2. Résumé
1 - Quelle situation ?
2 - Quelle dynamique ?
3 - Quels facteurs explicatifs ?
4 - Quelles perspectives ? De la mesure des quantités à celle de l’efficience.
Le BIPE remercie les personnes qui ont accepté de le rencontrer pour échanger sur ce sujet :
- Philippe Cavalié (AFSSAPS) auteur du rapport de l’Agence sur « l’analyse des ventes de
médicaments aux officines et aux hôpitaux en France 1997-2007 » (9e
édition, avril 2009).
- Pierre Chahwakilian et Guénolé Nicol (GSK), parmi les co-auteurs de l’étude Essec-Santé
« évolution comparée de la consommation de médicaments dans 5 pays européens entre 2000
et 2004 : analyse de 7 classes pharmaco-thérapeutiques » (février 2007).
- Jocelyn Courtois (CNAMTS), co-auteur de l’étude « consommations européennes sur huit
classes de médicaments » (dans la série Cnamts : Points de Repères n°12, décembre 2007).
- Pierre-Jean Lancry (HCAAM), co-auteur des notes sur le médicament du Haut-Conseil pour
l’Avenir de l’Assurance Maladie.
NB : Les analyses faites dans la présente synthèse et son résumé sont de la seule responsabilité
de son auteur (Patrick Bertin, BIPE).
Soulignons que l’objet de cette analyse est celui de la consommation en quantité.
Dans son rôle de « think tank innovation santé », Le LIR (Laboratoires Internationaux de
Recherche) a demandé au BIPE d’analyser les résultats de 4 études récentes qui traitent de
comparaisons internationales de CONSOMMATION DE MEDICAMENTS EN QUANTITE.
L’objectif de ce travail est d’apporter un éclairage sur la situation de la consommation de
médicaments en France, comparée aux autres grands pays européens.
3. L’examen des études disponibles montre que la question de la consommation française de
médicaments en quantité a beaucoup évolué depuis les années 90.
Pathologies majeures : la « pente » française actuellement en queue du peloton européen.
Pour presque toutes les pathologies majeures et chroniques étudiées (ici 8 grandes pathologies
représentant près de 40 % des remboursements de médicaments), on constate entre 2000 et 2005
une croissance nettement plus rapide de la consommation en quantité chez chacun de nos quatre
grands voisins qu’en France (étude Essec-Santé confirmée par étude Le Pen).
De plus, sur la dernière période 2004-2008, un autre travail (Direction de la Sécurité sociale), limité
à trois de ces grandes pathologies mais élargi à huit pays, a confirmé que la pente française de
croissance des « volumes » est en queue du peloton européen.
Médicaments à 35 % : de grands changements.
Dans les classes plus « mineures », des pans de consommation qui pesaient lourd, non pas tant
en valeur mais en quantité (10 % du marché remboursable en nombre de boîtes), ont vu leur
consommation chuter de 60 % en volume, suite aux déremboursements de 2006-2008. On peut
ajouter à cela une classe qui était souvent citée pour sa « surconsommation » mais qui est restée
remboursée, les vasodilatateurs, dont les quantités vendues ont chuté des deux tiers en dix ans.
Aujourd’hui, si les classes remboursées à 35 % représentent encore près de 30 % des boîtes du
marché remboursable, elles ne font plus que 6 % des remboursements de médicaments de la
Cnamts. Elles sont donc davantage un sujet pour les complémentaires que pour l’assurance-maladie.
Des exemples que les comportements peuvent évoluer.
Des résultats assez spectaculaires ont été obtenus dans la classe emblématique des antibiotiques
(depuis 2000 : -16 % à -25 % selon les critères), ce qui montre que les comportements peuvent
changer quand des actions fortes sont menées en direction des médecins et des patients.
Pour les tranquillisants, où la France n’est d’ailleurs pas toute seule à son très haut niveau (avec
l’Espagne), la baisse est plus marginale en nombre de boîtes mais la « désaccoutumance » est assez
nette en doses consommées par habitant (-14 % en 10 ans : étude Afssaps) ce qui témoigne nous
semble-t-il d’une prescription plus pesée. Cette spécificité française est souvent citée à juste titre à
cause des très grands écarts de consommation entre pays. Mais elle a un faible poids économique :
même en ajoutant aux tranquillisants les hypnotiques/sédatifs, l’ensemble ne fait que 1 % du marché
total en valeur.
