1. 20 ans pour
restaurer le climat
Le livre blanc de
l’économie positive
Anne Gouyon et Maximilien Rouer, mars 2007
livreblanc@becitizen.com
2. Les auteurs
Ingénieur agronome et Biologiste cellulaire et
Docteur en Sciences ingénieur agronome,
Economiques et Sociales, Maximilien Rouer est
Anne Gouyon a démarré sa Président et co-fondateur de
carrière en Asie et Afrique BeCitizen depuis 2000. En tant
comme chercheuse en agro- que conférencier ou au cours
foresterie au CIRAD, de missions de conseil, il s’est
organisme français de adressé à des centaines de
coopération scientifique. Elle décideurs locaux et de chefs
est ensuite devenue consultante pour des d’entreprise, de la PME aux multinationales, pour
entreprises du secteur agricole et environnemental, les aider à faire évoluer leur activité vers la
et pour des organismes internationaux. Expert restauration de l’environnement. Infatigable
auprès de la Banque Mondiale, puis du côté des avocat de l’Economie Positive, il est aussi membre
ONGs (WWF, Rainforest Alliance), elle a créé la du Conseil National du Développement Durable,
Fondation Bumi Kita (« Notre Terre à Tous »), enseignant à HEC, et chroniqueur au quotidien La
spécialisée en développement rural et en Tribune. À la TV, sur FR2, il a été à l’origine du
écotourisme. Elle est co-fondatrice et associée de Climaction et a réalisé les commentaires d’Objectif
BeCitizen depuis 2000. Terre pour Yann Arthus-Bertrand.
BeCitizen est un acteur de référence en matière de conseil stratégique auprès des
entreprises et des collectivités sur les enjeux clés de l’avenir : changement
climatique, renchérissement de l’énergie et des matières premières, gestion des
déchets, santé et toxicité, préservation des ressources en eau et du vivant, accès
à l’emploi et revitalisation des territoires. BeCitizen propose des solutions
innovantes, fondées sur le concept d’Economie PositiveTM, intégrant les
technologies environnementales les plus performantes et des solutions de
financement adaptées. Créateur du concept d’Economie Positive, BeCitizen
souhaite en assurer la plus grande diffusion dans le respect de son sens original.
Ont contribué à ce document :
Philippe Freund, Ingénieur agronome, associé Rodolphe Deborre, Ingénieur agronome,
cofondateur de BeCitizen, Directeur scientifique Directeur offre construction positive, expert
et Directeur offre finance carbone. carbone.
Walid Malouf, Master en Sciences Economiques Vincent Bovet, Ingénieur des Mines, spécialiste
et Politiques, Univ. de Berkeley et MBA HEC, nouveaux matériaux et construction positive
associé de BeCitizen, Directeur général et
Directeur offre Cleantech. Marion Huet, École supérieure de commerce
de Paris, spécialiste de l’éco-conception.
Flora Bernard, MSc. London School of
Economics, Directeur offre ressources, déchets Marion Bonnet, Ingénieur agronome, spécialiste
et revalorisation des sols. risques toxicités.
Capucine Laurent, Ingénieur agronome, Jean-Baptiste Brochier, Ingénieur UTC
Directeur offre biomasse / agro-ressources, Compiègne et Univ. de Saragosse.
expert carbone.
Léna Spinazzé, École supérieure de commerce
de Lyon, Directeur offre nouveaux marchés. Merci à Sarah Kefi pour son appui administratif.
Le livre blanc de l’Economie Positive v 1.0 1
3. Préambule
Les conditions de vie de la société, des territoires et de l’entreprise changent sous l’action conjointe de
défis sans précédents. Des défis qui s’apparentent à une déclaration de guerre : la guerre pour la survie
de notre civilisation, dans un climat qui se réchauffe.
Le climat régit les conditions de la vie.
À la déstabilisation du climat, s’ajoutent l’insécurité énergétique, la raréfaction des ressources, la
destruction des sols, des réserves d’eau et de la biodiversité… tout cela dans un monde qui s’apprête à
intégrer 3 milliards de nouveaux consommateurs, engagés dans une course effrénée pour accéder aux
mêmes ressources limitées.
Face à ces défis, certains parlent de décroissance, ou d’ajustement de la consommation. Est-il
acceptable de parler de décroissance quand 4 milliards d’humains n’ont pas accès à une alimentation,
une santé, une sécurité, une éducation de qualité ? Quand les habitants du Brésil, de la Russie, de l’Inde
et de la Chine sont déjà engagés dans une croissance à 7% par an ? Est-il suffisant de penser que des
réductions marginales des consommations permettront de retrouver un climat stable, des sols fertiles, des
stocks de ressources et d’eau propre ?
C’est dans ce contexte que BeCitizen a choisi de s’engager pour une autre croissance. Nous
accompagnons les entreprises, les territoires, vers une nouvelle révolution économique. Nous les aidons à
identifier les technologies, les business models, les financements qui leur permettent de créer plus de
valeur en stockant du carbone, en produisant des énergies et des ressources renouvelables et non
toxiques, en reconstituant des sols fertiles, en dépolluant les nappes phréatiques.
Cette nouvelle économie, nous lui avons donné un nom : l’économie positive, une économie qui crée
plus de ressources qu’elle n’en détruit. Une économie qui stocke du carbone grâce à la production
massive de biomasse, au service de la croissance. Une économie où la croissance est tirée par les
chantiers de la restauration du climat, de l’environnement, du capital écologique de l’humanité.
Depuis la création de BeCitizen il y a 7 ans, j’ai senti monter le besoin d’un espoir, loin du catastrophisme.
C’est de ce besoin qu’est née l’économie positive. Depuis plus de 2 ans, je débats de ses principes et de
sa faisabilité avec des chefs d’entreprise, des politiques, des dirigeants d’ONGs et des scientifiques, afin
que BeCitizen puisse concevoir avec ses clients des solutions innovantes à la hauteur des nouveaux défis.
Ce livre blanc est le fruit de ces échanges. Il clarifie les enjeux, propose des principes d’action concrets,
dessine les contours d’un monde positif. Il s’inspire des innovations et du succès de centaines de pionniers.
Certains ont été sélectionnés lors de la préparation des Trophées de l’économie positive, d’autres
proviennent de nos rencontres, de nos expériences de terrain. Ils sont les gagnants de la nouvelle
économie, les gagnants de l’économie positive.
Rendez-vous dans quelques mois pour une version 2 de ce livre blanc, que nous vous invitons à enrichir de
vos critiques, de vos suggestions, et de vos expériences, en déposant vos commentaires sur
livreblanc@becitizen.com.
Nous ne sommes qu’au début de l’économie positive. Retenez le cadre de lecture proposé, observez le
monde en marche avec cette nouvelle vision, participez avec nous au changement : pour restaurer le
climat, le temps nous est compté.
Maximilien Rouer,
Président de BeCitizen
Le livre blanc de l’Economie Positive 2
5. Table des matières
Introduction : une révolution positive
Réinventer la croissance
Les origines
Du développement durable à l’économie positive
Echapper à l’entropie
Vers une éco-intelligence
Première partie : 3 objectifs
Restaurer le climat
La crise climatique
Eviter l’emballement
Arrêter la fuite en avant
Des scénarios pour 20 ans
Renouveler les ressources
Sécuriser les énergies
Renouveler les matériaux
Restaurer l’eau et les sols
Recréer de la diversité
L'érosion de la diversité
La valeur de la diversité
Revitaliser les territoires
Intégrer 6,5 milliards de personnes
Deuxième partie : 6 principes
Plus avec moins
Finalité
Circularité
Complémentarité
Plus avec la biosphère
Substitution
Valorisation
Diversité
Conclusion : un monde positif
Le livre blanc de l’Economie Positive 4
6. Introduction :
une révolution positive
Réinventer la croissance
! !!!!!!!!!!!!!!!
