Paper A ritualização nas repúblicas federais de ouro preto mg - dos hinos à...
Artigo de anibal frias em revista da frança 2002
1. Introduction
L’Université de Coimbra date de
1290. En fait, elle est fondée à l’ori-
gine à Lisbonne par le roi Dom
Dinis. En 1537 elle s’installe défini-
tivement à Coimbra, après plusieurs
aller-retour entre les deux villes.
Dès les premiers Statuts de 1308,
accordés à l’universitas, c’est-à-dire
la corporation des maîtres et des
étudiants, des mesures sont prises
pour que les étudiants puissent
louer, à titre individuel ou collectif,
des maisons à des propriétaires.
Les repúblicas de Coimbra sont
des maisons étudiantes caractéri-
sées par un mode de vie commu-
nautaire, un investissement de leurs
membres dans l’organisation quoti-
dienne et un esprit de fraternité.
Irréductibles à la fonction “habiter”,
elles se distinguent des autres rési-
dences universitaires plus conven-
tionnelles. Bien qu’existant ailleurs,
un tel modèle possède une singu-
larité due aux caractéristiques
sociales et historiques de l’Université,
fondée en 1290, et aux marques
culturelles de l’Academia de
Coimbra, où les repúblicas se trou-
vent insérées.
Ce cadre englobant, à la fois ins-
titutionnel, territorial et social, se
confond avec la Alta, l’espace
d’évolution des repúblicas. Il se
trouve converti par le chercheur en
une échelle d’observation de ces
structures et de leurs membres.
Cette approche est complétée par
l’étude de la vie interne des casas
comunitárias puisqu’elles jouissent
d’une grande autonomie.
Traditions universitaires
Avant 1910 (et parfois jusqu’à
aujourd’hui), des pratiques et des
aspects traditionnels se manifestent
dans plusieurs registres. La coutu-
me opère, tout d’abord, dans des
traits institutionnels et des symboles
professoraux : Abertura solene do
ano lectivo, fastes ostentatoires du
doctorat, port de la borla et du
capelo (la toque et la toge) ou lec-
tures cérémonielles ex catedra du
“lente”, le maître dont l’enseigne-
ment repose sur la lectio.
Les traditions étudiantes, appe-
lées “Praxe académica” (trotes au
Brésil), forment un autre volet des
coutumes, mêlant rituels, conduites
ludiques, expressions graphiques
et transgressions stéréotypées. Elles
sont faites de canulars et de paro-
dies (partidas e piadas), de bri-
mades rituelles exercées par les
plus anciens (appelés au XXe siècle
“doutores”) sur les caloiros, les pre-
mière année. Cette violence, nor-
malement contrôlée par le groupe2,
est caractérisée par la contrainte
physique (canelões et palmatoadas
au seuil de l’Université : la Porta
Férrea) ou psychologique (paie-
ment de la patente, “exploitation”
des novices). A cela, il faut ajouter
des vols de poulets dans le voisi-
nage de la part des repúblicas (une
fresque murale dans le Prá-Kys-Tão
en témoigne), des bagarres ou des
mauvais tours joués aux “futricas”,
la population de la Baixa non-uni-
versitaire.
S’il fallait donner une définition
extensive de la Praxe, elle subsu-
merait une multiplicité de compor-
tements et de statuts hiérarchiques,
de rites et de cérémonies, d’objets
et d’insignes, de périodes où se
mêlent la fête, le cérémonial, le car-
naval, des activités ludiques et
musicales intégrant la Latada,
située en novembre, et la Queima
das Fitas en mai. La Praxe se com-
pose encore d’un costume : la capa
e batina, avec les “façons” de la
porter, de “trupes de doutores”,
masculines ou féminines, partant à
la “chasse au caloiro” après minuit
sur la Alta, de groupes de chanteurs
et musiciens traditionnels (tunas),
de serenatas, de groupes de fado,
de biographies d’anciens et de
poèmes, de journaux et revues, de
discours, d’épisodes drôles et d’his-
toires, de cris stéréotypés, d’une
gíria, d’hymnes, d’emblèmes, de
blasons, de drapeaux, de couleurs,
de rythmes temporels, d’un savoir-
être (bohème, irrévérencieux), de
lieux et de territorialités, de socia-
bilités et d’“excès”, de personnages
typés et de figures légendaires,
d’images et de mythes, d’éléments
modernes et traditionnels... A cette
liste ouverte, il faudrait ajouter les
repúblicas qui possèdent elles aussi
leurs propres usages et statuts :
noms, bannière, symboles, cri,
hymne, surnoms, figures légen-
daires, appellations, hiérarchie,
rites, sociabilités, organisation tour-
nante, réunions de casa, Conselho
de Repúblicas...
La bohème littéraire, poétique,
théâtrale ou musicale s’est déve-
loppée dans la seconde moitié du
XIXe siècle, avec Eça de Queirós,
Antero de Quental, Augusto Hilário
ou António Nobre. Elle a envahi les
espaces de la taberna, des repúbli-
cas, du théâtre, de la rue ou enco-
re le Choupal, le Penedo da
Saudade ou le Jardim Botânico.
Dans ce contexte à la fois esthé-
tique, culturel et politique (des
textes de Proudhon circulent), la
figure du “cábula” s’oppose à l’étu-
diant sérieux, l’“urso”, dans l’argot3
estudiantin. Le Conselho de
Veteranos, se posant en gardien des
traditions, finira par réifier ces
usages à travers la rédaction de
Códigos da Praxe. Celui de 1957
constitue un modèle pour ceux de
1993 et de 2002 qui, du reste, le
reproduisent presque à l’identique.
A cette liste, il faut ajouter la
Latada, sorte de charivari organisé
pour la première fois dans les
41n° 14 - mai 2002LLAATTIITTUUDDEESS
Les “Repúblicas” d’étudiants
à Coimbra
Aníbal Frias1
à Alfredo Margarido
2. années 1880 par les quatrième
année de Droit. Elle survient le jour
du “Ponto” en mai, marquant la fin
des cours. Enfin, la parodie du
Centenário da Sebenta, en 1899,
est réitérée sous la forme du
Enterro do Grau en 1905. La
Queima das Fitas actuelle, qui se
déroule en mai, en particulier le
Cortejo dos quartanistas, entouré
des finalistas et des caloiros, en
dérive.
