son caractère “addictif” quatre ans plus tard. En 1955, le
protocole de l’opium qui limite son commerce et sa production aux seuls besoins scientifiques et
médicaux est signé44
. Cette même année, la France créé l’Office central pour la répression du
trafic illicite des stupéfiants (OCRTIS) qui succède au service central des stupéfiants de 1933.45
L’année charnière que représente 1961 a vu se mettre en place un instrument encore au cœur du
système actuel de contrôle international des stupéfiants (pour les 184 pays l’ayant ratifiée): la
convention unique sur les stupéfiants.46
Elle répertorie une liste comportant 108 substances
synthétiques ou naturelles contrôlées. Et promulgue par ailleurs illégales, au niveau mondial, le
cannabis, la coca et le pavot (sauf pour l’industrie pharmaceutique pour ces deux derniers). Cette
même année, l’Organe international de contrôle des stupéfiants (OICS) est créé. La Convention
sur les substances psychotropes (183 pays signataires) de 1971 ainsi que la Convention des
Nations-Unies contre le trafic illicite de substances psychotropes et de stupéfiants (189 pays
signataires) de 1988 s’y sont adjoint. Les organisations internationales (OMS, ONU) ont donc
un rôle non négligeable dans les directions que peuvent prendre les programmes d’ajustement et
des réformes des politiques sociales.
4. Une remise en question commune de la lutte anti-drogue
Le bilan de ce siècle de prohibition ne fait pas l’unanimité, bien au contraire. Depuis les
années 1970, un grand nombre de programmes se sont suivis, pour accompagner cette politique
de prohibition quasi-mondiale qui a pour vocation de supprimer, voir amoindrir les cultures
agricoles illégales de coca, de cannabis ou encore de pavot à l'opium. 47
Mais les politiques mises en œuvre ont souvent été appliquées de manière déséquilibrées
à cause des approches sécuritaires favorisant l’éradication. Les prévisions de l’époque étaient de
décourager par tous les moyens la consommation, avec une augmentation du prix au détail due
à la diminution, sinon la suppression de cultures illégales. Le président américain Nixon déclare
même lors d’une allocution en 1971 la SP comme principal ennemi de l’époque, qu’il est
primordial d’éradiquer48
. En France, l’adoption de la loi du 31 décembre 1970 , inscrite dans le
code de santé publique prohibe l’usage des stupéfiants et réprime de manière sévère le trafic de
SP illicites. Avec une approche moins manichéenne, la convention unique de 1961 est amendée
par un protocole permettant de mettre en avant l'importance de l’accès à des services de
traitement, de préventions et de réadaptation. Ainsi la “guerre contre la drogue” s’est faite par
44
Ibid.
45
Police nationale, Office Central pour la Répression du Trafic Illicite des Stupéfiants, 2011
46
BERGERON Henri, Renaud COLSON, Les drogues face au droit, Paris : PUF, 2015. 109p
47
CHOUVY Pierre-Arnaud, « La guerre contre la drogue : bilan d’un échec », La vie des idées, 2015
http://www.laviedesidees.fr/La-guerre-contre-la-drogue-bilan-d-un-echec.html, consulté le 10/04/2019
48
Ibid.
10
l’application d’une multitude de dispositifs répressifs et l’interdit était donc la norme avec peu
de marge de manœuvre.
Certains pensent qu’elle a permis de réduire drastiquement la production illégale de SP
(James Windle, Graham Farrell) et d’autres au contraire, qu’elle l’a dynamisé ( J.J. Hobbs, Janet
Roitman)49
. Trente ans après, bien que les efforts déployés aient été important, la production
agricole ainsi que les usages ont fortement augmentés et se sont diversifiés. Les produits illégaux
de qualité ont augmenté sur le marché mondial. En mars 1995, après trente ans de lutte anti-
drogue, l’administrateur de la Drug Enforcement Administration50
, Thomas Constantine,
déclare devant le Congrès américain que la “disponibilité et la pureté de la cocaïne” était “plus
élevées que jamais”51
. La production de cocaïne, de cannabis, et d'héroïne ne s’est pas réduite
dans la plupart des pays producteurs, comme en témoignent les exemples du Pérou, du Maroc,
de l’Afghanistan, du Laos, de la Birmanie et de l’Inde52
. Cependant cette éradication forcée a
bénéficié de financements sans commune mesure avec ceux consacrés aux politiques de
développement économique ( développement intégré, cultures de substitutions…)53
. De manière
générale, l’Asie a connu les plus grands succès et les plus grands échecs de la lutte contre la
répression de SP54
. En témoignent la suppression brutale de la grande exploitation chinoise dans
les années 1950, et l’augmentation exponentielle de la production en Afghanistan dès les années
1990.55
Cet échec de la lutte antidrogues est difficilement assumée par les principaux acteurs,
dont notamment l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC) qui fournit
des rapports comparant les avancées, réelles ou supposées de cette lutte. Celui de 2006 fut
particulièrement critiqué pour les chiffres mis en avant qui ne reflétaient pas une réalité objective.
Cela lui valut d’être accusée de s’inscrire dans une politique de déni56
. Ainsi, après une trentaine
d’années de prohibition assumée, certains Etats remettent en doute cette politique chronophage
et onéreuse. Ainsi, au sein d’un certain nombre de pays membres de l’OCDE, les politiques
sociales prennent depuis deux décennies d’autres directions57
.
B. Des politiques de prohibition à la réduction des risques
49
Ibid.
50
DEA représente le service des États-Unis de police fédérale “chargé de la lutte anti-drogue”
51
FALCO Mathea, « Drug Prevention Makes a Difference”, Global Issues. An Electrical Journal of the US Information Agency, Juin
1997, vol.2, p.20-23
52
CHOUVY Pierre-Arnaud, Uncovering the Politics of the Poppy, New-York/Londres, I.B. Tauris, 2009
53
Ibid.
54
COPPEL Anne, « Aux racines de la prohibition », Anne Coppel, 1989, http://www.annecoppel.fr/chapitre-16-aux-racines-
prohibition/, consulté le 10/04/2019
55
CHOUVY Pierre-Arnaud, Uncovering the Politics of the Poppy, New-York/Londres, I.B. Tauris, 2009
56
Ibid.
57
CHÂTEAUNEUF-MALCLÈS Anne « Les politiques sociales », ENS de Lyon, http://ses.ens-lyon.fr/articles/les-politiques-
sociales--82245, consulté le 1/05/19
11
1. Politiques et législations nationales de lutte contre les usages
et les trafics
Les principaux objectifs des lois consécutives sur les substances psychoactives ont été de
réprimander et de criminaliser les populations usagères de produits illicites. Motivé par le dogme
du contrôle et punition58
, l’Etat français fait toujours la différenciation entre ce qui constituerait
le Bien (« drogues » légales : alcool tabac) à celles s’intégrant à la catégorie du “Mal” (« drogues »
illégales : cannabis, cocaïne, héroïne…). Ainsi les réponses publiques sont souvent difficilement
applicables car elles soulèvent des polémiques autour du légal et de l’illégal et de la prévention et
de la répression59
. En outre, la France adopte une approche moralisante face aux questions
d’addictions, ce qui nuit au débat60
.
A l’instar de la majeure partie des pays européens,61
la France a ratifié les trois conventions
des Nations-Unies (de 1961, 1971 et 1988) qui réglementent le régime juridique des substances
psychoactives62
et sanctionnent indirectement l’achat ou la détention de SP pour usage personnel.
Néanmoins, contrairement à l’Espagne, l’Irlande, la Belgique, ou l’Italie, la France ne fait pas de
distinction dans sa législation entre les produits (entre drogue “douce” et “dure”) et le contexte
d’usage (dans un lieu privé ou public)63
. De plus, l’usage des SP en France est actuellement régie
par les lois du 31 décembre 1970 et du 5 mars 200764
qui reposent principalement sur
l’interdiction pénalisée de l’usage d’une part; et la répression des profits illicites et du trafic
d’autre part65
. Elle fit votée dans le contexte particulier et contestataire de 1968 qui remettait en
cause dans une moindre mesure un système social sclérosant. De par son caractère répressif, elle
a pu être assimilée à une volonté de contrôler et de normaliser une jeunesse non-conformiste
directement imprégnée à cet usage. Dans les années 1972-1973, un fort climat de mortalité
s'établit en Europe avec la rapide transmission du SIDA et un taux important de morts par
overdoses. Par ailleurs, l’augmentation de la consommation d’héroïne touchant particulièrement
la jeunesse fait prendre conscience aux politiques du phénomène social de consommation de
58
Cf l’ouvrage de Michel Foucault « Surveiller et punir » paru aux éditions Gallimard en 1975
59
PINELL Patrice et Markos ZAFIROPOULOS «Drogues, déclassement et stratégies de disqualification », Actes de la recherche en
sciences sociales, vol. 42, 1982, p.61-75
60
BERGERON Henri, Renaud COLSON, Les drogues face au droit, Paris : PUF, 2015. P.66
61
Caroline Protais, « Législations relatives aux stupéfiants en Europe en 2016 : points communs et divergences », Saint-Denis,
n°2016-05, Ofdt, 2016, consulté le 10/04/19
62
Santé publique, Substances illicites : que dit la loi ?, En ligne,
http://inpes.santepubliquefrance.fr/10000/themes/drogues/substances-illicites-loi.asp, consulté le 10/04/2019
63
Insee, Infraction constatée à la législation sur les stupéfiants, En ligne, 2016,
https://www.insee.fr/fr/metadonnees/definition/c1381, consulté le 10/04/2019
64
Perrine Kervran, L'usage des drogues (3/4), Entre licite et illicite, France culture, (En ligne), 2019, 55 min.
https://www.franceculture.fr/emissions/lsd-la-serie-documentaire/lusage-de-drogue-34-entre-licite-et-illicite, consulté le
25/05/19
65
Santé publique, Substances illicites : que dit la loi ?, En ligne,
http://inpes.santepubliquefrance.fr/10000/themes/drogues/substances-illicites-loi.asp, consulté le 10/04/2019
12
SP66
. Dans le même sens, Jacques Sallebert affirme en juillet 1971 dans une archive télévisuelle
du club de la presse67
que la France est en passe de devenir un pays de consommation et non plus
seulement de transit et de transformation comme elle se rassurait à le croire.
Il y a 12 ans, la loi du 5 mars 200768
différencie sans le
formuler clairement néanmoins deux sortes de politiques publiques
concernant des consommateurs de SP. La première, seulement
répressive, ne porte que sur les infractions réalisées par des personnes
sous l'emprise d’une SP. La seconde vise les simples consommateurs, et change le régime de
prévention prédominant jusqu’alors pour tendre vers une politique de la dissuasion par la
répression. Voici quelques éléments concernant les risques de condamnations actuelles pour
usage et trafics de SP :
a) Usage69
L’usage de toute substance psychoactive (du cannabis au même titre que du crack) est
considéré par la loi comme un délit et l’usager encourt donc à une peine d’un an
d’emprisonnement maximum et de 3 750€ d’amende. Les mineurs peuvent également être
condamnés, suivre des soins ou un stage de sensibilisation aux risques lié à l’usage des SP.
b) Trafic70
La vente, l’offre, l’importation ou l’exportation de substances psychoactives sont punis de
10 ans d’emprisonnement et de 7 500 000€ d’amende. Vendre ou offrir une « drogue » à une
personne pour sa consommation personnelle risque au maximum cinq ans d’emprisonnement
et 75 000€ d’amende. Enfin, cultiver chez soi des « drogues » est passible de vingt ans de réclusion
criminelle accompagné de 7 500 000€ d’amende.
c) Des conditions de condamnations en évolution
66
CHOUVY Pierre-Arnaud, « La guerre contre la drogue : bilan d’un échec », La vie des idées, 2015,
http://www.laviedesidees.fr/La-guerre-contre-la-drogue-bilan-d-un-echec.html, consulté le 10/04/2019
67
INA, Jacques Sallebert à New York, (En ligne), https://m.ina.fr/video/CAF94074627/jacques-sallebert-a-new-york-
video.html, consulté le 10/04/2019
68
COPPEL Anne« La répression aggravée des usagers de stupéfiants depuis la loi du mars 2007 », Anne Coppel, 2010,
http://www.annecoppel.fr/chapitre-16-aux-racines-prohibition/, consulté le 10/04/2019
69
Santé publique, Substances illicites : que dit la loi ? En ligne,
http://inpes.santepubliquefrance.fr/10000/themes/drogues/substances-illicites-loi.asp, consulté le 10/04/2019
70
Ibid.
13
En 2015,71
les condamnations pour Infractions à la Législation sur les Stupéfiants (ILS) s’élèvent
à 8,6% du total des condamnations pour cause de délit. Cela représente chaque année environ
50 000 condamnations en France.72
Les condamnations
pour délits se distinguent ainsi : 56% pour usage illicite,
21% pour détention et acquisition, 14% pour le
commerce-transport, 3% d’import-export, 4% pour offre
et cession, etc. Enfin, les peines d’emprisonnement fermes ou avec sursis partiel concernent
12,6% des condamnations pour usage illicite73
. Ces résultats sont en corrélation directe avec la
politique pénale mise en application vis-à-vis des usagers de SP. Il y a ainsi une réponse graduée
au délit selon la nature du produit saisi, de sa quantité et de la réitération ou non de l’acte.
On remarque ainsi sur ce diagramme du Ministère de la Justice que les condamnations
pour Infractions à la législation sur les usages sont en augmentation depuis les années 2000. Sur
le graphique ci-dessous, répertoriant entre autre les usages illicites de stupéfiants de 1990 à 2009,
71
Ibid.
72
Le Monde Diplomatique, Législations sur les stupéfiants, En ligne, https://www.monde-diplomatique.fr/cartes/legislation-drogues,
consulté le 10/04/2019
73
Observatoire français des drogues et des toxicomanies, Interpellations et condamnations pour infraction à la législation sur les
stupéfiants parmi les femmes - Évolution depuis 1995, 2017, (En ligne), https://www.ofdt.fr/statistiques-et-infographie/series-
statistiques/interpellations-et-condamnations-pour-ils-evolution-depuis-1995-femmes/, consulté le 10/04/2019
Évolution du nombre de condamnations par sexe parmi l’ensemble des personnes condamnées pour ILS,
France entière (1996-2015)1
Évolution des infractions à la législation sur les
stupéfiants en Europe
14
trois fois plus de condamnations sont enregistrées en 2009 qu’en 2004. Par ailleurs, on remarque
au travers de ces deux graphiques que les condamnations pour usage de substances psychoactives
représentent près de la moitié des condamnations en terme d’ILS74
.
Les alternatives aux poursuites (amendes ou prison) concernant les affaires traitées par les
parquets et jusqu’à 2015 sont constituées de rappels à la loi et d’avertissements. Les injonctions
thérapeutiques et les orientations vers des structures sociales et sanitaires (qui moins coûteuses)
sont également appliquées75
. Mais nous sommes face à une politique de fermeté.
2. De la prohibition à la réduction des risques
a) Une démarche tardive et modeste
Le modèle de répression mis en place dès les années 1960 et amplement mis en échec76
a
concouru à enrichir les trafiquants de SP à détériorer l’état de santé des usagers en favorisant la
propagation des hépatites et de l’épidémie du VIH, à les marginaliser et à les stigmatiser77
. Face à
la fin des consensus politiques et juridiques internationaux valorisant durant des années le
modèle d’une société sans SP, une division est en train d’apparaître. La ratification de traités
internationaux n’interdit pas les Etats d’appliquer des mesures qu’ils jugent nécessaires en terme
de santé publique. Cela rejoint ainsi le concept de « biopolitique » pensé par le philosophe Michel
Foucault qui met en avant la prise en compte de la santé des individus pour ériger des lois. Cela
institue donc le passage d’une société dont le pouvoir interdit ou réprime parce qu’il a le droit
de le faire, à celui de l’interdiction justifiée par le soucis de la population. Dans ce sens, certains
pays78
ont décidé d’un côté de décriminaliser les SP (à l’image des Pays- Bas, de l’Allemagne et de
l’Espagne) ou d’établir une dépénalisation de la consommation (le Portugal), voire de légalisation
(l’Uruguay, trois États d’Amérique du Nord: le Colorado, l’Etat de Washington et l’Alaska).
D’autres (comprenant la Russie, les Philippines, la Chine ou la Thaïlande) ont décidé de
renforcer la prohibition avec une tolérance zéro allant jusqu’à la peine de mort.
La France, de par sa
faible culture de santé
publique et son approche
moins préventive que curative
est en retard par rapport aux
74
INFOSTAT JUSTICE, Bulletin d’information statistique, Avril 2011, n°114
75
COPPEL Anne, La répression aggravée des usagers de stupéfiants depuis la loi du mars 2007, Anne Coppel, 2010,
http://www.annecoppel.fr/la-repression-aggravee-des-usagers-de-stupefiants-depuis-la-loi-du-mars-2007/, consulté le 10/04/2019
76
Commission Globale de politique en matière de drogues , Régulation – Pour un contrôle responsable des drogue, rapport, 2018
77
JAUFFRET-ROUSTIDE Marie et GRANIER Jean-Maxence, Repenser les politiques, CAIRN, 2017, p.39-42
78
Ibid. Repenser les drogues
« Usager de drogues »
Le terme « usager de drogue » est un terme politiquement
correct qui a tenté d’être imposé par le biais de la révolution de la
réduction des risques pour parler des toxicomanes et des drogués.
15
Pays-Bas, à la Grande-Bretagne ou bien à la Suisse qui ont déjà mis en place des systèmes de soin
fournis aux usagers de SP79
. En Angleterre la politique de réduction des risques date de 1987, et
s’est progressivement construite autour d’une acceptation de la consommation80
. En France, c’est
principalement avec l’arrivée massive du SIDA et grâce à la forte pression de militants et
d’associations qu’une avancée dans le sens de la réduction des risques est établie81
. Cependant le
modèle de soin s’est d’abord construit autour d’une seule recherche d’abstinence. Puis au fil des
années et grâce à l’insistance entre autre de professionnels de santé, un schéma plus clair a été
considéré.
La réduction de la consommation de SP s’affirmant comme non applicable, il semblait
alors nécessaire de changer de paradigme afin de cohabiter d’une part avec les usagers de SP mais
également en vue de réduire leurs dommages. Ainsi, le schéma des risques est clair ; il est
préférable pour la société et l’usager que celui-ci ne consomme pas de SP. S’il en consomme, il
vaut mieux que ce soient les SP les moins dangereuses et de manière la moins dangereuse possible.
Il vaut mieux qu’il ne s’injecte pas de SP, mais si c’est tout de même le cas, il est préférable que
ce soit avec des seringues stériles.
b) Des applications de santé publique peu assumées
La France effectue donc un changement modeste et tardif. La libéralisation de la vente
des seringues en 1987 a d’abord été dans le domaine des usagers de substances la seule réponse
face au Sida82
. La réduction des risques infectieux chez les usagers de SP devient un dispositif
officialisé par Simone Veil en 1994 à travers les mesures de réduction des risques. Ce dispositif
comprend également des « boutiques » pouvant accueillir des consommateurs sans exiger d’eux
un renoncement à l’usage de SP, un Programme d’Échange de Seringue (PES), des équipes en
mesure d’accueillir les consommateurs à l’hôpital, des réseaux de médecins et un accès aux
traitements de substitution. Ce dispositif a été permis face à l’urgence de santé publique. A cette
époque, ces mesures subventionnées par le Ministère de la Santé sont expérimentales et seuls sont
informés les acteurs impliqués dans ces actions. En 1999, les mesures de réduction des risques
sont homologuées dans le dernier plan gouvernemental de lutte contre la toxicomanie et des
substances psychoactives. Il est par ailleurs défini qu’il est du rôle de la santé publique de définir
quelles sont les mesures permettant de faire face au risque. Il s’agit donc d’un tournant majeur.
