1. PRÉSENTATION RÉSUMÉE DE LA THÈSE :
LE CONTRÔLE DU COMPORTEMENT DE FIDÉLITÉ :
PREMIERS JALONS
POUR UNE THÉORIE DYNAMIQUE ET ÉCLECTIQUE.
Jean FRISOU
présentée et soutenue publiquement le 14 janvier 2004
à L’ Université de Pau et des Pays de l’Adour, IAE, CREG
Directeur de recherche :
Christophe BENAVENT
Professeur des Universités à l’Université de Pau et des Pays de l’Adour
Jury
Marc FILSER Pierre VALETTE - FLORENCE
Professeur à l’Université de Dijon Professeur à l’ Université de Grenoble
Rapporteur Rapporteur
Dominique CRIÉ Éric VERNETTE
Professeur à l’ Université de Lille Professeur à l’ Université de Toulouse I
Résumé : Le comportement de fidélité des clients est à la fois un thème majeur de la recherche en
marketing et un objectif stratégique des entreprises. Cette thèse a pour but de contribuer à une meilleure
connaissance des processus qui contrôlent le comportement de fidélité. Par contrôle nous entendons tous
les processus qui ont pour effet de développer ou de faire régresser sur le long terme ce comportement.
Alors que les théories marketing s’enferment dans des vues partielles du contrôle et négligent la dimension
temporelle du phénomène, nous suggérons un cadre théorique rénové, centré sur la dynamique du
contrôle du comportement de fidélité, et fondé sur une démarche éclectique. Pour bâtir ce cadre trois axes
de réflexion ont été développés : 1) Comment les théories marketing abordent elles la question du
contrôle ? 2) Qu’apportent les théories psychologiques du contrôle de l’action à la compréhension du
comportement de fidélité ? 3) Comment rendre compte de façon cohérente de la dynamique de ce
phénomène, et des sources multiples de contrôle qu’on lui prête ? Ces investigations confortent notre
thèse. Il n’existe pas un processus unique contrôlant sur le long terme l’évolution du comportement de
fidélité, mais deux processus distincts agissant en parallèle. L’un interne au client de nature cognitive,
l’autre externe qui implique directement son environnement. Les concepts de tendance latente au
comportement de fidélité et de propension à l’apprentissage sont alors définis puis intégrés dans un
modèle théorique qui les confronte à l’attitude envers le comportement de fidélité et à la satisfaction. La
mise en œuvre des construits et le test de nos hypothèses de recherche sont ensuite effectués à partir de
données de panel comportementales et attitudinales traitées selon la méthodologie des modèles de courbe
latente. Il ressort de cette étude que notre thèse est empiriquement corroborée. L’apprentissage opérant et
l’apprentissage cognitif contrôlent plus de 50 % de la tendance latente au comportement de fidélité.
Mots-clés : Contrôle, fidélité, trajectoire latente d’achat, trajectoire latente des renforcements, tendance
au comportement de fidélité, propension à l’apprentissage, attitude envers le comportement de fidélité.
Nombre de pages : 335 Nombre de références bibliographiques : 214
Méthodologie : Modèles d’équations structurelles de courbes de croissance latentes.
2. 1
CHAPITRE 1 - INTRODUCTION
Thème majeur de la recherche en marketing, le comportement de fidélité de l’acheteur
est devenu sous la pression concurrentielle des marchés, un objectif stratégique des firmes.
Dans le cadre opérationnel, il inspire à l’entreprise ses discours et ses pratiques, même si
celles-ci ne lui apportent pas toujours les résultats escomptés. S’agissant de la recherche le
comportement de fidélité nourrit une abondante littérature, qui reste néanmoins marquée par
des clivages forts. Une opposition subsiste en effet entre ceux qui voient dans la fidélité un
phénomène comportemental de répétition d’achat, et ceux qui subordonnent le comportement
de fidélité au développement d’une attitude favorable de l’acheteur envers la marque. Mais en
dépit des divisions qu’il suscite chez les chercheurs et des doutes qu’il inspire aux managers
le thème du comportement de fidélité conserve pour ces deux communautés le même intérêt.
Celui-ci a trait au contrôle du comportement de fidélité, même si le mot contrôle reste encore
tabou en marketing. En lançant des programmes de fidélisation les entreprises n’ont d’autre
but que de contrôler sur le long terme les comportements d’achat de leurs clients. Expliquer le
comportement de fidélité conduit inévitablement à identifier les variables qui contrôlent ce
processus d’achat. Notre thèse se propose donc de revisiter le thème crucial du comportement
de fidélité de l’acheteur, en développant et en testant un nouveau cadre théorique qui puisse
contribuer à une meilleure connaissance du contrôle de ce comportement.
Par contrôle, nous entendons tous les processus psychologiques qui ont pour effet de
développer ou de faire régresser le comportement manifeste de fidélité sur le long terme (i.e:
durant plusieurs années). Alors que les théories marketing se sont enfermées dans des vues
réductrices du contrôle, nous proposons un cadre théorique rénové, privilégiant l’approche
éclectique, et la dynamique du phénomène. Nous défendrons la thèse suivante : il n’existe pas
un processus unique contrôlant sur le long terme la tendance de l’acheteur au
comportement de fidélité, mais deux processus distincts qui agissent en parallèle. L’un
d’origine interne est un processus de contrôle cognitif, l’autre d’origine externe dépend
des contingences de l’environnement. Cette problématique répond à quatre exigences, i)
dépasser les antagonismes, ii) privilégier l’éclectisme, iii) repenser la fidélité en termes de
développement, iiii) reconsidérer le rapport du client à son environnement.
i) Le premier obstacle à surmonter est de dépasser l’opposition toujours très vive entre
les conceptions attitudinale et comportementale de la fidélité. Cette rivalité exprime sur le
fond des positions philosophiques très différentes. L’approche attitudinale voit dans les achats
répétés du client des actes délibérés exprimant son libre arbitre. L’approche béhavioriste au
contraire enferme le client dans le déterminisme que lui impose son environnement. Concilier
ces deux approches du contrôle nous paraît essentiel, car on imagine difficilement que le
comportement de fidélité puisse échapper soit à la pression directe de l'environnement auquel
le client est soumis, soit aux représentations cognitives qu'il se fait de cet environnement.
