SlideShare une entreprise Scribd logo
1  sur  55
Télécharger pour lire hors ligne
Université Paris Dauphine
Master 291 – Droit et régulation des marchés
Droit et régulation
du sport électronique
Mémoire de recherche appliquée
par
Antoine BERGEAUD
Sous la direction de M. le Professeur Thomas Pez
Juin 2016
1
Droit et Régulation du sport électronique – Antoine Bergeaud
Les opinions exprimées le sont à titre personnel et n'engagent que leur auteur.
2
Droit et Régulation du sport électronique – Antoine Bergeaud
Remerciements
Je remercie le Professeur Pez d’avoir accepté d’encadrer ce mémoire et pour ses remarques
qui ont toujours été reçues comme de bons conseils.
Je remercie le Master 291 – Droit et Régulation des marchés de l’Université Paris-Dauphine
de m’avoir donné l’opportunité de m’orienter vers le droit de la régulation et de m’y épanouir
davantage que je ne l’escomptais.
Je remercie tout particulièrement Claire Vellard et Maxime Gervy sans qui l’idée de rédiger
un mémoire sur le sport électronique n’aurait jamais pu éclore. Leur connaissance et leur
expertise du droit des jeux d’argent et de hasard, ainsi que leur soutien dans cette démarche
aura sans nul doute été des plus précieuses.
Mille mercis à ma Laure pour son oreille attentive et sa curiosité qui m’ont souvent orienté
vers les bonnes pistes.
3
Droit et Régulation du sport électronique – Antoine Bergeaud
Liste des abréviations
 AAI : Autorité Administrative Indépendante
 AFLD : Agence Française de Lutte contre le Dopage
 ARJEL : Autorité de Régulation des Jeux en Ligne
 CA : Cour d’Appel
 C.Cass : Cour de Cassation
 CDD : Contrat à Durée Déterminée
 CDI : Contrat à Durée Indéterminée
 CE : Conseil d’Etat
 CNOSF : Comité National Olympique du Sport Français
 CSA : Conseil Supérieur de l’Audiovisuel
 DGCCRF : Direction Générale de la Concurrence de la Consommation et de la
Répression des Fraudes
 E-sport : Sport électronique
 FPS : First Person Shooters
 PEGI : Pan European Game Information
 SELL : Syndicat des éditeurs de logiciels de loisirs
4
Droit et Régulation du sport électronique – Antoine Bergeaud
Table des matières
Remerciements........................................................................................................................... 2
Liste des abréviations................................................................................................................. 3
Introduction ................................................................................................................................ 5
Titre I – Une pratique compétitive des jeux vidéo aux contours juridiques naissants et indécis
.................................................................................................................................................. 12
Chapitre 1 – L’avènement d’un régime dérogatoire ambivalent.......................................... 12
1 – Une offre d’e-sport disponible malgré l’absence de cadre juridique et réglementaire12
2 – La légalité de l’e-sport rendue possible par dérogation au principe d’interdiction des
loteries............................................................................................................................... 14
Chapitre 2 - L’octroi du caractère sportif aux compétitions de jeux vidéo source de
controverses juridiques......................................................................................................... 17
1 – La reconnaissance de l’e-sport comme un « sport » demeure prématuré mais non
moins envisageable dans le futur ...................................................................................... 17
2 – Le statut juridique des e-sportifs en question ............................................................. 23
Titre II – De l’intervention publique primordiale pour réguler un nouveau marché polymorphe
.................................................................................................................................................. 27
Chapitre 1 – La prévention des risques et des dérives afférents au sport électronique
compétitif.............................................................................................................................. 28
1 – La protection des mineurs et la lutte contre les addictions ......................................... 28
2 – Une politique de lutte contre la fraude et le blanchiment indispensable .................... 33
Chapitre 2 – Des structures pérennes et fiables pour chapeauter la pratique compétitive du
sport électronique à définir................................................................................................... 40
1 – Une régulation de l’e-sport tiraillée entre plusieurs options....................................... 40
2 – Le rôle primordial des éditeurs dans la régulation du e-sport..................................... 44
3 – Le CSA comme régulateur de la diffusion des compétitions de jeux vidéo............... 45
Conclusion................................................................................................................................ 48
Bibliographie............................................................................................................................ 51
5
Droit et Régulation du sport électronique – Antoine Bergeaud
Introduction
En lecture à l’Assemblée Nationale le 12 janvier 2016 dans le cadre du projet de loi « pour
une République Numérique »1
, un amendement présenté par le rapporteur M. Belot est venu
inscrire une proposition attendue à l’ordre du jour en faveur du sport électronique. En effet,
l’amendement n°CL593 proposait une rédaction de l’article 42 du projet de loi dite
« Lemaire » afin de clarifier, de structurer et d’encadrer le régime des compétitions de jeux
vidéo – également dénommées « sport électronique » ou encore « e-sport »2
. Il est rédigé tel
que suit :
« I. – Un agrément peut être délivré par le ministre chargé de la jeunesse aux
organisateurs de compétitions de jeux vidéo, notamment à dominante sportive,
requérant la présence physique des joueurs, qui présentent des garanties visant à :
1° Assurer l’intégrité, la fiabilité et la transparence des compétitions ;
2° Protéger les mineurs ;
3° Prévenir les activités frauduleuses ou criminelles ;
4° Prévenir les atteintes à la santé publique.
II. – Un arrêté du ministre chargé de la jeunesse fixe la liste des logiciels de loisirs,
sur un support physique ou en ligne, s’appuyant sur une trame scénarisée ou des
situations simulées, pour lesquels les organisateurs de compétitions peuvent bénéficier
de l’agrément prévu au I du présent article.
Ces logiciels de loisirs font prédominer, dans l’issue de la compétition, les
combinaisons de l’intelligence et l’habilité des joueurs, en mettant à leur disposition
des commandes et des interactions se traduisant sous formes d’images animées,
sonorisées ou non, et visant à la recherche de performances physiques virtuelles ou
intellectuelles.
L’arrêté fixe également, pour chaque logiciel de loisir, l’âge minimal requis des
joueurs pour participer à la compétition.
1
Ci-après « le projet de loi »
2
L’orthographe peut varier si bien qu’on considère « e-sport » et « e-sport » comme synonymes, en italique ou
non, de manière indifférenciée.