Bien que les objectifs de lutte persévèrent, cette logique de réduction des risques s’établit. En
démontre la position de la France durant la session extraordinaire de l’Assemblée générale des
79
HUDSON TESLIK Lee, The Forgotten Drug War, Council on Foreign Relations, 2006
80
JAUFFRET-ROUSTIDE Marie et Jean-Maxence GRANIER, Repenser les politiques, CAIRN, 2017, p.39-42
81
MAESTRACCI Nicole, Eléments d’histoire sur la politique de réduction des risques en France, 2010
82
BERGERON Henri, Renaud COLSON, Les drogues face au droit, Paris : PUF, 2015. 109p
16
Nations unies (UNGASS) en avril 2016, la communauté internationale s’est employée à
continuer la lutte contre “le problème mondial des drogues”83
en prenant néanmoins en compte
la multiplicité de ces traitements possibles. La France s’est quant à elle jointe aux pays
revendiquant une approche de santé publique fondée sur le respect des droits de l’Homme, par
opposition à une vision explicitement prohibitionniste84
. Sa politique valorise une démarche
“équilibrée” des substances psychoactives, bien que moraliste et toujours répressive (par rapport
à ses voisins) sans se prononcer néanmoins au profit de la décriminalisation de la consommation.
Ainsi, bien que l’usage de substances psychoactives représente une pratique qui traverse
les générations et les sociétés, l’altération des états de conscience qu’elle cause interroge.
Ritualisée dans la « société Occidentale » jusqu’au tournant du XXe siècle, sa présence dans notre
société contemporaine, qui tend à une responsabilisation et une individualisation des actes, fait
de cet usage une pratique qui interroge sur ses représentations dans notre société.
83
Déborah Alimi, Drogues, et développement : vers de nouvelles perspectives ?, Drogues, enjeux internationaux, n°11, OFDT, juin
2018
84
JAUFFRET-ROUSTIDE Marie et Jean-Maxence GRANIER, Repenser les politiques, CAIRN, 2017, p.39-42
17
II. Les consommateurs dans la société, une relation
ambivalente
A. Les différentes pratiques de consommation
L’usage de substances psychotropes peut être justifié par de multiples raisons85
. Il peut être
considéré pour certaines personnes comme une expérience propre à l’existence humaine issue
d’une motivation à rechercher continuellement des récompenses et des plaisirs86
. Cette
motivation est lié au fonctionnement du circuit dopaminergique de la récompense dans le
cerveau de l’humain87
. L’usage de psychostimulants entraîne une augmentation, à durée variable,
des taux de dopamine dans le cerveau 88
. … Il existe de nombreuses raisons pour arriver à la
dépendance autant qu’à l’usage même si des similitudes se rejoignent. Certaines personnes sont
dans une quête d’autodestruction, d’autres entrent dans l’addiction sans la rechercher néanmoins
et certains encore consomment pour des raisons d’acceptations sociales.
La manière d’en faire usage, en termes de risques et d’apports a surtout évolué ces deux
derniers siècles. Des pratiques, tels que le jeu, la religion, le travail, le sexe, les achats, peuvent
par ailleurs être tout autant addictifs pour certains que des produits absorbés tels que le cannabis,
le chocolat, le tabac, les tranquillisants, le café, l’alcool
Selon les nations-unies, 275 millions de personnes feraient l’usage d’un produit stupéfiant au
moins une fois durant l’année et une trentaine de millions souffriraient de troubles due à cette
consommation89
. Dans la grande majorité des cas, l’usage
de drogues est une pratique sociale qui n’entraine pas de
dommages majeur ni pour la société ni pour l’usager ou pas
plus que pour l’alcool ou d’autres types de comportements
qui donnent lieu à la recherche de plaisir.
1. Les différentes manières de penser
l’addiction
85
Antoine Garapon, Ce que les drogues nous disent de notre société, France culture, (vidéo en ligne), 2017, 44 min,
https://www.franceculture.fr/emissions/les-discussions-du-soir-avec-antoine-garapon/ce-que-les-drogues-nous-disent-de-notre,
consulté le 25/05/19
86
MOREL Alain, COUTERON Jean-Pierre, Les conduites addictives: Comprendre, prévenir, soigner, Paris, Dunod, 2008, 338 p
87
Futura Science, Drogues, Circuit de la récompense et dopamine, 2010, En ligne, https://www.futura-
sciences.com/sante/dossiers/medecine-drogues-effets-dependance-961/page/9/, consulté le 10/05/19
88
Précisément dans le noyau accumbens
89
INRS, Données générales, http://www.inrs.fr/risques/addictions/donnees-generales.html, consulté le 10/05/19
Un usage à risque est un
« mode de consommation »
pouvant entraîner des
dommages sur les plans
social, physique et/ ou
psychique, en fonction des
usages, du contexte, des
18
Le terme d’addiction enveloppe une sorte de continuum d’échelle de consommation, du
plus insignifiant au plus pathologique, en passant par l’usage comportant des risques à l’usage
nocif. L’usage de SP spécifiques à l’accoutumance (qui se présente sous une forme psychologique,
biologique et sociale avec des difficultés à avoir un contrôle sur les prises) doit être distingué de
l’usage exceptionnel aux conséquences moins significatives et de l’abus.
La consommation « normale » pour un individu peut devenir de « l’abus » à travers des
occasions singulières, par exemple une femme enceinte qui ne change pas sa consommation
habituelle malgré le danger pour le fœtus. L’usage « à risque », signifiant donc que l’usage est fait
de manière inadaptée, provoque une souffrance cliniquement néfaste pour le sujet ou une
altération du fonctionnement. Néanmoins, à ce stade, le trouble reste réversible avec la volonté
de l’individu ainsi qu’avec la possibilité d’un accompagnement médical . La dépendance, quant
à elle, marque une perte de la liberté de se priver de la consommation.
Distinguer les trois « niveaux » de consommation, l’usage simple, l’abus et la dépendance,
c’est accepter de faire un pas vers une prévention ne se limitant plus à un « non à la drogue »
catégorique. C’est également
reconnaître, dans une moindre mesure
que l’expérimentation de substances
psychoactives ne se positionne pas
directement et systématiquement comme
un premier pas vers l’addiction. Cette
figure montre ainsi que les usages simples
regroupent un groupe de personnes qui
tend à se réduire dès lors que le
comportement d’usage se rapproche de la
dépendance et de la modification du
comportement de manière régulière. Les zones de passage entre ces « étapes » sont de durée
variées selon les personnes. Souvent, des personnes réduisent leur consommation avant de passer
à un usage plus conséquent. D’autres continuent pour diverses raisons. Mais ce qu’il en ressort
c’est que plus la souffrance prend pas sur le plaisir lors de l’usage et moins de personnes en
consomment90
.
90
MOREL Alain, COUTERON Jean-Pierre, Les conduites addictives: Comprendre, prévenir, soigner, Paris, Dunod, 2008, 338 p
19
2. Les usages nationaux actuels91
Les rapports actuels sont principalement établis par l’OFDT92
(Observatoire français des
drogues et des toxicomanies) et par TREND93.
Ils effectuent des états des lieux de la
consommation (à différentes échelles) au sein de la population française et servent à éclairer les
décisions publiques concernant les substances psychoactives ainsi que les professionnels du
champ.
Les usages actuels de SP diffèrent selon le produit et n’ont par ailleurs pas toujours été
constants, des augmentations ou diminutions ayant apparues selon les périodes. Il existe
différents niveaux d’usages : l’expérimentation (au moins un usage au cours de la vie), l’usage
dans l’année ou usage actuel (au moins un usage au cours des 12 derniers mois), l’usage dans le
mois ou usage récent ( au moins un usage au cours des 30 jours précédant l’enquête) et enfin
l’usage régulier (au moins un usage par jour au cours des 30 derniers jours)94
.
91
OFDT, Les niveaux d’usage des drogues illicites en France en 2017, 2018, n°128
92
C’est un groupement d’intérêt public créé en 1993 qui recueille, analyse, communique et fait la synthèse des observations et
enquêtes concernant les drogues (licites et illicites) les addictions et les jeux de hasard et d’argent, scientifiquement validées. Il a
pour but d’éclairer les pouvoirs publics, les professionnels et l’ensemble du grand public sur ces thématiques. Il est l’un des
relais de l’Observatoire européen des drogues et des toxicomanies (EMCDDA) qui fournit des rapports objectifs et
comparables à l’échelle européenne. Son financement est fourni par la MILDECA et par des crédits européens.
93
Mis en place en 1999, TREND est un dispositif national de collecte de données et d’informations s’appuyant sur un réseau
de 8 coordinations locales qui vise à décrire et comprendre les évolutions des pratiques, détecter les phénomènes émergeants et
assurer des veilles sur les nouvelles drogues et substances dangereuses.
94
INPES, Drogues illicites, 2015, (En ligne), http://inpes.santepubliquefrance.fr/10000/themes/drogues/index.asp, consulté le
10/05/19
20
Depuis 2014, le niveaux d’expérimentation des SP illicites (autre que le cannabis) dépend
nettement de l’âge et du sexe des individus. D’après les chiffres donnés par cette étude, nous
pouvons faire ce constat suivant : le taux d’hommes expérimentateurs est plus élevé que les
femmes pour toutes substances confondues. L’expérimentation est globalement dominante dans
les tranches d’âges les plus jeunes et diminue significativement dès 45 ans. Il ressort également
que la consommation de substances psychoactives, même de produits stimulants (comme la
MDMA ou la cocaïne) reste en France bien en dessous que la consommation de cannabis, avec
des taux des usages dans l’années à moins de 2% et d’expérimentations à moins de 6%.
L’expérience de la cocaïne paraît se stabiliser après 20 ans de hausse et un contexte de
grande disponibilité en France avec un recul parmi les jeunes adultes. C’est pourtant la substance
la plus consommée après le cannabis dans l’année. Les plus de 25 ans, à l’instar des 35-44 ans, en
consomment plus qu’en 2014, ils étaient 2,2% contre 2,3% en 2017,
Aussi, l’usage d’ecstasy et de MDMA durant la vie concerne majoritairement les hommes
(ils sont 7,3% contre 2,7% pour les femmes) et s’est accru depuis 2014. C’est donc au sein des
35-44 ans et des 45-54 ans que l’augmentation est significative, alors qu’il n’y a pas de
modification chez les jeunes adultes. Après une croissance importante entre 2000 et 2014, l’usage
de ces substances durant l’année est stable selon l’évaluation mentionnées plus haut.
21
L’usage de champignons durant l’année est très faible (0,3%), mais son expérimentation est
légèrement en hausse depuis 2014.
La consommation d’autres substances psychoactives est inférieure à 3% et n’a pas subi
d’évolution depuis 2014. L’expérimentation de LSD ne concerne que 2,7% de la population,
2,3% ont expérimentés les amphétamines, 1,3% l’héroïne, 0,7% le crack. 95
Ces taux ne représente qu’une très fine partie de la population (en moyenne 7,5
consommateurs pour 1000 habitants). Depuis 25 ans que l’OFDT produit ce baromètre santé,
les grandes tendances concernent toujours les hommes et jeunes adultes96
. La dernière décennie
a vu une hausse de la consommation globale, qui se stabilise globalement depuis 2014. Les
consommateurs se diversifient par ailleurs pour toucher davantage d’actifs en emploi et des
trentenaires. La consommation de cannabis est toujours importante parmi les jeunes adultes, et
près de la moitié des adultes l’a expérimenté. Ses usages dans l’année représentent un adulte sur
dix (6, 5 millions) contre un sur deux cent pour le LSD, l’héroïne, les amphétamines et le crack
(représentant environ f200 000 personnes). Chaque année, 105 000 citoyens sont concerné par
l’usage de l’injection, équivalent à une prévalence de 2,6 pour 100097
. Le marché des nouveaux
produits de synthèse (NPS) est également en évolution constante.
3. Les décès par overdoses
Les décès dû aux SP illicites sont estimés à 1600 (VIH, sida, surdoses, pathologies
chroniques dû au virus de l’hépatite C, accidents) par année98
. Depuis 2013, les morts par
surdose, liés aux amphétamines, aux nouveaux produits de synthèse et à l’héroïne, et également
à des détournements ou à des mésusages de médicaments, se montrent en hausse. Mais force est
de constater qu’ils sont moins nombreux que dans certains pays voisins d’Europe.99
En 2016,
l’enquête DRAMES restitue néanmoins une hausse du nombre de décès liés à l’usage excessif de
substances psychoactives (SP illicites et médicaments) de 243 pour 2014 à 343 pour 2015 et 406
en 2016 (qui peut être justifié par l’accroissement de la démographie). Le cannabis est impliqué
dans 30 de ces décès et n’en ai l’unique cause qu’au nombre de 16.
4. La banalisation de la dépendance
95
Plan Mildeca, alcool, tabac, drogues, écrans, Plan national de mobilisation contre les addictions, 2018–2022, 2017, 132p
96
Nous retrouvons également cela à Lyon (voir annexe 1.1 – les usagers de drogue à Lyon)
97
Ibid.
98
KOPP P., Le coût social des drogues en France, 2015, Saint-Denis, OFDT
99
Le nombre de surdose serait de 3 à 4 fois plus élevé en Allemagne et 6 à 8 fois plus au Royaume-Uni (Mildeca, 2018)
22
L’histoire des addictions (des « toxicomanies » et dépendances ) ne se fond pas avec celle
des SP. L’avènement de la notion de dépendance ainsi que des mots en « manie » ou « isme »
correspond à l’apparition de la société moderne, industrielle puis « post-industrielle », et avec la
notion d’une société basée sur l’individualisme démocratique, sur l’individu et sa liberté plus que
sur la communauté. Un modèle juridico-social fonde les politiques publiques et les
représentations sociales depuis près de deux siècles. Il attribue au problème le statut de « fléau
social » supplantant une certaine isolation sociale dont ils font pourtant la connaissance comme
le démontrent Mougotov et Lagrange et lui offrent comme réponse la standardisation des
comportements au travers de la loi et si besoin par l’action thérapeutique.100
Ce « problème » tend
plus à devenir une situation face à laquelle l’ensemble des acteurs politiques, sociaux et de santé
proposent des outils pour son accompagnement. Elle est catégorisée d’ordre publique puisque
des conséquences directes et indirectes dans l’espace public peuvent apparaître.
La dépendance, quand il s’agit de produits illicites, pose problème dans le sens où elle
réfrénée et punie101
et dans ce qu’elle produit chez le consommateur. Autrement dit, lorsque la
souffrance supplante le plaisir. Néanmoins, comme nous l’avons vu, le désir humain d’accéder à
une certaine jouissance mêlé à
l’accroissement de l’offre a
rendu un certain nombre
d’individus accro, dépendant à
des substances toujours plus fortes mais classées législativement comme illégales. Ainsi, ces
dépendances, à l’inverse de l’alcool ou du tabac par exemple, conduisent l’usager à une certaine
marginalisation de par la dangerosité qu’il fait encourir à la société selon l’Etat. La liberté
individuelle qui pourrait concéder à n’importe quel citoyen de se shooter, s’est vu être restreinte
pour justifications d’ordre et de santé publique. Cette même santé qui est pourtant mise à défaut
via le trafic clandestin de substances illicites produit de la criminalité et des abus de faiblesse ainsi
qu’une facilité de transmission de maladies et de surdoses chez le consommateur. Ce qui définit
la dépendance est également la perte de contrôle et les notions de « craving »102
et de compulsion.
Les dépendances ou addictions aux drogues sont couramment l’effet non désiré de l’usage
de produits euphorisants, stimulants ou sédatifs ayant d’abord été pris pour leur portée
psychoactive mais qui génèrent un dérèglement durable de la neurochimie de la récompense au
100
MOREL A., COUTERON J.P., FOUILLAND P., Aide-mémoire Addictologie, 2015
101
Annexe 2 – La double menace des drogues
102
Terme utilisé en addictologie signifiant un besoin irrépressible de consommer une drogue et d’en faire une recherche
compulsive. Il peut également être associé à un sentiment de rechute
L’addiction
Elle constitue la conception et la représentation de la défaite de la
quête de satisfaction, quête qui préside à la majorité des usages de
substances
23
sein du cerveau. Par ailleurs, ce qui distingue la prise d’une SP à la consommation de chocolat
par exemple est l’intention d’obtenir un effet psychoactif. Selon le choix de SP, l’effet sera bien
entendu différent. Ce qui présente un risque pour le consommateur, au-delà des propriétés
premières recherchées des SP, sont les effets nocifs pour sa santé. A court ou long terme et selon
la fréquence d’usage, les risques d'engouement et de progression de la consommation sont non
négligeables103
. Ils sont directement dû au caractère addictif des SP, variant selon le produit, ainsi
qu’à la tolérance physiologique de l’usager. Par exemple, l’héroïne et le tabac ont un caractère
plus addictif que la cocaïne prisée ou le cannabis104
. En effet, le tabac se place en 1re
place (32%
des usagers ont une dépendance), vient ensuite l’héroïne (23%), la cocaïne (17%) et l’alcool
(15%)105
.
Cette figure permet d’éclairer de
quelle manière la répétition des prises de
substances psychoactives de façon
rapprochée transforme peu à peu
l’expérience du plaisir à de la souffrance106
.
Différents mécanismes sont à prendre en
compte dans ce processus, à la fois sur les
plans psychosocial et biologique qui
peuvent être résumé en deux lois, la loi de
la récupération et la loi de l’élévation du
seuil de satisfaction107
.
a) La loi de la
récupération
Le fait de reproduire l’expérience intensément et de manière trop rapprochée conduit à avoir des
périodes de récupérations de plus en plus difficiles à accéder. Un effet indésirable plus long et
plus problématique est donc provoqué, ce que l’on peut voir sur cette figure.
Ainsi, chaque nouvelle consommation va devoir faire appel à une augmentation de l’intensité (de
même que par le mode d’administration et les mélanges). Ce contre-effet procurera chez le
consommateur l’envie de renouveler la consommation et d’augmenter les doses.
103
SANCHEZ Mario, Dans l’intimité des drogues, Paris, Editions Autrement, 2002, 197p
104
INSERM, Addictions, du Plaisir à la dépendance, (En ligne), https://www.inserm.fr/information-en-sante/dossiers-
information/addictions, consulté le 10/05/19
105
Annexe 3 – Taux de dépendance
106
Annexe 4 - Poème de David, Quai 9
107
MOREL Alain, COUTERON Jean-Pierre, Les conduites addictives: Comprendre, prévenir, soigner, Paris, Dunod, 2008, 338 p
24
b) La loi de l’élévation du seuil de satisfaction
Un état de besoin croissant est provoqué et la sensibilisation108
perçue par l’usager
intervient sur la mémorisation profonde et sur le long terme. Celle-ci est conjointement liée au
contexte de vie et n’est donc pas seulement un mécanisme biologique complètement autonome.
Avec ces deux lois, il y a une double “pente” inhérente du processus addictif qui se met
en place. Le degré de celle-ci dépend du produit, du contexte et des individus et le passage à
« l’addiction » n’est pas si rapide qu’imaginé109
. D’un côté, il existe une élévation du “seuil de
satisfaction”, autrement dit une proximité toujours plus importante de la zone de l’insatisfaction,
d’expériences douloureuses et des complications. De l’autre côté, il y a une difficulté à retrouver
un plaisir cherché et donc une intensification du recours à la substance.
5. Des facteurs de vulnérabilité
Il existe en effet différents
facteurs (environnementaux,
individuels et directement liés à la
substance) qui exercent une influence
sur les possibilités de devenir un usager
dépendant ou non. Ils peuvent être
regroupé sous trois ordres : individuels
d’abord, environnementaux ensuite
puis liés à la substance enfin.
Respectivement, il a été prouvé que
chaque personne est plus ou moins vulnérable face à l’addiction et qu’un pourcentage de cette
part est d’origine génétique110
. Les effets ressentis par chacun sont différents et certains peuvent
avoir une inclination pour cet état altéré et de désinhibition. En ce qui concerne les facteurs
environnementaux, la disponibilité du produit aura une importance. L’âge du début de
consommation impacte également ce taux potentiel d’addiction111
.
