1. L’opérationnalisation des savoirs :cas du massage des nourrissons en Unités
de Soins Intensifs Néonatals à Bruxelles
Fromont Anneab
, France Kittelb
, Perrine Humbleta,b
a: centre de recherche Politiques et gestion des systèmes de santé – Santé international, ESP- ULB
b: centre de recherche Approches sociales de la santé, Ecole de Santé Publique-ULB
Introduction
Près d’un siècle de recherches multidisciplinairesont
montré l’importance du toucher, notamment chez
l’enfant. Pourtant, au sein des services
pédiatriques, les interventions autour du bien-être
et du développement du jeune enfant considèrent
rarement cette dimension, en tant que telle, de
façon intégrée et explicite. Plus spécifiquement,
malgré plus de 30 ans de littérature documentant
ses bénéfices, le massage des nourrissons
hospitalisésreste une activité marginale et souvent
précaire. D’autres techniques impliquant le toucher rencontrent en revanche une plus large
adhésion. Une étude auprès de 82 unités de néonatalogie aux Etats-Unis (Field, 2006) montre ainsi
que si le peau-à-peau1
est pratiqué dans 98% des services, seulement 38% d’entre eux pratiquent le
massage. Pour comprendre les raisons de cette faible appropriation et les difficultés de pérennisation
de cette technique, nous avons été à la rencontre des professionnels dans trois services de
néonatalogiede la région de Bruxelles.
Etat des connaissances
L’hospitalisation des nouveau-nés engendre, en soi et de façon indépendante à la gravité du
pronostic, des troubles du développement qui se traduisent au niveau somatique, psychique, affectif
et social. L’agressivité de l’environnementn’est pas seulement le fait des gestes invasifs, maisest
aussiétroitement liée à l’isolement social et corporel(Golse, 2001).Ce constat a amenéà développer
les réflexions sur les modèles de prises en charge et diverses interventions préventives. Parmi elles,
les soins dits au développement2
ont pour point commun, outre les stratégies de réduction des
stimuli nocifs, de favoriser l’individualisation des soins. En figure de proue de ce mouvement, on
retrouve le NIDCAP3
qui axe les soins autour de la lecture des comportements de l’enfant.
Les formes de toucher précoces et généralement admises pour tous les enfants incluent par exemple
le toucher relationnel et de contact, le peau-à-peau, l’emballement et le cocooning4
. Le massage,
quant à lui, s’adresse à des enfants plus matures, dans une seconde phase de l’hospitalisation. Il faut
1
Le peau-à-peau, ou kangourou, consiste à porter l’enfant nu sur le thorax, nu lui aussi ; peau contre peau.
2
Soins au développement : ensemble des stratégies environnementales et comportementales qui favorisent le
développement harmonieux du nouveau-né. (Franck &Lawhon, 1998)
3
Newborn Individualized Developmental Care and Assessment Program, (Als, 1994)
4
L’emballement et le « cocon » (sorte de nid en tissu) contiennent et rassurent le nourrisson en lui offrant les
mêmes stimulations tactiles que dans la matrice maternelle.
2. noter que la définition de ce soin, en quantité, qualité et critères d’éligibilité, est loin d’être unanime
mais que, comme tout soin au développement, sa faisabilité dépend avant tout des capacités de
l’enfant. Les auteurs s’accordentcependant à situer la maturité nécessaire autour de 30-32 semaines
ou 1000-1500g ; ce qui correspond à la grande majorité des nourrissons hospitalisés5
.
De nombreux bénéfices du massage des nourrissons ont été démontrés : baisse du stress, de la
douleur et des effets associés, meilleur sommeil, moindre sensibilité aux infections, amélioration du
développement psychomoteur, ou encore, à condition d’être fait par un parent, un attachement
favorisé (Field, 1998). Une meta-analyse du groupe Cochrane (Vickers A. et Al., 2009)met en évidence
une prise de poids supérieure de 5g/kg/j [IC95% : 3,45; 6,67] chez les enfants massés; ce qui
correspond à 20-25% des 20g/kg/j de prise de poids normalement attendus. Ces effets conjugués
sont probablement à l’origine de la sortie anticipée d’en moyenne 4,45j[IC95%: -6,48 ; -2,43] relevée
dans cette même étude.
Méthodologie
Pour cette enquête qualitative, les responsableset personnels investis dans les soins au
développement impliquant le toucher (N=14),de trois Unités de Soins Intensifs Néonatals(USIN) de
Bruxelles, ont été interviewées en 2011.Tous les entretiens ont été enregistrés et
retranscrits.L’analyse par découpage thématique a mis en évidence les points de divergence et de
similitude. Ces trois USIN sont comparables en termes de volume et de type d’activités ainsi que de
personnel. Une première unité pratique encore le massage bien que le groupe de travail qui lui est
dédié rencontre des difficultés. La seconde a vu le massage disparaître avec le départ des personnes
impliquées ; elle est actuellement investie dans le processus, non dénué d’embuches, de mise en
place du programme NIDCAP. La dernière n’a jamais pratiqué le massage de façon routinière mais est
un service de référence pour le NIDCAP en Belgique.