6
Droit et Régulation du sport électronique – Antoine Bergeaud
III. – Les compétitions pour lesquelles les organisateurs bénéficient de l’agrément
prévu au I du présent article ne sont pas soumises aux articles L. 322-1 à L. 322-2-1
du code de la sécurité intérieure.
Il en est de même des phases de qualifications de ces compétitions se déroulant en
ligne, dès lors qu’aucun sacrifice financier de nature à accroître l’espérance de gain
du joueur ou de son équipe n’est exigé par l’organisateur ».
Mais qu’est-ce que précisément que l’e-sport ? Le ministère de l’économie le définit comme
la « pratique compétitive (compétitions entre plusieurs joueurs) des jeux vidéo. Ces jeux sont
souvent joués en équipe. Ils font généralement appel de manière prédominante à l’intelligence
et à l’habileté physique des joueurs »3
. En d’autres termes, ce sont les tournois, duels ou
compétitions entre joueurs (de jeux vidéo), encadrés ou non par des organismes, dont
l’objectif est de désigner un vainqueur. Cette dimension compétitive marquée se distingue du
loisir pur de la même manière que la course à pied entre amis n’ambitionne pas d’honorer
celui qui fera le meilleur temps, pourvu qu’il soit chronométré – à la différence d’une
compétition d’athlétisme par exemple.
La spécificité de l’e-sport tient à la dénomination retenue. En effet, par « e-sport », on associe
le support numérique – c’est-à-dire une console ou un ordinateur – à un sport. L’intitulé de la
discipline a de quoi surprendre, et recèle plusieurs ambiguïtés. La première étant que certains
des jeux vidéo ne sont autres que des simulations de sports tels que le jeu FIFA4
, pour le plus
célèbre d’entre eux5
. A considérer que la pratique simulée d’un sport quel qu’il soit à travers
un écran et par le biais d’un contrôle des « sportifs virtuels » répond à la qualification d’un
sport, on pourrait admettre le raccourci linguistique. La seconde consiste à arguer que la
pratique du jeu vidéo en tant que telle répond aux exigences, aux codes et aux caractéristiques
du sport. Outre les jeux de sport simulés, l’e-sport concerne également les jeux de stratégie en
temps réel6
, les arènes multijoueurs7
, les jeux de tir à la première personne8
ou First Person
Shooters, les jeux de combat en tout genre, les jeux de cartes à collectionner – qui rencontrent
par ailleurs un succès important également9
.
3
Portail de l’économie et des finances ; http://www.economie.gouv.fr
4
FIFA Football est le nom générique d’une série de jeux vidéo de football édité à l’origine par Electronic Arts
en 1993 et développé par la suite sous la forme d’une franchise.
5
On peut également penser à Pro Evolution Soccer, NBA 2K, NHL, Virtual Tennis et bien d’autres.
6
Starcraft, Warcraft, Age Of Empires, par exemple
7
DotA, League Of Legends
8
Call of Duty, Counter Strike pour les plus célèbres
9
Magic, Hearthstone notamment
7
Droit et Régulation du sport électronique – Antoine Bergeaud
Mais s’interroger sur les caractéristiques de l’e-sport, a fortiori dans la perspective juridique
dont il est ici question, suppose une identification formelle et exhaustive des acteurs du
secteur. On distingue ainsi :
- Les joueurs et les équipes : leurs revenus proviennent principalement des gains
obtenus à la suite des tournois, qui peuvent atteindre des sommes astronomiques.
Marginalement, ils sont complétés par ce que leur versent les sponsors. Pour exemple,
les championnats du monde de LOL (League Of Legends) étaient dotés de six millions
de dollars. Le salaire de certains joueurs peut avoisiner 10 000 euros par mois...
- Les organisateurs des compétitions : Cette catégorie d’acteurs, si elle est
théoriquement identifiée, n’est pas définitivement acquise par un titulaire du précieux
sésame à ce jour. Ce droit d’organisation des compétitions est au cœur des débats sur
le sport électronique en ce sens qu’il est potentiellement une rente considérable pour le
ou les futur(s) détenteur(s). Ces derniers se rémunèreront en effet sur les billets
d’entrées pour les spectateurs, de la même manière que pour une compétition sportive
à part entière.
- Les éditeurs : Ils incarnent une catégorie primordiale et sont « les entreprises
chargées d’assurer la publication et la diffusion du jeu vidéo, tout en créant le
contenu de celui-ci » selon la directrice juridique de la maison Ubisoft10
. Parmi eux,
on retrouve un petit nombre d’acteurs tels que Gameloft, Riot, Blizzard, Electronic
Arts mais aussi Ubisoft.
- Les sponsors : C’est probablement la catégorie d’acteurs qui connait la plus forte
expansion. Ils financent les équipes, organisent les entrainements et rémunèrent les
joueurs. Dans la majorité des cas, ce sont des entreprises préalablement impliquées
dans le secteur de l’électronique et des jeux vidéo (Cdiscount, MSI, Intel, Razer,
SteelSeries...). Toutefois, elles peuvent également émaner de la sphère du sport « réel
» (Nike, RedBull, Pepsi-Cola, Coca-Cola...). La publicité est leur principal objectif à
travers la retransmission à grande échelle des événements.
10
Définition donnée par Virginie Gringarten à l’occasion d’un colloque organisé par THE LAWSP « E-sport :
vers une révolution juridique et sportive », 16 juin 2016 à l’Université Panthéon-Assas.
8
Droit et Régulation du sport électronique – Antoine Bergeaud
- Les agents sportifs : A l’image des sportifs de haut niveau dans le monde du football,
les joueurs s’attachent les services d’agents censés représenter leurs intérêts.
- Les diffuseurs : Twitch ou Ogaming sont par exemple des chaînes « en ligne » qui
retransmettent des matchs de compétitions vidéo. Leur financement résulte d’une
publicité et d’un système de paiement à la demande pour les compétitions d’ampleur.
- Les spectateurs : Que ce soit derrière leurs écrans ou dans les arènes des compétitions
dédiées, les spectateurs sont de plus en plus nombreux à suivre activement les
compétitions d’e-sport11
.