B. L’évolution du point de vue de l’Etat
108
Autrefois appelée « dépendance psychologique ».
109
Ibid. Les conduites addictives.
110
INSERM, Addictions, du Plaisir à la dépendance, (En ligne), https://www.inserm.fr/information-en-sante/dossiers-
information/addictions, consulté le 10/05/19
111
Ibid. Addictions, du Plaisir à la dépendance
Les différents facteurs d’influence
25
Si la consommation de substances psychoactives et leur commerce vivent une expansion
sans commune mesure dès le milieu du XIXe siècle, c’est à partir de la seconde moitié du XXe
siècle que la consommation telle qu’on la connaît aujourd’hui trouve ses prémisses. Les
substances se diversifient pour atteindre l’essentiel des produits actuellement ingérés: on retrouve
un usage important de cannabis dans les années 1960, l’apparition d’une consommation
d’héroïne dans les années 1970, du crack et de la cocaïne dès les années 1980, et enfin d’ecstasy
et des amphétamines dans les années 1990. Les populations usagères se diversifient également112
.
Après avoir été conquises par les étudiants durant les mouvements psychédélique et hippies des
années 1960, ce sont aujourd’hui plus fréquemment des ouvriers, des chômeurs, des jeunes de
milieux défavorisés, des étrangers ou des personnes en situation de précarité qui en consomment
plus régulièrement. Ce phénomène de démocratisation, particulièrement dans la tranche-d ’âge
18-25 touche toute l’Europe113
et selon Faugeron et Kokoreff la société moderne est une « société
avec drogues ».
Nous sommes passés d’une société unie autour du devoir vis-à-vis de la communauté, à
une autre qui met au centre le devoir de s’accomplir d’abord soi-même. Ainsi, les SP sont l’objet
d’un combat de valeur et d’une rupture profonde entre d’une part le besoin de sécurité et d’autre
part, la performance, le risque et la « flexibilité ». La morale salvatrice et binaire qui a entretenue
la « guerre à la drogue » apparaît aujourd’hui vaine et illusoire.
1. Une mise en perspective des limites entre le licite et
l’illicite
Les réactions diversifiées des individus face aux substances rend la conception d’une
législation égale pour tous difficile114
. Ainsi, la loi est parfois exclusivement instrumentalisée à des
intentions moins avouables. Débutant en Occident dans les salons de la haute société et de façon
festive, les usages évoluent pour gagner ensuite les classes sociales inférieures.115
Les dommages
restent toutefois similaires avec le développement d’un
commerce parallèle, de nombreux trafics et d’une spirale
autour de l’addiction. La législation évoluant au fil des
pratiques condamne jusqu’à présent de façon démesurée les
« drogues des pauvres » tels que la méthamphétamine ou le
crack, aux effets désastreux. Elle reste d’un autre côté indulgente quand il s’agit de la
112
BERGERON Henri, Sociologie de la drogue, Paris, La découverte, 2009, 128p
113
Ibid.
114
Annexe 5 - Consultation : La différence entre drogue « dure » et drogue « douce »
115
Perrine Kervran, L'usage des drogues (3/4), Entre licite et illicite, France culture, (En ligne), 2019, 55 min.
https://www.franceculture.fr/emissions/lsd-la-serie-documentaire/lusage-de-drogue-34-entre-licite-et-illicite, consulté le
25/05/19
En population générale, en
2017, 5% des 18-75 ans
consomment six verres ou plus
lors d’un même évènement
toutes les semaines
26
consommation de la bonne société. Face à cela, le concept de l’illégal et du légal peut donc
sembler dissocié de la véritable toxicité des produits actuels.
Les « drogues licites » en France causent de nombreux dommages. L’alcool tient la
première place du produit responsable de surdoses116
. Le tabac reste le « tueur en série historique»
avec 73 000 morts chaque année, l’alcool en cause 49 000 et les SP illicites 2000.117
Par ailleurs,
des nouveaux phénomènes de consommation apparaissent en France. Ainsi, d’après une récente
une récente enquête de l’INSERM, au cours du mois précédant, 44% des jeunes de 17 ans ont
vécu un épisode d’alcoolisation ponctuelle importante. De plus, en mai 2017, la consommation
d’un mélange de soda et de médicaments comprenant de la codéine a causé la mort de deux
jeunes. En population générale, en 2017, une étude de Santé publique France révèle que 5% des
18-75 ans « consommaient six verres ou plus en une même occasion toutes les semaines »118
, cela
exposant à des complications d’ordre social, psychologique et médical119
.
Par ailleurs, toutes les tentatives de législations françaises qui ont pu être mises en place
depuis les années 1970 ont souvent à voir avec le contrôle de certains groupes sociaux, à l’instar
du vote de la loi de 1970 ou du récent vote de l’amende forfaitaire concernant l’usage de
stupéfiants ouvrant insidieusement la porte du « contrôle au faciès ». La comparaison du
traitement politique, social et sanitaire fait à des consommateurs de groupes sociaux différents
illustre le fait que les politiques des SP sont emblématiques du contrôle que l’on veut faire poser
sur ceux-ci.
Bien que la légalisation ne soit pas autorisée par les conventions internationales qui
proscrivent toujours actuellement la production de substances illicites, il existe des changements
dans la classification de substances dans certains pays. 120
Cela démontre la porosité existant entre
les catégories du licite et l’illicite. L’Uruguay est le premier pays du monde à légaliser le cannabis
en 2013 ce qui lui a valu la forte réprobation d’instances internationales. Pourtant d’autres l’ont
suivi, à l’image de certains Etats des États-Unis par référendum ou le Canada. Le Portugal a quant
à lui dépénalisé la possession de petites quantités de SP et a placé sous l’égide du ministère de la
santé l’ensemble de la politique publique concernant les usagers de SP. Enfin, aux Pays-Bas, il
116
Annexe 6 – Classement des drogues en fonction de leurs menaces
117
Ibid.
118
BOURDILLON F. Éditorial. Alcool et réduction des risques (En ligne), 2019, http://invs.santepublique france.fr/beh/2019/5-
6/2019_5-6_0.htm, consulté le 25/05/2019
119
INPES, La santé en chiffres, alcool, (En ligne), http://inpes.santepubliquefrance.fr/CFESBases/catalogue/pdf/435.pdf,
consulté le 25/05/2019
120
Perrine Kervran, L'usage des drogues (3/4), Entre licite et illicite, France culture, (En ligne), 2019, 55 min.
https://www.franceculture.fr/emissions/lsd-la-serie-documentaire/lusage-de-drogue-34-entre-licite-et-illicite, consulté le
25/05/2019
27
existe une politique de tolérance et non de légalisation concernant le cannabis, qui provient
pourtant de marchés illégaux121
.
Voici « 1984, fictionette » un texte sorti en 1984 illustrant le détachement d’une époque,
malgré la condamnation policière et la prohibition dure122
. Il revient par ailleurs sur la
dénomination d’un produit en tant que « drogue » relevant plus d’une catégorisation politique
que d’effets réels et démontrés.
2. De la drogue aux prescriptions de médicaments, des
situations toujours addictives
A la différence de la prohibition et de la réduction des risques qui ont cherché
respectivement à punir le délinquant et à diminuer les effets de la consommation de l’usager, la
prise en charge médicale l’a vu comme un patient à soigner.123
Avec l’augmentation de la réponse
médicamenteuse, la politique de santé publique concernant des addictions aux substances illicites
se transforme petit à petit en « surveiller et guérir »124
.
Le consommateur de médicaments ressentira le même manque et la même souffrance
qu’un usager d’héroïne mais sa situation ne sera ni réprimée ni punie et ne fera pas non plus
l’objet de stigmatisations sociales comme le rappelle Marie Jauffret-Roustide.125
Cette situation
transcende les classes sociales et révèle les injustices où la justice est impuissante face aux stigmas
sociaux des « dominants » et des « dominés ». Il va y avoir une série de normes et d’interdits qui
vont définir ce qu’est l’individu contemporain, jusqu’où il peut aller et jusqu’où l’Etat français
s’autorise d’aller jusqu’au plus près de l’intime. Ainsi, sans toutefois régler le problème de la
toxicomanie, la substitution permet au patient de rester vivant pour suivre une thérapie. Aussi,
121
Ibid. L'usage des drogues (3/4), Entre licite et illicite
122
MARCHANT Alexandre, L’impossible prohibition. Drogues et toxicomanie en France, de 1945 à nos jours, Paris, Perrin,
2018, 579p
123
Jauffret-Roustide M. et GRANIER J.M., Repenser la politique des drogues, Paris, Esprit, 2017, pp. 39-54
124
Perrine Kervran, L'usage des drogues (3/4), Entre licite et illicite, France culture, (En ligne), 2019, 55 min.
https://www.franceculture.fr/emissions/lsd-la-serie-documentaire/lusage-de-drogue-34-entre-licite-et-illicite, consulté le
25/05/19
125
Nicolas Martin, Quelle frontière entre drogue et médicament ?, France culture, (En ligne), 2017, 58 min,
https://www.franceculture.fr/emissions/la-methode-scientifique/quelle-frontiere-entre-drogue-et-medicament, consulté le
25/05/19
28
cela lui permettra de réduire nombre de problèmes dus à l’interdiction des SP, autrement dit, à
l’interdiction du commerce.
En France, ce programme, considéré par un grand nombre comme une méthode
socialement efficace et libératrice pour les usagers de SP a connu différentes étapes depuis 1973.
Durant 20 ans, la substitution par méthadone avait un caractère expérimental126
. Dès 1995, il
acquiert le statut de médicament et est autorisé en vente sur le marché. L’effet de masse a gagné
et celui-ci se retrouve étendu dans des trafics de rue dès 2010127
. Le Subutex128
, supposé réduire
les risques, est fréquemment mélangé avec d’autres produits, injecté ou revendu pour acheter une
autre substance129
. La méthadone peut s’apparenter à un cache misère, et c’est tout là l’enjeu de
sa prescription, mais elle est également porteuse de l’opportunité d’une retour à soi-même et aux
sensations fondamentales envisagées comme restituables pour l’usager. Ce modèle de
substitution pour le sevrage des héroïnomanes est ancien et conserve une visée sécuritaire. Dans
un certain sens, il n’y a plus besoin de s’interroger sur les motivations de l’assuétude, ni sur les
problèmes culturels ou familiaux de l’usager. La finalité semble être pour certain une forme de
normalisation de l’usage. Néanmoins, le financement du traitement médical au travers du
remboursement des consultations et des médicaments à l’instar d’un développement d’une offre
de services psycho-sociaux fait débat. Il s’agit en outre de considérer d’une part l’usager comme
un malade ou bien comme une personne en souffrance psychique130
.
L’exemple de l’épidémie d’overdoses131
aux États-Unis montre à quel point un usage
dérégulé de médicaments (antidépresseurs, anxiolytiques, antidouleurs…) peut conduire à la
dépendance de substances encore plus fortes, telle que l’héroïne, ou à la mort132
. En ce sens,
nombre de médicaments sont intégrés au marché sans questionnement sur leurs effets
indésirables et causant des dizaines de milliers de morts chaque année dans le monde133
.
Les textes législatifs ne peuvent pas modifier les stigmates que vivent les usagers de SP. Ce
n’est qu’une modification des perceptions sociales qui peuvent aller à l’encontre de la
marginalisation ou l’exclusion que peuvent vivre les usagers de SP.
126
Ils étaient une cinquante de patients à recevoir des prescriptions de méthadone dans moins de trois centres spécialisés et ils
sont près de 50 000 en France en 2013
127
DUGARIN J., DUPUY G. et NOMINE P., Arrêter la méthadone, pour quoi faire ?, Psychotropes, n°2, 2013, pp. 9-22.
128
Sa consommation présente peu de risque d'overdose indépendamment de la dose consommée
129
Témoignage de Philippe, Educateur Spécialisé au CAARUD Ruptures de Lyon, avril 2019
130
COPPEL Anne, « Les politiques de lutte contre la drogue : le tournant de la réduction des risques », Les Cahiers de l’Actif,
n°310-311, mars-avril 2002, p11-22
131
L’opiacé synthétique l’OxyContin produit par Purdue Pharma (appartenant à la famille Sackler) est à l’origine d’une
importante épidémie d’overdoses causant la mort de près de 70 000 américains en 2017. Cela représente un plus de morts que
ceux causés par les armes à feu ou les accidents de la route. A titre de comparaison, en France, sont comptabilisés 243 morts par
overdoses en 2014
132
ROBIN Maxime, Le Monde diplomatique, Overdoses sur ordonnance, (En ligne), 2018, https://www.monde-
diplomatique.fr/2018/02/ROBIN/58390, consulté le 25/05/19
133
VIRAPEN John, Médicaments effets secondaires : la mort, Paris, Cherche Midi, 2014
29
C. La précarité, le marché de la drogue et la résistance
La toxicomanie peut s’apparenter à une sortie de la « galère » tout autant qu’elle peut en
être la destinée, avec l’absence de travail ou d’occupations, et des liens sociaux peu structurés et
flottants134
. Elle ne représente plus une sorte d’exploration de soi entre la période de l’adolescence
et de l’âge adulte mais bien le résultat ou la cause non systématiques d’une désinsertion
professionnelle, de chômage etc. Certains usagers prennent des risques sanitaires durant leur
consommation, comme le partage de seringues et se retrouvent avec une dégradation de leur
santé ou de leur situation économique et sociale comme la montré Pascalle Jamoulle.
1. Exclusion, précarité et problèmes d’insertions
professionnelles
Si l’on ne prend que les usagers ayant un comportement d’addiction, nous retrouvons
une prédominance d’hommes135
en situation de précarité. A Lyon, les femmes, peu nombreuses
sont principalement en couple ou, lorsqu’elles sont jeunes, dans des groupes mixtes d’après les
recensements CAARUD ou des CSAPA. Les groupes de « punk » sont de moins en moins
nombreux, plus souvent sont les jeunes qui descendent plus au sud ou qui souhaitent tester le
mode de vie nomade en période estivale. Environ âgés de vingt à trente ans, certains sont tout de
même des mineurs de 16 ou 17 ans, principalement en rupture familiale et parfois logés en foyer.
D’un point conjoncturel, le taux de pauvreté des moins de 25 ans a été multiplié par deux en à
peine quarante ans depuis 1970. 136
Au sein des usagers de SP, différentes nationalités sont représentées, à l’image de l’Europe
de l’Est, de l’Europe occidentale, du Maghreb. Les raisons de leur venue sont variables, il peut
s’agir de fuir la guerre dans leur pays d’origine ou de retrouver des membres de leur famille. Il
s’agit aussi parfois d’avoir accès aux soins pour soigner le virus du VIH ou l’hépatite C pouvant
être difficilement accessibles dans leur pays (pour cause d’absence de sécurité sociale, de coût
importants de traitement etc.). Enfin, certains arrivent par choix de vie nomade ou par
contraintes financières et psychiques. Les allers-retours avec le pays d’origine sont plus ou moins
choisis et fréquents137
.
En France, 140 000 personnes vivent dans la rue de manière occasionnelle ou
permanente et la moitié d’entre eux ont des conduites addictives (alcool, cannabis, tabac etc.) 138
.
134
Bergeron Henri, Sociologie de la drogue, Paris, La découverte, 2009, 128p
135
Ils sont 80% à Lyon. Témoignage de Nina Tissot, sociologue, mai 2019
136
Observatoire des inégalités, Pauvreté et précarité en chiffres, 2016, En ligne, https://www.inegalites.fr/Pauvrete-et-precarite-en-
chiffres, consulté le 12/05/19
137
TISSOT N., Phénomènes émergents liés aux drogues, 2017, OFDT
138
Bulletin Académique National de Médecine, Précarité, pauvreté et santé, n°4-5-6, 2017
30
Cette situation est d’autant plus vicieuse que l’isolement favorise directement l’exclusion des
réseaux de sociabilité et de soins et entraîne alors l’individu vers une marginalisation.
A Lyon, la situation de précarité est tout autant importante
qu’au niveau des usagers nationaux139
. Ils sont nombreux à
dormir en foyer d’hébergements, sous un pont, dans des
squats, et parfois chez des tiers. Certains vivent avec des
minimas sociaux et d’autres ne le souhaitent pas140
. Ils ont
connaissance des différentes structures d’accompagnement ou d’accueil vers lesquels ils peuvent
se tourner. Il peut être plus ou moins compliqué de se déplacer en transport en commun dans
la ville à cause des chiens qui n’étaient pas acceptés dans les transports en commun lyonnais
jusqu’à l’année dernière. Il en est de même pour les structures d’hébergement qui ne sont que
deux à les accepter. Ainsi, à cause de ces restrictions et difficultés, ils peuvent se retrouver
démotivés de rejoindre un CSAPA ou CAARUD141
.
Les consommations de SP peuvent alors aider à soutenir ce mode de vie, quel qu’en soit
la cause. Les SP représentent pour eux une aide pour supporter la vie, le froid ou la chaleur, aux
douleurs142
et conduisent à fréquenter un certain groupe de personnes de par la consommation
collective ou les réseaux de revente.
2. Des problèmes de santé
Cette consommation provoque des dommages psychologiques ou somatiques particuliers.
La situation de précarité chez les usagers de SP entraîne en effet une prévalence de maladies et
une mortalité importante. Elle peut être le résultat de situations médicales ou socio-économiques
(perte de revenus, exclusion sociale etc.) et se trouve encore plus fragilisée par la situation de
dépendance. Au-delà des préjudices liés à la consommation du produit, des études démontrent
que les consommateurs de drogues font particulièrement l’objet d’infections à l’hépatite C.
L’enquête ANRD-Coquelicot de 2011-2013 met en lumière la prévalence des anticorps anti-VHC
de 44% au sein des consommateurs de drogues et de près de 65% parmi les consommateurs de
SP par voie injectable ayant injecté au moins une fois durant leur vie143
. Le risque de maladies
cardio-vasculaire est multiplié par 1,4, maladies métaboliques par 2,9144
.
139
Ibid, Phénomènes émergents liés aux drogues
140
Certains souhaitent marquer leur dépendance vis-à-vis de l’Etat en n’acceptant pas l’aide financière. D’autres n’en n’ont tout
simplement pas l’accès à cause de leur situation irrégulière ou des démarches administratives complexes.
141
Témoignage de Philippe, Éducateur Spécialisé au CAARUD Ruptures de Lyon, avril 2019
142
Un usager de drogue rappelait cela lors d’une prise de parole à l’AG du Quai 9, mai 2019
143
WEILL-BARILLET L., et al. Hepatitis C virus and HIV seroprevalences (…) a comparison of geographical areas in France, ANRS-
Coquelicot 2011 survey. Revue d'Epidémiologie et de Santé Publique, Vol. 64, p. 301-312
144
Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale, Plan pluriannuel contre la pauvreté, 2016
D’un point conjoncturel, le
taux de pauvreté des
moins de 25 ans a été
multiplié par deux en à
peine quarante ans depuis
31
Nombreux sont les usagers ayant des infection ou abcès de par les injections faites dans
de mauvaises conditions d’hygiène et d’autres problèmes dû à la précarité (problèmes de dents,
de pieds, de peau…). L’usage de SP masque souvent ces douleurs mais peut néanmoins augmenter
les conséquences qui n’auraient pas été à la même échelle en temps normal. Cette année, les
CAARUD de Lyon ont comptabilisés un nombre plus important de décès en lien avec leur
usages, mais surtout inhérent à leur mode de vie et aux usages d’antalgiques ayant pour effets de
ne pas compenser les pathologies et aussi responsable du
retard de prise en charge de soins.145
Ils sont pour la plupart des polyconsommateurs et non pas
des polytoxicomanes, puisqu’ils ont généralement une
addiction à un seul produit mais des consommations accessoires de multiples produits146
. Leurs
consommations sont plus ou moins substituables selon les disponibilités et la qualité des produits
disponibles. Cela pourrait s’apparenter à un certain « nomadisme de défonce »147
, dû à une
précarité économique et parfois psychique. Le quotidien s’organise autour de la recherche du
produit, afin de soulager le manque et il prend ainsi toute la place : du temps, de l’argent et de la
sociabilité148
. En France, une personne « pauvre » bénéficie des prestations afin de réduire sa
pauvreté et sa précarité (au travers de minima sociaux, tels que le RSA, le minimum vieillesse, la
CMU etc.)149
On recense 5 millions de personnes vivent avec moins de 60% du revenu médian
en 2015150
.