ii) Cette dualité de point de vue implique ensuite de faire un choix méthodologique
approprié. Nous avons opté pour une démarche éclectique, qui seule selon nous, peut faciliter
un tel dépassement. Cet éclectisme ne doit pas être confondu avec un mélange de systèmes de
pensées duquel émergerait une théorie nouvelle de la fidélité. Il s’agit au contraire d'étendre et
de coordonner des méthodes d'investigation, qui bien que traitant des données différentes,
rendent compte d’un même fait, le comportement de fidélité.
iii) La dynamique du phénomène est encore une grande faiblesse des recherches
consacrées à la fidélité, et cela malgré quelques initiatives isolées qui tentent de combler cette
3. 2
lacune. En privilégiant une vision dynamique nous cessons de voir dans le comportement de
fidélité simplement un résultat ou une « réponse ». Nous le considèrerons au contraire comme
un processus qui contrôle ce résultat sur le long terme, c’est à dire durant plusieurs années.
iiii) Une dernière exigence concerne le changement de regard qui devrait être porté sur
la relation entre le client et son environnement. Le modèle béhavioriste du conditionnement
répondant et les modèles cognitifs qui inspirent les théories de la fidélité partagent une même
conception réductrice de cette relation. Si elles reconnaissent les effets directs ou indirects que
l’environnement produit sur la conduite des individus, elles ignorent en revanche que cet
environnement est lui même modifié en retour par les comportements de l’individu. Ainsi, si
l’acheteur utilise de façon efficace le programme de fidélité auquel il a souscrit, il transforme
son environnement en environnement gratifiant, l’encourageant à poursuivre le programme.
Si l’acheteur n’utilise pas ce programme à bon escient il transformera son environnement en
environnement frustrant, de nature à remettre en question ses choix. C’est notamment le cas
lorsque le client oublie sa carte de fidélité. L’environnement et le client se co-déterminent
mutuellement, et le comportement de fidélité doit être envisagé dans cette double perspective.
Pour conduire notre recherche nous avons emprunté une démarche tout à fait classique.
En guise d’introduction générale, un premier chapitre souligne l’intérêt du sujet, précise la
problématique, et fixe les objectifs visés ainsi que les contributions attendues. La première
partie est consacrée à la présentation d’un état de l’art des travaux traitant directement ou
indirectement de la question de recherche, ainsi qu’à la proposition d’une théorie dynamique
et éclectique du contrôle du comportement de fidélité. Elle est composée de trois chapitres.
Les deux premiers abordent respectivement les théories marketing de la fidélité, et les théories
psychologiques du contrôle de l’action. Ces deux chapitres ne sont pas des revues descriptives
de la littérature, mais plutôt des synthèses, qui permettent de montrer sur quelles bases ces
théories se sont constituées, sur quels points elles se sont opposées, puis en quoi elles se sont
complétées. Le troisième chapitre tire les enseignements des deux précédents et pose les
fondements d’une approche dynamique et éclectique du contrôle du comportement de fidélité.
Six nouveaux concepts sont définis, et sept hypothèses de recherche sont ensuite justifiées sur
le plan théorique.
La seconde partie est consacrée à la mise en œuvre et à la validation empirique de la
théorie convoquée. Le chapitre cinq justifie les choix méthodologiques, avant de détailler la
mise en œuvre de chaque construit et le modèle de mesure qui lui est associé. Le chapitre six
présente l’expérimentation, et propose deux voies pour valider les hypothèses. La première
voie recourt aux méthodes statistiques simples mais éprouvées (tests de khi-deux, analyses de
variance…), la seconde, plus sophistiquée, inaugure en marketing, les modèles d’équations
structurelles de courbes de croissance latentes. Le chapitre sept est une conclusion générale,
qui fait ressortir la genèse de notre théorie, en souligne les limites et les apports principaux,
tant aux plans théorique, méthodologique, que managérial. Le résumé de la thèse que nous
présenterons ici, reprend strictement ce plan, dans le souci évident de préserver la logique qui
nous a servie à l’exposition des idées.
4. 3
I - DES THEORIES MARKETING DE LA FIDELITE
A UNE THÉORIE DU CONTRÔLE DU COMPORTEMENT DE FIDÉLITÉ
Cette première partie a pour but de montrer l’incomplétude des théories marketing de la
fidélité, et la nécessité de revisiter et de reconstruire le concept de comportement de fidélité,
en faisant un détour par les théories psychologiques du contrôle de l’action. Cette remise en
perspective des théories marketing de la fidélité, avec les théories psychologiques du contrôle
de l’action permet de poser les premiers jalons d’une théorie dynamique et éclectique du
contrôle comportement de fidélité.
CHAPITRE 2 - LES THEORIES MARKETING DE LA FIDELITE
Cette revue de la littérature n’a pas été conçue comme un inventaire des travaux que le
thème de la fidélité a inspiré aux chercheurs. Notre état de l'art s’efforce au contraire de faire
ressortir la progression des logiques, dans la manière de penser le comportement de fidélité.
Pour mieux cerner cette évolution nous avons cherché à caractériser ses principales familles
de pensée. Elles s’insèrent dans une typologie construite autour de deux clivages. Le premier
clivage renvoi à la conception de l’échange que privilégient les chercheurs. Il oppose la nature
dynamique et sociale de l'échange relationnel à la représentation statique et désincarnée de
l'échange transactionnel. Le second clivage distingue l’orientation béhavioriste ou cognitiviste
à partir de laquelle la fidélité a été successivement envisagée. Au croisement de ces deux
perspectives quatre familles de problématiques se dégagent. Pour mieux les identifier nous les
avons nommées et reproduit cette typologie dans la figure 1.
Perspective transactionnelle de Perspective relationnelle
l'échange (1960-1980) de l'échange (1990-2000)
Paradigme a) Les théories c) Les théories
béhavioriste de l'achat répété de la relation imposée
(repeat buying)
Paradigme b) Les théories d) Les théories
cognitiviste de l'achat préféré de la relation désirée
ou raisonné
Figure 1 - Une typologie des fondements théoriques de la fidélité
Les quatre familles identifiées regroupent des contributions qui ne sont pas toujours
homogènes. Chaque famille est un ensemble de théories qui partagent un même paradigme
psychologique et une même conception de l'échange. Des différences subsistent néanmoins
entre elles. Les concepts, leurs mesures, et les modèles qu’elles utilisent peuvent varier. Ces
différences sont analysées en détail dans les sections du chapitre 2. Dans cette présentation
synthétique de la thèse nous limiterons la présentation au cœur commun de chacune de ces
familles de pensée.