La diversité des intérêts gravitant autour de l’e-sport explique l’engouement suscité par le
projet de loi dont l’objectif est de consacrer l’e-sport. Toutefois, on remarque que certains
acteurs sont parvenus mieux que d’autres à faire valoir leur vision et leurs intérêts auprès du
législateur. Partant, on peut identifier l’origine de la rédaction de l’article 42 comme émanant
du Syndicat des éditeurs de logiciels de loisirs (SELL). C’est vraisemblablement l’un des plus
importants acteurs surplombant l’e-sport aujourd’hui puisqu’il est voué à représenter les
éditeurs et ne cache pas ses ambitions de se positionner en tant qu’organisateur de
compétitions de jeux vidéo – qui plus est dans le cadre d’une autorisation sous la forme d’un
monopole. L’objectif du SELL est d’associer aux compétitions de jeux vidéo un statut
juridique analogue à celui du sport afin d’y appliquer les mêmes règles. Dans leur perspective,
une fédération sportive serait instituée et les participants aux compétitions seraient des
sportifs.
Le futur de l’e-sport a de quoi attirer les investisseurs ; les chiffres démontrent aujourd’hui
qu’il y a peu de risque à se lancer sur ce marché d’avenir mais d’ores et déjà « juteux ». A
l’échelle mondiale, on dénombre plus d’un milliard12
de personnes jouant à des jeux vidéo à
ce jour. Malgré cette fulgurance sur les dernières années, l’e-sport semble désormais
démontrer une certaine maturité si l’on en croit les analyses du SELL sur l’évolution très
récente du marché13
. Par une analogie concrète, on observe que les retombées économiques de
l’e-sport sont considérables et s’accroissent à mesure que l’e-sport se développe. Ainsi, les
chiffres relevés par l’organisme NewZoo pour la France en 2014 sont éloquents : 4.5 millions
11
Environ 4,5 millions de spectateurs français de compétitions de jeux vidéo.
12
D’après plusieurs études de l’agence NewZoo dont « Global E-sports Market Report »
13
Entre 2010 et 2015, le marché français aurait connu une croissance annuelle de l’ordre de 3.8%
9
Droit et Régulation du sport électronique – Antoine Bergeaud
de spectateurs réguliers d’e-sport, 1.7 millions de personnes démontrent un intérêt avancé
pour la discipline (joueur régulier ou observateur régulier), 850 000 joueurs indépendamment
de la fréquence parmi lesquels moins de 400 000 sont des joueurs réguliers d’après les
chiffres relevés dans le rapport parlementaire « E-sport : la pratique compétitive du jeu
vidéo »14
.
L’amendement adopté marque l’appropriation par les pouvoirs publics d’un phénomène en
pleine expansion nécessitant un cadre juridique pérenne et en adéquation avec les
problématiques qu’il induit. Ainsi, y évoque-t-on le statut des organisateurs de compétitions
de jeux vidéo, le support envisagé et le régime afférent (en ligne ou en « dur »15
), la nature des
jeux vidéo concernés, l’objectif recherché par la pratique compétitive de jeux vidéo – à savoir
la « performance physique virtuelle ou intellectuelle » – et la possibilité de déroger au code de
la sécurité intérieure s’agissant du principe de prohibition des jeux d’argent et des loteries. En
effet, faut-il insister sur le fait que les compétitions de jeux vidéo supposent dans la majorité
des cas une offre au public, un sacrifice financier dans le but d’obtenir un gain, ce qui les
rapprochent sensiblement du jeu d’argent16
et pose dès lors de nombreuses questions
juridiques à cet égard.
Un obstacle important réside dans le fait qu’il n’existe en droit interne aucune définition
formelle du sport. Seule la Charte Européenne du Sport17
suggère que le sport s’entend de
« toutes formes d'activités physiques qui, à travers une participation organisée ou non, ont
pour objectif l'expression ou l'amélioration de la condition physique et psychique, le
développement des relations sociales ou l'obtention de résultats en compétition de tous
niveaux »18
. Toutefois, cette disposition n’est absolument pas contraignante et n’aspire
aucunement à une harmonisation européenne de la définition juridique du sport. En ce sens, il
est délicat et périlleux d’asseoir le régime de l’e-sport en considérant qu’il répond à la
définition du sport, dès lors que cette dernière est introuvable faute d’être réellement
contraignante en droit positif.
14
Rapport intermédiaire établi par le député Rudy Salles et le Sénateur Jérôme Durain sur la demande de la
ministre Axelle Lemaire dans le cadre, précisément, de la rédaction de l’article 42 du projet de Loi pour une
République numérique, Mars 2016.
15
On entend par « en dur » la présence physique des joueurs.
16
L’article L. 322-2 du code de la sécurité intérieure prohibe « toutes opérations offertes au public, sous
quelque dénomination que ce soit, pour faire naître l'espérance d'un gain qui serait dû, même partiellement, au
hasard et pour lesquelles un sacrifice financier est exigé par l'opérateur de la part des participants »
17
RECOMMANDATION N° R (92) 13 REV du comité des ministres aux Etats membres, adoptée par le Comité
des Ministres le 24 septembre 1992
18
Article 2 – Définition et champ d’application de la Charte
10
Droit et Régulation du sport électronique – Antoine Bergeaud
Ce constat fait, faut-il souligner que la naissance du sport électronique a précédé tout cadre
juridique et législatif, si bien que ce sont les faits et les pratiques qui s’imposent au
législateur ; un devoir de réglementation au service d’intérêts divergents. La question du
régime juridique des compétitions de jeux vidéo n’est pas sans susciter polémiques et
interrogations. Toutefois, le consensus règne autour de la nécessité d’instaurer un cadre
juridique adéquat, permettant de régulariser une pratique désormais ancrée dans le paysage du
jeu vidéo. A l’évidence, les préoccupations et les velléités des différents acteurs divergent. Si
les joueurs, les organisateurs et les éditeurs prônent un régime libéral qui vise à autoriser l’e-
sport et à façonner un cadre juridique en faveur des joueurs professionnels ayant un véritable
statut consacré, il est compréhensible que les pouvoirs publics voient le phénomène de l’e-
sport d’un autre œil. Loin d’être résolument opposé aux compétitions de jeux vidéo, le
ministère de l’économie, de l’industrie et du numérique, et Madame la Ministre Axelle
Lemaire la première, mettent tout en œuvre pour consacrer la discipline. Elle déplorait ainsi
dans la presse au mois de mai 2016 que « des responsables politiques stigmatisent les jeunes
qui pratiquent les compétitions de jeux vidéo sans s’intéresser à la réalité de la discipline, qui
porte une certaine éthique et des valeurs positives telles que l’esprit d’équipe, la discipline et
le travail »19
. Nonobstant les efforts mis en œuvre pour favoriser le développement du sport
électronique, de nombreux risques et dérives potentielles appellent à une architecture
juridique précise et exhaustive.
