1. Le rôle de la confiance en soi
chez le joueur de tennis
par Sophie Maurissen,
psychologue du sport spécialisée dans le tennis,
intervenante dans la formation DE Tennis d’Île-de-France,
doctorante en psychanalyse à l’université Paris–VII
« Federer m’avait battu très facile-
ment, plus facilement que si j’avais
eu davantage de confiance en moi.
En revanche, la défaite de 2007,
qui s’était déroulée en cinq sets,
m’avait complètement démoli. Car
je savais que j’aurais pu faire mieux,
que ce n’étaient ni mes capacités
techniques ni la qualité de mon jeu
qui étaient en cause, mais une fai-
blesse psychologique. »1
Ce témoignage de Rafael Nadal
après sa défaite à Wimbledon sou-
ligne l’importance de la confiance
en soi dans la pratique du tennis
de compétition. Nous nous propo-
sons d’éclairer et d’analyser cette
capacité interne afin de souligner quelques pistes
de travail pédagogique pour les enseignants et les
entraîneurs de tennis dans un prochain numéro.
Introduction
Comme dans de nombreux sports, la pratique du
tennis en compétition confronte le joueur au regard
du public, qu’il craint souvent de décevoir tel un gla-
diateur au milieu de l’arène. Face à l’enjeu, certains
compétiteurs entrevoient la défaite avant même
d’avoir saisi la raquette et d’avoir engagé la pre-
mière balle. Le fait que certains se réfèrent à leur
adversaire – parfois moins bien classé – comme à
un « très bon joueur » qu’ils redoutent nous amène
à nous demander s’il s’agit d’humilité de leur part
ou d’un manque de confiance en soi ?
D’emblée, il est important d’établir une distinction
entre la confiance et la confiance en soi afin de pou-
voir les différencier et mieux saisir leur imbrication.
3
Rafael Nadal
Préparation
mentale
Comment l’enseignant peut-il renforcer
cette capacité interne auprès des joueurs ?
2. 4
Confiance/Confiance en soi
Étymologiquement, le mot confiance provient du
latin con (« avec », « ensemble ») et fidere (« se
fier », « croire »). La confiance implique un partage
avec quelqu’un. En effet, nous faisons confiance à
certaines personnes en particulier. Dans le cadre de
la pratique du tennis de compétition, cela engage
en général pour le joueur une confiance en son
entourage sportif, composé principalement de ses
parents et de son entraîneur. La confiance engage
donc également une confiance dans la parole.
La confiance en soi – du latin per se (« par soi »)
– suppose une alliance avec soi-même. Ceci
démontre que cette capacité dépend de la faculté
de l’individu de croire en lui. Dès lors, pour avoir
confiance en soi, il est nécessaire de croire en ses
capacités. Seul ce processus mental inconscient
permet à l’individu de se faire confiance : pour
entreprendre une action, il faut croire à la possibi-
lité de sa réalisation.
C’est en cela que la psychologie tente d’entrevoir ce
qui échappe à l’individu lui-même afin de lui fournir
les moyens nécessaires à son auto-réalisation. Pour
ce faire, il est fondamental de prendre en considé-
ration l’histoire subjective de chaque individu.
C’est au cours de la plus tendre enfance que la
confiance prend racine, s’élabore et se ressourcera
plus tard. Un individu qui aura pu intérioriser un
amour parental au cours de son développement
sera plus apte à s’aimer et par conséquent à se faire
confiance. À l’inverse, un individu longtemps déni-
gré par ses proches, prendra l’habitude de se déva-
loriser et appréhendera toute circonstance qui le
mettrait en valeur. D’autre part, la confiance en soi,
tel que l’indique son étymologie, dépend en grande
partie de la relation du sujet à ses croyances2
.
