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YGGDRASIL 4 • 12
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Allumer des feux pour prévenir les incendies
En début d’année, les mégafeux qui ont ravagé
l’Australie ont mis en lumière la connaissance ances-
trale qu’ont les Aborigènes de cet élément : depuis
toujours, connaissant ce risque sur leurs territoires,
ils pratiquaient des incendies « préventifs », épargnant
les animaux sauvages, préservant graines, nutriments
du sol et arbres essentiels, atteste l’historien Bill Gam-
mage. Une pratique abandonnée avec l’arrivée des
colons – notamment pour ne pas se faire repérer –
et remise au goût du jour depuis peu dans certaines
régions. Ainsi, après un gigantesque feu accidentel en
2018 dans une région de Nouvelles-Galles du Sud, ce
savoir-faire avait montré ses bienfaits : sur les zones
brûlées traditionnellement en 2017, six mois plus tard,
une riche végétation repartait déjà, quand les alen-
tours restaient sinistrés. « Les Anciens n’auraient pas
laissé de tels incendies brûler leurs terres. Cela serait revenu
à mettre le feu à leur propre maison ! » témoignait Victor
Steffensen, un Aborigène qui avait mené la campagne
préventive.
Toujours en Australie, le géographe Patrick D. Nunn
(University of the Sunshine Coast) s’est longue-
ment intéressé aux histoires que les Aborigènes se
transmettent entre générations depuis 7 000, voire
10 000 ans. « Elles ont permis aux chercheurs occidentaux
de dessiner les anciennes côtes australiennes, de com-
prendre les paysages, certains comportements animaux,
et de donner des informations précises sur le contenu et
la localisation de peintures rupestres. »
Depuis longtemps, des témoignages aborigènes
mentionnaient l’existence d’incendies créés par des
faucons. Si l’on savait les rapaces prompts à chasser
insectes, oiseaux et reptiles pris au piège des feux,
le fait qu’ils puissent eux-mêmes enflammer des
bâtons pour les allumer n’était pas attesté. En 2018,
deux chercheurs, Mark Bonta and Robert Gosford, ont
validé cette affirmation en publiant une étude dans
le Journal of Ethnobiology. Fait nouveau dans le monde
On les appelle les « TEK » pour traditional ecological
knowledges ou « TK » tout court. Les savoirs indigènes,
longtemps méprisés, non seulement deviennent des alliés
précieux de la science occidentale, mais aussi la questionnent
sur ses propres méthodes et fondements.
questionnent
science
la
« Votre savoir arrive
aux mêmes constats que
le nôtre. Mais à quoi sert une
pensée, si elle ne débouche pas
sur une action ? » demandaient
aux chercheurs trois Kogis
venus dans la Drôme pour
un diagnostic de santé
du territoire en 2018. Pour eux,
le savoir doit servir à entretenir
l'équilibre de la vie.
©DENISMAUPLOT-TCHENDUKUA
Peuples premiers, peuples racines
FREDERIKA VAN INGEN
128 129
YGGDRASIL 4 • 12Peuples premiers, peuples racines
particulier de la science occidentale : les cher-
cheurs reconnaissaient l’origine indigène de
cette « découverte », précisant que la connais-
sance de ce comportement était inscrite dans
les récits de création et les cérémonies aborigènes.
L’ampleur des savoirs indigènes ne cesse de surprendre
les chercheurs occidentaux. Autre exemple : classée
au patrimoine mondial de l’Unesco en 2008 pour ses
écosystèmes endémiques, longtemps restée à l’écart
du monde, l’île de Socotra, qui baigne au Yémen dans
la mer d’Arabie, abrite un peuple qui vivait encore il
y a peu à l’ancienne, allumant le feu par friction, etc.
« En 2006, une association humanitaire m’a proposé de
m’y rendre, raconte l’ex-agronome José Brochier. Les
experts signalaient une extrême pauvreté des populations,
qui n’avaient rien à vendre sur les marchés. En arrivant sur
place, j’ai vite compris qu’il n’y avait tout simplement pas de
marché : ces populations vivaient selon un système de don
contre don. Et celui-ci avait produit un extraordinaire savoir-
faire de sélection génétique des légumes, notamment des
tomates. Les femmes réalisaient des croisements de variétés
pour se faire des cadeaux entre elles ! »
Ce n’était pas la première fois que l’agronome consta-
tait des savoir-faire étonnants chez ces peuples res-
tés en lien avec leurs terres. « Dans les années 1990,
au Nicaragua, j’ai repris les travaux d’inventaire des
plantes cultivées et semi-cultivées pour l’alimentation
par les Ramas qu’un ethnobotaniste avait réalisés avant
la guerre. Il y avait près de 200 plantes alimentaires et
presque autant de plantes médicinales, que j’ai pu retrans-
mettre aux jeunes générations, qui perdaient ce savoir à
cause de la modernisation. »
200 plantes médicinales chez les Ramas, 300 à
500 chez les Maasaï, 1 200 chez les Mentawais d’Indo-
nésie… La connaissance botanique et médicinale des
peuples autochtones ne fait plus de doute : « Dans
75 % des cas, on valide en laboratoire les informations des
tradipraticiens sur leurs usages des plantes », explique
Jacques Fleurentin, président de la Société française
d’ethnopharmacologie.