C’est en ce sens que la problématique et l’émergence du sport électronique semble associer,
opposer ou en tout cas évoquer à la fois le droit et la régulation qu’il implique. Un raccourci
infondé nous ferait dire que les acteurs du « business » des jeux vidéo rejetteraient toute
forme de régulation étatique alors que les pouvoirs publiques auraient à l’esprit la
préservation des droits et la protection des citoyens face à un phénomène polymorphe tel que
l’e-sport. La réalité n’est pas aussi tranchée, mais force est d’admettre que les préoccupations
diffèrent selon le « camp » de chaque acteur du sport électronique. En tout état de cause, il est
vrai que l’article 42 du projet de « Loi Lemaire » concilie le droit et la régulation du sport
électronique.
En l’état et pour l’heure, le projet de loi pour une République Numérique demeure inabouti.
Mais au-delà des modifications et des retouches à venir sur l’article 42, on peut toutefois
19
Interview de la secrétaire d’état au numérique Axelle Lemaire, Challenges, par Adrien Schwyter, le 20 mai
2016
11
Droit et Régulation du sport électronique – Antoine Bergeaud
s’inquiéter de la ligne directrice du cadre légal des compétitions de jeux vidéo. De nombreux
points de droit sont en suspens et nous interpellent : peut-on concilier les deux supports (en
dur et en ligne) des compétitions de jeux vidéo ? Est-il possible de réfuter que les
compétitions de jeux vidéo sont assimilables à un jeu d’argent dès lors qu’ils remplissent les
critères du code de la sécurité intérieure ? Si tel était le cas, quel est le sens de la démarche du
législateur d’autoriser exceptionnellement et sans justification motivée, la tenue de
compétitions de jeux vidéo alors même qu’elles peuvent être perçues comme un jeu d’argent ?
Enfin, faire de l’e-sport un sport par le biais de l’article 42 pourrait-il s’apparenter à un court-
circuitage du Conseil d’Etat dont il relève expressément de se prononcer sur le caractère
sportif d’une discipline via le contrôle de la légalité des refus d’agrément du ministre ?
Davantage que de simples problématiques purement juridiques, le projet de loi, par ses
approximations et parfois par son mutisme, laisse songeur sur la régulation à mettre en œuvre
afin de prévenir des risques quant à eux pressentis et identifiés avec quasi-certitude. Selon
qu’on envisage l’e-sport en ligne ou en dur, la régulation et le régulateur, pourtant
unanimement reconnus comme indispensable par l’ensemble des acteurs, sera différent :
l’ARJEL a vocation à réguler le secteur des jeux en ligne mais pas les compétitions, quelles
qu’elles soient, « en dur ». Qu’en sera-t-il de la légalité paris sportifs à considérer que l’e-
sport soit un sport comme les autres, voire un sport « à part » ? Dans le même sens, la
détermination du mécanisme d’obtention de l’agrément du ministère pour devenir
« organisateur de compétitions », jusqu’alors flou, déterminera le rôle des éditeurs, du SELL
et pourrait conduire à un secteur autorégulé non sans risque juridique.
12
Droit et Régulation du sport électronique – Antoine Bergeaud
Titre I – Une pratique compétitive des jeux vidéo aux
contours juridiques naissants et indécis
Chapitre 1 – L’avènement d’un régime dérogatoire ambivalent
La nécessité et l’urgence de mettre en place et de définir un régime juridique de l’e-sport
résulte du constat que l’activité s’est durablement installée dans des conditions juridiques
floues, proches d’être illégales avec la tolérance des pouvoirs publics (1). La réponse
législative intervient aujourd’hui dans le cadre du projet de loi « pour une République
Numérique », façonnant un régime d’exception et purement dérogatoire à l’e-sport afin de
maintenir et de contenir l’expansion du phénomène dans des conditions sécurisées
juridiquement (2).
1 – Une offre d’e-sport disponible malgré l’absence de cadre juridique et
réglementaire
1.1 – La tenue d’événements d’e-sport en ligne et en dur
La définition de l’e-sport que nous avons ci-avant donné est le reflet d’une réalité davantage
que d’une conceptualisation théorique. En effet, faute de cadre réglementaire établi pour
caractériser le sport électronique, on considère par consensus que l’e-sport consiste en des
compétitions de jeux vidéo où les joueurs s’affrontent par écran interposés sur internet ou
dans une enceinte dédiée (en dur). Les compétiteurs se défient avec généralement une
espérance de gain à la clef.
Les événements de grande ampleur organisés sur le sol français sont par exemple la Paris
Games Week20
. Il s’agit d’un salon du jeu vidéo annuel considéré comme l’événement
principal en la matière en France. Les acteurs du monde du jeu vidéo y sont réunis pour une
semaine. Il est également l’occasion d’organiser les phases finales de plusieurs tournois de
jeux vidéo, avec la possibilité pour les spectateurs d’assister à la compétition sur place et en
20
L’édition 2015 a réuni près de 2 millions de spectateurs
13
Droit et Régulation du sport électronique – Antoine Bergeaud
ligne par retransmission vidéo. Force est d’admettre que la Paris Games Week s’apparente en
de nombreux points à une compétition sportive majeure : des commentateurs décrivent les
images des écrans de joueurs, les joueurs sont interviewés21
à l’occasion des rencontres
comme peuvent l’être les plus grands tennismen à Roland Garros et les sponsors se disputent
les spots et affiches publicitaires.
1.2 – Une offre de paris illégaux importante
Davantage que la tolérance des pouvoirs publics vis-à-vis de la tenue de compétitions de sport
électronique, faut-il être conscient que l’e-sport est devenu une manne financière pour les
opérateurs de paris dédiés, qui ne disposent d’aucun agrément délivré l’Autorité de régulation
des jeux en ligne (ARJEL). En effet, tout opérateur de paris sportif est soumis à l’obtention
d’un agrément auprès de l’ARJEL. Il convient de préciser que les paris pour lesquels les
opérateurs sollicitent des agréments portent sur des sports à part entière, et que faute de
disposer d’une telle qualification pour l’e-sport, les opérateurs illégaux ne sauraient solliciter
l’Autorité en ce sens.
