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1
Université Sorbonne Nouvelle – Paris 3
Institut du Monde Anglophone
Études internationales – Études sur les institutions, les sociétés et les économies
britanniques et américaines
Master 2 – Parcours Recherche
Année 2014-2015
Le rôle des journaux ethniques dans les
communautés migrantes noire et grecque au début
du XXe
siècle dans le Nord des États-Unis :
The Chicago Defender de Chicago et
The National Herald de New York City
Auteur : Gallorini Marguerite
Directrice de mémoire : Madame Le Dantec-Lowry
Soutenu le 25 juin 2015
2
Table des matières
Remerciements………………………………………………………………………………3
Résumé………………………………………………………………………………………4
Introduction…………...……………………………………………………………………..5
Partie I : Construction d’un empire dans un empire
Chapitre 1 : Les fondateurs……………...……..…………………..……………..….26
Chapitre 2 : Gestion et financement…………….....………………………..…..…...34
Chapitre 3 : Motivations politiques……………….……………………….…...……39
Partie II : Articulation de la presse ethnique avec les autres institutions
communautaires
Chapitre 1 : La presse ethnique et l’Église……………………..……………………44
1) La presse ethnique comme lien entre l’Église et la communauté………..44
2) La presse ethnique face à l’Église : entre critique et acceptatio…………50
Chapitre 2 : La presse ethnique et les autres associations d’entraide………..………56
Partie III : Entraide communautaire et sentiment d’appartenance
Chapitre 1 : Entraide communautaire et questions d’allégeance nationale…..….......64
1) Soutien « pratique » communautaire.……................................................64
2) Soutien « psychologique » communautaire ou mère patrie bienveillante.66
3) Une mère patrie bienveillante contre une société d’accueil suspicieuse...70
Chapitre 2 : La presse ethnique et les valeurs élitistes…………….……….………..74
Chapitre 3 : Construction d’une communauté imaginaire…………..………………81
Conclusion…………………..……………………………………………………………..90
Bibliographie………………..……………………………………………………….……..96
Table des annexes………………….…………………………………………….……….107
3
Remerciements
J'adresse mes remerciements aux personnes qui m'ont aidée dans la réalisation de ce
mémoire.
En premier lieu, je remercie Mme Le Dantec-Lowry à l'université de Paris III. En tant que
directrice de mémoire, elle m'a guidée patiemment dans mon travail et m'a aidée à trouver
des solutions pour avancer.
Je remercie aussi M. Jeffrey Sammons et Mme Liana Theodoratou, du département
d’histoire et du département d’études helléniques de New York University respectivement,
ainsi que le bibliothécaire de la bibliothèque de l’université M. Andrew Lee, qui m'ont tous
aidée dans l’acquisition de sources secondaires précieuses.
4
Le rôle des journaux ethniques dans les communautés migrantes noire et grecque au
début du XXe siècle dans le Nord des États-Unis :
The Chicago Defender de Chicago et The National Herald de New York City
Mémoire de Master 2 Études internationales – Études sur les institutions, les sociétés et les
économies britanniques et américaines – Parcours Recherche
Résumé
Cette recherche comparative vise à soulever les différences et similarités dans l’adaptation
de deux communautés ethniques aux États-Unis peu comparées: les Grecs-Américains et
les Africains-Américains. Plus précisément, cette étude se concentrera sur la période des
années 1910-1920, date de migration massive au Nord des États-Unis venant de Grèce, et
venant des États ségrégationnistes du Sud. L’adaptation au Nord étatsunien ainsi que la
rétention culturelle de ces communautés sera étudiée à travers leur presse ethnique – deux
journaux représentatifs sont choisis ici : le Chicago Defender pour la communauté noire, et
le National Herald pour la communauté grecque.
Mots clés : communauté ethnique, Grecs, Noirs, Africains-Américains, immigration,
migration, communauté imaginaire, presse ethnique.
Summary
This research aims at emphasizing differences and similarities in the adaptation of two
ethnic communities in the United States that are seldom compared: Greek Americans and
African Americans. More precisely, this study will focus on the time period of the 1910s-
1920s, where a massive migration took place to the North of the United States, coming
from Greece as well as segregationist Southern States. The adaptation to the American
North as well as the cultural retention of these communities will be studies through the lens
of their ethnic press – two representative newspapers were chosen: The Chicago Defender
for the Black community and The National Herald for the Greek community.
Key words : ethnic community, Greeks, Blacks, African Americans, immigration,
migration, imagined community, ethnic press.
5
Introduction
Dans un pays fondamentalement migrant et multiculturel comme les États-Unis, la presse
ethnique fut naturellement un élément de liaison majeur entre la société globale et les
différentes communautés ethniques la composant. Cette étude comparative s’intéressera
aux processus d’assimilation et de rétention culturelle de la presse ethnique de deux
communautés ethniques migrantes en particulier : les Noirs qui migrèrent du Sud vers le
Nord au début du XXe
siècle et qui trouvèrent de nombreux journaux africains-américains
dont le célèbre Chicago Defender, créé en 1905; et les immigrants grecs arrivant dans les
grandes villes du Nord des États-Unis également et qui représentaient le plus grand lectorat
du National Herald, fondé à New York en 1915 et l’un des deux principaux journaux grecs
à portée nationale. Ces deux journaux existent encore de nos jours.
Le début du XXe
siècle vit en effet deux vagues de migration massive se rejoindre dans le
Nord. La « Grande Migration », période emblématique concernant un mouvement
migratoire qui se termina seulement à la fin des années 1960, allait de 1910 à 1930, le plus
gros de la vague survenant entre 1916 et 1919 : près de 400 000 Africains-Américains
partirent des États agricoles du Sud (où 90% de la population noire américaine résidait
avant 19101
) pour atteindre le Nord industriel des États-Unis, notamment les grands centres
industriels de Chicago et New York2
. Un mouvement équivalent put être observé du côté
des migrants d’Europe du Sud-ouest, notamment de Grèce : une immigration massive
s’opéra de 1890 jusqu’aux lois étatsuniennes imposant des restrictions sur l’entrée des
immigrants, soir celle de 1921 et 1924 (Johnson-Reed Act et sa révision), le plus gros de la
vague survenant également au sein de la décennie 1910-1920, quand près de 185 000 grecs
1
Alan D. DeSantis, “Selling the American Dream Myth to Black Southerners: The Chicago Defender and the
Great Migration of 1915-1919”, in Western Journal of Communications, 62(4) (Fall 1998), p. 474.
2
Carole Marks, Farewell — We're Good and Gone: The Great Black Migration, Bloomington: Indiana
University Press, 1989, p. 1. Alan D. DeSantis met cependant en garde contre toute prise en compte trop
grande d’un tel nombre, celui-ci pouvant varier entre 350 000 et 1 million selon les chercheurs. Alan D.
DeSantis, “Selling the American Dream Myth”, p. 504. Lui-même écrivit, un an plus tôt, que 205 000 Noirs
américains avaient migré au nord entre 1917 et 1919. DeSantis, Alan D. “A Forgotten Leader: Robert S.
Abbott and the Chicago Defender from 1910 – 1920”, in Journalism History 23(1) (Summer 1997), p. 65.
6
entrèrent dans le pays – pour un total de plus de 500 000 pour la période complète3
. La
présente étude tentera d’observer en parallèle ces deux communautés de migrants dont la
destination finale est commune, plus que d’encourager une lecture de l’histoire qui les
divisent habituellement au seul titre de leur appartenance raciale et de leur statut (migrant /
immigrant).
La « race » – concept qui n’a pas la même connotation qualitative en français et que l’on
comprendra donc dans son contexte américain – est une construction politique et sociale et
de ce fait, peut être socialement utilisée et déformée. Bien que les Américains de
descendance grecque soient maintenant considérés comme des Américains à part entière,
au début du XXe
siècle il en était autrement. Jugés en fonction de leur peau foncée, ils
étaient considérés comme des « Orientaux », et étaient stigmatisés pour leur apparence et
leur gestuelle exubérante4
. Ils étaient notamment persécutés dans le Sud par le Ku Klux
Klan, qui s’attaquaient aux Noirs depuis la fin de la guerre de Sécession, et mal perçus dans
les petites villes non habituées aux étrangers. Dans l’Ouest, ils étaient encore plus mal
traités :
But it was in the West, where their relative numbers made them more visible, that the
Greeks faced the most serious incidents. […] A sampling of the characterizations of
Greeks printed in Utah newspapers in the years just before and after World War I
include “the scum of Europe”, “a vicious element unfit for citizenship”, and “ignorant,
depraved and brutal foreigners”5
.
Même à Chicago, l’historien et sociologue Grec-Américain Charles Moskos fut lui-même
traité de « sale grec » dans sa jeunesse, dans les années 19406
. De façon générale, les
nouveaux immigrants grecs étaient considérés comme peu éduqués et rustres : c’étaient
principalement des jeunes paysans ou ouvriers, souvent illettrés : en effet contrairement aux
3
« Immigration and Naturalization Service », 1976 Annual Report (U.S. Government Printing Office), pp. 87-
88. Cité par Charles C. Moskos, Greek Americans, p. 11. Alexander Kitroeff, Chapitre I : Immigrants, in The
Journey: The Greek American Dream, dir. Maria Iliou, 2007, 87 min. Il est à noter que ce nombre est minimal
également, beaucoup de Grecs ayant passé la frontière à partir du Canada avec d’autres passeports que des
passeports grecs. Anna Karpathakis, “Greeks and Greek Americans, 1870-1940” in Elliott Robert Barkan,
Immigrants in American History: Arrival, Adaptation, and Integration, Volume 1, Part 2, ABC-CLIO, 2013.
4
Alexander Kitroeff, Chapitre I : Immigrants, in The Journey.
5
Helen Z. Papanikolas, Toil and Rage in a New Land: The Greek Immigrants in Utah, Salt Lake City: Utah
Historical Society, 1974, p. 138. Citée par Charles C. Moskos, Greek Americans: Struggle and Success, New
Brunswick: Transactions Publishers, 1997 [1989], p. 16.
6
Peter Moskos; Charles Moskos, Greek Americans: Struggle and Success, New Brunswick: Transactions
Publishers, 2014, p. 210.
7
émigrations passées de la Grèce principalement composée de marchands, la « précarité [de
celle-ci] est une nouveauté qui caractérise ce mouvement massif »7
. Dans la nature-même
de la population migrante, pour l’une comme pour l’autre communauté, Grecs et Noirs
avaient principalement une expérience de travail lié à l’agriculture, et ils étaient des
hommes jeunes qui, une fois arrivés en villes, était souvent embauchés comme ouvriers non
qualifiés de par leur inexpérience du travail industriel et leur force physique; ils étaient
souvent employés pour briser les mouvements de grève et trouvaient aussi un emploi dans
les compagnies de chemin de fer8
, dans l’Ouest notamment. Cependant dans les grandes
villes du Nord-Est comme New York, Grecs et Noirs n’étaient pas en compétition directe
car ils n’occupaient pas les mêmes types de postes : tandis que les Sudistes montaient en
masse dans le Nord suite à de nombreuses annonces pour des postes industriels notamment,
les Grecs arrivaient à les éviter en utilisant le réseau des quelques camarades déjà
préalablement installés dans la ville :
Immigrants who stayed in New York City in the early part of the twentieth century
avoided industrial jobs. Through their networks, they found work as fruit sellers, street
peddlers, bootblacks, and florists; a few also worked as furriers and in the hotel and
restaurant businesses9
.
Les raisons d’un mouvement migratoire d’une telle importance est multiple : économique,
sociopolitique, mais aussi imaginaire et personnelle. Économique tout d’abord car, à partir
de 1917, les troupes militaires américaines s’engagèrent dans la Première Guerre mondiale,
créant par là un besoin massif de main d’œuvre à embaucher rapidement dans les industries
soudainement désertées par leurs travailleurs. Les Africains-Américains se déplacèrent en
masse, leurs conditions de travail, leurs salaires et le traitement qu’ils recevaient étant bien
moins enviables dans les états du Sud – où sévissaient la ségrégation, la violence raciale et
l’infériorité économique – que dans le Nord10
.
7
Georges Progoulakis et Eugenia Bournova, « Le monde rural grec, 1830-1912 », in Ruralia, 08 | 2001,
<http://ruralia.revues.org/214>, extrait le 20 mai 2015.
8
« [D]’après le recensement de 1910, 63% des Noirs du Sud étaient classés comme « travailleurs agricoles »,
et c’était encore plus vrai dans les États qui contribuaient le plus à la migration, comme le Mississippi
(81,2%) ». Andrew Diamond; Pap Ndiaye, Histoire de Chicago, Paris : Fayard, 2013, pp. 135 et 172.
Alexander Kitroeff, Chapitre I : Immigrants, in The Journey.
9
Anna Karpathakis, “Greeks and Greek Americans, 1870-1940” in Elliott Robert Barkan, Immigrants in
American History: Arrival, Adaptation, and Integration, Volume 1, Part 2, ABC-CLIO, 2013.
10
Alan D. DeSantis, “Selling the American Dream Myth”, p. 475.
8
Qui plus est, le marché de l’agriculture à cette époque était très instable en termes de
revenus pour les fermiers noirs:
[La] plupart des métayers, fermiers et petits propriétaires noirs du Sud ne connaissaient
pas les nouvelles méthodes agricoles et n’avaient pas le capital nécessaire pour acheter
du matériel […]. Ainsi, à la fin du XIXe
siècle, la productivité demeurait faible, alors
que les prix agricoles baissaient en raison de la concurrence étrangère. Les dettes des
métayers et des ouvriers agricoles les plus pauvres s’accumulaient, et ils ne parvenaient
plus à vivre de leur travail. Ils se trouvaient alors étranglés par un système de péonage
(travail forcé pour rembourser des dettes)11
.
Ajoutons à cela une série de crues dans certains endroits du Sud en 1916 ainsi qu’un
parasite, l’anthonome du cotonnier, qui se répandit dans le Sud en 1915 et 1916, détruisant
énormément de plantations de coton, et laissant ainsi beaucoup d’Africains-Américains
sans travail, eux qui occupaient les statuts les plus précaires de ce secteur12
.
Concernant les immigrants grecs, le facteur économique fut la « motivation première » de
leur voyage vers les États-Unis : il est important de noter que le projet initial de bon
nombre de migrants grecs – comme celui de nombreux émigrants avant eux, dont les
Italiens – était de retourner au pays après avoir gagné suffisamment d’argent en travaillant
aux États-Unis13
. Par la suite, ceux qui avaient connut plus de succès en affaires ne sont pas
nécessairement repartis, mais ont continué de développer leur situation sur place – et,
finalement, ce sont ceux qui n’ont pas gravi l’échelle sociale qui sont finalement repartis14
.
En tous cas, les Grecs ne songeaient pas à un total changement de vie originellement,
contrairement aux Africains-Américains qui, eux, partaient à la recherche d’un monde
meilleur dans le Nord, où ils seraient respectés en plus de mieux gagner leur vie. Pour eux
le retour dans un Sud raciste était moins envisageable Numériquement parlant cependant, le
nombre de migrants grecs Africains-Américains était si élevé que le phénomène était
qualifié d’ « hémorragie nationale » par la Grèce, inquiète pour sa propre survie15
tandis
11
Andrew Diamond; Pap Ndiaye, Histoire de Chicago, p. 143.
12
Charles A. Simmons, The African American Press: With Special Reference to Four Newspapers, 1827-
1965, Jefferson: McFarland & Company, 1998, p. 31.
13
Charles C. Moskos, Greek Americans, p. 9.
14
Harry J. Psomiades; Alice Scourby, The Greek American Community in Transition, New York: Pella, 1982,
p. 56
15
Saloutos, Theodore. They Remember America: The Story of the Repatriated Greek Americans, Berkeley:
University of California Press, 1956. Entre 1910 et 1915, près d’un homme grec sur cinq entre 15 et 45 ans
partit pour l’Amérique. Charles C. Moskos, Greek Americans, p. 11.
9
que les États du Sud prenaient également peur de voir leur « meilleure main d’œuvre » et
les garants de leur position supérieure dans la hiérarchie sociale sudiste fuir leurs terres16
-
ce à quoi le Chicago Defender répondit que le Sud avait la mémoire courte, alors qu’il
souhaitait renvoyer les Africains-Américains en Afrique quelques temps plus tôt17
.
Quoi qu’il en soit, le départ des migrants grecs fut également lié à un contexte agricole
instable : en effet la plupart des terres sont sèches et rocailleuses en Grèce, rendant
l’agriculture difficile ; à cela s’ajouta, à cette période, la venue d’un autre parasite, le
phylloxéra, qui s’attaqua aux vignes d’Europe et atteignit celles de Grèce dans les années
1900, provoquant la destruction de la source de revenus de beaucoup de paysans grecs, la
plupart d’entre eux travaillant à leur compte et vivant très modestement18
. Ainsi de plus en
plus de Grecs partirent en masse vers le Nouveau Monde, où déjà quelques-uns d’entre eux
avaient commencé à monter des petits commerces et à construire un réseau de migrants19
.
Si l’on tient compte des besoins économiques de ces deux communautés, on constate que
Noirs et Grecs furent en proie aux mêmes techniques de « recrutement » de la part d’agents
venant directement dans leurs régions (dans le Sud pour les uns, dans les villages grecs du
Péloponnèse notamment pour les autres) pour leur conter les merveilles les attendant dans
le Nord ou aux États-Unis en général. En ce qui concerne les Grecs, ces agents étaient
généralement appelés des padroni20
: le système de padrone est décrit comme suit par
Leara Rhodes :
The padrone system involved labor brokers who found immigrants from their own
countries to work on the railroads, in the mines and quarries, and in the agriculture. The
16
“The Atlanta Constitution wrote that the migration cost the South “her best labor” force and that the
region’s economy suffered greatly”. Clint C. Wilson, “Robert Sengstacke Abbott” (biography), in American
National Biography, ed. John A. Garraty and Mark C. Carnes, New York and Oxford: Oxford University
Press, vol. 1, 1999, pp. 31-32.
17
“Somebody Lied – When the South Howls About the Race Moving North Does It Forget the Time When It
Wanted to Ship 1,000,000 to Africa?”, in The Chicago Defender, le 7 octobre 1916, p. 3.
18
Alexander Kitroeff, Chapitre I : Immigrants, in The Journey. « Phylloxéra » provient par ailleurs du grec,
signifiant « feuilles sèches ».
19
Notamment des marchands venus suite à l’indépendance de la Grèce pour recueillir des fonds afin de
trouver des fonds pour subvenir aux besoins de la « Grande Idée », la volonté de la Grèce durant les XIX et
XXème
siècles d’unir tous les Grecs dans un seul État-nation avec pour capitale Constantinople.
20
Un mot italien puisque ce système avait été mis en place par la communauté italienne en Amérique. Labor
historian Dan Georgakas, Chapitre I : Immigrants, in The Journey.
10
labor brokers did more than find jobs for the immigrants; they helped with remittances,
legal help when needed, and advancing transportation expenses21
.
On retrouve une description semblable à propos des contractants qui allaient dans les
communautés noires du Sud et qui « colportaient des récits, faisaient des promesses, et
offraient leur assistance » ; alors qu’en réalité ces agents-recruteurs profitaient souvent de
leur position pour faire travailler les migrants plus que convenu, tout en les payant très peu
et en les faisant vivre dans des conditions déplorables22
.
Comme nous l’avons mentionné, le deuxième facteur généralement reconnu dans l’analyse
des élans migratoires est d’ordre sociopolitique : 30 ans après la fin de la guerre de
Sécession, la société profondément raciste – et ce de façon assumée – du Sud des États-
Unis, encourageait, entre autres aspects, les lynchages et la ségrégation raciale légale23
.
« En cela, les migrants peuvent être considérés comme réfugiés politiques. Dans beaucoup
de leurs lettres, il est fait mention de la situation politique et du dégoût qu’ils éprouvent à se
sentir politiquement abandonnés »24
. D’ailleurs, comme le notent Diamond et N’Diaye,
Stephen Tolnay et E.M. Beck ont montré que les départs vers le Nord « étaient les plus
nombreux là où les lynchages étaient les plus fréquents »25
.
En Grèce, le pays était instable politiquement : des réfugiés fuirent les deux guerres entre la
Grèce et la Turquie soit dans un autre pays méditerranéen, soit en Amérique26
; un grand
schisme lié au contexte de la Première Guerre mondiale divisait la population, entre pro-
royalistes et pro-libéraux ; enfin, les guerres balkaniques commencèrent en 1912 et ne
prirent fin qu’en 1923. Sur ce dernier point, il peut être intéressant de noter que l’État grec
21
Leara D. Rhodes, The Ethnic Press: Shaping the American Dream, NY: Peter Lang, 2010, p. 110.
22
Charles Simmons, The African American Press, p. 35. L’un des padroni les plus connus de l’histoire
grecque en Amérique était Leonidas G. Skliris, le « Tzar des grecs », nommé ainsi car « bien que survenant
dans un contexte résolument américain, de par sa position Skliris ne ressemblait à rien de plus qu’un despote
ottoman ». Charles C. Moskos, Greek Americans, p. 14.
23
C’est suite à la fameuse affaire Plessy vs. Ferguson (1896) que fut reconnue la constitutionnalité du concept
« separate but equal » dans le domaine public.
24
Andrew Diamond; Pap Ndiaye, Histoire de Chicago, p. 144.
25
Tolnay et Beck, « Racial Violence and Black Migration in the American South, 1910-1930 », dans
American Sociological Review, 57, pp. 103-116. Cité par Andrew Diamond; Pap Ndiaye, Histoire de
Chicago, p. 144.
26
La première guerre gréco-turque est aussi appelée la « guerre de Trente Jours », opposant le Royaume de
Grèce et l’Empire Ottoman et déclenchée par une révolte sur l’île de Crète. La seconde guerre, de 1919 à
1922 et résultant en un échange de population entre les deux pays, fut aussi à l’origine d’un mouvement
migratoire de réfugiés.
11
savait bien que la communauté grecque des États-Unis suivait les événements de près, et un
orateur fut envoyé pour leur demander de venir en renfort. Ce fut un succès puisque
beaucoup partirent combattre aux côtés des leurs ; mais ils retournèrent aux États-Unis pour
reprendre leur emploi par la suite – une indication qu’ils se sentaient déjà davantage ancrés
dans leur pays d’accueil27
. Plus important encore est le fait qu’ils revinrent en Amérique en
amenant leurs femmes et éventuellement leurs enfants avec eux. C’est alors que virent
vraiment le jour des communautés grecques dont la vie gravitait autour de l’Église
Orthodoxe grecque : les circonstances changèrent, et il fut désormais question de
reproduction dans le pays.
Le troisième facteur que je qualifierai ici d’« imaginaire » traite de ce qui relève du monde
rêvé des migrants – rêves personnels mais partageant souvent des caractères communs à
ceux des autres, résultant ainsi en un large rêve collectif. En effet les lettres envoyées par
les proches ayant eux-mêmes déjà migré jouèrent un rôle important – l’un des plus
importants pour Charles Simmons et Charles Moskos28
– dans cette entrevue d’un monde
meilleur, et ainsi d’autant plus accessible du fait de la proximité des personnes écrivant ces
récits. Dans ces lettres, les migrants racontaient à leurs familles et amis la façon dont ils
gagnaient de l’argent, leur vie de tous les jours, et bien souvent ils les poussaient à faire de
même et à les rejoindre. L’aspect personnel joignit l’aspect communautaire lorsque les
migrants envoyèrent des lettres ailleurs qu’aux proches : aux journaux par exemple. Le
Chicago Defender, journal de référence pour les Noirs Américains du Sud désireux de
déménager à Chicago et ailleurs dans le Nord, reçut énormément de lettres demandant des
informations sur la ville, le coût du transport, les services offerts (notamment l’éducation
des enfant)29
… Quant au National Herald, bien que le recueil utilisé soit postérieur à cette
époque, on peut également observer des questions de lecteurs relevant souvent de la vie
quotidienne, présentant un conflit entre l’identité américaine et l’identité ethnique des
Grecs qui demandaient à l’éditeur de les éclairer, lui qui était considéré comme éduqué et
ayant accès à de grandes connaissances dans leur pays d’accueil. Ceci contribuait aussi à
l’établissement d’une communauté imaginaire, produisant un va-et-vient entre la presse et
27
Alexander Kitroeff, Chapitre I : Immigrants, in The Journey.