Depuis le début de l’ère industrielle, la popu- Aujourd’hui, l’humanité dispose du plus puissant
lation mondiale et la production individuelle1 réseau d’innovation et d’échanges qui ait
ont cru d’un facteur 8. En 250 ans, l’espérance jamais existé : 3 millions de chercheurs5,
de vie a doublé dans les pays pauvres, et plusieurs dizaines de millions d’entreprises, et 1
quadruplé dans les pays riches. Un ouvrier milliard d’individus connectés par le biais
français payé au SMIC jouit d’un niveau de d’Internet. Il reste à chacun de décider dans
confort, de sécurité, d’accès à l’information et quel sens utiliser cette capacité créative.
de possibilités de déplacements qui feraient
rêver un aristocrate de la Renaissance. Déjà, des pionniers ont fait le choix. Ils mettent
en place une nouvelle économie, qui produit de
Cette croissance est menacée par la l’énergie et des matériaux renouvelables, qui
raréfaction des ressources naturelles (pétrole, stocke du carbone, qui restitue des sols fertiles et
minerais, eau, sols, biodiversité) et leur corollaire, des stocks d’eau propre : une économie
la hausse du prix de l’énergie et des matières positive, qui crée de la croissance pour tous,
premières. Le réchauffement du climat en restaurant le capital écologique de
bouleverse déjà la production agricole et les l’humanité. Une économie fondée sur l’éco-
modèles de prévision du risque. D’ici 20 ans, en intelligence, qui se nourrit de diversité, et inclut 6,5
cas d’accélération du changement milliards d’humains pour créer plus de prospérité
climatique, ce sont les conditions mêmes de de manière pérenne.
la vie sur terre qui pourraient être remises en
cause – ou, tout au moins, la survie de notre Ce livre blanc vous invite sur les traces de ces
civilisation. pionniers, qui sont les gagnants du monde de
demain. Il définit les nouveaux enjeux
Alors, faut-il stopper la croissance ? Impensable, économiques : restaurer le climat et renouveler
alors que 4 milliards d’êtres humains vivent les ressources, en recréant de la diversité. À
2
avec moins de 1,5 ! par jour . Impossible, travers 27 exemples, il révèle les principes
lorsque le Brésil, la Russie, l’Inde, et la Chine d’action des pionniers de l’économie positive :
représentent 3 milliards de personnes et 7% de fonctionnalité, circularité, complémentarité, sub-
croissance économique annuelle. Inaccep- stitution, valorisation, diversité. Il dessine les
table, alors que même dans les pays riches, contours d’un monde positif.
l’anxiété croît face à l’érosion des revenus des
classes moyennes, à la montée du chômage et Il nous reste 20 ans pour construire l’économie
de la précarité3. Dans ce contexte, la positive, 20 ans pour restaurer le climat et
globalisation des échanges, qui est pourtant l’un l’environnement. Vingt ans pour décider du sort
des moteurs de l’économie, devient une source de l’humanité. Le défi est immense, les
de menaces : compétition entre les individus au opportunités sont là. Le chantier est passionnant.
niveau mondial4, flux migratoires, terrorisme, etc.
Plus que jamais, la croissance est donc néces-
saire. Une croissance qui, au lieu de puiser dans Dongtan, Chine :
l’environnement, devra aussi en restaurer la une éco-ville pour
capacité à remplir les besoins de l’humanité. 500 000 personnes
Impossible ? Et pourquoi ? L’histoire de
l’humanité est ponctuée de crises, surmontées
par des innovations qui ont abouti à des
changements systémiques. Il y a 10 000 ans, des
chasseurs-cueilleurs affamés ont semé des
céréales sauvages. En devenant agriculteurs, ils
se sont sédentarisés, ont pu créer un surplus, puis
développer l’artisanat et le commerce. Il y a 400
ans, c’est grâce à la crise du bois en Angleterre
que des compagnies minières se sont lancées
dans l’extraction du charbon, qui a mis en
mouvement la première Révolution industrielle.
Le livre blanc de l’Economie Positive 5
7. Les origines
! !!!!!!!!!!!!!!! Sols fertilisés par la fumure, oasis, rizières irriguées :
Toutes les sociétés ont exploité, à des degrés autant d’écosystèmes artificialisés qui peuvent
divers, les ressources de leur environnement. Les nourrir de 50 à 500 habitants par km2, contre à
premiers chasseurs-cueilleurs exploitaient les peine 5 pour la forêt naturelle. Le surplus dégagé
ressources naturelles de manière marginale, et la main d’œuvre libérée alimentent le
globalement compatibles avec leur renouvel- commerce et l’industrie. Toutes les sociétés
lement. Cette période de l’humanité cor- n’ont pas su entretenir leur capital écologique.
respond à une vision animiste de la Nature, Les habitants de l’île de Pâques ont abattu tous
perçue comme toute-puissante et infinie. L’idée les arbres de leur territoire pour transporter les
8
d’un impact de l’Homme sur la Nature, dont il célèbres statues . On sait moins que la chute de
fait partie, n’est même pas concevable6. Rome est liée à la surexploitation de son
environnement. Au début de l’histoire romaine,
Avec l’agriculture, l’Homme transforme son l’Italie était riche en forêts. Pour financer les
environnement : il crée de nouvelles variétés de dépenses croissantes de l’Empire, il fallut
céréales, domestique des animaux, défriche des déboiser, puis réduire les jachères, jusqu’à
9
forêts. Il est désormais capable d’augmenter son appauvrir les sols et les transformer en désert .
capital écologique, c’est-à-dire la capacité de
son environnement à fournir les biens et les Les premières sociétés agricoles restent incons-
services dont il a besoin (zooms n°1 et 2). cientes de leur impact sur l’environnement. Les
changements s’étalent sur des périodes trop
longues pour leurs moyens d’observation. Par
Zoom n°1 L’île-jardin ailleurs, en l’absence de pensée systémique,
Comment les habitants de Bali – et d’autres régions comment faire le lien entre l’épuisement des sols
rizicoles d’Indonésie, de Chine, ou du Viêt-Nam7 – de Rome, et sa décadence économique et
arrivent-ils à nourrir plus de 500 habitants/km2, soit 5 politique ? Ainsi, l’Homme croit encore la Nature
fois plus qu’en France, avec peu de dépenses en toute-puissante. Il est vrai que l’effondrement
énergie ? Grâce au capital écologique accumulé des sociétés agricoles reste de portée limitée :
sur leur territoire. Ce capital est en partie naturel : aucune civilisation n’a encore les moyens
les rizières se nourrissent des cendres des volcans et d’avoir un impact global sur l’environnement.
d’une forte pluviométrie. Il a été enrichi par des
générations de cultivateurs qui ont construit des La révolution industrielle induit un changement
terrasses et des canaux d’irrigation, sélectionné des d’échelle. En exploitant les énergies fossiles,
variétés de riz adaptées aux conditions locales, et l’Homme se dote d’une puissance sans
mis en place des associations entre élevage, précédent : la consommation d’énergie d’un
pêche et cultures, complétées par des jardins agro- Européen d’aujourd’hui correspond au labeur
forestiers qui abritent des dizaines d’espèces utiles. 10
de 100 esclaves, 8 heures par jour . Désormais,
l’économie exploite le capital écologique
global à des taux supérieurs à son
renouvellement. Dans le même temps, le rapport
à la nature change. Les grands monothéismes,
suivis par Descartes et Bacon, puis Marx, placent
l’Homme au-dessus d’une nature instru-
mentalisée11 – dont il ne perçoit toujours pas les
limites. C’est l’ère de la toute-puissance.
Le réveil sera brutal. Dans les années 1970, après
Cette richesse est le fruit d’une interaction positive une nouvelle accélération de la croissance, les
entre le travail et l’intelligence collectifs d’une premières conséquences globales se font sentir :
société, et son écosystème. Grâce à ce capital, mort des océans, pluies acides, chocs pétroliers.
l’économie locale dégage un surplus de ressources Ainsi émerge la notion d’un écosystème
et de main d’œuvre, qui ont permis une planétaire à préserver. En 1972, le rapport
abondante production artistique, inspirée par la Meadows12, commandé par le Club de Rome,
beauté des paysages. À son tour, cette culture s’interroge sur les limites de la croissance. La
devient un capital, exploité par un tourisme qui même année, les Nations Unies s’emparent du
attire 1 million de visiteurs par an sur une superficie sujet avec la conférence de Stockholm, suivie
égale à 1% de celle de la France. en 1992 du Sommet de la Terre de Rio.
Deux courants commencent à s’opposer : le
courant radical et le courant néoclassique. Le
Les sociétés qui ont connu une croissance premier considère que le capitalisme est
soutenue sur une longue période sont celles incompatible avec la préservation de l’environ-
qui ont su nourrir ce capital écologique. C’est nement. Mêlant politique, économie et philo-
le cas de l’Europe depuis le Moyen-Âge, ou des sophie, il prône un changement de société13, sur
grandes civilisations rizicoles d’Asie. fond de sacralisation de la Nature.
Le livre blanc de l’Economie Positive 6
8. Du développement durable
à l’économie positive
! !!!!!!!!!!!!!!!