Chaque pays a ses classes de prédilection…
Aujourd’hui, les pays leaders - et le classement des pays - sont très variables selon les classes et avec
des écarts très importants (cf. tableau), preuve du caractère multi-factoriel de la consommation de
médicaments en quantité. Globalement parlant, la France serait probablement toujours en tête du
peloton des 5 grands européens en 2008 si on « additionnait » toutes les classes du marché, majeures et
plus mineures (pour autant que cela ait un sens). Mais l’écart s’est considérablement réduit depuis 2000.
…et le haut niveau français est aussi la contrepartie d’un système ouvert et généreux…
Il y a certes des facteurs « culturels » et comportementaux qui sont enracinés collectivement et
qui expliquent telle ou telle particularité d’un pays. Mais le facteur explicatif sans doute le plus
important pour la France est son système de soins : haut niveau de couverture (93 % des personnes
ont une complémentaire qui couvre, en tiers payant, à 100 % pour le médicament – sauf le très récent
forfait de 0,50 euro), combiné à un haut degré de liberté pour consulter et une grande liberté laissée
au médecin (objectifs médicalisés seulement depuis 2005, non opposables).
Résumé
4. 4
Les autres pays ont souvent des systèmes moins généreux pour le patient ou plus encadrés
pour les médecins. Pourtant, actuellement, on a vu qu’ils progressaient nettement plus vite en
consommation quantitative. Ce « rattrapage » apparent vient de la demande de santé, qui est
forte partout : les maladies graves et chroniques sont en hausse - et pour les mêmes raisons
- dans tous les pays occidentaux : cancer, pathologies cardiovasculaires, obésité, diabète,
asthme, dépression, maladies dégénératives, allergies,…
Ces pathologies sont le cœur de la croissance du marché. C’est pourquoi, à l’avenir, comme
le fait d’ailleurs déjà l’étude Cnamts, le débat va se porter sur la structure de consommation
et in fine la comparaison en valeur, et non plus en quantité. Autrement dit, à quantité donnée,
on prescrit des produits plus ou moins chers selon les pratiques médicales et les incitations
financières médecins/patients qui existent dans les différents pays. Derrière, il y a la question
du poids des génériques et celle de la pénétration des produits récents, généralement plus
efficaces ou mieux tolérés, mais alors plus chers.
En bonne logique, on ne devrait pas parler de surconsommation a priori (même s’il est évident
qu’il faut lutter contre le gaspillage et l’iatrogénie) mais regarder les besoins et comment ils
sont pris en charge, pathologie par pathologie. En effet, même dans les pays développés, une
fraction non négligeable de la population vit avec des maladies chroniques soit non dépistées,
soit non (ou mal) prises en charge. Peut-être est elle moindre dans un pays comme la France
qui rembourse très bien et sans files d’attente !
…système enviable, mais qui a un coût qui nous concerne tous.
Si on élargit la perspective, on constate que la France est au 3e
rang mondial pour le ratio
dépense totale de santé/PIB avec 11 % derrière les USA et la Suisse (source OCDE) et au 1er
rang de l’UE à 27 pays devant la Suède pour les dépenses totales de protection sociale, avec
31,1 % du PIB (source Eurostat).
C’est pourquoi, faire du médicament le bouc émissaire des déficits, ce serait oublier
les progrès de ces dernières années, mais ce serait surtout passer à côté de la réforme
structurelle à amplifier : le système français est facile d’accès et généreux, mais cela a un
coût socialisé, et tous y contribuent (professionnels, patients, complémentaires,…). En même
temps, nos habitudes de vie expliquent largement la hausse des pathologies (alimentation,
tabac, sédentarité, modes de production, pollution).
Autrement dit, il nous semble que c’est le système tout entier - et pas seulement le
médicament - qui a des marges pour progresser en efficience, et tous ses acteurs en
responsabilisation. Le meilleur exemple est celui de la progression très rapide du nombre de
personnes en ALD pour laquelle le remède de long terme est autant dans les gains d’efficience
du système que dans les inflexions collectives de nos modes de vie et de consommation.
5. 1.1 Beaucoup de changements depuis 1990
L’image d’une France complètement atypique remonte au début des années 90. A l’époque, il existait
effectivement des écarts très importants en consommation totale de médicaments.
Mais, pour la petite histoire, il est vrai qu’ils ont pu être accrus par plusieurs biais méthodologiques :
champ du remboursement (très large en France jusqu’en 2006), circuits de distribution hors officine
non comptés dans les études, certaines comparaisons faites simplement en nombre de boîtes
(grands conditionnements courants depuis longtemps en Allemagne et UK), voire définition du
médicament.