Les théories de l'achat répété déduisent la fidélité de la répétition des achats. C'est
dans le patron de réponses de ce qu’Ehrenberg (1971) désigne par "repeat buying" que la
5. 4
fidélité est appréhendée Il serait toutefois faux de dire que les théories de l'achat répété se
réduisent aux travaux de recherche de la London Business School et au modèle NBD/LSD
d’Ehrenberg (2000). Les approches de la fidélité fondées sur l’achat répété sont nombreuses
et ont développé un nombre considérable de mesures (proportion d’achat, taux de nourriture,
séquence d’achat, mesure entropique…). Elles partagent néanmoins deux orientations clés:
i) l'échange est conçu comme une suite de transactions,
ii) la fidélité est un échange dont les transactions tendent à se répéter à l’identique.
Cette problématique événementielle de la fidélité voit seulement dans le phénomène la
probabilité que l’achat d'une marque se reproduise dans les occasions suivantes. Or, vouloir
prédire les achats d’une marque, relève typiquement du calcul des probabilités. Cela explique
pourquoi les modèles stochastiques occupent une place prépondérante dans cette famille de
pensée. Toutefois la plupart de ces modèles font l'hypothèse que les transactions qui se nouent
sont indépendantes les unes des autres. On est donc fondé à se demander si de tels modèles
peuvent toujours être considérés comme des théories de la fidélité ?
Avec les théories de l'achat préféré ou raisonné nous restons toujours dans un cadre
de pensée qui privilégie la transaction, à la différence près que le comportement d'achat est
supposé biaisé et non plus purement aléatoire. Biaisé par un processus psychologique, sur la
nature duquel ont spéculé plusieurs générations de chercheurs. Ce processus a tour à tour été
analysé dans sa dimension affective ou cognitive. Les tenants de l'explication affective y ont
vue l'attitude absolue (Day 1969) ou relative (Dick, Basu, 1994) du client envers la marque;
l'engagement ou l'attachement qu'il a envers elle (Lacœuilhe, 2000); la préférence qu'il lui
manifeste (Jacoby, Kyner, 1973); ou encore une sensibilité élevée aux marques (Odin, 1998).
Filser (1994) soutient qu’une implication du client, associée à des achats réguliers, traduit de
la fidélité dans ce comportement. Il voit aussi dans la perception d'un risque lié à la catégorie
d’un produit, un facteur qui peut conférer le sens de la fidélité à des achats répétés. En dépit
des hypothèses multiples qu'ils proposent pour faire de la fidélité un évènement intérieur,
l'objectif des chercheurs semble être avant tout d'expliquer l'état présent ou actuel de fidélité
des clients (Moulins 1998). C’est-à-dire la disposition du client envers la marque dans la
situation d'achat courante. Il est aussi de déterminer les causes expliquant cet état, de mesurer
leurs effets et de prévoir dans quelle mesure cet état produira un nouvel acte d'achat lors de la
prochaine transaction (Labarbera et Marzursky 1983). Dans ce cadre de pensée où la sphère
cognitive est déterminante la mise en œuvre du concept de fidélité revêt une place
primordiale. Cela nous conduira à présenter en détail les échelles de mesure qui ont été
employées, car leur structure sous-jacente n'est pas sans effet sur les modèles qui ont été
testés.
Les théories de la relation imposée envisagent des formes de fidélité très particulières.
Leur point commun est d’enfermer le client dans une relation d’échange qu’il n’a pas désirée
mais à laquelle il se résigne pour des raisons psychologiques ou économiques. Par relation
imposée nous entendons une relation qui traduit un état de dépendance durable du client
envers une marque. Aujourd'hui nombreuses sont les marques qui bâtissent des stratégies
relationnelles visant à engager les clients dans de telles relations. Les stratégies de rétention
mises en œuvre dans divers programmes de fidélisation reposent sur ces principes. Mais cette
conception de la relation d'échange soulève la question du rapport entre fidélité et dépendance
(Des Garets, et alii, 2000). Les théories comportementales de l’engagement, psychologique
(Kiesler, 1971) ou économique ( Williamson, 1985), et les théories de la dépendance sont les
principales branches de cette famille de travaux.
6. 5
Les théories de la relation désirée associent étroitement les concepts de fidélité et de
relation d’échange qui sont presque confondus. Selon Aurier, Benavent, et N’Goala, (2000) la
fidélité est un concept relationnel majeur, alors que Fournier et Yao (1997) ne voient en elle
qu’une composante particulière d’un concept plus général de « force de la relation ». Encore
faut il préciser que par relation, ces auteurs entendent autre chose qu'une relation imposée au
client. La relation dont il est ici question est une relation choisie et désirée . Elle est fondée
sur un engagement volontaire du client envers la marque, ou engagement explicite (Frisou
2000). Le rôle que joue la confiance du client dans la marque, semble à cet égard déterminant
dans la construction d'une telle relation comme le confirment de récents travaux (Siriex,
Dubois, 1999; N’Goala, 2000; Frisou 2000; Gurviez, Korchia, 2002).