Enfin, une dernière “tradition”
instituée dès l’origine du Estudo
Geral est celle qui associe religion
et savoir, Eglise et Université, avec
“uma mistura de serviço de Deus e
de Minerva”4, selon l’expression
du professeur de Mathématiques,
Sidónio Pais, futur président de la
République. Par ces termes, ce
républicain critique l’obligation sta-
tutaire faite aux universitaires de la
oração ao Espírito Santo et du jura-
mento à Imaculada Conceição. Si
l’Université, cette nouvelle Athènes
de la culture (on parle depuis le
XVIe siècle de Lusa-Atenas), est
essentiellement accessible à des
élites, en particulier en Droit5 et en
Médecine, elle est plus largement
réservée à des initiés. C’est ce que
rappellent les rites d’initiation6 et
l’isolement de l’Alma Mater sur la
“colina sagrada”.
L’ensemble de ces traditions,
reposant sur un puissant système
hiérarchique (professeur/étudiants,
vétérans/novices) et distinctif (uni-
versitaires/futricas), fait l’objet de
contestations de la part des étu-
diants et des enseignants républi-
cains, tels que José de Arruela,
Homem Cristo (filho), Bernardino
Machado ou Teófilo Braga. Ces cri-
tiques seront réitérées tout au long
du XXe siècle, en particulier lors
de la crise académica de 1969 et
de la Révolution des Œillets.
Depuis 1980 les traditions étu-
diantes ont été “restaurées” à
Coimbra. Des polémiques, et parfois
des conflits s’en sont suivis. Ce mou-
vement s’est traduit ailleurs, dans
tout le pays, par l’“invention” de tra-
ditions académicas. Balançant entre
l’emprunt au modèle coïmbrien et la
réactivation de traits régionaux, elles
confèrent une “âme” à des établisse-
ments récents et ancrent une “identi-
té étudiante” locale.
Caractéristiques des repúblicas
En première approximation, les
repúblicas de Coimbra sont des
maisons communautaires d’étu-
diants, autonomes et auto-adminis-
trées, dont les membres sont sou-
dés par des liens affectifs. Parmi les
divers types d’habitation étudiante
en Espagne (posadas, pupilajes,
colegios mayores), il en est un qui
ressemble fortement à la república
- à commencer par son nom. En
effet, les hospederías, datant pour
le moins des XVI-XVIIe siècles, sont
désignées par le terme générique
gobernaciones. Elles se caractéri-
sent par la cooptation des
membres, par des principes endo-
gènes et un degré élevé d’autono-
mie. Il s’agit des repúblicas de estu-
diantes ou compañías. Selon
Margarita Torremocha7 “los esco-
lares optaban por alquilar ellos mis-
mos una casa o unos cuartos y por
organizar su vida doméstica, bien
solos o con la ayuda de una o varias
mujeres a su servicio”. Il est pos-
sible d’établir une continuité histo-
rique entre les actuelles repúblicas
et les maisons étudiantes ayant exis-
té dès l’origine de l’Université, à
Coimbra comme ailleurs en
Europe8 ou à Ouro Preto, au
Brésil9.
Cette approche nécessaire com-
porte un risque : celui de tomber
dans l’anachronisme et l’anhistori-
cisme. Tout change en effet en ce
domaine, à l’image de l’Université
et de la société globale. Ce qui se
déplace, ce sont les types de struc-
tures, leur degré d’indépendance et
d’institutionnalisation, les usages
internes, le statut des résidents, les
formes relationnelles, les caractéris-
tiques de l’étudiant - à commencer
par le nom república qui semble
n’apparaître, dans les textes, que
vers le début du XIXe siècle, avec
l’influence de la période libérale.
Une república a la taille d’une
maison, parfois spatieuse. Elle est
habitée par 7 à 10 personnes. A ce
chiffre, il faut ajouter 2 à 7 comen-
sais partageant les repas. S’il existe
des chambres doubles, les
chambres individuelles sont deve-
nues la norme. Il arrive que deux
lits disposés dans une même pièce
accueillent la nouvelle recrue et un
plus ancien. Par là, l’adaptation du
dernier venu à l’esprit de la maison
et aux membres en place s’en trou-
ve favorisée. Une maison comporte,
en général, au-delà des chambres,
une ou deux salles de bains, une
pièce commune accueillant des visi-
teurs et l’organisation de soirées,
une bibliothèque et une cuisine où
sont pris les repas sur une grande
table. Toutes les maisons ont adop-
42 n° 14 - mai 2002LLAATTIITTUUDDEESS
Membres de la república Rás-Te-Parta dans les années 1960. Tous sont revêtus de leur capa e
batina, qu’ils portent raçada pour marquer la pose solennelle. Ils entourent affectueusement
la cuisinière de la maison à qui l’un d’eux à confié sa pasta da Praxe pourvue de fitas identi-
fiant son statut de quintanista ou de veterano. Jusqu’aux années 1960, la cuisinière est la seule
présence féminine effective dans les repúblicas, en dehors de prostituées occasionnelles.
3. té un mode de gestion autonome
fonctionnant par “tours”. Schéma-
tiquement, il y a des “ministros”
des finances, etc., des “semanais”
s’occupant de mettre la table ou
d’aider la cuisinière10 et un/e
“administrador/a” (appelé “Shérif”
au Bota-Abaixo) gérant l’alimenta-
tion pour un mois. Une fois par
semaine, une ou deux personnes
vont commander et se faire livrer
par les Serviços Sociais de
l’Université des aliments obtenus
avec une réduction de 50 %.
Les maisons sont louées à des
particuliers contre un loyer très
faible : entre 5 et 10 contos par
mois. Quelques-unes se sont consti-
tuées en association depuis les
années 1990. La majorité sont
mixtes depuis moins de 25 ans. En
2001 il existe 27 repúblicas, dont
deux féminines : les Rosa do
Luxemburgo fondées en 1972 et les
Marias do Loureiro datant de 1993.
Certains témoignages se réfèrent,
apparemment, à des “repúblicas
féminines” qui auraient existé dès
les années 192011. Ces faits sem-
blent être corroborés par un écrit
d’une voyageuse française de la
même époque12. Si l’on s’en tient à
quelques traits rapportés, comme
les tâches tournantes et l’autono-
mie, ces résidences ressemblent en
effet à une república. Il est pro-
bable que ces maisons fonction-
nent à l’image des repúblicas mas-
culines, les turbulences et les
beuveries peut-être en moins. Les
maisons féminines se structurent
par simple mimétisme sans vrai-
ment fréquenter celles des garçons.
