Parution Double Sens dans le magazine Marie France - Août 2014
Parution Double Sens dans le magazine Psychologies - Mars 2011
1. psychologies magazine mars 2011124 mars 2011 psychologies magazine 125
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Isabelle,47 ans,mèrededeuxadolescents,avaitunbesoinviscéraldematernerànou-
veau. Profondément marquée par un premier passage en Afrique, elle décide, malgré
ses appréhensions, de partir en « voyage solidaire » dans un orphelinat au Bénin.
Propos recueillis par Valérie Péronnet – Photos frédéric Stuain
« En 2005, je suis
revenue d’un séjour au Congo
complètement bouleversée,
etremplied’unprofondsentimentd’impuissance.J’étais
allée y passer quelques semaines avec mon compagnon
de l’époque, originaire de là-bas. Nous avions été ac-
cueillis à bras ouverts par sa famille, mais plusieurs an-
néesdeguerreavaientprofondémentmarquélepays.J’ai
vécu une expérience très forte, chaleureuse mais rude,
dansunemaisonsanseau,sansélectricité,aumilieudes
enfants qui pleuraient de faim, avec l’impression d’être
submergéeparunesituationquimedépassaitcomplète-
mentetpourlaquellejen’avaisaucunesolution.Quandje
suisrentréeenFrance,mavieareprissoncours.Maisje
n’aijamaisoubliéleregarddesenfantsdeBrazzaville.
Quelquetempsplustard,jemesuisretrouvéecéliba-
taire. Mes deux enfants avaient passé l’âge de partir en
vacancesavecleurmamanet,aprèsquelquesvoyagesde
tourismeavecmescopines,j’airéaliséquej’avaisenvie
de découvrir d’autres horizons, de rencontrer d’autres
personnes, autrement. Mais comment ? Je ne me sen-
tais pas capable de partir toute seule à l’aventure. Je
n’étaismêmepastrèssûredepouvoirpartirseule ;cela
ne m’était jamais arrivé… C’est à ce moment-là que j’ai
entenduparlerde“tourismesolidaire” :uneformulequi
permet d’aller en vacances dans les pays en voie de dé-
veloppement en mélangeant tourisme et coup de main
auxhabitants.J’aitoutdesuitepenséàl’Afrique.L’idée
de retourner là-bas, dans de bonnes conditions, pour
donner un peu de mon temps en échange du plaisir du
dépaysement m’a semblé équitable.
J’avais envie de m’occuper d’enfants : je suis une
mèredontlespetitsont grandi,et leurcontactmeman-
que,viscéralement.Etpuisc’étaitpourmoiunemanière
de prolonger et même de “réparer” ma rencontre avec
lespetitsCongolais…J’aitrouvéuneagencedevoyages
très particulière, Double Sens, qui commercialise des
voyages solidaires. La clarté de leur propos m’a plu : il
n’étaitpasquestiond’humanitaire,maisdepartage,de
rencontres vraies et de développement durable. La for-
mule qui me semblait la plus adaptée à mes envies pro-
posaitquatresemainesauBénin :huitjoursd’excursion,
avecdécouvertedupaysencompagniedeguideslocaux,
et trois semaines de mission d’animation socio-éduca-
tive dans un orphelinat.
J’aivraimentbeaucouphésité.Partirtouteseule,
si loin, sans être accompagnée de quelqu’un que je
connaissais représentait pour moi une aventure
majeure. Je n’étais pas sûre de pouvoir gérer mes émo-
tions sans m’y engloutir. Je n’étais pas sûre de tenir le
choc.Jen’étaispassûredesupporterdepasserunmois
loindeceuxquej’aime.Jen’étaispassûredepouvoirêtre
utileàcesenfants…Enfait,jen’étaissûrederien.
Je suis partie quand même, l’été dernier. J’ai laissé
mesenfantsetmonnouvelamoureuxàleurs vacances
respectives, et je me suis envolée pour le Bénin, où
j’ai retrouvé quatre “voyageurs solidaires” que je ne
connaissais pas. Nous avons commencé par une se-
maine de tourisme, qui nous a permis de faire connais-
sanceaveclepays,maisaussilesunsaveclesautres :un
jeune couple en voyage de noces et deux femmes voya-
geant seules, comme moi. Tous découvraient le conti-
nentafricain ;moi,jedécouvraisleBénin,émerveillée
deretrouverlescouleursetl’énergieafricaines.C’était
exactement les vacances dont j’avais envie : logement
modeste mais confortable, loin des hôtels clubs et des
circuits touristiques habituels, et rencontre simple et
directe avec les habitants.