Résultats et discussion
Comparés aux autres soins impliquant le toucher, le massage des nourrissons hospitalisé reste, lui,
marginal, même dans l’unité avec un groupe de travail dédicacé.On note que le peau-à-peau et le
toucher relationnel sont surtout utilisés en début d’hospitalisation et ont tendance à disparaître en
faveur d’actes techniques (bain, alimentation…) au moment de la préparation à la sortie.
Pour les personnes qui pratiquent le massage, les bénéfices reconnus concernent la baisse du stress
pour l’enfant et surtout l’amélioration de la relation triangulaire parent-enfant-soignant.
L’attachement favorisé est souvent mis en avant car le massage, comparé à un soin plus technique,
est porteur de sens social, normalise la relation à l’enfant, améliore le sentiment d’auto-efficacité
parentale et l’estime de soi.
On retrouve, de façon légèrement plus marqué pour le massage, les mêmes freins à la mise en
œuvre pour tous les soins impliquant le toucher : informations lacunaires etéquivoques ; initiatives
souvent isolées,fragiles car dépendantes d’un petit nombre de personnes avec de faibles échanges
intra et inter services; culture biomédicale prépondérante avec un investissement et des perceptions
souvent asymétriques des corps professionnels ; opportunités réduites à la triple disponibilité des
5
80% des prématurés ont 33 semaines ou plus selon les chiffres de la période 1998-2004 de l’Observatoire de la
Santé et du Social de Bruxelles-Capitale.(Haelterman E., De Spiegelare M., Masuy-Stroobant G., 2007).
3. enfants, des parents et des soignants. Lesréflexions globales sur le toucher à l’enfant sont rares et les
projets de service ne mettent pas toujours en lien des pratiques comparables.Classiquement, les
soins au développement sont porteurs de conflits du fait de la confrontation de priorités et de la
redistribution des rôles. Le massage présente en outre la particularité d’être souvent associé à une
crainte de sur-stimulation. Une représentation collective, d’un soin perçu complexe et
potentiellement dangereux, est plutôt homogène chez les personnes non formées aux massages. Ces
réserves s’appuient surles caractéristiquesdes enfants les plus fragiles. Pourtant l’activité
quotidienne en néonatalogie est soumise,par nature,à la grande hétérogénéité de maturité des
enfants et à la nécessité d’individualiser les soins. On peut donc attribuer une partie de ces
réticences au manque d’information.
Conclusion
Si les bénéfices du massage des nourrissons ont souvent été démontrés, ils restent toujours
controversés. Le massage est vécu comme complexe, parfois même dangereux. Les initiatives,
souvent isolées, s’essoufflent, disparaissent puis réapparaissent, cycliquement. Ces
constatsinterrogent la pertinence de cette approche, telle qu’elle est pratiquée. Les études réalisées
autour du massage n’apportent pas ou peu de solution opérationnelle. Unprogramme univoque,
pratique, intégré, accessible, qui donne du sens à la pratique etqui réponde à leur réalité quotidienne
manque toujours aux acteurs. La construction d’une vision globale du toucher à l’enfant est de la
responsabilité de tous : soignants, leaders, décideurs, chercheurs. Dans sa production de données
accessibles, utiles et utilisables pour une intervention, la recherche doit donc maintenant élargir la
question du pourquoi à celle du comment.Pour cela, une collaboration plus étroite entre
épidémiologie clinique et approche qualitative est essentielle.
Bibliographie
Als H., « Soins développementaux individualisés pour les enfants prématurés », 2004, Encyclopédie
sur le développement des jeunes enfants, Centre of Excellence for Early Childhood Development.
Field T.M, « Massage therapy effects », 1998, American psychologist ,53, p 1270-1281
Field, T., Hernandez-Reif, M., Feijo, L., and Freedman, J. Prenatal, “Perinatal and neonatal
stimulation: A survey of neonatal nurseries”,2006,Infant Behavior and Development, 29, pp.24-31.
Franck L.S., Lawhon G., “Environmental and behavioral strategies to prevent and manage neonatal
pain”, 1998, seminars in Perinatology, 22-5, p 434-443.
Haelterman E., De Spiegelaere M., Masuy-Stroobant G., « Dossier 2008: Les indicateurs de santé
périnatale en Région de Bruxelles-Capitale 1998-2004 », 2007, Observatoire de la Santé et du Social
de Bruxelles-Capitale, Commission communautaire commune.
Vickers A, Ohlsson A, Lacy J, Horsley A, « Massage for promoting growth and development of preterm
and/or low birth-weight infants (Review)”, The Cochrane Collaboration, The Cochrane Library, 2009,
Issue 1