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Neurosciences : quel avenir pour la mesure du « non-conscient » ?
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La volonté de décoder les émotions humaines existe depuis des temps immémoriaux. Au temps de
l'homme des cavernes, cette recherche de compréhension constituait notre toute première forme
de communication. À présent, en tant que spécialistes du marketing, l'apprentissage de l'inter-
prétation, de la mesure et de l'influence des émotions est susceptible de représenter le facteur le
plus décisif dans la réussite commerciale. Comme l'a noté Marc Pritchard, responsable mondial
Marketing et Image de marque chez Procter & Gamble, « les sentiments et émotions des individus
guident leur comportement. Nous essayons donc d'instaurer avec eux un rapport émotionnel. »
Cette déclaration ne s'applique pas seulement à Procter & Gamble, mais au secteur des études et
du marketing dans son ensemble.
Le défi posé par la compréhension et la mesure des émotions des consommateurs repose
essentiellement sur deux facteurs : elles apparaissent en général dans la partie non consciente du
traitement cérébral et sont trop rapides pour être traduites en mots. Le langage des émotions est
ressenti, il n'est pas facilement verbalisable.
Conscients que nos meilleures approches d’enquêtes
traditionnelles ne pourront jamais représenter ce royaume de
l’inconscient, comment saisir ce langage ?
la mesure du « non-conscient » ?
Quel avenir pour
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'aucuns feraient valoir que la plus
grande avancée de la décennie en
matière d'études de marché a été
réalisée dans la compréhension de la réponse
non consciente du consommateur à l'aide de
données et méthodologies issues des
neurosciences et de l'économie comporte-
mentale.
Nous vous présentons ici trois principaux
changements du secteur influençant nos
méthodes de collecte de données en 2015, dans
notre quête continue d'amélioration de la
mesure de la réponse non consciente des
consommateurs.
1. CHANGEMENTS DE PERSPECTIVE
L'émergence et l'adoption croissante de
méthodes portant sur le non-conscient dans
l'ensemble du secteur des études de marché ont
entrainé une rapide évolution dans la
perception de ces outils. Le scepticisme était
tout d'abord largement répandu, conforté par
les déclarations audacieuses exprimées par
certains de leurs premiers utilisateurs. Cela
étant, le besoin inébranlable de comprendre les
émotions humaines a conduit de nombreux
chercheurs à persévérer et expérimenter, pour
offrir au final des perspectives plus affinées sur
les possibilités de ces outils de mesure du non-
conscient, leurs meilleures applications et les
résultats raisonnablement susceptibles d'être
obtenus.
Appréhender uniquement
la réponse non consciente
reviendrait à entendre
une seule version
La mesure du conscient n'est pas écartée.
Après quelques craintes initiales de voir les
méthodes habituelles remplacées par la mesure
du non-conscient, une meilleure compré-
hension du processus mental de prise de
décision et des raisons pour lesquelles les
perceptions conscientes demeureront toujours
essentielles, ont permis d'apaiser la plupart de
ces inquiétudes. Fondamentalement, Daniel
Kahneman, David Eagleman et d'autres
éminents universitaires nous ont enseigné que
le processus décisionnel est conflictuel, l'esprit
conscient faisant pression sur nos forces
émotionnelles non conscientes. Appréhender
uniquement la réponse non consciente
reviendrait donc à entendre une seule version.
Afin de progresser dans notre compréhension
des consommateurs, nous devons saisir le
déroulement des deux parties du débat relatif à
la décision en matière d'achat ou de marque.
Quels sont les facteurs d'influence conscients et
les moteurs non conscients ? La conception
d'études associant des mesures du non-
conscient aux méthodes traditionnelles
d'enquête apparait comme la seule et la plus
judicieuse façon d'obtenir une vision complète
de la réponse du consommateur et de la
probabilité de l'impact ou de l'intention en
résultant.