Au bout de huit jours, les jeunes mariés nous ont
quittées pour une autre destination, et mes deux “co-
voyageuses” et moi sommes arrivées à Ouidah, pour
lerécit
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lerécit«jesuispartieenvoyagesolidaire»
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>>> trois semaines de mission dans un orphelinat. Pour
elles, ça a été un choc de voir tous ces enfants vivre en-
semble, sans parents, dans des bâtiments qui peuvent
paraître très sommaires à nos yeux d’Occidentaux.
Mais, pour moi, ça a été une joie, et une émotion très
forte : les enfants étaient en bonne santé, bien nourris
etsouriants,joyeuxetheureuxdenousvoir.Jemesuis
immergée au milieu d’eux et j’ai compris que j’étais là
pour m’offrir le bonheur de materner à nouveau.
Nous nous sommes organisées. Nous étions logées
dans une petite maison tenue par une jeune femme
adorable. C’était une période de vacances scolaires
pourlesenfants.Nousavionsàassurerdeuxheuresde
devoirs de vacances le matin et trois heures d’anima-
tion l’après-midi, tous les jours, en soutien au person-
nel de l’orphelinat, géré par une petite ONG. Le travail
s’est réparti naturellement entre nous, en fonction de
nos compétences et de nos affinités : une des “covoya-
geuses” était plutôt douée en travaux manuels, l’autre
en théâtre, et moi j’adore la danse. Nous avions toutes
remplinosbagagesdematérielpédagogiqueet,unefois
à pied d’œuvre, nous avons improvisé…
J’ai passé trois semaines incroyables, riches, drôles,
épuisantes,enayantl’impressiondenejamaism’arrêter,
même si nous avions les week-ends et les soirées pour
souffler. Ces enfants sont tellement avides de tout, heu-
reux de la moindre marque d’attention ou d’affection,
gourmandsdetoutcequel’onpeutleurdonner,prompts
à l’exprimer et à partager leur plaisir ! Passer du temps
aveceux,c’estcommeplongerdansuntourbillondevie
où le plus petit échange prend une valeur inestimable.
Même si, durant mon séjour, il m’est arrivé d’avoir un
oudeuxcoupsdeblues– c’estlong,unmoisloindesgens
quel’onaime ! –,jen’aijamaisregrettéd’êtrelà,aveceux.
Etlesquitteraprèsavoirpassétroissemainesd’unetelle
intensité, en sachant que je ne les reverrais sans doute
jamais,aétéunmomentassezdouloureux.
Je suis sortie de ce tourbillon enchantée et exté-
nuée,débordanted’émotionscontradictoires,secouée
dans tous les sens, mais tellement vivante ! Heureuse !
Fièred’avoirétéutileàcesenfants,mêmefurtivement,
et remplie de l’incroyable énergie qu’ils m’ont offerte
en retour… Quand je suis rentrée en France, je n’avais
pas de mots pour parler d’eux aux miens. Pendant plu-
sieursjours,jen’aipaspu.C’étaittropintime,tropfort,
tropviolentàl’intérieurdemoi.Etpuismatempêtein-
térieure s’est calmée, et j’ai pu raconter, un peu. Mais
surtout, semaine après semaine, j’ai pu ressentir, pro-
fondément, la force que mon séjour à l’orphelinat a im-
primée en moi.
Toutlemondenecomprendpas.Payerlemêmeprix,
voire plus cher, qu’un “séjour tout compris” pour aller
“travailler”pendantsesvacancessembleàcertainsune
totale absurdité. Mais ça me convient, à moi. Je pense
quecevoyageaétécommeunrévélateur :jeneveuxpas
passerlerestedemavierecroquevilléesurmoi-même.
Et j’ai découvert avec bonheur que mes enfants ont ce
désireuxaussi :monfilss’estportévolontairepouraller
installer des panneaux solaires en Afrique, avec son
école. Ma fille a eu le courage de partir, seule, vivre six
mois à l’étranger. Je suis fière d’eux. Et j’ai décidé, moi,
de repartir, bientôt. C’est un projet à ma mesure. »
Double Sens organisedesdépartschaquemoispourdifférentes
missionsauBéninetauBurkinaFaso :www.doublesens.fr.
D’autresorganisationsettour-opérateursproposenteuxausside
voyager« autrement » :tourismesolidaire.org.
« Jesuissortiedecetourbillonenchantéeetexténuée,
débordanted’émotionscontradictoires,secouéedanstous
lessens,maistellementvivante !Heureuse ! »
D.R.
Isabelleencours
desoutienscolaire
àl’orphelinatEspoir
d’enfantsdeOuidah,
auBénin,en2009.