Hilde Teerlinck - Dan Perjovschi « PRESSION LIBERTÉ EXPRESSION »
JR_un street-art qui crée la controverse
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Il n’est plus à présenter. Cet artiste street-art français a fait le tour du monde avec
notamment son projet “Inside Out” : des impressions de portraits accessibles à tous,
imprimés en grand format et en noir et blanc, que Jr et son équipe collent ensuite sur les
murs des villes. Ces dernières se retrouvent ainsi habillés d’énormes visages anonymes.
Il y a quelques semaines, le camion photographique itinérant avec lequel l’artiste récolte
le fruit de son travail s’est posé autour de huit monuments nationaux français, afin de
recueillir de nouveaux portraits, qui seront exposés fin avril sur la bâche du Panthéon.
Considérée comme une consécration, cette exposition nous permet de se pencher sur
les différents enjeux que Jr et son action soulèvent.
Quelle est l’identité artistique de ce Parisien trentenaire ? D’après son site, Jr
posséderait “la plus grande galerie du monde”. La technique utilisée est donc le collage
photographique exposé librement sur les murs du monde entier, accessibles aux yeux
de tous. On trouve donc là plusieurs des critères piliers du street-art : l’œuvre artistique
est exposée en plein air, dans des milieux urbains, dont la réalisation en elle-même est
illégale. L’environnement urbain devient création contemporaine, et l’art connaît une
véritable démocratisation : la sensibilité aux œuvres n’est plus réservée aux musées ou
autres installations labellisées, l’art est dans la rue, libre, rebelle, et à la portée de tous.
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Le street-art détient donc en
son sein depuis ses origines
(que l’on date du boom du
graffiti dans les années 1960 à
New York), cette notion
protestataire.
On connaît bien la jolie histoire
de Jr qui, après avoir trouvé un
appareil photo dans le métro
parisien un jour, immortalise
ensuite les visages des gens
qu’il rencontre à travers toute
l’Europe. Un de ses premiers
projets, Portrait d’une
génération (2006) est alors
d’afficher des visages de jeunes de banlieues parisiennes dans différents quartiers
bourgeois de la capitale. Le souci de mélange des classes, d’affirmation des identités est
ici évident. Cependant on pourrait se poser la question lorsque, près de dix années plus
tard, Jr continue d’afficher ses portraits anonymes à Paris.
Certes, entre temps, ce dernier à parcouru un beau chemin. Il réalise en 2010 le film
“Women Are Heroes” qui comme vous l’avez compris à pour but de mettre à la lumière la
force des femmes à travers le monde. Il a récemment été invité par le prestigieux New
City Ballet pour réaliser une installation en collaboration avec les danseurs et
danseuses... Ce projet en particulier d’ailleurs, ne peut être véritablement considéré
comme une “action” dans les codes de l’art urbain, puisque qu’il s’agit ici pour l’artiste
d’utiliser ses talents de photographe à des fins d’appréciation purement esthétique. Il
serait donc facile de déplorer le manque de revendication et de profondeur d’œuvres
comme celle-ci.
Mais en poussant plus loin, on se rends compte que Jr a transformé la pratique sauvage
du collage street-art depuis ses débuts. En effet, son exposition “Portrait d’une
génération“ avait à l’époque été accepté par la Mairie de Paris, qui avait reçu les dits
portraits sur ses propres murs.
Aujourd’hui, cette romanisation du street-art, ce passage d’un illégal à officiel est à son
apogée lorsque celui-ci se retrouve en façade d’un monument aussi politiquement
certifié que le Panthéon. L’artiste alternatif s’est rapidement fait une place au soleil.
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L’accessibilité est, comme nous l’avons dit, une caractéristique forte du street-art. Mais
cette dernière peut-elle desservir un artiste ? Lorsqu’utilisée à son paroxysme, il
semblerait bien. Avec Inside Out, Jr défends l’idée d’un sujet qui n’est plus passivement
utilisé comme modèle, mais qui a également une emprise sur l’objet crée : les
communautés du monde entier participent à l’élaboration des fresques, en collant eux-
mêmes leurs photographies afin de défendre une idée, une opinion. Son travail prends
alors les traits d’œuvre collective, et lorsque les petits enfants démunis d’Afrique ou des
favelas brésiliennes s’y collent, on frôle l’action humanitaire.
L’art de Jr est ouvert est accessible à tous, et cela même au travers de sa qualité
plastique. L’immense visage collé sur une des façades de la Bibliothèque François
Mitterrand est impressionnant à voir, mais pas pour sa valeur esthétique, mais plutôt en
raison de cet emplacement géographique. Jr et son équipe ne sont pas montés en haut
du bâtiment en pleine nuit (froide) pour déverser son message au grand nombre en
utilisant ses talents de dessinateur/graffeur, comme on peut imaginer que certaines
fresques de street-art inaccessibles ont été effectuées. Non, il s’agit ici de photographies
de portraits, imprimées en noir et blanc et en grand format. On peut donc discuter de la
rapidité de définition d’un projet tel qu’Inside Out par exemple, et donc du manque cette
fois de savoir-faire particulier. Jr est bien loin de son envie de “changer le monde”.
Une chose est sûre cependant,
l’homme qui se cache derrière ses
initiales - qui n’est d’ailleurs que
simulation d’un anonymat qui tombe
à l’eau lorsqu’on le retrouve sur des
plateaux télés - est un fin
observateur, et de ce fait un bon
photographe. Son travail est
esthétiquement très attrayant, et la
façon dont il utilise Instagram comme
portfolio ouvre les portes d’un atelier parcourant le monde entier et qui nous offre un
magnifique spectacle quotidien. Il semblerait que ce talent devrait être primordial (et
pourquoi pas transporté à d’autres medium artistiques), car malgré l'acceptation de ses
portraits par les hauts rangs de la société, ces visages anonymes commencent à devenir
trop anodins, et l’intérêt de son idée, s’essouffler à travers le dangereux jeu de la
répétition.