Le second courant, dans lequel s’inscrit ce livre Le mouvement de la RSE trouve ses limites pour
blanc, cherche à résoudre les défis environ- avoir tenté de faire oublier la réalité du marché.
nementaux dans le cadre de l’économie de Les entreprises n’ont bien qu’une seule bottom-
marché, sans exclure bien sûr l’intervention de line, celle qui détermine leur croissance et leur
l’Etat. La discipline qui en découle, l’économie survie : leur profit. Or le concept de
de l’environnement ou économie des « responsabilité », avec sa connotation de
ressources, est très présente aux Etats-Unis, avec charge, entretient l’idée que le développement
notamment Pearce, Freeman, Oates, durable est un coût pour l’entreprise. Un coût qu’il
Markandya ou Stiglitz. Elle repose sur la prise en faut donc limiter au maximum, en appliquant des
compte du capital naturel, formé par les mesures marginales. Ainsi, la RSE ne permet pas
ressources naturelles et les services environ- de proposer des stratégies motivantes pour
nementaux (zoom n°2). Préserver ce capital l’entreprise, à la hauteur des nouveaux enjeux.
suppose d’ « internaliser les externalités », c’est-à-
dire faire en sorte que chacun prenne en Pourtant, dès les années 1990, certaines
charge les coûts de ses atteintes à entreprises commencent à percevoir les
l’environnement – jusque-là supportés par la opportunités liées aux mesures sociales et
société, en hypothéquant le futur. environnementales : réduction de coûts,
anticipation des risques, création de nouveaux
En 1972, dans cette lignée, l’OCDE introduit le business models, confiance accrue des marchés
principe « pollueur payeur » dans ses principes financiers. Ainsi, entre 1990 et 2005, le leader
directeurs en matière d’économie. Les Etats mondial de la chimie, DuPont, a réduit ses
commencent à légiférer dans ce sens. émissions de gaz à effet de serre de 70% – plus
L’environnement perd son statut de ressource que son objectif de 65% fixé pour 201017 ! Il a
infinie et gratuite, et devient un facteur de ainsi baissé sa consommation d’énergie de 9%,
coût. Ainsi, dans les années 1970, les entreprises et économisé plus de 2 milliards de dollars.
commencent à mettre en place des mesures de DuPont a aussi développé de nouveaux
protection de l’environnement, qui cor- matériaux pour panneaux solaires. L’idée
respondent en général à ce que Hart appelle les émerge d’une convergence possible entre les
mesures « end of pipe » (« au bout du tuyau »)14. intérêts de l’entreprise et l’environnement, qui
Il ne s’agit pas de remettre en cause les devient ainsi un levier de rentabilité.
procédés de production, mais de « faire moins
mal », par exemple en plaçant des filtres au bout
des cheminées d’usine.
En 1987, le rapport Bruntdland introduit la notion
de développement durable, qui doit « répondre
aux besoins de tous, en préservant la capacité
des générations futures à remplir leurs besoins ».
Dans la décennie suivante, ce concept
débouche sur la notion de responsabilité sociale
des entreprises (RSE) et sur l’idée de « triple
bottom-line » : les entreprises doivent prendre en
compte les intérêts de leurs parties prenantes à
travers un triple bilan économique, social et
environnemental15. Sous la pression de la société DuPont Photovoltaic Solutions : l’environnement
civile et des gouvernements, un nombre comme facteur de gains
croissant de sociétés mettent en place des
programmes de RSE et publient des rapports de Une nouvelle génération d’économistes propose
développement durable16. alors de réconcilier économie et environnement.
Aux Etats-Unis, Hawken et Lovins18 ont
Vingt ans après le rapport Bruntdland, force est développé la notion de capitalisme naturel,
de constater que le développement durable fondée sur 4 principes : maximiser la productivité
semble dans l’impasse. Si certaines entreprises des ressources, s’inspirer des écosystèmes,
jouent le jeu et tentent de redéfinir leur stratégie vendre des services plutôt que des biens, et
dans le sens de la « durabilité », d’autres se investir dans le capital naturel et humain. Ce
contentent de créer des postes de RSE sans réel courant débouche sur des concepts
pouvoir, et mettent en place des mesures sans opérationnels inspirés du fonctionnement des
impact réel. Et tandis que s’empilent les rapports écosystèmes: écoconception19, biomimétisme20,
de développement durable, les émissions de écologie industrielle21 (développée sous le nom
gaz à effet de serre continuent d’augmenter et d’économie circulaire en Allemagne, puis au
les déserts d’avancer. Japon et en Chine22).
Le terme de capital « naturel », cependant,
Le livre blanc de l’Economie Positive 7
9. donne à penser qu’il existe d’un côté est donc remplacée par celle de capital
l’économie, et de l’autre des écosystèmes écologique, qui comprend l’ensemble des
naturels dans lequel l’Homme puise, et qu’il ressources et des services fournis par les
peut, au mieux, protéger de son influence. écosystèmes, que ceux-ci soient naturels ou
Pourtant, l’Humanité aurait-elle inventé artificiels (zoom n°2). Toute entreprise, tout
l’agriculture, puis construit des cathédrales en se système économique croît en développant son
contentant de « protéger la planète »? Depuis capital. Le projet de l’économie positive est de
plus de 10 000 ans, l’Homme n’a eu de cesse restaurer, puis développer ce capital
que d’améliorer un environnement qui n’est plus écologique, comme moteur de la croissance.
« naturel ».
Dans ce livre blanc, la notion de capital naturel
Zoom n°2 Qu’est-ce que le capital écologique?
L’écosystème planétaire correspond à l’ensemble des êtres vivants, y compris l’Homme, et de leur milieu
physique. Il est caractérisé par les relations entre ses composantes : compétitions pour l’énergie, la matière et
l’espace, mais aussi complémentarités, voire symbioses. Les organismes les plus évolués, les plus complexes,
les plus autonomes par rapport à leur environnement – comme l’Homme – sont aussi, paradoxalement, ceux
qui ont tissé le plus grand réseau d’interdépendance avec d’autres d’espèces23.
L’économie tire de multiples ressources matérielles de l’écosystème :
! des matériaux issus de processus physiques (métaux, roches), ou de processus biologiques. Ces processus
biologiques peuvent être anciens (roches calcaires provenant de la sédimentation du squelette
d’organismes marins), ou contemporains (biomatériaux : bois, latex, coton...)
! des carburants fossiles, issus de processus biologiques anciens (charbon, pétrole, gaz)
! des biocarburants, issus de processus biologiques contemporains (bois, biogaz, biodiesel, bioéthanol…)
! des flux d’énergie sous forme de rayonnement calorifique et lumineux (géothermie, énergie solaire). Ces
flux créent des différentiels de température qui à leur tour créent de l’énergie sous forme de fluides en
mouvement (énergie hydraulique, éolienne, houlomotrice…).
! des sols fertiles, issus de la dégradation de roches et de matières organiques par les éléments et les
organismes vivants, et ainsi rendus aptes à l‘agriculture et la foresterie
! des eaux terrestres ou marines aptes à la pêche et à la pisciculture, et de l’eau douce (0,3% du total)
apte à la consommation humaine ou aux besoins de l’industrie.
L’écosystème fournit aussi des services :
! régulation du climat au niveau global (stockage du carbone dans l’océan, l’atmosphère, les sols, et les
végétaux) et local (les arbres dissipent les vents, et augmentent la pluviométrie et l’humidité).
! régulation des flux hydriques dans les sols par le couvert végétal : à l’inverse, la déforestation et le
bétonnage de larges surfaces augmentent l’incidence des sécheresses et des inondations.
! information issue de la diversité du vivant, utilisée pour la
création de nouveaux produits et procédés industriels :
création de nouveaux médicaments à partir de molécules
issues de plantes sauvages, amélioration des variétés de blé
cultivées à partir des variétés sauvages ou traditionnelles.
! valeur récréative, esthétique et spirituelle des formes du
vivant, valorisées par le tourisme et par la création artistique
et culturelle : que serait le Club Med sans la beauté des
plages tropicales, que serait Disney sans l’émotion suscitée La pervenche de Madagascar, exploitée
pour ses alcaloïdes anti-leucémiques
par les animaux de la jungle ?
Ainsi, le capital écologique représente la capacité des écosystèmes à fournir à l’économie les biens et
services dont elle a besoin.
L’économie actuelle fonctionne de manière Les conséquences se font sentir pour les
linéaire, selon le modèle « extraire, transformer, entreprises, pour les territoires, qui voient
jeter ». Elle puise dans les ressources des augmenter à la fois de prix de l’énergie, des
écosystèmes, et diminue leur capacité à fournir matières premières, de l’eau, de la gestion des
plus de ressources et de services : elle épuise son déchets, des émissions de CO2. Et qui, dans le
capital écologique – un peu comme une même temps, font face à des risques nouveaux :
entreprise qui aurait hérité d’un stock, et se catastrophes naturelles, crises sanitaires,
contenterait de le vendre sans le renouveler. De interdiction d’utilisation de molécules jusqu’alors
fait, et malgré une hausse du PIB mondial de courantes, et identifiées comme toxiques.
près de 5% en 2006, l’économie est
probablement en décroissance, si l’on
comptabilise la valeur du capital écologique
détruit et non remplacé (idée reçue n°1).
Le livre blanc de l’Economie Positive 8
10. Les acteurs économiques – entreprises,
Idée reçue n°1 L’économie mondiale a collectivités territoriales – qui contribuent à cette
crû de 5% en 2006 nouvelle croissance rentrent dans une stratégie
Les calculs de croissance des pays se basent sur le doublement gagnante.
PIB, un indicateur qui ne prend en compte que la
production de biens et services. Le PIB ne dit rien de D’une part, ils réduisent les coûts et les risques
l’état des stocks de ressources du pays : un peu liés à la dépendance à des ressources en voie
comme une entreprise qui présenterait un compte de raréfaction. D’autre part, ils créent de
de résultats sans bilan. La vente de bois de forêts nouvelles opportunités : nouveaux services,
centenaires est comptabilisée comme une nouveaux produits, dont la valeur est appelée à
« production ». La Banque Mondiale estime ainsi que augmenter sur le marché au fur et à mesure que
2/3 de la croissance chinoise récente ont été les ressources qu’elles remplacent se raréfient.
réalisés sur un « découvert écologique » : une
destruction de capital non compensée24.