La synthèse établit que les dommages liés à la consommation sont amplifiés si l’âge des
1re prises se situe en dessous de l’âge moyen d’initiation, si les consommateurs précoces se
tournent vers une plus grande variété que la moyenne, si le consommateur a des difficultés
sociales et personnelles, s’ils font l’objet de procédures de justice pénale et s’ils vivent des
expériences de privation de liberté. Mais les conclusions ne sont pas aisées à tirer, d’autant plus
qu’un comportement ne va pas systématiquement faire tendre l’usager vers la dépendance comme
le montre Peretti-Watel.
145
Information recueillie par un éducateur spécialisé du Quai 9 à Genève, mai 2019
146
Information recueillie par le psychiatre Louis Clave lors de Rencontre du film Oslo, 31 Août au Comoedia, Décembre 2018
147
TISSOT N., Phénomènes émergents liés aux drogues, 2017, OFDT
148
Nous pouvons retrouver cela dans le film Oslo, 31 août de Joachim Trier ou la pièce de théâtre Dans la solitude des champs de
coton de Bernard-Marie Koltès
149
Observatoire des inégalités, Pauvreté et précarité en chiffres, 2016, En ligne, https://www.inegalites.fr/Pauvrete-et-precarite-en-
chiffres, consulté le 12/05/19
150
Observatoire des inégalités, Les seuils de pauvreté en France, (En ligne), http://www.inegalites.fr/spip.php?article343, consulté
le 12/05/19
En 2015, 5 millions de
personnes vivent avec moins
de 60% du revenu médian en
32
Les consommateurs qui ont l’environnement social, culturel, intellectuel et affectif pour
maitriser le produit le feront plus rapidement et emporteront moins de stigmates que les autres.
Ces autres consommateurs à l’environnement moins favorables pourront avoir des handicaps
sociaux exacerbés par la consommation de produits psychoactifs151
. Sortir de l’addiction est un
douloureux combat avec soi-même. C’est pourquoi, si l’abstinence n’est pas la fin ultime de
certains usagers, la réduction des risques, sans les opposer peut permettre de ne pas aggraver
l’addiction et l’état de santé.
151
Nicolas Martin, Quelle frontière entre drogue et médicament ?, France culture, (En ligne), 2017, 58 min,
https://www.franceculture.fr/emissions/la-methode-scientifique/quelle-frontiere-entre-drogue-et-medicament, consulté le
25/05/19
33
III. La réduction des risque, politique plus viable que la
répression
A contre-courant de la loi de 1970, la politique de RdRD152
prend en compte les différents
risques liés à la consommation de substances psychoactives. Les risques somatiques (surdoses,
virus des hépatites C et B, accidents, des champignons ou bactéries ou champignons), les risques
sociaux, (insécurité routière, précarité, exclusion)153
, les risques psychiatriques (troubles anxieux,
dépressifs, de l’humeurs, psychoses etc.) et enfin, les risques judiciaires (incarcération, poursuites
pénales). La réduction des risques et des dommages se veut être une démarche de santé publique
utilitaire limitant les risques liés à l’usage de SP sans forcément avoir comme premier objectif
l’abstinence ou le sevrage154
. Elle prend également en compte les motivations et les conditions
dans lesquelles les personnes consomment afin de définir une stratégie adéquate et en accord
avec leurs besoins du moment et leur perspectives. Par ailleurs, plusieurs études démontrent que
la prise en charge socio-médicale des consommateurs de SP est plus opérante que leur
prohibition155
. C’est en ce sens-là que la politique de réduction des risques prend tout son sens.
A. Des programmes déjà ancrés sur le territoire français
1. Agir en amont avec la prévention
Une récente actualisation du plan de lutte contre les addictions de 2013-2017 visant à
intensifier cette politique a été validé via un nouveau plan pour 2018 et 2022. Établi autour de
6 axes, et proposant 200 mesures, il « met l’accent sur la prévention et apporte une attention
particulière aux publics les plus vulnérables du fait de leur âge ou de leurs fragilités»156
.
a) Intervenir selon le moment (t) de l’intervention
(OMS, 1948)
152
Réduction des Risques et des Dommages
153
Mildaca, La réduction des risques (RDR), 2015, https://www.drogues.gouv.fr/comprendre/ce-qu-il-faut-savoir-sur/la-reduction-
des-risques, consulté le 14/05/19
154
MOREL Alain, COUTERON Jean-Pierre, Les conduites addictives: Comprendre, prévenir, soigner, Paris, Dunod, 2008, 338 p
155
HUDSON TESLIK Lee, The Forgotten Drug War, Council on Foreign Relations, 2006
156
Plan Mildeca, alcool, tabac, drogues, écrans, Plan national de mobilisation contre les addictions, 2018–2022, 2017, 132p
34
Comme explicité sur la figure ci-dessus, la prévention vise soit la non-entrée dans la
consommation, soit la prévention des phénomènes de consommation précoce ; excessive ou
chroniques à risque ; la dépendance et les conséquences néfastes de la consommation. Il existe
de nombreuses manières de concevoir et d’appréhender la prévention mais n’en seront exposées
ici que trois. La première a été développée par l’OMS en 1948 et dépend du stade de la
« maladie ». La deuxième a été théorisée par Gordon en 1982 au travers d’une population cible157
.
La troisième théorisée par le Professeur San Marco met en avant la « prévention globale ». De
prime abord, la prévention n’a été ni initiée ni pensée pour appréhender l’addiction. Elle s’y
applique cependant et c’est pourquoi elle est prise en compte dans l’ensemble des outils
constituant la Réduction des Risques.
(1) La prévention primaire
La prévention primaire a pour objectif de « diminuer l’incidence »158
d’empêcher
l’apparition de nouveaux cas parmi les individus et s’établit avant l’apparition de la maladie.159
A
cette étape de la prévention, sont pris en compte les conduites individuelles à risque, tels que les
risques en terme sociétaux ou environnementaux.160
(2) La prévention secondaire (t+1)
Son but est de « diminuer la prévalence »161
d'une maladie au sein de la société. A cette
étape, la prévention agie au tout début de l’apparition de la pathologie pour qu’elle ne puisse pas
se développer ou au mieux afin que les symptômes ne deviennent pas chroniques. L’objectif est
également d’améliorer les perspectives d’avenir.
157
BOURDILLLON F., BRUCKER G., TABUTEAU D., Traité de Santé Publique, chapitre 15 Prévention et promotion de la
santé, Edition Médecine-Sciences Flammarion
158
Solidarité Santé, Rapport Flajolet, 2008,
159
Addiction Suisse, Concepts de prévention des dépendances, 2013, Lausanne
160
Ibid. Rapport Flajolet
161
Ibid. Concepts de prévention des dépendances
Répartition des prévisions selon le moment d’intervention
Pas de problème
•PREVENTION
PRIMAIRE
•Entraver
l'apparition du
problème
Problèmes
•PREVENTION
SECONDAIRE
•Eviter que les
symptômes
persiste
Maladie
•PREVENTION
TERTIAIRE
•Entraver les
complications et
prévenir les
rechutes
t+1 t+2
Memoire k.laugier sans_annexes_2019
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Memoire k.laugier sans_annexes_2019

  • 1. Kelly Laugier Sous la direction du Professeur M.Faynot MÉMOIRE EN VUE DE L’OBTENTION DU BACHELOR RESPONSABLE OPÉRATIONNEL À L’INTERNATIONAL - ESCD 3A – JUIN 2019 En quoi est-il préférable de passer d’une politique de répression à une politique d’accompagnement des usagers de substances psychoactives en France ?
  • 2.
  • 3. REMERCIEMENTS Je remercie, Toutes les personnes m’ayant apportés des conseils astucieux, un regard singulier et un soutien indéfectible pour la réalisation de ce mémoire. M. Nicolas Faynot, professeur d’anthropologie à l’école 3A et mon tuteur dans le cadre de ce mémoire qui a usé de convenance pour répondre rapidement à mes interrogations et m’aiguiller judicieusement. Philippe, Éducateur spécialisé du CAARUD Ruptures de Lyon pour son témoignage conséquent, honnête et précieux. Nina Tissot, Rémi et Victoria, Louis, Marie-Claire pour leurs réponses et leur intérêt. Les membres du Quai 9 de Genève pour leur accueil, leur disponibilité et leur enthousiasme. M. Patrick Girard pour avoir accompagné la promotion 2018-2019 des Bachelor de l’Ecole 3A dans la réalisation de notre mémoire de fin d’année. Les personnes ayant relu ce mémoire et pris le temps de donner un avis critique sur mon argumentation.
  • 4. TABLES DES ABREVIATIONS CAARUD : Centre d'Accueil et d'Accompagnement à la Réduction des risques des Usagers de Drogues CSAPA: Centre de Soins, d'Accompagnement et de Prévention en Addictologie DRAMES: Décès en Relation avec l'Abus de Médicaments Et de Substances ILS: Infraction à la Législation sur les Stupéfiants OFDT: Observatoire Français des Drogues et des Toxicomanies ONUDC: Office des Nations Unies contre la Drogue et le Crime RdRD: Réduction Des Risques et des Dommages SCMR: Salle de Consommation à Moindre Risque SP : Substance psychoactive UDVI: Usagers de Drogue par Voie Intraveineuse VHB: Virus de l'Hépatite B VHC: Virus de l'Hépatite C
  • 5. 1 SOMMAIRE INTRODUCTION...................................................................................................................................1 I. La réduction des risques, une démarche pragmatique de santé publique .........................................6 A. Brève histoire des politiques de santé publique jusqu’à la guerre contre la drogue......................6 1. A l’origine................................................................................................................................6 2. Dès le XIXe siècle, une libre circulation des drogues...............................................................6 3. La place au contrôle contre un “problème” mondial...............................................................7 4. Une remise en question commune de la lutte anti-drogue......................................................9 B. Des politiques de prohibition à la réduction des risques ...........................................................10 1. Politiques et législations nationales de lutte contre les usages et les trafics ............................11 2. De la prohibition à la réduction des risques..........................................................................14 II. Les consommateurs dans la société, une relation ambivalente........................................................17 A. Les différentes pratiques de consommation...............................................................................17 1. Les différentes manières de penser l’addiction ......................................................................17 2. Les usages nationaux actuels..................................................................................................19 3. Les décès par overdoses .........................................................................................................21 4. La banalisation de la dépendance..........................................................................................21 5. Des facteurs de vulnérabilité..................................................................................................24 B. L’évolution du point de vue de l’Etat.........................................................................................24 1. Une mise en perspective des limites entre le licite et l’illicite ................................................25 2. De la drogue aux prescriptions de médicaments, des situations toujours addictives..............27 C. La précarité, le marché de la drogue et la résistance...................................................................29 1. Exclusion, précarité et problèmes d’insertions professionnelles ............................................29
  • 6. 2 2. Des problèmes de santé .........................................................................................................30 III. La réduction des risques, politique plus viable que la répression...............................................33 A. Des programmes déjà ancrés sur le territoire français ................................................................33 1. Agir en amont avec la prévention..........................................................................................33 2. Des programmes de réductions des risques à renforcer .........................................................37 3. Des structures médico-sociales à conserver ............................................................................39 B. Un programme de SMCR à développer.....................................................................................43 1. Les résultats de cette politique de réduction des risques en comparaison avec d’autres pays.44 2. Modifier les représentations des usages .................................................................................46 3. Prendre en compte les réussites exterieures pour les développer en France...........................47 CONCLUSION .....................................................................................................................................50 BIBLIOGRAPHIE..................................................................................................................................56 BIBLIOGRAPHIE..............................................................................................................................56 SITOGRAPHIE..................................................................................................................................56 PODCASTS........................................................................................................................................58 ILLUSTRATIONS .............................................................................................................................58 ANNEXES..............................................................................................................................................59 ABSTRACT........................................................................................................................................60
  • 7. 1 INTRODUCTION La Réduction des risques a bousculé l’approche des consommateurs de SP (Substance Psychoactives1 ) et, plus généralement, amené à une compréhension renouvelée de la considération et du traitement des addictions2 . En allant au-delà de l’aspect hygiéniste, la philosophie de la réduction des risques encourage le développement de l’intervention des politiques publiques et de professionnels mais suscite encore des débats houleux. S’identifiant comme une action de santé publique pragmatique, la RdRD a pour objectif de limiter les risques liés à l’usage de SP pour le consommateur, sans avoir comme principal but l’abstinence ou le sevrage3 . La Réduction des Risques née tout d’abord en Angleterre dans le contexte tumultueux de l’épidémie du Sida dans les années 1980, vise à inciter le consommateur à avoir autant que possible des comportements les moins néfastes sur sa santé. Une hiérarchie des risques établit par ailleurs le fait qu’il est préférable de ne pas consommer de SP. Si l’on en consomme tout de même, il faut le faire avec les substances les moins nocives et le moins dangereusement possible. Par ailleurs, il est préférable qu’il ingère la substance par voie nasale ou qu’il utilise un outil stérile4 . La connaissance des conditions et des motivations qui mènent les individus à l’usage de SP est indispensable pour définir les actions efficaces de réductions des risques à appliquer. Actuellement, la politique de RdR répond à l’ensemble des problématiques qui surviennent tout au long du processus menant à la consommation addictive. Elle inclue ainsi la prévention sur les risques sanitaires et sociaux, une médiation sociale entre les professionnels et les acteurs publiques et enfin, elle fournit un accompagnement pour la réduction de la consommation et des dommages que l’usager peut rencontrer. Cette politique fournit ses services tant aux consommateurs à usages contrôlés qu’aux consommateurs en situation d’addiction et enclins à des soins spécifiques. Néanmoins, les seuls 145 CAARUD présents en France aux moyens souvent restreints ne peuvent soutenir les ambitions de cette politique5 . Il est ainsi nécessaire de protéger et soutenir leur consolidation, leur attribuer les moyens manquant et de 1 Nous utiliserons ce terme générique tout au long du présent mémoire afin de faciliter son utilisation 2 Anne Coppel, Anne Coppel et la Réduction des risques, 2016, (En ligne), http://www.annecoppel.fr/reduction-des-risques-rdr/, consulté le 20/05/19 3 Jauffret-Roustide M. et GRANIER J.M., Repenser la politique des drogues, Paris, Esprit, 2017, pp. 39-54 4 Ibid. Anne Coppel et la Réduction des risques 5 Ministère des Solidarités et de la Santé, La réduction des risques et des dommages chez les usagers de drogues, 2017, (En ligne), https://solidarites-sante.gouv.fr/prevention-en-sante/addictions/article/la-reduction-des-risques-et-des-dommages-chez-les- usagers-de-drogues, consulté le 15/05/19
  • 8. 2 soutenir les nouvelles synergies pour développer une capacité et un pouvoir d’action capable de s’établir sur le territoire national. La loi régissant l’usage, la vente et la production de SP de 1970 est obsolète et soutient à ses dépens les politiques de stigmatisations6 tout en retardant l’avancée des réponses sociales et sanitaires pour les consommateurs : un accompagnement de la consommation à moindre risque dans des dispositifs déjà existants, des Salles de Consommation à Moindre Risque, des offres de substitutions injectable etc. Actuellement, 250 millions de personnes dans le monde encourent des risques car elles font usage de SP illégales7 . Admettre cette réalité et instaurer une stratégie de prise en charge ou d’accompagnement ne revient ni à cautionner cette consommation, ni à se montrer défaitiste. C’est au contraire appréhender le monde dans son entièreté, avec des faits véritables, et une approche responsable. La réduction des risques considérée comme philosophie d’action favorise une perception humaniste et pragmatique au sein des politiques publiques misent en place. En s’opposant à la vision passée de la “guerre à la drogue”, cette politique propose un projet de “vivre ensemble”, un “care collectif” mis en place sur une morale de la “bientraitance”, qu’importe la place de chacun - riverains, élus, soignants, usagers. La pertinence ainsi que le pouvoir de la RdR découlent du désir de mettre à profit les capacités et les ressources des citoyens et des systèmes sociaux. Aujourd’hui, la pertinence de la Réduction des Risques n’est plus à démentir. L’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC), l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) et le programme commun des Nations Unies sur le sida (ONUSIDA) ont dans leurs derniers rapports confirmé le fait que cette politique de santé publique permet d’une part de réduire les risques associés à la consommation de SP et de prévenir la propagation du Sida. Pourtant, à ce jour, seul un nombre réduit de pays ont mis en place des politiques de réductions des risques pertinentes et suffisantes. Les progrès permis depuis un peu moins de vingt ans par la Réduction des Risques découlent d’un double renoncement : celui de l’élimination complète des SP comme unique condition pour un “vivre ensemble” et celui de la privation comme seule finalité des actions de préventions et de soins. Cette politique s’appuie sur une stabilité entre risque, plaisir et souffrance et sa pratique s'établit sur l’accueil sans conditions préalables8 . Des résultats en France sont 6 BERGERON Henri et COLSON Renaud, les Drogues face au droit, Paris, Puf, 2015 7 Commission Globale de politique en matière de drogues , Régulation – Pour un contrôle responsable des drogue, rapport, 2018 8 JAUFFRET-ROUSTIDE Marie, Succès et limites du modèle des risques à la française, Alcoologie et addictologie, 2011, vol.33, p. 101-110