Selon Donald Winnicott3
, le rapport de l’individu à
ses croyances est déterminé par sa relation à sa
mère ou à son substitut. Elle constitue la base de
la qualité de la relation du futur adulte avec son
entourage. Si l’issue de cette relation primaire avec
la mère est satisfaisante, l’individu acquerra un nar-
cissisme adéquat. Étant donné que le narcissisme
est le fondement de la confiance en soi, il pourra
déployer un degré satisfaisant d’investissement
sur lui-même. L’individu possédant un narcissisme
adéquat pourra se sentir aimé sans sentiment de
toute-puissance, en confiance, sécurisé dans les
actions de sa vie et capable de vivre un échec sans
se désorganiser. Ainsi, il sera apte à se reconstruire
après des épreuves difficiles, sensible aux marques
d’attention de son entourage et recherchera leur
reconnaissance sans pour autant se trouver dans
une relation de dépendance.
Si au contraire cette relation avec la mère ou son
substitut est excessive, l’individu développera une
tendance à investir plutôt sur lui-même. Cet excès
dans la relation est à entendre aussi bien dans le
sens du trop que dans celui du pas assez. Si cette
relation est démesurée dans le sens du trop, l’indi-
vidu pourra manifester un excès d’amour de soi.
Il accordera une trop grande importance à l’image
de soi et fera preuve d’un narcissisme excessif4
.
Si, dans le cas inverse, cette relation est insuffi-
sante – dans le pas assez –, l’individu pourra déve-
lopper une carence narcissique issue de blessures
dans l’amour de soi et de manques affectifs qui
n’ont pas été comblés. Ces deux pathologies nar-
cissiques proviennent du même manque : manque
de constance et de solidité dans la mise en place de
l’amour de soi. Cela entraînera des répercussions
sur la confiance en soi qui aura tendance à se déve-
lopper sur le même versant.
Lerôledelaconfianceensoichezlejoueurdetennis
Aminata Sall (ligue du Val d'Oise)
3. 5
Lerôledelaconfianceensoichezlejoueurdetennis
Le cas de Paul
Prenons le cas concret d’un joueur de 11 ans. Dans
son club, Paul est le meilleur de sa catégorie d’âge.
Il lui arrive même de battre certains adultes de
son club. Son entraîneur voit en lui un joueur avec
beaucoup de potentiel. C’est la première fois qu’il
entraîne un jeune d’un si bon niveau. Il consacre
beaucoup de temps à Paul et s’investit considéra-
blement : il l’accompagne fréquemment lors des
tournois, au détriment des autres joueurs du club.
Considéré comme une « petite vedette » dans son
club, Paul est le réceptacle de nombreuses marques
d’attention de la part de son entourage sportif (par-
tenaires de jeu, entraîneur, autres enseignants du
club, dirigeants, parents, parfois parents de cama-
rades de jeu). Il en reçoit peut-être même trop ; ce
qui renforce de façon démesurée la confiance qu’il
a en lui et son amour-propre. Au fur et à mesure
de son évolution dans le tennis et des marques
d’attention qui lui sont portées (encouragements,
louanges, entraînements mis en place spécifique-
ment pour lui, parents qui sacrifient leurs activi-
tés pour l’accompagner en tournoi, articles à son
sujet dans le journal local, etc.), Paul a développé
un narcissisme excessif. Un jour, le conseiller tech-
nique régional lui propose de s’entraîner à la ligue
avec les joueurs de son âge qui figurent parmi
les meilleurs de sa région. Paul se trouve alors
confronté à des situations de défaite à l’entraîne-
ment et ne retrouve plus ni la reconnaissance ni les
marques d’attention qui lui étaient particulièrement
accordées. Pourtant il en reçoit toujours de la part
de son entourage sportif habituel (ses parents et
les membres de son club) et de son nouvel entou-
rage (les membres de la ligue). Mais Paul se sent
comme un joueur parmi d'autres. Ce changement
radical d’environnement va le perturber. Il démontre
alors des comportements agressifs – il jette pour la
première fois sa raquette pendant un match et lors
des entraînements, il pique des colères –, devient
perturbateur, agité et insolent sur le court. Toutes
ces attitudes représentent des tentatives de la part
de Paul d’attirer l'attention sur lui, celle à laquelle
il était habitué. Ces comportements manifestent
un excès de demande d’attentions et de recon-
naissance de sa part. Malheureusement, celles-
ci ne sont plus associées à des valeurs positives
(qui menaient à des louanges), mais négatives (qui
Dylan Polderman (ligue de Paris)
4. 6
Lerôledelaconfianceensoichezlejoueurdetennis
conduisent à des réprimandes, des punitions). Face
à cette frustration, Paul se trouve dans l’impossi-
bilité d’entendre et d’accepter la moindre critique
et commence progressivement à perdre sa motiva-
tion, ainsi que sa confiance en lui. La critique pro-
voquera chez lui une désorganisation totale de ses
assises narcissiques.