Les outils de mesure du non-conscient ne
font pas tous la même chose. Il s'agit là
d'un réel euphémisme. Plusieurs méthodes
s'intéressent à l'engagement émotionnel et aux
types d'émotions. D'autres se focalisent sur
l'impact. Certaines sont nettement plus
sensibles. D'autres encore sont plus couteuses
et moins évolutives. En conséquence, une
expertise et une conception sceptique sont
nécessaires lors de l'élaboration d'une étude de
marché, non seulement pour comprendre
pleinement les objectifs de cette dernière, bien
évidemment, mais aussi pour déterminer
quelles sont les meilleures méthodes de mesure
du non-conscient à appliquer, pourquoi et
comment. Les clients doivent se méfier des
méthodes soi-disant universelles. En effet, des
différences prononcées et significatives
apparaissent lors de la comparaison du
caractère pratique (méthode évolutive,
représentative et abordable) et de la valeur
(méthode fiable, sensible et applicable en
pratique).
Les forces et faiblesses des diverses approches
de mesure du non-conscient étant de plus en
plus complexes, nous devons à présent
envisager qu'un type de méthode ne peut pas
tout couvrir ni être utilisé à chaque fois.
D
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L'intérêt pour l'économie comporte-
mentale connait une croissance rapide.
La recherche en la matière se focalise sur la
connaissance du processus décisionnel en
tenant compte de facteurs émotionnels et
d'autres paramètres psychologiques. L'éco-
nomie comportementale est plus centrée sur les
résultats empiriques mesurés par des scénarios
à stimuli évolutifs que sur la compréhension
détaillée d'une réponse non consciente
spécifique. Il s'agit là d'un domaine riche qui
reste à explorer, et qui est, de surcroit,
relativement nouveau en termes d'applications
aux études de marché. Dans la mesure où les
responsables marketing doivent saisir et
influencer les moteurs de résultats fondés sur le
comportement, nous pouvons nous attendre à
une augmentation des expériences dans ce
domaine, particulièrement de celles basées sur
des approches intégrant diverses formes de
collecte de données non conscientes.
2. CHANGEMENTS DANS LES MÉTHODES
ÉMERGENTES
Nous disposons de nombreuses techniques de
mesure du non-conscient désormais
relativement établies, significatives, fiables,
« consumer-friendly », évolutives et abor-
dables. Parmi celles-ci, il convient de citer le
facial coding (analyse des expressions faciales),
l’Implicit Reaction Time – IRT™ (mesure des
temps de réaction), l'oculométrie (eye-tracking)
et, dans une certaine mesure, la biométrie et
l'électro-encéphalographie (EEG). Toutefois, en
raison de la rapidité d'apparition des
innovations technologiques et logicielles, cette
année, le marché devrait connaitre une
expansion, avec l'offre de nouveaux types de
tests. De plus, nous pourrons faire preuve d'une
plus grande créativité dans l'association des
outils et méthodes, afin de fournir précisément
les informations appropriées répondant aux
objectifs de chaque étude.
De nouvelles méthodes et nouveaux
usages se profilent à l'horizon. La plupart
des chercheurs ont constaté une révolution
générale des solutions portables/mobiles de
biométrie. Celles-ci se sont propagées dans le
grand public via des appareils tels que les
bracelets Fitbit, les lunettes Google Glass ou la
très attendue montre Apple Watch. Pour le
secteur des études de marché, cette évolution
implique la disponibilité de nouvelles solutions
mobiles de biométrie capables d'enregistrer le
rythme cardiaque et le réflexe
psychogalvanique, avec une plus grande liberté
de mouvement et de nouvelles applications
combinant des mesures simultanées à
l'oculométrie mobile, aux Google Glass, etc. Un
changement radical se dessine donc pour les
études portant sur l'expérience client et le
parcours d'achat (shopper journey).
Des pas de géants sont en outre faits en matière
d'accès et d'accessibilité financière des
instruments intégrés d'enquête en ligne dédiés
à la mesure du non-conscient (facial coding,
IRT™, eye-tracking).
Enfin, les outils neurologiques, en particulier le
facial coding et eye-tracking, explorent le
monde de la recherche qualitative à plus grande
échelle ; cela étant, comme lors de toute
application d'un outil quantitatif vs qualitatif, le
compromis entre fiabilité test-retest et capacité
d'extrapolation doit être pris en compte.