Les classes souvent citées étaient : antibiotiques, tranquillisants/hypnotiques, vasodilatateurs,
veinotoniques.Desspécificitésfrançaises,maisquin’étaientqu’unefractiondumarchéremboursable
en France. Et ne faisaient plus en 2008 que 3,4 % (antibiotiques) ; 1,0 % (tranquillisants + hypnotiques/
sédatifs) ; 0,8 % (vasodilatateurs) ; et 0 (déremboursement des veinotoniques en 2008).
Aujourd’hui, l’écrasante majorité de la consommation de médicaments en valeur vient des
pathologies lourdes et chroniques, qui sont en hausse - et pour les mêmes raisons - dans tous
les pays occidentaux : cancer, pathologies cardiovasculaires, obésité, diabète, asthme, dépression,
allergies, maladies dégénératives,… Cela ne veut pas dire qu’il n’existe plus de fortes différences de
consommation dans telle ou telle classe ! Mais l’image d’un pays qui consommerait « trop de tout »
est fausse.
1.2 Les études Essec-Santé (données 2004), Cnamts (2006) et DSS (2008)
En réalité, les pays leaders, les classements et les écarts sont très variables selon les classes
considérées ce qui montre le caractère multi-factoriel de la consommation de médicaments.
Si on compare 5 pays européens (All, Fra, UK, Ita, Esp), en quantité consommée par personne :
- Hypertension, pathologie n°1 en ville (12 % du marché), le leader est clairement l’Allemagne.
- Asthme : le leader est le Royaume-Uni, de très loin (le double des autres pays).
- Anti-cholestérol : le Royaume-Uni est 1er pour les statines (qui font l’essentiel de la classe en C.A.),
mais c’est la France pour les fibrates et l’Allemagne pour les autres régulateurs du cholestérol.
- Antiulcéreux : l’Espagne est très largement 1ère
des 5 pays.
- Tranquillisants : la France ou l’Espagne (selon l’unité de mesure), en tête, de très loin (6 fois plus
qu’en Allemagne ou au Royaume-Uni).
- Antidépresseurs : en tête la France ou le Royaume-Uni ou l’Espagne (selon l’unité de mesure).
- Antibiotiques : en tête la France ou l’Espagne (selon l’unité de mesure) juste devant l’Italie.
- Antidiabétiques oraux : en tête l’Espagne ou la France (selon l’unité de mesure) dans cette classe
qui est relativement groupée pour les 5 pays.
Ces constats sont la synthèse de 2 études qui ont étudié les mêmes classes représentant près de
40 % des remboursements de médicaments en France – hors hôpital :
1 • étude Essec-Santé données 2004 en DDD (defined daily dose = dose définie journalière, fixée par
l’OMS - mais théorique).
2 • étude Cnamts données 2006 en unités de prise standard (= 1 comprimé, 1 cuillerée, 1 bouffée, 1
injection - mais indépendamment du dosage) ;
En synthétisant leurs convergences car les résultats précis dépendent sensiblement de l’unité de
mesure : cf. tableau 1.
Et pour 3 classes (IPP, IEC/sartans, statines), ce constat est actualisé par l’étude DSS (données
2008) : Pour 3 lignes du tableau 1, on a donc substitué à la donnée 2006 (Cnamts), la donnée 2008
publiée par la Direction de la Sécurité sociale (DSS) dans le rapport de la Commission des Comptes
de la Sécurité sociale (CCSS) de juin 2009. C’est la même méthode (unité de prise standard) et
la même source (IMS). Pour 8 pays européens (les 5 grands précédents + Danemark, Pays-Bas,
Suisse).
1. Quelle situation ?
5
6. 6
Tableau 1
Consommation en unités standard par habitant (Cnamts 2006 ou DSS 2008) et
en DDD pour 1000 habitants (Essec Santé 2004) pour 8 classes en ambulatoire
(plus 2 sous-groupes).
Le pays 1er
figure en gras
Le cas des antibiotiques est très intéressant : d’abord parce que la France a obtenu un freinage
spectaculaire de sa consommation depuis 2000 : -16 % en DDD (source : Afssaps) et environ -25 % en
nombre de traitements (source : Cnamts). Ce qui montre que les comportements peuvent beaucoup
changer quand des actions fortes sont menées en direction des médecins et des patients. Mais aussi
parce que des données existent pour un grand nombre de pays européens grâce au réseau ESAC
European. Surveillance of Antimicrobial Consumption) : les pays du Nord restent beaucoup moins
consommateurs que les pays du Sud emmenées par la Grèce et Chypre, devant la France et l’Italie
[l’Espagne est sous-estimée dans les données ESAC car il manque les pénicillines qui sont en libre
accès dans ce pays, mais l’Espagne avait déjà dépassé la France en 2004 en données DDD comme le
montre l’étude Essec].