Cette séparation se vérifie, du reste,
dans la vida académica en général
puisque les étudiantes ne portent
pas le costume traditionnel, la capa
e batina, et ne participent guère
aux praxes et à la Queima das Fitas
avant les années 1950. En réalité,
seules les repúblicas des étudiants
sont reconnues et légitimes, y com-
pris dans les mémoires orales et
écrites des anciens. D’ailleurs, une
expression de Dionysia de
Mendonça va dans le sens d’une
telle interprétation : “A residência
dos Palácios Confusos, a que às
vezes chamávamos a nossa
‘República’, como aparece aqui e
acolá no nosso ‘Diário’...”. Donc,
l’appellation “república” ici est de
convenance et se restreint aux
seules membres, n’étant en outre
diffusée que sur un registre écrit,
interne et privatif.
La résidence étudiante “tradi-
tionnelle” de Coimbra se caractéri-
se par une forme de vie collective
et une communauté de sentiments.
L’esprit de solidarité et de fraternité
n’empêche pas la présence, autre-
fois, d’une hiérarchie entre les
membres et, aujourd’hui, de diffé-
rences statutaires. Le titre de presi-
dente ou “Mor” (de majus : “plus
grand”) marque, avant 1969, une
hiérarchie respectée. Elle se fonde
sur l’ancienneté, laquelle légitime
l’exercice d’une autorité tradition-
nelle, à la manière de la hiérarchie
au sein de la Praxe académica ou
de l’Université. Le critère de l’an-
cienneté résidentielle permet au
Mor de choisir sa chambre ou d’être
peut-être plus écouté dans les “reu-
niões de casa” ; chez les Fantasmas
son vote en reunião de casa comp-
te plus que celui des autres (mais
c’est un cas isolé). Son autorité est
cependant devenue plus morale en
s’atténuant. Le Mor fait partie des
“elementos efectivos” qui sont défi-
nitivement acceptés à l’unanimité
lors d’un vote de “reunião de casa”
où fonctionne une réelle démocra-
tie participative. Après une discus-
sion avec le candidat “à casa” et
un vote à l’unanimité de la part des
seuls elementos efectivos, le nou-
veau est “à experiência” entre six
mois et un an. Finalement, le nom
d’une república, la “república
Spreit-ó-Furo” par exemple,
désigne à la fois l’entité résidentiel-
le et l’unité formée par ses habi-
tants, les elementos à experiência
et efectivos réunis, à l’exception des
comensais.
A ces individus résidant et man-
geant dans ce qu’ils considèrent
être leur maison, il faut inclure les
“comensais” (appelés “kayos” chez
les Prá-Kys-Tão) qui partagent uni-
quement les repas collectifs. Des
amis, ou bien des voyageurs de
passage y trouvent facilement la
porte ouverte (au sens propre jus-
qu’à il y a peu), un repas et un lit :
ce sont des “convidados”, au même
titre que les amis d’un elemento de
casa venus partager un repas.
L’appel aux repas se fait à l’aide de
la voix ou d’une cloche, suivie de
l’énoncé crié : “à palha (seus ani-
mais)!”. Le dernier étudiant inté-
gré, donc “à experiência”, est géné-
ralement un “caloiro de casa”. Sa
désignation peut varier : il est le
“menino do povo” chez les Bota-
Abaixo ou le “homem da palha”
chez les Palácio da Loucura.
Actuellement, le terme “caloiro”,
au même titre que les aspects qui
rappellent la Praxe, peut être récu-
sé. C’est le cas dans les repúblicas
Marias do Loureiro, Inkas ou Prá-
Kys-Tão. Si le dernier intégré est
devenu l’égal des autres (bien que,
43n° 14 - mai 2002LLAATTIITTUUDDEESS
Les velhos repúblicos et la génération plus jeune commémorent la fondation de
leur maison lors d’un centenário, autour d’un repas, d’un verre, de chansons et
de saudades. La fresque murale représente une scène praxiste : un caloiro subit
les brimades d’une trupe de doutores à l’aide du gourdin, l’un des trois symboles
de la Praxe académica, avec la paire de ciseaux et la cuillère en bois.
4. en tant que néophyte, il “est là pour
apprendre et savoir écouter” selon
les propos d’un Mor), jusqu’aux
années 1960 il occupe le bas de la
hiérarchie interne. Cette position
ingrate le prédispose à assumer les
corvées et à subir des vexations
plus ou moins rituelles de la part
du groupe, non dénuées d’humour
et de brincadeira.
A Coimbra, le mot “república” a
un sens générique.
Depuis 1948, date de la
création du Conselho de
Repúblicas (CR)13, trois
types de “repúblicas”
sont distingués, avec
une connotation légère-
ment hiérarchique. Ils
dépendent, là encore,
de l’ancienneté de la
maison en tant que
república. Il s’agit, dans
un ordre croissant, du
solar, de la república
(proprement dite) et de
la real república. Les
derniers Estatutos du
CR, refondus en 1986,
ont aboli la distinction
hiérarchique entre ces
trois catégories de mai-
sons. Cela dit, si le solar
a le droit de participer
et de voter dans un CR,
il ne saurait le “convo-
quer”, à la différence
des deux autres types
de maisons. Il peut
cependant passer stra-
tégiquement par une
maison amie ou, a for-
tiori, par sa república
“marraine”14 afin de
traiter de questions et
de défendre les intérêts
engageant l’ensemble
des casas, ou bien de
prendre collectivement
une position sociale ou
politique sur un sujet
donné, comme les propinas dans
les années 1990. L’atténuation de la
hiérarchie entre ces entités résiden-
tielles est visible, par exemple, au
fait que certaines repúblicas ont
conservé leur nom de solar, comme
les Kapangas. En même temps,
l’expression “ao servício da Praxe”,
présente dans les premiers Estatutos
du CR, en 1948 (art. 1), a disparu
avec le tournant contestataire des
traditions et des hiérarchies (acadé-
miques et sociales) en 1969 et, sur-
tout, en 1974. A partir de cette date
c’est même l’ensemble de la Praxe
académica qui est suspendue et,
pour ce qui concerne les repúbli-
cas, le CR. Cette réaction a conduit,
actuellement, à une sorte de décro-
chage - sinon une opposition -
entre la Praxe, et notamment le
Conselho de Veteranos qui l’incarne,
et le CR.
Les trois Códigos da Praxe de
Coimbra (1957, 1993 et 2002) par-
lent de la república comme formant
“l’ensemble des étudiants vivant en
communauté domestique”. Cette
définition est trop large, puisqu’il
existe à Coimbra des maisons qui
ne sont pas des repúblicas tout en
“vivant en communauté domes-
tique”, comme les Cow Boys.