Par ailleurs, le PIB ne prend en compte que les flux
monétaires, en l’absence de toute réflexion sur la
fonctionnalité de l’économie. Ainsi, les biens et
Idée reçue n°2 Il suffirait d’arrêter la
services non marchands ne sont pas comptabilisés, croissance pour restaurer l’environnement
mais les accidents de la route contribuent à la Il ne suffirait pas de ralentir notre économie pour
croissance du PIB. restaurer un climat stable, des eaux propres, des
Un Institut californien, Redefining Progress, a défini territoires riches en biodiversité. Et ce, en raison des
l’IPV, ou Indice de Progrès Véritable, qui prend en phénomènes d’inertie et d’irréversibilité.
compte la valeur des ressources naturelles, ainsi que L’effet d’inertie est à l’œuvre dans le changement
la valeur des services non marchands et des coûts climatique. Dans les conditions actuelles de
sociaux de la croissance. L’IPV de nombreux pays végétation, le gaz carbonique reste plus de 100 ans
est en fait négatif ou nul. De même, bien des dans l’atmosphère, avant d’être capturé par un
entreprises seraient déficitaires si elles devaient puits naturel : forêt, océan…. Même si nous arrêtions
payer à leur valeur réelle, c’est-à-dire à leur valeur nos émissions, sa présence suffirait à maintenir l’effet
de remplacement, les éléments du capital de serre à un niveau tel, que l’océan et
écologique qu’elles utilisent. l’atmosphère continueraient de se réchauffer. Il est
donc indispensable d’investir pour augmenter le
stockage de carbone dans la biosphère, et réduire
le CO2 atmosphérique.
D’autres changements sont irréversibles, à notre
échelle, par les seuls mécanismes naturels. En
Asie, 350 000 km2 de terres déforestées sont
envahies par l’Imperata, une herbe riche en silice,
incomestible pour les vaches et propice aux
incendies. Cette végétation est un climax, une
forme écologique stable. La forêt ne peut pas la
recoloniser naturellement à notre échelle de
temps. En revanche, il est possible de reboiser ces
zones, en investissant de l’énergie pour retourner
Fig 1. PIB et IPV aux USA, 1950-2000 les sols, et du travail intelligent pour choisir des
variétés d’arbres adaptées25.
Face à cette dégradation, une simple réduction
des dégâts, selon le modèle de la
« décroissance », ne suffirait pas à restaurer la
stabilité du climat et le capital écologique de
l’humanité – en tout cas, pas à notre échelle de
temps. Et ce, en raison des effets d’inertie et
d’irréversibilité à l’œuvre dans les écosystèmes
(idée reçue n°2). Une intervention humaine
adaptée est au contraire nécessaire pour
recréer, au sein des écosystèmes, une
dynamique favorable à l’Homme. Il s’agit bien
Savane à Imperata
d’une logique de croissance, puisque ces
interventions nécessiteront des investissements
en énergie, en travail et en savoir.
Le livre blanc de l’Economie Positive 9
11. Échapper à l’entropie
! !!!!!!!!!!!!!!!
Comment restaurer le capital écologique ? En Heureusement, la loi de l’entropie croissante ne
agissant différemment sur les deux types de s’applique qu’aux systèmes clos, qui ne
ressources fournies par les écosystèmes : les reçoivent pas d’énergie. Or, l’écosystème est
ressources d’origine ancienne, et les ressources alimenté en permanence par deux sources
renouvelables. d’énergie : le soleil (rayonnement calorifique et
lumineux) et la terre (géothermie). Exploiter ces
Tout d’abord, les ressources d’origine ancienne : deux sources d’énergie permet de fonctionner
c’est le cas des minerais métallifères, des en néguentropie, c’est-à-dire en entropie
carburants fossiles, de la biodiversité des forêts décroissante.
primaires, etc. Il est impossible de les reconstituer
à notre échelle de temps. En revanche, il est Tous les écosystèmes naturels, et tous les
possible de prolonger leur usage en améliorant écosystèmes artificialisés durables, fonctionnent
la productivité de ces ressources, et en les en néguentropie. À la base, des végétaux et des
utilisant de manière circulaire. bactéries exploitent l’énergie du soleil, et la
transforment en matière structurée – donc,
C’est la première partie des principes de créent de l’ordre. Au « sommet », des animaux
l’économie positive : faire plus avec moins. exploitent cette énergie stockée dans les
Cette seule stratégie, à terme, se heurte toutefois plantes pour produire encore plus de matière
aux principes de la thermodynamique. Le premier structurée. Et partout, des champignons et des
principe postule que l’énergie d’un système fermé micro-organismes transforment les restes
reste constante : rien ne se perd, rien ne se crée, d’organismes vivants en ressources prêtes à être
tout se transforme. Le second correspond à la réutilisées dans un autre cycle.
notion d’entropie croissante : dans un système
fermé, l’entropie augmente à chaque L’économie positive fonctionne en
transformation. Or, plus il y a d’entropie dans un néguentropie. Elle utilise la biosphère – l’énergie
système, moins il y a d’ordre, de structure, et moins du soleil et les mécanismes du vivant – pour
les ressources sont utilisables par l’économie (zoom renouveler les ressources dont elle a besoin.
n° 3). Une économie ou un écosystème qui Ainsi, progressivement, elle remplace des
fonctionnerait de manière fermée, sans apport ressources d’origine ancienne par des ressources
d’énergie extérieur, serait condamné à voir baisser fournies en temps réel par la biosphère. Elle crée
la qualité des ressources à sa disposition. C’est ce de nouveaux écosystèmes, qui fournissent des
qui se passe aujourd’hui, par exemple dans le énergies renouvelables, des biomatériaux, qui
domaine des métaux ou des carburants fossiles : les stockent du carbone, qui dépolluent les eaux,
meilleurs gisements, les plus faciles à utiliser sont en qui recréent des sols fertiles et de la biodiversité.
voie d’épuisement. Il reste des ressources moins
concentrées, plus difficiles à exploiter. C’est la deuxième partie des principes de
l’économie positive : faire plus avec la biosphère.
Zoom n°3 Condamnés par l’entropie ?
La circulation de la chaleur entre deux bacs d’eau
illustre le problème de l’entropie croissante.
Au départ, un système composé de deux bacs
d’eau de 1 litre chacun, dont l’un à 0°C et l’autre à
Vers une éco-intelligence
60°C. Laissé à lui-même, il va évoluer vers plus ! !!!!!!!!!!!!!!!
d’entropie : les deux bacs échangent de la chaleur Ces principes – faire plus avec moins, faire plus
et au bout de quelques jours, ils sont tous les deux à avec la biosphère – ne sont rien d’autre que les
30°C. La quantité de chaleur totale est la même. principes de base des économies agricoles
mais elle est moins utile. Ainsi, une pompe à chaleur d’autrefois. Alors, quoi de nouveau dans
permet d’exploiter la différence de température
l’économie positive ?
entre deux bacs d’eau pour produire de l’énergie.
C’est impossible si toute l’eau est à la même La nouveauté, c’est la connaissance acquise
température. par l’humanité, principalement au cours des 50
dernières années, sur le fonctionnement des
Ainsi, certains économistes26 ont théorisé que la
décroissance économique est inéluctable : tôt ou organismes vivants et des écosystèmes. Ce sont
tard, l’économie se heurte à la hausse de l’entropie les progrès réalisés en matières d’utilisation des
et son corollaire, la dégradation de l’ « utilisabilité » flux d’énergie renouvelables. Pendant des
des ressources. Par exemple, à chaque cycle de millénaires, la connaissance du vivant s’est
recyclage d’un métal, il y a nécessairement des limitée à l’échelle de la vie quotidienne : les
pertes. Au bout d’un grand nombre de cycles, tout organismes vivants visibles à l’œil nu, le champ
le métal sera transformé en poussière répartie sur cultivé. Les progrès systémiques des sciences de
tout le globe, et très difficile à utiliser. la vie ont commencé lorsqu’elle a abordé
l’échelle microscopique (biologie cellulaire et
Ce raisonnement ignore pourtant un fait essentiel :
moléculaire) et l’échelle macroscopique
la Terre n’est pas un système clos. La vie sur Terre a
toujours fonctionné en entropie décroissante, grâce (écologie scientifique). Ces développements
à l’énergie apportée par le soleil. Ainsi, elle produit datent de moins de 50 ans.
de l’ordre, de la structure : de la néguentropie.
Le livre blanc de l’Economie Positive 10
12. Ainsi, la génétique moderne est née avec la Dans ce monde positif, la réussite économique
découverte de l’ADN en 1953, et s’est ensuite ne reposera plus principalement sur la
développée avec les travaux de Jacob, Monod mobilisation de capital financier27. La réussite ne
et Lwoff sur la biologie moléculaire. La science dépendra pas de la capacité à accéder à des
des écosystèmes, née au XIXè siècle, ne s’est ressources rares, mais de la capacité à les
réellement développée qu’à partir des années valoriser au mieux, et à en produire de nouvelles,
1960. L’analyse chimique de la photosynthèse, de manière renouvelable. La réussite reposera,
source de toute l’énergie utile de la biosphère, de plus en plus, sur la capacité des acteurs –
date de 1950. Ces progrès scientifiques ont été Nations, territoires, entreprises – à mobiliser les
possibles grâce à de nouveaux outils : pour savoirs nécessaires pour développer leur capital
l’échelle micro, des microscopes électroniques écologique. Les gagnants du monde de demain
de plus en plus puissants, pour l’échelle macro, sont ceux qui investissent dans l’éco-
des ordinateurs permettant des modélisations de intelligence : en développant des programmes
plus en plus complexes. de recherche-développement, de formation de
spécialistes opérationnels (ingénieurs, agents de
De même, les premières cellules
maîtrise) et en favorisant l’emploi de personnels
photovoltaïques ne datent que des années 1950.
qualifiés par les entreprises et les collectivités.