28
Charles C. Moskos, Greek Americans, p. 10. Charles Simmons, The African American Press, p. 35.
29
Emmett. J. Scott, “Letters of Negro Migrants of 1916-1918”, in Journal of Negro History, vol. 4, n° 3 (July
1919).
12
les migrants eux-mêmes à l’échelle individuelle, un flot d’informations circulant et
entretenant cet imaginaire – ce rêve formé par et pour les migrants.
C’est donc sur ce dernier point que l’étude se concentrera, les journaux tenant une grande
part dans ce processus. Les facteurs économiques, sociaux et politiques sont bien
évidemment très informatifs ; mais toutes ces raisons ne peuvent vraiment rendre compte
du discours s’adressant aux migrants, pourtant important lui aussi en ce qu’il créa ou du
moins entretint l’idée du rêve. Bien que cette présente étude traite avant tout du rôle des
journaux une fois les migrants arrivés à destination, et moins du processus migratoire lui-
même comme souhaitât l’évaluer Alan DeSantis, c’est ce qu’explique l’auteur dans son
article :
Literature dealing with this exodus is dominated primarily by economic determinism and
socio-emotional explanations. While both explanations supply valuable insights, both
neglect the role of rhetorical discourse in constructing social reality30
.
However, for such experiences to be mobilized into action, African Americans had to
understand the omnipresence and the intransigence of their oppression and they had to
see a way to deliverance. Rhetorical discourse […] created the ideas, images, and
narratives through which southern blacks constructed alternative dreams […]31
.
Ainsi d’une part, les lettres des migrants envoyées de façon intime contribuèrent à
l’élaboration d’un imaginaire personnel ; les lettres et articles publiés dans les journaux
ethniques, d’autre part, légitimèrent cet imaginaire dans un espace collectif et
enveloppèrent tous ces rêves personnels d’un manteau homogénéisant, produisant un rêve
commun à tous.
Pour continuer sur la rhétorique et ce qui relève du « mythique », il peut être intéressant et
utile de noter que la communauté noire, bien qu’étant reléguée aux marges de la société
américaine, appartenait et appartient toujours bel et bien à la société américaine : leur façon
de pensée fut autant formée par leur identité ethnique que par la société américaine globale,
que les deux soient en conflit ou non – en effet quel que soit le rapport, positif ou négatif,
ce rapport existe entre les deux néanmoins. Ceci est d’autant plus vrai pour les générations
de Noirs de cette époque nés aux États-Unis, contrairement à leurs ancêtres fraîchement
30
Alan D. DeSantis, “Selling the American Dream Myth”, p. 474.
31
Ibid., p. 476.
13
arrivés enchaînés depuis leur continent africain : l’imaginaire africain-américain est,
comme son nom l’indique, compris dans la plus englobante société américaine. Ainsi le
concept de « pick up one’s root and move » lié à l’expansion des États-Unis est allié à
l’épisode de l’Exode hors d’Égypte comme souvent relaté dans la religion chrétienne – de
surcroît dans l’Église noire dans les années de la Grande Migration, l’analogie étant
tentante. Les deux aspects créèrent, à eux deux, une mémoire collective au sein de laquelle
l’imaginaire africain-américain s’est immanquablement construit, tout du moins en partie.
Bien qu’étant d’un continent différent, les Grecs croyaient également qu’ils devaient
d’abord compter sur eux-mêmes (le concept de « self-reliance ») et, en ceci, ils étaient ainsi
relativement proches de l’idéologie américaine, dérivant parfois d’une méfiance vis-à-vis
de l’État et des politiques (d’où, entre autres, leur propension à l’auto-entreprenariat). Aussi
les Grecs étaient-ils depuis très longtemps un peuple migratoire, comme l’expliquent
Charles Moskos et Eva Sandis :
The world of the Greek peasant at the turn of the century was a desperately poor one.
Whatever the glories of its classical monuments and the beauty of its seas and
mountains, it was a harsh land from which to wrest a living. But, more importantly, the
Greeks of the countryside knew they were poor. They made invidious comparisons with
the small bourgeoisie and the petty government functionaries of their homeland. The
notion of moving to a better place – anticipated in the Greek maritime tradition and
Greek entrepreneurship in the cities of the old Ottoman Empire – was already part of a
common worldview32
.
The tradition of self-reliance and circumvention of government, rather than participation
in it, has been noted frequently. [...] Simon reported that "individualism was the
accepted route to success" [for Greeks in Astoria], and resulted in the ideological demise
of Greek political effort33
.
Un autre aspect à prendre en compte est la vague d’immigration dont faisaient partie les
Grecs dans les années 1910 : ce qu’on appela les « nouveaux immigrants ». Les siècles
précédents, les immigrants venant d’Europe du Nord-Ouest, les « vieux immigrants »,
s’étaient déjà installés dans les grandes villes comme New York et Chicago, et ils
n’accueillirent pas à bras ouverts cette nouvelle vague d’immigration venant d’Europe du
32
Charles C. Moskos, “Greek American Studies”, in The Greek American Community in Transition, Ed.
Harry Psomiades; Alice Scourby ,New York: Pella, 1982, p. 37.
33
Eva E. Sandis, “The Greek Population of New York City”, in The Greek American Community in
Transition, p. 89.
14
Sud-Est, des immigrants qui avaient des pratiques religieuses différentes, qui n’étaient pas
apparentés au groupe anglo-saxon originel. Une stratification au sein-même de la
population immigrante se créa : les vieux immigrants étant plus avantagés que les nouveaux
immigrants, eux-mêmes plus avantagés que les Africains-Américains récemment arrivés du
Sud. Grecs et Africains-Américains, de par leur « nouveauté », firent face à des rejets et des
difficultés d’adaptation à différents niveaux. Concernant les Noirs, une série de décisions
de la cour Suprême progressives passées au XIXe
siècle et une ségrégation non légalisée
dans le Nord poussèrent les Noirs du Sud vers le Nord34
. Néanmoins, avec l’accroissement
du nombre de migrants en provenance du Sud et une concurrence accrue pour les emplois
et le logement, les Noirs à Chicago, de même que la résistance des Blancs à les accepter se
retrouvèrent dans la « Black Belt » dans le sud de la ville, dans un « ghetto » noir ainsi
marqué par la ségrégation résidentielle. D’autre part, Stanley Lieberson écrit que de
manière générale : « although black segregation in 1910 had increased over the preceding
decade, their isolation was not as great as that experienced by several of the new European
groups […] »35
. Le quartier grec de Chicago, construit autour de Halsted Street, ne
communiquait pas avec le quartier noir et, bien qu’étant un foyer ethnique fort, avait la
chance d’être situé près de l’institution crée par Jane Addams pour réformer la ville et son
habitat et venir en aide aux plus pauvres:
Chicago’s Greektown [on the near West side at the “Delta”] was adjacent to Hull House,
Jane Addams’ famed settlement project […]. The special attention Jane Addams gave to
Greek immigrants and her espousal of Greek culture did much to buttress the ethnic
pride of the sorely tried Greek immigrants of Chicago36
.
À New York, les deux quartiers noir et grec étaient respectivement Harlem, au nord de
Manhattan, et Astoria, dans le Queens – ce dernier étant bien moindre en concentration que
celui de Chicago, mais il donna néanmoins naissance aux deux plus importants journaux
grecs et à l’Église grecque Orthodoxe d’Amérique37
.
34
Le 13ème
amendement en 1865 abolissant l’esclavage ; le 14ème
amendement en 1868 donnant des droits
juridiques à tous les hommes, quelle que soit leur race ; et le 16ème
amendement en 1870 donnant le droit de
vote aux hommes noirs.
35
Stanley Lieberson, A Piece of the Pie: Blacks and White Immigrants Since 1880, 1980, Berkeley:
University of California Press, pp. 263-264.
36
Charles C. Moskos, Greek Americans, p. 21.
37
Charles C. Moskos Jr, “Greek American Studies”, in Harry J. Psomiades, Alice Scourby, The Greek
American Community in Transition, New York: Pella, 1982, p. 40.
15
Ces enclaves n’étaient pas uniquement un pur produit de la discrimination pour autant :
elles étaient aussi des lieux où les migrants pouvaient se « serrer les coudes », s’entraider
entre personnes vivant les mêmes difficultés et partageant les mêmes pratiques culturelles.
Comme l’écrit Andrew Diamond à propos de la « Black Belt » de Chicago : « elle était à la
fois le produit de la ségrégation raciale séparant l’Amérique blanche de l’Amérique noire
(et par-là fabriquant progressivement l’identité racialisée blanche), et un lieu où les
Africains-Américains donnaient du sens à leur vie »38
. Les migrants créèrent ainsi des
institutions et entreprises qui leur serviraient de point de ralliement, et ce afin d’entretenir
une identité et une économie communautaires : églises, associations et entreprises à
caractère plus commercial verraient le jour afin de subvenir aux besoins des migrants et les
aider à s’adapter à leur nouvel environnement urbain ; mais aussi et surtout, des journaux
ethniques furent créés. L’articulation opérant entre ces institutions et les journaux sera un
autre point important de notre analyse.
Les migrants noirs avaient effectivement plus de liberté pour entreprendre que dans le Sud,
où « [t]he white landowner told them what crops to plant and when to plant them, provided
them with tools and living quarters, gave them what few welfare they might expect, and
possessed sole political power »39
. Cependant, ces efforts étaient peu récompensés en
regard des entreprises équivalentes Blanches, puisque d’une part beaucoup de ces migrants
étaient employés dans des entreprises blanches ; d’autre part, beaucoup de ces institutions
ethniques n’avaient pas accès aux ressources nécessaires, les banques ne prêtant pas
facilement aux entrepreneurs noirs par exemple : « [black] businesses were, by white
standards, small, unstable, and underfinanced » 40
. C’est bien pour cette raison que
quasiment tous les journaux noirs ayant tenté l’aventure furent de courte durée de vie –
jusqu’au Chicago Defender.
38
Andrew Diamond, Pap Ndiaye, Histoire de Chicago, p. 137.
39
Allan H. Spear, Black Chicago, The Making of a Negro Ghetto 1890-1920, Chicago & London: University
of Chicago p. 225.
40
Ibid, p. 227.
16
Les Grecs, quant à eux, se tournaient plus vers les ressources de leur propre communauté41
,
un fait d’ailleurs encouragé par leur presse ethnique42
. Aussi, bien que les migrants grecs
vinssent de contrées agricoles qui leur rapportaient peu, contrairement aux Africains-
Américains, ils n’avaient cependant pas été systématiquement opprimés et n’avaient pas un
passé esclavagiste. Ainsi, libres, ils étaient habitués à l’esprit d’entreprenariat – c’est en
tous cas l’argument avancé par un archiviste de Ellis Island, George Tselos, quant à la
prévalence des petites entreprises visibles dans le monde grec des États-Unis au début du
XXe
siècle :
I believe that it has a lot to do with the nature of the economy that the Greek immigrants
came from: in the countryside, Greek peasants were, for the most part, small
landowners. They were not servants, they were not tenant farmers: they grew their own
crops – with olives they made olive oil, with grapes they made wine – and they sold
these in a market economy. This experience with the market economy, and being one’s
own economic employer – whether it is on the land or in a small shop – carried over to
their ideals in this country43
.
Quant aux journaux ethniques, certains avaient déjà vu le jour par le passé avec les
premiers immigrants : bien avant la guerre d’indépendance, en 1739, le premier journal
ethnique fut une publication allemande, le Germantown Zeitung, qui passa petit à petit d’un
semestriel à un trimestriel puis à un mensuel. S’en suivit le premier journal africain-
américain, le Freedom’s Journal, fondé par trois africain-américain de New York, vit le
jour le 16 mars 1827, avec pour ferme vocation de représenter et défendre la communauté
noire américaine trop souvent accusée à tort d’être mal-éduquée et violente44
. D’autres
virent le jour : la seconde nationalité à publier fut la Norvège, dans le Wisconsin, en 1847 ;
puis les suédois, les danois, les hollandais et les suisses firent leur apparence dans les
années 1850 et 1860 – tous appartenant donc à la première vague d’immigration d’Europe
du nord-ouest45
. Par la suite quelques journaux de réfugiés italiens, polonais, tchèques et
41
Certes, celles-ci n’étaient pas forcément considérables : beaucoup commençaient donc avec un simple
chariot ambulant pour vendre leurs légumes, par exemple. Alexander Kitroeff, Chapitre I : Immigrants, in The
Journey.
42
Charles Jaret, “The Greek, Italian and Jewish American Ethnic Press: A Comparative Analysis”, in Journal
of Ethnic Studies, 7:2 (Summer 1979), p. 65.
43
George Tselos, The Journey: The Greek American Dream, Chapitre I: “Immigrants”.
44
Chapter I, “Too Long Have Others Spoken for Us”, in The Black Press, Soldiers without Swords, dir.
Stanley Nelson, 1999, 86 min.
45
Jerzy Zubrzycki, “The Role of the Foreign-Language Press in Migrant Integration”, in Population Studies,
Vol. 12, No. 1 (July 1958), p. 74.
17
hongrois, fuyant les révolutions de 1849, furent également créés au milieu du XIXe
siècle46
.
Ce n’est qu’avec le début de la vague massive venant d’Europe du sud-est que fut fondé le
tout premier journal ethnique grec, à Boston, en 1892 : le Neos Kosmos [Nouveau
Monde]47
. Mais en effet, comme l’écrit Jerzy Zubrzycki:
Perhaps the most important single characteristic of the foreign-language press has been
its high mortality. For example, in the U.S.A. between I884 and I920, 3 444 new papers
were started and 3 I86 discontinued. The peak of the development of the foreign-
language press was reached during World War I when approximately I 350 journals
were reported using 36 different languages48
.
Aussi cette époque fut importante au niveau de l’histoire de la presse ethnique, puisque cet
afflux massif de migrants appela de façon plus importante à une presse pour les représenter
et les aider – et ce fut une rupture avec les schémas habituels précédents d’une presse
ethnique à courte durée de vie en raison souvent d’un manque de fonds. En effet la presse
grecque, en ce qui la concerne, connaîtrait sa véritable heure de gloire dans les années
192049
. Les deux journaux qui nous intéressent naquirent à ce moment-là : le Chicago
Defender en 1905, commençant à acquérir une vraie notoriété surtout à partir de 1910 ; et le
National Herald en 1915. Acteurs majeurs de la vie sociale et politique quotidienne de
leurs communautés, ce média de masse que représente la presse quotidienne était d’autant
plus banal et commun à l’époque qu’il est ainsi important pour notre compréhension de
cette période.
Ce furent également les années de gloire de ces deux journaux : le Chicago Defender fut
largement considéré comme un élément moteur et direct de la Grande Migration, et un outil
d’adaptation important à Chicago, à travers l’utilisation d’une rhétorique forte, de bande-
dessinées politisées, l’utilisation de profils de Noirs Américains ayant « réussi » et par ses
nombreuses annonces d’emplois, comme nous le verrons. Le journal a même attiré, de
1919 à 1922, le talent littéraire de Langston Hughes. D’autre part, cette période vit le plus
grand taux de circulation dans la presse ethnique grecque, l’apogée pour le National Herald
46
Jerzy Zubrzycki, “The Role of the Foreign-Language Press”, p. 75.
47
Victor Papacosma, "The Greek Press in America", in Journal of the Hellenic Diaspora, 5, n°4, winter 1979,
p.46.
48
Jerzy Zubrzycki, “The Role of the Foreign-Language Press”, p. 76.
49
Charles C. Moskos Jr, “Greek-American Studies”, p. 44.
18
survenant en 192050
, qui lui aussi usait sensiblement des mêmes procédés afin d’attirer le
lectorat grec et l’aider à s’adapter à la ville. Dans sa recherche sur la presse ethnique,
Zubrzycki écrit : « [i]n a typical foreign-language newspaper space is allotted among five
major divisions: news of the country of settlement, world news, home-country news, group
life and interests, editorial feature »51
. Nous verrons que ces éléments se retrouvent dans
l’un comme l’autre journal, montrant ainsi les similarités de ces journaux, dont les
communautés sont pourtant rarement rapprochées dans les écrits universitaires, si ce n’est
pour souligner leurs différences.
Cette presse sur laquelle les migrants comptaient créa un sentiment d’appartenance et aida
les migrants à visualiser, à imaginer leur propre communauté au sein de la plus englobante
société américaine. C’est à partir du concept de Benedict Anderson que nous développerons
cette idée : celle de communautés imaginaires52
, qui, selon Anderson, se sont développées
avec la naissance des États-nations, dont les membres ne se sont jamais rencontrés mais qui
partagent une perception horizontale d’eux-mêmes en tant que tout, en tant que camarades
d’un même groupe sans hiérarchie verticale – une perception relayée par la presse
nationale. Ce concept est intéressant ici, car très utile pour la compréhension de l’impact de
la presse sur la réalité sociale des populations – cet outil de masse qu’Anderson qualifie de
« capitalisme imprimé ». En effet la presse eut (et a) une grande influence dans le
développement des schémas culturels, religieux et idéologiques au sein d’une communauté.
Pour notre étude, cette communauté ne sera pas la nation américaine, mais les
communautés ethniques d’immigrés et de migrants dans le Nord-Est du pays ; la presse ne
sera pas la presse nationale, mais bien la presse ethnique, importante pour les communautés
de migrants grecs et noirs qui, d’une part, ne se reconnaissaient pas dans la presse
« standard » nationale, mais qui d’autre part étaient tout de même suffisamment nombreux
pour ne pas tous se connaître, formant ainsi une communauté imaginaire.
Ce concept fut remanié par Arjun Appadurai, qui, au vu de l’essor des nouvelles
technologies, propose une définition allant au-delà des nations pour s’appliquer à des
50
S. Victor Papacosma, “The Greek Press in America”, p. 54.
51
Jerzy Zubrzycki, “The Role of the Foreign-Language Press”, p. 76.
52
Benedict Anderson, Imagined Communities; Reflections on the Origin and Spread of Nationalism, London
& New York: Verso, 2006 [1983].
19
communautés transnationales : les diasporas d’aujourd’hui n’impliquent plus
nécessairement (et ce de moins en moins) une relative rupture de contact avec la mère-
patrie des migrants, créant par-là une dualité (pour ne pas dire pluralité) de sentiments
d’appartenances nationales. Aujourd’hui de nombreuses formes de communication à
l’étranger existent, et les moyens de transports eux-mêmes se sont développés et sont
relativement abordables et faciles d’accès si bien que l’information circule librement et
instantanément, permettant l’illusion d’ « être là-bas sans être là », en quelque sorte. C’est
précisément cette période de transition entre deux ères que représentaient la fin du XIXe
siècle : placé après le temps des aventuriers et des migrants partant refaire leur vie au
Nouveau Monde, signifiant une rupture avec le lieu d’origine, mais placé avant nos temps
contemporains où il est possible de vivre à l’étranger tout en gardant un contact quotidien
avec le lieu d’origine. Cette époque qui vit une évolution de la presse et des médias due à
une forte demande ethnique représentait un entre-deux où les migrants pouvaient garder un
contact différé avec leur mère-patrie, que ce soit via les lettres personnelles ou via un
journal communautaire offrant une vue globale sur la société du pays d’origine. Ainsi
l’identité nationale était perpétuée, bien que le migrant se trouvât très loin
géographiquement.
Enfin, le choix de restreindre la recherche à Chicago et New York découle du fait que
c’étaient les destinations phares de ces deux communautés (et d’autres), avec la plus forte
concentration de migrants noirs américains et grecs, résultant naturellement en la création
des deux journaux ethniques de cette étude53
. Il était également nécessaire de se restreindre
à une même région, les conditions étant bien différentes pour toutes les communautés
ethniques d’un État à l’autre, du nord au sud et d’est en ouest. L’homogénéisation de la
perception des expériences en fonction de l’appartenance raciale ou ethnique est une
pratique dangereuse contre laquelle plusieurs auteurs mettent en garde, comme Kenneth
Kusmer tel que cité par Suzanne Model dans son étude sur les migrants noirs des îles
caribéennes en Amérique du Nord :
All types of conditions existed, from high levels of integration in Boston, New Haven,
and Cleveland to segregated or quasi-segregated facilities in Indianapolis, Gary, and
53
Pour les Grecs, c’est d’ailleurs Chicago qui offrait la concentration géographique la plus élevée d’Amérique
du Nord. Charles Moskos, Greek Americans, p. 21.
20
most parts of southern and central Ohio, Indiana, and Illinois. The situation in most
cities lay somewhere between these alternatives, with integration limited by both school
board policies and, increasingly after 1917, by de facto segregation due to the growth of
ghettos54
.
Au niveau déjà restreint de la ville, les conditions sont bien différentes au sein du groupe-
même : le fait d’appeler les groupes de nouveaux arrivants des « immigrants » implique
déjà une homogénéisation de cette catégorie, qui ne rend pas compte de toutes les nuances
que l’on peut y trouver. On parle souvent de la méprise qu’entretenaient les « vieux »
immigrants européens à l’égard des « nouveaux » immigrants, considérés comme mal
éduqués et illettrés ; or un phénomène moins relayé, et dont nous parlerons plus en détail
par la suite ici, est la discrimination au sein des mêmes communautés ethniques. En effet
une partie des Noirs nés et installés dans l’Illinois préalablement à ceux émigrant du sud
avaient accédé à des statuts plus élevés et constituaient une couche de classe moyenne qui
pratiquaient l’entre-soi – dont Abbott, l’éditeur et fondateur du Chicago Defender, faisait
d’ailleurs partie55
. La même méfiance pouvait s’observer de la part des migrants grecs qui
étaient venus avant la grande vague de migration et qui avaient déjà commencé et
développé leurs entreprises, relativement peu nombreux et donc également mieux
intégrés56
. Les uns comme les autres avaient honte de voir arriver autant d’autres migrants
en masse – du Sud et de Grèce – et là aussi, les journaux (généralement tenus par des
immigrants éduqués, des « élites ») jouèrent un rôle dans l’éducation de ces migrants aux
façons de faire considérées comme acceptables et de bon ton dans le Nord américain. Ainsi,
les journaux ethniques ne furent pas simplement des vecteurs d’une culture, mais bien
d’une culture de classe moyenne, opérant du haut vers le bas comme partout ailleurs.
Quant au caractère comparatif de cette étude, le but principal était de rapprocher deux
communautés qui sont rarement étudiées ensemble. La littérature existante traite
54
Kenneth L. Kusmer, “The Black Urban Experience in American History”, in The State of Afro-American
History: Past, Present and Future, ed. Darlene Clark Hine, Baton Rouge: Louisiana State University Press,
1986, pp. 99-100. Cité par Suzanne Model, “The Secret of West Indian Success”, in Society, Vol. 45 (Nov.
2008), Issue 6, pp. 544-548.