On dénombre ainsi plusieurs sites étrangers dont la spécialité consiste en la prise de paris sur
le sort des compétitions de jeux vidéo : egb.com, e-sportbetting.eu. Cette activité tombe
évidemment sous le coup de la loi, mais aucune mesure en justice n’a été prise jusqu’alors
contre ces opérateurs.
D’autres sites internet22
se placent en qualité d’entremetteurs de joueurs sur la toile, afin
d’organiser des rencontres entre les joueurs sur la plateforme en ligne dédiée. Celles-ci
peuvent avoir un caractère gratuit ou payant et peuvent porter sur différents types de jeux.
21
Voir par exemple l’interview-portrait du joueur « Broken » : http://lci.tf1.fr/high-tech/paris-games-week-
broken-profession-joueur-d-e-sport-8677515.html
22
WorldGaming ou Glory4Gamers
14
Droit et Régulation du sport électronique – Antoine Bergeaud
2 – La légalité de l’e-sport rendue possible par dérogation au principe
d’interdiction des loteries
2.1 – L’interdiction des jeux de hasard étendue aux jeux d’adresse
Jusqu’à l’apparition de l’article 42 du projet de loi, le sport électronique évoluait dans un
régime inconnu pour ne pas dire illégal. Malgré un prolongement logique du développement
et des progrès dans le domaine du numérique et précisément des jeux vidéo, les pouvoirs
publics n’avaient-ils peut-être pas anticipé l’avènement de l’e-sport comme un phénomène de
masse.
Face à l’offre manifestement illégale d’e-sport sur le territoire français – principalement
lorsqu’il est pratiqué en ligne – l’Etat a opté pour une politique de tolérance, probablement
faute d’avoir toutes « les cartes en main » et le temps d’appréhender le phénomène23
. Le
projet de loi Lemaire prévoit en son article 42, III, une dérogation au principe de prohibition
des loteries, afin d’autoriser les compétitions de sport électronique sans toutefois y associer le
statut de discipline sportive à part entière :
« III. – Les compétitions pour lesquelles les organisateurs bénéficient de l’agrément prévu au
I du présent article ne sont pas soumises aux articles L. 322‑1 à L. 322‑2‑1 du code de la
sécurité intérieure.
Il en est de même des phases de qualifications de ces compétitions se déroulant en ligne, dès
lors qu’aucun sacrifice financier de nature à accroître l’espérance de gain du joueur ou de
son équipe n’est exigé par l’organisateur. »
Depuis la Loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation, l’article L. 322-2 du
code de la sécurité intérieure a été modifié :
« 1° Après le mot : « hasard », la fin de l'article L. 322-2 est ainsi rédigée : « et, d'une
manière générale, toutes opérations offertes au public, sous quelque dénomination que ce soit,
pour faire naître l'espérance d'un gain qui serait dû, même partiellement, au hasard et pour
lesquelles un sacrifice financier est exigé par l'opérateur de la part des participants »24
.
Et d’insérer par la suite un nouvel article L.322-2-1 au même code stipulant que :
23
La mise en œuvre d’un rapport parlementaire dédié à l’e-sport coïncide avec le projet de Loi Lemaire et
marque une prise de conscience des pouvoirs publics et la nécessité de cerner cette discipline.
24
Article 148 de la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation
15
Droit et Régulation du sport électronique – Antoine Bergeaud
« Cette interdiction recouvre les jeux dont le fonctionnement repose sur le savoir-faire du
joueur. Le sacrifice financier est établi dans les cas où l'organisateur exige une avance
financière de la part des participants, même si un remboursement ultérieur est rendu possible
par le règlement du jeu ».
A la lueur de l’évolution de la législation, il est désormais admis que la part, la proportion ou
la densité de hasard contenue dans un jeu n’a aujourd’hui plus d’influence sur la légalité du
jeu : dès lors que le hasard est présent, même de manière infime ou résiduelle, et sous réserve
des conditions qui s’appliquaient auparavant25
, on peut considérer que le jeu s’apparente à une
loterie et se voit ainsi interdit par la loi.
L’application de cette rénovation législative est lourde de conséquences s’agissant du
domaine des jeux vidéo. En effet, bien que les jeux vidéo soient principalement et à
dominante des jeux d’adresse reposant sur le savoir-faire du joueur, le fait que la pratique
compétitive de jeux vidéo contienne nécessairement une part de hasard, un aléa voire une
fortune, place l’e-sport dans la catégorie des loteries prohibées.
Une récente jurisprudence26
de la Cour d’appel de Paris a été l’occasion d’affirmer ce principe
à l’encontre d’un site internet proposant des jeux en ligne où le hasard, fut-il résiduel, était
présent :
« En vertu de ce texte, était donc interdite toute opération qui, offerte au public, proposait une
espérance de gain moyennant un sacrifice pécuniaire, pourvu seulement que ce gain fût pour
une part quelconque, prépondérante ou non, attribué au gré du hasard. »
Ce sont donc désormais les jeux dits d’adresse ou d’habileté qui entrent eux aussi dans la
catégorie des jeux d’argent interdits par la loi. L’exposé sommaire joint à l’amendement
n°CL593 proposant la version actuelle de l’article 42 sur les compétitions des jeux vidéo pose
sans ambiguïté que « les loteries prenant la forme de compétitions de jeux vidéo – en ligne ou
‘en dur’ sont interdites en droit français ». De ce constat découle la nécessité de remédier à
cet état de fait qui ne coïncide pas avec la réalité des faits en ce sens que les pouvoirs publics
ont fermé les yeux sur les compétitions ayant eu lieu sur le sol français, malgré leur
prohibition théorique.
25
Pour rappel, la présence d’un offre publique, une espérance de gain et un sacrifice financier étaient les trois
des désormais quatre conditions pour caractériser une loterie qui tombe sous le coup de la loi.