À travers l’exemple de Paul, nous pouvons entre-
voir l’importance d’accorder une attention mesu-
rée et équilibrée au joueur dès le début de sa
pratique tennistique. Cette capacité-là revient sur-
tout à ses parents et à son entraîneur. Il incombe
à l’entraîneur de veiller sur l’équilibre du joueur et
de développer une relation mesurée qui ne se situe
pas dans l’excès (trop ou pas assez). Pour cela, il
est nécessaire que l’enseignant ne tombe pas dans
le piège d’une quête narcissique pour lui-même.
Celle-ci pourrait se manifester par le fait d’entraî-
ner un bon, voire un très bon joueur. L’entraîneur
doit d’abord savoir mesurer son investissement sur
le joueur et les attentes – voire les espérances – qu’il
projette sur ce dernier.
Comme nous pouvons le constater à travers l’ana-
lyse du cas de Paul, au cours de la maturation de
l’individu, la confiance en soi n’est pas figée. En
effet, Paul avait développé un degré satisfaisant de
confiance en lui et un narcissisme mesuré lors de
son enfance. À travers son évolution dans le cadre
du tennis, cette élaboration narcissique a été ébran-
lée et s’est transformée en une construction exces-
sive. Ne retrouvant plus ses repères narcissiques,
Paul a ensuite manifesté un manque de confiance
en lui. La confiance en soi se déploie et n’a de cesse
d’évoluer tout au long de la vie de l’individu. Elle
est particulièrement importante pendant les pre-
mières années de l’enfance, mais également pen-
dant la période de l’adolescence. À cette étape
sensible du développement de la personnalité, il
se produit un bouleversement qui rend l’adolescent
vulnérable par la spécificité même des effets phy-
siques et psychiques de la puberté. Ces change-
ments sexualisent et conflictualisent les liens avec
son entourage, et plus particulièrement avec ses
parents. L’adolescent doit alors trouver de nou-
velles distances relationnelles, au risque de perdre
le cocon de l’enfance. Ainsi, il est probable qu’il
perde en partie l’appui naturel qu’il pouvait cher-
cher et trouver facilement auprès des adultes. Cette
perte partielle potentielle et l’établissement de nou-
velles distances affectives le conduisent à douter et
à s’interroger sur la solidité de ses acquis et de ses
capacités. La confiance en soi est fortement ébran-
lée à cette période où les enjeux peuvent être déter-
minants pour l’avenir.
Tom Paris, Raphaël Renaudie et Franck Petit Brisson (ligue du Lyonnais)
5. 7
Lerôledelaconfianceensoichezlejoueurdetennis
Cependant, « ce qui fait la vulnérabilité de l’ado-
lescent peut être aussi sa chance. Cette fragilisation
apportée par la puberté le contraint au changement
et l’ouvre à l’influence des autres avec ses risques,
mais aussi ses avantages. La prise de distance du
milieu familial peut aider à rompre l’enfermement
d’une enfance difficile et offrir d’autres alternatives
que la fatalité de la répétition »5
.