Des savoirs qui fonctionnent sur leurs terres, et par-
fois au-delà : en 2018, invités en France à rencontrer
sur le terrain des scientifiques de différentes disci-
plines, des chamanes kogis réalisèrent un « diagnos-
tic de santé » d’un territoire de la Drôme. Juste en
« observant » les lieux, ils reconnurent des essences
d’arbres importés, précisant qu’elles acidifiaient les
sols et empêchaient le développement des hêtres,
arbres natifs que pourtant ils découvraient. Ils purent
déterminer l’emplacement de sources à distance, de
nappes d’eau de surface et souterraines, ainsi que
l’origine humaine de l’éboulement d’une montagne.
Tout en précisant des interconnexions entre tous ces
différents éléments et leurs implications. Si les cher-
cheurs présents confirmèrent leurs observations du
« visible », ces interconnexions « invisibles » les lais-
sèrent à la fois songeurs et curieux d’en savoir plus*...
Partenariat entre savoirs traditionnels
et science occidentale
Ces exemples témoignent d’un vrai change-
ment de regard : pas à pas, partout sur la planète, ces
savoirs, qui hier étaient considérés au mieux comme
du « bon sens », au pire comme des « croyances
naïves », trouvent crédit auprès de la science occi-
dentale, et même viennent la compléter.
La science, nord-américaine d’abord, puis mondiale, a
inventé un terme pour les qualifier : ce sont les « TK »,
traditional knowledges, ou encore « TEK », traditional eco-
logical knowledges, car l’écologie est un domaine dans
lequel ils sont particulièrement intéressants pour la
recherche occidentale. Notamment parce qu’ils lui per-
mettent d’accélérer et de détailler ses connaissances.
Ainsi, raconte l’écologue Catherine Gamba-Trimiño,
qui a réalisé son mémoire auprès de populations
métisses, « pour la classification que je devais faire, au
nord-est de la Colombie, mon professeur m’avait recom-
mandé de m’intéresser aux connaissances traditionnelles
de la forêt pour voir s’il y avait matière à trouver une sorte
de raccourci. J’avais trois mois pour faire ce travail, et, sans
l’aide des savoirs autochtones, je n’aurais pas pu le ter-
miner. Mais surtout, j’ai appris à nouer des contacts avec
les indigènes et à les considérer comme des collègues. Trop
souvent, la science occidentale a une attitude arrogante.
Cela a changé mon regard sur leurs savoirs et m'a donné
le goût de réaliser de vrais partenariats sur le terrain avec
les populations indigènes, que j’orchestre aujourd’hui avec
celles du bassin amazonien pour valoriser leur connaissance
de la biodiversité et de la gestion forestière. Nous les voyons
comme des collègues qui ont un autre langage. Le nôtre n’est
compréhensible que par les chercheurs ; le leur fait toujours
sens dans leur façon de vivre. Par exemple, ils vont nommer
les forêts par leurs caractéristiques : forêt pour la méde-
cine, forêt pour chasser, forêt sacrée, forêt des plantes qui
regardent le soleil (la canopée)… Ces caractéristiques nous
montrent qu’il existe d’autres manières de voir le monde que
celles de la science occidentale, et qui fonctionnent très bien. »
Prévenir les catastrophes naturelles
et le changement climatique
George Nicholas, du département d’archéo-
logie de la Simon Fraser University, en Colombie-
Britannique, est l’un des grands spécialistes cana-
diens des TK. « On peut les définir comme des savoirs
développés au fil des millénaires, fondés sur l’observation
et l’expérience, et enchâssés dans des pratiques liées au
territoire, à la spiritualité, à l’éthique, à l’idéologie, voire
dans les modes d’expression artistique. Ils englobent aussi
les façons dont ces informations ont été transmises à tra-
vers les générations. S’ils sont familiers pour l’ethnologie et
l’anthropologie, ils n’ont gagné que récemment l’attention
des “sciences dures” (archéologie, biologie, climatologie). »
Quelques exemples. Dans l’arctique canadien, les
archéologues ont pu localiser un bateau naufragé
de l’expédition Franklin de 1848 grâce aux informa-
tions d’un Inuit, Louie Kamookak. Manifestement,
Notre langage n’est compréhensible
que par les chercheurs ; celui des
populations indigènes fait toujours
sens dans leur façon de vivre.