Source : DSS 6B - rapport CCSS juin 2009 ; Cnamts, Points de repères n°12, déc. 2007 ; Centre de recherche Essec fév. 2007 ;
données IMS
DSS (Direction de la Sécurité sociale) : données 2008 en unités de prise standard (= 1 comprimé, 1 cuillerée, 1 bouffée, 1 injection)
Cnamts : données 2006 en unités de prise standard
Essec-Santé : données 2004 en DDD (defined daily dose = dose définie journalière, fixée par l’OMS pour chaque produit).
Ces 8 classes représentent en France 36% du marché remboursable ville (pfht) et près de 40% des remboursements de
l’assurance-maladie.
Note 1 : les résultats chiffrés du tableau - sans être bouleversés - peuvent différer selon la méthode employée : unités de prise
standard ou DDD. La première a l’inconvénient de faire l’impasse sur le dosage. Et la seconde se heurte au fait que la DDD est
théorique : l’intensité des dosages utilisés varie selon les pays. Pour avoir le nombre exact de traitements, l’idéal serait alors une
étude en PDD (prescribed daily dose).
Note 2 : Il s’agit des consommations apparentes, basées sur les achats, donc supposant que tous les médicaments sont
consommés.
Classe thérapeutique
(% marché remb. France 2008)
Etude ALLEM. ESP. FRAN. ITALIE Roy.
Uni
Dane-
mark
Pays-
bas
SuisSE
Anti-diabétiques oraux
(1,9 % du marché remboursable)
Cnamts (un. st)
Essec (DDD)
25
31
30
44
36
36
28
33
28
25
Antibiotiques
(3,4 %)
Cnamts (un. st)
Essec (DDD)
8
12
18
29
22
27
14
27
19
14
Anti-asthmatiques
(5,2 %)
Cnamts (un. st)
Essec (DDD)
56
60
70
81
78
62
44
65
175
130
Hypocholestérolémiants
(6,3 %)
(dont statines) (5,3 %)
Cnamts (un. st)
Essec (DDD)
DSS (un. st)
Essec (DDD)
21
89
20
65
23
73
24
68
42
113
(28
83
18
59
18
51
32
116
34
100
30 28 21
Produits anti-hypertension
(12 %)
(dont IEC et sartans) (7,4 %)
Cnamts (un. st)
Essec (DDD)
DSS (un. st)
Essec (DDD)
144
415
81
203
82
298
54
158
110
280
59
132
108
351
78
200
118
307
40
111
53 46 56
Anti-dépresseurs (2,7 %)
Cnamts (un. st)
Essec (DDD)
17
27
21
54
29
49
14
28
28
50
Tranquillisants (0,6 %)
Cnamts (un. st)
Essec (DDD)
5
9
36
49
40
47
22
26
6
7
IPP (ulcère) (4,5 %) DSS (un. st) 18 37 24 23 23 16 23 17
7. 7
Pour les tranquillisants, où la France n’est pas seule à son très haut niveau (à égalité avec l’Es-
pagne), la diminution est assez marginale en nombre de boîtes mais la désaccoutumance est très
nette en doses consommées par habitant (-14 % en 10 ans : étude Afssaps 1997-2007), ce qui semble
refléter une prescription plus pesée. Cette classe est bien spécifique en France mais notons qu’elle
a un faible poids économique : même en ajoutant aux tranquillisants (0,6 % du marché remboursable
en France) les hypnotiques/sédatifs (0,4 %), l’ensemble ne fait que 1 % du marché total en valeur.
Antihypertenseurs : pour cette classe majeure (12 % du marché remboursable total), voici quels
sont les résultats de l’étude ESSEC en DDD 2004 pour les différentes « sous-classes » d’antihyper-
tenseurs :
- Diurétiques : le Royaume-Uni nettement leader (classe la plus ancienne et la moins chère).
- Béta-bloquants : l’Allemagne très largement en tête.
- Inhibiteurs calciques : l’Allemagne en tête, mais moins nettement.