D’autre part, les Symbas, bien que
portant le nom de solar depuis
1962, a été exclu du titre de repú-
blica comme du CR pour des rai-
sons politiques. La définition des
Códigos est, en outre, incomplète
car pour qu’une república existe il
faut qu’elle soit votée et reconnue
par le CR, sans nécessairement rem-
plir toutes les conditions
formelles, et notamment
l’“inauguration officiel-
le”, prévues par le
Código (1993 : art. 187).
Les repúblicas ont
joué un rôle actif lors
des conflits étudiants de
1961 et de 1969 sous
l’Estado Novo. Elles ont
pu agir en tant qu’es-
paces protecteurs d’op-
posants (Mário Soares
fera une conférence
dans la república dos
Kágados, en 1969), par
le biais du journal O
Badalo ou en créant
une liste unique et uni-
taire. Celle-ci a permis
aux étudiants de gagner
les élections de l’Asso-
ciation des étudiants
(AAC), en 1961, contre la
Comissão Administrativa
imposée par le gouver-
nement. Alberto de
Sousa Martins ou Celso
Cruzeiro15, entre autres
leaders de la contesta-
tion de 1969, étaient des
repúblicos. Entre 1969
et 1974, elles sont pas-
sées d’un praxisme “cul-
turel” à un anti-praxis-
me qui a pu être à
l’occasion politique. Des
mesures de l’Etat en 1982
et 1986, ont conduit à
protéger les repúblicas
en leur reconnaissant une valeur
patrimoniale16.
Chaque maison possède un
nom. L’appellation peut jouer sur
les mots (Prá-Kys-Tão, Kágados,
Bota-Abaixo, Fantasmas, Rás-Te-
Parta, etc.), puiser à une origine
géographique des membres
(Corsários das Ilhas, Solar dos
estudantes açoreanos, Kimbo dos
44 n° 14 - mai 2002LLAATTIITTUUDDEESS
La velha karapaça des Kágados en 1993, dont la façade comporte divers
objets hétéroclites, avant sa restauration. Pendant les travaux, ses habi-
tants ont été relogés, emportant avec eux leur bannière et leur pancarte
où
figure le nom de la maison. Ils se réinstallent en janvier 1998 dans le local
“historique”. Une plaque commémorative indique une autre date, mais
symbolique : 25 de Abril de 1998. Dans la cuisine, un azulejo rappelle
que Lili, la vieille cuisinière, est restée au service des Kágados durant 34
5. Sobas, Farol das Ilhas), se référer
à la débauche, à la boisson ou au
jeu (Palácio da Loucura, Baco,
Bota-Abaixo, Trunfé-Kopos), au
“milieu” (Ninho dos Matulões), à
des valeurs de virilité (Galifões),
aux femmes (Ay-ó-Linda, Spreit-ó-
Furo, Boa-Bay-Ela) ou à la cuisi-
ne (Rapó-Táxo). L’identité nomi-
nale peut encore provenir d’un
événement historique ou d’un
personnage politique (5 de
Outubro, Rosa
Luxemburgo), d’une
référence exotique
(Inkas) ou, simplement,
du lieu (Marias do
Loureiro, República da
Praça, Solar do Kuarenta,
Solar do 44).
Toutes les repúbli-
cas possèdent une ban-
nière noire où sont
visibles le nom et un
dessin-logo empruntant
ses traits à l’humour, à
la Praxe (les Marias ou
les Rosas), à la boisson,
aux femmes, etc. Parfois
l’expression praxística
“Dura Praxis, sed
Praxis” est ajoutée,
comme chez les
Kágados. Toutes possè-
dent un cri : “E-K-A”,
pour les Kágados, “A-R-
R-E”, pour les Boa-Bay-
Ela ou bien “Ó égua !”,
pour les Prá-Kys-
Tão...17
Elles se différencient
également par leur
hymne. Donnons celui
des Boa-Bay-Ela : Estas
meninas de agora/Boas
lascas à valer/Suspiram
de hora a hora/Passam
a vida a dizer/Que a
malta mais agradá-
vel/Desta Coimbra tão
bela/É a malta formidá-
vel /E piramidável/ Da Boa-Bay-
Ela. Dans cet exemple représenta-
tif, on voit à l’œuvre à la fois
l’affirmation identitaire, la valorisa-
tion de la maison et l’affirmation
d’un ethos masculin pointant une
période où les étudiants étaient
majoritaires dans l’Université et les
seuls à habiter les repúblicas.
Ajoutons, une référence à Coimbra
et à une particularité de la repúbli-
ca (cf. “Piramidável”).
La production de liens et de
culture dans les repúblicas : un
exemple
Une observation participante
“de l’intérieur”, prolongée sur plu-
sieurs années, fait apparaître l’am-
plitude des activités au sein des
repúblicas en matière de sociabili-
tés et de cultures. La proposition
de résidence ne résultait pas d’une
démarche personnelle mais prove-
nait d’une invitation de la maison ;
en me faisant par là confiance, j’y
voyais le signe d’une “adoption”18
Par-delà une unité réelle et soli-
de entre tous les membres, des
zones de différenciation et même
de désaccord peuvent surgir. Les
signes de l’intimité entre deux ou
trois membres, en dehors des rela-
tions amoureuses, rarement coha-
bitantes, se remarque à l’échange
des numéros des telemóveis, à l’en-
voi d’e-mails ou de messages sur
un telemóvel (durant l’éloignement
des vacances), au fait de se retrou-
ver dans un café après les repas
pris en commun, d’entreprendre
conjointement des projets, de s’en-
traider, ou bien d’invi-
ter un ami résidant à
passer un week end
“na terra”, dans sa
famille. Que les occa-
sions de conflits soient
rares, cela n’empêche
pas le surgissement de
divergences et de dis-
cussions parfois ani-
mées. Le moment des
repas ou les cafés sont
propices aux bavar-
dages collectifs, joyeux,
spontanés et diversifiés.
Tous les sujets de la vie
sont abordés, même si
les conversations libres
s’orientent volontiers
sur les questions poli-
tiques et religieuses et
sur l’univers de la mai-
son. C’est ainsi que, par
exemple, l’attentat du
11 septembre 2001 a été
commenté et a donné
lieu à des confronta-
tions de points de vue
différents.