Lors de la remontée de la rivière Quaal,
près de l’ancienne ville de la nation Gitga’at (Colombie
Britannique), Elizabeth Dundas, accompagnée de jeunes
membres de sa nation, raconte des histoires
et se remémore ses premiers jours sur la rivière.
Elle décrit comment ils faisaient pour avoir de l’eau
douce, pêcher du saumon, manger des racines
de riceroot (Fritillaria camschatcensis – famille de lilacés)
ou cueillir des baies et des pommes sauvages.
Brésil. Les modes de vie des peuples autochtones
sont en lien direct avec la biodiversité qui
les entoure. Un groupe réalise une cartographie
sociale, outil de communication entre le savoir
autochtone et l’occidental.
PHOTOS©OTAVIOMARANGONI
130 131
YGGDRASIL 4 • 12
la localisation de ce bateau était connue de son
peuple depuis 150 ans… Aujourd’hui, ces mêmes
Inuits et leur connaissance unique de la glace sont
des aides précieuses pour les climatologues, avec les-
quels les collaborations se font de plus en plus nom-
breuses pour comprendre les interactions entre ses
variations de texture et les changements climatiques.
Les Maoris travaillent main dans la main avec des
chercheurs des universités de Sydney, d’Auckland et
du Wakaito pour prévenir les catastrophes naturelles
en s’appuyant sur leurs connaissances historiques
des signes annonciateurs : pour eux, le son des
vagues, les cris des oiseaux, les rassemblements
animaux, etc., sont autant d’informations sur les
phénomènes à venir.
Les Samis de Finlande ont eux participé à une
vaste étude sur le changement climatique, qu’ils
ont co-signée. Le chercheur à l’initiative du projet
« Snowchange Cooperative » explique l’importance,
en complément des moyens scientifiques d’obser-
vation comme la télédétection, des données de
terrain connues des autochtones et de leur capa-
cité à les utiliser : sur la rivière Näätämö, les Samis,
constatant la baisse des populations de saumon, ont
adapté leur pêche et restauré des sites de fraie. En
Arizona, où elle avait poursuivi ses études entre 2002
et 2015, c’est une géologue, Margaret Hiza Redsteer,
de l’US Geological Survey, elle-même d’origine crow,
qui a enquêté auprès plus de 100 Navajos. Elle a pu
corréler toutes leurs remarques avec les données
météorologiques et confirmer leurs observations
de disparition d’espèces, d’apparition de nouveaux
végétaux, etc.
Si cette chercheuse fut l’une des premières à s’ins-
crire à cheval entre mondes scientifiques et indi-
gènes, aujourd’hui, « beaucoup d’étudiants autochtones
s’inscrivent dans les filières scientifiques pour contribuer
activement à la science occidentale, note George Nicholas,
qui, ces trente dernières années, a travaillé à develo-
per « l’archéologie indigène ». Ils sont de plus en plus
nombreux à faire carrière, tant en archéologie qu’en géné-
tique, etc. » Pour autant, affirme le spécialiste, « les
autochtones n’ont pas besoin de la science pour valider
leurs connaissances. La plupart considèrent que celles-ci,
amassées à travers les générations, leur suffisent pour
connaître et comprendre le monde, car ils ont fonctionné
ainsi depuis des millénaires. »
Ainsi, lorsque le chercheur Henri Huntington, qui
s’intéressait à l’impact du changement climatique
sur l’évolution des populations de belugas, interro-
gea les Inuits d’Alaska, ils lui parlèrent des castors…
Quel lien entre cet animal d’eau douce et les bélu-
gas ? Le saumon ! L’augmentation des populations de
castors avait modifié les zones de frai du saumon,
lui-même moins disponible pour nourrir les bélugas.
Parce qu’ils ont la conscience que leur vie en dépend,
les peuples indigènes ont une perception holistique
du territoire et des écosystèmes.
Le savoir indigène… profitable pour tous ?