55
Brian Carroll, “From Fraternity to Fracture: Black Press Coverage of and Involvement in Negro League
Baseball in the 1920s”, in American Journalism, 23 (2), 2006, p. 74.
56
Yiorgos Anagnostou, “Forget the Past, Remember the Ancestors! Modernity, “Whiteness,” American
Hellenism, and the Politics of Memory in Early Greek America”, in Journal of Modern Greek Studies, Vol.
22, No. 1 (May 2004), p.55. Wallace D. Best, Passionately Human, No Less Divine: Religion and Culture in
Black Chicago, 1915-1952, Princeton and Oxfordshire: Princeton University Press, 2005, pp. 35-39.
21
généralement ces deux sujets de façon séparée et monographique57
, ou bien l’un ou l’autre
en comparaison avec les autres communautés migrantes européennes en tant que tout58
, ou
encore du rôle de la diaspora aux États-Unis en relation avec le pays d’origine59
... Bien
évidemment, l’arrivée dans les grandes villes étatsuniennes de ces deux communautés
diffère grandement par leur nature – les uns amenés contre leur gré en tant qu’esclaves dès
le XVIIe
siècle, les autres en tant qu’hommes libres réfugiés politiques à partir du début du
XIXe
siècle60
; seulement, comme nous l’avons vu avec les histoires de ces populations au
début du XXe
siècle, on peut constater que les développement d’un phénomène ne sont pas
nécessairement synthétisables à son origine. L’Histoire étant un tissu discontinu et à qui
nous seuls donnons un sens avec notre rétrospective, aussi l’Histoire peut-elle avoir
plusieurs sens selon les paramètres que nous choisissons pour une telle rétrospective.
Cette étude justifie donc sa nature comparative, premièrement, pour contrer un certain
courant de sociologues et historiens réfutant toute tentative de comparaison entre les
communautés noires et européennes 61
, eux qui « insistaient sur la singularité de
l’expérience noire, qu’il n’était pas possible d’assimiler aux autres expériences historiques
des groupes migrants venus d’Europe en raison de la ségrégation raciale »62
. Une telle
position ne laisse pas de place à la nuance, et favorise une lecture binaire des événements
en soulignant un peu plus certaines particularités et en en ignorant d’autres. En effet, Allan
Spear écrivait: « [u]nlike the Irish, Poles, Jews, or Italians, [blacks] banded together not to
enjoy a common linguistic, cultural, and religious tradition, but because a systematic
pattern of discrimination left them no alternative »63
. Bien qu’il y ait assurément une grande
part de vérité dans cette description, cela laisse le lecteur imaginer, d’une part, que les
immigrants européens ont tous vécu une expérience similaire et n’ont pas connu de
discrimination, et d’autre part que la communauté noire subissait seulement une ségrégation
sociale. Une telle conception prive la communauté noire d’un statut d’acteur, en la
57
Voir les écrits de Stephen Robertson, Taylor Duhran, Wallace D. Best, Allan H. Spear ; et Giorgos
Anagnostou, S. Victor Papacosma, Charles Moskos, J.P. Xenides…
58
Voir les écrits de Stewart E. Tolney, Charles Jaret, Stanley Lieberson, Elliott Robert Barkan…
59
Voir les écrits de George Kaloudis, Carole Marks, Theodore Saloutos, Ioanna Laliotou…
60
Frederick Binder; David M. Reimers. All the Nations Under Heaven, p. 105.
61
Notamment Allan H. Spear dans Black Chicago, et Horace Cayton et St. Clair Drake dans Black
Metropolis: A Study of a Negro Life in a Northern City, Chicago: University of Chicago Press, 1945.
62
Andrew Diamond; Pap Ndiaye, Histoire de Chicago, p. 132.
63
Allan H. Spear, Black Chicago, p. 228.
22
reléguant au simple statut de victime de l’Histoire. De la même façon que les Grecs avaient
peut-être d’autres raisons que de simples affinités culturelles pour créer des enclaves
ethniques – Greektown à Chicago, et le quartier d’Astoria, dans le Queens, à New York –
aussi les Africains-Américains avaient-ils d’autres motivations que la ségrégation raciale
pour créer leurs propres enclaves – la « Black Belt » et le « Bright Lights District » à
Chicago, et Harlem à New York. Bien évidemment, leurs histoires ne sont pas
interchangeables ; mais il est dangereux parfois d’attacher plus d’importance aux
différences qu’aux similitudes, de creuser les écarts par l’ignorance quelque peu
intentionnelle de certains faits, créant par là une perception généralisante et non nuancée
qui, à force de répétition, devient acceptée comme étant la vraie et unique possibilité de lire
l’Histoire.
Plus récemment, d’autres chercheurs ont tout de même souhaité mettre ces deux
communautés en comparaison, comme ici Stanley Lieberson dont la motivation est de
découvrir pourquoi les immigrants européens ont-ils « réussi » aujourd’hui dans la société
américaine plus que les Africains-Américains. Cette expression est employée par Lieberson
sans réelle définition64
, mais au vu de la recherche de l’auteur nous pouvons raffiner la
portée de ce terme comme concernant les thèmes de l’éducation, le statut d’occupation, le
salaire et la représentation et l’influence politiques. Toutefois le champ d’étude que
s’assigne l’auteur est particulièrement vaste – un terrain aussi étendu que les États-Unis
présente des expériences bien différentes selon les régions et ne permet pas la
généralisation, comme nous l’avons déjà mentionné; l’auteur traite également de beaucoup
de domaines différents à la fois : éducation, représentation et participation politique,
ségrégation spatiale, politique étrangère, institutions publiques et associations… et
beaucoup de généralisations sont tirées à partir de faits particuliers. C’est le cas notamment
dans le chapitre traitant de la relation des nouveaux immigrants européens avec le
gouvernement : son étude de la communauté italienne, « Italians » p.78, résulte directement
en « [q]uelques généralisations basées sur l’expérience italienne » p.81. Dans ce chapitre
sur les nouveaux européens, seuls les Italiens, Juifs et Polonais sont en fait étudiés en
profondeur.
64
“It is clear that the new Europeans have “made it” to a degree far in excess of that which would have been
expected or predicted at the time of their arrival here.” Stanley Lieberson, A Piece of the Pie: Blacks and
White Immigrants Since 1880, Berkeley: University of California Press, 1980, p. 2.
23
Il est en effet très commun de traiter des nouveaux immigrants européens – et notons qu’il
en va de même pour les anciens immigrants européens, bien que ce ne soit pas notre sujet
ici – en tant que groupe homogène. Il est pourtant gênant de voir que différents pays soient
considérés selon le même critère unique : celui de venir du même continent. Au mieux,
comme le fait Lieberson – mais il est loin d’être le seul à le faire – certaines nationalités
sont mises en avant, qui sont souvent, comme ici, les Italiens et les Juifs, qui sont alors
considérés comme ayant eu le plus d’impact sur la société américaine. Mais n’est-ce pas
une vue biaisée qui change tout à fait le résultat que l’on tente de démontrer, que de prendre
les communautés les plus influentes pour démontrer l’influence de toutes les communautés
européennes ? Autrement dit si l’échantillonnage est réalisé de façon partiale dès le départ,
les résultats de l’enquête seront naturellement faussés.
Or, toutes les nationalités européennes sont loin d’avoir vécu une expérience similaire. Un
exemple de fausse assomption à partir d’un mauvais échantillonnage est de dire que les
Africains-Américains étaient refusés par les syndicats ouvriers tandis que les « nouveaux »
européens étaient représentés, comme l’attestent les nombreux syndicats créés par des
Italiens notamment. Si l’on se base sur l’expérience italienne, cela laisse penser que tous les
européens étaient représentés syndicalement, contrairement aux Noirs. Pour notre étude, il
sera donc intéressant de préciser que les différences culturelles entre pays européens ont, là
aussi, eu une influence sur les façons de s’organiser des travailleurs : en effet bien que les
Grecs ne subissaient pas le discrimination à hauteur de ce que connaissaient les Noirs, la
différence d’avec les Italiens est que la philosophie grecque était quelque peu plus proche
de l’idée de « self-reliance » américaine comme nous l’avons vu : ainsi les Grecs n’eurent
pas vraiment de présence dans les activités syndicales car ce n’était simplement pas dans
leur façon de faire65
. Ainsi, bien que les causes soient différentes, il en reste que les Grecs
comme les Africains-Américains n’étaient pas représentés syndicalement, ou en tous cas à
moindre mesure que d’autres nationalités européennes.
Ces deux communautés ont ainsi des histoires différentes mais pas opposées. L’aspect
comparatif de cette étude étant désormais clarifié, nous tenterons par la suite d’observer les
65
Charles C. Moskos, Greek Americans, p. 20.
24
sphères d’influence des deux journaux ethniques sur leur communauté, qui selon William
L. Joyce tiennent les fonctions suivantes:
(1) Fournir de l’information sur la société d’accueil.
(2) Garder contact avec le pays ou la région d’origine.
(3) Donner des informations sur la communauté ethnique et la phase de transition entre
les deux cultures, entre les deux sociétés.
(4) Interpréter les développements politiques, économiques, sociaux et culturels selon
une perspective particulière.
(5) Articuler les intérêts du groupe ethnique vis-à-vis de la nouvelle société et de
l’ancienne66
.
Deux types de sources primaires ont été utilisés pour cette recherche, dont la plupart furent
disponibles à la bibliothèque de New York University où j’ai passé le premier semestre : les
premières sont les archives des deux journaux mentionnés. Le choix d’articles et de
publicités s’est fait suivant certaines grandes dates communes aux deux journaux (comme
l’entrée en guerre des États-Unis en 1917 ou des fêtes nationales) ou bien des dates
importantes pour chaque communauté (comme certains lynchages très relayés dans les
médias, des émeutes raciales ou des fêtes ethniques telles que la Pâques grecque
orthodoxe). Afin d’agrémenter ces recherches, quelques articles furent également recueillis
de façon aléatoire. Les sources primaires étaient d’autant plus importantes dans le cas du
National Herald que les sources secondaires le concernant étaient moins nombreuses,
contrairement au Chicago Defender. Enfin, le problème du temps lui-même fut également
une contrainte à prendre en compte, puisque l’accès aux archives sous forme de microfilms
du quotidien grec n’était accessible que sur place à New York University – c’est-à-dire
pour moi jusqu’à décembre 2014. Une cinquantaine de fichiers, pour les deux journaux, ont
pu être scannés et archivés pour utilisation personnelle.
L’autre source primaire principale consiste en deux recueils de lettres de migrants envoyées
à chaque journal ; celui pour le Chicago Defender ayant été mis en forme par Emmet Scott,
celui pour le National Herald par Euthyfronos Ioannidou, et publié par le journal lui-
66
William L. Joyce, Editors and Ethnicity: A History of the Irish American Press, 1848-1883, New York:
Arno Press, 1976, p. 27.
25
même67
. Il est à noter cependant que, tandis que les lettres du premier recueil datent de la
Grande Migration, les lettres du second datent malheureusement du deuxième semestre de
l’année 1943. On y trouve néanmoins de nombreuses lettres attestant de la centralité du
sujet de bi-nationalisme, d’un besoin de l’adaptation de l’identité ethnique à l’identité
citoyenne ; qui plus est, certaines lettres se réfèrent également aux événements
sociopolitiques du début du XXe
siècle qui nous intéresse. Enfin, la littérature concernant
les diasporas grecque-américaine et africaine-américaine, la presse ethnique, et les presses
grecque et noir aux États-Unis furent également d’une grande aide.
La presse ethnique fut un instrument majeur dans l’assimilation des communautés
migrantes fraîchement débarquées dans les villes du Nord des États-Unis, mais aussi et
surtout un instrument de rétention culturelle. Au même titre que les communautés qu’ils
représentaient, le Chicago Defender et le National Herald étaient-ils alors si différents ? À
travers une analyse comparative de ces deux journaux, nous tenterons de déterminer les
procédés et buts communs et différents aux deux, nous renseignant ainsi sur leur nature.
Cette étude débutera chronologiquement : par l’origine des deux journaux, en posant les
bases de la motivation de leurs fondateurs derrière leur création et la façon dont ils furent
financés ; nous nous attacherons ensuite à l’articulation entretenue entre cette institution de
la presse ethnique et les autres institutions migrantes et ethniques de cette époque, en tant
qu’éléments d’intégration ou la rétention culturelle ; puis nous tenterons d’évaluer les
enjeux sous-jacents à de tels procédés, tels que des questions de classes sociales ou
d’allégeance nationale, avant de terminer sur l’œuvre de Benedict Anderson avec laquelle
nous déterminerons la capacité de création de « communautés imaginaires » de la part de la
presse.
67
Emmett. J. Scott, “Letters of Negro Migrants of 1916-1918”, in Journal of Negro History, vol. 4, n° 3 (July
1919). Ioannidou, Euthyfronos G. Το Ελεύθερον Βήμα [The Free Tribune], New York : The National Herald,
April 1944.
26
PARTIE I:
CONSTRUCTION D’UN EMPIRE DANS UN EMPIRE
Chapitre 1 : Les fondateurs
Nous ne sommes jamais mieux servis que par nous-mêmes. Ce pourrait être en tous cas
l’une des raisons du succès des journaux tels que The Chicago Defender et The National
Herald en ce qui concerne les communautés migrantes noires et grecques de Chicago et
New York City: tous deux furent fondés par des migrants. Qui de mieux pour apprécier les
conditions de vie et connaître les besoins des nouveaux migrants que des personnes ayant
partagé cette expérience auparavant ?
Le fondateur et éditeur du Chicago Defender était Robert Sengstacke Abbott, né le 24
novembre 1870 à Frederica sur St Simons Island, une enclave ethnique noire juste en
dehors de Savannah, en Géorgie68
. Cette île fut un centre de production de coton réputé
durant l’ère des plantations cotonnières jusqu’à la guerre de Sécession, ainsi les Africains-
Américains étaient très présents, comme dans le reste des États esclavagistes ; des cultures
de riz existaient également le long de la rivière Altamaha69
. La ville de Savannah quant à
elle était historiquement une ville portuaire bien développée, et très peuplée – et donc
stratégique en temps de guerre – aussi était-elle une zone de choix commercialement
parlant pour les immigrants européens.
Ses deux parents étaient d’anciens esclaves ; son père mourut lorsqu’il avait un an. Sa mère
épousa John Sengstacke, dont le père était un riche marchand Allemand qui avait acheté la
liberté d’une esclave africaine-américaine avant de l’épouser. John Sengstacke avait été
68
Alan D. DeSantis, “Selling the American Dream Myth to Black Southerners: The Chicago Defender and
the Great Migration of 1915-1919”, in Western Journal of Communications, 62(4) (Fall 1998), p. 477.
Clint C. Wilson, “Robert Sengstacke Abbott” (biography), in American National Biography, ed. John A.
Garraty and Mark C. Carnes, New York and Oxford: Oxford University Press, vol. 1, 1999, p. 31.
69
“St. Simons Island History”, site web officiel de l’île,
<http://www.explorestsimonsisland.com/St_Simons_History.html>, extrait le 15 mars 2015.
27
envoyé faire son éducation en Allemagne, puis il revint aux États-Unis en 1869, où il
rencontra la mère d’Abbott, une de ses employées – qui parlait allemand de par ses diverses
expériences de travail dans des commerces de la ville tenus par des immigrants
allemands70
. Ils déménagèrent à Woodville en 187671
.
Issu d’une famille où l’éducation était importante et les dictats sociaux importaient guère,
John Sengstacke avait la fibre d’un entrepreneur et était polyvalent – c’était le curé,
l’éducateur et le « sage » de la ville72
– et fut source d’inspiration pour son fils adoptif :
« [he] pursued careers in education, the clergy, and journalism. In the latter role Sengstacke
became editor of the Woodville Times, a black community weekly newspaper that served
Savannah-area residents. Abbott’s admiration for his stepfather inspired him to add the
name Sengstacke to his own and to attempt to become a publisher in his own right »73
.
Cet environnement familial le poussa à faire des études, et ainsi il partit étudier
l’imprimerie quatre ans au Hampton Institute en Virginie. Comme le note Clint Wilson :
« [H]is experience there included opportunities to hear two charismatic black speakers,
Frederick Douglass and Ida B. Wells, who influenced him to seek a leadership role in the
development of civil rights for black Americans »74
. Son beau-père, puis ses rencontres à
l’université aiguisèrent en effet son envie pour l’entreprise qu’il allait fonder lui-même plus
tard : un journal créé pour promouvoir l’avancement des Noirs Américains et redonner une
voix à cette tranche opprimée de la société étatsunienne. En effet il devint de plus en plus
frustré par la discrimination raciale régnant dans l’industrie de l’imprimerie, et déménagea
à Chicago où il obtint un diplôme de droit au Kent College of Law en 1899, et où il était le
seul étudiant noir de sa classe de 70 élèves75
; « but because of race prejudice in the United
States [he] was unable to practice, despite attempts to establish law offices in Gary,
70
Mark Perry, “Robert S. Abbott and the Chicago Defender: A Door to the Masses”, in The Michigan
Chronicle, October 10, 1995.
71
“Mapping the Stacks, A Guide to Black Chicago’s Hidden Archives”, sur le site web de l’Université de
Chicago,
<http://mts.lib.uchicago.edu/collections/findingaids/index.php?eadid=MTS.abbottsengstacke#idp49133168>,
extrait le 10 mai 2015.
The Paper Trail: 100 Years of the Chicago Defender. WTTW Chicago Public Media, présenté par Harry
Lennix, 2005, 62 min.
72
Alan D. DeSantis, “Selling the American Dream Myth”, p. 477.
73
Clint C. Wilson, “Robert Sengstacke Abbott”, p. 31.
74
Idem.
75
“Mapping the Stacks, A Guide to Black Chicago’s Hidden Archives”, Université de Chicago.
28
Indiana, Topeka, Kansas, and Chicago, Illinois » 76
. Il revint donc pour un temps à
Woodville, puis repartit à Chicago en 1901 à l’âge de 31 ans, cette fois pour fonder le
Chicago Defender, dans cette ville où résidaient alors 30 000 Africains-Américains77
.
Abbott se souciait fondamentalement du bien-être d’autrui, que ce soit à grande échelle
comme par son engagement pour la cause des Africains-Américains ou à l’échelle de sa
famille et entourage qu’il aidait volontiers – qu’ils fussent d’anciens propriétaires
esclavagistes du côté de son père biologique, ou même des parents par alliance en
Allemagne qui, pourtant étaient devenus Nazis78
. Il récompensa également la générosité
d’Henrietta Lee, son ancienne propriétaire qui l’aida durant les premiers temps où Abbott
commençait son journal, en lui achetant plus tard une maison avec huit pièces79
. Il était
aussi franc-maçon, et, notamment dans les dernières années de sa vie, après avoir été frustré
par la discrimination raciale autant au sein de l’Église épiscopale que l’Église
presbytérienne, il devint adepte de la foi Baha’i qu’il jugea plus tolérante et libre de tels
préjugés80
. Cette religion récente ne possède en effet aucun clergé, et est gouvernée par
différents conseils élus, au niveau local et national81
. Il avait assisté à une première
conférence à Chicago sur ce groupe religieux à la Hull House de Jane Addams, où son
fondateur Baha’u’llah (1817-1892) parla en 191282
, puis il assista à d’autres manifestations
en 1924, avant d’y adhérer complètement en 193483
.
Il créa un mensuel, le Abbott’s Monthly, qui ne survécut cependant que de 1930 à 1933 à
cause de la Grande Dépression affectant toutes les ventes à cette période84
. Dans tous les
cas le Chicago Defender était déjà devenu une source de revenus importante pour Abbott
depuis 1918, le propulsant sur la scène des leaders africains-américains de la ville aux côtés
de W.E.B Du Bois et Marcus Garvey. Abbott devint millionnaire en 1929, et bien que la
76
“Robert Sengstacke Abbott”, section “biographies” du site web de PBS,
<http://www.pbs.org/blackpress/news_bios/abbott.html>, extrait le 30 avril 2015.
77
Clint C. Wilson, “Robert Sengstacke Abbott”, pp. 31-32.
78
Mark Perry, “Robert S. Abbott and the Chicago Defender”.
79
“Mapping the Stacks, A Guide to Black Chicago’s Hidden Archives”, Université de Chicago.
80
Mark Perry, “Robert S. Abbott and the Chicago Defender”.
81
Site web de la religion ba’hai, <http://www.bahai.org/>, extrait le 14 mai 2015.
82
Idem.
83
“Mapping the Stacks, A Guide to Black Chicago’s Hidden Archives”, Université de Chicago.
84
“Abbott’s Monthly: A Magazine That’s Different”, site web du Black Press Research Collective,
<http://blackpressresearchcollective.org/abbotts-monthly-a-different-type-of-magazine/>, extrait le 4 mai
2015. “Mapping the Stacks, A Guide to Black Chicago’s Hidden Archives”, Université de Chicago.
29
dépression ait des conséquences négatives sur le journal, il arriva à le maintenir à flots.
Abbott mourut le 29 février 1940 à Chicago de la maladie de Bright (une insuffisance
rénale chronique) et céda le contrôle de son journal à son neveu et héritier, John
Sengstacke85
.
Le fondateur du National Herald grec quant à lui, Pétros Tatanis, était né en 188486
dans la
ville d’Amaliada dans l’Ouest du Péloponnèse (Sud-Ouest de la métropole grecque) ; son
passé familial reste malheureusement méconnu. En revanche, la région et sa ville sont
connues pour avoir été historiquement très ouvertes sur l’extérieur : de par les colonisations
successives Amaliada était à forte influence arabe et albanaise ; comparée aux alentours
montagneux, la région était un pôle d’attraction de par ses plaines fertiles et ainsi les gens
de toutes les régions environnantes qui se retrouvèrent là créèrent leurs églises. La culture
du raisin, des citrons et des olives firent partie de l’économie principale de cet endroit87
. La
ville connut davantage d’exposition à partir de la mise en place d’un chemin de fer reliant
la grande ville de Patras à Pyrgos – Amaliada se trouvant entre les deux. Par ailleurs, la
ville de Patras est jumelée avec Savannah en Géorgie88
.
À partir de 1922, elle fut également un havre pour de nombreux réfugiés d’Asie Mineure –
comme l’ont été les États-Unis pour certains d’entre eux. Cette ville fut en effet fortement
touchée par l’émigration extérieure de ses propres habitants également vers les États-Unis.
L’argent envoyé par les émigrants depuis leur pays d’émigration ainsi qu’à leur retour, et
plus généralement ce va-et-vient de populations régionales contribua au développement
économique et au progrès social de la ville89
.
Durant la seconde moitié du XIXe
siècle, des annexions d’après-guerre et un excédent
naturel firent doubler la population grecque, malgré l’émigration. De grands courants
migratoires, avant les États-Unis, existèrent vers les villes de l’Empire ottoman et
85
“Robert Abbott, Founder of the Chicago Defender”, site web de l’African American Registry,
<http://www.aaregistry.org/historic_events/view/robert-abbott-founder-chicago-defender>, extrait le 22 avril
2015.
86
Bien que cette année ne soit pas sûre : certains articles lui enlèvent ou donnent une ou deux années de plus.
87
“I poli: istoria” [La ville : son histoire], sur le site officiel de la municipalité d’Amaliada,
<http://www.amaliada.gr/Default.aspx?tabid=301&language=en-US>, extrait le 15 mars 2015.
88
Site web Sister Cities International, <http://www.sister-cities.org/interactive-map/Patras,%20Greece>,
extrait le 25 avril 2015.
89
“I poli: istoria” [La ville : son histoire], municipalité d’Amaliada.