  • 9. 3 notables : entre 1994 et 1999, il y a une baisse de 80% des overdoses et une réduction de ⅔ de morts du sida9 . Également, le programme d’échange de seringues instauré en 1994 par Simone Veil10 et initié 4 ans plus tôt par Médecins du Monde permet aux usagers de mieux appréhender les risques que leur consommation implique et de faire réduire les taux de contamination du sida de 30% en 1992 à 3% en 200111 . De l’autre côté de la frontière, en Suisse, les résultats de cette politique sont également notables. Pays pionnier de lieux d’accueils de réduction des risques pour les consommateurs - incluant leur instauration, leur développement et leur acceptation- il a su mettre à profit leurs réussites dans le débat public. A Berne par exemple où la première Salle de Consommation à Moindre Risque a ouvert en 1986, la criminalité liée aux SP a été réduite de 70%, les infections du sida de 80% et les décès à cause de la consommation de SP de 50%. Tout cela s’est réalisé entre 1975 et 200512 . Bien que la Suisse ait connu des épisodes important de scènes ouvertes13 , incomparable en France, ces mesures peuvent être prises pour prévenir des risques et accompagner les usagers déjà intégrés dans le processus d’addiction. Malgré ces chiffres positifs, la précarisation des usagers tend à augmenter depuis quelques années et la Suisse vit cette situation tout autant que la France14 . Il est évident qu’il n’existe pas une unique stratégie en mesure de répondre à l’ensemble des problèmes sanitaires auxquels notre société doit faire face. Néanmoins, la convergence d’actions complémentaires permet d’aider à réduire le caractère dommageable qu’implique une consommation de psychotropes. Ces actions impliquent l’intervention et la prévention en amont et la Réduction des Risques (au travers d’outils stériles notamment) selon les attentes et les besoins de l’usager accompagné. La RdR doit par ailleurs perfectionner ses stratégies actuelles et futures en développant par exemple des Salles de Consommation à l’exemple de la Suisse, des Pays-Bas ou du Canada. Les consommateurs de SP ont les mêmes besoins que les autres individus et les réponses qui leur sont donné doivent être de même ordre que celles données à nous tous. Habitant depuis enfant à la frontière franco-suisse, j’ai pris une certaine habitude à comparer les lois, les normes, les offres culturelles ou sanitaires proposées de part et d’autre de 9 Ibid. Anne Coppel et la Réduction des risques 10 La réduction des risques infectieux chez les toxicomanes, conférence de presse de Simone Veil du 21 juillet 1994, consulté le 11/05/19 11 Observatoire français des drogues et des toxicomanies, Drogues et addictions, données essentielles, 2019 12 LSTUP, Salles de consommations, Réponses Drogues, 2017 13 Consommation de psychotropes dans l’espace publique 14 Information recueillie lors de l’AG du Quai 9, Mai 2019
  • 10. 4 cette frontière. Ce regard comparatif est intéressant dans la mesure où il permet de prendre du recul sur les mesures prises pour répondre à une problématique nationale. En ce sens, lors de mes arrivées à la gare de Genève, je me retrouvais non loin de ce préfabriqué vert pétant où des “toxicos”, m’avait on dit, pouvaient consommer en sureté des SP. Cette salle de consommation à moindre risque, appelée Quai 9 y est installée depuis 2001 à l'initiative de l’association Première ligne. Ayant vécu des débats houleux sur l’utilité d’une telle salle au sein de cette ville m’a alors questionné. Était-il préférable que des personnes fassent usage de substances psychotropes dans l’espace public et laissent leurs matériels derrière eux avec tous les risques pour le consommateur et pour l’ensemble des citoyens que cela implique ? Le premier risque la transmission de maladies à travers les outils réutilisés, le risque d’overdose et une forte marginalisation. Les deuxièmes risquent également de se blesser ou de contracter une maladie avec les outils (seringues etc.) qui peuvent être présents dans l’espace commun. Ne serait-il pas moins dangereux que ces usagers de psychotropes fassent ce qu’ils désirent, avec le moins de risques possibles pour eux et pour la société ? Il était ainsi temps pour moi de me questionner sur les actions mises en place en France pour pallier à ces risques pris également par des usagers en France. Me rendant compte que sur le sol français, seules deux salles de consommation étaient présentes et que la politique nationale de réduction des risques n’était pas à la tête de ce qui pouvait se faire dans des pays voisins, je me suis alors questionnée sur ce qui pouvait être fait sur notre territoire. Loin non plus d’être complètement en décalage ou en retard avec les politiques européennes ou internationales qui se lançaient, j’ai appris que la France avançait elle aussi, bien que lentement. Au travers de différentes rencontres effectuées pour la rédaction de ce mémoire et des recherches documentaires, mon avis a évolué. J’ai parfois eu des réserves à me déplacer dans les deux CAARUD (Centre d’accueil et d’accompagnement à la réduction des usagers de SP) de Lyon ainsi que dans le Quai 9 à Genève. Cela m’a pourtant permis de me rapprocher d’un milieu qui m’était étranger. Être en réelle proximité avec des usagers de SP, m’entretenir avec une sociologue, cinq éducateurs spécialisés, un pharmacien, quatre autres personnes bien ancrées en addictologie et enfin recueillir des informations très pragmatiques au travers d’un questionnaire en ligne (15 réponses), m’a beaucoup apporté quant au jugement que j’ai pu avoir et à l’objectivité que j’ai voulu tenir. Par ailleurs, j’ai écouté un grand nombre d’interviews d’usagers et de spécialistes en addictologie dans le champ médical, sociologique et social afin d’élaborer des solutions s’adaptant aux éléments recueillis. J’ai lu divers ouvrages ayant trait à la SP et à ce qui l’entoure ainsi que des revues écrites par des usagers de SP (ASUD notamment). Enfin, j’ai questionné mon
  • 11. 5 entourage sur leur vision de la réduction des risques, et fait usage d’œuvres culturelles pour avoir d’autres points de vue. Finalement, m’éloigner des préjugés et d’une morale inconsciemment intégrée a constitué l’une des difficultés les plus présentes pour la rédaction de ce dossier. De ce fait, tout au long de ce mémoire, nous tenterons de répondre à la problématique suivante : En quoi est-il plus enviable pour les usagers de psychotropes de passer d’une politique de répression à une politique d’accompagnement ? Nous nous concentrerons principalement sur les addictions aux substances psychoactives (ce qui est principalement consommé en salle de consommation soit l’héroïne, la cocaïne, le crack, les nouvelles substances psychoactives etc.) en zone urbaine15 . Nous ferons tout d’abord l’état des lieux de la politique répressive contre les SP en intégrant son évolution jusqu’à aujourd’hui. Puis, nous verrons ses effets sur la précarisation et la marginalisation des usagers de substances psychoactives. Enfin, nous élaborerons des recommandations dans l’optique de faire valoir les outils de réductions des risques. 15 Annexe 1 - La population fréquentant les CAARUD
  • 12. 6 I. La réduction des risques, une démarche pragmatique de santé publique A. Brève histoire des politiques de santé publique jusqu’à la guerre contre la drogue 1. A l’origine L’usage de substances psychoactives a surtout été, dans son histoire, implicitement régulée et encadrée par des normes sociales. Parmi elles, les règles juridiques ont tenu une place secondaire, les rapports entre les substances psychoactives et les êtres humains étant normalisés et réglés par des savoir-faire ne se retrouvant alors pas aux mains du droit. Ainsi, sans oublier les menaces d’intoxication et les risques d’accoutumance, des sociétés « traditionnelles » se sont évertuées à en maîtriser la consommation en les intégrant à leur culture et en leur attribuant une fonctionnalité sociale. Ces pratiques occasionnelles étaient soumises à des rituels religieux, conviviaux ou médicaux, à des coutumes et à des règles plus ou moins strictes16 . A ce jour nous savons que les hommes du néolithiques cultivaient déjà le pavot17 . Des traces de l’usage d’opium en Mésopotamie (3000 avant notre ère) puis durant toute l’Antiquité ont également été retrouvées. Les médecins grecques qui en faisaient l’usage mettaient déjà en garde contre ses excès 18 . Les Indiens des Andes, consommaient depuis plus de deux mille ans sans avaries la coca, une plante sacrée19 . Durant le Moyen-âge, l’opium a pris une place prépondérante dans la médecine, et durant la Renaissance, le laudanum20 est inventé. Nous retrouvons cet usage règlementé et spécifique dans les sociétés du monde avec du hashis au Moyen-Orient, du kat en Éthiopie, de l’Ayahuasca dans les Andes, de l’Iboga au Gabon et du Peyotl au Mexique. 2. Dès le XIXe siècle, une libre circulation des drogues A partir du XIXe siècle, les usages de certains de ces produits se sont progressivement détachés des dispositifs de régulations professionnelles, religieuses ou culturelles qui l’encadraient jusqu’alors21 . C’est ainsi que le libre commerce des substances psychoactives, rouages du système financier et économique international de l’époque a provoqué, par manque d’adaptation, des 16 Le Monde Diplomatique, « Drogues, changer la donne » Manière de voir (2019), n°163 17 BERGERON Henri, Renaud COLSON, Les drogues face au droit, Paris : PUF, 2015. P.5 18 LOWESTEIN William, TAROT Jean-Pierre, PHAN Olivier, SIMON Pierre, Les drogues, Cannabis cocaïne, crack, ecstasy, héroïne, Paris : Flammarion, , 2005, p.52 19 Le Monde Diplomatique, « Drogues, changer la donne » Manière de voir (2019), n°163 20 Opium ramolli dans l'eau, d’après le Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales (CNTRL) 21 Ibid. Les drogues face au droit
  • 13. 7 abus alarmants dans le monde entier22 . Les Etats-Unis, à la suite de l’Europe expansionniste vont en faire progresser la production, le commerce et donc la consommation23 . Aux moyens de leur puissance industrielle de l’époque, l’alcool, le tabac, le haschisch, la cocaïne, via la feuille de coca et l’opium vont être répandus de manière exponentielle. Des Empires ont prospéré grâce à son commerce, puis ont été affaibli par sa sénescence. En 1880, même un pays aussi grand que l’Inde britannique profite à 14% des revenus du pays de son exclusivité de l’opium24 . Cependant, les SP sont à cette époque en « libre » circulation. Cela produit une profonde tragédie humaine que représente le fléau chinois de l’opium25 . Les grandes puissances de l’époque, à savoir l’Angleterre et la France se font la guerre pour en avoir l’exclusivité par l’intermédiaire de conventions internationales censées modérer les toxicomanies26 . La Régie indochinoise de l’opium créée par la France fera concurrence à la Grande Bretagne pour l’approvisionnement en Europe27 . En près d’un demi-siècle en Chine, des milliers de tonnes achèvent de mettre à bas le pays plus civilisé et le plus peuplé du monde28 . Ses réserves se réduisaient à mesure que l’importation de SP était importante, près d’un quart d’hommes chinois en faisaient l’usage et des dizaines de millions en étaient dépendants29 . Malgré les demandes de l’Empereur, qui en prohibe la consommation et l’importation, l’Angleterre qui considère “inopportun d’abandonner une source de revenus aussi importants” 30 lui livre deux guerres31 et se fait concéder Hong Kong après avoir forcé ses portes. Au premier ministre de l’époque, lord Palmerston de rassurer que “l’opium n’est pas plus meurtrier que l’alcool”32 qui coûte par ailleurs moins cher que ce dernier en Angleterre à cette époque.33 3. La place au contrôle contre un “problème” mondial Face à cet avènement du commerce des SP, la consommation a considérablement augmenté au niveau de l’Europe et dans leur sillage, les exportations de feuilles de coca et de cocaïne aussi. Synthétisée pour la première fois en 1860 en Allemagne, cette dernière fut 22 Le Monde Diplomatique, « Drogues, changer la donne » Manière de voir (2019), n°27 23 Ibid. 24 Office des Nations-Unies contre la drogue et le crime, Cent ans de contrôle des drogues, Vienne, Nations-Unies, 2014 25 Ibid. 26 LOWESTEIN William, TAROT Jean-Pierre, PHAN Olivier, SIMON Pierre, Les drogues, Cannabis cocaïne, crack, ecstasy, héroïne, Paris : Flammarion, , 2005, p.52 27 Ibid. 28 Le Monde Diplomatique, « Drogues, changer la donne » Manière de voir (2019), n°163, p27 29 Office des Nations-Unies contre la drogue et le crime, Cent ans de contrôle des drogues, Vienne, Nations-Unies, 2014 30 COPEL Anne et Christian BACHMANN, Le Dragon domestique, Paris : Albin Michel, 1989 31 La première a été conduite par l’Angleterre en 1939 et la seconde par la France et l’Angleterre en 1856 32 Le Dragon domestique, op.cit 33 Dr William LOWESTEIN, Dr Jean-Pierre TAROT, Dr Olivier PHAN, Pierre SIMON, Les drogues, Cannabis cocaïne, crack, ecstasy, héroïne, Paris : Flammarion, 2005, p.52
  • 14. 8 commercialisée de manière agressive et entraîna des outrances dans le monde entier34 . A cette époque, il a été considéré comme primordial de contrôler l’usage des SP. Ainsi, depuis le début du XXe siècle,35 l’interdiction de la production représente le fondement de l’ensemble des actions et politiques contre les SP appliquées par la communauté internationale. La notion de développement de culture alternative émerge ainsi afin que les producteurs ne cultivent plus de pavot ou autre substances destinées à leur transformation en SP36 . En 1906, à l’initiative du président américain Roosevelt convaincu par l’évêque américain C.H Brent , une commission internationale de l’opium se réunit37 à Shanghai et tente de fonder les principes de la prohibition de l’usage non thérapeutique des SP38 . C’est à la Haye, en 1912 que le tout premier traité international sur le contrôle des SP au niveau mondial est rédigé. Cette convention internationale de l’opium marque la naissance d’un contrôle mondial du commerce, de la culture et de la consommation d’opium mais également d’héroïne, de morphine et de cocaïne39 . Bien que ce texte soit une première dans la lutte contre les substances psychoactives, il faudra attendre une douzaine de déclarations et d’accords au cours du siècle suivant pour constituer un corpus significatif de droit international40 . Durant le XXe siècle, de nombreux traités internationaux vont être votés et des résolutions vont être ratifiées pour criminaliser certains usages de SP. Des pays vont prendre des mesures plus ou moins répressives face à la consommation de substances psychoactives tandis que d’autres attendront la fin du siècle pour en appliquer une prohibition sévère. Durant l’entre-deux guerres, trois conventions ont été adoptées. En 1920, le Comité consultatif sur le trafic de SP nuisibles est institué comme premier organe de lutte contre les SP. Il peut être considéré comme le précurseur de la Commission des stupéfiants de 194641 rattaché à l’Organisation des Nations-Unies. La “convention pour la répression du trafic illicite des SP nuisibles” de 1936 représente le premier écrit international à “criminaliser certaines infractions liées aux SP”42 . Après la seconde guerre mondiale, l’ONU donne un nouvel élan à la lutte contre les SP via différents protocoles43 . En 1948, l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) est créée et des 34 Ibid. Cent ans de contrôle des drogues 35 Id. « Drogues, changer la donne » p.26 36 Déborah Alimi, “Drogues, et développement : vers de nouvelles perspectives ?” Drogues, enjeux internationaux, n°11, OFDT, juin 2018, consulté le 18/04/19 37 Chronologie : 100 ans de contrôle des drogues, UNODC 38 BERGERON Henri, Renaud COLSON, Les drogues face au droit, Paris : PUF, 2015. P.66 39 Ibid. 40 Office des Nations-Unies contre la drogue et le crime, Cent ans de contrôle des drogues, Vienne, Nations-Unies, 2014 41 BERGERON Henri, Renaud COLSON, Les drogues face au droit, Paris : PUF, 2015, 109p 42 Le Monde Diplomatique, Manière de voir (2019), n°163, Drogues, changer la donne 43 Office des Nations-Unies contre la drogue et le crime, Chronologie : 100 ans de contrôle des drogues, Vienne, Nations-Unies, 2014
  • 15. 9 “experts condamnent la coca pour son caractère “addictif” quatre ans plus tard. En 1955, le protocole de l’opium qui limite son commerce et sa production aux seuls besoins scientifiques et médicaux est signé44 . Cette même année, la France créé l’Office central pour la répression du trafic illicite des stupéfiants (OCRTIS) qui succède au service central des stupéfiants de 1933.45 L’année charnière que représente 1961 a vu se mettre en place un instrument encore au cœur du système actuel de contrôle international des stupéfiants (pour les 184 pays l’ayant ratifiée): la convention unique sur les stupéfiants.46 Elle répertorie une liste comportant 108 substances synthétiques ou naturelles contrôlées. Et promulgue par ailleurs illégales, au niveau mondial, le cannabis, la coca et le pavot (sauf pour l’industrie pharmaceutique pour ces deux derniers). Cette même année, l’Organe international de contrôle des stupéfiants (OICS) est créé. La Convention sur les substances psychotropes (183 pays signataires) de 1971 ainsi que la Convention des Nations-Unies contre le trafic illicite de substances psychotropes et de stupéfiants (189 pays signataires) de 1988 s’y sont adjoint. Les organisations internationales (OMS, ONU) ont donc un rôle non négligeable dans les directions que peuvent prendre les programmes d’ajustement et des réformes des politiques sociales. 4. Une remise en question commune de la lutte anti-drogue Le bilan de ce siècle de prohibition ne fait pas l’unanimité, bien au contraire. Depuis les années 1970, un grand nombre de programmes se sont suivis, pour accompagner cette politique de prohibition quasi-mondiale qui a pour vocation de supprimer, voir amoindrir les cultures agricoles illégales de coca, de cannabis ou encore de pavot à l'opium. 47 Mais les politiques mises en œuvre ont souvent été appliquées de manière déséquilibrées à cause des approches sécuritaires favorisant l’éradication. Les prévisions de l’époque étaient de décourager par tous les moyens la consommation, avec une augmentation du prix au détail due à la diminution, sinon la suppression de cultures illégales. Le président américain Nixon déclare même lors d’une allocution en 1971 la SP comme principal ennemi de l’époque, qu’il est primordial d’éradiquer48 . En France, l’adoption de la loi du 31 décembre 1970 , inscrite dans le code de santé publique prohibe l’usage des stupéfiants et réprime de manière sévère le trafic de SP illicites. Avec une approche moins manichéenne, la convention unique de 1961 est amendée par un protocole permettant de mettre en avant l'importance de l’accès à des services de traitement, de préventions et de réadaptation. Ainsi la “guerre contre la drogue” s’est faite par 44 Ibid. 45 Police nationale, Office Central pour la Répression du Trafic Illicite des Stupéfiants, 2011 46 BERGERON Henri, Renaud COLSON, Les drogues face au droit, Paris : PUF, 2015. 109p 47 CHOUVY Pierre-Arnaud, « La guerre contre la drogue : bilan d’un échec », La vie des idées, 2015 http://www.laviedesidees.fr/La-guerre-contre-la-drogue-bilan-d-un-echec.html, consulté le 10/04/2019 48 Ibid.