Pourquoi, de leur part, ce désir de contribuer à la
science occidentale ? « Ils ont aujourd’hui de nombreuses
raisons, parmi lesquelles le désir de résoudre les problèmes,
comme l’impact du changement climatique sur certaines res-
sources. Par ailleurs, beaucoup sont enclins à partager leur
savoir par simple générosité et envie d’aider les autres, tout
en souhaitant que ces savoirs soient respectés et partagés
avec eux de façon appropriée. Car il y a beaucoup de cas
d’étudiants et de chercheurs qui ont pris les informations
pour leurs propres études et travaux, ou même pour leur
profit personnel financier, sans rien rendre en retour aux
communautés sources des savoirs. Cela pose cette autre
question, sur laquelle je travaille : qui possède ou contrôle le
devenir de ces savoirs, souvent immatériels, une fois qu’ils
ont été partagés ? C’est un enjeu essentiel de protéger les
droits de propriété intellectuelle des populations indigènes. »
Pour Catherine Gamba-Trimiño, « si, au début, les com-
munautés indigènes partagaient leur savoir parce que la
confiance s’installait entre le chercheur et eux, aujourd’hui,
le besoin de trouver des alliés dans le monde actuel qui
est géré par la pensée occidentale les y incite aussi. Nous
allier est important pour nous comme pour eux : c’est une
manière de les aider à survivre à la mondialisation et à
conserver leurs savoirs et leur cultures, dont nous avons
besoin, car ils sont plus adaptés et nécessaires face à la
crise écologique actuelle. »
Pour autant, la façon dont se construisent ces savoirs
continue de questionner la science. Margaret Hiza
Redsteer évoque un « apprentissage par la relation à
leur environnement incluant la conscience de l’interdé-
pendance et d’une connexion intérieure ». Pour Félice
Wyndham, anthropologue à l’université d’Oxford qui
s’est intéressée notamment à la transmission des
savoirs des plantes chez les enfants tarahumaras
du Mexique, ces savoirs se construisent par diffé-
rentes voies : « l’observation, l’immersion, les tests, le
jeu, l’apprentissage par les pairs, la conversation et la
révélation spirituelle. Dans la science d’origine européenne,
qui a aussi sa propre histoire, il y a peu de place pour l’idée
d’un savoir acquis par la révélation spirituelle. Mais c’est
finalement le seul aspect qui les rend différents. »
Une relation directe avec la nature
qui ouvre sur d’autres compréhensions
Ces approches confrontent aussi la science
occidentale à ses propres façons de fonctionner : « Si
la science est pratiquée à l’intérieur d’un groupe homogène
dont les valeurs et intérêts sont partagés et non remis en
question, alors, ajouter les méthodes, théories et voies d’ac-
cès aux savoirs indigènes apporte de la diversité, analyse
George Nicholas. Cela nous force à être plus objectifs, et
c’est toujours bienvenu. Ensuite, ces savoirs apportent des
explications alternatives aux phénomènes observés et aux
prédictions, ce qui nous oblige aussi à élargir les hypothèses
sur lesquelles nous travaillons, à faire travailler l’imagina-
tion sans anticiper les conclusions, et c’est toujours béné-
fique. La science occidentale et les savoirs traditionnels ont
des épistémologies, des histoires et connaissances du monde
différentes, mais souvent complémentaires. »
« J’ai constaté en travaillant sur le terrain, note Catherine
Gamba-Trimiño, qu’il y a une grande convergence entre
ces savoirs et ma méthologie. Mais, à l’arrivée, je me suis
trouvée confrontée à cette question : OK, pour ma culture,
c’est valide, mais est-il vraiment nécessaire de toujours
les valider ? Je ne le crois pas. Pour eux, la relation directe
avec la nature ouvre à d’autres informations et d’autres
compréhensions. Sur le fonctionnement de la nature, sa
gestion, les cycles de changements, les gestes nécessaires
pour chasser, pour récolter, etc. Nous avons installé un
système de production comme intermédiaire entre la
nature et nous et notre regard sur elle passe par lui. »
Autrement dit, leur capacité d’observation, parce
qu’elle n’est pas « déléguée » à un intermédiaire,
semble beaucoup plus étendue que la nôtre et a
développé d’autres modalités de relation, que nous
n’avons pas. « Ce travail auprès des peuples indigènes
m’a fait prendre conscience qu’il faut être humble, car il y
a des choses qu’on ne peut pas valider avec nos outils. Il
y a des connaissances qui sont au-delà de notre compré-
hension. En Colombie, c’est le cas, par exemple, des Kogis.
Cela montre aussi qu’il est très important de préserver
ces autres systèmes de connaissance. »
« Ces peuples possèdent encore ce qu’on appelle le savoir
ancestral, note l’agronome José Brochier, qui se trouve
dans les gestes et également dans un tas de choses qu’on
ne peut pas comprendre. Ils sont encore en phase avec la
préhistoire et n’ont pas vécu la rupture avec la nature
que nous avons vécue. Il est encore temps d’offrir à leurs
Anciens une chance d’exercer leurs savoirs. Car, quand ils
retrouvent un bout de terre, de forêt, ils peuvent encore
les réveiller ! »
*En septembre 2020, l’association Tchendukua,
organisatrice de ces premières rencontres, invitera
de nouveaux des Mamus Kogis à réaliser un diagnostic
croisé avec les scientifiques, en Suisse, cette fois.
