1. La ville est ses images, un double regard…
Catalogue d’exposition « Périphéries» - 15 septembre / 22 octobre 2010 – Ville de Montréal
La ville et son quotidien aux multiples facettes recèlent grands travaux haussmanniens dans le Paris des
différents niveaux de lecture. Dans un mouvement années 1850-1870, dont on garde la trace au travers
de va et vient, les images émergent de la ville, et des clichés d’Eugène Atget. Le regard qui se pose
réciproquement celle-ci se révèle à nous-même au travers sur cette nouvelle réalité urbaine en construction
de ses représentations. La relation est mutuelle, même est rarement indifférent. Dans un monde encore
si elle s’élabore bien souvent de manière inconsciente. largement baigné de ruralité, la ville apparaît comme
On peut donc s’interroger sur les particularités qui lient « le lieu » par excellence des fantasmes et des
photographie et ville. Comment le regard photographique interrogations. C’est l’époque des grands chantiers,
est-il à même de travailler le tissu urbain ? Comment des formes monumentales des premiers buildings et
ce médium artistique déclenche-il un nouveau prisme des constructions spectaculaires engendrées par les
d’interprétation sur le réel ? En somme, par quel expositions universelles. Une architecture qui séduit,
mécanisme la photographie permet-elle une nouvelle interroge ou déconcerte ses contemporains. Un
lecture, un regard neuf sur le quotidien qui nous entoure ? intérêt non feint qu’exprime-la pratique de plusieurs
photographes des années vingt, comme celle de
De manière rétrospective, on observe qu’avec l’ère
Lewis Wickes Hine qui met en scène la construction
industrielle, la ville moderne prend toute sa signification,
des gratte-ciels américains. Le regard des premières
à savoir celle d’une accumulation d’immeubles, délimitée
générations de photographes s’exerce sur une ville
dans l’espace par des enceintes, hiérarchisée par des signaux
en mutation permanente. Les deux disciplines
visuels et par un dense tissu routier. La ville se développe
collaborent et s’enrichissent réciproquement. Le
ainsi de manière exponentielle tout au long du XIXe siècle.
médium photographique enregistre les changements
Elle s’étend hors de ses limites initiales et se formalise en
urbanistiques, la construction de nouveaux édifices
un conglomérat de constructions hétéroclites parfois mis
ou la démolition des anciens quartiers. Parallèlement,
en forme par des gestes urbanistiques forts, à l’instar des
l’architecture utilise les apports plastiques de la
2. photographie, comme en témoignent les pratiques Gursky cherchent ainsi à mettre en lumière dans
des avant-gardes, tels les travaux pluridisciplinaires leurs pratiques la complexité des enchevêtrements
entrepris dans les années trente au sein du Bauhaus. urbains et sociaux, la dimension colossale de
Avec la naissance de la ville moderne, c’est tout un pan certaines formes architecturales. C’est ce regard
de la photographie qui s’y associe et qui en quelque sorte positivement « corrosif » que cherche à réactiver
émerge sur elle. en nous le travail des photographes ici exposés.
Ils déclenchent une analyse, une décortication
Dans notre monde contemporain, la photographie
vitale de notre vision quotidienne. Chez eux, la
travaille toujours en relation avec la matière architecturale
photographie est comme une nouvelle approche
des villes, mais dans une optique souvent plus analytique.
du territoire, qui révèle la construction complexe
Car le regard lui-même sur la ville a largement évolué. Il
de la ville et de ses signes. Ce médium déconstruit
s’est modifié, prenant de la distance avec ce tissu urbain,
l’apparente immuabilité ou normalité du milieu
au sein duquel évolue aujourd’hui près de la moitié de la
urbain dans un mouvement de remise à plat, qui
population mondiale. Bien souvent empreint d’habitude
permet de « déconstruire » pour penser autrement
et de lassitude, nous ne décelons plus la richesse (parfois
son environnement et de se repenser soi-même.
incongrue, mais bien souvent plastique) qui se déploie
La photographie dévoile et analyse ; en somme,
sous nos yeux. Parfois, lors de périodes « extraordinaires
elle redonne à voir. C’est en cela qu’elle remplit
», des moments comme les voyages, une longue
pleinement sa mission de ne pas se cantonner à un
convalescence, un éloignement géographique ou encore
simple enregistrement de la réalité urbaine, mais
l’apport de la vision extérieure d’un proche, notre regard
qu’elle s’affirme au contraire, comme une « mise
reprend de la distance. En ces épisodes « hors de l’ordinaire
en perspective » révélatrice du monde qui nous
», nous décelons à nouveau l’absurdité de certains codes
entoure.
signalétiques. Les photographes Julie Guiches ou Andreas
Texte – Zakia Mansour