30
l’Égypte90
. Pétros Tatanis appartint à ce courant migratoire, lui qui vécut pendant un temps
en Égypte, avant de venir aux États-Unis en 1905 à l’âge de 21 ans en tant que marchand de
café91
. Il était représentant officiel de la grande entreprise des Frères Karakanta spécialisée
dans l’import-export de farine, de pétrole, de tissu et de café, qui avait des projets en cours
avec des pays européens et des colonies comme l'Égypte, l'Arabie et l'Inde, à l'aide de
navires privés92
. Leurs quartiers généraux se trouvaient à New York, à Wall Street, où
Tatanis fut affecté ; ainsi celui-ci prospérait déjà dans son commerce à l’époque où il vint
aux États-Unis, contrairement à beaucoup d’autres immigrants grecs venus par nécessité
économique et/ou pour raisons politiques (notamment les réfugiés d’Asie Mineure).
Tatanis était un grand admirateur du premier ministre grec libéral, Elefthérios Venizélos, et
un membre actif de l'Union Panhellénique d’Amérique, fondée en 1907 pour protéger les
immigrants grecs et renforcer le soutien nationaliste de la Grèce. Tatanis commença son
journal le 2 avril 1915, lequel s’imposa alors rapidement en tant que concurrent important
de l’Atlantis, jusqu’ici le seul grand géant de la presse ethnique grecque. Tatanis dû
cependant vendre le Herald en 1933 à l’industriel du tabac Euripide Kechagia – tout en
restant lui-même au sein du journal jusqu’en 1939 – à cause de la crise économique de
1929 qui l’éprouva financièrement.
Dimitrios Callimachos, éditeur en chef du journal jusqu’en 1942, décrivit Tatanis comme
tel :
Pour apprécier M. Tatanis en tant que puissance motrice d'une institution journalistique,
il faut d’abord imaginer sa personnalité de grand homme d’affaires. […] Ainsi vous
comprendrez pourquoi, dans l'entreprise journalistique du National Herald, d’un point
90
Georges Progoulakis et Eugenia Bournova, « Le monde rural grec, 1830-1912 », in Ruralia, 08 | 2001,
<http://ruralia.revues.org/214>, extrait le 20 mai 2015.
91
Alexander Kitroeff, “O Petros Tatanis, o Ethnikos Keryx kai o Venizelismos stis Inomenes Politeies"
(« Pétros Tatanis, le National Herald et le venizélisme aux États-Unis »), in Patris News, le 15 avril 2015,
<http://www.patrisnews.com/nea-enimerosi/omogeneia/o-petros-tatanis-o-ethnikos-kiryx-o-venizelismos-stis-
inomenes-politeies>, extrait le 1er
mai 2015.
“Pos o Petros Tatanis apo tin Amaliada "extise" to 1915 tin megaliteri omogeneiaki ephimerida” (« Comment
Pétros Tatanis d’Amaliada a "construit" en 1915 le plus grand journal diasporique »), in The Best News, le 31
mai 2013, <http://www.thebest.gr/news/index/viewStory/200907>, extrait le 13 mai 2015.
92
Alexander Kitroeff, “O Petros Tatanis". Malheureusement, outre ces références à la compagnie dans ces
deux pages parmi d’autres, je n’ai pas réussi à trouver plus d’information plus proche d’une source primaire
pour vérifier son existence ailleurs. Sûrement est-ce une compagnie qui n’a pas survécu assez longtemps pour
pouvoir être répertoriée sur Internet et/ou pas assez pertinente pour qu’il existe des livres à son propos.
31
de vue purement commercial, on retrouve les traces de l’audace et de la vision à grande
échelle américaines93
.
Il le décrivit également comme étant un homme généreux, prêt à investir dès lors qu’il
s’agissait de la Patrie. En tant que rédacteur en chef, Callimachos ne manquait jamais de
moyens pour la bonne exécution et la bonne information du journal. Très engagé
politiquement pour la cause venizéliste, l’influence de Tatanis et celle de son journal se
firent ressentir dans le monde hellénique : l’État grec lui attribua ainsi l’Ordre du Sauveur
pour rendre hommage à sa contribution94
.
Il mourut cependant appauvri, le 27 décembre 1959 à New York d’une crise cardiaque à
l’âge de 75 ans. Sa tombe anonyme ne fut que récemment redécouverte ; l’éditeur actuel du
journal, Antonis Diamataris, fit ériger une pierre tombale à son nom dans le cimetière de
Cedar Grove, à Flushing95
. Le Père Nektarios Papazafiropoulos, de la Cathédrale Saint
Dimitrios à Astoria, New York, parla en ces termes du fondateur du journal à l’occasion du
centième anniversaire de celui-ci en avril dernier96
:
Our hearts are flooded with gratitude and appreciation to our great countryman who had
the wisdom to support free speech, the first freedom enjoyed by man from the first day
he comes to life. The man of blessed memory founded the newspaper because he
believed in these rights and comprehended the necessity of creating the newspaper for
the Diaspora97
.
De fait, Abbott et Tatanis, deux fortes personnalités généreuses et portées par ce en quoi
elles croyaient, firent partie des premiers migrants aux États-Unis avant ou au début de la
première vague massive d’immigration de leurs communautés respectives – Abbott
quelques années avant le début de la Grande Migration, des années 1910 à 1930 ; Tatanis
venant du Péloponnèse, d’où la plupart des grecs viendraient en masse à partir des années
1900 et jusqu’en 1924.
93
Dimitrios Callimachos, album pour les 10 ans du National Herald. Cité par Alexander Kitroeff, “O Petros
Tatanis".
94
Idem.
95
Demetris Tsakas, “Memory of Founding Publisher Tatanis Honored on 100th Anniversary of TNH”, in The
National Herald, 4 avril 2015, <http://www.thenationalherald.com/80722>, extrait le 28 avril 2015.
96
Un élément qui montre à quel point, aujourd’hui encore, la communauté grecque est fortement concentrée
autour – et liée à – l’Église Orthodoxe, et comment tous les aspects culturels de la communauté s’entremêlent.
97
Demetris Tsakas, “Memory of Founding Publisher Tatanis”.
32
Deux éléments de la personnalité d’Abbott sont à prendre en compte, puisqu’elles allaient
conditionner son entreprise et donc la nature-même de son journal: Abbott étant lui-même
migrant à Chicago, il fut naturellement enclin à promouvoir Chicago comme étant une
destination de choix pour ses confrères qui enduraient les conditions de vie déplorables du
Sud où sévissait la ségrégation et l’exploitation économique et sociale pour les Noirs . Mais
aussi, bien qu'ayant eu un beau-père plutôt inspirant et éduqué, Abbott ne faisait pas partie
de l'intelligentsia – noire ou blanche – telle qu'elle existait dans le Nord à l'époque :
As Felecia G. Jones observed, “Prior to the establishment of the Defender, the black
newspapers appealed only to black intelligentsia and a few sympathetic whites. The
Defender was the first major newspaper that appealed to the masses”98
.
Ainsi, Abbott fut un auto-entrepreneur de par la création de son journal, et il réussit cette
entreprise à Chicago à la sueur de son front et non pas grâce à un capital financier
important. En revanche, le capital culturel hérité de sa famille et de l'université eu
certainement un impact sur son parcours. Quoi qu'il en soit, conditions favorables ou pas, le
fait est qu'il avait créé l'un des journaux les plus influents de sa génération, et qui plus est le
journal africain-américain le plus influent de toute l'histoire de la presse noire jusqu'alors, et
ce, sans faire appel aux sphères influentes, éduquées et minoritaires de la société noire du
Nord qui ne correspondaient pas à l'expérience noire massive du Sud. Le cas fut différent
pour Tatanis qui eut une somme largement suffisante pour démarrer son journal et en
assurer sa pérennisation et qui faisait déjà partie de l’élite hellène d’Amérique de par son
statut social de riche marchand. Mais Abbott finit par devenir membre de telles
organisations, de l’élite noire de Chicago, et ainsi l’un comme l’autre puiseraient dans cette
autorité sociale que leur conférerait une telle place – une place plus puissante au regard de
la société globale américaine : ils étaient les éditeurs de deux journaux ethniques, certes,
mais deux journaux d’influence majeure et de base financière solide, contrairement à
beaucoup d’autres.
Ainsi ces deux éditeurs étaient plus à même de conseiller d'autres migrants lors de leur
adaptation à ces nouvelles grandes villes – en tous cas, de façon plus persuasive : en effet le
98
Felecia G. Jones, “The Role of the Black Press During the ‘Great Migration’” in Annual Meeting of the
Association for Education in Journalism and Mass Communication, Norman, OK. 3-6 August 1986, p. 11.
Citée par Alan D. DeSantis, “Selling the American Dream Myth to Black Southerners”, p. 477.
33
même discours venant d’un « nanti » natif du lieu aurait été moins bien entendu 99
;
cependant, comme nous le verrons dans le chapitre consacré à l’assimilation des
communautés migrantes, ce sont des catégorisations faciles et pas toujours vraies, et où il
est important d’aller au-delà de ce qui nous est donné de voir en premier plan : en effet ces
journaux ethniques seraient aussi, à un certain point, vecteurs d’assimilation à un habitus de
classe moyenne. Quoi qu’il en soit, ce fut l’histoire de deux migrants ayant réussi dans le
Nord industriel des États-Unis, et ce simple fait en soi est d’importance ; allié aux autres
facteurs de leurs vies respectives, notamment leur ténacité et leur très bon management,
cela résulta en un puissant moyen de communication et de liaison de toute une
communauté.
99
« Nanti » est un terme exagéré, les classes moyennes noires n’ayant pas la même situation que des
« nantis » blancs, de par le racisme ambiant ; l’utilisation de ce terme ici relève purement du démonstratif, et
plus du point de vue de la communauté noire que d’un point de vue global.
34
Chapitre 2 : Gestion et financement du journal
Abbott démarra son journal avec un investissement de 25 centimes (l’équivalent d’environ
6,75 dollars aujourd’hui100
), distribuant lui-même 300 copies le premier jour de publication,
le 6 mai 1905 101
. Son premier bureau fut l’arrière-cuisine de l’appartement de sa
propriétaire, Henrietta Lee, habitant au 3159 State Street – même la chaise lui était
empruntée102
. Les premières copies consistaient en des pages de 6 colonnes, remplies de
nouvelles locales qu’Abbott avait recueillies lui-même, et de coupures de presse provenant
d’autres journaux 103
. Les moyens de l’éditeur se développèrent de façon quasi-
exponentielle grâce à une hausse constante de la demande : tandis que les premières
publications du Chicago Defender étaient de quatre pages, 5 ans plus tard le journal était
composé de 6 pages, puis de 8 en 1915, et enfin il n’aurait pas moins de 16 pages une
décennie plus tard ; le prix d’une copie était de 10 centimes en 1921 (1,3 dollars). Le 10
novembre 1919, la popularité du journal et donc une situation financière le lui permettant,
Abbott acheta une ancienne synagogue et transforma cet immeuble de trois étages, au 3435-
3437 Indiana Avenue, pour y déménager le quartier général de son journal. Il le resterait
jusqu’en 1960104
.
Pétros Tatanis quant à lui, déjà un riche entrepreneur au moment de démarrer son journal,
déposa la somme de 100 000 dollars (2,3 million de dollars aujourd’hui) à la banque afin
d’assurer l’existence de son journal, pour qu’il ne connaisse pas le même sort habituel des
autres journaux ethniques grecs. C’était également un moyen d’assurer le recueil de bonnes
informations, et ce de façon rapide : en effet, il était difficile et cher d’obtenir des
informations outre-mer à l’époque, de courts télégrammes étant virtuellement la seule
100
Selon le calculateur en ligne « Dave Manuel », <http://www.davemanuel.com/inflation-calculator.php>,
extrait le 30 mars 2015.
101
« Chicago Defender, 1905 – », site web Black Past, <http://www.blackpast.org/aah/chicago-defender-
1905>, extrait le 10 février 2015.
102
“Mapping the Stacks, A Guide to Black Chicago’s Hidden Archives”, sur le site web de l’Université de
Chicago,
<http://mts.lib.uchicago.edu/collections/findingaids/index.php?eadid=MTS.abbottsengstacke#idp49133168>,
extrait le 10 mai 2015.
103
« The Chicago Defender », section « Newspapers » du site web de PBS
<http://www.pbs.org/blackpress/news_bios/defender.html>, extrait le 20 mars 2015.
104
“Mapping the Stacks, A Guide to Black Chicago’s Hidden Archives”, Université de Chicago.
35
alternative. Le premier numéro sortit le 2 avril 1915, la copie coûtant 2 centimes (0,45
dollars)105
à sa sortie, et 4 ans plus tard, 3 centimes (0,4 dollars). Les quartiers généraux du
journal se trouvaient au cœur de Manhattan, sur la West 26th Street106
.
Tatanis était très politiquement engagé comme nous l’avons vu : l’un des membres
dirigeants de l’organisation libérale de Venizélos à New York, il était très proche du
premier ministre et de son Parti Libéral à Athènes. Il était également membre de l’Union
Panhellénique composée d’éminents Grecs-Américains et Philhellènes 107
– une
organisation que nous mentionnerons dans la partie suivante en même temps que d’autres
associations ethniques grecques. Ainsi, fort d’un éditeur avec de tels moyens financiers et
connexions politiques, le journal démarra sur les chapeaux de roues avec une interview
d’Elefthérios Venizélos. Le Herald affirma ainsi d’entrée de jeu sa position libérale, et
exprima son soutien au premier ministre grec et à sa politique territoriale – communément
appelée la « Grande Idée », c’est-à-dire l’idée d’une expansion territoriale empiétant sur
une partie de la Turquie.
Le National Herald se posa donc rapidement en tant qu’alternative valable, et donc
adversaire féroce, face à son concurrent Atlantis. Avec une circulation de plus de 30 000
copies en 1920108
, cette période représenta un pic de circulation pour les deux journaux
grecs. En effet, cela coïncide avec la période où, après une campagne militaire en Turquie
pour la réalisation de cette « Grande Idée », l’armée grecque fut vaincue en Asie Mineure et
cela provoqua un déplacement de population sans précédent : ce fut donc un épisode qui
tint en haleine la communauté grecque expatriée109
.
105
“Pos o Petros Tatanis apo tin Amaliada "extise" to 1915 tin megaliteri omogeneiaki ephimerida”
(« Comment Pétros Tatanis d’Amaliada a "construit" en 1915 le plus grand journal diasporique »), in The Best
News, le 31 mai 2013, <http://www.thebest.gr/news/index/viewStory/200907>, extrait le 13 mai 2015.
106
Dimitrios Callimachos, album pour les 10 ans du National Herald. Cité par Alexander Kitroeff, “O Petros
Tatanis".
107
Alexander Kitroeff, “O Petros Tatanis, o Ethnikos Keryx kai o Venizelismos stis Inomenes Politeies"
(« Pétros Tatanis, le National Herald et le venizélisme aux États-Unis »), in Patris News, le 15 avril 2015,
<http://www.patrisnews.com/nea-enimerosi/omogeneia/o-petros-tatanis-o-ethnikos-kiryx-o-venizelismos-stis-
inomenes-politeies>, extrait le 1er
mai 2015.
108
Anna Karpathakis, “Greeks and Greek Americans, 1870-1940” in Elliott Robert Barkan, Immigrants in
American History: Arrival, Adaptation, and Integration, Volume 1, Part 2, ABC-CLIO, 2013.
109
Alexander Kitroeff, “O Petros Tatanis".
36
Contrairement au succès immédiat du National Herald, pour sa part le Chicago Defender
connut un début lent, mais « [w]ithin ten years the Defender was the nation’s leading black
newspaper with an estimated circulation of 230 000 »110
. En effet les ventes n’allèrent
qu’en s’augmentant de façon exponentielle :
Les ventes passèrent de moins de 10 000 en 1910 à 33 000 en 1916, 90 000 en 1917,
125 000 en 1918, et sans doute au-delà des 200 000 exemplaires au début des années
1920. Chaque exemplaire étant souvent lu par plusieurs personnes (des lectures à voix
haute avaient notamment eu lieu dans les salons de coiffure), le Defender avait
certainement un lectorat de plusieurs centaines de milliers de personnes. Il se qualifiait
sans hésiter de « world’s greatest weekly » (« meilleur hebdomadaire du monde »)111
.
Concernant le chiffre de 33 000 lecteurs pour la période de 1916, selon James Grossman le
journal aurait même été lu par au moins 50 000 Africains-Américains chaque semaine112
.
Une telle impulsion à partir de 1910 s’explique en partie par le fait que Robert Abbott
décida d’engager J. Hockley Smiley, imitant la presse sensationnaliste appelée « yellow
journalism », telle que représentée localement par le Chicago Tribune notamment. Ce style
de journalisme avait commencé de voir le jour une dizaine d’années plus tôt, et consistait à
user de titres et images sensationnelles pour attirer le lecteur, plutôt que de compter sur des
articles se voulant objectifs et bien renseignés113
. Dans le cas du Defender, cela consistait
principalement en des titres et photographies saisissantes de lynchages dans le Sud, et en
des éditoriaux militants condamnant le système ségrégationniste des États sudistes en
particulier114
. Il est à noter que le titre du Defender, tout autant que le style « yellow
journalism » et sa propre dénomination de « World’s Greatest Weekly » rappelle fortement
le Chicago Tribune, créé en 1847 et s’étant proclamé le « World’s Greatest Newspaper » à
la même période115
.
110
Clint C. Wilson, “Robert Sengstacke Abbott” (biography), in American National Biography, ed. John A.
Garraty and Mark C. Carnes, New York and Oxford: Oxford University Press, vol. 1, 1999, pp. 31-32.
111
Andrew Diamond, Pap Ndiaye, Histoire de Chicago, Paris : Fayard, 2013, p. 150.
112
James R. Grossman, Land of Hope: Chicago, Black Southerners, and the Great Migration, Chicago:
University of Chicago press, 1991, p. 79. Cité par Alan D. DeSantis, “Selling the American Dream Myth to
Black Southerners: The Chicago Defender and the Great Migration of 1915-1919”, in Western Journal of
Communications, 62(4) (Fall 1998), p. 477.
113
“Yellow Journalism”, sur le site du département d’État américain, <
https://history.state.gov/milestones/1866-1898/yellow-journalism >, extrait le 30 mai 2015.
114
Andrew Diamond; Pap Ndiaye, Histoire de Chicago, p. 149.
115
“Chicago Tribune”, site web Encyclopedia of Chicago,
<http://www.encyclopedia.chicagohistory.org/pages/275.html>, extrait le 3 février 2015. Il est cependant
37
Charles Simmons écrit à propos du Defender : « [t]he more militant the newspaper was, the
more it was accepted by readers »: en effet, l’augmentation de la circulation du journal à
partir de ce moment le confirme116
. Cette façon de faire fut bien sûr critiquée d’un point de
vue éthique : ce fut un tournant majeur dans la façon dont le journalisme était géré dans la
presse noire américaine. Mais Abbott lui-même ne s’en cachait pas : « I tell the truth if I
can get it, but if I can’t get the facts, I read between the lines and tell what I know to be
facts even though the reports say differently »117
. Néanmoins, cela lui valut d’avoir la plus
longue espérance de vie et le lectorat le plus fidèle dans l’histoire de la presse africaine-
américaine, ainsi qu’une crédibilité qu’aucun autre journal de cette catégorie n’avait pu
préalablement atteindre118
. Par ailleurs, nous verrons en dernière partie que malgré cet
apparent sensationnalisme, les informations n’étaient pas sans intérêt ou sans objectivité
essentielle.
Robert Abbott était un excellent entrepreneur – la popularité fulgurante de son journal le
rendit bientôt millionnaire – et il considérait son travail avec beaucoup de sérieux119
. Il
gérait son journal avec minutie, étudiait son positionnement national, et recevait des
rapports de représentants locaux du journal ; d’un autre côté il ne négligea jamais la
publicité, grand moteur financier de son entreprise120
. Mais également, comme cela fut déjà
mentionné, Abbott acquit une certaine stature au sein de la bonne société noire de Chicago
grâce à sa réussite : il devint lié avec des patrons de banque tels que Jesse Binga de Binga
State Bank, mais aussi des patrons de compagnie d’assurance, des membres du conseil
municipal, et des propriétaires de ligues noires de baseball121
. On peut noter ici qu’il
utilisait régulièrement ces équipes de sport noires, lorsqu’elles allaient jouer dans les États
sudistes, pour transporter son journal dans ces régions afin d’éviter les décrets
difficile de connaître qui l’a proclamé en premier, les dates n’étant pas précises quant à ce fait – un travail
d’archivage serait nécessaire ici.
116
Charles A. Simmons, The African American Press: With Special Reference to Four Newspapers, 1827-
1965, Jefferson: McFarland & Company, 1998, p. 26.
117
Lawrence D. Hogan, A Black National News Service: The Associated Negro Press and Claude Barnett,
1919 – 1945, Rutherford, New Jersey: Fairleigh Dickinson University Press, 1984, p. 49. Cité par Charles A.
Simmons, The African American Press: With Special Reference to Four Newspapers, 1827-1965, Jefferson:
McFarland & Company, 1998, p. 30.
118
Charles A. Simmons, The African American Press, p. 26.
119
“Mapping the Stacks, A Guide to Black Chicago’s Hidden Archives”, Université de Chicago.
120
Andrew Diamond, Pap Ndiaye. Histoire de Chicago, pp. 154-155.
121
The Paper Trail: 100 Years of the Chicago Defender. WTTW Chicago Public Media, présenté par Harry
Lennix, 2005, 62 min.
38
d’interdiction établis contre celui-ci ; il faisait de même avec les employés de la compagnie
Pullman122
. Plus que de simples connaissances, Abbott lui-même fut un directeur du comité
de la Binga State Bank pour un temps123
. Et, bien sûr, Abbott tira parti de ce nouveau
réseau pour le profit de son journal, tout bon entrepreneur qu’il était :
D’une part, Abbott mettait à profit son carnet d’adresses, puisqu’il connaissait
personnellement certains dirigeants des grandes firmes de Chicago, qu’il croisait à la
Chicago Urban League. Il leur envoyait des brochures vantant la diffusion du Defender
et son succès « bien mérité ». D’autre part, du matériel publicitaire était distribué à la
population, comme ces petites brochures intitulées A Bit About Chicago et présentant la
ville sous un angle touristique, en mettant en relief le quartier de State Street, au cœur de
la Black Belt […]124
.
En 1934 Abbott engagea son neveu John H. H. Sengstacke, dont il avait financé les études
à Hampton University, en tant que vice-président et trésorier du journal, avant de le
promouvoir au poste de directeur général l’année suivante125
. Le rédacteur en chef du
National Herald quant à lui fut Dimitrios Callimachos, du début du journal jusqu’en 1942 :
né en Turquie, il étudia à Istanbul, Izmir (en Asie Mineure – Turquie) et Athènes.
Théologien et prêtre, il avait également une longue expérience en tant que journaliste avant
son arrivée à New York en 1914126
.
Bien que Pétros Tatanis eut dès le départ les ressources financières suffisantes au
démarrage de son journal, contrairement à Abbott qui construisit son empire sur le long
terme, tous deux réussirent à mettre à profit les thématiques relatives à leur communauté et
leur tenant le plus à cœur : tandis que le premier se focalisa sur la condition déplorable des
Noirs notamment dans le Sud, recevant ainsi un grand écho dans cette communauté
persécutée, le second se focalisa sur la voix libérale du schisme politique grec, n’ayant
jusqu’alors pas de représentation dans la presse ethnique grecque aux États-Unis face à
l’Atlantis. Abbott et Tatanis se firent donc chacun les représentants d’une communauté
qu’ils estimaient sous-représentée par les médias existants, et méritant de se faire entendre.
