1. pour
« Invitation aux fantasmes »
La communication lingerie :
analyse sémiologique 2008/2009
Hôtel Meurice, mardi 24 mars 2009
Présenté par Matthieu Guével
L’univers de la communication sur la lingerie est un univers complexe, qui se
tient à la croisée de plusieurs traditions historiques que sont :
• la représentation de la femme et les figures de la féminité
• l’histoire du vêtement et de la mode
• l’histoire de la vie privée et de la séduction
• le rapport à l’intimité et la pudeur
Tous ces éléments, qui ont leur propre histoire et leurs codes, se combinent
et se cumulent dans la représentation de la lingerie1.
Pour aborder cet univers, on peut déjà dissocier deux dimensions :
1. D’une part, les grands axes structurants, c’est-à-dire la grammaire
formelle et les ingrédients récurrents des campagnes lingerie.
2. D’autre part, les enjeux soulevés par la communication lingerie et la
façon dont les marques y répondent.
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Pour une introduction, voir Chantal Thomass, Histoire de la lingerie, Paris, éditions Perrin, 2009
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2. 1. Les axes structurants de la communication lingerie
Les communications lingerie choisissent de mettre en évidence le
rapport avec le corps et notamment les formes du corps féminin :
• Dans une première catégorie de campagnes, la lingerie est montrée
comme quelque chose qui épouse et respecte les formes du corps de
la femme (logique « confort »).
Dans ces campagnes, on trouve toute une rhétorique de la douceur et
du respect, du confort, de l’affinité et de la correspondance :
o Correspondance physique : chez Playtex le soutien gorge est
présenté comme un objet de haute technologie conçu « sur
mesure » (just my size). Chez Eres la lingerie laisse la femme
libre de ses mouvements, la lingerie épouse le corps dans toutes
ses contorsions. Elle participe de la libération du corps de la
femme, à la suite de Chanel. Elle fait office de seconde peau et la
rhétorique de la douceur est omniprésente.
o Correspondance psychologique : Variance annonce « une
émotion, une lingerie ». Chez Simone Pérèle la lingerie « révèle »
la personnalité : on a cette même rhétorique de la
correspondance et de l’affinité.
• Dans une deuxième famille de campagnes, la lingerie est présentée au
contraire comme quelque chose qui structure et sculpte le corps de la
femme (logique « séduction »).
Elle le galbe, le maintient, le soutient, le remonte, l’affine, etc. C’est
particulièrement sensible chez Aubade, où les jeux d’ombre et de
lumière soulignent la fonction sculptante de la lingerie, qui fonctionne
quasiment comme un « exo squelette ».
Bien sûr, entre ces deux extrêmes du « respect » et du « sculptural », il
existe toute une gamme de nuance, car le confort et la séduction ne
sont pas forcément contradictoires. Dans des campagnes Playtex ou
Wacoal c’est l’idée même de se sentir bien qui permet une affirmation
plus sereine de soi, et du coup une séduction sur l’autre.
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3. La lingerie n’a pas seulement un rapport au corps, elle entretient aussi
un rapport avec le vêtement. Ici, la question est de savoir si la lingerie
est présentée sous l’angle fonctionnel du vêtement pratique ou sous
l’angle décoratif du vêtement de mode.
• Soit la lingerie est considérée comme (simple) sous-vêtement, c’est-à-
dire dans sa dimension pratique et fonctionnelle en tant que linge de
corps qui n’a pas vocation à être vu (Cœurs croisés de Playtex).
• Soit la lingerie est envisagée en tant que vêtement à part entière, c’est-
à-dire en tant qu’article de mode méritant d’être vu. On insiste sur le
niveau de finition, les ornements, la dentelle, les effets de couleurs et
de matière : la lingerie suit les tendances de la mode (Simone Pérèle,
Etam). La lingerie n’est plus du côté du soi et de l’introspection, mais de
l’extraversion, voire du spectaculaire (cf les shows spectaculaires de
Victoria’s Secret, avec danseuses et chanteurs). Il en va de même pour
Aubade qui propose une vision de la lingerie comme bijou de peau en
tissu.
Cette grammaire formelle (rapport au corps, rapport au vêtement)
construit deux grandes zones de valeur sur lesquelles les marques
peuvent choisir de s’appuyer :
• Valeur pour soi (la lingerie est un vêtement pratique qui épouse les
formes du corps féminin).