Eu égard à la mai-
son, des frictions ont pu
se manifester à propos
de l’usage du telemóvel
dans les espaces com-
muns (cuisine, salle) ;
des “accusations” por-
tées par un elemento
contre d’autres membres
et exprimées dans cet
espace semi-public qu’est le café
habituellement fréquenté par tous ;
ou dans la décision à prendre, col-
lectivement, à l’égard des bruits
nocturnes répétés (dus à un effet
d’alcool) du Mor avec, surtout, des
conséquences sur le voisinage plai-
gnant - des excès qui font ressortir
d’autres griefs, à propos de ses
“dettes” accumulées dans la maison
45n° 14 - mai 2002LLAATTIITTUUDDEESS
Un ancien decretus affiché dans une república. Avant 1969, à l’occasion d’un
centenário, le Conselho de Veteranos pouvait en émettre un afin de suspendre
ce jour-là la praxe de trupes. Aujourd’hui, quelques maisons produisent des
decretus à usage privatif, destinés à célébrer certains événements internes.
6. ou de l’abandon des études. C’est
aussi à l’échelle de la maison, c’est-
à-dire, concrètement, en convo-
quant une reunião de casa, que
deux membres me font part, autour
d’un verre, de leur intention de
“poser le problème” de la conduite
d’un tiers membre qui, en pleine
nuit et sous l’empire de l’alcool,
s’est montré agressif vis-à-vis d’une
ancienne de passage. La maison
sert encore d’unité de jugement ou
d’échelle de mesure dans le refus
manifesté par un “jeune” antigo
devant l’annonce de la candidature
à “elemento de casa” de la part de
deux comensais qu’il juge “imma-
tures” car ils se sont peu impliqués
dans la vie de la república et parce
que “é a primeira geração sem
consciência política” risquant de
destabiliser la maison ; ou encore
dans l’attitude à tenir face, moins à
la cohabitation d’un couple formé
de deux membres de la maison,
qu’à son absence - imputée - des
repas, des réunions, de l’organisa-
tion... Cette polémique est intéres-
sante car elle fait affleurer certaines
normes implicites. L’une de ces
règles de vie commune est celle du
“célibat” dans les repúblicas. Si elle
n’interdit pas (en fait elle les favori-
se) des rapports sexuels épiso-
diques, voire des relations amou-
reuses, elle encourage peu, en
principe, le concubinat cohabitant.
Pas tellement parce qu’il va contre
la morale du groupe, mais parce
que le lien “matrimonial” entraîne
des inconvénients à l’égard de la
maison. Le devoir d’implication per-
sonnelle dans le fonctionnement
de la maison ou la nécessité d’une
présence effective et affective, sont
deux autres règles, informelles
certes, mais fortement contrai-
gnantes.
Une étude minutieuse de la vie
d’une república au cours d’une
seule année fait, en outre, appa-
raître la diversité des activités
sociales, culturelles, festives,
rituelles, politiques ou sportives qui
se développent en son sein. Ces
manifestations varient, bien sûr,
d’une maison à une autre. A cet
égard, la república étudiée ici avec
le solar Marias do Loureiro, sont
fortement actives. Peut-être parce
que l’une est parmi la plus ancien-
ne et l’autre est la plus jeune (et
féminine), devant toutes les deux
affirmer aux yeux des autres mai-
sons, mais aussi de l’Université et
de l’AAC, leur position. Les activi-
tés mises en place par les membres
d’une maison ou entre des repúbli-
cas19 amies, pensées et organisées
en commun, sont par exemple des
séances de poésie ou de cinéma
(parfois à thème), des rencontres
sportives, des sardinhadas avec les
habitants du quartier, des sangrias,
des éditions de textes poétiques
(Plágio), des revues ou des jour-
naux, notamment sur la vie d’une
república, diffusés parfois sur
Internet (O Badalo, Riskos e Kakos,
O Galinheiro, O Furinho...). Ce
sont encore des activités de tous
ordres qui sont élaborées dans la
perspective du “centenário”, la fête
annuelle commémorant la fonda-
tion de la maison. Cette date anni-
versaire réunit les anciennes et les
actuelles générations autour d’un
repas pantagruélique (feijoada,
carnes, marisco, arroz doce, bolos,
vin ou bière), de chants et de gui-
tares, d’histoires et de souvenirs,
de palabres et d’émotions. Les
autres “repúblico” ainsi que les amis
passent vers minuit. Chaque année
les manifestations s’étendent sur
plus d’un mois : des expositions de
photographies, des défilés de
gigantes e cabeçudos, des séances
de fado, des animations auprès
d’enfants orphelins, des pièces de
théâtre, des liens avec des associa-
tions à caractère récréatif, culturel
ou sportif, des “cafés concertos”,
tels “Nós e o Zeca” commémorant
José Afonso et réalisé en collabora-
tion avec l’Ateneu de Coimbra et le
Grémio Operário... Exigeant une
préparation de plusieurs semaines
et une collaboration étroite entre
tous, ces événements contribuent à
souder les individus (et les anciens)
d’une maison et quelques maisons
entre elles. Ils permettent de conso-
lider les relations avec le voisinage,
avec la population étudiante, avec
des organismes locaux ou avec
d’autres villes (Ansião, Trancoso,
Braga, São João da Madeira,
Bragança). A cette longue liste, il
faudrait ajouter la production,
presque toujours circonstanciée, de
multiples affiches, dessins, fresques,
caricatures...20
Une telle production culturelle,
où l’informalité prime, jouit d’une
faible visibilité sociale, ne faisant
l’objet que de brèves notices dans
les journaux locaux. Elle demeure
étrangement absente des rapports
universitaires portant sur la culture
à Coimbra. S’agissant de l’offre cul-
turelle académica, ces études s’en
tiennent aux activités proposées
par l’AAC. Or, l’expression culturel-
le des repúblicas est l’une des rares,
à Coimbra, à provenir “spontané-
ment” du corps social (lettré).
Jamais complètement dissociée des
occasions et des liens sociaux que
les repúblicas reflètent et consoli-
dent, cette création échappe aux
catégories des observateurs. Est-ce
seulement parce qu’elles jouent sur
46 n° 14 - mai 2002LLAATTIITTUUDDEESS
Un centenário récent. Le vin est ici préféré à la bière, même si cette dernière s’est imposée
parmi les étudiants. La présence du garrafão, de la marmite (de feijoada) et des longues
tables sont à usage collectif et festif. Sur les murs, des affiches rappellent les manifestations
culturelles et artistiques survenues à l’occasion d’un centenário. Dans les repúblicas, le Che
côtoie d’autres personnages emblématiques : Zeca Afonso, la Pasionaria, Marx ou Lénine.