122
Idem.
123
Brian Carroll, “From Fraternity to Fracture: Black Press Coverage of and Involvement in Negro League
Baseball in the 1920s”, in American Journalism, 23 (2), 2006, p. 74.
124
Andrew Diamond, Pap Ndiaye. Histoire de Chicago, Paris, pp. 154-155.
125
“Mapping the Stacks, A Guide to Black Chicago’s Hidden Archives”, Université de Chicago.
126
Anna Karpathakis, “Greeks and Greek Americans, 1870-1940”, in Elliott Robert Barkan, Immigrants in
American History, p. 51.
Le rôle du Chicago Defender et du National Herald dans l'adaptation des communautés migrantes noire et grecque en 1910-1920
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Le rôle du Chicago Defender et du National Herald dans l'adaptation des communautés migrantes noire et grecque en 1910-1920

  • 1. 1 Université Sorbonne Nouvelle – Paris 3 Institut du Monde Anglophone Études internationales – Études sur les institutions, les sociétés et les économies britanniques et américaines Master 2 – Parcours Recherche Année 2014-2015 Le rôle des journaux ethniques dans les communautés migrantes noire et grecque au début du XXe siècle dans le Nord des États-Unis : The Chicago Defender de Chicago et The National Herald de New York City Auteur : Gallorini Marguerite Directrice de mémoire : Madame Le Dantec-Lowry Soutenu le 25 juin 2015
  • 2. 2 Table des matières Remerciements………………………………………………………………………………3 Résumé………………………………………………………………………………………4 Introduction…………...……………………………………………………………………..5 Partie I : Construction d’un empire dans un empire Chapitre 1 : Les fondateurs……………...……..…………………..……………..….26 Chapitre 2 : Gestion et financement…………….....………………………..…..…...34 Chapitre 3 : Motivations politiques……………….……………………….…...……39 Partie II : Articulation de la presse ethnique avec les autres institutions communautaires Chapitre 1 : La presse ethnique et l’Église……………………..……………………44 1) La presse ethnique comme lien entre l’Église et la communauté………..44 2) La presse ethnique face à l’Église : entre critique et acceptatio…………50 Chapitre 2 : La presse ethnique et les autres associations d’entraide………..………56 Partie III : Entraide communautaire et sentiment d’appartenance Chapitre 1 : Entraide communautaire et questions d’allégeance nationale…..….......64 1) Soutien « pratique » communautaire.……................................................64 2) Soutien « psychologique » communautaire ou mère patrie bienveillante.66 3) Une mère patrie bienveillante contre une société d’accueil suspicieuse...70 Chapitre 2 : La presse ethnique et les valeurs élitistes…………….……….………..74 Chapitre 3 : Construction d’une communauté imaginaire…………..………………81 Conclusion…………………..……………………………………………………………..90 Bibliographie………………..……………………………………………………….……..96 Table des annexes………………….…………………………………………….……….107
  • 3. 3 Remerciements J'adresse mes remerciements aux personnes qui m'ont aidée dans la réalisation de ce mémoire. En premier lieu, je remercie Mme Le Dantec-Lowry à l'université de Paris III. En tant que directrice de mémoire, elle m'a guidée patiemment dans mon travail et m'a aidée à trouver des solutions pour avancer. Je remercie aussi M. Jeffrey Sammons et Mme Liana Theodoratou, du département d’histoire et du département d’études helléniques de New York University respectivement, ainsi que le bibliothécaire de la bibliothèque de l’université M. Andrew Lee, qui m'ont tous aidée dans l’acquisition de sources secondaires précieuses.
  • 4. 4 Le rôle des journaux ethniques dans les communautés migrantes noire et grecque au début du XXe siècle dans le Nord des États-Unis : The Chicago Defender de Chicago et The National Herald de New York City Mémoire de Master 2 Études internationales – Études sur les institutions, les sociétés et les économies britanniques et américaines – Parcours Recherche Résumé Cette recherche comparative vise à soulever les différences et similarités dans l’adaptation de deux communautés ethniques aux États-Unis peu comparées: les Grecs-Américains et les Africains-Américains. Plus précisément, cette étude se concentrera sur la période des années 1910-1920, date de migration massive au Nord des États-Unis venant de Grèce, et venant des États ségrégationnistes du Sud. L’adaptation au Nord étatsunien ainsi que la rétention culturelle de ces communautés sera étudiée à travers leur presse ethnique – deux journaux représentatifs sont choisis ici : le Chicago Defender pour la communauté noire, et le National Herald pour la communauté grecque. Mots clés : communauté ethnique, Grecs, Noirs, Africains-Américains, immigration, migration, communauté imaginaire, presse ethnique. Summary This research aims at emphasizing differences and similarities in the adaptation of two ethnic communities in the United States that are seldom compared: Greek Americans and African Americans. More precisely, this study will focus on the time period of the 1910s- 1920s, where a massive migration took place to the North of the United States, coming from Greece as well as segregationist Southern States. The adaptation to the American North as well as the cultural retention of these communities will be studies through the lens of their ethnic press – two representative newspapers were chosen: The Chicago Defender for the Black community and The National Herald for the Greek community. Key words : ethnic community, Greeks, Blacks, African Americans, immigration, migration, imagined community, ethnic press.
  • 5. 5 Introduction Dans un pays fondamentalement migrant et multiculturel comme les États-Unis, la presse ethnique fut naturellement un élément de liaison majeur entre la société globale et les différentes communautés ethniques la composant. Cette étude comparative s’intéressera aux processus d’assimilation et de rétention culturelle de la presse ethnique de deux communautés ethniques migrantes en particulier : les Noirs qui migrèrent du Sud vers le Nord au début du XXe siècle et qui trouvèrent de nombreux journaux africains-américains dont le célèbre Chicago Defender, créé en 1905; et les immigrants grecs arrivant dans les grandes villes du Nord des États-Unis également et qui représentaient le plus grand lectorat du National Herald, fondé à New York en 1915 et l’un des deux principaux journaux grecs à portée nationale. Ces deux journaux existent encore de nos jours. Le début du XXe siècle vit en effet deux vagues de migration massive se rejoindre dans le Nord. La « Grande Migration », période emblématique concernant un mouvement migratoire qui se termina seulement à la fin des années 1960, allait de 1910 à 1930, le plus gros de la vague survenant entre 1916 et 1919 : près de 400 000 Africains-Américains partirent des États agricoles du Sud (où 90% de la population noire américaine résidait avant 19101 ) pour atteindre le Nord industriel des États-Unis, notamment les grands centres industriels de Chicago et New York2 . Un mouvement équivalent put être observé du côté des migrants d’Europe du Sud-ouest, notamment de Grèce : une immigration massive s’opéra de 1890 jusqu’aux lois étatsuniennes imposant des restrictions sur l’entrée des immigrants, soir celle de 1921 et 1924 (Johnson-Reed Act et sa révision), le plus gros de la vague survenant également au sein de la décennie 1910-1920, quand près de 185 000 grecs 1 Alan D. DeSantis, “Selling the American Dream Myth to Black Southerners: The Chicago Defender and the Great Migration of 1915-1919”, in Western Journal of Communications, 62(4) (Fall 1998), p. 474. 2 Carole Marks, Farewell — We're Good and Gone: The Great Black Migration, Bloomington: Indiana University Press, 1989, p. 1. Alan D. DeSantis met cependant en garde contre toute prise en compte trop grande d’un tel nombre, celui-ci pouvant varier entre 350 000 et 1 million selon les chercheurs. Alan D. DeSantis, “Selling the American Dream Myth”, p. 504. Lui-même écrivit, un an plus tôt, que 205 000 Noirs américains avaient migré au nord entre 1917 et 1919. DeSantis, Alan D. “A Forgotten Leader: Robert S. Abbott and the Chicago Defender from 1910 – 1920”, in Journalism History 23(1) (Summer 1997), p. 65.
  • 6. 6 entrèrent dans le pays – pour un total de plus de 500 000 pour la période complète3 . La présente étude tentera d’observer en parallèle ces deux communautés de migrants dont la destination finale est commune, plus que d’encourager une lecture de l’histoire qui les divisent habituellement au seul titre de leur appartenance raciale et de leur statut (migrant / immigrant). La « race » – concept qui n’a pas la même connotation qualitative en français et que l’on comprendra donc dans son contexte américain – est une construction politique et sociale et de ce fait, peut être socialement utilisée et déformée. Bien que les Américains de descendance grecque soient maintenant considérés comme des Américains à part entière, au début du XXe siècle il en était autrement. Jugés en fonction de leur peau foncée, ils étaient considérés comme des « Orientaux », et étaient stigmatisés pour leur apparence et leur gestuelle exubérante4 . Ils étaient notamment persécutés dans le Sud par le Ku Klux Klan, qui s’attaquaient aux Noirs depuis la fin de la guerre de Sécession, et mal perçus dans les petites villes non habituées aux étrangers. Dans l’Ouest, ils étaient encore plus mal traités : But it was in the West, where their relative numbers made them more visible, that the Greeks faced the most serious incidents. […] A sampling of the characterizations of Greeks printed in Utah newspapers in the years just before and after World War I include “the scum of Europe”, “a vicious element unfit for citizenship”, and “ignorant, depraved and brutal foreigners”5 . Même à Chicago, l’historien et sociologue Grec-Américain Charles Moskos fut lui-même traité de « sale grec » dans sa jeunesse, dans les années 19406 . De façon générale, les nouveaux immigrants grecs étaient considérés comme peu éduqués et rustres : c’étaient principalement des jeunes paysans ou ouvriers, souvent illettrés : en effet contrairement aux 3 « Immigration and Naturalization Service », 1976 Annual Report (U.S. Government Printing Office), pp. 87- 88. Cité par Charles C. Moskos, Greek Americans, p. 11. Alexander Kitroeff, Chapitre I : Immigrants, in The Journey: The Greek American Dream, dir. Maria Iliou, 2007, 87 min. Il est à noter que ce nombre est minimal également, beaucoup de Grecs ayant passé la frontière à partir du Canada avec d’autres passeports que des passeports grecs. Anna Karpathakis, “Greeks and Greek Americans, 1870-1940” in Elliott Robert Barkan, Immigrants in American History: Arrival, Adaptation, and Integration, Volume 1, Part 2, ABC-CLIO, 2013. 4 Alexander Kitroeff, Chapitre I : Immigrants, in The Journey. 5 Helen Z. Papanikolas, Toil and Rage in a New Land: The Greek Immigrants in Utah, Salt Lake City: Utah Historical Society, 1974, p. 138. Citée par Charles C. Moskos, Greek Americans: Struggle and Success, New Brunswick: Transactions Publishers, 1997 [1989], p. 16. 6 Peter Moskos; Charles Moskos, Greek Americans: Struggle and Success, New Brunswick: Transactions Publishers, 2014, p. 210.
  • 7. 7 émigrations passées de la Grèce principalement composée de marchands, la « précarité [de celle-ci] est une nouveauté qui caractérise ce mouvement massif »7 . Dans la nature-même de la population migrante, pour l’une comme pour l’autre communauté, Grecs et Noirs avaient principalement une expérience de travail lié à l’agriculture, et ils étaient des hommes jeunes qui, une fois arrivés en villes, était souvent embauchés comme ouvriers non qualifiés de par leur inexpérience du travail industriel et leur force physique; ils étaient souvent employés pour briser les mouvements de grève et trouvaient aussi un emploi dans les compagnies de chemin de fer8 , dans l’Ouest notamment. Cependant dans les grandes villes du Nord-Est comme New York, Grecs et Noirs n’étaient pas en compétition directe car ils n’occupaient pas les mêmes types de postes : tandis que les Sudistes montaient en masse dans le Nord suite à de nombreuses annonces pour des postes industriels notamment, les Grecs arrivaient à les éviter en utilisant le réseau des quelques camarades déjà préalablement installés dans la ville : Immigrants who stayed in New York City in the early part of the twentieth century avoided industrial jobs. Through their networks, they found work as fruit sellers, street peddlers, bootblacks, and florists; a few also worked as furriers and in the hotel and restaurant businesses9 . Les raisons d’un mouvement migratoire d’une telle importance est multiple : économique, sociopolitique, mais aussi imaginaire et personnelle. Économique tout d’abord car, à partir de 1917, les troupes militaires américaines s’engagèrent dans la Première Guerre mondiale, créant par là un besoin massif de main d’œuvre à embaucher rapidement dans les industries soudainement désertées par leurs travailleurs. Les Africains-Américains se déplacèrent en masse, leurs conditions de travail, leurs salaires et le traitement qu’ils recevaient étant bien moins enviables dans les états du Sud – où sévissaient la ségrégation, la violence raciale et l’infériorité économique – que dans le Nord10 . 7 Georges Progoulakis et Eugenia Bournova, « Le monde rural grec, 1830-1912 », in Ruralia, 08 | 2001, <http://ruralia.revues.org/214>, extrait le 20 mai 2015. 8 « [D]’après le recensement de 1910, 63% des Noirs du Sud étaient classés comme « travailleurs agricoles », et c’était encore plus vrai dans les États qui contribuaient le plus à la migration, comme le Mississippi (81,2%) ». Andrew Diamond; Pap Ndiaye, Histoire de Chicago, Paris : Fayard, 2013, pp. 135 et 172. Alexander Kitroeff, Chapitre I : Immigrants, in The Journey. 9 Anna Karpathakis, “Greeks and Greek Americans, 1870-1940” in Elliott Robert Barkan, Immigrants in American History: Arrival, Adaptation, and Integration, Volume 1, Part 2, ABC-CLIO, 2013. 10 Alan D. DeSantis, “Selling the American Dream Myth”, p. 475.
  • 8. 8 Qui plus est, le marché de l’agriculture à cette époque était très instable en termes de revenus pour les fermiers noirs: [La] plupart des métayers, fermiers et petits propriétaires noirs du Sud ne connaissaient pas les nouvelles méthodes agricoles et n’avaient pas le capital nécessaire pour acheter du matériel […]. Ainsi, à la fin du XIXe siècle, la productivité demeurait faible, alors que les prix agricoles baissaient en raison de la concurrence étrangère. Les dettes des métayers et des ouvriers agricoles les plus pauvres s’accumulaient, et ils ne parvenaient plus à vivre de leur travail. Ils se trouvaient alors étranglés par un système de péonage (travail forcé pour rembourser des dettes)11 . Ajoutons à cela une série de crues dans certains endroits du Sud en 1916 ainsi qu’un parasite, l’anthonome du cotonnier, qui se répandit dans le Sud en 1915 et 1916, détruisant énormément de plantations de coton, et laissant ainsi beaucoup d’Africains-Américains sans travail, eux qui occupaient les statuts les plus précaires de ce secteur12 . Concernant les immigrants grecs, le facteur économique fut la « motivation première » de leur voyage vers les États-Unis : il est important de noter que le projet initial de bon nombre de migrants grecs – comme celui de nombreux émigrants avant eux, dont les Italiens – était de retourner au pays après avoir gagné suffisamment d’argent en travaillant aux États-Unis13 . Par la suite, ceux qui avaient connut plus de succès en affaires ne sont pas nécessairement repartis, mais ont continué de développer leur situation sur place – et, finalement, ce sont ceux qui n’ont pas gravi l’échelle sociale qui sont finalement repartis14 . En tous cas, les Grecs ne songeaient pas à un total changement de vie originellement, contrairement aux Africains-Américains qui, eux, partaient à la recherche d’un monde meilleur dans le Nord, où ils seraient respectés en plus de mieux gagner leur vie. Pour eux le retour dans un Sud raciste était moins envisageable Numériquement parlant cependant, le nombre de migrants grecs Africains-Américains était si élevé que le phénomène était qualifié d’ « hémorragie nationale » par la Grèce, inquiète pour sa propre survie15 tandis 11 Andrew Diamond; Pap Ndiaye, Histoire de Chicago, p. 143. 12 Charles A. Simmons, The African American Press: With Special Reference to Four Newspapers, 1827- 1965, Jefferson: McFarland & Company, 1998, p. 31. 13 Charles C. Moskos, Greek Americans, p. 9. 14 Harry J. Psomiades; Alice Scourby, The Greek American Community in Transition, New York: Pella, 1982, p. 56 15 Saloutos, Theodore. They Remember America: The Story of the Repatriated Greek Americans, Berkeley: University of California Press, 1956. Entre 1910 et 1915, près d’un homme grec sur cinq entre 15 et 45 ans partit pour l’Amérique. Charles C. Moskos, Greek Americans, p. 11.
  • 9. 9 que les États du Sud prenaient également peur de voir leur « meilleure main d’œuvre » et les garants de leur position supérieure dans la hiérarchie sociale sudiste fuir leurs terres16 - ce à quoi le Chicago Defender répondit que le Sud avait la mémoire courte, alors qu’il souhaitait renvoyer les Africains-Américains en Afrique quelques temps plus tôt17 . Quoi qu’il en soit, le départ des migrants grecs fut également lié à un contexte agricole instable : en effet la plupart des terres sont sèches et rocailleuses en Grèce, rendant l’agriculture difficile ; à cela s’ajouta, à cette période, la venue d’un autre parasite, le phylloxéra, qui s’attaqua aux vignes d’Europe et atteignit celles de Grèce dans les années 1900, provoquant la destruction de la source de revenus de beaucoup de paysans grecs, la plupart d’entre eux travaillant à leur compte et vivant très modestement18 . Ainsi de plus en plus de Grecs partirent en masse vers le Nouveau Monde, où déjà quelques-uns d’entre eux avaient commencé à monter des petits commerces et à construire un réseau de migrants19 . Si l’on tient compte des besoins économiques de ces deux communautés, on constate que Noirs et Grecs furent en proie aux mêmes techniques de « recrutement » de la part d’agents venant directement dans leurs régions (dans le Sud pour les uns, dans les villages grecs du Péloponnèse notamment pour les autres) pour leur conter les merveilles les attendant dans le Nord ou aux États-Unis en général. En ce qui concerne les Grecs, ces agents étaient généralement appelés des padroni20 : le système de padrone est décrit comme suit par Leara Rhodes : The padrone system involved labor brokers who found immigrants from their own countries to work on the railroads, in the mines and quarries, and in the agriculture. The 16 “The Atlanta Constitution wrote that the migration cost the South “her best labor” force and that the region’s economy suffered greatly”. Clint C. Wilson, “Robert Sengstacke Abbott” (biography), in American National Biography, ed. John A. Garraty and Mark C. Carnes, New York and Oxford: Oxford University Press, vol. 1, 1999, pp. 31-32. 17 “Somebody Lied – When the South Howls About the Race Moving North Does It Forget the Time When It Wanted to Ship 1,000,000 to Africa?”, in The Chicago Defender, le 7 octobre 1916, p. 3. 18 Alexander Kitroeff, Chapitre I : Immigrants, in The Journey. « Phylloxéra » provient par ailleurs du grec, signifiant « feuilles sèches ». 19 Notamment des marchands venus suite à l’indépendance de la Grèce pour recueillir des fonds afin de trouver des fonds pour subvenir aux besoins de la « Grande Idée », la volonté de la Grèce durant les XIX et XXème siècles d’unir tous les Grecs dans un seul État-nation avec pour capitale Constantinople. 20 Un mot italien puisque ce système avait été mis en place par la communauté italienne en Amérique. Labor historian Dan Georgakas, Chapitre I : Immigrants, in The Journey.
  • 10. 10 labor brokers did more than find jobs for the immigrants; they helped with remittances, legal help when needed, and advancing transportation expenses21 . On retrouve une description semblable à propos des contractants qui allaient dans les communautés noires du Sud et qui « colportaient des récits, faisaient des promesses, et offraient leur assistance » ; alors qu’en réalité ces agents-recruteurs profitaient souvent de leur position pour faire travailler les migrants plus que convenu, tout en les payant très peu et en les faisant vivre dans des conditions déplorables22 . Comme nous l’avons mentionné, le deuxième facteur généralement reconnu dans l’analyse des élans migratoires est d’ordre sociopolitique : 30 ans après la fin de la guerre de Sécession, la société profondément raciste – et ce de façon assumée – du Sud des États- Unis, encourageait, entre autres aspects, les lynchages et la ségrégation raciale légale23 . « En cela, les migrants peuvent être considérés comme réfugiés politiques. Dans beaucoup de leurs lettres, il est fait mention de la situation politique et du dégoût qu’ils éprouvent à se sentir politiquement abandonnés »24 . D’ailleurs, comme le notent Diamond et N’Diaye, Stephen Tolnay et E.M. Beck ont montré que les départs vers le Nord « étaient les plus nombreux là où les lynchages étaient les plus fréquents »25 . En Grèce, le pays était instable politiquement : des réfugiés fuirent les deux guerres entre la Grèce et la Turquie soit dans un autre pays méditerranéen, soit en Amérique26 ; un grand schisme lié au contexte de la Première Guerre mondiale divisait la population, entre pro- royalistes et pro-libéraux ; enfin, les guerres balkaniques commencèrent en 1912 et ne prirent fin qu’en 1923. Sur ce dernier point, il peut être intéressant de noter que l’État grec 21 Leara D. Rhodes, The Ethnic Press: Shaping the American Dream, NY: Peter Lang, 2010, p. 110. 22 Charles Simmons, The African American Press, p. 35. L’un des padroni les plus connus de l’histoire grecque en Amérique était Leonidas G. Skliris, le « Tzar des grecs », nommé ainsi car « bien que survenant dans un contexte résolument américain, de par sa position Skliris ne ressemblait à rien de plus qu’un despote ottoman ». Charles C. Moskos, Greek Americans, p. 14. 23 C’est suite à la fameuse affaire Plessy vs. Ferguson (1896) que fut reconnue la constitutionnalité du concept « separate but equal » dans le domaine public. 24 Andrew Diamond; Pap Ndiaye, Histoire de Chicago, p. 144. 25 Tolnay et Beck, « Racial Violence and Black Migration in the American South, 1910-1930 », dans American Sociological Review, 57, pp. 103-116. Cité par Andrew Diamond; Pap Ndiaye, Histoire de Chicago, p. 144. 26 La première guerre gréco-turque est aussi appelée la « guerre de Trente Jours », opposant le Royaume de Grèce et l’Empire Ottoman et déclenchée par une révolte sur l’île de Crète. La seconde guerre, de 1919 à 1922 et résultant en un échange de population entre les deux pays, fut aussi à l’origine d’un mouvement migratoire de réfugiés.