Il y a des connaissances
qui sont au-delà
de notre compréhension.
Pour les Kogis, la connaissance n’est pas construite
par les humains, mais donnée par la nature.
Pour expliquer la façon dont ils y accèdent,
ils évoquent une forme de connexion.
Peuples premiers, peuples racines
PHOTOS © DENIS MAUPLOT-TCHENDUKUA

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  • 1. 127 YGGDRASIL 4 • 12 126 Allumer des feux pour prévenir les incendies En début d’année, les mégafeux qui ont ravagé l’Australie ont mis en lumière la connaissance ances- trale qu’ont les Aborigènes de cet élément : depuis toujours, connaissant ce risque sur leurs territoires, ils pratiquaient des incendies « préventifs », épargnant les animaux sauvages, préservant graines, nutriments du sol et arbres essentiels, atteste l’historien Bill Gam- mage. Une pratique abandonnée avec l’arrivée des colons – notamment pour ne pas se faire repérer – et remise au goût du jour depuis peu dans certaines régions. Ainsi, après un gigantesque feu accidentel en 2018 dans une région de Nouvelles-Galles du Sud, ce savoir-faire avait montré ses bienfaits : sur les zones brûlées traditionnellement en 2017, six mois plus tard, une riche végétation repartait déjà, quand les alen- tours restaient sinistrés. « Les Anciens n’auraient pas laissé de tels incendies brûler leurs terres. Cela serait revenu à mettre le feu à leur propre maison ! » témoignait Victor Steffensen, un Aborigène qui avait mené la campagne préventive. Toujours en Australie, le géographe Patrick D. Nunn (University of the Sunshine Coast) s’est longue- ment intéressé aux histoires que les Aborigènes se transmettent entre générations depuis 7 000, voire 10 000 ans. « Elles ont permis aux chercheurs occidentaux de dessiner les anciennes côtes australiennes, de com- prendre les paysages, certains comportements animaux, et de donner des informations précises sur le contenu et la localisation de peintures rupestres. » Depuis longtemps, des témoignages aborigènes mentionnaient l’existence d’incendies créés par des faucons. Si l’on savait les rapaces prompts à chasser insectes, oiseaux et reptiles pris au piège des feux, le fait qu’ils puissent eux-mêmes enflammer des bâtons pour les allumer n’était pas attesté. En 2018, deux chercheurs, Mark Bonta and Robert Gosford, ont validé cette affirmation en publiant une étude dans le Journal of Ethnobiology. Fait nouveau dans le monde On les appelle les « TEK » pour traditional ecological knowledges ou « TK » tout court. Les savoirs indigènes, longtemps méprisés, non seulement deviennent des alliés précieux de la science occidentale, mais aussi la questionnent sur ses propres méthodes et fondements. questionnent science la « Votre savoir arrive aux mêmes constats que le nôtre. Mais à quoi sert une pensée, si elle ne débouche pas sur une action ? » demandaient aux chercheurs trois Kogis venus dans la Drôme pour un diagnostic de santé du territoire en 2018. Pour eux, le savoir doit servir à entretenir l'équilibre de la vie. ©DENISMAUPLOT-TCHENDUKUA Peuples premiers, peuples racines FREDERIKA VAN INGEN
  • 2. 128 129 YGGDRASIL 4 • 12Peuples premiers, peuples racines particulier de la science occidentale : les cher- cheurs reconnaissaient l’origine indigène de cette « découverte », précisant que la connais- sance de ce comportement était inscrite dans les récits de création et les cérémonies aborigènes. L’ampleur des savoirs indigènes ne cesse de surprendre les chercheurs occidentaux. Autre exemple : classée au patrimoine mondial de l’Unesco en 2008 pour ses écosystèmes endémiques, longtemps restée à l’écart du monde, l’île de Socotra, qui baigne au Yémen dans la mer d’Arabie, abrite un peuple qui vivait encore il y a peu à l’ancienne, allumant le feu par friction, etc. « En 2006, une association humanitaire m’a proposé de m’y rendre, raconte l’ex-agronome José Brochier. Les experts signalaient une extrême pauvreté des populations, qui n’avaient rien à vendre sur les marchés. En arrivant sur place, j’ai vite compris qu’il n’y avait tout simplement pas de marché : ces populations vivaient selon un système de don contre don. Et celui-ci avait produit un extraordinaire savoir- faire de sélection génétique des légumes, notamment des tomates. Les femmes réalisaient des croisements de variétés pour se faire des cadeaux entre elles ! » Ce n’était pas la première fois que l’agronome consta- tait des savoir-faire étonnants chez ces peuples res- tés en lien avec leurs terres. « Dans les années 1990, au Nicaragua, j’ai repris les travaux d’inventaire des plantes cultivées et semi-cultivées pour l’alimentation par les Ramas qu’un ethnobotaniste avait réalisés