7. le registre non-institutionnel et sur
l’implication des membres, plutôt
que sur la centralisation des déci-
sions et l’organisation rationnelle
d’une certaine légitimité culture ?
Nous sommes loin, à l’évidence,
d’une image sociale - “extérieure”
et savante - des repúblicas (et plus
généralement de la Praxe acadé-
mica) qui, selon les propos... d’un
anthropologue local, seraient “uma
mão cheia de nada, só são copos,
bêbedos e drogas”...
Un lieu créateur : l’exemple des
Kágados
On vient de le voir, les repúbli-
cas concentrent des activités cultu-
relles. Elles sont en outre des
espaces créatifs au plan esthétique,
même si, à nouveau, cette création
vivante est ignorée. La culture, ici,
est entendue à la fois dans le sens
de marques identitaires et de
formes esthétiques saisies, synthéti-
quement, dans leur dynamique
créative. Précisément, les archives
d’une república cristallisent, en les
mêlant, un tel savoir-être et un tel
savoir-faire. Chaque maison possè-
de ses archives, plus ou moins
importantes en fonction de l’an-
cienneté de la maison, du soin
apporté à leur préservation ou du
degré de fureur destructrice lors de
la Révolution de 1974.
Par “archives”, il faut entendre,
d’une part, des documents écrits,
graphiques, photographiques ou
sonores, des objets matériels et
immatériels formant une sorte de
dépot inerte, mais dont le sens
objectivé reste toujours question-
nable ; et, d’autre part, la parole
parlante, orale et vivante, des
“anciens”, réactivée lors de retrou-
vailles, faite de souvenirs anecdo-
tiques et d’une histoire livrée sous
la forme d’“histoires” narrativisées.
Ce passé émerge au prisme à la fois
du temps écoulé, propice à la sau-
dade, et d’une mémoire partagée
au travers d’expériences vécues
constitutives d’une même “généra-
tion” ou, pour les plus jeunes, de
références rapportées, lues ou
entendues. La part des archives
“dormantes” est ici confrontée, du
moins pour certains de ces maté-
riaux ou épisodes, à la mémoire
vive des individus. C’est donc la
méthode compréhensive que l’on a
choisie. Celle retenant le sens que
les Kágados confèrent à un vécu
“en personne” ou bien à une his-
toire dite ou transcrite relevant,
pour le chercheur, de données
“froides”.
En considérant les aspects infor-
mels, quoique structurants, des
Kágados, il est possible de repérer
des signes identitaires et des formes
expressives. L’analyse se focalisera
sur les archives, documentaires et
mémorielles, afin de les faire “par-
ler” par le biais des propos ou des
usages des individus eux-mêmes.
Le premier des éléments identi-
taires n’est autre que le nom même
de “Kágados”. Cette désignation
renvoyant à une entité collective
joue d’ailleurs sur le versant de
l’identité/identification puisqu’elle
opère, surtout dans les situations
formelles et écrites (publiques,
réunions, courriers...), en tant que
terme de référence et d’adresse. La
república dos Kágados date du 1er
décembre 1933 ; elle a été fondée
par des étudiants minhotos à la
suite d’une scission au sein de la
república Porvir, fondée quinze
années plutôt. Sur la photographie
des “fondateurs ”, il est écrit “cága-
dos” ; ce n’est qu’en 1943 (lors du
1er “milionário”) que la lettre “k”,
d’allure plus savante et exotique,
substitue le “c” d’origine. Si l’on
retient le jeu de mots paillard
(Kágado/ cagar) et les diverses
variations de sens que le vocable
recouvre, notamment celui dési-
gnant un type de tortue (cágado),
ou plutôt l’image sociale de cet ani-
mal aquatique, les membres, actuels
ou plus anciens, se réfèrent à quel-
qu’un de lent (dans les études), de
“rusé” (manhoso) et de malin (finó-
rio) dans la vie. Au quotidien, toute
une série de termes commençant
par la lettre “c” sont réécrits avec
un “k”. Cette lettre est à rapprocher
du nom de la maison, à commen-
cer par “kasa”. Cette graphie circu-
le entre soi, entre initiés ou vis-à-
vis des autres repúblicas. Elle
prolifère sur de nombreuses cor-
respondances et toutes sortes de
supports-papiers. La “kasa” ne
désigne alors pas n’importe quelle
maison, mais bien la “nôtre” deve-
nue référentielle. La lettre “k” s’ap-
plique également à d’autres
vocables spécifiques liés aux
Kágados, tels que “komensais”,
“kandidatos”, “karaça” ou (velha)
“karapaça” en rapport à l’habitat
qu’est la república. Lorsqu’il s’est
agi de trouver un nom pour la
revue de poésie des Kágados, le
titre en fut tout naturellement ortho-
graphié “Riskos e Kakos”. De la
même façon, une fresque étudiante
datant de 1964, ayant par hasard
survécue à la tabula rasa d’avril
1974 et aux travaux effectués dans
la maison en 1994-1997, représente
la “dernière cène”. A la place de
Jésus Christ, trône un “J. K.” sacra-
lisé et mythique (chez les Bota-
Abaixo le “Bispo” est un ancien
47n° 14 - mai 2002LLAATTIITTUUDDEESS
Moment festif, culturel et émotionnel, largement informel, survenant avant le départ du Mor
de la república dos Kágados, en avril 2000. A cette occasion, l’un des amis de la maison,
honoris Kágado, est venu avec sa guitare et de nombreuses chansons sont reprises en cœur,
notamment de Zeca, lequel a d’ailleurs fréquenté la maison en voisin. Un canto ao desafio,
lancé spontanément, durera près de trois quarts d’heure...
8. devenu “esprit”). Cette graphie
identitaire n’est pas dénuée d’hu-
mour. Elle instaure parmi les rési-
dents une certaine distance ludique
à l’égard de leurs propres usages.
Signe de reconnaissance et mani-
festation affectueuse, elle rend sen-
sible un bien vivre ensemble.
Il existe par ailleurs un langage
relatif aux repúblicas ou à
quelques-unes seulement. Comme
à Ouro Preto, les Kágados possè-
dent leurs habitudes langagières.
Ces paroles se limitent à quelques
mots ou expressions
connus et partagés
par tous les
“membres”, au sens
éthnométhodologique.