  • 11. 11 savait bien que la communauté grecque des États-Unis suivait les événements de près, et un orateur fut envoyé pour leur demander de venir en renfort. Ce fut un succès puisque beaucoup partirent combattre aux côtés des leurs ; mais ils retournèrent aux États-Unis pour reprendre leur emploi par la suite – une indication qu’ils se sentaient déjà davantage ancrés dans leur pays d’accueil27 . Plus important encore est le fait qu’ils revinrent en Amérique en amenant leurs femmes et éventuellement leurs enfants avec eux. C’est alors que virent vraiment le jour des communautés grecques dont la vie gravitait autour de l’Église Orthodoxe grecque : les circonstances changèrent, et il fut désormais question de reproduction dans le pays. Le troisième facteur que je qualifierai ici d’« imaginaire » traite de ce qui relève du monde rêvé des migrants – rêves personnels mais partageant souvent des caractères communs à ceux des autres, résultant ainsi en un large rêve collectif. En effet les lettres envoyées par les proches ayant eux-mêmes déjà migré jouèrent un rôle important – l’un des plus importants pour Charles Simmons et Charles Moskos28 – dans cette entrevue d’un monde meilleur, et ainsi d’autant plus accessible du fait de la proximité des personnes écrivant ces récits. Dans ces lettres, les migrants racontaient à leurs familles et amis la façon dont ils gagnaient de l’argent, leur vie de tous les jours, et bien souvent ils les poussaient à faire de même et à les rejoindre. L’aspect personnel joignit l’aspect communautaire lorsque les migrants envoyèrent des lettres ailleurs qu’aux proches : aux journaux par exemple. Le Chicago Defender, journal de référence pour les Noirs Américains du Sud désireux de déménager à Chicago et ailleurs dans le Nord, reçut énormément de lettres demandant des informations sur la ville, le coût du transport, les services offerts (notamment l’éducation des enfant)29 … Quant au National Herald, bien que le recueil utilisé soit postérieur à cette époque, on peut également observer des questions de lecteurs relevant souvent de la vie quotidienne, présentant un conflit entre l’identité américaine et l’identité ethnique des Grecs qui demandaient à l’éditeur de les éclairer, lui qui était considéré comme éduqué et ayant accès à de grandes connaissances dans leur pays d’accueil. Ceci contribuait aussi à l’établissement d’une communauté imaginaire, produisant un va-et-vient entre la presse et 27 Alexander Kitroeff, Chapitre I : Immigrants, in The Journey. 28 Charles C. Moskos, Greek Americans, p. 10. Charles Simmons, The African American Press, p. 35. 29 Emmett. J. Scott, “Letters of Negro Migrants of 1916-1918”, in Journal of Negro History, vol. 4, n° 3 (July 1919).
  • 12. 12 les migrants eux-mêmes à l’échelle individuelle, un flot d’informations circulant et entretenant cet imaginaire – ce rêve formé par et pour les migrants. C’est donc sur ce dernier point que l’étude se concentrera, les journaux tenant une grande part dans ce processus. Les facteurs économiques, sociaux et politiques sont bien évidemment très informatifs ; mais toutes ces raisons ne peuvent vraiment rendre compte du discours s’adressant aux migrants, pourtant important lui aussi en ce qu’il créa ou du moins entretint l’idée du rêve. Bien que cette présente étude traite avant tout du rôle des journaux une fois les migrants arrivés à destination, et moins du processus migratoire lui- même comme souhaitât l’évaluer Alan DeSantis, c’est ce qu’explique l’auteur dans son article : Literature dealing with this exodus is dominated primarily by economic determinism and socio-emotional explanations. While both explanations supply valuable insights, both neglect the role of rhetorical discourse in constructing social reality30 . However, for such experiences to be mobilized into action, African Americans had to understand the omnipresence and the intransigence of their oppression and they had to see a way to deliverance. Rhetorical discourse […] created the ideas, images, and narratives through which southern blacks constructed alternative dreams […]31 . Ainsi d’une part, les lettres des migrants envoyées de façon intime contribuèrent à l’élaboration d’un imaginaire personnel ; les lettres et articles publiés dans les journaux ethniques, d’autre part, légitimèrent cet imaginaire dans un espace collectif et enveloppèrent tous ces rêves personnels d’un manteau homogénéisant, produisant un rêve commun à tous. Pour continuer sur la rhétorique et ce qui relève du « mythique », il peut être intéressant et utile de noter que la communauté noire, bien qu’étant reléguée aux marges de la société américaine, appartenait et appartient toujours bel et bien à la société américaine : leur façon de pensée fut autant formée par leur identité ethnique que par la société américaine globale, que les deux soient en conflit ou non – en effet quel que soit le rapport, positif ou négatif, ce rapport existe entre les deux néanmoins. Ceci est d’autant plus vrai pour les générations de Noirs de cette époque nés aux États-Unis, contrairement à leurs ancêtres fraîchement 30 Alan D. DeSantis, “Selling the American Dream Myth”, p. 474. 31 Ibid., p. 476.
  • 13. 13 arrivés enchaînés depuis leur continent africain : l’imaginaire africain-américain est, comme son nom l’indique, compris dans la plus englobante société américaine. Ainsi le concept de « pick up one’s root and move » lié à l’expansion des États-Unis est allié à l’épisode de l’Exode hors d’Égypte comme souvent relaté dans la religion chrétienne – de surcroît dans l’Église noire dans les années de la Grande Migration, l’analogie étant tentante. Les deux aspects créèrent, à eux deux, une mémoire collective au sein de laquelle l’imaginaire africain-américain s’est immanquablement construit, tout du moins en partie. Bien qu’étant d’un continent différent, les Grecs croyaient également qu’ils devaient d’abord compter sur eux-mêmes (le concept de « self-reliance ») et, en ceci, ils étaient ainsi relativement proches de l’idéologie américaine, dérivant parfois d’une méfiance vis-à-vis de l’État et des politiques (d’où, entre autres, leur propension à l’auto-entreprenariat). Aussi les Grecs étaient-ils depuis très longtemps un peuple migratoire, comme l’expliquent Charles Moskos et Eva Sandis : The world of the Greek peasant at the turn of the century was a desperately poor one. Whatever the glories of its classical monuments and the beauty of its seas and mountains, it was a harsh land from which to wrest a living. But, more importantly, the Greeks of the countryside knew they were poor. They made invidious comparisons with the small bourgeoisie and the petty government functionaries of their homeland. The notion of moving to a better place – anticipated in the Greek maritime tradition and Greek entrepreneurship in the cities of the old Ottoman Empire – was already part of a common worldview32 . The tradition of self-reliance and circumvention of government, rather than participation in it, has been noted frequently. [...] Simon reported that "individualism was the accepted route to success" [for Greeks in Astoria], and resulted in the ideological demise of Greek political effort33 . Un autre aspect à prendre en compte est la vague d’immigration dont faisaient partie les Grecs dans les années 1910 : ce qu’on appela les « nouveaux immigrants ». Les siècles précédents, les immigrants venant d’Europe du Nord-Ouest, les « vieux immigrants », s’étaient déjà installés dans les grandes villes comme New York et Chicago, et ils n’accueillirent pas à bras ouverts cette nouvelle vague d’immigration venant d’Europe du 32 Charles C. Moskos, “Greek American Studies”, in The Greek American Community in Transition, Ed. Harry Psomiades; Alice Scourby ,New York: Pella, 1982, p. 37. 33 Eva E. Sandis, “The Greek Population of New York City”, in The Greek American Community in Transition, p. 89.
  • 14. 14 Sud-Est, des immigrants qui avaient des pratiques religieuses différentes, qui n’étaient pas apparentés au groupe anglo-saxon originel. Une stratification au sein-même de la population immigrante se créa : les vieux immigrants étant plus avantagés que les nouveaux immigrants, eux-mêmes plus avantagés que les Africains-Américains récemment arrivés du Sud. Grecs et Africains-Américains, de par leur « nouveauté », firent face à des rejets et des difficultés d’adaptation à différents niveaux. Concernant les Noirs, une série de décisions de la cour Suprême progressives passées au XIXe siècle et une ségrégation non légalisée dans le Nord poussèrent les Noirs du Sud vers le Nord34 . Néanmoins, avec l’accroissement du nombre de migrants en provenance du Sud et une concurrence accrue pour les emplois et le logement, les Noirs à Chicago, de même que la résistance des Blancs à les accepter se retrouvèrent dans la « Black Belt » dans le sud de la ville, dans un « ghetto » noir ainsi marqué par la ségrégation résidentielle. D’autre part, Stanley Lieberson écrit que de manière générale : « although black segregation in 1910 had increased over the preceding decade, their isolation was not as great as that experienced by several of the new European groups […] »35 . Le quartier grec de Chicago, construit autour de Halsted Street, ne communiquait pas avec le quartier noir et, bien qu’étant un foyer ethnique fort, avait la chance d’être situé près de l’institution crée par Jane Addams pour réformer la ville et son habitat et venir en aide aux plus pauvres: Chicago’s Greektown [on the near West side at the “Delta”] was adjacent to Hull House, Jane Addams’ famed settlement project […]. The special attention Jane Addams gave to Greek immigrants and her espousal of Greek culture did much to buttress the ethnic pride of the sorely tried Greek immigrants of Chicago36 . À New York, les deux quartiers noir et grec étaient respectivement Harlem, au nord de Manhattan, et Astoria, dans le Queens – ce dernier étant bien moindre en concentration que celui de Chicago, mais il donna néanmoins naissance aux deux plus importants journaux grecs et à l’Église grecque Orthodoxe d’Amérique37 . 34 Le 13ème amendement en 1865 abolissant l’esclavage ; le 14ème amendement en 1868 donnant des droits juridiques à tous les hommes, quelle que soit leur race ; et le 16ème amendement en 1870 donnant le droit de vote aux hommes noirs. 35 Stanley Lieberson, A Piece of the Pie: Blacks and White Immigrants Since 1880, 1980, Berkeley: University of California Press, pp. 263-264. 36 Charles C. Moskos, Greek Americans, p. 21. 37 Charles C. Moskos Jr, “Greek American Studies”, in Harry J. Psomiades, Alice Scourby, The Greek American Community in Transition, New York: Pella, 1982, p. 40.
  • 15. 15 Ces enclaves n’étaient pas uniquement un pur produit de la discrimination pour autant : elles étaient aussi des lieux où les migrants pouvaient se « serrer les coudes », s’entraider entre personnes vivant les mêmes difficultés et partageant les mêmes pratiques culturelles. Comme l’écrit Andrew Diamond à propos de la « Black Belt » de Chicago : « elle était à la fois le produit de la ségrégation raciale séparant l’Amérique blanche de l’Amérique noire (et par-là fabriquant progressivement l’identité racialisée blanche), et un lieu où les Africains-Américains donnaient du sens à leur vie »38 . Les migrants créèrent ainsi des institutions et entreprises qui leur serviraient de point de ralliement, et ce afin d’entretenir une identité et une économie communautaires : églises, associations et entreprises à caractère plus commercial verraient le jour afin de subvenir aux besoins des migrants et les aider à s’adapter à leur nouvel environnement urbain ; mais aussi et surtout, des journaux ethniques furent créés. L’articulation opérant entre ces institutions et les journaux sera un autre point important de notre analyse. Les migrants noirs avaient effectivement plus de liberté pour entreprendre que dans le Sud, où « [t]he white landowner told them what crops to plant and when to plant them, provided them with tools and living quarters, gave them what few welfare they might expect, and possessed sole political power »39 . Cependant, ces efforts étaient peu récompensés en regard des entreprises équivalentes Blanches, puisque d’une part beaucoup de ces migrants étaient employés dans des entreprises blanches ; d’autre part, beaucoup de ces institutions ethniques n’avaient pas accès aux ressources nécessaires, les banques ne prêtant pas facilement aux entrepreneurs noirs par exemple : « [black] businesses were, by white standards, small, unstable, and underfinanced » 40 . C’est bien pour cette raison que quasiment tous les journaux noirs ayant tenté l’aventure furent de courte durée de vie – jusqu’au Chicago Defender. 38 Andrew Diamond, Pap Ndiaye, Histoire de Chicago, p. 137. 39 Allan H. Spear, Black Chicago, The Making of a Negro Ghetto 1890-1920, Chicago & London: University of Chicago p. 225. 40 Ibid, p. 227.
  • 16. 16 Les Grecs, quant à eux, se tournaient plus vers les ressources de leur propre communauté41 , un fait d’ailleurs encouragé par leur presse ethnique42 . Aussi, bien que les migrants grecs vinssent de contrées agricoles qui leur rapportaient peu, contrairement aux Africains- Américains, ils n’avaient cependant pas été systématiquement opprimés et n’avaient pas un passé esclavagiste. Ainsi, libres, ils étaient habitués à l’esprit d’entreprenariat – c’est en tous cas l’argument avancé par un archiviste de Ellis Island, George Tselos, quant à la prévalence des petites entreprises visibles dans le monde grec des États-Unis au début du XXe siècle : I believe that it has a lot to do with the nature of the economy that the Greek immigrants came from: in the countryside, Greek peasants were, for the most part, small landowners. They were not servants, they were not tenant farmers: they grew their own crops – with olives they made olive oil, with grapes they made wine – and they sold these in a market economy. This experience with the market economy, and being one’s own economic employer – whether it is on the land or in a small shop – carried over to their ideals in this country43 . Quant aux journaux ethniques, certains avaient déjà vu le jour par le passé avec les premiers immigrants : bien avant la guerre d’indépendance, en 1739, le premier journal ethnique fut une publication allemande, le Germantown Zeitung, qui passa petit à petit d’un semestriel à un trimestriel puis à un mensuel. S’en suivit le premier journal africain- américain, le Freedom’s Journal, fondé par trois africain-américain de New York, vit le jour le 16 mars 1827, avec pour ferme vocation de représenter et défendre la communauté noire américaine trop souvent accusée à tort d’être mal-éduquée et violente44 . D’autres virent le jour : la seconde nationalité à publier fut la Norvège, dans le Wisconsin, en 1847 ; puis les suédois, les danois, les hollandais et les suisses firent leur apparence dans les années 1850 et 1860 – tous appartenant donc à la première vague d’immigration d’Europe du nord-ouest45 . Par la suite quelques journaux de réfugiés italiens, polonais, tchèques et 41 Certes, celles-ci n’étaient pas forcément considérables : beaucoup commençaient donc avec un simple chariot ambulant pour vendre leurs légumes, par exemple. Alexander Kitroeff, Chapitre I : Immigrants, in The Journey. 42 Charles Jaret, “The Greek, Italian and Jewish American Ethnic Press: A Comparative Analysis”, in Journal of Ethnic Studies, 7:2 (Summer 1979), p. 65. 43 George Tselos, The Journey: The Greek American Dream, Chapitre I: “Immigrants”. 44 Chapter I, “Too Long Have Others Spoken for Us”, in The Black Press, Soldiers without Swords, dir. Stanley Nelson, 1999, 86 min. 45 Jerzy Zubrzycki, “The Role of the Foreign-Language Press in Migrant Integration”, in Population Studies, Vol. 12, No. 1 (July 1958), p. 74.
  • 17. 17 hongrois, fuyant les révolutions de 1849, furent également créés au milieu du XIXe siècle46 . Ce n’est qu’avec le début de la vague massive venant d’Europe du sud-est que fut fondé le tout premier journal ethnique grec, à Boston, en 1892 : le Neos Kosmos [Nouveau Monde]47 . Mais en effet, comme l’écrit Jerzy Zubrzycki: Perhaps the most important single characteristic of the foreign-language press has been its high mortality. For example, in the U.S.A. between I884 and I920, 3 444 new papers were started and 3 I86 discontinued. The peak of the development of the foreign- language press was reached during World War I when approximately I 350 journals were reported using 36 different languages48 . Aussi cette époque fut importante au niveau de l’histoire de la presse ethnique, puisque cet afflux massif de migrants appela de façon plus importante à une presse pour les représenter et les aider – et ce fut une rupture avec les schémas habituels précédents d’une presse ethnique à courte durée de vie en raison souvent d’un manque de fonds. En effet la presse grecque, en ce qui la concerne, connaîtrait sa véritable heure de gloire dans les années 192049 . Les deux journaux qui nous intéressent naquirent à ce moment-là : le Chicago Defender en 1905, commençant à acquérir une vraie notoriété surtout à partir de 1910 ; et le National Herald en 1915. Acteurs majeurs de la vie sociale et politique quotidienne de leurs communautés, ce média de masse que représente la presse quotidienne était d’autant plus banal et commun à l’époque qu’il est ainsi important pour notre compréhension de cette période. Ce furent également les années de gloire de ces deux journaux : le Chicago Defender fut largement considéré comme un élément moteur et direct de la Grande Migration, et un outil d’adaptation important à Chicago, à travers l’utilisation d’une rhétorique forte, de bande- dessinées politisées, l’utilisation de profils de Noirs Américains ayant « réussi » et par ses nombreuses annonces d’emplois, comme nous le verrons. Le journal a même attiré, de 1919 à 1922, le talent littéraire de Langston Hughes. D’autre part, cette période vit le plus grand taux de circulation dans la presse ethnique grecque, l’apogée pour le National Herald 46 Jerzy Zubrzycki, “The Role of the Foreign-Language Press”, p. 75. 47 Victor Papacosma, "The Greek Press in America", in Journal of the Hellenic Diaspora, 5, n°4, winter 1979, p.46. 48 Jerzy Zubrzycki, “The Role of the Foreign-Language Press”, p. 76. 49 Charles C. Moskos Jr, “Greek-American Studies”, p. 44.
  • 18. 18 survenant en 192050 , qui lui aussi usait sensiblement des mêmes procédés afin d’attirer le lectorat grec et l’aider à s’adapter à la ville. Dans sa recherche sur la presse ethnique, Zubrzycki écrit : « [i]n a typical foreign-language newspaper space is allotted among five major divisions: news of the country of settlement, world news, home-country news, group life and interests, editorial feature »51 . Nous verrons que ces éléments se retrouvent dans l’un comme l’autre journal, montrant ainsi les similarités de ces journaux, dont les communautés sont pourtant rarement rapprochées dans les écrits universitaires, si ce n’est pour souligner leurs différences. Cette presse sur laquelle les migrants comptaient créa un sentiment d’appartenance et aida les migrants à visualiser, à imaginer leur propre communauté au sein de la plus englobante société américaine. C’est à partir du concept de Benedict Anderson que nous développerons cette idée : celle de communautés imaginaires52 , qui, selon Anderson, se sont développées avec la naissance des États-nations, dont les membres ne se sont jamais rencontrés mais qui partagent une perception horizontale d’eux-mêmes en tant que tout, en tant que camarades d’un même groupe sans hiérarchie verticale – une perception relayée par la presse nationale. Ce concept est intéressant ici, car très utile pour la compréhension de l’impact de la presse sur la réalité sociale des populations – cet outil de masse qu’Anderson qualifie de « capitalisme imprimé ». En effet la presse eut (et a) une grande influence dans le développement des schémas culturels, religieux et idéologiques au sein d’une communauté. Pour notre étude, cette communauté ne sera pas la nation américaine, mais les communautés ethniques d’immigrés et de migrants dans le Nord-Est du pays ; la presse ne sera pas la presse nationale, mais bien la presse ethnique, importante pour les communautés de migrants grecs et noirs qui, d’une part, ne se reconnaissaient pas dans la presse « standard » nationale, mais qui d’autre part étaient tout de même suffisamment nombreux pour ne pas tous se connaître, formant ainsi une communauté imaginaire. Ce concept fut remanié par Arjun Appadurai, qui, au vu de l’essor des nouvelles technologies, propose une définition allant au-delà des nations pour s’appliquer à des 50 S. Victor Papacosma, “The Greek Press in America”, p. 54. 51 Jerzy Zubrzycki, “The Role of the Foreign-Language Press”, p. 76. 52 Benedict Anderson, Imagined Communities; Reflections on the Origin and Spread of Nationalism, London & New York: Verso, 2006 [1983].
  • 19. 19 communautés transnationales : les diasporas d’aujourd’hui n’impliquent plus nécessairement (et ce de moins en moins) une relative rupture de contact avec la mère- patrie des migrants, créant par-là une dualité (pour ne pas dire pluralité) de sentiments d’appartenances nationales. Aujourd’hui de nombreuses formes de communication à l’étranger existent, et les moyens de transports eux-mêmes se sont développés et sont relativement abordables et faciles d’accès si bien que l’information circule librement et instantanément, permettant l’illusion d’ « être là-bas sans être là », en quelque sorte. C’est précisément cette période de transition entre deux ères que représentaient la fin du XIXe siècle : placé après le temps des aventuriers et des migrants partant refaire leur vie au Nouveau Monde, signifiant une rupture avec le lieu d’origine, mais placé avant nos temps contemporains où il est possible de vivre à l’étranger tout en gardant un contact quotidien avec le lieu d’origine. Cette époque qui vit une évolution de la presse et des médias due à une forte demande ethnique représentait un entre-deux où les migrants pouvaient garder un contact différé avec leur mère-patrie, que ce soit via les lettres personnelles ou via un journal communautaire offrant une vue globale sur la société du pays d’origine. Ainsi l’identité nationale était perpétuée, bien que le migrant se trouvât très loin géographiquement. Enfin, le choix de restreindre la recherche à Chicago et New York découle du fait que c’étaient les destinations phares de ces deux communautés (et d’autres), avec la plus forte concentration de migrants noirs américains et grecs, résultant naturellement en la création des deux journaux ethniques de cette étude53 . Il était également nécessaire de se restreindre à une même région, les conditions étant bien différentes pour toutes les communautés ethniques d’un État à l’autre, du nord au sud et d’est en ouest. L’homogénéisation de la perception des expériences en fonction de l’appartenance raciale ou ethnique est une pratique dangereuse contre laquelle plusieurs auteurs mettent en garde, comme Kenneth Kusmer tel que cité par Suzanne Model dans son étude sur les migrants noirs des îles caribéennes en Amérique du Nord : All types of conditions existed, from high levels of integration in Boston, New Haven, and Cleveland to segregated or quasi-segregated facilities in Indianapolis, Gary, and 53 Pour les Grecs, c’est d’ailleurs Chicago qui offrait la concentration géographique la plus élevée d’Amérique du Nord. Charles Moskos, Greek Americans, p. 21.
  • 20. 20 most parts of southern and central Ohio, Indiana, and Illinois. The situation in most cities lay somewhere between these alternatives, with integration limited by both school board policies and, increasingly after 1917, by de facto segregation due to the growth of ghettos54 . Au niveau déjà restreint de la ville, les conditions sont bien différentes au sein du groupe- même : le fait d’appeler les groupes de nouveaux arrivants des « immigrants » implique déjà une homogénéisation de cette catégorie, qui ne rend pas compte de toutes les nuances que l’on peut y trouver. On parle souvent de la méprise qu’entretenaient les « vieux » immigrants européens à l’égard des « nouveaux » immigrants, considérés comme mal éduqués et illettrés ; or un phénomène moins relayé, et dont nous parlerons plus en détail par la suite ici, est la discrimination au sein des mêmes communautés ethniques. En effet une partie des Noirs nés et installés dans l’Illinois préalablement à ceux émigrant du sud avaient accédé à des statuts plus élevés et constituaient une couche de classe moyenne qui pratiquaient l’entre-soi – dont Abbott, l’éditeur et fondateur du Chicago Defender, faisait d’ailleurs partie55 . La même méfiance pouvait s’observer de la part des migrants grecs qui étaient venus avant la grande vague de migration et qui avaient déjà commencé et développé leurs entreprises, relativement peu nombreux et donc également mieux intégrés56 . Les uns comme les autres avaient honte de voir arriver autant d’autres migrants en masse – du Sud et de Grèce – et là aussi, les journaux (généralement tenus par des immigrants éduqués, des « élites ») jouèrent un rôle dans l’éducation de ces migrants aux façons de faire considérées comme acceptables et de bon ton dans le Nord américain. Ainsi, les journaux ethniques ne furent pas simplement des vecteurs d’une culture, mais bien d’une culture de classe moyenne, opérant du haut vers le bas comme partout ailleurs. Quant au caractère comparatif de cette étude, le but principal était de rapprocher deux communautés qui sont rarement étudiées ensemble. La littérature existante traite 54 Kenneth L. Kusmer, “The Black Urban Experience in American History”, in The State of Afro-American History: Past, Present and Future, ed. Darlene Clark Hine, Baton Rouge: Louisiana State University Press, 1986, pp. 99-100. Cité par Suzanne Model, “The Secret of West Indian Success”, in Society, Vol. 45 (Nov. 2008), Issue 6, pp. 544-548. 55 Brian Carroll, “From Fraternity to Fracture: Black Press Coverage of and Involvement in Negro League Baseball in the 1920s”, in American Journalism, 23 (2), 2006, p. 74. 56 Yiorgos Anagnostou, “Forget the Past, Remember the Ancestors! Modernity, “Whiteness,” American Hellenism, and the Politics of Memory in Early Greek America”, in Journal of Modern Greek Studies, Vol. 22, No. 1 (May 2004), p.55. Wallace D. Best, Passionately Human, No Less Divine: Religion and Culture in Black Chicago, 1915-1952, Princeton and Oxfordshire: Princeton University Press, 2005, pp. 35-39.