avant la guerre. Il y avait près de 200 plantes alimentaires et presque autant de plantes médicinales, que j’ai pu retrans- mettre aux jeunes générations, qui perdaient ce savoir à cause de la modernisation. » 200 plantes médicinales chez les Ramas, 300 à 500 chez les Maasaï, 1 200 chez les Mentawais d’Indo- nésie… La connaissance botanique et médicinale des peuples autochtones ne fait plus de doute : « Dans 75 % des cas, on valide en laboratoire les informations des tradipraticiens sur leurs usages des plantes », explique Jacques Fleurentin, président de la Société française d’ethnopharmacologie. Des savoirs qui fonctionnent sur leurs terres, et par- fois au-delà : en 2018, invités en France à rencontrer sur le terrain des scientifiques de différentes disci- plines, des chamanes kogis réalisèrent un « diagnos- tic de santé » d’un territoire de la Drôme. Juste en « observant » les lieux, ils reconnurent des essences d’arbres importés, précisant qu’elles acidifiaient les sols et empêchaient le développement des hêtres, arbres natifs que pourtant ils découvraient. Ils purent déterminer l’emplacement de sources à distance, de nappes d’eau de surface et souterraines, ainsi que l’origine humaine de l’éboulement d’une montagne. Tout en précisant des interconnexions entre tous ces différents éléments et leurs implications. Si les cher- cheurs présents confirmèrent leurs observations du « visible », ces interconnexions « invisibles » les lais- sèrent à la fois songeurs et curieux d’en savoir plus*... Partenariat entre savoirs traditionnels et science occidentale Ces exemples témoignent d’un vrai change- ment de regard : pas à pas, partout sur la planète, ces savoirs, qui hier étaient considérés au mieux comme du « bon sens », au pire comme des « croyances naïves », trouvent crédit auprès de la science occi- dentale, et même viennent la compléter. La science, nord-américaine d’abord, puis mondiale, a inventé un terme pour les qualifier : ce sont les « TK », traditional knowledges, ou encore « TEK », traditional eco- logical knowledges, car l’écologie est un domaine dans lequel ils sont particulièrement intéressants pour la recherche occidentale. Notamment parce qu’ils lui per- mettent d’accélérer et de détailler ses connaissances. Ainsi, raconte l’écologue Catherine Gamba-Trimiño, qui a réalisé son mémoire auprès de populations métisses, « pour la classification que je devais faire, au nord-est de la Colombie, mon professeur m’avait recom- mandé de m’intéresser aux connaissances traditionnelles de la forêt pour voir s’il y avait matière à trouver une sorte de raccourci. J’avais trois mois pour faire ce travail, et, sans l’aide des savoirs autochtones, je n’aurais pas pu le ter- miner. Mais surtout, j’ai appris à nouer des contacts avec les indigènes et à les considérer comme des collègues. Trop souvent, la science occidentale a une attitude arrogante. Cela a changé mon regard sur leurs savoirs et m'a donné le goût de réaliser de vrais partenariats sur le terrain avec les populations indigènes, que j’orchestre aujourd’hui avec celles du bassin amazonien pour valoriser leur connaissance de la biodiversité et de la gestion forestière. Nous les voyons comme des collègues qui ont un autre langage. Le nôtre n’est compréhensible que par les chercheurs ; le leur fait toujours sens dans leur façon de vivre. Par exemple, ils vont nommer les forêts par leurs caractéristiques : forêt pour la méde- cine, forêt pour chasser, forêt sacrée, forêt des plantes qui regardent le soleil (la canopée)… Ces caractéristiques nous montrent qu’il existe d’autres manières de voir le monde que celles de la science occidentale, et qui fonctionnent très bien. » Prévenir les catastrophes naturelles et le changement climatique George Nicholas, du département d’archéo- logie de la Simon Fraser University, en Colombie- Britannique, est l’un des grands spécialistes cana- diens des TK. « On peut les définir comme des savoirs développés au fil des millénaires, fondés sur l’observation et l’expérience, et enchâssés dans des pratiques liées au territoire, à la spiritualité, à l’éthique, à l’idéologie, voire dans les modes d’expression artistique. Ils englobent aussi les façons dont ces informations ont été transmises à tra- vers les générations. S’ils sont familiers pour l’ethnologie et l’anthropologie, ils n’ont gagné que récemment l’attention des “sciences dures” (archéologie, biologie, climatologie). » Quelques exemples. Dans l’arctique canadien, les archéologues ont pu localiser un bateau naufragé de l’expédition Franklin de 1848 grâce aux informa- tions d’un Inuit, Louie Kamookak. Manifestement, Notre langage n’est compréhensible