Leur développement a suivi les progrès des
L’économie positive crée les emplois de demain.
connaissances sur les semi-conducteurs, et celui
des satellites, premiers utilisateurs de cette
technologie.
L’économie positive exploite l’éco-intelligence
issue des progrès scientifiques et techniques des
50 dernières années :
- compréhension accrue des mécanismes de
la biosphère au niveau de l’infiniment petit ;
- intelligence systémique, c’est-à-dire
compréhension accrue du fonctionnement
des systèmes au niveau global,
macroscopique.
Cette éco-intelligence équivaut à une meilleure
compréhension des mécanismes à l’œuvre dans
la biosphère, qui permet d’en exploiter les
ressources sans les détruire et, au contraire, en
les restaurant et en les enrichissant.
Grâce à l’éco-intelligence, l’économie positive
s’inspire du modèle de l’arbre : sa croissance est
continue, mais, loin d’affaiblir son
environnement, il le nourrit en allant chercher
l’énergie de la lumière et en puisant dans la
Terre les minéraux et l’eau dont il a besoin. Ce
faisant, il fournit à des milliers d’autres êtres
vivants un substrat de croissance, un abri, des
aliments, un microclimat favorable. Ainsi se
dessinent les contours d’un monde positif, où la
restauration du capital écologique alimente la
croissance économique.
Le livre blanc de l’Economie Positive 11
13. Première partie
3 objectifs
Sécheresse au Brésil Oasis en Egypte
Plate-forme pétrolière après Katrina Eoliennes au Danemark
Restaurer le climat
Renouveler les ressources
Recréer de la diversité
Le livre blanc de l’Economie Positive 12
14. Restaurer
le climat
La crise climatique
! !!!!!!!!!!!!!!!
Le climat régit les conditions de la vie. Il ne Depuis que la Terre existe, la concentration de
servira à rien de vouloir restaurer les eaux, la forêt gaz carbonique dans l’atmosphère a
ou la croissance économique si le changement globalement diminué, grâce à la photosynthèse
climatique assèche les cours d’eau et remet en (fig n°2, en bas). Cette réaction chimique, qui
cause les conditions de survie de milliers est à la base de la vie, permet aux végétaux et
d’espèces vivantes. Le premier chantier de à certaines bactéries d’absorber du carbone,
l’économie positive, qui conditionne tous les de le transformer en sucres (glucose, amidon,
autres, est donc bien la restauration de la cellulose…) et de le stocker dans leurs tissus
stabilité du climat. (zoom n°5, p.19). Ce carbone s’est ensuite
accumulé dans les roches calcaires, formées à
Le climat globalement tempéré et stable que partir de squelettes sédimentés d’organismes
nous connaissons aujourd’hui est dû à un marins, et, depuis 500 millions d’années, dans le
équilibre fragile entre des stocks de carbone charbon, le pétrole et le gaz, issus de la
naturels. Ces réservoirs – l’océan, l’atmosphère, décomposition d’êtres vivants.
la végétation, les sols, les roches calcaires, les
carburants fossiles – échangent en permanence
du carbone, sous forme de gaz carbonique
(CO2) et du méthane (CH4). Ces deux gaz sont
les principaux responsables de l’effet de serre
d’origine anthropique (tableau n°1). Ils piègent
les rayons de chaleur émis par la terre sous l’effet
du rayonnement solaire, et renforcent l’effet de
serre naturel. Leur concentration dans
l’atmosphère est un des déterminants de la
température terrestre.
Tab n°1 Les gaz à effet de serre (GES)28
%* Prg** Durée** Sources
68 1 > 100 Énergies
Gaz
ans fossiles,
carbonique
cimenteries,
(CO2)
déforestation.
18 23 > 10 Agriculture,
Méthane ans déchets,
(CH4) exploitation
pétrolière
9 140 à Jusqu’à Réfrigérants,
Gaz fluorés
11700 50000 aérosols,
(CFC, HFCs,
ans industrie
PFCs, SF6 )
électronique
Protoxyde 5 300 120 ans Engrais
d’azote azotés,
(N2O) chimie.
* Pourcentage de contribution à l’effet de serre
** Pouvoir de réchauffement global, par rapport au
gaz carbonique.
*** Durée de séjour dans l’atmosphère. Pour le gaz
carbonique, sa durée de séjour dépend du niveau de Fig. n°2 Variations historiques des taux de
l’activité photosynthétique des plantes : plus il y a de gaz carbonique dans l’atmosphère29.
plantes en croissance, plus elles absorbent du Le trait rouge correspond à la concentration
carbone, moins celui-ci reste longtemps dans mesurée en juin 2005, soit 380 ppm (parties
l’atmosphère. pour millions).
Le livre blanc de l’Economie Positive 13
15. En absorbant du carbone pendant des milliards Les perturbations climatiques coûtent chaque
d’années, la vie a permis à la température année des centaines de milliards d’euros, tant
terrestre de descendre à des niveaux pour les territoires que pour les entreprises gérant
compatibles avec l’existence de l’Homme. Ainsi, des infrastructures lourdes. L’agriculture
depuis plus de 400 000 ans et semble-t-il, sur le commence à souffrir : par manque d’eau, le
dernier million d’années, la concentration de sud-ouest de la France pourrait être amené à
gaz carbonique est restée comprise entre 190 et renoncer à la culture du maïs, base de son
300 ppm (fig n°2, milieu) – avec des variations économie agricole. Les modèles de prédiction
liées à la position du soleil par rapport à la Terre. du risque des assurances sont remis en cause
(zoom n°4).
La révolution industrielle est venue bouleverser
cet équilibre : en brûlant des carburants fossiles,
l’activité économique a commencé à rejeter Zoom n°4 Un monde sans assurances ?
dans l’atmosphère le carbone stocké par les
végétaux de la préhistoire. Ainsi, en 250 ans, la En Floride, l’ensemble des cyclones de 2004 et
2005, les 2 années les plus touchées de mémoire
concentration de CO2 dans l’atmosphère est
d’homme, ont coûté 345 milliards de dollars, dont
passée de 280 ppm à 380 ppm. Ce niveau est
135 pour Katrina. Les climatologues du GIEC, parmi
35% supérieur à son niveau le plus élevé depuis
les plus prudents, estiment probable31 que de tels
plus de 400 000 ans (fig. n°2, en haut). évènements vont continuer d’augmenter en
fréquence, mais sans pouvoir quantifier ce
Le CO2 rejeté par les carburants fossiles et les changement. Ces évolutions remettent en cause le
cimenteries n’est pas le seul produit de la modèle économique des compagnies
révolution industrielle à causer problème. Il s’y d’assurance, qui ont besoin d’asseoir leurs calculs
ajoute celui issu de la calcination du calcaire de primes sur des probabilités de risques connues.
dans les cimenteries (5% des émissions), et
Les compagnies d’assurance pourraient se révéler
surtout celui de la déforestation et de
incapables de prendre en charge des événements
l’appauvrissement des sols. Par ailleurs,
échappant aux prévisions, ou augmenter tellement
l’agriculture et l’industrie chimique rejettent les primes que de plus en plus d’individus et
d’autres gaz à effet de serre (GES), qui d’entreprises, renonceront à s’assurer32. C’est déjà
contribuent à plus de 30% de l’effet de serre le cas aux Etats-Unis, où l’Etat a dû se substituer aux
anthropique (tableau n°1), voire 40% si l’on y compagnies d’assurance pour indemniser les
ajoute l’ozone. victimes d’ouragans.
L’accumulation de ces gaz déstabilise le
système climatique. En effet, le climat est un
système complexe, instable, régi par des
équations non linéaires de la théorie du chaos.
Ces systèmes montrent une forte dépendance
aux conditions initiales : un changement très
faible peut suffire à les faire basculer
brutalement d’un état à l’autre.
Depuis le début de la révolution industrielle, la Vallée de la Somme, 2001
température terrestre moyenne s’est réchauffée
de 1°C en moyenne. L’océan, lui ne s’est
réchauffé que d’à peine 0,5°C en surface. Ces
différences encore faibles sont inégalement
réparties, et, suffisent déjà à provoquer des
perturbations importantes. Ainsi, aux pôles, la
hausse atteint 6°C, assez pour provoquer le
dégel des glaces polaires et la montée des
eaux. La hausse de température de 0,5°C de
l’océan a suffi pour augmenter l’intensité des
ouragans en Floride, et doubler la fréquence des
plus violents d’entre eux sur les 30 dernières
années30.
On assiste ainsi à une augmentation des
événements extrêmes, souvent catastrophiques :
canicules, sécheresses, inondations, cyclones.