• Valeur pour autrui, en particulier pour le regard de l’homme (la lingerie
est un vêtement de mode qui sculpte et met en valeur les courbes du
corps).
Bien évidemment, il est tout à fait possible pour une femme de jouir pour
elle-même de la valeur pour un homme de sa lingerie, même si elle ne
souhaite pas montrer sa lingerie : on porte de la « belle lingerie » pour se
sentir bien dans son corps et séduisante, mais sans intention de séduire.
La femme Chantelle dans sa posture de fierté montre une femme en
pleine possession de ses moyens, qui a pleinement conscience de son
corps et d’elle-même.
A l’inverse, une lingerie innocente comme celle de Petit Bateau,
visiblement conçue uniquement pour le confort de la femme et sans égard
pour le désir de l’homme, offre paradoxalement au regard une image de
l’absolument intime féminin, et du coup peut devenir très attirante. Surtout
si la femme joue de cette ingénuité apparente de la lingerie (naïveté feinte,
séduction au second degré). L’homme jouit alors pour lui-même de la
valeur pour la femme de la lingerie.
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4. La communication lingerie construit plusieurs types de destinataires
sexués, mais de façon dissymétrique :
• Des communications s’adressent clairement à des femmes uniquement
(discours produit, discours technique, contenu rédactionnel) et visent à
lui expliquer comment fonctionne la lingerie (les différentes
combinaisons possibles chez Wonderbra), à lui dire si ça peut lui aller,
si ça va être confortable, etc. La communication Banana Moon suggère
la complicité amicale entre filles.
• Des communications plus suggestives, plus érotisées, s’adressent
explicitement aux hommes, mais elles s’adressent également aux
femmes qui les regarderont en se disant que les hommes les regardent.
Il n’y a pas, à proprement parler, de publicités qui seraient purement «
exclusivement conçues pour le fantasme masculin », car cela peut être
aussi un fantasme féminin de correspondre au fantasme masculin
représenté.
Enfin, la communication sollicite essentiellement deux sens que sont la
vue et, en mineur, le toucher.
• La vue est un sens très sollicité dans l’art de la séduction (surtout
depuis les 17e et 18e siècles), avec une multitude de techniques
destinées à susciter le désir (sexuel) par excitation de la pulsion
scopique. C’est la stratégie du cacher/montrer (on suscite d’autant plus
le désir qu’on montre qu’il y a quelque chose à cacher) et celle de la
maladresse volontaire (l’accident calculé, qui laisse entrevoir l’interdit
comme sous l’effet d’un heureux hasard).
Les jeux de matières transparentes, de chemisier entrebâillé, les
stratégies de « l’accident » (« Oups » de Dim) d’une bretelle qui tombe
et que l’on réajuste « l’air de rien », les rideaux, sont des ingrédients
courants de la communication lingerie. Les effets de flou (Triumph,
Princesse Tam Tam) ou la scénarisation du regard (regard fuyant,
regard fixe, regard par la fenêtre) sont d’autres façon possibles pour
dire qu’il y a quelque chose à voir.
• Le toucher est moins systématique, mais perceptible par la mise en
valeur de la peau ou de tissu. Une femme se caresse les cheveux
(Darjeeling), touche une écharpe de plume ou des matières qualifiées
comme le cuir, le velours, la moquette (Calvin Klein).
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5. 2. Outre cette grammaire fondamentale, la communication lingerie est
également structurée autour de quelques enjeux forts : construire
l’intimité, justifier la nudité.
Communiquer sur la lingerie peut avoir quelque chose de paradoxal, et
exige pour les marques de répondre à certaines questions préalables :
• Comment construire l’intimité d’un produit alors qu’on l’expose à la vue
de (presque) tous dans l’espace public ?
• Comment disculper la nudité publiquement affichée par la femme et
dédouaner l’observateur de ce corps dénudé ?
• Comment construire une image de marque forte dans un contexte où
l’image du corps féminin est largement « démagnétisée » du fait de son
usage intensif dans les communications de toute une série de
catégories de produits. L’image du corps féminin n’est-il pas galvaudé,
et du coup rendu illégitime ou inopérant, y compris dans le secteur où
sa présence est la plus naturelle ? L’enjeu étant ici est de souligner que
l’on n’a pas affaire seulement à des corps, mais bien à des personnes
(avec des expressions, des visages, une personnalité non
interchangeable)
La tâche qui revient aux marques est complexe car après avoir traité
ces questions, transversales du secteur, elles ont encore à expliciter
leurs identités, ce qui est important pour toute marque en général, et
peut-être d’autant plus dans un secteur associé à l’univers du soi.