  • 16. 10 l’application d’une multitude de dispositifs répressifs et l’interdit était donc la norme avec peu de marge de manœuvre. Certains pensent qu’elle a permis de réduire drastiquement la production illégale de SP (James Windle, Graham Farrell) et d’autres au contraire, qu’elle l’a dynamisé ( J.J. Hobbs, Janet Roitman)49 . Trente ans après, bien que les efforts déployés aient été important, la production agricole ainsi que les usages ont fortement augmentés et se sont diversifiés. Les produits illégaux de qualité ont augmenté sur le marché mondial. En mars 1995, après trente ans de lutte anti- drogue, l’administrateur de la Drug Enforcement Administration50 , Thomas Constantine, déclare devant le Congrès américain que la “disponibilité et la pureté de la cocaïne” était “plus élevées que jamais”51 . La production de cocaïne, de cannabis, et d'héroïne ne s’est pas réduite dans la plupart des pays producteurs, comme en témoignent les exemples du Pérou, du Maroc, de l’Afghanistan, du Laos, de la Birmanie et de l’Inde52 . Cependant cette éradication forcée a bénéficié de financements sans commune mesure avec ceux consacrés aux politiques de développement économique ( développement intégré, cultures de substitutions…)53 . De manière générale, l’Asie a connu les plus grands succès et les plus grands échecs de la lutte contre la répression de SP54 . En témoignent la suppression brutale de la grande exploitation chinoise dans les années 1950, et l’augmentation exponentielle de la production en Afghanistan dès les années 1990.55 Cet échec de la lutte antidrogues est difficilement assumée par les principaux acteurs, dont notamment l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC) qui fournit des rapports comparant les avancées, réelles ou supposées de cette lutte. Celui de 2006 fut particulièrement critiqué pour les chiffres mis en avant qui ne reflétaient pas une réalité objective. Cela lui valut d’être accusée de s’inscrire dans une politique de déni56 . Ainsi, après une trentaine d’années de prohibition assumée, certains Etats remettent en doute cette politique chronophage et onéreuse. Ainsi, au sein d’un certain nombre de pays membres de l’OCDE, les politiques sociales prennent depuis deux décennies d’autres directions57 . B. Des politiques de prohibition à la réduction des risques 49 Ibid. 50 DEA représente le service des États-Unis de police fédérale “chargé de la lutte anti-drogue” 51 FALCO Mathea, « Drug Prevention Makes a Difference”, Global Issues. An Electrical Journal of the US Information Agency, Juin 1997, vol.2, p.20-23 52 CHOUVY Pierre-Arnaud, Uncovering the Politics of the Poppy, New-York/Londres, I.B. Tauris, 2009 53 Ibid. 54 COPPEL Anne, « Aux racines de la prohibition », Anne Coppel, 1989, http://www.annecoppel.fr/chapitre-16-aux-racines- prohibition/, consulté le 10/04/2019 55 CHOUVY Pierre-Arnaud, Uncovering the Politics of the Poppy, New-York/Londres, I.B. Tauris, 2009 56 Ibid. 57 CHÂTEAUNEUF-MALCLÈS Anne « Les politiques sociales », ENS de Lyon, http://ses.ens-lyon.fr/articles/les-politiques- sociales--82245, consulté le 1/05/19
  • 17. 11 1. Politiques et législations nationales de lutte contre les usages et les trafics Les principaux objectifs des lois consécutives sur les substances psychoactives ont été de réprimander et de criminaliser les populations usagères de produits illicites. Motivé par le dogme du contrôle et punition58 , l’Etat français fait toujours la différenciation entre ce qui constituerait le Bien (« drogues » légales : alcool tabac) à celles s’intégrant à la catégorie du “Mal” (« drogues » illégales : cannabis, cocaïne, héroïne…). Ainsi les réponses publiques sont souvent difficilement applicables car elles soulèvent des polémiques autour du légal et de l’illégal et de la prévention et de la répression59 . En outre, la France adopte une approche moralisante face aux questions d’addictions, ce qui nuit au débat60 . A l’instar de la majeure partie des pays européens,61 la France a ratifié les trois conventions des Nations-Unies (de 1961, 1971 et 1988) qui réglementent le régime juridique des substances psychoactives62 et sanctionnent indirectement l’achat ou la détention de SP pour usage personnel. Néanmoins, contrairement à l’Espagne, l’Irlande, la Belgique, ou l’Italie, la France ne fait pas de distinction dans sa législation entre les produits (entre drogue “douce” et “dure”) et le contexte d’usage (dans un lieu privé ou public)63 . De plus, l’usage des SP en France est actuellement régie par les lois du 31 décembre 1970 et du 5 mars 200764 qui reposent principalement sur l’interdiction pénalisée de l’usage d’une part; et la répression des profits illicites et du trafic d’autre part65 . Elle fit votée dans le contexte particulier et contestataire de 1968 qui remettait en cause dans une moindre mesure un système social sclérosant. De par son caractère répressif, elle a pu être assimilée à une volonté de contrôler et de normaliser une jeunesse non-conformiste directement imprégnée à cet usage. Dans les années 1972-1973, un fort climat de mortalité s'établit en Europe avec la rapide transmission du SIDA et un taux important de morts par overdoses. Par ailleurs, l’augmentation de la consommation d’héroïne touchant particulièrement la jeunesse fait prendre conscience aux politiques du phénomène social de consommation de 58 Cf l’ouvrage de Michel Foucault « Surveiller et punir » paru aux éditions Gallimard en 1975 59 PINELL Patrice et Markos ZAFIROPOULOS «Drogues, déclassement et stratégies de disqualification », Actes de la recherche en sciences sociales, vol. 42, 1982, p.61-75 60 BERGERON Henri, Renaud COLSON, Les drogues face au droit, Paris : PUF, 2015. P.66 61 Caroline Protais, « Législations relatives aux stupéfiants en Europe en 2016 : points communs et divergences », Saint-Denis, n°2016-05, Ofdt, 2016, consulté le 10/04/19 62 Santé publique, Substances illicites : que dit la loi ?, En ligne, http://inpes.santepubliquefrance.fr/10000/themes/drogues/substances-illicites-loi.asp, consulté le 10/04/2019 63 Insee, Infraction constatée à la législation sur les stupéfiants, En ligne, 2016, https://www.insee.fr/fr/metadonnees/definition/c1381, consulté le 10/04/2019 64 Perrine Kervran, L'usage des drogues (3/4), Entre licite et illicite, France culture, (En ligne), 2019, 55 min. https://www.franceculture.fr/emissions/lsd-la-serie-documentaire/lusage-de-drogue-34-entre-licite-et-illicite, consulté le 25/05/19 65 Santé publique, Substances illicites : que dit la loi ?, En ligne, http://inpes.santepubliquefrance.fr/10000/themes/drogues/substances-illicites-loi.asp, consulté le 10/04/2019
  • 18. 12 SP66 . Dans le même sens, Jacques Sallebert affirme en juillet 1971 dans une archive télévisuelle du club de la presse67 que la France est en passe de devenir un pays de consommation et non plus seulement de transit et de transformation comme elle se rassurait à le croire. Il y a 12 ans, la loi du 5 mars 200768 différencie sans le formuler clairement néanmoins deux sortes de politiques publiques concernant des consommateurs de SP. La première, seulement répressive, ne porte que sur les infractions réalisées par des personnes sous l'emprise d’une SP. La seconde vise les simples consommateurs, et change le régime de prévention prédominant jusqu’alors pour tendre vers une politique de la dissuasion par la répression. Voici quelques éléments concernant les risques de condamnations actuelles pour usage et trafics de SP : a) Usage69 L’usage de toute substance psychoactive (du cannabis au même titre que du crack) est considéré par la loi comme un délit et l’usager encourt donc à une peine d’un an d’emprisonnement maximum et de 3 750€ d’amende. Les mineurs peuvent également être condamnés, suivre des soins ou un stage de sensibilisation aux risques lié à l’usage des SP. b) Trafic70 La vente, l’offre, l’importation ou l’exportation de substances psychoactives sont punis de 10 ans d’emprisonnement et de 7 500 000€ d’amende. Vendre ou offrir une « drogue » à une personne pour sa consommation personnelle risque au maximum cinq ans d’emprisonnement et 75 000€ d’amende. Enfin, cultiver chez soi des « drogues » est passible de vingt ans de réclusion criminelle accompagné de 7 500 000€ d’amende. c) Des conditions de condamnations en évolution 66 CHOUVY Pierre-Arnaud, « La guerre contre la drogue : bilan d’un échec », La vie des idées, 2015, http://www.laviedesidees.fr/La-guerre-contre-la-drogue-bilan-d-un-echec.html, consulté le 10/04/2019 67 INA, Jacques Sallebert à New York, (En ligne), https://m.ina.fr/video/CAF94074627/jacques-sallebert-a-new-york- video.html, consulté le 10/04/2019 68 COPPEL Anne« La répression aggravée des usagers de stupéfiants depuis la loi du mars 2007 », Anne Coppel, 2010, http://www.annecoppel.fr/chapitre-16-aux-racines-prohibition/, consulté le 10/04/2019 69 Santé publique, Substances illicites : que dit la loi ? En ligne, http://inpes.santepubliquefrance.fr/10000/themes/drogues/substances-illicites-loi.asp, consulté le 10/04/2019 70 Ibid.
  • 19. 13 En 2015,71 les condamnations pour Infractions à la Législation sur les Stupéfiants (ILS) s’élèvent à 8,6% du total des condamnations pour cause de délit. Cela représente chaque année environ 50 000 condamnations en France.72 Les condamnations pour délits se distinguent ainsi : 56% pour usage illicite, 21% pour détention et acquisition, 14% pour le commerce-transport, 3% d’import-export, 4% pour offre et cession, etc. Enfin, les peines d’emprisonnement fermes ou avec sursis partiel concernent 12,6% des condamnations pour usage illicite73 . Ces résultats sont en corrélation directe avec la politique pénale mise en application vis-à-vis des usagers de SP. Il y a ainsi une réponse graduée au délit selon la nature du produit saisi, de sa quantité et de la réitération ou non de l’acte. On remarque ainsi sur ce diagramme du Ministère de la Justice que les condamnations pour Infractions à la législation sur les usages sont en augmentation depuis les années 2000. Sur le graphique ci-dessous, répertoriant entre autre les usages illicites de stupéfiants de 1990 à 2009, 71 Ibid. 72 Le Monde Diplomatique, Législations sur les stupéfiants, En ligne, https://www.monde-diplomatique.fr/cartes/legislation-drogues, consulté le 10/04/2019 73 Observatoire français des drogues et des toxicomanies, Interpellations et condamnations pour infraction à la législation sur les stupéfiants parmi les femmes - Évolution depuis 1995, 2017, (En ligne), https://www.ofdt.fr/statistiques-et-infographie/series- statistiques/interpellations-et-condamnations-pour-ils-evolution-depuis-1995-femmes/, consulté le 10/04/2019 Évolution du nombre de condamnations par sexe parmi l’ensemble des personnes condamnées pour ILS, France entière (1996-2015)1 Évolution des infractions à la législation sur les stupéfiants en Europe
  • 20. 14 trois fois plus de condamnations sont enregistrées en 2009 qu’en 2004. Par ailleurs, on remarque au travers de ces deux graphiques que les condamnations pour usage de substances psychoactives représentent près de la moitié des condamnations en terme d’ILS74 . Les alternatives aux poursuites (amendes ou prison) concernant les affaires traitées par les parquets et jusqu’à 2015 sont constituées de rappels à la loi et d’avertissements. Les injonctions thérapeutiques et les orientations vers des structures sociales et sanitaires (qui moins coûteuses) sont également appliquées75 . Mais nous sommes face à une politique de fermeté. 2. De la prohibition à la réduction des risques a) Une démarche tardive et modeste Le modèle de répression mis en place dès les années 1960 et amplement mis en échec76 a concouru à enrichir les trafiquants de SP à détériorer l’état de santé des usagers en favorisant la propagation des hépatites et de l’épidémie du VIH, à les marginaliser et à les stigmatiser77 . Face à la fin des consensus politiques et juridiques internationaux valorisant durant des années le modèle d’une société sans SP, une division est en train d’apparaître. La ratification de traités internationaux n’interdit pas les Etats d’appliquer des mesures qu’ils jugent nécessaires en terme de santé publique. Cela rejoint ainsi le concept de « biopolitique » pensé par le philosophe Michel Foucault qui met en avant la prise en compte de la santé des individus pour ériger des lois. Cela institue donc le passage d’une société dont le pouvoir interdit ou réprime parce qu’il a le droit de le faire, à celui de l’interdiction justifiée par le soucis de la population. Dans ce sens, certains pays78 ont décidé d’un côté de décriminaliser les SP (à l’image des Pays- Bas, de l’Allemagne et de l’Espagne) ou d’établir une dépénalisation de la consommation (le Portugal), voire de légalisation (l’Uruguay, trois États d’Amérique du Nord: le Colorado, l’Etat de Washington et l’Alaska). D’autres (comprenant la Russie, les Philippines, la Chine ou la Thaïlande) ont décidé de renforcer la prohibition avec une tolérance zéro allant jusqu’à la peine de mort. La France, de par sa faible culture de santé publique et son approche moins préventive que curative est en retard par rapport aux 74 INFOSTAT JUSTICE, Bulletin d’information statistique, Avril 2011, n°114 75 COPPEL Anne, La répression aggravée des usagers de stupéfiants depuis la loi du mars 2007, Anne Coppel, 2010, http://www.annecoppel.fr/la-repression-aggravee-des-usagers-de-stupefiants-depuis-la-loi-du-mars-2007/, consulté le 10/04/2019 76 Commission Globale de politique en matière de drogues , Régulation – Pour un contrôle responsable des drogue, rapport, 2018 77 JAUFFRET-ROUSTIDE Marie et GRANIER Jean-Maxence, Repenser les politiques, CAIRN, 2017, p.39-42 78 Ibid. Repenser les drogues « Usager de drogues » Le terme « usager de drogue » est un terme politiquement correct qui a tenté d’être imposé par le biais de la révolution de la réduction des risques pour parler des toxicomanes et des drogués.
  • 21. 15 Pays-Bas, à la Grande-Bretagne ou bien à la Suisse qui ont déjà mis en place des systèmes de soin fournis aux usagers de SP79 . En Angleterre la politique de réduction des risques date de 1987, et s’est progressivement construite autour d’une acceptation de la consommation80 . En France, c’est principalement avec l’arrivée massive du SIDA et grâce à la forte pression de militants et d’associations qu’une avancée dans le sens de la réduction des risques est établie81 . Cependant le modèle de soin s’est d’abord construit autour d’une seule recherche d’abstinence. Puis au fil des années et grâce à l’insistance entre autre de professionnels de santé, un schéma plus clair a été considéré. La réduction de la consommation de SP s’affirmant comme non applicable, il semblait alors nécessaire de changer de paradigme afin de cohabiter d’une part avec les usagers de SP mais également en vue de réduire leurs dommages. Ainsi, le schéma des risques est clair ; il est préférable pour la société et l’usager que celui-ci ne consomme pas de SP. S’il en consomme, il vaut mieux que ce soient les SP les moins dangereuses et de manière la moins dangereuse possible. Il vaut mieux qu’il ne s’injecte pas de SP, mais si c’est tout de même le cas, il est préférable que ce soit avec des seringues stériles. b) Des applications de santé publique peu assumées La France effectue donc un changement modeste et tardif. La libéralisation de la vente des seringues en 1987 a d’abord été dans le domaine des usagers de substances la seule réponse face au Sida82 . La réduction des risques infectieux chez les usagers de SP devient un dispositif officialisé par Simone Veil en 1994 à travers les mesures de réduction des risques. Ce dispositif comprend également des « boutiques » pouvant accueillir des consommateurs sans exiger d’eux un renoncement à l’usage de SP, un Programme d’Échange de Seringue (PES), des équipes en mesure d’accueillir les consommateurs à l’hôpital, des réseaux de médecins et un accès aux traitements de substitution. Ce dispositif a été permis face à l’urgence de santé publique. A cette époque, ces mesures subventionnées par le Ministère de la Santé sont expérimentales et seuls sont informés les acteurs impliqués dans ces actions. En 1999, les mesures de réduction des risques sont homologuées dans le dernier plan gouvernemental de lutte contre la toxicomanie et des substances psychoactives. Il est par ailleurs défini qu’il est du rôle de la santé publique de définir quelles sont les mesures permettant de faire face au risque. Il s’agit donc d’un tournant majeur. Bien que les objectifs de lutte persévèrent, cette logique de réduction des risques s’établit. En démontre la position de la France durant la session extraordinaire de l’Assemblée générale des 79 HUDSON TESLIK Lee, The Forgotten Drug War, Council on Foreign Relations, 2006 80 JAUFFRET-ROUSTIDE Marie et Jean-Maxence GRANIER, Repenser les politiques, CAIRN, 2017, p.39-42 81 MAESTRACCI Nicole, Eléments d’histoire sur la politique de réduction des risques en France, 2010 82 BERGERON Henri, Renaud COLSON, Les drogues face au droit, Paris : PUF, 2015. 109p
  • 22. 16 Nations unies (UNGASS) en avril 2016, la communauté internationale s’est employée à continuer la lutte contre “le problème mondial des drogues”83 en prenant néanmoins en compte la multiplicité de ces traitements possibles. La France s’est quant à elle jointe aux pays revendiquant une approche de santé publique fondée sur le respect des droits de l’Homme, par opposition à une vision explicitement prohibitionniste84 . Sa politique valorise une démarche “équilibrée” des substances psychoactives, bien que moraliste et toujours répressive (par rapport à ses voisins) sans se prononcer néanmoins au profit de la décriminalisation de la consommation. Ainsi, bien que l’usage de substances psychoactives représente une pratique qui traverse les générations et les sociétés, l’altération des états de conscience qu’elle cause interroge. Ritualisée dans la « société Occidentale » jusqu’au tournant du XXe siècle, sa présence dans notre société contemporaine, qui tend à une responsabilisation et une individualisation des actes, fait de cet usage une pratique qui interroge sur ses représentations dans notre société. 83 Déborah Alimi, Drogues, et développement : vers de nouvelles perspectives ?, Drogues, enjeux internationaux, n°11, OFDT, juin 2018 84 JAUFFRET-ROUSTIDE Marie et Jean-Maxence GRANIER, Repenser les politiques, CAIRN, 2017, p.39-42
  • 23. 17 II. Les consommateurs dans la société, une relation ambivalente A. Les différentes pratiques de consommation L’usage de substances psychotropes peut être justifié par de multiples raisons85 . Il peut être considéré pour certaines personnes comme une expérience propre à l’existence humaine issue d’une motivation à rechercher continuellement des récompenses et des plaisirs86 . Cette motivation est lié au fonctionnement du circuit dopaminergique de la récompense dans le cerveau de l’humain87 . L’usage de psychostimulants entraîne une augmentation, à durée variable, des taux de dopamine dans le cerveau 88 . … Il existe de nombreuses raisons pour arriver à la dépendance autant qu’à l’usage même si des similitudes se rejoignent. Certaines personnes sont dans une quête d’autodestruction, d’autres entrent dans l’addiction sans la rechercher néanmoins et certains encore consomment pour des raisons d’acceptations sociales. La manière d’en faire usage, en termes de risques et d’apports a surtout évolué ces deux derniers siècles. Des pratiques, tels que le jeu, la religion, le travail, le sexe, les achats, peuvent par ailleurs être tout autant addictifs pour certains que des produits absorbés tels que le cannabis, le chocolat, le tabac, les tranquillisants, le café, l’alcool Selon les nations-unies, 275 millions de personnes feraient l’usage d’un produit stupéfiant au moins une fois durant l’année et une trentaine de millions souffriraient de troubles due à cette consommation89 . Dans la grande majorité des cas, l’usage de drogues est une pratique sociale qui n’entraine pas de dommages majeur ni pour la société ni pour l’usager ou pas plus que pour l’alcool ou d’autres types de comportements qui donnent lieu à la recherche de plaisir. 1. Les différentes manières de penser l’addiction 85 Antoine Garapon, Ce que les drogues nous disent de notre société, France culture, (vidéo en ligne), 2017, 44 min, https://www.franceculture.fr/emissions/les-discussions-du-soir-avec-antoine-garapon/ce-que-les-drogues-nous-disent-de-notre, consulté le 25/05/19 86 MOREL Alain, COUTERON Jean-Pierre, Les conduites addictives: Comprendre, prévenir, soigner, Paris, Dunod, 2008, 338 p 87 Futura Science, Drogues, Circuit de la récompense et dopamine, 2010, En ligne, https://www.futura- sciences.com/sante/dossiers/medecine-drogues-effets-dependance-961/page/9/, consulté le 10/05/19 88 Précisément dans le noyau accumbens 89 INRS, Données générales, http://www.inrs.fr/risques/addictions/donnees-generales.html, consulté le 10/05/19 Un usage à risque est un « mode de consommation » pouvant entraîner des dommages sur les plans social, physique et/ ou psychique, en fonction des usages, du contexte, des
  • 24. 18 Le terme d’addiction enveloppe une sorte de continuum d’échelle de consommation, du plus insignifiant au plus pathologique, en passant par l’usage comportant des risques à l’usage nocif. L’usage de SP spécifiques à l’accoutumance (qui se présente sous une forme psychologique, biologique et sociale avec des difficultés à avoir un contrôle sur les prises) doit être distingué de l’usage exceptionnel aux conséquences moins significatives et de l’abus. La consommation « normale » pour un individu peut devenir de « l’abus » à travers des occasions singulières, par exemple une femme enceinte qui ne change pas sa consommation habituelle malgré le danger pour le fœtus. L’usage « à risque », signifiant donc que l’usage est fait de manière inadaptée, provoque une souffrance cliniquement néfaste pour le sujet ou une altération du fonctionnement. Néanmoins, à ce stade, le trouble reste réversible avec la volonté de l’individu ainsi qu’avec la possibilité d’un accompagnement médical . La dépendance, quant à elle, marque une perte de la liberté de se priver de la consommation. Distinguer les trois « niveaux » de consommation, l’usage simple, l’abus et la dépendance, c’est accepter de faire un pas vers une prévention ne se limitant plus à un « non à la drogue » catégorique. C’est également reconnaître, dans une moindre mesure que l’expérimentation de substances psychoactives ne se positionne pas directement et systématiquement comme un premier pas vers l’addiction. Cette figure montre ainsi que les usages simples regroupent un groupe de personnes qui tend à se réduire dès lors que le comportement d’usage se rapproche de la dépendance et de la modification du comportement de manière régulière. Les zones de passage entre ces « étapes » sont de durée variées selon les personnes. Souvent, des personnes réduisent leur consommation avant de passer à un usage plus conséquent. D’autres continuent pour diverses raisons. Mais ce qu’il en ressort c’est que plus la souffrance prend pas sur le plaisir lors de l’usage et moins de personnes en consomment90 . 90 MOREL Alain, COUTERON Jean-Pierre, Les conduites addictives: Comprendre, prévenir, soigner, Paris, Dunod, 2008, 338 p
  • 25. 19 2. Les usages nationaux actuels91 Les rapports actuels sont principalement établis par l’OFDT92 (Observatoire français des drogues et des toxicomanies) et par TREND93. Ils effectuent des états des lieux de la consommation (à différentes échelles) au sein de la population française et servent à éclairer les décisions publiques concernant les substances psychoactives ainsi que les professionnels du champ. Les usages actuels de SP diffèrent selon le produit et n’ont par ailleurs pas toujours été constants, des augmentations ou diminutions ayant apparues selon les périodes. Il existe différents niveaux d’usages : l’expérimentation (au moins un usage au cours de la vie), l’usage dans l’année ou usage actuel (au moins un usage au cours des 12 derniers mois), l’usage dans le mois ou usage récent ( au moins un usage au cours des 30 jours précédant l’enquête) et enfin l’usage régulier (au moins un usage par jour au cours des 30 derniers jours)94 . 91 OFDT, Les niveaux d’usage des drogues illicites en France en 2017, 2018, n°128 92 C’est un groupement d’intérêt public créé en 1993 qui recueille, analyse, communique et fait la synthèse des observations et enquêtes concernant les drogues (licites et illicites) les addictions et les jeux de hasard et d’argent, scientifiquement validées. Il a pour but d’éclairer les pouvoirs publics, les professionnels et l’ensemble du grand public sur ces thématiques. Il est l’un des relais de l’Observatoire européen des drogues et des toxicomanies (EMCDDA) qui fournit des rapports objectifs et comparables à l’échelle européenne. Son financement est fourni par la MILDECA et par des crédits européens. 93 Mis en place en 1999, TREND est un dispositif national de collecte de données et d’informations s’appuyant sur un réseau de 8 coordinations locales qui vise à décrire et comprendre les évolutions des pratiques, détecter les phénomènes émergeants et assurer des veilles sur les nouvelles drogues et substances dangereuses. 94 INPES, Drogues illicites, 2015, (En ligne), http://inpes.santepubliquefrance.fr/10000/themes/drogues/index.asp, consulté le 10/05/19
  • 26. 20 Depuis 2014, le niveaux d’expérimentation des SP illicites (autre que le cannabis) dépend nettement de l’âge et du sexe des individus. D’après les chiffres donnés par cette étude, nous pouvons faire ce constat suivant : le taux d’hommes expérimentateurs est plus élevé que les femmes pour toutes substances confondues. L’expérimentation est globalement dominante dans les tranches d’âges les plus jeunes et diminue significativement dès 45 ans. Il ressort également que la consommation de substances psychoactives, même de produits stimulants (comme la MDMA ou la cocaïne) reste en France bien en dessous que la consommation de cannabis, avec des taux des usages dans l’années à moins de 2% et d’expérimentations à moins de 6%. L’expérience de la cocaïne paraît se stabiliser après 20 ans de hausse et un contexte de grande disponibilité en France avec un recul parmi les jeunes adultes. C’est pourtant la substance la plus consommée après le cannabis dans l’année. Les plus de 25 ans, à l’instar des 35-44 ans, en consomment plus qu’en 2014, ils étaient 2,2% contre 2,3% en 2017, Aussi, l’usage d’ecstasy et de MDMA durant la vie concerne majoritairement les hommes (ils sont 7,3% contre 2,7% pour les femmes) et s’est accru depuis 2014. C’est donc au sein des 35-44 ans et des 45-54 ans que l’augmentation est significative, alors qu’il n’y a pas de modification chez les jeunes adultes. Après une croissance importante entre 2000 et 2014, l’usage de ces substances durant l’année est stable selon l’évaluation mentionnées plus haut.