Onze des années les plus chaudes depuis 1880
se situent dans les douze dernières années, et la
fréquence des ouragans a doublé en 30 ans.
Ces perturbations détruisent des milliers de vies
humaines : 35 000 morts en Europe pour la
canicule de 2005.
Le livre blanc de l’Economie Positive 14
16. Eviter l’emballement
! !!!!!!!!!!!!!!!
Alors, que se passera-t-il si les températures Vingt ans ont suffi pour moderniser l’agriculture
continuent d’augmenter ? Le risque d’une française et passer du cheval (1950) au tracteur
déstabilisation complète du climat, in- (1970). Vingt ans ont suffi pour sortir l’Asie de la
compatible avec le maintien de notre économie famine (1955) et la mettre sur la voie de la
et de notre civilisation, est proche. C’est ce que croissance (1975). Certains assimilent cette
rappelle par exemple Hansen, un climatologue volonté à celle du plan Marshall , par lequel les
de la NASA : « En poursuivant la tendance Américains ont fourni à l’Europe les moyens de
actuelle, on arrive à une augmentation de la se reconstruire après 1945. Les enjeux du climat
température de 2 ou 3°C. On verrait alors des appellent un plan Marshall planétaire.
changements qui feraient de la Terre une tout
autre planète que celle que l’on connaît
aujourd’hui. La dernière fois dans l’Histoire que la Idée reçue n°3 Les coûts du changement
Terre a été aussi chaude, c’était il y a environ 3
climatique peuvent être chiffrés
millions d’années – et le niveau des mers était 25
m plus élevé qu’aujourd’hui.33 » Le rapport Stern36 chiffre le coût global sur les 10 ans
à venir du changement climatique : 5.500 milliards
Le dernier rapport du GIEC (février 2007) d’euros, soit 15% du PIB mondial annuel ou 18 fois le
envisage des hausses de 1,1 à 6,4°C pour le budget de l’Etat français. De tels calculs
prochain siècle. Ces prévisions sont modérées : entretiennent l’illusion qu’il est possible de
le GIEC est un groupe intergouvernemental, dont modéliser les conséquences du changement
climatique sur l’économie. Ils reposent sur une vision
les conclusions résultent de compromis entre des
obsolète de la physique et de l’économie, qui
positions très diverses. Or, un nombre croissant
obéiraient à des lois linéaires, comme la physique
d’experts refusent de cautionner cette
de Newton. En réalité, l’atmosphère et le climat,
fourchette : au-delà d’une hausse de 2°C, la tout comme les marchés financiers, sont régis par la
modélisation devient impossible34. En effet, à théorie du chaos. Ils peuvent changer brutalement
partir de certains seuils, la hausse de la d’état suite à une faible perturbation. C’est ainsi
température est un phénomène auto-renforcé : que sur une place boursière, le retrait d’un seul
les réservoirs de carbone naturels que sont les agent financier peut entraîner tous les autres à sa
sols, les permafrosts, la végétation et les océans suite et provoquer un krach.
se mettent à vider leurs stocks. Un emballement
Le climat est proche du krach. La hausse des
du réchauffement climatique, aux effets par
températures est telle, que le comportement des
nature imprévisibles, est alors probable (Idée
océans, des sols et de la végétation menace de
reçue n°3). s’inverser. Au lieu d’absorber du carbone, ils
commencent à en rejeter. Ainsi, pendant les
Sur les 30 dernières années, le taux de CO2 dans canicules, les végétaux freinent leur croissance
l’atmosphère s’est accru en moyenne de 1,5 pour éviter les pertes en eau : ils émettent alors du
ppm par an, soit un flux net de 3 GtC/an (3 carbone au lieu d’en stocker. Dans le Grand Nord,
milliards de tonnes d’équivalent carbone). Mais le dégel des permafrosts a commencé. Ces sols
les émissions ont augmenté, et la capacité de gelés représentent 20% des terres émergées, et
stockage des puits naturels diminue. Ainsi, entre atteignent jusqu’à 440 m d’épaisseur... Ils
1995 et 2005, l’accroissement moyen a été de contiennent des milliards de tonnes de carbone,
1,9 ppm/an35 - et 2,5 pendant les années les plus piégés sous formes d’hydrates de méthane, que la
chaudes, du fait du ralentissement de la fonte transforme en CO2 et en CH4. Selon
croissance des végétaux pendant les canicules. l’expression d’Hubert Reeves, l’Homme s’apprête
Par ailleurs, il faut tenir compte de ainsi à « libérer les dragons » .
l’accroissement des émissions des pays Plus inquiétant encore est le rôle des océans. Le
émergents. Ainsi, en l’absence de mesures carbone qu’ils ont absorbé depuis 250 ans
correctrices, la concentration de CO2 dépassera provoque une acidification des eaux, qui limite la
450 ppm dans environ 20 ans, ce qui correspond capacité du plancton à fixer du carbone. En cas
à une hausse de température de 2°C, de réchauffement continu, les océans pourraient
rapprochant sérieusement le risque d’un même libérer les hydrates de méthane stockés en
emballement (cf. tab n°2, scénario 1). profondeur. En raison de leur inertie thermique, les
océans se sont encore peu réchauffés : ils
Bonne nouvelle : cela signifie qu’il nous reste 20 représentent une véritable bombe à retardement.
ans pour mettre en place une économie Aucun modèle physique ne permet de prédire les
positive, qui stocke du carbone et restaure la effets d’un emballement du réchauffement
stabilité du climat. Vingt ans, C’est suffisant pour climatique. Une chose est sûre : les conséquences
transformer les bases de l’économie, à condition économiques – catastrophes naturelles, famines,
de démarrer vite. Vingt ans ont suffi pour épidémies, déplacements de population –
reconstruire les économies d’Europe après la dépasseront elles aussi toute capacité de calcul.
seconde guerre mondiale, et transformer un
champ de ruines (1945) en une économie en
plein boom (1965).
Le livre blanc de l’Economie Positive 15
17. Arrêter la fuite en avant
! !!!!!!!!!!!!!!!
D’ores et déjà, un nombre croissant de
consommateurs, d’entreprises et de territoires Idée reçue n°4 Le changement
ont pris acte du réchauffement et mettent en climatique ? Il faut s’adapter !
place des solutions visant à s’adapter à ce qui Une stratégie classique, face au réchauffement
paraît inéluctable. Les stratégies d’adaptation au climatique, consiste à investir dans la climatisation :
changement climatique relèvent le plus souvent un bel exemple de renforcement du changement
de la fuite en avant : en s’adaptant, les acteurs climatique dû à l’Homme. Les climatisations
économiques renforcent le problème. C’est le automobiles, par exemple, engendrent une
cas par exemple de la climatisation des surconsommation de 15%, soit autant de rejets de
automobiles et des bâtiments, lorsqu’elle est CO2. Quant aux entreprises qui investissent dans la
alimentée par des énergies fossiles, ce qui est vente de climatiseurs en croyant y déceler le
majoritairement le cas à l’échelle planétaire marché de demain, elles risquent des déceptions
(Idée reçue n°4). lorsque le prix du carburant et des quotas de
carbone rendra leur utilisation prohibitive… à moins
De la même manière, les réponses à la hausse d’investir dans des climatisations solaires.
des prix de l’énergie relèvent de la fuite en Comment relancer l’économie de la Mongolie ou
avant. Pour remplacer le pétrole, la tentation est du Maroc, pays frappés par des sécheresses sans
grande d’utiliser le charbon, moins cher mais précédent, dues au changement climatique ? Dans
plus fortement émetteur de carbone, ou de faire ces deux pays, la même solution est avancée : le
appel aux gisements de sables bitumineux, dont développement du tourisme, et de préférence en
l’exploitation est fortement consommatrice provenance des pays riches, donc reposant sur
d’énergie. Il est ainsi illusoire d’espérer que l’avion... le mode de transport qui contribue le plus
l’épuisement des réserves de pétrole sauvera au réchauffement climatique, par kilomètre-
l’économie de l’emballement climatique. passager. Et en effet, les compagnies aériennes
« low-cost » se multiplient, baissant leur niveau de
service pour conserver des clients malgré la hausse
Comment se fait-il qu’autant de « réponses » aux
du prix du pétrole. Jusqu’à quand ce modèle
nouveaux enjeux de l’économie aggravent le
d’investissement sera-t-il rentable ?
problème ? Parce que les acteurs économiques
qui les mettent en œuvre sont prisonniers d’un
modèle linéaire, dépendant des énergies
fossiles, qui ne sait intervenir sur un problème Oasis, première compagnie low-cost longue
qu’en dépensant plus d’énergie, et en rejetant distance : adaptation ou fuite en avant ?
plus de carbone.
Les entreprises et les territoires qui s’adaptent de
cette manière s’enferment dans un modèle qui,
demain, deviendra impossible à maintenir en
raison du coût croissant de l’énergie et de la
tonne de carbone émise. C’est à la racine du
problème qu’il faut agir : en mettant en place
des stratégies de croissance qui réduisent les
émissions et absorbent du carbone.
Le livre blanc de l’Economie Positive 16
18. Des scénarios pour 20 ans
! !!!!!!!!!!!!!!!