Chaque marque a donc sa stratégie pour résoudre les problématiques de
nudité, d’intimité et de valorisation du corps féminin :
• La mise en scène dans un intérieur domestique. Le « chez soi » justifie
la nudité et crée l’intimité (Princesse Tam Tam, Etam...), de même que
les scènes de salle de bain (La Perla) construisent un univers
discrètement sensuel. A noter : la récurrence du sofa et du divan dans
les communications 2008/2009, en lieu et place du lit, plus suggestif
(conservé chez Calvin Klein, Emporio Armani). La présence de mobilier
précieux ou le luxe (décor, style photographique) participent également
des stratégies de légitimation.
• La leçon de séduction. Le discours explicite d’Aubade, lié à une très
forte esthétisation du corps (de même que chez Eres), construit une
relation triangulaire légitime (femme / mentor / homme) et casse l’image
d’un corps nu féminin disponible offert au regard. L’affiche ne montre
en apparence qu’un corps (pas de visage, pas de regard) mais
réintroduit la personne de façon subtile, comme actrice induite et
destinataire de la leçon proposée.
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6. • La présence de l’homme (La Perla). Ce mécanisme (assez rare) permet
de personnaliser la scène et signifie qu’il ne s’agit pas de n’importe
quelle femme pour n’importe quel homme. La menace de l’anonymat, et
du même coup celle de la vulgarité, est écartée.
• Le hasard. C’est l’accident (peut-être simulé), qui n’est pas malheureux
mais qui suffit à excuser l’observateur. Dim et son « Oups » illustre ce
subterfuge à la perfection.
• La mise en scène d’une relation intime réelle. C’est la voie choisie par
Emporio Armani pour l’été 2009 avec le couple David et Victoria
Beckham. Cette référence à une intimité réelle justifie l’intimité
exposée, en même temps qu’elle apporte un certain nombre de valeurs
associées au couple people connu par ailleurs.
• La mise en scène d’un fantasme, soit par exagération (Passionata avec
le spot de David Lachapelle propose un traitement décalé et ironique
des fantasmes masculins), soit par la narration (la marque propose une
historie complète avec scénario et retournement de situation, ce qui
évite la mise en scène du corps féminin comme simple pin up statique :
voir notamment le mini film Valentine’s Day d’Agent Provocateur).
La communication lingerie est clairement dominée par la tendance à
l’extraversion, voire à l’exhibition, et la séduction (valeur de la lingerie
pour l’homme). L’intime proposé n’est pas nécessairement privé, il est
montré (mais de manière non publique le plus souvent).
Une question légitime est alors celle-ci : cette dominante « séduction » ne
serait-elle pas (après la libération de la garçonne des années 1920 et celle de
la femme des années 1960), un asservissement de la femme aux désirs
masculins ?
En réalité, l’examen détaillé des campagnes montre qu’il y a une grande
diversité des postures, des scénarios des identités de marques, et une
diversité des façons dont les femmes décident (ou non) de jouer de leur
corps.
Il reste que la récurrence de l’image du corps féminin (souvent nue ou à
moitié nu) peut donner l’impression à première vue de publicités
interchangeables, ce qui est d’autant plus dangereux lorsque la répétition est
forte et l’exposition au message de courte durée.
D’où la nécessité – peut-être plus sensible pour les marques de lingerie – de
proposer des discours toujours plus explicites et des identités saillantes, de
mettre en avant un discours produit qui soit clairement articulé autour d’un
imaginaire de la marque et de la femme qui soit différencié.
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7. L’étude, réalisée en février-mars 2009 pour Psychologies et avec le
sémiologue Raphaël Lellouche, s'est appuyée sur une veille de la
communication lingerie 2008 et début 2009 (publicité print, vidéo et web,
défilés, contenus, sites web) et sur une analyse sémiologique Cette étude
transversale a été élaborée à partir d’une analyse détaillée des principales
marques.
Ce document complète une présentation PPT illustrée par de nombreux
visuels.
Pour en savoir plus sur l’expertise sémiologie de QualiQuanti :
http://testconso.typepad.com/semiologie/
http://www.qualiquanti.com/
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