  • 27. 21 L’usage de champignons durant l’année est très faible (0,3%), mais son expérimentation est légèrement en hausse depuis 2014. La consommation d’autres substances psychoactives est inférieure à 3% et n’a pas subi d’évolution depuis 2014. L’expérimentation de LSD ne concerne que 2,7% de la population, 2,3% ont expérimentés les amphétamines, 1,3% l’héroïne, 0,7% le crack. 95 Ces taux ne représente qu’une très fine partie de la population (en moyenne 7,5 consommateurs pour 1000 habitants). Depuis 25 ans que l’OFDT produit ce baromètre santé, les grandes tendances concernent toujours les hommes et jeunes adultes96 . La dernière décennie a vu une hausse de la consommation globale, qui se stabilise globalement depuis 2014. Les consommateurs se diversifient par ailleurs pour toucher davantage d’actifs en emploi et des trentenaires. La consommation de cannabis est toujours importante parmi les jeunes adultes, et près de la moitié des adultes l’a expérimenté. Ses usages dans l’année représentent un adulte sur dix (6, 5 millions) contre un sur deux cent pour le LSD, l’héroïne, les amphétamines et le crack (représentant environ f200 000 personnes). Chaque année, 105 000 citoyens sont concerné par l’usage de l’injection, équivalent à une prévalence de 2,6 pour 100097 . Le marché des nouveaux produits de synthèse (NPS) est également en évolution constante. 3. Les décès par overdoses Les décès dû aux SP illicites sont estimés à 1600 (VIH, sida, surdoses, pathologies chroniques dû au virus de l’hépatite C, accidents) par année98 . Depuis 2013, les morts par surdose, liés aux amphétamines, aux nouveaux produits de synthèse et à l’héroïne, et également à des détournements ou à des mésusages de médicaments, se montrent en hausse. Mais force est de constater qu’ils sont moins nombreux que dans certains pays voisins d’Europe.99 En 2016, l’enquête DRAMES restitue néanmoins une hausse du nombre de décès liés à l’usage excessif de substances psychoactives (SP illicites et médicaments) de 243 pour 2014 à 343 pour 2015 et 406 en 2016 (qui peut être justifié par l’accroissement de la démographie). Le cannabis est impliqué dans 30 de ces décès et n’en ai l’unique cause qu’au nombre de 16. 4. La banalisation de la dépendance 95 Plan Mildeca, alcool, tabac, drogues, écrans, Plan national de mobilisation contre les addictions, 2018–2022, 2017, 132p 96 Nous retrouvons également cela à Lyon (voir annexe 1.1 – les usagers de drogue à Lyon) 97 Ibid. 98 KOPP P., Le coût social des drogues en France, 2015, Saint-Denis, OFDT 99 Le nombre de surdose serait de 3 à 4 fois plus élevé en Allemagne et 6 à 8 fois plus au Royaume-Uni (Mildeca, 2018)
  • 28. 22 L’histoire des addictions (des « toxicomanies » et dépendances ) ne se fond pas avec celle des SP. L’avènement de la notion de dépendance ainsi que des mots en « manie » ou « isme » correspond à l’apparition de la société moderne, industrielle puis « post-industrielle », et avec la notion d’une société basée sur l’individualisme démocratique, sur l’individu et sa liberté plus que sur la communauté. Un modèle juridico-social fonde les politiques publiques et les représentations sociales depuis près de deux siècles. Il attribue au problème le statut de « fléau social » supplantant une certaine isolation sociale dont ils font pourtant la connaissance comme le démontrent Mougotov et Lagrange et lui offrent comme réponse la standardisation des comportements au travers de la loi et si besoin par l’action thérapeutique.100 Ce « problème » tend plus à devenir une situation face à laquelle l’ensemble des acteurs politiques, sociaux et de santé proposent des outils pour son accompagnement. Elle est catégorisée d’ordre publique puisque des conséquences directes et indirectes dans l’espace public peuvent apparaître. La dépendance, quand il s’agit de produits illicites, pose problème dans le sens où elle réfrénée et punie101 et dans ce qu’elle produit chez le consommateur. Autrement dit, lorsque la souffrance supplante le plaisir. Néanmoins, comme nous l’avons vu, le désir humain d’accéder à une certaine jouissance mêlé à l’accroissement de l’offre a rendu un certain nombre d’individus accro, dépendant à des substances toujours plus fortes mais classées législativement comme illégales. Ainsi, ces dépendances, à l’inverse de l’alcool ou du tabac par exemple, conduisent l’usager à une certaine marginalisation de par la dangerosité qu’il fait encourir à la société selon l’Etat. La liberté individuelle qui pourrait concéder à n’importe quel citoyen de se shooter, s’est vu être restreinte pour justifications d’ordre et de santé publique. Cette même santé qui est pourtant mise à défaut via le trafic clandestin de substances illicites produit de la criminalité et des abus de faiblesse ainsi qu’une facilité de transmission de maladies et de surdoses chez le consommateur. Ce qui définit la dépendance est également la perte de contrôle et les notions de « craving »102 et de compulsion. Les dépendances ou addictions aux drogues sont couramment l’effet non désiré de l’usage de produits euphorisants, stimulants ou sédatifs ayant d’abord été pris pour leur portée psychoactive mais qui génèrent un dérèglement durable de la neurochimie de la récompense au 100 MOREL A., COUTERON J.P., FOUILLAND P., Aide-mémoire Addictologie, 2015 101 Annexe 2 – La double menace des drogues 102 Terme utilisé en addictologie signifiant un besoin irrépressible de consommer une drogue et d’en faire une recherche compulsive. Il peut également être associé à un sentiment de rechute L’addiction Elle constitue la conception et la représentation de la défaite de la quête de satisfaction, quête qui préside à la majorité des usages de substances
  • 29. 23 sein du cerveau. Par ailleurs, ce qui distingue la prise d’une SP à la consommation de chocolat par exemple est l’intention d’obtenir un effet psychoactif. Selon le choix de SP, l’effet sera bien entendu différent. Ce qui présente un risque pour le consommateur, au-delà des propriétés premières recherchées des SP, sont les effets nocifs pour sa santé. A court ou long terme et selon la fréquence d’usage, les risques d'engouement et de progression de la consommation sont non négligeables103 . Ils sont directement dû au caractère addictif des SP, variant selon le produit, ainsi qu’à la tolérance physiologique de l’usager. Par exemple, l’héroïne et le tabac ont un caractère plus addictif que la cocaïne prisée ou le cannabis104 . En effet, le tabac se place en 1re place (32% des usagers ont une dépendance), vient ensuite l’héroïne (23%), la cocaïne (17%) et l’alcool (15%)105 . Cette figure permet d’éclairer de quelle manière la répétition des prises de substances psychoactives de façon rapprochée transforme peu à peu l’expérience du plaisir à de la souffrance106 . Différents mécanismes sont à prendre en compte dans ce processus, à la fois sur les plans psychosocial et biologique qui peuvent être résumé en deux lois, la loi de la récupération et la loi de l’élévation du seuil de satisfaction107 . a) La loi de la récupération Le fait de reproduire l’expérience intensément et de manière trop rapprochée conduit à avoir des périodes de récupérations de plus en plus difficiles à accéder. Un effet indésirable plus long et plus problématique est donc provoqué, ce que l’on peut voir sur cette figure. Ainsi, chaque nouvelle consommation va devoir faire appel à une augmentation de l’intensité (de même que par le mode d’administration et les mélanges). Ce contre-effet procurera chez le consommateur l’envie de renouveler la consommation et d’augmenter les doses. 103 SANCHEZ Mario, Dans l’intimité des drogues, Paris, Editions Autrement, 2002, 197p 104 INSERM, Addictions, du Plaisir à la dépendance, (En ligne), https://www.inserm.fr/information-en-sante/dossiers- information/addictions, consulté le 10/05/19 105 Annexe 3 – Taux de dépendance 106 Annexe 4 - Poème de David, Quai 9 107 MOREL Alain, COUTERON Jean-Pierre, Les conduites addictives: Comprendre, prévenir, soigner, Paris, Dunod, 2008, 338 p
  • 30. 24 b) La loi de l’élévation du seuil de satisfaction Un état de besoin croissant est provoqué et la sensibilisation108 perçue par l’usager intervient sur la mémorisation profonde et sur le long terme. Celle-ci est conjointement liée au contexte de vie et n’est donc pas seulement un mécanisme biologique complètement autonome. Avec ces deux lois, il y a une double “pente” inhérente du processus addictif qui se met en place. Le degré de celle-ci dépend du produit, du contexte et des individus et le passage à « l’addiction » n’est pas si rapide qu’imaginé109 . D’un côté, il existe une élévation du “seuil de satisfaction”, autrement dit une proximité toujours plus importante de la zone de l’insatisfaction, d’expériences douloureuses et des complications. De l’autre côté, il y a une difficulté à retrouver un plaisir cherché et donc une intensification du recours à la substance. 5. Des facteurs de vulnérabilité Il existe en effet différents facteurs (environnementaux, individuels et directement liés à la substance) qui exercent une influence sur les possibilités de devenir un usager dépendant ou non. Ils peuvent être regroupé sous trois ordres : individuels d’abord, environnementaux ensuite puis liés à la substance enfin. Respectivement, il a été prouvé que chaque personne est plus ou moins vulnérable face à l’addiction et qu’un pourcentage de cette part est d’origine génétique110 . Les effets ressentis par chacun sont différents et certains peuvent avoir une inclination pour cet état altéré et de désinhibition. En ce qui concerne les facteurs environnementaux, la disponibilité du produit aura une importance. L’âge du début de consommation impacte également ce taux potentiel d’addiction111 . B. L’évolution du point de vue de l’Etat 108 Autrefois appelée « dépendance psychologique ». 109 Ibid. Les conduites addictives. 110 INSERM, Addictions, du Plaisir à la dépendance, (En ligne), https://www.inserm.fr/information-en-sante/dossiers- information/addictions, consulté le 10/05/19 111 Ibid. Addictions, du Plaisir à la dépendance Les différents facteurs d’influence
  • 31. 25 Si la consommation de substances psychoactives et leur commerce vivent une expansion sans commune mesure dès le milieu du XIXe siècle, c’est à partir de la seconde moitié du XXe siècle que la consommation telle qu’on la connaît aujourd’hui trouve ses prémisses. Les substances se diversifient pour atteindre l’essentiel des produits actuellement ingérés: on retrouve un usage important de cannabis dans les années 1960, l’apparition d’une consommation d’héroïne dans les années 1970, du crack et de la cocaïne dès les années 1980, et enfin d’ecstasy et des amphétamines dans les années 1990. Les populations usagères se diversifient également112 . Après avoir été conquises par les étudiants durant les mouvements psychédélique et hippies des années 1960, ce sont aujourd’hui plus fréquemment des ouvriers, des chômeurs, des jeunes de milieux défavorisés, des étrangers ou des personnes en situation de précarité qui en consomment plus régulièrement. Ce phénomène de démocratisation, particulièrement dans la tranche-d ’âge 18-25 touche toute l’Europe113 et selon Faugeron et Kokoreff la société moderne est une « société avec drogues ». Nous sommes passés d’une société unie autour du devoir vis-à-vis de la communauté, à une autre qui met au centre le devoir de s’accomplir d’abord soi-même. Ainsi, les SP sont l’objet d’un combat de valeur et d’une rupture profonde entre d’une part le besoin de sécurité et d’autre part, la performance, le risque et la « flexibilité ». La morale salvatrice et binaire qui a entretenue la « guerre à la drogue » apparaît aujourd’hui vaine et illusoire. 1. Une mise en perspective des limites entre le licite et l’illicite Les réactions diversifiées des individus face aux substances rend la conception d’une législation égale pour tous difficile114 . Ainsi, la loi est parfois exclusivement instrumentalisée à des intentions moins avouables. Débutant en Occident dans les salons de la haute société et de façon festive, les usages évoluent pour gagner ensuite les classes sociales inférieures.115 Les dommages restent toutefois similaires avec le développement d’un commerce parallèle, de nombreux trafics et d’une spirale autour de l’addiction. La législation évoluant au fil des pratiques condamne jusqu’à présent de façon démesurée les « drogues des pauvres » tels que la méthamphétamine ou le crack, aux effets désastreux. Elle reste d’un autre côté indulgente quand il s’agit de la 112 BERGERON Henri, Sociologie de la drogue, Paris, La découverte, 2009, 128p 113 Ibid. 114 Annexe 5 - Consultation : La différence entre drogue « dure » et drogue « douce » 115 Perrine Kervran, L'usage des drogues (3/4), Entre licite et illicite, France culture, (En ligne), 2019, 55 min. https://www.franceculture.fr/emissions/lsd-la-serie-documentaire/lusage-de-drogue-34-entre-licite-et-illicite, consulté le 25/05/19 En population générale, en 2017, 5% des 18-75 ans consomment six verres ou plus lors d’un même évènement toutes les semaines
  • 32. 26 consommation de la bonne société. Face à cela, le concept de l’illégal et du légal peut donc sembler dissocié de la véritable toxicité des produits actuels. Les « drogues licites » en France causent de nombreux dommages. L’alcool tient la première place du produit responsable de surdoses116 . Le tabac reste le « tueur en série historique» avec 73 000 morts chaque année, l’alcool en cause 49 000 et les SP illicites 2000.117 Par ailleurs, des nouveaux phénomènes de consommation apparaissent en France. Ainsi, d’après une récente une récente enquête de l’INSERM, au cours du mois précédant, 44% des jeunes de 17 ans ont vécu un épisode d’alcoolisation ponctuelle importante. De plus, en mai 2017, la consommation d’un mélange de soda et de médicaments comprenant de la codéine a causé la mort de deux jeunes. En population générale, en 2017, une étude de Santé publique France révèle que 5% des 18-75 ans « consommaient six verres ou plus en une même occasion toutes les semaines »118 , cela exposant à des complications d’ordre social, psychologique et médical119 . Par ailleurs, toutes les tentatives de législations françaises qui ont pu être mises en place depuis les années 1970 ont souvent à voir avec le contrôle de certains groupes sociaux, à l’instar du vote de la loi de 1970 ou du récent vote de l’amende forfaitaire concernant l’usage de stupéfiants ouvrant insidieusement la porte du « contrôle au faciès ». La comparaison du traitement politique, social et sanitaire fait à des consommateurs de groupes sociaux différents illustre le fait que les politiques des SP sont emblématiques du contrôle que l’on veut faire poser sur ceux-ci. Bien que la légalisation ne soit pas autorisée par les conventions internationales qui proscrivent toujours actuellement la production de substances illicites, il existe des changements dans la classification de substances dans certains pays. 120 Cela démontre la porosité existant entre les catégories du licite et l’illicite. L’Uruguay est le premier pays du monde à légaliser le cannabis en 2013 ce qui lui a valu la forte réprobation d’instances internationales. Pourtant d’autres l’ont suivi, à l’image de certains Etats des États-Unis par référendum ou le Canada. Le Portugal a quant à lui dépénalisé la possession de petites quantités de SP et a placé sous l’égide du ministère de la santé l’ensemble de la politique publique concernant les usagers de SP. Enfin, aux Pays-Bas, il 116 Annexe 6 – Classement des drogues en fonction de leurs menaces 117 Ibid. 118 BOURDILLON F. Éditorial. Alcool et réduction des risques (En ligne), 2019, http://invs.santepublique france.fr/beh/2019/5- 6/2019_5-6_0.htm, consulté le 25/05/2019 119 INPES, La santé en chiffres, alcool, (En ligne), http://inpes.santepubliquefrance.fr/CFESBases/catalogue/pdf/435.pdf, consulté le 25/05/2019 120 Perrine Kervran, L'usage des drogues (3/4), Entre licite et illicite, France culture, (En ligne), 2019, 55 min. https://www.franceculture.fr/emissions/lsd-la-serie-documentaire/lusage-de-drogue-34-entre-licite-et-illicite, consulté le 25/05/2019
  • 33. 27 existe une politique de tolérance et non de légalisation concernant le cannabis, qui provient pourtant de marchés illégaux121 . Voici « 1984, fictionette » un texte sorti en 1984 illustrant le détachement d’une époque, malgré la condamnation policière et la prohibition dure122 . Il revient par ailleurs sur la dénomination d’un produit en tant que « drogue » relevant plus d’une catégorisation politique que d’effets réels et démontrés. 2. De la drogue aux prescriptions de médicaments, des situations toujours addictives A la différence de la prohibition et de la réduction des risques qui ont cherché respectivement à punir le délinquant et à diminuer les effets de la consommation de l’usager, la prise en charge médicale l’a vu comme un patient à soigner.123 Avec l’augmentation de la réponse médicamenteuse, la politique de santé publique concernant des addictions aux substances illicites se transforme petit à petit en « surveiller et guérir »124 . Le consommateur de médicaments ressentira le même manque et la même souffrance qu’un usager d’héroïne mais sa situation ne sera ni réprimée ni punie et ne fera pas non plus l’objet de stigmatisations sociales comme le rappelle Marie Jauffret-Roustide.125 Cette situation transcende les classes sociales et révèle les injustices où la justice est impuissante face aux stigmas sociaux des « dominants » et des « dominés ». Il va y avoir une série de normes et d’interdits qui vont définir ce qu’est l’individu contemporain, jusqu’où il peut aller et jusqu’où l’Etat français s’autorise d’aller jusqu’au plus près de l’intime. Ainsi, sans toutefois régler le problème de la toxicomanie, la substitution permet au patient de rester vivant pour suivre une thérapie. Aussi, 121 Ibid. L'usage des drogues (3/4), Entre licite et illicite 122 MARCHANT Alexandre, L’impossible prohibition. Drogues et toxicomanie en France, de 1945 à nos jours, Paris, Perrin, 2018, 579p 123 Jauffret-Roustide M. et GRANIER J.M., Repenser la politique des drogues, Paris, Esprit, 2017, pp. 39-54 124 Perrine Kervran, L'usage des drogues (3/4), Entre licite et illicite, France culture, (En ligne), 2019, 55 min. https://www.franceculture.fr/emissions/lsd-la-serie-documentaire/lusage-de-drogue-34-entre-licite-et-illicite, consulté le 25/05/19 125 Nicolas Martin, Quelle frontière entre drogue et médicament ?, France culture, (En ligne), 2017, 58 min, https://www.franceculture.fr/emissions/la-methode-scientifique/quelle-frontiere-entre-drogue-et-medicament, consulté le 25/05/19