Cette rétrospective des théories marketing de la fidélité, montre qu’elles ont toujours
associé l’idée de contrôle au concept de comportement de fidélité. Que ce contrôle ne soit
qu’un simple marquage cognitif du comportement d’achat répété ou qu’il soit exercé par des
forces extérieures au comportement. Pourtant si l’idée de contrôle n’est jamais absente, la
littérature ne retient que quelques uns de ses aspects. Cela a des conséquences à la fois sur le
plan théorique et sur le plan méthodologique. Sur le plan théorique la littérature omet par
exemple des variables de contrôle essentielles. Les achats répétés sont souvent expliqués par
le modèle psychologique de l’apprentissage instrumental, mais les agents renforçateurs qui
sont au cœur du processus d’apprentissage ne sont jamais pris en compte dans les modèles. En
privant l’arrière plan théorique des stimuli discriminatifs, les théories béhavioristes de la
fidélité évacuent du même coup l’influence directe de l’environnement sur le comportement
de fidélité du client. Ensuite, sur le plan méthodologique la mise en œuvre des concepts ne
rend pas parfaitement compte du contrôle. Les mesures psychométriques du comportement de
fidélité s’effectuent souvent à partir d’indicateurs qui ne représentent pas le comportement
d’achat réellement exprimé dans les situations d’achat, mais le comportement d’achat déclaré
dans le contexte d’une enquête (e.g.: Chaudhuri, Holbrook 2001; De Wulf, et alii, 2001). Cela
a deux conséquences. D’une part la fidélité que l’on mesure n’est pas la fidélité vécue, à la
fois dans l’expérience du client et dans le chiffre d’affaires de l’entreprise. D’autre part les
relations mise en évidence entre ce construit et d’autres variables supposées l’expliquer n’ont
guère le pouvoir de prédire le comportement de fidélité effectif. Il nous paraît essentiel de
repartir des théories psychologiques du contrôle de l’action, pour réinvestir le concept de
comportement de fidélité, pour le doter de fondements théoriques plus solides, et pour poser
enfin la question si cruciale de son contrôle sur le long terme, qui est en définitive sa
dimension temporelle naturelle.
CHAPITRE 3 - LES THEORIES PSYCHOLOGIQUES DU CONTRÔLE DE L’ACTION
Dans ce troisième chapitre nous plaçons le comportement de fidélité sous l’éclairage
des théories psychologiques du contrôle de l’action. Ce retour aux acquis de la psychologie
vise un double objectif. Il est d’abord d’identifier tous les processus connus qui contrôlent le
comportement humain, et qui peuvent aussi influencer ses réponses d’acheteur. Il est ensuite
d’apprécier la pertinence de ces processus, et leur capacité à améliorer notre compréhension
des mécanismes qui contrôlent la répétition durable des réponses que suppose la fidélité. Ce
retour aux fondements psychologiques des théories du comportement de l’acheteur va nous
conduire à constater que les théories marketing n’ont retenu qu’un seul point de vue pour
aborder le contrôle du comportement de l’acheteur. Elles ne voient dans ce comportement
qu’un résultat et dans le contrôle les facteurs qui le déterminent. Ce point de vue est appelé
point de vue de l’émission (Pieters, 1993). Une autre approche plus récente de la psychologie
7. 6
voit au contraire dans le comportement deux choses, un résultat, mais aussi une action non
manifeste par laquelle l’individu contrôle au cours du temps ce résultat. Ce point de vue est
aussi appelé point de vue du contrôle (Marken, 1988). Notre incursion dans ces théories issues
de la psychologie et de la psychologie sociale avait un double but. Mettre en évidence les
conceptions alternatives que l’on peut avoir du contrôle du comportement humain et regarder
comment les théories marketing de la fidélité les avaient intégrées ou bien négligées. Leurs
spécificités sont résumées dans la figure 2 et le tableau 1. Nous avons dénombré trois familles
de théories, qui envisagent différemment le rôle respectif des états internes de l’individu et de
son environnement dans la détermination de son comportement.
Comportement
Théories Théories béhavioriste
Cognitive du contrôle du contrôle
Théorie
perceptive du contrôle
Motivations Environnement
Figure 2 – Les théories psychologiques du contrôle de l’action.
Les théories béhavioristes du contrôle de l’action sont les plus anciennes. Scindées
en plusieurs écoles (e.g. : tableau 1), elles ont en commun de situer dans l’environnement les
facteurs principaux qui contrôlent le comportement (ie : les stimuli). Ces théories rejettent par
principe les états internes que sont les attitudes, les motivations, ou les buts pour expliquer le
comportement. L’évolution du comportement chez l’individu se fait par des apprentissages de
formes diverses, par répétition, essais/erreurs ou par réponses opérantes. Ces apprentissages
décrivent une relation stricte et directe de l’individu avec son environnement. Il s’agit là d’une
position très déterministe du comportement.
Les théories cognitivistes du contrôle de l’action, n’ignorent pas l’environnement,
mais comme le fait observer Skinner (1965), « elles le replacent dans la tète des gens » sous
la forme de représentations cognitives. Ces théories font donc dépendre le comportement des
états internes multiples qui affectent la vie psychique de l’individu et qui le prédisposent à
agir. Ce sont ses attitudes, ses préférences, ses intentions, ses motivations, et ses buts. Ces
théories postulent le libre arbitre de l’individu et font de son comportement, un comportement
motivé.
Si les théories béhavioristes et cognitivistes du contrôle de l’action, voient dans le
comportement un résultat qui est directement influencé par l’environnement, ou par les états
internes du client, la théorie perceptive du contrôle (Powers, 1973) observe que ces deux
sources potentielles du contrôle ne sont pas toujours en cohérence. Le monde n’est pas lisse et
8. 7
l’environnement peut s’opposer aux motivations des individus. Pour la théorie perceptive, le
contrôle est un comportement latent produisant les réponses qui auront pour effet de corriger
l’influence perturbatrice de l’environnement sur le comportement désiré.
.
Théories béhavioristes du contrôle Modèles Contributions
S1 R1
(1) S2 R2
Apprentissage par répétition S3 R3 Achat répété
Watson S4 R4 (Filser, 1994)
après apprentissage… Fidélité = inertie d’achat
R1 R2 R3 R4
(2) S0 R1S1p R2 S2r R3 Relation S-F
p r
Apprentissage par essais erreurs S3 R2 S2 R2 (satisfaction fidélité)
Thorndike S2r…… R2 S2r (Labarbera, Marzusky, 1983)
Fidélité = satisfaction dans
l’achat.
(3) Comportement d’achat opérant
Apprentissage opérant Sr Modèle BPM
Skinner Sd R ou (Foxall,1996,1997)
Sp Fidélité = achats récompensés.
Théories cognitivistes du contrôle Modèles Contributions
CC
A
Théorie de l’action raisonnée EC
Ajzen Fishbein (1980) I C Bagozzi (1982)
CN
NS
MC
Théorie du comportement planifié A
Ajzen (1991) NS I C Beatty, Khale (1988)
CCP
AS FE RE
aS
Théorie de l’essai AESS IESS ESS Pas de contribution
Bagozzi Warshaw (1990) aE significative
AE AP NSE en marketing
Théorie perceptive du contrôle Modèles Contributions
Théorie perceptive du contrôle Rt Rt +1 Peu de contribution
Powers (1973), Marken (1988) ≠ → CLC → = significative
B B en marketing
Légende des modèles béhavioristes :
Si (stimulus i), Ri (réponse i) ; Sd (stimulus discriminatif), Sir (stimulus renforçant i),
Sip (stimulus punissant i).