que par les chercheurs ; celui des populations indigènes fait toujours sens dans leur façon de vivre. Lors de la remontée de la rivière Quaal, près de l’ancienne ville de la nation Gitga’at (Colombie Britannique), Elizabeth Dundas, accompagnée de jeunes membres de sa nation, raconte des histoires et se remémore ses premiers jours sur la rivière. Elle décrit comment ils faisaient pour avoir de l’eau douce, pêcher du saumon, manger des racines de riceroot (Fritillaria camschatcensis – famille de lilacés) ou cueillir des baies et des pommes sauvages. Brésil. Les modes de vie des peuples autochtones sont en lien direct avec la biodiversité qui les entoure. Un groupe réalise une cartographie sociale, outil de communication entre le savoir autochtone et l’occidental. PHOTOS©OTAVIOMARANGONI
  • 3. 130 131 YGGDRASIL 4 • 12 la localisation de ce bateau était connue de son peuple depuis 150 ans… Aujourd’hui, ces mêmes Inuits et leur connaissance unique de la glace sont des aides précieuses pour les climatologues, avec les- quels les collaborations se font de plus en plus nom- breuses pour comprendre les interactions entre ses variations de texture et les changements climatiques. Les Maoris travaillent main dans la main avec des chercheurs des universités de Sydney, d’Auckland et du Wakaito pour prévenir les catastrophes naturelles en s’appuyant sur leurs connaissances historiques des signes annonciateurs : pour eux, le son des vagues, les cris des oiseaux, les rassemblements animaux, etc., sont autant d’informations sur les phénomènes à venir. Les Samis de Finlande ont eux participé à une vaste étude sur le changement climatique, qu’ils ont co-signée. Le chercheur à l’initiative du projet « Snowchange Cooperative » explique l’importance, en complément des moyens scientifiques d’obser- vation comme la télédétection, des données de terrain connues des autochtones et de leur capa- cité à les utiliser : sur la rivière Näätämö, les Samis, constatant la baisse des populations de saumon, ont adapté leur pêche et restauré des sites de fraie. En Arizona, où elle avait poursuivi ses études entre 2002 et 2015, c’est une géologue, Margaret Hiza Redsteer, de l’US Geological Survey, elle-même d’origine crow, qui a enquêté auprès plus de 100 Navajos. Elle a pu corréler toutes leurs remarques avec les données météorologiques et confirmer leurs observations de disparition d’espèces, d’apparition de nouveaux végétaux, etc. Si cette chercheuse fut l’une des premières à s’ins- crire à cheval entre mondes scientifiques et indi- gènes, aujourd’hui, « beaucoup d’étudiants autochtones s’inscrivent dans les filières scientifiques pour contribuer activement à la science occidentale, note George Nicholas, qui, ces trente dernières années, a travaillé à develo- per « l’archéologie indigène ». Ils sont de plus en plus nombreux à faire carrière, tant en archéologie qu’en géné- tique, etc. » Pour autant, affirme le spécialiste, « les autochtones n’ont pas besoin de la science pour valider leurs connaissances. La plupart considèrent que celles-ci, amassées à travers les générations, leur suffisent pour connaître et comprendre le monde, car ils ont fonctionné ainsi depuis des millénaires. » Ainsi, lorsque le chercheur Henri Huntington, qui s’intéressait à l’impact du changement climatique sur l’évolution des populations de belugas, interro- gea les Inuits d’Alaska, ils lui parlèrent des castors… Quel lien entre cet animal d’eau douce et les bélu- gas ? Le saumon ! L’augmentation des populations de castors avait modifié les zones de frai du saumon, lui-même moins disponible pour nourrir les bélugas. Parce qu’ils ont la conscience que leur vie en dépend, les peuples indigènes ont une perception holistique du territoire et des écosystèmes. Le savoir indigène… profitable pour tous ? Pourquoi, de leur part, ce désir de contribuer à la science occidentale ? « Ils ont aujourd’hui de nombreuses raisons, parmi lesquelles le désir de résoudre les problèmes, comme l’impact du changement climatique sur certaines res- sources. Par ailleurs, beaucoup sont enclins à partager leur savoir par simple générosité et envie d’aider les autres, tout en souhaitant que ces savoirs soient respectés et partagés avec eux de façon appropriée. Car il y a beaucoup de cas d’étudiants et de chercheurs qui ont pris les informations pour leurs propres études et travaux, ou même pour leur profit personnel financier, sans rien rendre en retour aux communautés sources des savoirs. Cela pose cette autre question, sur laquelle je travaille : qui possède ou contrôle le devenir de ces savoirs, souvent immatériels, une fois qu’ils ont été partagés ? C’est un enjeu essentiel