  • 21. 21 généralement ces deux sujets de façon séparée et monographique57 , ou bien l’un ou l’autre en comparaison avec les autres communautés migrantes européennes en tant que tout58 , ou encore du rôle de la diaspora aux États-Unis en relation avec le pays d’origine59 ... Bien évidemment, l’arrivée dans les grandes villes étatsuniennes de ces deux communautés diffère grandement par leur nature – les uns amenés contre leur gré en tant qu’esclaves dès le XVIIe siècle, les autres en tant qu’hommes libres réfugiés politiques à partir du début du XIXe siècle60 ; seulement, comme nous l’avons vu avec les histoires de ces populations au début du XXe siècle, on peut constater que les développement d’un phénomène ne sont pas nécessairement synthétisables à son origine. L’Histoire étant un tissu discontinu et à qui nous seuls donnons un sens avec notre rétrospective, aussi l’Histoire peut-elle avoir plusieurs sens selon les paramètres que nous choisissons pour une telle rétrospective. Cette étude justifie donc sa nature comparative, premièrement, pour contrer un certain courant de sociologues et historiens réfutant toute tentative de comparaison entre les communautés noires et européennes 61 , eux qui « insistaient sur la singularité de l’expérience noire, qu’il n’était pas possible d’assimiler aux autres expériences historiques des groupes migrants venus d’Europe en raison de la ségrégation raciale »62 . Une telle position ne laisse pas de place à la nuance, et favorise une lecture binaire des événements en soulignant un peu plus certaines particularités et en en ignorant d’autres. En effet, Allan Spear écrivait: « [u]nlike the Irish, Poles, Jews, or Italians, [blacks] banded together not to enjoy a common linguistic, cultural, and religious tradition, but because a systematic pattern of discrimination left them no alternative »63 . Bien qu’il y ait assurément une grande part de vérité dans cette description, cela laisse le lecteur imaginer, d’une part, que les immigrants européens ont tous vécu une expérience similaire et n’ont pas connu de discrimination, et d’autre part que la communauté noire subissait seulement une ségrégation sociale. Une telle conception prive la communauté noire d’un statut d’acteur, en la 57 Voir les écrits de Stephen Robertson, Taylor Duhran, Wallace D. Best, Allan H. Spear ; et Giorgos Anagnostou, S. Victor Papacosma, Charles Moskos, J.P. Xenides… 58 Voir les écrits de Stewart E. Tolney, Charles Jaret, Stanley Lieberson, Elliott Robert Barkan… 59 Voir les écrits de George Kaloudis, Carole Marks, Theodore Saloutos, Ioanna Laliotou… 60 Frederick Binder; David M. Reimers. All the Nations Under Heaven, p. 105. 61 Notamment Allan H. Spear dans Black Chicago, et Horace Cayton et St. Clair Drake dans Black Metropolis: A Study of a Negro Life in a Northern City, Chicago: University of Chicago Press, 1945. 62 Andrew Diamond; Pap Ndiaye, Histoire de Chicago, p. 132. 63 Allan H. Spear, Black Chicago, p. 228.
  • 22. 22 reléguant au simple statut de victime de l’Histoire. De la même façon que les Grecs avaient peut-être d’autres raisons que de simples affinités culturelles pour créer des enclaves ethniques – Greektown à Chicago, et le quartier d’Astoria, dans le Queens, à New York – aussi les Africains-Américains avaient-ils d’autres motivations que la ségrégation raciale pour créer leurs propres enclaves – la « Black Belt » et le « Bright Lights District » à Chicago, et Harlem à New York. Bien évidemment, leurs histoires ne sont pas interchangeables ; mais il est dangereux parfois d’attacher plus d’importance aux différences qu’aux similitudes, de creuser les écarts par l’ignorance quelque peu intentionnelle de certains faits, créant par là une perception généralisante et non nuancée qui, à force de répétition, devient acceptée comme étant la vraie et unique possibilité de lire l’Histoire. Plus récemment, d’autres chercheurs ont tout de même souhaité mettre ces deux communautés en comparaison, comme ici Stanley Lieberson dont la motivation est de découvrir pourquoi les immigrants européens ont-ils « réussi » aujourd’hui dans la société américaine plus que les Africains-Américains. Cette expression est employée par Lieberson sans réelle définition64 , mais au vu de la recherche de l’auteur nous pouvons raffiner la portée de ce terme comme concernant les thèmes de l’éducation, le statut d’occupation, le salaire et la représentation et l’influence politiques. Toutefois le champ d’étude que s’assigne l’auteur est particulièrement vaste – un terrain aussi étendu que les États-Unis présente des expériences bien différentes selon les régions et ne permet pas la généralisation, comme nous l’avons déjà mentionné; l’auteur traite également de beaucoup de domaines différents à la fois : éducation, représentation et participation politique, ségrégation spatiale, politique étrangère, institutions publiques et associations… et beaucoup de généralisations sont tirées à partir de faits particuliers. C’est le cas notamment dans le chapitre traitant de la relation des nouveaux immigrants européens avec le gouvernement : son étude de la communauté italienne, « Italians » p.78, résulte directement en « [q]uelques généralisations basées sur l’expérience italienne » p.81. Dans ce chapitre sur les nouveaux européens, seuls les Italiens, Juifs et Polonais sont en fait étudiés en profondeur. 64 “It is clear that the new Europeans have “made it” to a degree far in excess of that which would have been expected or predicted at the time of their arrival here.” Stanley Lieberson, A Piece of the Pie: Blacks and White Immigrants Since 1880, Berkeley: University of California Press, 1980, p. 2.
  • 23. 23 Il est en effet très commun de traiter des nouveaux immigrants européens – et notons qu’il en va de même pour les anciens immigrants européens, bien que ce ne soit pas notre sujet ici – en tant que groupe homogène. Il est pourtant gênant de voir que différents pays soient considérés selon le même critère unique : celui de venir du même continent. Au mieux, comme le fait Lieberson – mais il est loin d’être le seul à le faire – certaines nationalités sont mises en avant, qui sont souvent, comme ici, les Italiens et les Juifs, qui sont alors considérés comme ayant eu le plus d’impact sur la société américaine. Mais n’est-ce pas une vue biaisée qui change tout à fait le résultat que l’on tente de démontrer, que de prendre les communautés les plus influentes pour démontrer l’influence de toutes les communautés européennes ? Autrement dit si l’échantillonnage est réalisé de façon partiale dès le départ, les résultats de l’enquête seront naturellement faussés. Or, toutes les nationalités européennes sont loin d’avoir vécu une expérience similaire. Un exemple de fausse assomption à partir d’un mauvais échantillonnage est de dire que les Africains-Américains étaient refusés par les syndicats ouvriers tandis que les « nouveaux » européens étaient représentés, comme l’attestent les nombreux syndicats créés par des Italiens notamment. Si l’on se base sur l’expérience italienne, cela laisse penser que tous les européens étaient représentés syndicalement, contrairement aux Noirs. Pour notre étude, il sera donc intéressant de préciser que les différences culturelles entre pays européens ont, là aussi, eu une influence sur les façons de s’organiser des travailleurs : en effet bien que les Grecs ne subissaient pas le discrimination à hauteur de ce que connaissaient les Noirs, la différence d’avec les Italiens est que la philosophie grecque était quelque peu plus proche de l’idée de « self-reliance » américaine comme nous l’avons vu : ainsi les Grecs n’eurent pas vraiment de présence dans les activités syndicales car ce n’était simplement pas dans leur façon de faire65 . Ainsi, bien que les causes soient différentes, il en reste que les Grecs comme les Africains-Américains n’étaient pas représentés syndicalement, ou en tous cas à moindre mesure que d’autres nationalités européennes. Ces deux communautés ont ainsi des histoires différentes mais pas opposées. L’aspect comparatif de cette étude étant désormais clarifié, nous tenterons par la suite d’observer les 65 Charles C. Moskos, Greek Americans, p. 20.
  • 24. 24 sphères d’influence des deux journaux ethniques sur leur communauté, qui selon William L. Joyce tiennent les fonctions suivantes: (1) Fournir de l’information sur la société d’accueil. (2) Garder contact avec le pays ou la région d’origine. (3) Donner des informations sur la communauté ethnique et la phase de transition entre les deux cultures, entre les deux sociétés. (4) Interpréter les développements politiques, économiques, sociaux et culturels selon une perspective particulière. (5) Articuler les intérêts du groupe ethnique vis-à-vis de la nouvelle société et de l’ancienne66 . Deux types de sources primaires ont été utilisés pour cette recherche, dont la plupart furent disponibles à la bibliothèque de New York University où j’ai passé le premier semestre : les premières sont les archives des deux journaux mentionnés. Le choix d’articles et de publicités s’est fait suivant certaines grandes dates communes aux deux journaux (comme l’entrée en guerre des États-Unis en 1917 ou des fêtes nationales) ou bien des dates importantes pour chaque communauté (comme certains lynchages très relayés dans les médias, des émeutes raciales ou des fêtes ethniques telles que la Pâques grecque orthodoxe). Afin d’agrémenter ces recherches, quelques articles furent également recueillis de façon aléatoire. Les sources primaires étaient d’autant plus importantes dans le cas du National Herald que les sources secondaires le concernant étaient moins nombreuses, contrairement au Chicago Defender. Enfin, le problème du temps lui-même fut également une contrainte à prendre en compte, puisque l’accès aux archives sous forme de microfilms du quotidien grec n’était accessible que sur place à New York University – c’est-à-dire pour moi jusqu’à décembre 2014. Une cinquantaine de fichiers, pour les deux journaux, ont pu être scannés et archivés pour utilisation personnelle. L’autre source primaire principale consiste en deux recueils de lettres de migrants envoyées à chaque journal ; celui pour le Chicago Defender ayant été mis en forme par Emmet Scott, celui pour le National Herald par Euthyfronos Ioannidou, et publié par le journal lui- 66 William L. Joyce, Editors and Ethnicity: A History of the Irish American Press, 1848-1883, New York: Arno Press, 1976, p. 27.
  • 25. 25 même67 . Il est à noter cependant que, tandis que les lettres du premier recueil datent de la Grande Migration, les lettres du second datent malheureusement du deuxième semestre de l’année 1943. On y trouve néanmoins de nombreuses lettres attestant de la centralité du sujet de bi-nationalisme, d’un besoin de l’adaptation de l’identité ethnique à l’identité citoyenne ; qui plus est, certaines lettres se réfèrent également aux événements sociopolitiques du début du XXe siècle qui nous intéresse. Enfin, la littérature concernant les diasporas grecque-américaine et africaine-américaine, la presse ethnique, et les presses grecque et noir aux États-Unis furent également d’une grande aide. La presse ethnique fut un instrument majeur dans l’assimilation des communautés migrantes fraîchement débarquées dans les villes du Nord des États-Unis, mais aussi et surtout un instrument de rétention culturelle. Au même titre que les communautés qu’ils représentaient, le Chicago Defender et le National Herald étaient-ils alors si différents ? À travers une analyse comparative de ces deux journaux, nous tenterons de déterminer les procédés et buts communs et différents aux deux, nous renseignant ainsi sur leur nature. Cette étude débutera chronologiquement : par l’origine des deux journaux, en posant les bases de la motivation de leurs fondateurs derrière leur création et la façon dont ils furent financés ; nous nous attacherons ensuite à l’articulation entretenue entre cette institution de la presse ethnique et les autres institutions migrantes et ethniques de cette époque, en tant qu’éléments d’intégration ou la rétention culturelle ; puis nous tenterons d’évaluer les enjeux sous-jacents à de tels procédés, tels que des questions de classes sociales ou d’allégeance nationale, avant de terminer sur l’œuvre de Benedict Anderson avec laquelle nous déterminerons la capacité de création de « communautés imaginaires » de la part de la presse. 67 Emmett. J. Scott, “Letters of Negro Migrants of 1916-1918”, in Journal of Negro History, vol. 4, n° 3 (July 1919). Ioannidou, Euthyfronos G. Το Ελεύθερον Βήμα [The Free Tribune], New York : The National Herald, April 1944.
  • 26. 26 PARTIE I: CONSTRUCTION D’UN EMPIRE DANS UN EMPIRE Chapitre 1 : Les fondateurs Nous ne sommes jamais mieux servis que par nous-mêmes. Ce pourrait être en tous cas l’une des raisons du succès des journaux tels que The Chicago Defender et The National Herald en ce qui concerne les communautés migrantes noires et grecques de Chicago et New York City: tous deux furent fondés par des migrants. Qui de mieux pour apprécier les conditions de vie et connaître les besoins des nouveaux migrants que des personnes ayant partagé cette expérience auparavant ? Le fondateur et éditeur du Chicago Defender était Robert Sengstacke Abbott, né le 24 novembre 1870 à Frederica sur St Simons Island, une enclave ethnique noire juste en dehors de Savannah, en Géorgie68 . Cette île fut un centre de production de coton réputé durant l’ère des plantations cotonnières jusqu’à la guerre de Sécession, ainsi les Africains- Américains étaient très présents, comme dans le reste des États esclavagistes ; des cultures de riz existaient également le long de la rivière Altamaha69 . La ville de Savannah quant à elle était historiquement une ville portuaire bien développée, et très peuplée – et donc stratégique en temps de guerre – aussi était-elle une zone de choix commercialement parlant pour les immigrants européens. Ses deux parents étaient d’anciens esclaves ; son père mourut lorsqu’il avait un an. Sa mère épousa John Sengstacke, dont le père était un riche marchand Allemand qui avait acheté la liberté d’une esclave africaine-américaine avant de l’épouser. John Sengstacke avait été 68 Alan D. DeSantis, “Selling the American Dream Myth to Black Southerners: The Chicago Defender and the Great Migration of 1915-1919”, in Western Journal of Communications, 62(4) (Fall 1998), p. 477. Clint C. Wilson, “Robert Sengstacke Abbott” (biography), in American National Biography, ed. John A. Garraty and Mark C. Carnes, New York and Oxford: Oxford University Press, vol. 1, 1999, p. 31. 69 “St. Simons Island History”, site web officiel de l’île, <http://www.explorestsimonsisland.com/St_Simons_History.html>, extrait le 15 mars 2015.
  • 27. 27 envoyé faire son éducation en Allemagne, puis il revint aux États-Unis en 1869, où il rencontra la mère d’Abbott, une de ses employées – qui parlait allemand de par ses diverses expériences de travail dans des commerces de la ville tenus par des immigrants allemands70 . Ils déménagèrent à Woodville en 187671 . Issu d’une famille où l’éducation était importante et les dictats sociaux importaient guère, John Sengstacke avait la fibre d’un entrepreneur et était polyvalent – c’était le curé, l’éducateur et le « sage » de la ville72 – et fut source d’inspiration pour son fils adoptif : « [he] pursued careers in education, the clergy, and journalism. In the latter role Sengstacke became editor of the Woodville Times, a black community weekly newspaper that served Savannah-area residents. Abbott’s admiration for his stepfather inspired him to add the name Sengstacke to his own and to attempt to become a publisher in his own right »73 . Cet environnement familial le poussa à faire des études, et ainsi il partit étudier l’imprimerie quatre ans au Hampton Institute en Virginie. Comme le note Clint Wilson : « [H]is experience there included opportunities to hear two charismatic black speakers, Frederick Douglass and Ida B. Wells, who influenced him to seek a leadership role in the development of civil rights for black Americans »74 . Son beau-père, puis ses rencontres à l’université aiguisèrent en effet son envie pour l’entreprise qu’il allait fonder lui-même plus tard : un journal créé pour promouvoir l’avancement des Noirs Américains et redonner une voix à cette tranche opprimée de la société étatsunienne. En effet il devint de plus en plus frustré par la discrimination raciale régnant dans l’industrie de l’imprimerie, et déménagea à Chicago où il obtint un diplôme de droit au Kent College of Law en 1899, et où il était le seul étudiant noir de sa classe de 70 élèves75 ; « but because of race prejudice in the United States [he] was unable to practice, despite attempts to establish law offices in Gary, 70 Mark Perry, “Robert S. Abbott and the Chicago Defender: A Door to the Masses”, in The Michigan Chronicle, October 10, 1995. 71 “Mapping the Stacks, A Guide to Black Chicago’s Hidden Archives”, sur le site web de l’Université de Chicago, <http://mts.lib.uchicago.edu/collections/findingaids/index.php?eadid=MTS.abbottsengstacke#idp49133168>, extrait le 10 mai 2015. The Paper Trail: 100 Years of the Chicago Defender. WTTW Chicago Public Media, présenté par Harry Lennix, 2005, 62 min. 72 Alan D. DeSantis, “Selling the American Dream Myth”, p. 477. 73 Clint C. Wilson, “Robert Sengstacke Abbott”, p. 31. 74 Idem. 75 “Mapping the Stacks, A Guide to Black Chicago’s Hidden Archives”, Université de Chicago.
  • 28. 28 Indiana, Topeka, Kansas, and Chicago, Illinois » 76 . Il revint donc pour un temps à Woodville, puis repartit à Chicago en 1901 à l’âge de 31 ans, cette fois pour fonder le Chicago Defender, dans cette ville où résidaient alors 30 000 Africains-Américains77 . Abbott se souciait fondamentalement du bien-être d’autrui, que ce soit à grande échelle comme par son engagement pour la cause des Africains-Américains ou à l’échelle de sa famille et entourage qu’il aidait volontiers – qu’ils fussent d’anciens propriétaires esclavagistes du côté de son père biologique, ou même des parents par alliance en Allemagne qui, pourtant étaient devenus Nazis78 . Il récompensa également la générosité d’Henrietta Lee, son ancienne propriétaire qui l’aida durant les premiers temps où Abbott commençait son journal, en lui achetant plus tard une maison avec huit pièces79 . Il était aussi franc-maçon, et, notamment dans les dernières années de sa vie, après avoir été frustré par la discrimination raciale autant au sein de l’Église épiscopale que l’Église presbytérienne, il devint adepte de la foi Baha’i qu’il jugea plus tolérante et libre de tels préjugés80 . Cette religion récente ne possède en effet aucun clergé, et est gouvernée par différents conseils élus, au niveau local et national81 . Il avait assisté à une première conférence à Chicago sur ce groupe religieux à la Hull House de Jane Addams, où son fondateur Baha’u’llah (1817-1892) parla en 191282 , puis il assista à d’autres manifestations en 1924, avant d’y adhérer complètement en 193483 . Il créa un mensuel, le Abbott’s Monthly, qui ne survécut cependant que de 1930 à 1933 à cause de la Grande Dépression affectant toutes les ventes à cette période84 . Dans tous les cas le Chicago Defender était déjà devenu une source de revenus importante pour Abbott depuis 1918, le propulsant sur la scène des leaders africains-américains de la ville aux côtés de W.E.B Du Bois et Marcus Garvey. Abbott devint millionnaire en 1929, et bien que la 76 “Robert Sengstacke Abbott”, section “biographies” du site web de PBS, <http://www.pbs.org/blackpress/news_bios/abbott.html>, extrait le 30 avril 2015. 77 Clint C. Wilson, “Robert Sengstacke Abbott”, pp. 31-32. 78 Mark Perry, “Robert S. Abbott and the Chicago Defender”. 79 “Mapping the Stacks, A Guide to Black Chicago’s Hidden Archives”, Université de Chicago. 80 Mark Perry, “Robert S. Abbott and the Chicago Defender”. 81 Site web de la religion ba’hai, <http://www.bahai.org/>, extrait le 14 mai 2015. 82 Idem. 83 “Mapping the Stacks, A Guide to Black Chicago’s Hidden Archives”, Université de Chicago. 84 “Abbott’s Monthly: A Magazine That’s Different”, site web du Black Press Research Collective, <http://blackpressresearchcollective.org/abbotts-monthly-a-different-type-of-magazine/>, extrait le 4 mai 2015. “Mapping the Stacks, A Guide to Black Chicago’s Hidden Archives”, Université de Chicago.
  • 29. 29 dépression ait des conséquences négatives sur le journal, il arriva à le maintenir à flots. Abbott mourut le 29 février 1940 à Chicago de la maladie de Bright (une insuffisance rénale chronique) et céda le contrôle de son journal à son neveu et héritier, John Sengstacke85 . Le fondateur du National Herald grec quant à lui, Pétros Tatanis, était né en 188486 dans la ville d’Amaliada dans l’Ouest du Péloponnèse (Sud-Ouest de la métropole grecque) ; son passé familial reste malheureusement méconnu. En revanche, la région et sa ville sont connues pour avoir été historiquement très ouvertes sur l’extérieur : de par les colonisations successives Amaliada était à forte influence arabe et albanaise ; comparée aux alentours montagneux, la région était un pôle d’attraction de par ses plaines fertiles et ainsi les gens de toutes les régions environnantes qui se retrouvèrent là créèrent leurs églises. La culture du raisin, des citrons et des olives firent partie de l’économie principale de cet endroit87 . La ville connut davantage d’exposition à partir de la mise en place d’un chemin de fer reliant la grande ville de Patras à Pyrgos – Amaliada se trouvant entre les deux. Par ailleurs, la ville de Patras est jumelée avec Savannah en Géorgie88 . À partir de 1922, elle fut également un havre pour de nombreux réfugiés d’Asie Mineure – comme l’ont été les États-Unis pour certains d’entre eux. Cette ville fut en effet fortement touchée par l’émigration extérieure de ses propres habitants également vers les États-Unis. L’argent envoyé par les émigrants depuis leur pays d’émigration ainsi qu’à leur retour, et plus généralement ce va-et-vient de populations régionales contribua au développement économique et au progrès social de la ville89 . Durant la seconde moitié du XIXe siècle, des annexions d’après-guerre et un excédent naturel firent doubler la population grecque, malgré l’émigration. De grands courants migratoires, avant les États-Unis, existèrent vers les villes de l’Empire ottoman et 85 “Robert Abbott, Founder of the Chicago Defender”, site web de l’African American Registry, <http://www.aaregistry.org/historic_events/view/robert-abbott-founder-chicago-defender>, extrait le 22 avril 2015. 86 Bien que cette année ne soit pas sûre : certains articles lui enlèvent ou donnent une ou deux années de plus. 87 “I poli: istoria” [La ville : son histoire], sur le site officiel de la municipalité d’Amaliada, <http://www.amaliada.gr/Default.aspx?tabid=301&language=en-US>, extrait le 15 mars 2015. 88 Site web Sister Cities International, <http://www.sister-cities.org/interactive-map/Patras,%20Greece>, extrait le 25 avril 2015. 89 “I poli: istoria” [La ville : son histoire], municipalité d’Amaliada.