Légende des modèles cognitivistes :
A : attitude, I : Intention, C : comportement, NS : normes subjectives, CC : croyance comportementale
EC : évaluation des conséquences, CN : croyance normative, MC : motivation à se conformer,
AS : attitude envers le succès, aS : attente de succès, AE : attitude envers l’échec, AP : attitude envers le
processus, AESS : attitude envers l’essai, IESS : intention d’essayer, ESS : essai, Rt : réponse
comportementale en t, B : but, CLC : comportement latent de contrôle.
Tableau 1 – Théories du contrôle de l’action et théories de la fidélité
9. 8
Le tableau 1 présente les différentes théories psychologiques du contrôle de l’action
détaillées dans le chapitre trois, et mentionne l’utilisation qui en a été faite par les courants de
recherche marketing sur la fidélité.
Chapitre 4 - UNE THÉORIE DYNAMIQUE ET ÉCLECTIQUE
DU CONTRÔLE DU COMPORTEMENT DE FIDÉLITÉ
Plusieurs conclusions sont tirées des deux chapitres précédents. Nous mentionnerons
ici les deux principales, qui ont été déterminantes dans la définition de notre démarche :
i) Le comportement humain se construit par des processus d’apprentissage différents, qui
trouvent leur origine, aussi bien dans l’environnement de l’individu, que dans les
représentations mentales qu’il s’en fait. Il n’ y a donc pas une façon unique d’expliquer
le contrôle du comportement de fidélité, mais plusieurs approches théoriques possibles.
Considérer ensemble ces niveaux d’explication, c’est reconnaître le polymorphisme du
phénomène et des processus qui le contrôlent. L’éclectisme méthodologique sera donc
privilégié.
ii) Les théories marketing de la fidélité envisagent le contrôle du seul point de vue de
l’émission. En d’autres termes le comportement de fidélité de l’acheteur est contrôlé
par ses états psychologiques internes et/ou par les stimuli externes. Le comportement
de fidélité est donc analysé comme le résultat abouti du processus de contrôle. Pourtant
le contrôle du comportement de fidélité est aussi un comportement actif par lequel
l’acheteur tente de réaliser à tout instant, l’ajustement entre son objectif de fidélité et
les opportunités que l’environnement lui offre pour l’atteindre. Le comportement de
fidélité doit donc être aussi compris comme un comportement latent de contrôle du
comportement d’achat, qui s’exerce sur le long terme. Pour cette raison l’approche
dynamique du phénomène sera privilégiée, aussi bien sur le plan théorique dans la
définition des concepts, que sur le plan méthodologique dans leur mise en œuvre.
Les nouveaux concepts que nous avons forgés, rendent compte de la dynamique du
comportement de fidélité, envisagé sur le long terme, et dans la perspective du contrôle . Nous
ne raisonnons plus simplement en termes d’achats, et de bilan/satisfaction après l’achat, mais
en termes de trajectoires d’achats, et de trajectoires des renforcements, qui sont obtenus avec
les transactions récompensées. Nous voyons dans le comportement de fidélité, une évolution
particulière du comportement d’achat d’une marque, dont rendent compte les trois concepts
suivants.
1 - La trajectoire d’achat manifeste d’un client est définie comme l’évolution sur le long
terme des achats effectués en faveur de cette marque.
2 - Le niveau initial d’achat latent est le niveau d’achat de la marque désiré par le client ou
le niveau d’achat de référence en début de période qui est sujet à variations sur le long terme.
3 – La tendance au comportement de fidélité est une tendance latente du client au contrôle
de ses actions, s’exprimant sur le long terme (i.e.: durant plusieurs années), et ayant pour effet
d’augmenter ses achats en faveur de la marque, en dépit de l’influence des situations qui
pourraient l'en détourner.
La trajectoire d’achat manifeste et la tendance au comportement de fidélité sont des
expressions comportementale et mentale de la fidélité. Une expression environnementale de la
10. 9
fidélité existe également. Elle se manifeste dans l’apprentissage de la relation d’achat, qui
conduit le client à rechercher les gratifications que certains achats lui permettent d’obtenir,
dans les conditions définies par les programmes de fidélité auxquels il est affilié. Les trois
concepts suivants appréhendent cette expression environnementale du phénomène.
4 – La trajectoire des renforcements manifeste est définie comme l’évolution des
renforcements obtenus sur le long terme par le client, lorsqu’il achète la marque.
5 – Le niveau initial des renforcements latent est défini comme le niveau des renforcements
recherché par le client, c’est-à-dire le niveau des renforcements de référence, susceptible de
variations sur le long terme.
6 – La propension à l’apprentissage est définie comme une aptitude latente du client à
l’apprentissage de la fidélité, s’exprimant sur le long terme ( i.e. : plusieurs années), et le
conduisant à sélectionner parmi les contingences d’achat, celles qui ont pour effet d’accroître
ses renforcements.
Les concepts que nous venons de définir envisagent les trois niveaux du processus de
contrôle du comportement de fidélité. Il s’agit des niveaux environnemental, comportemental
et mental. Le niveau mental étant appréhendé par les motivations et les aptitudes latentes pour
le contrôle et pour l’apprentissage du comportement de fidélité. Mais dans notre thèse nous
soutenons l’idée que cette tendance au comportement de fidélité est elle aussi sous le contrôle
d’influences cognitives et/ou affectives moins résistantes à l’épreuve du temps. Deux autres
variables sont donc prises en considération. L’attitude du client envers son comportement de
fidélité, et la satisfaction ponctuelle qu’il exprime au cours de la période. Le nombre des
hypothèses de recherche a été volontairement limité, afin d’éviter de diluer la théorie dans un
réseau de relations secondaires, qui pourront être l’objet d’études ultérieures. Sept hypothèses
relationnelles, déjà soutenues dans la littérature, ou qui découlent des théories psychologiques
du contrôle de l’action, sont avancées.
H1) Plus l'attitude d'un client envers l’achat d’une marque est positive, plus il a tendance à
racheter cette marque dans la durée (i.e.: tendance au comportement de fidélité).