- IEC + sartans : les pays leaders en quantité sont très largement l’Allemagne et l’Italie (comme
l’indiquait déjà le tableau 1). Mais à l’intérieur de ce dernier groupe, la France, dernière des 5 pays
pour les IEC, était 1ère
ex-aequo avec l’Italie et l’Espagne pour les sartans (classe la plus récente, la
seule encore sous brevet), nettement devant l’Allemagne et loin devant le Royaume-Uni.
1.3 Les compléments apportés par l’étude Le Pen (données 2006)
Nous avons analysé un quatrième travail, l’étude Le Pen, avec toujours les mêmes cinq pays. Elle
apporte des éclairages complémentaires sur les quantités. Ainsi qu’un volet sur l’hétérogénéité des
pratiques médicales que nous n’analysons pas dans cette note.
D’abord elle montre que les comparaisons qui étaient parfois faites auparavant en nombre de boîtes
sont faussées dans des proportions qui peuvent être considérables. Par exemple, entre la France et
l’Allemagne, le nombre moyen d’unités de prise par boîte est dans un rapport de 1 à 2. La France est
« structurellement un pays de petits conditionnements ». Notons que depuis cette étude, des grands
conditionnements sont arrivés en France en 2007, pour un petit nombre de classes.
C’est pourquoi l’étude Le Pen (5 pays, données à fin septembre 2006) a utilisé le comptage en unités
de prise standard comme l’étude Cnamts (dont les données sont, elles, de fin décembre 2006). Pour
les classes majeures qui coïncident avec celles étudiées par la Cnamts (cf. supra), les résultats ne
sont donc pas différents. En revanche, ce qui est intéressant, ce sont les classes que l’étude Le Pen
était seule à chiffrer : en l’occurrence certaines classes - moyennes ou petites en valeur - dans les
parties du marché que l’étude avait sélectionnées : appareil digestif et métabolisme (groupe A de
la classification EphMRA), système cardiovasculaire (C) et système nerveux (N). Comme pour le
tableau 1 précédent, nous avons mis entre parenthèses après le nom de la classe, sa part dans le
marché remboursable France en valeur en 2008 :
- Anti-psychotiques (2 % du marché) l’Allemagne 1ère
en quantité par personne en 2006 (France 3e
des 5 pays).
- Anti-épileptiques (1,6 %) : le Royaume-Uni était leader (France 3e
).
- Vasodilatateurs (0,8 %) : la France consommait encore près du double de l’Allemagne et l’Espagne
sachant qu’entre cette mesure et fin 2008, les quantités ont continué de fondre en France de 30%.
- Laxatifs (0,6 %) : l’Allemagne 1ère (France 3e
).
- Calcium (0,35 %), petite classe : la France et l’Espagne en tête.
- Dérivés nitrés (0,25 %), de moins en moins utilisés : le Royaume-Uni 1er (France 4e
).
- Hypnotiques/sédatifs en officine (0,35%) : la France nettement devant, confirmant sa position de
leader en tranquillisants qui était partagée avec l’Espagne (laquelle cette fois est loin).
- Veinotoniques (déremboursés en 2008) : on peut penser que la position atypique de la France, de
très loin 1ère
en 2006, était fortement liée au non-remboursement dans les autres pays.
8. 8
2. Quelle dynamique ?
Cas particulier : pour les analgésiques ordinaires, non narcotiques (3,6 % du marché remboursable
en valeur), les données « apparentes » issues de l’étude Le Pen mettent la France en tête devant le
Royaume-Uni, très nettement devant les trois autres pays. Cependant, pour être complètement af-
firmatif sur cette classe, il faudrait tenir compte pour certains pays des canaux de distribution hors
officine, qui étaient semble-t-il hors champ (base de données IMS). C’est d’ailleurs pour cette raison
que la Cnamts et l’Essec n’avaient pas retenu cette classe.
1.4 Vignettes bleues et déremboursements récents
Pour terminer, il faut souligner que les déremboursements de 2006 et 2008 ont clairement contribué
à diminuer la consommation totale de médicaments en quantité en France :
Des pans de consommation qui pesaient « lourd », pas tellement en valeur mais en quantité, ont
été entièrement déremboursés en deux vagues (mars 2006 et janvier 2008) : ce sont 280 millions de
boîtes qui ont été concernées au total, soit 10 % des 2,8 milliards de boîtes du marché remboursable
existant à fin 2005. Depuis l’arrêt de leur prise en charge, leur consommation a déjà chuté de 60 %
en volume.