26
CA de Paris, Pôle 1 - Chambre 2, Société GameDuell, 28 janvier 2016
16
Droit et Régulation du sport électronique – Antoine Bergeaud
2.1 – L’insolite exclusion des qualifications en ligne du régime des jeux
d’argent
Contre toute attente et non sans poser quelques difficultés d’interprétation, le législateur aura
donc fait le choix de dissocier les phases de qualifications des compétitions de jeux vidéo du
régime des jeux d’argent. Pourtant, tout portait à croire que les trois conditions pour rentrer
dans cette catégorie étaient réunies au l’aune de l’article L. 322-1 du code de la sécurité
intérieure27
.
En réalité, le législateur opère une « pirouette » en considérant que le droit d’entrée ne
constituera pas un sacrifice financier dans la mesure où il n’accroit pas l’espérance de gain du
joueur ; c’est un leurre. La position du législateur est d’autant plus surprenante qu’il ne
semble pas établir quelque garde-fou ni aucune limite quant au montant du sacrifice financier
en jeu. En effet, bien que l’esprit du texte laisse entendre que la participation financière sera
modique et qu’elle serait dès lors non constitutive d’une espérance de gain accrue, rien ne fait
état d’un contrôle des « mises » dont le joueur devra s’acquitter pour entrer sur le circuit de la
compétition. On peut également regretter que le législateur n’impose d’ores et déjà des
mesures visant à limiter la répétition, le cumul des parties de qualification. En effet, il est tout
à fait envisageable que des individus désireux « à tout prix » de participer à une compétition
de jeux vidéo requérant la présence physique soient amenés à débourser le sacrifice financier
de façon répétée et quasi-infinie jusqu’à obtenir leur sésame. De ce point de vue, la ruine
pourrait guetter les joueurs les plus téméraires et motivés au terme du cumul des sacrifices
financiers correspondant au droit d’entrée qui, unitairement, ne représentent que quelques
sous.
L’exclusion de la catégorie des jeux d’argent sonne faux et donne l’impression d’un artifice
législatif susceptible de nourrir de nombreux débats et probablement un abondant contentieux.
27
Précité
17
Droit et Régulation du sport électronique – Antoine Bergeaud
Chapitre 2 - L’octroi du caractère sportif aux compétitions de jeux vidéo
source de controverses juridiques
1 – La reconnaissance de l’e-sport comme un « sport » demeure prématuré mais
non moins envisageable dans le futur
Le sport électronique ne serait donc ni un sport, ni un jeu d’argent. Pourtant, cet entre-deux
peut apparaitre peu satisfaisant d’un point de vue rigoureusement juridique. Il s’agit d’une
parade pour ne pas dire une pirouette du législateur, qui a envisagé l’e-sport comme une
discipline à part, souhaitant toutefois lui calquer un régime très proche de celui du sport
traditionnel.
Malgré cela, la qualification d’une discipline ou d’un jeu comme « sportive » dépend de
l’appréciation de plusieurs acteurs, au premier rang desquels le Conseil d’Etat, lorsqu’il est
amené à se prononcer sur la validité des agréments refusés par le ministère des sports.
1.1 – Le choix de l’agrément « jeunesse éducation populaire » par opposition à
une discipline sportive
L’article L. 313-8 du code du sport dispose qu’ « un agrément peut être délivré par le
ministre chargé des sports aux fédérations qui, en vue de participer à l'exécution d'une
mission de service public, ont adopté des statuts comportant certaines dispositions
obligatoires et un règlement disciplinaire conforme à un règlement type ». Le ministre
dispose d’un pouvoir discrétionnaire important dans l’octroi d’un agrément aux fédérations
sportives.
Il se fonde sur deux conditions : le caractère sportif de la discipline concernée et le respect des
exigences posées par la loi. En ce sens, le ministre dispose d’une appréciation large qui ne
permet pas de connaitre avec certitude, à l’avance, si une discipline se verra reconnue comme
un sport.
Par ailleurs, le Conseil d’Etat utilise la méthode du faisceau d’indices lorsqu’il s’engage sur la
voie du contrôle du refus de l’agrément. Certaines décisions de refus d’octroi d’agrément par
le ministre dépassent parfois ces deux conditions et sont validées par le Conseil d’Etat :
18
Droit et Régulation du sport électronique – Antoine Bergeaud
l’insuffisance des structures administratives et de l’encadrement technique, mais aussi le
faible nombre de pratiquants28
.
La phase supérieure de l’agrément consiste en une délégation, pour une « fédération
délégataire » précisément. Elle ne bénéficie qu’à une seule fédération par discipline. L’article
L131-14 dispose que « dans chaque discipline sportive et pour une durée déterminée, une
seule fédération agréée reçoit délégation du ministre chargé des sports. Un décret en Conseil
d'Etat détermine les conditions d'attribution et de retrait de la délégation, après avis du
Comité national olympique et sportif français ». L’attribution du statut de fédération
délégataire repose sur un arrêté du ministre.
En définitive, ces deux autorisations permettent aux organismes d’organiser l’activité sportive
dans toutes ses composantes, et principalement les compétitions29
. Il n’y a qu’une seule
fédération délégataire par discipline ; elle seule répond à l’appellation de « Fédération
Française » ou « Fédération Nationale ».
L’article 42 propose une rédaction surprenante en ce sens qu’ « un agrément [soit] délivré par
le ministère de la jeunesse aux organisateurs de compétitions de jeux vidéo ». Pourquoi le
législateur a-t-il fait le choix d’une délivrance d’agrément par le ministre de la jeunesse et non
le ministre des sports et qu’implique un tel choix ?
Le code du sport mentionne un agrément délivré par le ministère des sports : l’agrément des «
associations sportives ». Parallèlement, le même ministère, sous une casquette différente, peut
délivrer un agrément « jeunesse-éducation populaire » qui demeure obscur concernant ses
objectifs et les droits qu’il confère à la fédération agréée. Son origine remonte à deux
ordonnances de 1943 et 1944 ; aujourd’hui prévue par la loi n° 2001-624 du 17 juillet 2001
portant diverses dispositions d'ordre social, éducatif et culturel, mais ne trouve pas de
codification comme l’agrément « sport » ci-avant évoqué. Les dispositions en cause30
sont
lapidaires :
« Les associations, fédérations ou unions d'associations régulièrement déclarées ayant une
activité dans le domaine de l'éducation populaire et de la jeunesse peuvent faire l'objet d'un
agrément par le ministre chargé de la jeunesse ou par l'autorité administrative compétente.