  • 30. 30 l’Égypte90 . Pétros Tatanis appartint à ce courant migratoire, lui qui vécut pendant un temps en Égypte, avant de venir aux États-Unis en 1905 à l’âge de 21 ans en tant que marchand de café91 . Il était représentant officiel de la grande entreprise des Frères Karakanta spécialisée dans l’import-export de farine, de pétrole, de tissu et de café, qui avait des projets en cours avec des pays européens et des colonies comme l'Égypte, l'Arabie et l'Inde, à l'aide de navires privés92 . Leurs quartiers généraux se trouvaient à New York, à Wall Street, où Tatanis fut affecté ; ainsi celui-ci prospérait déjà dans son commerce à l’époque où il vint aux États-Unis, contrairement à beaucoup d’autres immigrants grecs venus par nécessité économique et/ou pour raisons politiques (notamment les réfugiés d’Asie Mineure). Tatanis était un grand admirateur du premier ministre grec libéral, Elefthérios Venizélos, et un membre actif de l'Union Panhellénique d’Amérique, fondée en 1907 pour protéger les immigrants grecs et renforcer le soutien nationaliste de la Grèce. Tatanis commença son journal le 2 avril 1915, lequel s’imposa alors rapidement en tant que concurrent important de l’Atlantis, jusqu’ici le seul grand géant de la presse ethnique grecque. Tatanis dû cependant vendre le Herald en 1933 à l’industriel du tabac Euripide Kechagia – tout en restant lui-même au sein du journal jusqu’en 1939 – à cause de la crise économique de 1929 qui l’éprouva financièrement. Dimitrios Callimachos, éditeur en chef du journal jusqu’en 1942, décrivit Tatanis comme tel : Pour apprécier M. Tatanis en tant que puissance motrice d'une institution journalistique, il faut d’abord imaginer sa personnalité de grand homme d’affaires. […] Ainsi vous comprendrez pourquoi, dans l'entreprise journalistique du National Herald, d’un point 90 Georges Progoulakis et Eugenia Bournova, « Le monde rural grec, 1830-1912 », in Ruralia, 08 | 2001, <http://ruralia.revues.org/214>, extrait le 20 mai 2015. 91 Alexander Kitroeff, “O Petros Tatanis, o Ethnikos Keryx kai o Venizelismos stis Inomenes Politeies" (« Pétros Tatanis, le National Herald et le venizélisme aux États-Unis »), in Patris News, le 15 avril 2015, <http://www.patrisnews.com/nea-enimerosi/omogeneia/o-petros-tatanis-o-ethnikos-kiryx-o-venizelismos-stis- inomenes-politeies>, extrait le 1er mai 2015. “Pos o Petros Tatanis apo tin Amaliada "extise" to 1915 tin megaliteri omogeneiaki ephimerida” (« Comment Pétros Tatanis d’Amaliada a "construit" en 1915 le plus grand journal diasporique »), in The Best News, le 31 mai 2013, <http://www.thebest.gr/news/index/viewStory/200907>, extrait le 13 mai 2015. 92 Alexander Kitroeff, “O Petros Tatanis". Malheureusement, outre ces références à la compagnie dans ces deux pages parmi d’autres, je n’ai pas réussi à trouver plus d’information plus proche d’une source primaire pour vérifier son existence ailleurs. Sûrement est-ce une compagnie qui n’a pas survécu assez longtemps pour pouvoir être répertoriée sur Internet et/ou pas assez pertinente pour qu’il existe des livres à son propos.
  • 31. 31 de vue purement commercial, on retrouve les traces de l’audace et de la vision à grande échelle américaines93 . Il le décrivit également comme étant un homme généreux, prêt à investir dès lors qu’il s’agissait de la Patrie. En tant que rédacteur en chef, Callimachos ne manquait jamais de moyens pour la bonne exécution et la bonne information du journal. Très engagé politiquement pour la cause venizéliste, l’influence de Tatanis et celle de son journal se firent ressentir dans le monde hellénique : l’État grec lui attribua ainsi l’Ordre du Sauveur pour rendre hommage à sa contribution94 . Il mourut cependant appauvri, le 27 décembre 1959 à New York d’une crise cardiaque à l’âge de 75 ans. Sa tombe anonyme ne fut que récemment redécouverte ; l’éditeur actuel du journal, Antonis Diamataris, fit ériger une pierre tombale à son nom dans le cimetière de Cedar Grove, à Flushing95 . Le Père Nektarios Papazafiropoulos, de la Cathédrale Saint Dimitrios à Astoria, New York, parla en ces termes du fondateur du journal à l’occasion du centième anniversaire de celui-ci en avril dernier96 : Our hearts are flooded with gratitude and appreciation to our great countryman who had the wisdom to support free speech, the first freedom enjoyed by man from the first day he comes to life. The man of blessed memory founded the newspaper because he believed in these rights and comprehended the necessity of creating the newspaper for the Diaspora97 . De fait, Abbott et Tatanis, deux fortes personnalités généreuses et portées par ce en quoi elles croyaient, firent partie des premiers migrants aux États-Unis avant ou au début de la première vague massive d’immigration de leurs communautés respectives – Abbott quelques années avant le début de la Grande Migration, des années 1910 à 1930 ; Tatanis venant du Péloponnèse, d’où la plupart des grecs viendraient en masse à partir des années 1900 et jusqu’en 1924. 93 Dimitrios Callimachos, album pour les 10 ans du National Herald. Cité par Alexander Kitroeff, “O Petros Tatanis". 94 Idem. 95 Demetris Tsakas, “Memory of Founding Publisher Tatanis Honored on 100th Anniversary of TNH”, in The National Herald, 4 avril 2015, <http://www.thenationalherald.com/80722>, extrait le 28 avril 2015. 96 Un élément qui montre à quel point, aujourd’hui encore, la communauté grecque est fortement concentrée autour – et liée à – l’Église Orthodoxe, et comment tous les aspects culturels de la communauté s’entremêlent. 97 Demetris Tsakas, “Memory of Founding Publisher Tatanis”.
  • 32. 32 Deux éléments de la personnalité d’Abbott sont à prendre en compte, puisqu’elles allaient conditionner son entreprise et donc la nature-même de son journal: Abbott étant lui-même migrant à Chicago, il fut naturellement enclin à promouvoir Chicago comme étant une destination de choix pour ses confrères qui enduraient les conditions de vie déplorables du Sud où sévissait la ségrégation et l’exploitation économique et sociale pour les Noirs . Mais aussi, bien qu'ayant eu un beau-père plutôt inspirant et éduqué, Abbott ne faisait pas partie de l'intelligentsia – noire ou blanche – telle qu'elle existait dans le Nord à l'époque : As Felecia G. Jones observed, “Prior to the establishment of the Defender, the black newspapers appealed only to black intelligentsia and a few sympathetic whites. The Defender was the first major newspaper that appealed to the masses”98 . Ainsi, Abbott fut un auto-entrepreneur de par la création de son journal, et il réussit cette entreprise à Chicago à la sueur de son front et non pas grâce à un capital financier important. En revanche, le capital culturel hérité de sa famille et de l'université eu certainement un impact sur son parcours. Quoi qu'il en soit, conditions favorables ou pas, le fait est qu'il avait créé l'un des journaux les plus influents de sa génération, et qui plus est le journal africain-américain le plus influent de toute l'histoire de la presse noire jusqu'alors, et ce, sans faire appel aux sphères influentes, éduquées et minoritaires de la société noire du Nord qui ne correspondaient pas à l'expérience noire massive du Sud. Le cas fut différent pour Tatanis qui eut une somme largement suffisante pour démarrer son journal et en assurer sa pérennisation et qui faisait déjà partie de l’élite hellène d’Amérique de par son statut social de riche marchand. Mais Abbott finit par devenir membre de telles organisations, de l’élite noire de Chicago, et ainsi l’un comme l’autre puiseraient dans cette autorité sociale que leur conférerait une telle place – une place plus puissante au regard de la société globale américaine : ils étaient les éditeurs de deux journaux ethniques, certes, mais deux journaux d’influence majeure et de base financière solide, contrairement à beaucoup d’autres. Ainsi ces deux éditeurs étaient plus à même de conseiller d'autres migrants lors de leur adaptation à ces nouvelles grandes villes – en tous cas, de façon plus persuasive : en effet le 98 Felecia G. Jones, “The Role of the Black Press During the ‘Great Migration’” in Annual Meeting of the Association for Education in Journalism and Mass Communication, Norman, OK. 3-6 August 1986, p. 11. Citée par Alan D. DeSantis, “Selling the American Dream Myth to Black Southerners”, p. 477.
  • 33. 33 même discours venant d’un « nanti » natif du lieu aurait été moins bien entendu 99 ; cependant, comme nous le verrons dans le chapitre consacré à l’assimilation des communautés migrantes, ce sont des catégorisations faciles et pas toujours vraies, et où il est important d’aller au-delà de ce qui nous est donné de voir en premier plan : en effet ces journaux ethniques seraient aussi, à un certain point, vecteurs d’assimilation à un habitus de classe moyenne. Quoi qu’il en soit, ce fut l’histoire de deux migrants ayant réussi dans le Nord industriel des États-Unis, et ce simple fait en soi est d’importance ; allié aux autres facteurs de leurs vies respectives, notamment leur ténacité et leur très bon management, cela résulta en un puissant moyen de communication et de liaison de toute une communauté. 99 « Nanti » est un terme exagéré, les classes moyennes noires n’ayant pas la même situation que des « nantis » blancs, de par le racisme ambiant ; l’utilisation de ce terme ici relève purement du démonstratif, et plus du point de vue de la communauté noire que d’un point de vue global.
  • 34. 34 Chapitre 2 : Gestion et financement du journal Abbott démarra son journal avec un investissement de 25 centimes (l’équivalent d’environ 6,75 dollars aujourd’hui100 ), distribuant lui-même 300 copies le premier jour de publication, le 6 mai 1905 101 . Son premier bureau fut l’arrière-cuisine de l’appartement de sa propriétaire, Henrietta Lee, habitant au 3159 State Street – même la chaise lui était empruntée102 . Les premières copies consistaient en des pages de 6 colonnes, remplies de nouvelles locales qu’Abbott avait recueillies lui-même, et de coupures de presse provenant d’autres journaux 103 . Les moyens de l’éditeur se développèrent de façon quasi- exponentielle grâce à une hausse constante de la demande : tandis que les premières publications du Chicago Defender étaient de quatre pages, 5 ans plus tard le journal était composé de 6 pages, puis de 8 en 1915, et enfin il n’aurait pas moins de 16 pages une décennie plus tard ; le prix d’une copie était de 10 centimes en 1921 (1,3 dollars). Le 10 novembre 1919, la popularité du journal et donc une situation financière le lui permettant, Abbott acheta une ancienne synagogue et transforma cet immeuble de trois étages, au 3435- 3437 Indiana Avenue, pour y déménager le quartier général de son journal. Il le resterait jusqu’en 1960104 . Pétros Tatanis quant à lui, déjà un riche entrepreneur au moment de démarrer son journal, déposa la somme de 100 000 dollars (2,3 million de dollars aujourd’hui) à la banque afin d’assurer l’existence de son journal, pour qu’il ne connaisse pas le même sort habituel des autres journaux ethniques grecs. C’était également un moyen d’assurer le recueil de bonnes informations, et ce de façon rapide : en effet, il était difficile et cher d’obtenir des informations outre-mer à l’époque, de courts télégrammes étant virtuellement la seule 100 Selon le calculateur en ligne « Dave Manuel », <http://www.davemanuel.com/inflation-calculator.php>, extrait le 30 mars 2015. 101 « Chicago Defender, 1905 – », site web Black Past, <http://www.blackpast.org/aah/chicago-defender- 1905>, extrait le 10 février 2015. 102 “Mapping the Stacks, A Guide to Black Chicago’s Hidden Archives”, sur le site web de l’Université de Chicago, <http://mts.lib.uchicago.edu/collections/findingaids/index.php?eadid=MTS.abbottsengstacke#idp49133168>, extrait le 10 mai 2015. 103 « The Chicago Defender », section « Newspapers » du site web de PBS <http://www.pbs.org/blackpress/news_bios/defender.html>, extrait le 20 mars 2015. 104 “Mapping the Stacks, A Guide to Black Chicago’s Hidden Archives”, Université de Chicago.
  • 35. 35 alternative. Le premier numéro sortit le 2 avril 1915, la copie coûtant 2 centimes (0,45 dollars)105 à sa sortie, et 4 ans plus tard, 3 centimes (0,4 dollars). Les quartiers généraux du journal se trouvaient au cœur de Manhattan, sur la West 26th Street106 . Tatanis était très politiquement engagé comme nous l’avons vu : l’un des membres dirigeants de l’organisation libérale de Venizélos à New York, il était très proche du premier ministre et de son Parti Libéral à Athènes. Il était également membre de l’Union Panhellénique composée d’éminents Grecs-Américains et Philhellènes 107 – une organisation que nous mentionnerons dans la partie suivante en même temps que d’autres associations ethniques grecques. Ainsi, fort d’un éditeur avec de tels moyens financiers et connexions politiques, le journal démarra sur les chapeaux de roues avec une interview d’Elefthérios Venizélos. Le Herald affirma ainsi d’entrée de jeu sa position libérale, et exprima son soutien au premier ministre grec et à sa politique territoriale – communément appelée la « Grande Idée », c’est-à-dire l’idée d’une expansion territoriale empiétant sur une partie de la Turquie. Le National Herald se posa donc rapidement en tant qu’alternative valable, et donc adversaire féroce, face à son concurrent Atlantis. Avec une circulation de plus de 30 000 copies en 1920108 , cette période représenta un pic de circulation pour les deux journaux grecs. En effet, cela coïncide avec la période où, après une campagne militaire en Turquie pour la réalisation de cette « Grande Idée », l’armée grecque fut vaincue en Asie Mineure et cela provoqua un déplacement de population sans précédent : ce fut donc un épisode qui tint en haleine la communauté grecque expatriée109 . 105 “Pos o Petros Tatanis apo tin Amaliada "extise" to 1915 tin megaliteri omogeneiaki ephimerida” (« Comment Pétros Tatanis d’Amaliada a "construit" en 1915 le plus grand journal diasporique »), in The Best News, le 31 mai 2013, <http://www.thebest.gr/news/index/viewStory/200907>, extrait le 13 mai 2015. 106 Dimitrios Callimachos, album pour les 10 ans du National Herald. Cité par Alexander Kitroeff, “O Petros Tatanis". 107 Alexander Kitroeff, “O Petros Tatanis, o Ethnikos Keryx kai o Venizelismos stis Inomenes Politeies" (« Pétros Tatanis, le National Herald et le venizélisme aux États-Unis »), in Patris News, le 15 avril 2015, <http://www.patrisnews.com/nea-enimerosi/omogeneia/o-petros-tatanis-o-ethnikos-kiryx-o-venizelismos-stis- inomenes-politeies>, extrait le 1er mai 2015. 108 Anna Karpathakis, “Greeks and Greek Americans, 1870-1940” in Elliott Robert Barkan, Immigrants in American History: Arrival, Adaptation, and Integration, Volume 1, Part 2, ABC-CLIO, 2013. 109 Alexander Kitroeff, “O Petros Tatanis".
  • 36. 36 Contrairement au succès immédiat du National Herald, pour sa part le Chicago Defender connut un début lent, mais « [w]ithin ten years the Defender was the nation’s leading black newspaper with an estimated circulation of 230 000 »110 . En effet les ventes n’allèrent qu’en s’augmentant de façon exponentielle : Les ventes passèrent de moins de 10 000 en 1910 à 33 000 en 1916, 90 000 en 1917, 125 000 en 1918, et sans doute au-delà des 200 000 exemplaires au début des années 1920. Chaque exemplaire étant souvent lu par plusieurs personnes (des lectures à voix haute avaient notamment eu lieu dans les salons de coiffure), le Defender avait certainement un lectorat de plusieurs centaines de milliers de personnes. Il se qualifiait sans hésiter de « world’s greatest weekly » (« meilleur hebdomadaire du monde »)111 . Concernant le chiffre de 33 000 lecteurs pour la période de 1916, selon James Grossman le journal aurait même été lu par au moins 50 000 Africains-Américains chaque semaine112 . Une telle impulsion à partir de 1910 s’explique en partie par le fait que Robert Abbott décida d’engager J. Hockley Smiley, imitant la presse sensationnaliste appelée « yellow journalism », telle que représentée localement par le Chicago Tribune notamment. Ce style de journalisme avait commencé de voir le jour une dizaine d’années plus tôt, et consistait à user de titres et images sensationnelles pour attirer le lecteur, plutôt que de compter sur des articles se voulant objectifs et bien renseignés113 . Dans le cas du Defender, cela consistait principalement en des titres et photographies saisissantes de lynchages dans le Sud, et en des éditoriaux militants condamnant le système ségrégationniste des États sudistes en particulier114 . Il est à noter que le titre du Defender, tout autant que le style « yellow journalism » et sa propre dénomination de « World’s Greatest Weekly » rappelle fortement le Chicago Tribune, créé en 1847 et s’étant proclamé le « World’s Greatest Newspaper » à la même période115 . 110 Clint C. Wilson, “Robert Sengstacke Abbott” (biography), in American National Biography, ed. John A. Garraty and Mark C. Carnes, New York and Oxford: Oxford University Press, vol. 1, 1999, pp. 31-32. 111 Andrew Diamond, Pap Ndiaye, Histoire de Chicago, Paris : Fayard, 2013, p. 150. 112 James R. Grossman, Land of Hope: Chicago, Black Southerners, and the Great Migration, Chicago: University of Chicago press, 1991, p. 79. Cité par Alan D. DeSantis, “Selling the American Dream Myth to Black Southerners: The Chicago Defender and the Great Migration of 1915-1919”, in Western Journal of Communications, 62(4) (Fall 1998), p. 477. 113 “Yellow Journalism”, sur le site du département d’État américain, < https://history.state.gov/milestones/1866-1898/yellow-journalism >, extrait le 30 mai 2015. 114 Andrew Diamond; Pap Ndiaye, Histoire de Chicago, p. 149. 115 “Chicago Tribune”, site web Encyclopedia of Chicago, <http://www.encyclopedia.chicagohistory.org/pages/275.html>, extrait le 3 février 2015. Il est cependant
  • 37. 37 Charles Simmons écrit à propos du Defender : « [t]he more militant the newspaper was, the more it was accepted by readers »: en effet, l’augmentation de la circulation du journal à partir de ce moment le confirme116 . Cette façon de faire fut bien sûr critiquée d’un point de vue éthique : ce fut un tournant majeur dans la façon dont le journalisme était géré dans la presse noire américaine. Mais Abbott lui-même ne s’en cachait pas : « I tell the truth if I can get it, but if I can’t get the facts, I read between the lines and tell what I know to be facts even though the reports say differently »117 . Néanmoins, cela lui valut d’avoir la plus longue espérance de vie et le lectorat le plus fidèle dans l’histoire de la presse africaine- américaine, ainsi qu’une crédibilité qu’aucun autre journal de cette catégorie n’avait pu préalablement atteindre118 . Par ailleurs, nous verrons en dernière partie que malgré cet apparent sensationnalisme, les informations n’étaient pas sans intérêt ou sans objectivité essentielle. Robert Abbott était un excellent entrepreneur – la popularité fulgurante de son journal le rendit bientôt millionnaire – et il considérait son travail avec beaucoup de sérieux119 . Il gérait son journal avec minutie, étudiait son positionnement national, et recevait des rapports de représentants locaux du journal ; d’un autre côté il ne négligea jamais la publicité, grand moteur financier de son entreprise120 . Mais également, comme cela fut déjà mentionné, Abbott acquit une certaine stature au sein de la bonne société noire de Chicago grâce à sa réussite : il devint lié avec des patrons de banque tels que Jesse Binga de Binga State Bank, mais aussi des patrons de compagnie d’assurance, des membres du conseil municipal, et des propriétaires de ligues noires de baseball121 . On peut noter ici qu’il utilisait régulièrement ces équipes de sport noires, lorsqu’elles allaient jouer dans les États sudistes, pour transporter son journal dans ces régions afin d’éviter les décrets difficile de connaître qui l’a proclamé en premier, les dates n’étant pas précises quant à ce fait – un travail d’archivage serait nécessaire ici. 116 Charles A. Simmons, The African American Press: With Special Reference to Four Newspapers, 1827- 1965, Jefferson: McFarland & Company, 1998, p. 26. 117 Lawrence D. Hogan, A Black National News Service: The Associated Negro Press and Claude Barnett, 1919 – 1945, Rutherford, New Jersey: Fairleigh Dickinson University Press, 1984, p. 49. Cité par Charles A. Simmons, The African American Press: With Special Reference to Four Newspapers, 1827-1965, Jefferson: McFarland & Company, 1998, p. 30. 118 Charles A. Simmons, The African American Press, p. 26. 119 “Mapping the Stacks, A Guide to Black Chicago’s Hidden Archives”, Université de Chicago. 120 Andrew Diamond, Pap Ndiaye. Histoire de Chicago, pp. 154-155. 121 The Paper Trail: 100 Years of the Chicago Defender. WTTW Chicago Public Media, présenté par Harry Lennix, 2005, 62 min.
  • 38. 38 d’interdiction établis contre celui-ci ; il faisait de même avec les employés de la compagnie Pullman122 . Plus que de simples connaissances, Abbott lui-même fut un directeur du comité de la Binga State Bank pour un temps123 . Et, bien sûr, Abbott tira parti de ce nouveau réseau pour le profit de son journal, tout bon entrepreneur qu’il était : D’une part, Abbott mettait à profit son carnet d’adresses, puisqu’il connaissait personnellement certains dirigeants des grandes firmes de Chicago, qu’il croisait à la Chicago Urban League. Il leur envoyait des brochures vantant la diffusion du Defender et son succès « bien mérité ». D’autre part, du matériel publicitaire était distribué à la population, comme ces petites brochures intitulées A Bit About Chicago et présentant la ville sous un angle touristique, en mettant en relief le quartier de State Street, au cœur de la Black Belt […]124 . En 1934 Abbott engagea son neveu John H. H. Sengstacke, dont il avait financé les études à Hampton University, en tant que vice-président et trésorier du journal, avant de le promouvoir au poste de directeur général l’année suivante125 . Le rédacteur en chef du National Herald quant à lui fut Dimitrios Callimachos, du début du journal jusqu’en 1942 : né en Turquie, il étudia à Istanbul, Izmir (en Asie Mineure – Turquie) et Athènes. Théologien et prêtre, il avait également une longue expérience en tant que journaliste avant son arrivée à New York en 1914126 . Bien que Pétros Tatanis eut dès le départ les ressources financières suffisantes au démarrage de son journal, contrairement à Abbott qui construisit son empire sur le long terme, tous deux réussirent à mettre à profit les thématiques relatives à leur communauté et leur tenant le plus à cœur : tandis que le premier se focalisa sur la condition déplorable des Noirs notamment dans le Sud, recevant ainsi un grand écho dans cette communauté persécutée, le second se focalisa sur la voix libérale du schisme politique grec, n’ayant jusqu’alors pas de représentation dans la presse ethnique grecque aux États-Unis face à l’Atlantis. Abbott et Tatanis se firent donc chacun les représentants d’une communauté qu’ils estimaient sous-représentée par les médias existants, et méritant de se faire entendre. 122 Idem. 123 Brian Carroll, “From Fraternity to Fracture: Black Press Coverage of and Involvement in Negro League Baseball in the 1920s”, in American Journalism, 23 (2), 2006, p. 74. 124 Andrew Diamond, Pap Ndiaye. Histoire de Chicago, Paris, pp. 154-155. 125 “Mapping the Stacks, A Guide to Black Chicago’s Hidden Archives”, Université de Chicago. 126 Anna Karpathakis, “Greeks and Greek Americans, 1870-1940”, in Elliott Robert Barkan, Immigrants in American History, p. 51.