On peut ajouter à cela une classe qui était souvent citée pour sa « surconsommation » par rapport aux
autres pays, mais qui est restée remboursée : les vasodilatateurs + nootropiques. Cette classe, en 10
ans, a perdu 64 % de ses boîtes vendues (alors que dans le même temps, la population a augmenté
de 6 % et vieilli…) et ne représentait plus que 0,8 % du marché remboursable en valeur en 2008 contre
3,7 % en 1998 !
Enfin, on observe qu’aujourd’hui, si les classes remboursées à 35 % représentent encore près de
30 % des boîtes du marché remboursable, elles ne font plus que 6 % des remboursements de médi-
caments de la Cnamts (en valeur). Elles sont donc davantage un sujet pour les complémentaires (et
pour les personnes sans complémentaire) que pour l’assurance-maladie.
Un des intérêts de l’étude Essec est de disposer de 5 années (2000 à 2004) avec la même méthode
et les mêmes pays. De même pour l’étude Le Pen, de 2001 à 2005 (et même septembre 2006). Entre
2000 et 2005, la consommation quantitative a progressé beaucoup moins vite en France que dans
les quatre autres pays. D’abord, dans presque toutes les 7 classes « majeures » étudiées par ESSEC
Santé, le taux de croissance annuel moyen de la France entre 2000 et 2004 est le plus bas, avec sou-
vent de très gros écarts avec les quatre autres pays : tableau 2.
9. Tableau 2
Croissance moyenne annuelle de la consommation entre 2000 et 2004
Tableau 3
Croissance moyenne annuelle de la consommation en quantité entre 2004 et 2008
Classe thérapeutique France Royaume Uni Allemagne Espagne Italie
Anti-hypertenseurs + 5 % (5) + 10 % (1) + 10 % (2) + 7 % (3) + 7 % (4)
Hypocholestérolémiants + 8 % (5) + 45 % (1) + 25 % (3) + 23 % (4) + 31 % (2)
Antidiabétiques oraux + 4 % (5) + 14 % (1) + 6 % (4) + 9 % (2) + 9 % (3)
Anti-asthmatiques + 4 % (1) + 2 % (4) - 2 % (5) + 4 % (2) + 3 % (3)
Antidépresseurs + 7 % (5) + 8 % (4) + 17 % (2) + 13 % (3) + 20 % (1)
Tranquillisants - 1 % (4) 0 % (2) - 3 % (5) + 5 % (1) - 1 % (3)
Antibiotiques - 7 % (5) + 2 % (1) + 1 % (3) 0 % (4) + 2 % (2)
Classes France Roy. Uni ALL ESPAGNE ITALIE DK Pays-Bas SUISSE
IPP (ulcère)
+ 6 %
(8)
+ 11 %
(6)
+ 18 %
(2)
+ 14 %
(5)
+ 19 %
(1)
+ 14 %
(3)
+ 11 %
(6)
+ 14 %
(4)
IEC et sartans
(hypertension)
+ 6 %
(7)
+ 9 %
(2)
+ 8 %
(3)
+ 7 %
(5)
+ 7 %
(6)
+ 12 %
(1)
+ 8 %
(4)
+ 6 %
(8)
Statines (cholestérol)
+ 6 %
(8)
+ 13 %
(2)
+ 12 %
(3)
+ 10 %
(5)
+ 11 %
(4)
+ 20 %
(1)
+ 8 %
(7)
+ 8 %
(6)
(Le chiffre en gras est le classement des 8 pays défini par le taux de croissance annuel de la consommation en quantité)
Source : DSS – 6B (sur données IMS – unités standard) et rapport Commission des Comptes de la Sécurité sociale (CCSS) de
juin 2009
(Le chiffre en gras est le classement des 5 pays défini par le taux de croissance annuel de la consommation en quantité)
Source : Essec-santé (données IMS), consommation mesurée en DDD/1000 habitants.
9
Ceci explique que dans le tableau 1 (cf. supra), la France, avec la méthode DDD, n’est première dans
aucune classe en 2004 (mais souvent 2e
ou 3e
sur 5 pays, très près du 1er
). Alors que si on avait fait le
même tableau pour 2000, la France aurait été nettement en tête dans 4 classes sur 7 (et presque 5).
Certes, il se trouve que le rang dépend de la méthode utilisée comme on a pu le voir dans le même tableau 1 : dans
l’étude Cnamts qui porte sur les mêmes classes (plus une) et les mêmes 5 pays, la France est encore en tête dans
la moitié des classes en 2006, mais avec à chaque fois 1 ou 2 des 4 autres pays qui suivent de près. C’est donc la
différence de méthode (unité standard versus DDD) qui fait basculer la France de 1e selon la Cnamts à 2e ou 3e selon
Essec-Santé dans ces classes.