Les solutions avancées pour le changement
climatique visent à limiter l’augmentation de
carbone dans l’atmosphère, et à stabiliser sa
concentration en dessous de 450 à 550 ppm d’ici
à 2050. Cela correspond à une division par 2 des
émissions globales, soit une division par 4 dans les
pays industrialisés, en considérant que les pays
pauvres et émergents ne seront pas en mesure
de réduire leurs émissions. Cet objectif
correspond au « facteur 4 » de réduction défini
pour la première fois dans un rapport au Club de
Rom en 199737, et repris dans la plupart des
Fig n°3 Stocks et flux de carbone en Gt40
politiques de lutte contre le changement
Emissions en rouge, absorptions en vert. Les chiffres
climatique, notamment en France38.
dans chaque case représentent les stocks. Pour
chaque flux, l’incertitude est de +/- 1 Gt. Rappelons
Cet objectif est-il suffisant ? Sans doute pas : que 1 t de CO2 contient 0,27 t de carbone, donc 1
compte tenu de l’inertie des océans, même en GTC correspond à 3,27 t de CO2.
cas de stabilisation de la concentration de CO2 à
des valeurs égales ou supérieures aux valeurs
actuelles, la température continuerait
d’augmenter, jusqu’à l’emballement. La seule
Réduire les émissions fossiles
solution permettant de stabiliser le climat de Les émissions proviennent essentiellement de la
manière durable est de revenir aux niveaux de combustion des carburants fossiles, et, pour 5%,
concentrations de gaz carbonique antérieurs à la à la calcination du calcaire pour les cimenteries.
révolution industrielles, et qui ont permis à En effet, l’économie actuelle repose à 77% sur
l’humanité de jouir un climat relativement stable les énergies fossiles : pétrole (32%), charbon
sur les 10 000 dernières années39. (26%), gaz (19%). Mais compte-tenu de sa teneur
en carbone, c’est le charbon qui contribue le
plus aux rejets de CO2 (42%), suivi du pétrole
L’objectif à atteindre est donc bien la restauration
(40%) et du gaz (18%).
du climat. Cela suppose de travailler sur le
« scénario manquant » qui suppose de ramener
Tab n°2 Emissions de carbone dues à la
le taux de CO2 atmosphérique au niveau
combustion des carburants fossiles (kg/tep)
antérieur à l’ère industrielle : 280 ppm. Pour cela,
il faut mettre en place une économie qui stocke Kg éq. C/tep Index
plus de carbone qu’elle n’en émet. Gaz naturel 650 1
GPL 730 1,12 (+12%)
Essence 830 1,28 (+28%)
Il s’agit bien d’un « scénario manquant », absent
Kérosène 850 1,31 (+31%)
de tous les scénarios officiels. Pourquoi cette
Diesel, fioul 860 1,32 (+32%)
absence ? Pour réduire la quantité de CO2
Charbon 1120 1,72 (+72%)
atmosphérique, il faudra réduire les émissions,
Sources : ADEME et EDF41. 1 tep = 12MWh = 43 GJ.
mais aussi utiliser les sols et la végétation pour
capter et stocker durablement du carbone. Or
les connaissances dans ce domaine sont encore Chaque année, l’économie mondiale
balbutiantes, et les spécialistes qui rédigent les consomme 10 milliards de tep (tonnes
scénarios officiels sont rarement formés à la équivalent pétrole) d’énergie, qui rejettent ainsi
gestion des sols et de la forêt. Une lacune qu’il 7 Gt d’équivalent carbone42. Pour réduire ces
est temps de combler. Explications. émissions, il est possible d’ agir sur deux facteurs :
l’intensité énergétique de la croissance
Pour ramener le taux de carbone (quantité d’énergie par Euro produit), et
atmosphérique à ses concentrations pré- l’intensité carbone (quantité de carbone par
industrielles, il faut agir sur les différents flux de unité d’énergie, ou par Euro produit).
carbone :
! 8 à 9 GtC rejetés par l’économie, dont 7 par Ainsi, entre 1970 et 1985, les mesures d’efficience
les carburants fossiles et la combustion de énergétiques et le développement d’énergies
calcaire, et 1 à 2 par la déforestation et les alternatives au pétrole ont permis une baisse de
changements d’utilisation des sols. La première 2 à 3% par an de l’intensité carbone de
étape est de réduire ces émissions. l’économie aux Etats-Unis et en Europe43. En
Europe, ces mesures ont été maintenues dans
! 3 GtC absorbés par les puits de carbone, dont les années 1990, grâce aux politiques de
2 par les océans et 1 par les sols et la taxation de l’énergie fossile. Aux Etats-Unis, par
végétation. Cette capacité d’absorption contre, la baisse du pétrole, pendant la même
diminue avec la température. Il est donc période, a été répercutée aux entreprises et aux
urgent de restaurer, puis d’augmenter le particuliers, qui ont alors réduit leurs efforts.
stockage de carbone dans la biosphère.
Le livre blanc de l’Economie Positive 17
19. L’industrie dispose aujourd’hui d’une panoplie d’efficience énergétique (scénario 4). Il est aussi
de techniques beaucoup plus large que dans possible d’imaginer un scénario dans lequel
les années 1970, en particulier dans le domaine l’effort de réduction des émissions est plus fort
de l’efficience énergétique. Dès aujourd’hui, les dans les pays industrialisés, qui ont le plus de
technologies permettant de diviser par 5 la moyens d’investissements. Le résultat est une
consommation d’énergie d’un bâtiment, et de parité des niveaux d’émissions en 2025, qui
diviser par 4 celle des véhicules, sont disponibles. permet elle aussi de stabiliser les émissions en-
Il ne manque que la volonté de les appliquer de dessous de 415 ppm (scénario 5).
manière générale.
Ces réductions d’émissions peuvent aussi être
Une baisse de 5% par an, sur les vingt ans à obtenues par le stockage géologique du
venir, de l’intensité énergétique de l’économie, carbone. Ce procédé consiste à capter du CO2
serait suffisante pour compenser la hausse du PIB et à l’injecter dans des mines de sels ou des
mondial et stabiliser les émissions de CO2 gisements de pétrole désaffectés. La limite
mondiales à leur niveau actuel. Cela principale de cette technique est qu’elle ne
correspond au scénario 3 du tableau ci-dessous. permet pas de repomper le carbone émis dans
C’est une première étape, indispensable mais l’atmosphère depuis la révolution industrielle. Elle
insuffisante. Elle doit absolument mobiliser les présente cependant un potentiel de réduction
pays émergents, sans quoi la hausse de leurs des rejets de CO2 sur des sites à émissions
émissions suffira à provoquer un emballement du concentrées, comme les centrales thermiques
climat (scénario 1 et 2). Cela signifie qu’il est ou les sites industriels, soit environ 25% des
nécessaire d’investir pour améliorer l’efficience émissions mondiales annuelles (usines
énergétique, non seulement dans les pays principalement).
industrialisés, mais dans les pays émergents.
Il est donc possible de se donner pour objectif,
L’économie dispose aussi d’une panoplie plus en 20 ans, de réduire les émissions de carbone à
large de technologies de production d’énergie. un niveau permettant une stabilisation des
En substituant chaque année 5% des carburants concentrations de CO2. Cela suppose toutefois
fossiles par des énergies non émettrices de un engagement, dès maintenant, de tous les
carbone – énergies renouvelables et nucléaires acteurs économiques pour modifier
– il est possible de stabiliser à 415 ppm la radicalement la base de l’économie – le pétrole
concentration de carbone dans l’atmosphère à et les énergies fossiles – et passer à une
l’horizon de vingt ans, et ce même avec une économie efficace en énergie et reposant sur
croissance de 5% par an du PIB mondial – mais à des énergies n’émettant pas de carbone :
condition d’avoir réalisé la première étape nucléaire et énergies renouvelables.
Tab 3. Quelques scénarios d’évolution des émissions de carbone par les carburants fossiles
Scénario 1 Scénario 2 Scénario 3 Scénario 4 Scénario 5
Pays riches (OCDE, 1,25 milliards d’habitants)
Evolution des 0% (stables) -7% 0% -5% -9%
émissions par
habitant, 2007-
2027 (%/par an)
Emissions par 2,8 0,66 (4 fois 2,8 1 0,33 (8 fois
habitant, 2027 (t) moins qu’en moins qu’en
2007) 2007)
Emissions totales 3,5 0,82 3,5 1,25 0,43
2027 (Gt)
Pays pauvres (hors OCDE, 5,25 milliards d’habitants)
Evolution des +5% +5% 0% -5% -3,5%
émissions par
habitant, 2007-
2027 (%/par an)
Emissions par 1,77 1,77 0,67 0,24 0,33 (2 fois
habitant, 2027 (t) moins qu’en
2007)
Emissions totales 11,11 11,11 4,38 1,5 2,05
2027 (Gt)
CO2 465 450 455 412 408
atmosphérique,
2027, ppm
Idem, 2050 (793)* (740)* (523)* 415 412
* Les chiffres entre parenthèses correspondent à des concentrations de carbone au-delà lesquels les
risques d’emballement sont tels que les prévisions deviennent impossibles.