H2) Plus la propension d'un client à l’apprentissage d’une marque est forte, plus il a tendance
à racheter cette marque dans la durée (i.e.: tendance au comportement de fidélité).
H3) Plus un client est satisfait d’une marque, plus il a tendance racheter cette marque dans la
durée (i.e.: tendance au comportement de fidélité).
H4) Plus le niveau initial des renforcements latent (ou désiré) est élevé, plus le niveau initial
d’achat latent (ou désiré) est élevé, et réciproquement.
H5) Plus le niveau de renforcement initial est élevé, moins la tendance au comportement
d’achat est forte (i.e.: tendance au comportement d'infidélité, resp. de fidélité).
H6) Plus le niveau initial d’achat latent est fort, moins la propension à l’apprentissage est
forte.
H7) Plus la satisfaction récente du client est forte, plus l’attitude envers le comportement
d’achat est positive, et réciproquement.
A coté de ces sept hypothèses relationnelles, nous avons formulé trois hypothèses
« différentielles ». Une autre façon de d’identifier le contrôle selon sa nature, consiste à voir si
11. 10
des différences existent dans les trajectoires latentes d’achat individuelles, selon que les
individus ont ou n’ont pas une attitude favorable envers l’achat de la marque, sont ou ne sont
pas satisfaits de la marque, ont ou n’ont pas une propension à l’apprentissage. Nous adoptons
alors une logique modératrice et non explicative dans l’appréhension du contrôle.
H8) Les clients qui ont une attitude positive envers l’achat d’une marque, ont en moyenne
plus tendance à la racheter durablement que ceux qui ont une attitude négative.
H9) Les clients qui sont satisfaits de leur dernière expérience avec une marque, ont en
moyenne plus tendance à la racheter durablement que ceux qui ne sont pas satisfaits.
H10) Les clients qui manifestent une propension dans l’apprentissage de l’achat d’une
marque, ont en moyenne plus tendance à la racheter durablement que les clients manifestant
une propension au désapprentissage.
II – MISE EN ŒUVRE ET VALIDATION EMPIRIQUE
DE LA THEORIE ÉCLECTIQUE ET DYNAMIQUE
DU CONTRÔLE DU COMPORTEMENT DE FIDÉLITÉ
Chapitre 5 – LES CHOIX METHODOLOGIQUES
Le chapitre cinq rappelle le choix de l’éclectisme comme option méthodologique, et
précise la mise œuvre des concepts dynamiques qui viennent d’être définis. Pour donner un
aperçu aussi complet que possible dans ce résumé de la thèse, nous présenterons le modèle de
mesure des concepts de niveau initial d’achat latent et de tendance latente au comportement
de fidélité. Le même modèle de mesure s’applique sans réserve aux concepts de niveau initial
des renforcements latent et de propension à l’apprentissage. Ce modèle part du concept de
trajectoire manifeste d’achat sur le long terme, opérationnalisée par la chronique des mesures
répétées des achats de la marque que le client a effectués durant les années 0, 1, 2, 3.
Supposons que nous disposions pour chaque client i d'une telle série temporelle
couvrant une période de quatre années consécutives {xi0, xi1, xi2, xi3}. On peut alors envisager
deux trajectoires différentes:
1) en confondant comportement d'achat et achats effectifs, c'est à dire en considérant la ligne
brisée en pointillé (figure 3a),
2) en distinguant le comportement d'achat latent ou « désiré », du comportement d’achat
effectif, qui est soumis aux perturbations de l'environnement. La droite ajustant les quatre
observations peut être vue pour un individu comme une estimation de cette trajectoire
latente du comportement d'achat tendanciel. Pour l’individu i cette droite est déterminée
par deux paramètres. αi, l'ordonnée à l'origine de la droite (intercept) représente le niveau
initial d'achat latent de la marque pour le client i. βi est la tendance latente du client i à
faire évoluer ce niveau initial d'achat au cours du temps. Si βi ≥ 0 nous parlerons de
tendance au comportement de fidélité, et si βi < 0 nous parlerons de tendance au
comportement d'infidélité. Ces deux situations sont illustrées par la figure 3b. Le client 1 a
une tendance au comportement d'infidélité (β1 < 0), les clients 2 et 3 une tendance au
comportement de fidélité (β2 > 0 et β3 > 0). La droite en trait gras représente la trajectoire
moyenne de cet échantillon de trajectoires ; elle est caractérisée par l'ordonnée moyenne
αm et par la tendance moyenne βm .
12. 11
quantités quantités
achetées achetées
α1
β1
xi3 *
βi αm βm
xi1 * α3 β3
αi xi2 *
xi0 * α2 β2
0 1 2 3 temps 0 1 2 3 temps
Figure 3a Figure 3b
La spécification du modèle est résumée dans la figure 4, partie de gauche. Le path-
diagram du modèle traité selon la méthodologie SEM (structural equation modeling) est
reproduit dans la même figure partie de droite.
1
Modèle inter-individuel :
µα µβ
ζ αi ζβi
(IIa) αi = µα + ζαi
(IIb) βi = µβ + ζβi
αi βi
1 1 1 1
1 2 3
Modèle intra-individuel :
Xi0 Xi1 X i2 Xi3
(I) xit = αi + βi . λt + δit
Modèle décomposé : δi0 δi1 δi2 δi3
(III) xit = (µα +λt.µβ) + (ζαi + λt.ζβi + δit )
termie fixée terme aléatoire
Figure 4 - Le modèle de mesure longitudinal de trajectoire latente.
Pour un client i, les quantités de la marque achetées à la date t sont décrites par
l’équation (I). Équation dans laquelle λt représente la valeur1 affectée au temps en t, αi le
niveau initial latent des achats de la marque par le client i en t = 0, βi la tendance latente au
comportement de fidélité ou d'infidélité du client i, δit un résidu aléatoire résumant l'effet de
l'environnement sur l'achat réellement effectué (xit) ainsi que l'effet éventuel d'une erreur de
1
L'ajustement le plus courant est l’ajustement linéaire λt = t. Dans le cas d'un ajustement quadratique λt = t².
Mais λt peut être modélisé avec d'autres fonctions ou être librement estimé. Lorsque l'ajustement est linéaire la
tendance (trend, slope) représente le taux de changement de la variable par unité de temps.