Comme nous pouvons le constater lors de l’ado-
lescence, le processus d’acquisition et de dévelop-
pement de la confiance en soi s’avère long et ne
s’accomplit pas en général sans heurts. Ceci sou-
ligne à quel point l’enseignant doit rester patient,
modeste et à la fois ambitieux dans les objectifs à
atteindre pour le joueur.
Les exigences internes du joueur
Au cours de sa maturation, le joueur acquiert des
exigences internes qui correspondent à celles des
adultes et qui influenceront le déploiement de
sa confiance en lui. Nadal affirme : « Ma famille
proche, ma famille étendue et mon équipe profes-
sionnelle (qui sont tous un peu comme ma famille)
forment trois cercles concentriques autour de moi
[…], ils créent à eux tous l’environnement d’af-
fection et de confiance qui m’est nécessaire pour
déployer mon talent […] ; chacun joue son propre
rôle pour m’aider à réduire mes points faibles et à
développer mes points forts »6
. Les exigences des
membres de ces « trois cercles concentriques » se
traduisent par une confiance en soi satisfaisante
ou, au contraire, par des autocritiques qui induisent
des frustrations pour le joueur (rater un coup peut
provoquer une totale remise en question). Pour
pouvoir exploiter son potentiel, il est nécessaire que
le joueur acquière une confiance en soi suffisante
afin qu’il puisse se sentir capable d’accomplir un
acte sportif dans des moments difficiles.
Pour cela, il doit repérer les différentes parties qui
composent le jeu : le jeu externe et le jeu interne7
.
Le jeu externe, c'est jouer contre un adversaire pour
dépasser des obstacles externes (qualité de frappe,
ajustement/placement sur le terrain, rotation du
corps, organisation gestuelle, etc.) et atteindre un
objectif externe. Le jeu interne a lieu dans la tête du
joueur. Il se joue contre des obstacles tels que des
absences de concentration, une nervosité, le doute
de soi-même, l’auto-jugement et l’auto-condamna-
tion. Il est important de souligner qu’il n’existe pas
un clivage net entre le jeu interne et le jeu externe.
Ces deux composantes sont imbriquées et peuvent
parfois être confondues. Leur importance réside,
entre autres, dans le fait qu’elles sont à la portée
du compétiteur : à travers le jeu interne, le joueur
peut très bien, par exemple, dépasser les habi-
tudes mentales qui inhibent son excellence dans la
performance.
Nous avons ici analysé la constitution de la
confiance en soi chez le joueur et repéré les divers
éléments qui interviennent lors du développement
de celle-ci. Dans un prochain numéro, nous spé-
cifierons comment cette confiance en soi peut se
manifester chez le joueur lors d’un match, quelles
sont ses conséquences, et quels sont les outils que
l’enseignant de tennis peut développer afin de ren-
forcer la confiance en soi chez ses joueurs.
1
R. Nadal, J. Carlin, Rafa, Éditions JC Lattès, 2012.
2
Le terme croyance se réfère ici à l’action de croire :
croire en soi, croire en ses capacités, croire en l’amour
que lui portent ses parents, croire en son entourage
(parents, entraîneur, entre autres) et en leur parole, etc.
3
D.W. Winnicott, La mère suffisamment bonne,
Petite Bibliothèque Payot, 2006.
4
S. Freud, Pour introduire le narcissisme,
Petite Bibliothèque Payot, 2012.
5
P. Jeammet, Spécificités de la psychothérapie
psychanalytique à l’adolescence, Psychothérapies
2002/2 (Vol. 22), p. 77-87.
6
R. Nadal, J. Carlin, Rafa, Éditions JC Lattès, 2012,
p. 29.
7
W. T. Gallwey, The Inner Game of Tennis. The Classic
Guide to the Mental Side of Peak Performance, Random
House Trade Paperbacks, 2008.