La garantie des droits de l'homme face à la pauvreté - D. Roman [extrait]
1. LA GARANTIE DES DROITS DE L’HOMME FACE À LA PAUVRETÉ
Diane Roman1
INTRODUCTION : DROIT ET PAUVRETÉ, LE RENOUVELLEMENT DU DÉBAT
ACADÉMIQUE ET DU CONTEXTE JURIDIQUE
Les trente dernières années sont marquées par un renouveau de la réflexion sur les
droits de l’Homme et la pauvreté2, que traduit notamment le projet de principes
directeurs sur l’extrême pauvreté et les droits de l’Homme actuellement en cours
d’examen au sein des Nations Unies3. Deux évolutions majeures apparaissent : d’une
part, une transformation du contexte juridique, caractérisé par l’accent mis sur les
principes d’interdépendance et d’indivisibilité des droits ; d’autre part, un renouveau
de l’appréhension de la pauvreté, moins tournée vers une approche économique et
monétaire et plus centrée sur la personne.
L’INDIVISIBILITÉ DES DROITS DE L’HOMME : VERS UNE CONCEPTION
GLOBALE DE L’ÊTRE HUMAIN
Si la question de la pauvreté se pose désormais en termes de droits, c’est avant tout
grâce à la transformation, au XXe siècle, de la représentation même des droits de
l’Homme : alors que les déclarations de droits du XVIIIe siècle, d’essence libérale,
n’avaient principalement consacré que des libertés individuelles (liberté de pensée, de
parole, de religion, droit de ne pas être arrêté arbitrairement, droit de propriété), les
textes adoptés au XXe siècle insistent tous sur la fragilité de la personne humaine et la
nécessité de protéger l’être humain dans sa chair. La confiance dans le modèle libéral,
qui justifiait les déclarations initiales, a laissé place à un souci de protection. A l’homme
« abstrait », de pur esprit ne nécessitant, pour s’épanouir, qu’une liberté d’action et de
pensée, les déclarations modernes substituent un homme « concret » qui doit être
protégé de la peur et de la misère. Les besoins physiologiques de l’être humain (besoin
de se nourrir, de se couvrir, de se reposer) sont reconnus par les textes contemporains
1 Professeure de droit, Université François-Rabelais, Tours - Chercheuse au CREDOF, Université
Paris Ouest Nanterre la Défense
22 L’expression « droits de l’Homme » est gardée ici comme traduction de l’anglais « Human
Rights », dans la mesure où il s’agit du terme employé par les versions francophones des instruments
juridiques internationaux (Déclaration universelle des droits de l’Homme, convention européenne de
sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales). Droits de l’Homme s’entend ici dans
une acception neutre, et vise indistinctement l’ensemble de ses titulaires, quel que soit leur genre. Plus
encore, le choix de l’expression francophone ne doit pas occulter le fait que la pauvreté affecte
prioritairement les femmes, et que des mesures particulières doivent être prises, dans une perspective
sexo-spécifique, afin de garantir l’effectivité de leurs droits.
33 Projet de principes directeurs sur l’extrême pauvreté et les droits de l’Homme, adopté par la
Sous-Commission de la promotion et de la protection des droits de l’homme, résolution 2006/9, 11
septembre 2006, A/HRC/Sub.1/58/36
2. qui proclament le droit de chacun « à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé,
son bien être notamment pour l’alimentation, l’habillement, le logement »4, le droit au
mariage et à fonder une famille de son droit au repos. Les droits économiques et
sociaux complètent ainsi au XXe siècle les droits civils et politiques formulés
historiquement : ils recouvrent le droit d’exercer une activité professionnelle (droit au
travail ; droit à la négociation collective, droit de grève et liberté syndicale) et le droit
de bénéficier de prestations sociales protectrices palliant les carences du libre jeu du
marché (droit au logement ; droit à la protection sociale ; droit aux services de santé).
Ces prestations sociales tendent à garantir des droits « englobant les besoins
individuels et la cohésion sociale. Les droits sociaux sont, dès lors, les dispositions,
exprimées dans des textes légaux ou sous d’autres formes, qui permettent de satisfaire
les besoins sociaux des personnes, ainsi que de promouvoir la cohésion sociale et la
solidarité »5 et recouvrent la protection sociale, le logement, l’emploi, la santé et
l’éducation.
[...]
44 Déclaration universelle des droits de l’Homme, article 25.
55 M. DALY, L’accès aux droits sociaux en Europe, Ed. du Conseil de l’Europe, 2002, p. 15