  • 34. 28 cela lui permettra de réduire nombre de problèmes dus à l’interdiction des SP, autrement dit, à l’interdiction du commerce. En France, ce programme, considéré par un grand nombre comme une méthode socialement efficace et libératrice pour les usagers de SP a connu différentes étapes depuis 1973. Durant 20 ans, la substitution par méthadone avait un caractère expérimental126 . Dès 1995, il acquiert le statut de médicament et est autorisé en vente sur le marché. L’effet de masse a gagné et celui-ci se retrouve étendu dans des trafics de rue dès 2010127 . Le Subutex128 , supposé réduire les risques, est fréquemment mélangé avec d’autres produits, injecté ou revendu pour acheter une autre substance129 . La méthadone peut s’apparenter à un cache misère, et c’est tout là l’enjeu de sa prescription, mais elle est également porteuse de l’opportunité d’une retour à soi-même et aux sensations fondamentales envisagées comme restituables pour l’usager. Ce modèle de substitution pour le sevrage des héroïnomanes est ancien et conserve une visée sécuritaire. Dans un certain sens, il n’y a plus besoin de s’interroger sur les motivations de l’assuétude, ni sur les problèmes culturels ou familiaux de l’usager. La finalité semble être pour certain une forme de normalisation de l’usage. Néanmoins, le financement du traitement médical au travers du remboursement des consultations et des médicaments à l’instar d’un développement d’une offre de services psycho-sociaux fait débat. Il s’agit en outre de considérer d’une part l’usager comme un malade ou bien comme une personne en souffrance psychique130 . L’exemple de l’épidémie d’overdoses131 aux États-Unis montre à quel point un usage dérégulé de médicaments (antidépresseurs, anxiolytiques, antidouleurs…) peut conduire à la dépendance de substances encore plus fortes, telle que l’héroïne, ou à la mort132 . En ce sens, nombre de médicaments sont intégrés au marché sans questionnement sur leurs effets indésirables et causant des dizaines de milliers de morts chaque année dans le monde133 . Les textes législatifs ne peuvent pas modifier les stigmates que vivent les usagers de SP. Ce n’est qu’une modification des perceptions sociales qui peuvent aller à l’encontre de la marginalisation ou l’exclusion que peuvent vivre les usagers de SP. 126 Ils étaient une cinquante de patients à recevoir des prescriptions de méthadone dans moins de trois centres spécialisés et ils sont près de 50 000 en France en 2013 127 DUGARIN J., DUPUY G. et NOMINE P., Arrêter la méthadone, pour quoi faire ?, Psychotropes, n°2, 2013, pp. 9-22. 128 Sa consommation présente peu de risque d'overdose indépendamment de la dose consommée 129 Témoignage de Philippe, Educateur Spécialisé au CAARUD Ruptures de Lyon, avril 2019 130 COPPEL Anne, « Les politiques de lutte contre la drogue : le tournant de la réduction des risques », Les Cahiers de l’Actif, n°310-311, mars-avril 2002, p11-22 131 L’opiacé synthétique l’OxyContin produit par Purdue Pharma (appartenant à la famille Sackler) est à l’origine d’une importante épidémie d’overdoses causant la mort de près de 70 000 américains en 2017. Cela représente un plus de morts que ceux causés par les armes à feu ou les accidents de la route. A titre de comparaison, en France, sont comptabilisés 243 morts par overdoses en 2014 132 ROBIN Maxime, Le Monde diplomatique, Overdoses sur ordonnance, (En ligne), 2018, https://www.monde- diplomatique.fr/2018/02/ROBIN/58390, consulté le 25/05/19 133 VIRAPEN John, Médicaments effets secondaires : la mort, Paris, Cherche Midi, 2014
  • 35. 29 C. La précarité, le marché de la drogue et la résistance La toxicomanie peut s’apparenter à une sortie de la « galère » tout autant qu’elle peut en être la destinée, avec l’absence de travail ou d’occupations, et des liens sociaux peu structurés et flottants134 . Elle ne représente plus une sorte d’exploration de soi entre la période de l’adolescence et de l’âge adulte mais bien le résultat ou la cause non systématiques d’une désinsertion professionnelle, de chômage etc. Certains usagers prennent des risques sanitaires durant leur consommation, comme le partage de seringues et se retrouvent avec une dégradation de leur santé ou de leur situation économique et sociale comme la montré Pascalle Jamoulle. 1. Exclusion, précarité et problèmes d’insertions professionnelles Si l’on ne prend que les usagers ayant un comportement d’addiction, nous retrouvons une prédominance d’hommes135 en situation de précarité. A Lyon, les femmes, peu nombreuses sont principalement en couple ou, lorsqu’elles sont jeunes, dans des groupes mixtes d’après les recensements CAARUD ou des CSAPA. Les groupes de « punk » sont de moins en moins nombreux, plus souvent sont les jeunes qui descendent plus au sud ou qui souhaitent tester le mode de vie nomade en période estivale. Environ âgés de vingt à trente ans, certains sont tout de même des mineurs de 16 ou 17 ans, principalement en rupture familiale et parfois logés en foyer. D’un point conjoncturel, le taux de pauvreté des moins de 25 ans a été multiplié par deux en à peine quarante ans depuis 1970. 136 Au sein des usagers de SP, différentes nationalités sont représentées, à l’image de l’Europe de l’Est, de l’Europe occidentale, du Maghreb. Les raisons de leur venue sont variables, il peut s’agir de fuir la guerre dans leur pays d’origine ou de retrouver des membres de leur famille. Il s’agit aussi parfois d’avoir accès aux soins pour soigner le virus du VIH ou l’hépatite C pouvant être difficilement accessibles dans leur pays (pour cause d’absence de sécurité sociale, de coût importants de traitement etc.). Enfin, certains arrivent par choix de vie nomade ou par contraintes financières et psychiques. Les allers-retours avec le pays d’origine sont plus ou moins choisis et fréquents137 . En France, 140 000 personnes vivent dans la rue de manière occasionnelle ou permanente et la moitié d’entre eux ont des conduites addictives (alcool, cannabis, tabac etc.) 138 . 134 Bergeron Henri, Sociologie de la drogue, Paris, La découverte, 2009, 128p 135 Ils sont 80% à Lyon. Témoignage de Nina Tissot, sociologue, mai 2019 136 Observatoire des inégalités, Pauvreté et précarité en chiffres, 2016, En ligne, https://www.inegalites.fr/Pauvrete-et-precarite-en- chiffres, consulté le 12/05/19 137 TISSOT N., Phénomènes émergents liés aux drogues, 2017, OFDT 138 Bulletin Académique National de Médecine, Précarité, pauvreté et santé, n°4-5-6, 2017
  • 36. 30 Cette situation est d’autant plus vicieuse que l’isolement favorise directement l’exclusion des réseaux de sociabilité et de soins et entraîne alors l’individu vers une marginalisation. A Lyon, la situation de précarité est tout autant importante qu’au niveau des usagers nationaux139 . Ils sont nombreux à dormir en foyer d’hébergements, sous un pont, dans des squats, et parfois chez des tiers. Certains vivent avec des minimas sociaux et d’autres ne le souhaitent pas140 . Ils ont connaissance des différentes structures d’accompagnement ou d’accueil vers lesquels ils peuvent se tourner. Il peut être plus ou moins compliqué de se déplacer en transport en commun dans la ville à cause des chiens qui n’étaient pas acceptés dans les transports en commun lyonnais jusqu’à l’année dernière. Il en est de même pour les structures d’hébergement qui ne sont que deux à les accepter. Ainsi, à cause de ces restrictions et difficultés, ils peuvent se retrouver démotivés de rejoindre un CSAPA ou CAARUD141 . Les consommations de SP peuvent alors aider à soutenir ce mode de vie, quel qu’en soit la cause. Les SP représentent pour eux une aide pour supporter la vie, le froid ou la chaleur, aux douleurs142 et conduisent à fréquenter un certain groupe de personnes de par la consommation collective ou les réseaux de revente. 2. Des problèmes de santé Cette consommation provoque des dommages psychologiques ou somatiques particuliers. La situation de précarité chez les usagers de SP entraîne en effet une prévalence de maladies et une mortalité importante. Elle peut être le résultat de situations médicales ou socio-économiques (perte de revenus, exclusion sociale etc.) et se trouve encore plus fragilisée par la situation de dépendance. Au-delà des préjudices liés à la consommation du produit, des études démontrent que les consommateurs de drogues font particulièrement l’objet d’infections à l’hépatite C. L’enquête ANRD-Coquelicot de 2011-2013 met en lumière la prévalence des anticorps anti-VHC de 44% au sein des consommateurs de drogues et de près de 65% parmi les consommateurs de SP par voie injectable ayant injecté au moins une fois durant leur vie143 . Le risque de maladies cardio-vasculaire est multiplié par 1,4, maladies métaboliques par 2,9144 . 139 Ibid, Phénomènes émergents liés aux drogues 140 Certains souhaitent marquer leur dépendance vis-à-vis de l’Etat en n’acceptant pas l’aide financière. D’autres n’en n’ont tout simplement pas l’accès à cause de leur situation irrégulière ou des démarches administratives complexes. 141 Témoignage de Philippe, Éducateur Spécialisé au CAARUD Ruptures de Lyon, avril 2019 142 Un usager de drogue rappelait cela lors d’une prise de parole à l’AG du Quai 9, mai 2019 143 WEILL-BARILLET L., et al. Hepatitis C virus and HIV seroprevalences (…) a comparison of geographical areas in France, ANRS- Coquelicot 2011 survey. Revue d'Epidémiologie et de Santé Publique, Vol. 64, p. 301-312 144 Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale, Plan pluriannuel contre la pauvreté, 2016 D’un point conjoncturel, le taux de pauvreté des moins de 25 ans a été multiplié par deux en à peine quarante ans depuis
  • 37. 31 Nombreux sont les usagers ayant des infection ou abcès de par les injections faites dans de mauvaises conditions d’hygiène et d’autres problèmes dû à la précarité (problèmes de dents, de pieds, de peau…). L’usage de SP masque souvent ces douleurs mais peut néanmoins augmenter les conséquences qui n’auraient pas été à la même échelle en temps normal. Cette année, les CAARUD de Lyon ont comptabilisés un nombre plus important de décès en lien avec leur usages, mais surtout inhérent à leur mode de vie et aux usages d’antalgiques ayant pour effets de ne pas compenser les pathologies et aussi responsable du retard de prise en charge de soins.145 Ils sont pour la plupart des polyconsommateurs et non pas des polytoxicomanes, puisqu’ils ont généralement une addiction à un seul produit mais des consommations accessoires de multiples produits146 . Leurs consommations sont plus ou moins substituables selon les disponibilités et la qualité des produits disponibles. Cela pourrait s’apparenter à un certain « nomadisme de défonce »147 , dû à une précarité économique et parfois psychique. Le quotidien s’organise autour de la recherche du produit, afin de soulager le manque et il prend ainsi toute la place : du temps, de l’argent et de la sociabilité148 . En France, une personne « pauvre » bénéficie des prestations afin de réduire sa pauvreté et sa précarité (au travers de minima sociaux, tels que le RSA, le minimum vieillesse, la CMU etc.)149 On recense 5 millions de personnes vivent avec moins de 60% du revenu médian en 2015150 . La synthèse établit que les dommages liés à la consommation sont amplifiés si l’âge des 1re prises se situe en dessous de l’âge moyen d’initiation, si les consommateurs précoces se tournent vers une plus grande variété que la moyenne, si le consommateur a des difficultés sociales et personnelles, s’ils font l’objet de procédures de justice pénale et s’ils vivent des expériences de privation de liberté. Mais les conclusions ne sont pas aisées à tirer, d’autant plus qu’un comportement ne va pas systématiquement faire tendre l’usager vers la dépendance comme le montre Peretti-Watel. 145 Information recueillie par un éducateur spécialisé du Quai 9 à Genève, mai 2019 146 Information recueillie par le psychiatre Louis Clave lors de Rencontre du film Oslo, 31 Août au Comoedia, Décembre 2018 147 TISSOT N., Phénomènes émergents liés aux drogues, 2017, OFDT 148 Nous pouvons retrouver cela dans le film Oslo, 31 août de Joachim Trier ou la pièce de théâtre Dans la solitude des champs de coton de Bernard-Marie Koltès 149 Observatoire des inégalités, Pauvreté et précarité en chiffres, 2016, En ligne, https://www.inegalites.fr/Pauvrete-et-precarite-en- chiffres, consulté le 12/05/19 150 Observatoire des inégalités, Les seuils de pauvreté en France, (En ligne), http://www.inegalites.fr/spip.php?article343, consulté le 12/05/19 En 2015, 5 millions de personnes vivent avec moins de 60% du revenu médian en
  • 38. 32 Les consommateurs qui ont l’environnement social, culturel, intellectuel et affectif pour maitriser le produit le feront plus rapidement et emporteront moins de stigmates que les autres. Ces autres consommateurs à l’environnement moins favorables pourront avoir des handicaps sociaux exacerbés par la consommation de produits psychoactifs151 . Sortir de l’addiction est un douloureux combat avec soi-même. C’est pourquoi, si l’abstinence n’est pas la fin ultime de certains usagers, la réduction des risques, sans les opposer peut permettre de ne pas aggraver l’addiction et l’état de santé. 151 Nicolas Martin, Quelle frontière entre drogue et médicament ?, France culture, (En ligne), 2017, 58 min, https://www.franceculture.fr/emissions/la-methode-scientifique/quelle-frontiere-entre-drogue-et-medicament, consulté le 25/05/19
  • 39. 33 III. La réduction des risque, politique plus viable que la répression A contre-courant de la loi de 1970, la politique de RdRD152 prend en compte les différents risques liés à la consommation de substances psychoactives. Les risques somatiques (surdoses, virus des hépatites C et B, accidents, des champignons ou bactéries ou champignons), les risques sociaux, (insécurité routière, précarité, exclusion)153 , les risques psychiatriques (troubles anxieux, dépressifs, de l’humeurs, psychoses etc.) et enfin, les risques judiciaires (incarcération, poursuites pénales). La réduction des risques et des dommages se veut être une démarche de santé publique utilitaire limitant les risques liés à l’usage de SP sans forcément avoir comme premier objectif l’abstinence ou le sevrage154 . Elle prend également en compte les motivations et les conditions dans lesquelles les personnes consomment afin de définir une stratégie adéquate et en accord avec leurs besoins du moment et leur perspectives. Par ailleurs, plusieurs études démontrent que la prise en charge socio-médicale des consommateurs de SP est plus opérante que leur prohibition155 . C’est en ce sens-là que la politique de réduction des risques prend tout son sens. A. Des programmes déjà ancrés sur le territoire français 1. Agir en amont avec la prévention Une récente actualisation du plan de lutte contre les addictions de 2013-2017 visant à intensifier cette politique a été validé via un nouveau plan pour 2018 et 2022. Établi autour de 6 axes, et proposant 200 mesures, il « met l’accent sur la prévention et apporte une attention particulière aux publics les plus vulnérables du fait de leur âge ou de leurs fragilités»156 . a) Intervenir selon le moment (t) de l’intervention (OMS, 1948) 152 Réduction des Risques et des Dommages 153 Mildaca, La réduction des risques (RDR), 2015, https://www.drogues.gouv.fr/comprendre/ce-qu-il-faut-savoir-sur/la-reduction- des-risques, consulté le 14/05/19 154 MOREL Alain, COUTERON Jean-Pierre, Les conduites addictives: Comprendre, prévenir, soigner, Paris, Dunod, 2008, 338 p 155 HUDSON TESLIK Lee, The Forgotten Drug War, Council on Foreign Relations, 2006 156 Plan Mildeca, alcool, tabac, drogues, écrans, Plan national de mobilisation contre les addictions, 2018–2022, 2017, 132p
  • 40. 34 Comme explicité sur la figure ci-dessus, la prévention vise soit la non-entrée dans la consommation, soit la prévention des phénomènes de consommation précoce ; excessive ou chroniques à risque ; la dépendance et les conséquences néfastes de la consommation. Il existe de nombreuses manières de concevoir et d’appréhender la prévention mais n’en seront exposées ici que trois. La première a été développée par l’OMS en 1948 et dépend du stade de la « maladie ». La deuxième a été théorisée par Gordon en 1982 au travers d’une population cible157 . La troisième théorisée par le Professeur San Marco met en avant la « prévention globale ». De prime abord, la prévention n’a été ni initiée ni pensée pour appréhender l’addiction. Elle s’y applique cependant et c’est pourquoi elle est prise en compte dans l’ensemble des outils constituant la Réduction des Risques. (1) La prévention primaire La prévention primaire a pour objectif de « diminuer l’incidence »158 d’empêcher l’apparition de nouveaux cas parmi les individus et s’établit avant l’apparition de la maladie.159 A cette étape de la prévention, sont pris en compte les conduites individuelles à risque, tels que les risques en terme sociétaux ou environnementaux.160 (2) La prévention secondaire (t+1) Son but est de « diminuer la prévalence »161 d'une maladie au sein de la société. A cette étape, la prévention agie au tout début de l’apparition de la pathologie pour qu’elle ne puisse pas se développer ou au mieux afin que les symptômes ne deviennent pas chroniques. L’objectif est également d’améliorer les perspectives d’avenir. 157 BOURDILLLON F., BRUCKER G., TABUTEAU D., Traité de Santé Publique, chapitre 15 Prévention et promotion de la santé, Edition Médecine-Sciences Flammarion 158 Solidarité Santé, Rapport Flajolet, 2008, 159 Addiction Suisse, Concepts de prévention des dépendances, 2013, Lausanne 160 Ibid. Rapport Flajolet 161 Ibid. Concepts de prévention des dépendances Répartition des prévisions selon le moment d’intervention Pas de problème •PREVENTION PRIMAIRE •Entraver l'apparition du problème Problèmes •PREVENTION SECONDAIRE •Eviter que les symptômes persiste Maladie •PREVENTION TERTIAIRE •Entraver les complications et prévenir les rechutes t+1 t+2