13. 12
mesure. Cette partie du modèle est appelée modèle intra-individuel, car les variables xit qui
sont observées au niveau individuel ne sont expliquées que par le comportement latent de
chaque individu (i.e.: αi, βi). Par ailleurs les variables α et β sont des variables aléatoires dont
les variations sont exprimées par les équations (II a) et (II b). Ces deux équations sont appelées
modèle inter-individuel. Les coefficients αi et βi dépendent en effet des caractéristiques de
l’ensemble des individus (µα et µβ) et de caractéristiques qui leur sont propres (ζαi , ζβi ). Les
expressions de αi et βi dans les équations IIa et IIb peuvent être introduites dans l'équation (I).
Après regroupement des termes le modèle prend la forme de l’équation (III). Cette équation
montre que les mesures répétées xit peuvent être exprimées comme la somme d'un terme fixé
(i.e: µα + λt.µβ) et d'un terme aléatoire (i.e: ζαi + λt.ζβi + δit ). Les deux effets fixés sont les
moyennes de l'ordonnée à l'origine (µα) et de la tendance (µβ). Les effets aléatoires sont
résumés par var(ζα) = σ²α et par var (ζβ) = σ²β. Les modèles d'équations structurelles qui
traitent simultanément les relations entre les variables observées et les variables latentes, ainsi
que les moyennes et les variances des variables latentes sont particulièrement appropriés pour
estimer les paramètres de ce modèle.
Chapitre 6 – Applications et résultats
Dans ce chapitre nous rappelons d’abord le contexte de l’étude et le mode de recueil
des données. Conduite sur le marché de la téléphonie longue distance durant la période 1998-
2001, l’étude a consisté à observer durant quatre ans les comportements d’achat d’une cohorte
aléatoire de 1521 clients et à mesurer pour chacun d’eux les variables attitudinales que nous
avons retenues. La validation des dix hypothèses de recherche a ensuite été effectuée en deux
temps. Tout d’abord avec des méthodes très simples, consistant en des tests statistiques bi-
variés effectués sur les données brutes, ensuite avec des techniques multivariées plus
élaborées telles que les modèles psychométriques et les modèles d’équations structurelles de
courbes latentes. Nous présenterons ici les deux principaux modèles testés et leurs résultats.
Le premier modèle que nous appelons modèle relationnel a pour but de tester les sept
hypothèses relationnelles posées. Ce modèle conditionnel de courbes de croissance latentes,
comporte deux trajectoires comportementales, celle des heures de communication achetées, et
celle des renforcements ou gratifications gagnées en utilisant au mieux les programmes de
fidélité, et deux covariables latentes, attitude et satisfaction, mesurées selon la méthode
psychométrique classique. Une particularité du modèle tient dans le choix des indicateurs
retenus pour mesurer les construits « attitude » et « satisfaction ». La nature catégorielle de
ces variables nous a incité à estimer les paramètres de ce modèle avec le logiciel Mplus2
spécialement conçu pour traiter simultanément tous les types de variables. L’ajustement du
modèle est excellent comme en attestent les indices reportés dans la figure 4. Six hypothèses
sur sept sont vérifiées. Le modèle permet d’établir l’existence de trois systèmes de contrôle
qui déterminent in fine la trajectoire des achats effectifs. 1) Le système latent de contrôle du
comportement d’achat, propre à l’acheteur, et qui est orienté vers une tendance à la fidélité ou
à l’infidélité, 2) le système de contrôle que représente le processus d’apprentissage opérant,
dont l’effet sur la tendance à la fidélité est important et significatif (0, 38), 3) le système de
contrôle par apprentissage cognitif, qui s’exprime de façon notoire et significative dans la
relation entre attitude et tendance au comportement de fidélité (0, 41) (voir Figure 5).
2
Le programme Mplus substitue les variables de réponse latentes et continues y* aux indicateurs catégoriels de
mesure y (voir Figure 4). Le traitement des variables catégorielles selon l’approche de Muthén (estimateurs
MLMV et WLSMV) est considéré aujourd’hui par les experts comme la meilleure approche (On se reportera à
l’ouvrage de Kaplan (2000) « Structural Equation Modeling, Foundations and Extensions, Sage Publications
Inc.) »
14. 13
δ1 δ2 δ3 δ4
X1 X6 X10
Renf Renf Renf
Renf
1998 1999 2000 2001
δ1 δ6 δ10
1 1 1 1
x*1 x*6 x*1
1 2 3
NIVEAU INITIAL PROPENSION 0,89 0,91 0,75
DES A
RENFORCEMENTS L'APPRENTISSAGE
DURANT 4 ANS
SATISFACTION
EN 2001
- 0,03
-0,43 -0,08 0,13
0,70 0,38
ATTITUDE ENVERS LE
0,41 COMPORTEMENT DE
FIDÉLITÉ EN 2001
TENDANCE
NIVEAU INITIAL AU COMPORTEMENT DE
D’ACHAT FIDÉLITÉ/INFIDÉLITÉ
PENDANT 4 ANS 0,99 0,99 0,79
1 2 3 x*3 x*9 x*1
1 1 1 1
δ'3 δ'9 δ'11
achat achat achat
achat
1998 1999 2000 2001 X3 X9 X11
δ'1 δ'2 δ'3 δ'4
χ² = 22,088, ddl = 15, p =0,106, CFI =0,99, TLI = 1, RMSEA : 0, 018, WRMR = 0,649
Figure 5 – Estimations des paramètres du modèle général (coefficients standardisés).