Nous avons déjà
signalé que dans les
repúblicas l’usage de
nommer différents
“ministros” s’est éta-
bli depuis longtemps.
Chez les Kágados,
sont distingués, selon
leur compétence per-
sonnelle, des minis-
tros das finanças, dos
assuntos exteriores,
do património artísti-
co ou encore da cul-
tura e das relações
comunitárias. Enfin,
une petite commu-
nauté étudiante comme les
Kágados invente des surnoms ou
des sobriquets, à partir du nom, du
physique, du caractère ou encore
d’épisodes fondateurs. Ils prennent
quelquefois le pas sur les “identités
de papier” : “Barbas”, “Sá
Carneiro”, “Morcego”, “Mimi”,
“Serginho”, “Maria Galega”,
“M&M’S”, “Os três rapozinhos”. De
la même façon, dans la pure impro-
visation, par emprunts ou « détour-
nements », la maison fabrique des
mots ou des expressions qui sont
autant de private jokes : “miau”,
“bota-lh’azeite”, “es uma ferra”,
etc. Ces codes favorisent une com-
plicité chaleureuse et une intercon-
naissance intime. Ils sont le reflet
d’interactions quotidiennes, de liens
familiers entre membres ou entre
amis issus du voisinage et côtoyés
tous les jours au café.
Les formes expressives consti-
tuent la seconde piste exploitée à
partir des archives, au sens où ce
terme a été défini. Ces formes
expressives procèdent de la créa-
tion individuelle ou collective. Si
elles contiennent une touche esthé-
tique, elles s’enferment peu dans
un formalisme à la ligne épurée,
ouvrant, au contraire, sur des fina-
lités sociales, ludiques ou poli-
tiques. Elles s’indexent donc à un
contexte culturel et occasionnel, où
la part informelle et récréative joue
un rôle important. Nous avons déjà
pu observer que les repúblicas sont
des lieux inventifs, développant des
activités sociales, graphiques et cul-
turelles. Dans cette partie, on ne
retiendra qu’un seul exemple de
création.
Il s’agit de dessins produits,
spontanément, par l’“administra-
ção kagadal”. Rappelons que l’ad-
ministrateur/trice21 est l’elemento
qui a en charge, pour un mois, la
gestion de la cuisine, en particulier
les dépenses et les achats de nour-
riture et le calcul mensuel des
comptes individuels des elementos
de casa et des comensais en fonc-
tion du nombre global des repas,
de l’“IRAK”22, des frais courants de
la maison (eau, gaz, électricité,
loyer) et des retards ou des avances
financières éventuelles effectuées
au cours du mois écoulé. Les mon-
tants qui en résultent sont les
sommes dues par chaque person-
ne. Ils sont suivis du nom (ou sur-
nom) respectif des bénéficiaires et
sont exposés dans la cuisine à l’at-
tention des intéressés. Durant les
années 1994/ 1995, les différentes
“administrations”, s’imitant mutuel-
lement, ont dépassé ces aspects
techniques et fonctionnels pour
jouer sur l’identité de chaque
Kágado, qu’il soit elemento de casa
ou comensal.
En effet, parmi les archives de
la maison, se trouvent des dessins
qui empruntent leur style à la cari-
cature, figurant chacun des repú-
blicos sous la forme d’un animal.
La technique de la
caricature tient ici à
l’“animalisation” des
personnes, rendant
saillants leurs traits et
travers grâce au gros-
sissement de certains
détails et à une cristal-
lisation de “défauts”
portés par une ligne
graphique et textuelle.
Avec l’aide d’un
ancien, j’ai saisi com-
bien ce graphisme
informel, en apparen-
ce insignifiant, pointe,
beaucoup mieux qu’un
texte ou une parole,
certaines normes col-
lectives à respecter et
certaines valeurs
“transgressées” ainsi
mises en images. Ces portraits,
balançant entre les cartoons et la
“surcharge”, entre la légèreté de la
situation et la critique, révèlent en
même temps, d’une façon fort sub-
tile et non sans une part de talent
et de brincadeira, la personnalité
de chacun des étudiants à la faveur
de relations longues et quoti-
diennes.
Conclusion
Au terme, il est possible de don-
ner une définition plus complète
de la república, au moins dans sa
version coïmbrienne et actuelle.
Elle peut être caractérisée à partir
de plusieurs critères convergents,
marqués par le signe du lien (signi-
fié ici par le radical “co/cum”).
Ainsi une républica d’étudiants
est une maison communautaire
reposant sur une cohabitation spa-
48 n° 14 - mai 2002LLAATTIITTUUDDEESS
Février 1969. La frayeur qui est visible sur le visage de l’enfant laisse entrevoir,
en arrière plan, la violence exercée par la PIDE contre les manifestants étu-
diants lors de la Crise Académica de 1969, déclenchée au cours de la cérimo-
nie de
l’inauguration de la Faculté de Mathématique de la Cidade Universitária.
9. tiale de ses membres efectivos et à
experiência, masculins et/ou fémi-
nins, et à laquelle s’intègrent des
comensais. Cette coprésence de
personnes cooptées (colegas de
curso, conterrâneos, individus
recommandés) se prolonge sur une
ligne générationnelle : les
“anciens”. Elle favorise une multi-
tude d’interactions, individuelles
ou de groupe et une forme de
coopération, participative et tour-
nante. Cette coopération écono-
mique se double, surtout, d’un style
de vie identifié à un compagnon-
nage convivial. Aux liens de réci-
procité et à une éthique de la
confiance qui unissent les membres
entre eux, s’ajoute un sentiment
d’appartenance à une même mai-
son. Celle-ci est constitutive d’une
unicité intra et inter-générationnel-
le. Les repúblicas sont reliées entre
elles par le biais (quasi-institution-
nel) du Conselho de Repúblicas et,
d’ordinaire, par des relations
mutuelles, de nature amicale, intel-
lectuelle ou culturelle.
Une illusion, socialement bien
fondée, fait remonter les repúblicas
à une époque reculée. La même
logique, entremêlant croyance et
représentations collectives, consi-
dère l’Université actuelle comme
une institution “fondée par Dom
Dinis”. Ces mythes, entretenus, sont
sans doute pourvus d’une raison.
Ils reposent sur l’apparence d’un
continuum matériel (la maison ou
l’Université) et textuel (archives da
casa ou Estatutos de l’Université).
La réactivation d’histoires et l’entre-
tien d’une mémoire collective lient
les repúblicos d’une même maison.