L'agrément est notamment subordonné à l'existence et au respect de dispositions statutaires
28
Décision Conseil d'État 2ème et 1ère sous-sections réunies, n° 220388, 15 octobre 2003
29
C. du sport, Art L 131-5
30
Article 8, Loi n° 2001-624 du 17 juillet 2001 portant diverses dispositions d'ordre social, éducatif et culturel
19
Droit et Régulation du sport électronique – Antoine Bergeaud
garantissant la liberté de conscience, le respect du principe de non-discrimination, leur
fonctionnement démocratique, la transparence de leur gestion, et permettant, sauf dans les cas
où le respect de cette dernière condition est incompatible avec l'objet de l'association et la
qualité de ses membres ou usagers, l'égal accès des hommes et des femmes et l'accès des
jeunes à leurs instances dirigeantes. Les conditions de l'agrément et du retrait de l'agrément
sont déterminées par décret en Conseil d'Etat. »
A l’aune de ces dispositions, on cerne difficilement la démarche du législateur. En effet,
aucune mention de « compétition », ni de pratique d’une activité sportive n’est présente, à la
différence de l’agrément prévu à l’article 131-8 du code du sport. Il s’agit davantage d’une
relation de proximité officialisée entre une association et le ministère, gage de confiance pour
le public et de visibilité pour l’association agréée. Si l’on se fie à l’agrément national de
jeunesse et d’éducation populaire octroyé à la Fédération Française de Jeu de Dames, on peut
douter que cette seule autorisation ne permette légalement d’organiser des tournois – en tous
points comparables à des compétitions (payantes et gains potentiels) – au regard de la loi
n°2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation. Le recours à ce type d’agrément
« jeunesse et éducation populaire » implique l’absence d’une Fédération délégataire pour ce
type d’agrément et laisse penser qu’il puisse y avoir plusieurs organisateurs de jeux vidéo.
Au total, on peut synthétiser le choix de l’agrément qui sera octroyé à l’e-sport sous la forme
du tableau suivant et en tirer différentes interprétations :
20
Droit et Régulation du sport électronique – Antoine Bergeaud
AGREMENT « SPORT »
AGREMENT
« JEUNESSE ET EDUCATION
POPULAIRE »
Source et fondements
juridiques
Code du sport
L 131-1 à L 131-22
Ordonnances du 20 octobre 1943 et du 9 août 1944
+
Loi du 17 juillet 2001 (art 8)
Déclinaisons de
l’agrément
Fédérations délégataires
(Une seule par discipline
sportive)
Fédérations agréées Agrément national Agrément départemental
Objectif recherché
Un but clairement sportif
« L 131-1 du C. du sport : Les fédérations sportives
ont pour objet l'organisation de la pratique d'une ou
de plusieurs disciplines sportives. »
Pas d’objectif énoncé.
En substance, il s’agit d’une relation privilégiée
entre l’Etat et l’organisme.
Le rapport à la notion
de compétition
L 131-15 C. du sport :
« Les fédérations délégataires : 1° Organisent les
compétitions sportives à l'issue desquelles sont
délivrés les titres internationaux, nationaux,
régionaux ou départementaux »
La notion de compétition est absente des textes
L’organisation de
compétition sportive
est-elle permise ?
Oui
Hypothèse :
Les fédérations (type jeu de dames) continuent
d’organiser des compétitions payantes avec gain
potentiel malgré l’interdiction résultant de la Loi
Hamont sans avoir pris conscience que le droit avait
évolué depuis 2014. Les pouvoirs publics auraient
une politique de tolérance pour les compétitions de
jeux d’adresse bien qu’ils ne disposent pas de
l’agrément adéquat.
Application au e-sport
Le projet de loi pour une république numérique mélange les deux types d’agréments : un agrément délivré par
le ministre chargé de la jeunesse aux organisateurs de compétitions sportives de jeux vidéo (qui relèvent
théoriquement de l’agrément « sport »).
Interprétation
Le législateur entend-il autoriser les fédérations « non-sportives » à organiser des compétitions sportives ?
Le législateur souhaite-il maintenir sa position selon laquelle le sport électronique n’est pas un sport ?
21
Droit et Régulation du sport électronique – Antoine Bergeaud
1.2 Le Conseil d’Etat détenteur de la qualification d’une discipline comme
« sportive »
Le Conseil d’Etat est sollicité par les associations qui aspirent à obtenir un agrément auprès
du ministre des sports, en vue de s’établir comme une fédération sportive. Une jurisprudence
fournie31
nous permet de déceler dans quelle mesure les juges du Palais Royal apprécient les
critères qu’ils ont eux-mêmes définis par leurs précédentes décisions.
Les trois critères exigés par le Conseil d’Etat pour annuler une décision de refus d’agrément
du ministre des sports – et ainsi qualifier la discipline de sportive ou non – sont :
- La performance physique ;
- L’organisation régulière de compétitions ;
- L’existence de règles bien définies.
A l’aune des décisions rendues par le Conseil d’Etat, on peut imaginer quelle serait la position
de ce dernier s’il était amené à contrôler le refus d’un agrément. Quelle serait,
hypothétiquement et au vu de la jurisprudence, l’avis du Conseil d’Etat : le e-sport, un vrai
sport ?
31
Voir tableau ci-après
22
Droit et Régulation du sport électronique – Antoine Bergeaud
THEMATIQUE
ABORDEE
APPRECIATION DU CONSEIL D’ETAT ET APPLICATION AUX
JEUX VIDEO
Généralité
Sur les conditions
d’octroi de
l’agrément
Au regard de la jurisprudence issue de l’arrêt CE, 3 mars 2008 FAAEL, les conditions
d’octroi d’un agrément ne penchent pas en la faveur du secteur des jeux vidéo :
- Répondre à un objet d’intérêt général : a priori discutable
- Le mode de fonctionnement démocratique serait éventuellement rempli.
- Respecter les règles de transparence financière : envisageable.