15. 14
Les hypothèses différentielles envisagent le contrôle de la tendance au comportement
de fidélité, comme un effet modérateur exercé par les apprentissages opérant et cognitif sur la
forme des trajectoires d’achat. Des modèles à groupes multiples, s’inspirant d’une méthode
suggérée par Muthén et Curran (1997), ont été utilisés pour tester ces différents effets. Dans
celui que nous présentons ici l’échantillon est scindé en quatre groupes. Les 129 clients du
groupe 1 n’ont ni d’attitude favorable envers leur comportement de fidélité ni de propension à
l’apprentissage. Les 138 clients du groupe 2 ont une propension à l’apprentissage mais pas
d’attitude favorable. Les 523 clients du groupe 3 ont une propension au désapprentissage et
une attitude favorable. Enfin le groupe 4 regroupe 731 clients manifestant une propension à
l’apprentissage et une attitude favorable (Figure 5). Une contrainte d’égalité est posée sur les
moyennes et les variances des facteurs α (niveau initial d'achat ) et ι (tendance à l'inertie ) à
travers les quatre groupes. Ces contraintes expriment l’idée que les trajectoires latentes de
tous les individus seraient distribuées identiquement, s’ils n’étaient pas motivés. Les facteurs
de croissance additionnels notés ω, π, ρ, des groupes 2,3,4, mesurent alors les effets isolés ou
combinés de l’apprentissage opérant ou/et cognitif. Les résultats reproduits dans le tableau 2
montrent que la tendance moyenne motivée est plus forte lorsqu’elle est sous le contrôle de
l’apprentissage opérant seul (0,595) que lorsqu’elle est sous le contrôle de l’attitude seule
(0,379). Elle est encore plus forte lorsque ces deux contrôles sont associés (0,844).
µα µι µα µι µω
ζ αi ζ ιi ζ αi ζ ιi ζ ωi
αi ιi αi ιi ωi
1 2 3
1 1 1 1 1 1 1 1
G1 G2
1 2 3 1 2 3
Xi0 Xi1 Xi2 Xi3 Xi0 X i1 X i2 X i3
δ′
′i0 δ′
′i1 δ′
′i2 δ′
i3 δ′
′i0 δ′
′i1 δ′
′i2 δ′
i3
µα µι µπ µα µι µρ
ζ αi ζ ιi ζ πi ζ αi ζ ιi ζ ρi
αi ιi πi αi ιi ρi
1 2 3 1 2 3
1 1 1 1 1 1 1 1
1 2 3 1 2 3
G3
G4
Xi0 X i1 X i2 X i3 Xi0 X i1 X i2 X i3
δ′
′i0 δ′
′i1 δ′
′i2 δ′
i3 δ′
′i0 δ′
′i1 δ′
′i2 δ′
i3
Figure 6 – Tests des hypothèses différentielles par un modèle à groupes multiples
16. 15
Estimateur MLMV de Muthén.
χ² = 14,424 ddl = 8 p = 0,0713 CFI = 0,97 TLI = 0,98
RMSEA = 0, 046 SRMR = 0,194 WRMR = 3,630
Groupes Niveau initial Tendance Tendance motivée
d’achat α Inertielle ι respectivement ω, π, ρ
µα = 2,771 σ α ² = 10,82 µι = - 0,845 σ ι ² = 0,00 µ = 0,000 σ ² = 0,000
G1 (33,2) (9,3) (-18,3) (fixé) (fixé) (fixé)
µα = 2,771 σ α ² = 10,82 µ ι = - 0,845 σ ι ² = 0,00 µω = 0,596 σ ω² = 0, 000
G2 (33,2) (9,3) (-18,3) (fixé) (8,8) (fixé)
µα = 2,771 σ α ² = 10,82 µ ι = - 0,845 σ ι ² = 0,00 µπ = 0,379 σ π ² = 0,000
G3 (33,2) (9,3) (-18,3) (fixé) (7,2) (fixé)
µα = 2,771 σ α ² = 10,82 µ ι = - 0,845 σ ι ² = 0,00 µρ = 0,844 σ ρ ² = 0,000
G4 (33,2) (9,3) (-18,3) (fixé) (17,3) (fixé)
Tableau 2 – Tests des hypothèses différentielles selon la nature des apprentissages
CHAPITRE 7 – CONCLUSIONS
Les conclusions de cette recherche sont tirées dans le chapitre 7. Après avoir rappelé
la genèse de notre théorie dynamique et éclectique nous passons en revue, ses limites, ses
apports, les voies de recherche qu’elle laisse entrevoir, et ses contributions au management.
Nous n’insisterons dans ce résumé que sur les commentaires les plus marquants. Deux limites
majeures se font jour au plan théorique. La tendance au comportement de fidélité renvoie
uniquement au contrôle du comportement d’achat envers la marque, ce qui est un point de vue
très restrictif et contesté dans la littérature. Les enfants sont fidèles aux marques d’automobile
avant même de les avoirs achetées (Sheth, Park, 1976). Une seconde limite peut être relevée
sur le plan théorique. L’attitude envers le comportement de fidélité, la propension à
l’apprentissage, la satisfaction éprouvée lors de la dernière expérience, sont toutes les trois
tournées vers le comportement d’achat et l’expérience vécue et n’ expliquent que 52% de la
variance de la tendance au comportement de fidélité. D’autres variables cognitives centrées
sur la marque peuvent expliquer aussi en partie la tendance au comportement de fidélité
(Sharp et alii, 1999). Des facteurs de contrôle liés à des représentations que suscitent la
marque, (i.e.: la confiance), pourraient être introduits. Néanmoins l’apport majeur de cette
thèse sur le plan théorique est de montrer que les comportements d’achat et de fidélité ne se
réduisent pas un choix, mais qu’ils englobent toutes les actions nécessaires à leur réalisation.
Les comportements de fidélité et d’infidélité sont aussi des comportements de contrôle dans
l’environnement marchand, contrôle qui rend possible le choix, l’achat, et au delà la fidélité
ou l’infidélité à une marque. La notion de tendance que nous empruntons au vocabulaire
désuet de la psychologie est la variable clé par laquelle cette fonction de contrôle des achats
est conceptualisée et mise en œuvre. On peut voir en elle un « comportement latent », une
« virtualité d’action » ou une « conduite incomplètement activée » (Delay, Pichot, 1990). Du
point de vue méthodologique, le modèle de courbe de croissance latente, que nous employons
dans la mise en œuvre de ce concept, constitue un apport inédit dans la dicipline. Ce modèle
réconcilie en effet deux approches très différentes de la mesure du concept de comportement
de fidélité. Celle qui privilégie les données de panel supposées mesurées sans erreur, et celle
qui forgent des construits à partir de comportements déclarés. Alors que la première approche
ne distingue pas les individus et s’attache à calculer des probabilités de ré-achat ou de survie
la seconde privilégie le niveau individuel en recourant au modèle psychométrique classique.
En mesurant les trajectoires latentes individuelles à partir de données de panels, les modèles
de courbes de croissance latentes participent de l’éclectisme de notre démarche, et réalisent la
synthèse de deux traditions de recherche jusqu’alors antagonistes.