De même, la Praxe académica
forge une identité étudiante tandis
que les cérémonies et le patrimoi-
ne universitaires inscrivent dans la
durée l’Université de Coimbra q
1 Boursier de la Fundação para a
Ciência e a Tecnologia ; GAP, Paris.
(afrias@msh-paris.fr).
2 Anibal Frias, Traditions étudiantes et
violence, “Tam Tam, Journal des eth-
nologues”, Université de Picardie
Jules Verne, n° 3, mars 1998, pp. 6-
11.
3 Sur l’argot des étudiants de Coimbra,
se reporter à la Licenciatura
d’Amilcar Ferreira de Castro, A gíria
dos estudantes de Coimbra,
Université de Coimbra, 1947.
4 L’emblème primitif du sceau de
l’universitas est la Sapientia biblique
; elle est substituée par la suite par
une autre figure, de nature allégo-
rique : la déesse Minerve (Manuel
Augusto Rodrigues, Chronologia
Historiae Universitatis
Conimbrigensis, Coimbra, Arquivo da
Universidade de Coimbra, 1988, p.
27).
5 Voir Maria Eduarda Cruzeiro,
“Costumes estudantis de Coimbra no
século XIX : tradição e conservação
institucional”, Análise Social, vol. XV
(60), 4°, 1979, pp. 795-838.
6 Sur la Praxe académica comme rite
de passage, on pourra lire notre
article : “La Praxe dos caloiros : un
rite de passage”, Recherches en
Anthropologie au Portugal, n° 5,
1998, pp. 11-39.
7 Margarita Torremocha, La vida estu-
diantil en el Antiguo Régimen,
Madrid, Alianza Editorial, 1998, p. 42.
8 Pour un aperçu historique du loge-
ment étudiant, voir Anibal Frias, « A
Universidade e as Repúblicas de
Coimbra em Portugal », Octávio Luiz
Machado (coord.), Repúblicas de
Ouro Preto e Mariana, Laboratório de
Pesquisa Histórica, UFOP, 2002 (à
paraître).
9 Voir Octávio Luiz Machado (coord.),
Repúblicas de Ouro Preto e Mariana,
Laboratório de Pesquisa Histórica,
UFOP, 2002 (à paraître).
10 Certaines repúblicas n’ont pas de
cuisinière (appelée “cumadre” à Ouro
Preto), soit par choix (les Marias,
incluant les elementos efectivos et à
experiência, cuisinent à tour de rôle
chaque semaine), soit pour favoriser
une plus grande implication dans la
maison des membres et réaliser une
économie (Prá-Kys-Tão, Ninho dos
Matulões), soit parce que des soucis
financiers passagers empêchent le
paiement du salaire de la cuisinière
(Corsários, 44).
11 Dionysia Camões de Mendonça,
“Residências Independentes para
Universitárias : 1920-1974”, Boletim
da AAEC, n° 14, juin 1984, pp. 55-63.
12 Lily Jean-Javal, Sous le charme du
Portugal, Paris, Plon, 1931, pp. 155-
158. Je remercie Manuel Madeira de
m’avoir communiqué cet ouvrage.
13 Sur le Conselho de Veteranos, voir
Anibal Frias, “Praxe académica e cul-
turas universitárias. Lógicas das tradi-
ções e dinámicas identitárias”,
Revista Crítica de Ciências Sociais,
2002 (à paraître).
14 Au moment du projet de loi sur la
dépénalisation de l’avortement au
Portugal, en 1998, les Marias ont
ainsi pu “convoquer” un CR grâce à
l’appui de leur voisin et parrain, les
Baco. Indiquons que le parrainage
entre maisons provient du fait que,
pour passer à solar puis à república,
une república reconnue “présente” la
maison candidate au cours d’un CR.
Une telle mesure renforce - ou tisse -
des liens faits d’entraides, de visites
réciproques et, éventuellement, de
relations amoureuses.
15 L’auteur a écrit le seul ouvrage exis-
tant sur le sujet : Coimbra 1969,
Porto, Edições Afrontamento, 1989.
16 Sur cette question, voir Anibal Frias,
“Patrimoine et traditions étudiantes à
Coimbra (Portugal) : entre art et cul-
ture”, Jean-Olivier Majastre et Alain
Pessin (dir.), Vers une sociologie des
œuvres, tome I, Paris, L’Harmattan,
2001, pp. 425-446.
17 Le style et le rythme de ces cris
dérivent sans doute du grito acadé-
mico national : “F-R-A”, servant de
modèle pour d’autres. Voici par
exemple, in extenso, le cri des
Kágados :
K...A...KA/K...E...KE/K...I...KI/K...O...K
O/K...U...KU/Ká...ga...dos (3 fois)/
Aguenta o gado.
18 Par respect pour les membres
actuels et plus anciens, je n’indique
pas le nom de la maison. L’exemple
étudié est, du reste, envisagé comme
un cas représentatif de l’ensemble
des repúblicas.
19 Les occasions de réunir toutes, ou la
plupart des repúblicas sont moins
fréquentes : outre les CR, le jour du
printemps regroupe, rua da
Matemática, les 7/8 maisons situées à
proximité ; depuis quelques années
la “Semana das repúblicas” est un
moment incitant aux rencontres spor-
tives et culturelles.
20 Le registre des expressions esthé-
tiques étudiantes fait partie d’une cul-
ture académique ; certains éléments,
comme les graffiti, les fresques et les
affiches constituent même des indica-
teurs à la fois des valeurs politiques
ainsi données à voir et des actions
collectives projetées sur les murs
d’un territoire. Sur ces aspects,
consulter Anibal Frias et Paulo
Peixoto : Esthétiques urbaines et jeux
d’échelles. Expressions graphiques
étudiantes et images du patrimoine
au sein du monde universitaire à
Coimbra, Oficina do Centro de
Estudos Sociais, Universidade de
Coimbra, n° 162, juin 2001.
21 A la fin du XIXe siècle il est appelé
“bolsa”. Doit-on voir dans ce terme
un écho de la bursa qui, au Moyen
Age, désigne à la fois l’étudiant
“boursier” et un type de logement
“économique” ?
22 L’“Irak” désigne l’Imposto
Revolucionário da Alimentação
Kagadal. Il s’agit de la part fixe -
évolutive - payée par chaque ele-
mento de casa et comensal, et dont la
somme peut être supérieure au salai-
re payé à la cuisinière, dont le mon-
tant en 2001 est de 68 contos.
49n° 14 - mai 2002LLAATTIITTUUDDEESS