de protéger les droits de propriété intellectuelle des populations indigènes. » Pour Catherine Gamba-Trimiño, « si, au début, les com- munautés indigènes partagaient leur savoir parce que la confiance s’installait entre le chercheur et eux, aujourd’hui, le besoin de trouver des alliés dans le monde actuel qui est géré par la pensée occidentale les y incite aussi. Nous allier est important pour nous comme pour eux : c’est une manière de les aider à survivre à la mondialisation et à conserver leurs savoirs et leur cultures, dont nous avons besoin, car ils sont plus adaptés et nécessaires face à la crise écologique actuelle. » Pour autant, la façon dont se construisent ces savoirs continue de questionner la science. Margaret Hiza Redsteer évoque un « apprentissage par la relation à leur environnement incluant la conscience de l’interdé- pendance et d’une connexion intérieure ». Pour Félice Wyndham, anthropologue à l’université d’Oxford qui s’est intéressée notamment à la transmission des savoirs des plantes chez les enfants tarahumaras du Mexique, ces savoirs se construisent par diffé- rentes voies : « l’observation, l’immersion, les tests, le jeu, l’apprentissage par les pairs, la conversation et la révélation spirituelle. Dans la science d’origine européenne, qui a aussi sa propre histoire, il y a peu de place pour l’idée d’un savoir acquis par la révélation spirituelle. Mais c’est finalement le seul aspect qui les rend différents. » Une relation directe avec la nature qui ouvre sur d’autres compréhensions Ces approches confrontent aussi la science occidentale à ses propres façons de fonctionner : « Si la science est pratiquée à l’intérieur d’un groupe homogène dont les valeurs et intérêts sont partagés et non remis en question, alors, ajouter les méthodes, théories et voies d’ac- cès aux savoirs indigènes apporte de la diversité, analyse George Nicholas. Cela nous force à être plus objectifs, et c’est toujours bienvenu. Ensuite, ces savoirs apportent des explications alternatives aux phénomènes observés et aux prédictions, ce qui nous oblige aussi à élargir les hypothèses sur lesquelles nous travaillons, à faire travailler l’imagina- tion sans anticiper les conclusions, et c’est toujours béné- fique. La science occidentale et les savoirs traditionnels ont des épistémologies, des histoires et connaissances du monde différentes, mais souvent complémentaires. » « J’ai constaté en travaillant sur le terrain, note Catherine Gamba-Trimiño, qu’il y a une grande convergence entre ces savoirs et ma méthologie. Mais, à l’arrivée, je me suis trouvée confrontée à cette question : OK, pour ma culture, c’est valide, mais est-il vraiment nécessaire de toujours les valider ? Je ne le crois pas. Pour eux, la relation directe avec la nature ouvre à d’autres informations et d’autres compréhensions. Sur le fonctionnement de la nature, sa gestion, les cycles de changements, les gestes nécessaires pour chasser, pour récolter, etc. Nous avons installé un système de production comme intermédiaire entre la nature et nous et notre regard sur elle passe par lui. » Autrement dit, leur capacité d’observation, parce qu’elle n’est pas « déléguée » à un intermédiaire, semble beaucoup plus étendue que la nôtre et a développé d’autres modalités de relation, que nous n’avons pas. « Ce travail auprès des peuples indigènes m’a fait prendre conscience qu’il faut être humble, car il y a des choses qu’on ne peut pas valider avec nos outils. Il y a des connaissances qui sont au-delà de notre compré- hension. En Colombie, c’est le cas, par exemple, des Kogis. Cela montre aussi qu’il est très important de préserver ces autres systèmes de connaissance. » « Ces peuples possèdent encore ce qu’on appelle le savoir ancestral, note l’agronome José Brochier, qui se trouve dans les gestes et également dans un tas de choses qu’on ne peut pas comprendre. Ils sont encore en phase avec la préhistoire et n’ont pas vécu la rupture avec la nature que nous avons vécue. Il est encore temps d’offrir à leurs Anciens une chance d’exercer leurs savoirs. Car, quand ils retrouvent un bout de terre, de forêt, ils peuvent encore les réveiller ! » *En septembre 2020, l’association Tchendukua, organisatrice de ces premières rencontres, invitera de nouveaux des Mamus Kogis à réaliser un diagnostic croisé avec les scientifiques, en Suisse, cette fois. Il y a des connaissances qui sont au-delà de notre compréhension. Pour les Kogis, la connaissance n’est pas construite par les humains, mais donnée par la nature. Pour expliquer la façon dont ils y accèdent, ils évoquent une forme de connexion. Peuples premiers, peuples racines PHOTOS © DENIS MAUPLOT-TCHENDUKUA