L’évolution 2000-2004 est très contrastée avec par exemple un « rattrapage » du Royaume-Uni.
La croissance beaucoup moins forte en France – peut-être parce que le niveau initial était élevé !
- est confirmée par l’étude Le Pen entre 2001 et 2005 : sur l’ensemble des dix premières classes
EphMRA de niveau 3 (prises dans cette étude, rappelons-le, dans les groupes A, C et N), la consom-
mation française, en unités standard, a progressé de 10,7 % pour le cumul des 4 ans contre 22,9 %
en Espagne, 24 % en Allemagne, 28,3 % en Italie et 31,5 % au Royaume-Uni.
Pour 2004-2008, on dispose des évolutions pour 3 classes (IPP, IEC/sartans, statines) et 8 pays par
une étude DSS (Direction de la Sécurité Sociale) déjà mentionnée. Pour la croissance des quantités
dans ces pathologies, la France est en queue du peloton européen : tableau 3.
10. 10
Pourquoi cette diversité selon les classes et les pays ? On peut identifier six groupes de raisons :
1 • Epidémiologie : par exemple, la prévalence beaucoup plus forte de l’asthme au Royaume-Uni ;
habitudes alimentaires des pays ou des régions ; facteurs génétiques.
2 • Comportements collectifs « enracinés » du médecin et du patient : habitudes de pratique mé-
dicale et de consommation : pourcentage de prescription suite à consultation (ex : France versus
Pays-Bas); concurrence des autres médecins en système complètement libéral (ex : France) ; pres-
sion du patient sur le médecin ; facteurs « culturels » (ex : tranquillisants dans les pays latins versus
pays du Nord, prédilection du Japon pour les toniques médicamenteux) ; attrait plus marqué du mé-
decin et du patient pour la nouveauté (USA, France ?) ; rôle directeur de la prescription hospitalière.
3 • Facteurs liés au système : facilité de consulter un médecin (ex : France versus système fléché du
NHS au Royaume-Uni) et dispense d’avance de frais (tiers payant).
4 • Incitation financière du médecin à maîtriser sa prescription : Royaume-Uni, Allemagne (elle a
existé très temporairement en France avec la menace de reversements Juppé de 1996-97 : cf. infra)
+ formation initiale du médecin (prescription en nom générique au Royaume-Uni) + relation des
médecins à l’assurance-maladie (plus « participative » au Royaume-Uni qu’en France).
5 • Le champ du remboursement et le degré de remboursement effectif : France : jusqu’en 2008, il
n’y avait pas du tout de reste à charge avec les complémentaires, qui couvrent 93% de la population.
A l’inverse forfait important (Allemagne, Italie) ou ticket modérateur réel (hors exonérations) dans
de nombreux pays. Voire « jumbo » groupes.
6 • Le marketing : sans aucun doute un des facteurs (comme dans tous les secteurs) mais il faudrait
savoir pourquoi il serait plus efficace dans un pays européen que dans un autre : à creuser d’abord
avec un indicateur comparé de la pression commerciale des labos selon les pays. On devine qu’à
pression commerciale donnée, on sera renvoyé aux points précédents : incitation - plus ou moins
forte selon les pays - des médecins à maîtriser leurs prescriptions et niveau de remboursement du
patient.
La combinaison de ces nombreux facteurs explique les différences de consommation en quantité.
La France qui avait au début des années 90 un système très peu régulé et remboursant « à guichets
ouverts » sans aucune limitation avait commencé à agir en 1994 (premières références médicales,
opposables individuellement aux médecins) et en 1996 (plafond collectif de dépenses, opposable aux
médecins avec reversements individuels). Ces deux tentatives ont eu un effet important sur les dé-
penses de prescription… mais très temporaire car l’opposabilité a été annulée juridiquement. Elles
ont néanmoins contribué à sensibiliser économiquement les médecins.
A partir de 2000, la régulation du médicament est devenue permanente sous l’angle financier
(clause de sauvegarde avec reversements des laboratoires, importance des baisses de prix, mon-
tée des génériques, reclassements à 35 % avec reports sur les complémentaires). Il s’y est ajouté
progressivement une responsabilisation du médecin et du patient : campagne antibiotiques (2002),
engagements conventionnels sur classes précises de médicaments relayés par les D.A.M. (2005),
parcours de soins (2006), déremboursements (2006 et 2008), forfait par boîte (2008).