Pour le secteur des études
de marché, l'intégration au
quotidien de la neurologie
est un changement profond,
majeur et relativement
rapide
3. CHANGEMENTS DANS LES PRATIQUES
Les récents pionniers en neurologie, ceux qui
ont été parmi les premiers à appliquer des
méthodes neurologiques aux études de marché,
l'avaient envisagé dès le départ : les outils de
mesure du non-conscient étaient destinés à
s'imposer. Il aura fallu moins de dix ans pour
que cette généralisation se produise, et elle
s'accompagne de son lot de changements
supplémentaires dans notre industrie.
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Les méthodes s'intéressant au non-
conscient deviennent la norme. Au sein
des grandes sociétés d'études, les outils de
mesure du non-conscient sont en cours
d'intégration aux études de marché standard
pour les pré-tests de films publicitaires (copy
testing), les enquêtes sur la notoriété des
marques, les tests produits, les évaluations de
concepts, les screenings de packaging ou
parfums, les études médias ou encore les
évaluations de l'expérience client et des
parcours d'achat (shopper journey). Parmi les
clients et concepteurs d'études, la question n'est
pas « Devrions-nous utiliser ces outils ? » mais
plutôt « Lesquels sont les plus adaptés ? ».
Pour le secteur des études de marché,
l'intégration au quotidien de la neurologie
constitue un changement profond, majeur et
relativement rapide.
À certains égards, l'adoption de la mesure du
non-conscient, qui dépend de l'équipement
technologique et de logiciels, suit une courbe
classique d'adoption des technologies, avec une
augmentation de la prise en considération et
des essais au fur et à mesure de la disponibilité
et de la baisse des prix.
Les méthodes s'intéressant au non-
conscient deviennent universellement
disponibles. Il y a moins d'une décennie, la
mesure du non-conscient relevait exclu-
sivement du domaine des universités et des
prestataires de solutions en neurosciences. Mais
grâce à une plus grande facilité d'accès aux
principales innovations appliquées en
neurosciences, telles que la biométrie, l'EEG, le
facial coding et l’IRT™, des sociétés d'études de
marché de grande et moyenne tailles ont
commencé à effectuer leur propre R&D, à
engager des experts et à établir des partenariats
avec des fournisseurs spécialisés. Cette
évolution a encouragé le déploiement de la
mesure du non-conscient, en rendant les
méthodes plus évolutives à l'échelle mondiale et
plus facilement accessibles, dans un plus grand
nombre de points de distribution. Ainsi,
aujourd'hui, la dynamique du volume a connu
une transition : pour répondre à la croissance
du volume et de l'ampleur des besoins de leurs
clients, les anciens instituts d'études
traditionnels mènent un plus grand nombre de
recherches incorporant la mesure du non-
conscient. L'expression « institut d'études
traditionnel » perd alors rapidement du sens,
les grands acteurs innovant de façon agressive
et effectuant de la R&D dans ce domaine.
Les vastes enseignements tirés des
métadonnées affinent les analyses des
spécialistes du marketing. A l'aube d'un
tournant dans la quantité d'études et
d'ensembles de données, et disposant de
nouvelles méthodes, nous sommes désormais
capables de procéder à des méta-analyses et de
commencer à profiter des enseignements
uniques que peut offrir l'intégration des
mesures du non-conscient. La collecte de
données sur le non-conscient devient,
maintenant, réellement intéressante. Grâce aux
ensembles de datas de plus en plus vastes
disponibles sur différentes techniques, nous
pouvons réaliser des méta-analyses contribuant
non seulement à la connaissance relative à des
clients et projets individuels, mais aussi aux
principes généraux d'un bon marketing et d'une
bonne communication. Par exemple, plusieurs
méta-analyses sur les résultats du facial coding
pour des tests de publicités chez Ipsos nous ont
permis d'observer certains des éléments
suivants, qui donnent matière à réflexion :
De façon générale, plus les émotions sont
nombreuses, mieux c'est. Elles révèlent
l'implication des spectateurs et leur interaction
avec le message. Un manque global d'émotions
peut être un bon indicateur de l'échec de la
publicité. Le non-engagement émotionnel des
spectateurs dans une publicité affaiblit la
capacité pour son message à atteindre à la fois
les niveaux conscient et non conscient.