Le livre blanc de l’Economie Positive 18
20. Inverser la pompe à carbone : les
sols et les végétaux
En réduisant de manière significative les Aujourd’hui, la végétation et les sols en place
émissions de carbone fossile, il est possible de rejettent environ 60 Gt de carbone par an (fig
stabiliser la concentration de carbone autour de n°3) : ces rejets sont dûs à l’activité normale des
415 ppm. Cet effort n’est pas suffisant, à lui seul, plantes et des micro-organismes du sol, qui
pour stabiliser le climat, en raison de l’inertie du consomment des réserves de sucre. Dans le
réchauffement. Il est donc nécessaire de faire même temps, pendant les périodes où la
redescendre le taux de carbone dans photosynthèse est active (la journée, en dehors
l’atmosphère, ce qui suppose des méthodes de des périodes de canicule), les végétaux et les
captage et stockage durable du carbone. bactéries absorbent du carbone. On estime à
environ 61 Gt cette absorption annuelle. Ainsi, la
Or, le seul moyen disponible aujourd’hui pour pompe à carbone des végétaux (zoom n°5)
capter du carbone diffus dans l’atmosphère et le absorbe en net 1 Gt de carbone par an. Mais
stocker de manière durable réside dans la par ailleurs, la déforestation et
biosphère : stockage dans les sols, dans la l’appauvrissement des sols agricoles aboutissent
végétation en croissance, dans les biomatériaux. à rejeter chaque année environ 1,6 Gt de
La restauration du climat passe donc par une carbone dans l’atmosphère.
combinaison de réduction des émissions de gaz
à effet de serre et de stockage de carbone Ainsi, l’ensemble « sols-végétaux » rejette plus de
dans la biosphère. CO2 qu’il n’en absorbe. Cette situation est
l’inverse de ce qu’a connu la Terre dans le
passé. Pendant toute la préhistoire, au
contraire ; les sols et les végétaux ont permis
Zoom n°5 La pompe à carbone d’absorber du carbone (cf. ci-dessus). Il est
Les végétaux et les bactéries sont le plus ancien temps de relancer la pompe à carbone
moyen d’absorber du carbone. En présence de constituée par les sols et la végétation.
chlorophylle, la photosynthèse permet aux
végétaux de capter l’énergie lumineuse pour La première stratégie, la plus urgente, consiste à
agréger des atomes de carbone et d’hydrogène, stopper la destruction des forêts dans le monde
prélevés dans l’atmosphère et dans le sol, selon la entier, et de remplacer l’abattage des forêts par
réaction : 6 x (CO2 + H2O) " C6H12O6+ 6 O2 l’exploitation de ressources en bois
renouvelables, par exemples issues de
plantations ou de forêts gérées de façon
durable, selon les normes définies par le Forest
Stewardship Council (FSC).
La deuxième stratégie consiste à inverser la
dégradation des sols agricoles. L’agriculture
motorisée et chimisée, à base de labours
profonds et d’engrais chimiques, a abouti à une
baisse des taux de matière organique, et donc
de carbone, dans les sols. Cette baisse peut
atteindre 70% par endroits. Il est possible
Chlorophylle dans les cellules végétales : la plus d’augmenter le stockage de carbone dans les
efficace des pompes à carbone sols en mettant en place des techniques
agricoles qui améliorent les taux de matière
organique des sols – avec pour corollaire une
meilleure fertilité, et moins de besoins en
Les chaînes hydrocarbonées ainsi constituées sont la irrigation. Plusieurs techniques ont été mises au
base des sucres : glucose, amidon, cellulose, etc. point pour parvenir à ces objectifs, comme par
(CnH2n), réserves d’énergie de la plante. En exemple les pratiques de zero tillage ou
présence de chaleur et d’oxygène, les chaînes
conservation tillage (suppression du labour, ou
hydrocarbonées se cassent : c’est la combustion,
labours peu profonds). Toutes les techniques qui
qui restitue l’énergie… et le carbone stocké (tab
reposent sur des engrais organiques et non
n°1). Le pétrole est lui-même une longue chaîne
hydrocarbonée issue de la transformation, sous
chimiques permettent aussi de restaurer le taux
pression, de déchets animaux et végétaux au cours de carbone dans les sols.
de la préhistoire. Le charbon a une origine
semblable, avec une durée et une pression telles Il faut citer également l’utilisation du bois raméal
que la plupart de l’hydrogène a été expulsé. Le fragmenté (BRF) une technique issue du
calcaire (CaCO3), quant à lui, est constitué des Canada, qui permet d’accélérer le stockage de
restes de coquilles et squelettes de milliards carbone dans les sols en épandant du bois de
d’organismes marins. jeunes branches finement broyées. Elle permet
de reconstituer des sols fertiles, riches en
carbone, sur des régions désertifiées, et
d’enrichir les sols appauvris en matière
organique par l’utilisation des engrais chimiques.
Le livre blanc de l’Economie Positive 19
21. Le problème de la reforestation est la durée du Aujourd’hui, les sols et la végétation contiennent
stockage du carbone dans les arbres : c’est environ 2200 Gt de carbone (600 dans la
pourquoi cette solution est peu prise en compte végétation, 1600 dans les sols)44. Il faut y inclure
aujourd’hui. En effet, il faut pouvoir vérifier le carbone stocké dans les biomatériaux
chaque année que le carbone stocké dans une comme le bois, que l’on peut estimer à 10 Gt45.
forêt ou un sol y reste. Pour pallier cette difficulté,
il est possible d’envisager une troisième En pratique, il y a encore peu de données
stratégie : le stockage de carbone dans les scientifiques permettant de quantifier
biomatériaux, comme le bois (environ 10 GtC au précisément la quantité de carbone stocké par
niveau mondial aujourd’hui). Chaque différents types de sols et de végétation. Les
construction en bois devient ainsi une chiffres du tableau 3 ne représentent que des
opportunité de stockage de carbone pendant moyennes susceptibles de fortes variations. Ainsi,
toute sa durée de vie – le matériau pouvant les résultats d’expérience disponibles fournissent
ensuite être réutilisé, ou brûlé en substitution de des données très variables selon les sites, les
carburants fossiles. techniques et les espèces employées, etc. Il est
urgent de travailler sur cette thématique,
compte-tenu de son potentiel pour contribuer à
la restauration du climat.
Zoom n°6 Les stocks de carbone
Il est possible néanmoins de fournir une
Toutes les surfaces végétales ne pompent pas du évaluation du « scénario manquant » : restaurer
carbone : une forêt « mature » en équilibre rejette el climat en ramenant le taux de CO2 dans
autant de carbone qu’elle en prélève. En l’atmosphère à son taux pré-industriel de 280
revanche, une forêt en croissance absorbe du ppm.
carbone (le bois en contient environ 50%). Dans les
régions tropicales, le carbone est surtout stocké Pour atteindre ce résultat, il faut combiner trois
dans les arbres. Ainsi, la déforestation est une cause types de mesures :
importante d’émissions de carbone, compte tenu ! les réductions d’émissions envisagées dans le
du fait que plus de la moitié du bois abattu est tableau 2
brûlé ou décomposé.
! ralentir la déforestation et la dégradation
Dans les régions plus froides, la matière végétale se des sols
décompose plus lentement dans les sols, qui
contiennent ainsi plus de carbone. Mais les sols
! stocker du carbone par la reforestation et la
agricoles de ces régions subissent un restauration des sols.
appauvrissement, du fait de l’utilisation d’engrais
chimiques – dont l’urée, issue de la pétrochimie, qui Ainsi par exemple, il est possible d’atteindre 280
remplace l’azote organique fourni autrefois par les ppm dans 40 ans – et revenir à 340 ppm d’ici 20
engrais animaux. Ces sols contiennent moins de
ans – en combinant les mesures suivantes :
matière vivante, et donc moins de carbone que les
sols de culture à base d’engrais organiques. ! réduction de 5% par an des émissions de
carburants fossiles
Tab3. Stockage de carbone ! diminution de 50% par an du taux de
dans les sols et la végétation (t/ha) déforestation et de dégradation des sols
! augmentation de 0,1% par an de la quantité
En tonnes / Végé- Sol Tot Sol/tot
de carbone stocké dans les sols et la
hectare tation
végétation mondiale. Cela correspond à
Terres cultivées 2 80 82 98%
une absorption de 2,2 Gt de carbone par
Forêts tropicales 120 123 243 51%
an, ou encore une augmentation de 10%
Forêts tempérées 57 96 153 63%
par an sur 1% des surfaces.
Forêts nordiques 64 344 408 84%
Savanes 29 117 146 80%
Tous les moyens nécessaires sont déjà
Prairies 7 236 243 97%
disponibles pour freiner le réchauffement
tempérées
Toundra 6 128 134 95%
climatique et restaurer le climat. Il reste 20 ans
Zones désertiques 2 42 44 96%
pour agir : dans 20 ans, les seuils d’emballement
Zones humides 43 643 686 84% seront peut-être atteints dans le cadre de
Sources : GIEC, rapport 2001 l’économie actuelle. En construisant une
économie positive, il est encore possible de
choisir un autre destin.
Le livre blanc de l’Economie Positive 20