3. Quels facteurs explicatifs ?
11. 4. Quelles perspectives ?
de la mesure des quantités à celle de l’efficience
Vers une nouvelle donne. La forte réduction de l’écart global de la France avec les autres pays sous
l’effet d’un double mouvement (pente nettement moins forte sur les pathologies majeures étudiées,
chute radicale des consommations dans les classes déremboursées et quelques autres) est en train
de changer la donne.
A l’avenir, alors que la croissance du marché vient quasi-uniquement des ALD pour lesquelles il est
plus difficile de parler de surconsommation, on peut s’attendre à ce que le débat porte de moins
en moins sur les quantités et plutôt sur la dépense. C’est ce qu’a fait la Cnamts dans l’étude que
nous avons analysée précédemment (sous l’angle des quantités) : la Cnamts a comparé aussi le coût
moyen par habitant : ce qui fait intervenir en plus le prix unitaire et la structure de la prescription.
Elle constate que dans trois classes, cela fait « baisser » la France du premier rang (en quantité) au
second rang (en valeur) des 5 pays au profit de l’Italie (antibiotiques, tranquillisants) et de l’Espagne
(anti-dépresseurs). Mais dans trois autres, cela fait « monter » la France au 1er rang en valeur (sta-
tines, IPP, hypertension). Cependant, on se rappelle que c’est aussi dans ces trois dernières classes
que la croissance des quantités est la plus faible en France (sur 8 pays) comme l’a montré l’étude de
la Direction de la Sécurité sociale pour 2004-2008.
Ces observations ne font finalement que refléter que le système est plus encadré en Allemagne et au
Royaume-Uni pour les médecins et pour les assurés qu’il ne l’est en France (cf. partie 3). Elles sont
directement à l’origine des actions actuelles de l’assurance-maladie pour inciter à la prescription
intra-répertoire et à la hiérarchisation des traitements.
Cependant, les niveaux comparés de consommation en valeur ne disent pas tout non plus ! Il faut
aussi regarder les besoins et comment ils sont pris en charge. En effet, beaucoup de personnes vi-
vent avec des pathologies chroniques soit non dépistées, soit non (ou mal) prises en charge. Dès lors
un plus haut niveau de consommation dans un pays peut aussi s’expliquer par un meilleur niveau de
prise en charge et par de meilleurs résultats de santé publique pour cette pathologie. Par exemple,
il serait intéressant d’étudier une pathologie majeure en forte hausse dans le monde, comme le
diabète.
Dans cette optique, un système très ouvert, sans files d’attente et avec une très bonne couverture
sociale peut être à la fois un atout (soins) et un handicap (coût supérieur). Certes ces coûts sont
aussi des revenus bénéfiques à l’économie. Mais une dépense publique supérieure se doit d’être
optimisée (et soutenable dans la durée…) !
On est renvoyé de nouveau à notre système facile d’accès et généreux, mais qui a un coût. Regardons
les chiffres : ce n’est pas seulement pour le médicament que la France est haut placée en Europe,
c’est pour l’ensemble des dépenses de santé : selon l’OCDE, la France est au troisième rang mondial
pour le ratio dépense totale de santé/PIB (11,0%) derrière les Etats-Unis et la Suisse. Autrement dit,
premiers de l’Union européenne devant l’Allemagne (10,6 %). Pour mémoire l’Italie, l’Espagne et le
Royaume-Uni pointent respectivement à 9,0 %, 8,4 %, 8,4 %.
Et pour l’ensemble des dépenses de protection sociale (santé + retraites + famille/logement +
invalidité + chômage), la France avec une part de 31,1% du PIB était en tête de l’UE à 27 pays devant
la Suède 30,7 % et la Belgique 30,1 % (Eurostat, données 2006 publiées en mai 2009).
Les marges qui existent sur le médicament existent partout. Les évolutions mises en évidence dans
cette synthèse confirment que le travail est entamé pour le médicament. Mais c’est le système de
santé tout entier qui peut progresser en efficience et tous ses acteurs en responsabilisation :
hôpitaux, médecins, complémentaires, etc... Et patients : à l’image de la progression très rapide
des ALD, pour laquelle le remède de long terme est - au moins autant que l’efficience - dans les
inflexions collectives de nos modes de vie et de consommation. Comme pour le réchauffement cli-
matique ?
Patrick Bertin (BIPE), décembre 2009
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