Les émotions négatives peuvent jouer un
rôle important si elles sont appropriées à
l'histoire. Elles peuvent provoquer une tension
dramatique et un intérêt. Elles peuvent
également placer le produit en position de
héros. Cela étant, les émotions négatives ne
sont jamais garanties en réponse aux produits
et « branding moments ».
Le dernier tiers d'une publicité est le plus
important pour son succès. C'est généralement
à la fin d'une publicité que le produit annonce
ses avantages et renforce la marque. Une
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publicité peut créer un tumulte émotionnel
intense, mais si elle laisse les spectateurs dans
un état d'esprit clairement positif, elle a de
grandes chances d'atteindre son objectif.
D'autres méta-analyses de mesures fondées sur
l’IRT™ et l'EEG ont fourni des modèles et
informations tout aussi utiles pour
l'amélioration du marketing et de la
communication dans leur ensemble.
En adoptant cette
démarche, le marketing
connaitra une amélioration
d'ensemble
Le marketing et les stratégies créatives
évolueront pour incorporer des objectifs
émotionnels plus spécifiques. Nous
disposons à présent d'une connaissance
nouvelle de l'influence des émotions sur les
décisions des consommateurs ; il est donc
temps pour les briefs créatifs et stratégiques
d'évoluer pour incorporer cette compréhension.
Depuis l'époque de Mad Men, les briefs sont
dotés d'objectifs spécifiques en matière de
sensibilisation et d'essai ; de la même façon, les
stratégies actuelles doivent prendre en
considération la façon dont la publicité ou
d'autres supports marketing susciteront des
émotions connexes à l'expérience pour piloter le
comportement. Si nous acceptons le caractère
crucial de la réponse émotionnelle, nous devons
l’intégrer à la stratégie de réponse souhaitée, au
lieu de la considérer seulement comme un
heureux bonus des résultats attendus. En
adoptant cette démarche, le marketing
connaitra une amélioration d'ensemble.
Des corrélations devront être établies
entre la mesure du non-conscient et les
résultats commerciaux. L'un des résultats
les plus attendus du nouvel éventail de données
sur le non-conscient est la capacité de réduction
de l'écart de prévision pour une modélisation de
la réponse des consommateurs basée sur des
données d'enquête classiques. La modélisation
des données neurologiques par rapport aux
résultats du marché créera de nouvelles
variables de la réponse non consciente dans les
modèles de réponse commerciale standard. Les
clients doivent donc partager des informations
du marché pour permettre de nouvelles
avancées dans la modélisation prédictive de
données sur le non-conscient. Il existe déjà de
nombreuses études suggérant de fortes
corrélations entre des variables de la réponse
émotionnelle et la réussite sur le marché. Mais
ce type de modélisation n'en est qu'à ses
prémices pour les données sur le non-conscient.
Plus les clients partageront des données
commerciales, plus l'industrie sera capable de
fournir, plus rapidement et beaucoup mieux,
des capacités majeures et novatrices.
NOUVEAUX POINTS DE VUE
Les instituts d'études de marché et les services
dédiés des clients vont de plus en plus recruter
des chercheurs expérimentés en psychologie
cognitive, économie comportementale et neuro-
sciences : les nouveaux domaines à la mode. La
prochaine génération de chercheurs dotés de
cette formation universitaire théorique sera à
même d'aborder la réponse, la prise de décision
et le comportement des consommateurs sous
un angle totalement nouveau. De plus, elle
possèdera les bases et méthodes scientifiques
pour élaborer de nouvelles approches et faire
progresser la compréhension des consom-
mateurs vers des dimensions encore inenvisa-
geables au cours des dernières décennies.
Elissa Moses
Vice-Présidente Exécutive
du Centre d'Innovations en Neurosciences
du Groupe Ipsos
Article publié dans la revue Quirk’s de janvier 2015