Critèresdufaisceaud’indicesduConseild’Etat
Sur la performance
physique
La jurisprudence du Conseil d’Etat demeure peu enclin à recevoir l’idée d’une réelle
performance physique dans certaines activités :
- CE, 13 avril 2005, Fédération de Paintball sportif, n°258190 : Le Conseil d’Etat oppose
« l’activité de loisir » à la quête de « la performance physique »
- CE 26 juillet 2006, Fédération Française de Bridge, n°285529 : « le bridge ne contient
aucune activité physique, ne présente pas le caractère d’une activité physique [ni] d’une
discipline sportive au sens du I de l’article 16 de la loi du 16 juillet 1984 »
- CE 9 novembre 2011, Fédération française de Darts, n°347382 : Distinction claire entre
le loisir et le sport établie par le Conseil d’Etat.
Sur l’organisation
régulière de
compétitions
L’arrêt CE, 3 mars 2008 FAAEL est éloquente : cette dimension semble davantage valoir
pour la délégation que pour l’agrément.
Pour le Conseil d’Etat, il n’y a pas de sport sans « compétition », mais la compétition
n’implique pas nécessairement la présence d’un sport, qui peut être simplement un loisir.
Sur l’existence de
règles bien définies
A la lueur de la jurisprudence FAAEL, il semble que cette condition soit prédominante sur
les autres : la FAAEL n’avait pour le Conseil d’Etat pas d’activités s’exerçant sur la
« base de règles bien définies ».
Mais cela est surprenant quand on regarde la décision Fédération française de Paintball,
dont les règles sont très précises et pour laquelle l’agrément a été refusé par le ministre,
décision confirmée par le Conseil d’Etat.
23
Droit et Régulation du sport électronique – Antoine Bergeaud
2 – Le statut juridique des e-sportifs en question
2.1 – L’absence de contrat de travail nuisible à la discipline
La question du statut des « joueurs professionnels » de jeux vidéo n’est pas sans poser de
réelles interrogations juridiques. En effet, l’engouement pour les compétitions de jeux vidéo
et la croissance des gains que celles-ci génèrent nécessitent de trouver un cadre juridique
adéquat. A en croire le rapport intermédiaire établi par les parlementaires32
, les joueurs sont
pour l’instant, et pour une majorité d’entre eux, à leur compte et exercent en tant que
travailleurs indépendants. Il en résulte que la relation de travail avec les sponsors, les clubs,
demeure non-uniformisée et finalement assez précaire malgré les importantes rémunérations
qu’elles impliquent.
L’idée d’appliquer au sport électronique la même réglementation qu’au sportif professionnel
est largement débattue mais aurait sans doute l’avantage d’y voir plus clair et de sécuriser
dans les meilleurs délais la situation des joueurs concernés. Pour l’heure, faute de pouvoir
distinctement établir une relation de pouvoir hiérarchique entre les structures organisatrices
d’entrainement, de coaching et les joueurs, on observe l’absence manifeste de contrats de
travail. « Attendu que l'existence d'une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée
par les parties ni de la dénomination qu'elles ont donnée à leur convention mais des
conditions de fait dans lesquelles est exercée l'activité des travailleurs », la jurisprudence33
s’appuie sur la méthode du faisceau d’indices pour établir qu’un contrat de travail existe en
dépit d’une dénomination de « relation commerciale » particulièrement préjudiciable aux
joueurs professionnels de jeux vidéo. Trois conditions se dégagent de la jurisprudence pour
consacrer la relation de travail salariée34
et notamment le lien de subordination qui se
décompose en trois critères, à savoir :
32
Rapport intermédiaire, E-sport la pratique compétitive du jeu vidéo, Durain et Salles, mars 2016
33
Cour de Cassation, Chambre sociale, du 19 décembre 2000, 98-40.572, Publié au bulletin
34
Yann Aubré détaille les conditions requises : « L'existence du contrat de travail suppose normalement la
réunion de trois critères : d'une part, l'exécution d'une prestation de travail, d'autre part, le versement au
travailleur concerné d'une rémunération en contrepartie de l'accomplissement de cette prestation et, enfin, la
subordination juridique de ce travailleur au donneur d'ouvrage qui est, en principe, le bénéficiaire de cette
même prestation de travail »
24
Droit et Régulation du sport électronique – Antoine Bergeaud
- Le commanditaire impose des directives à la personne rémunérée dans le but
d’accomplir ce pour quoi le contrat a été signé, assorti de possibilité de sanctions et de
rétorsions si jamais un manquement était constaté ;
- La rémunération du salarié est forfaitaire et non-alignée sur la réalité des tâches
exécutées sur la période considérée.
- Le lien employeur/employé suppose une exclusivité vis-à-vis du prestataire de service.
Parmi ces critères, celui de l’exclusivité est inhérent au lien de subordination et joue un rôle
très spécifique s’agissant des joueurs de jeux vidéo professionnels : ils sont en effet
susceptibles de « changer de crèmerie » si l’offre est plus intéressante dans un autre club et le
recours au contrat de travail de droit commun présenterait l’intérêt non négligeable de
sécuriser l’ensemble des acteurs de l’e-sport en France.
Le recours au contrat à durée déterminée n’est généralement pas possible puisque, à nouveau,
trois conditions régissent l’utilisation du CDD et ne coïncident pas avec l’activité de l’e-
sport :
- Accroissement temporaire de l’activité ;
- Remplacement d’un salarié absent ;
- Remplacement d’un non salarié.
Pas plus que le contrat à durée indéterminé qui sied particulièrement mal aux sportifs de haut
niveau en ce sens que les règles de démission et de licenciement nient la question des
transferts, élément décisif de la carrière d’un joueur de sport, au même titre qu’un joueur de
sport électronique.
Il résulte de cette situation de facto que ni les joueurs, ni les équipes et ni les clubs et sponsors
ne parviennent à se satisfaire du cadre juridique applicable aux joueurs professionnels de sport
électronique. L’absence de contrat de travail « sur-mesure » est source d’insécurité juridique
et de risque planant sur tous les acteurs du sport électronique.
2.2 – L’éventualité d’un modèle calqué sur les sportifs professionnels
Le sénateur Jérôme Durain évoquait « une vraie analogie entre l’e-sport et le sport » lors de
la présentation du rapport parlementaire sur la discipline. Certes, le constat n’est ni unanime
ni véritablement prouvé, mais on peut admettre un parallèle entre les deux s’agissant du statut
et des contrats auxquels les joueurs seront soumis à l’avenir. C’est la vocation du rapport
25
Droit et Régulation du sport électronique – Antoine Bergeaud
intermédiaire précité, lequel envisage sérieusement d’appliquer le CDD spécifique au sportif
aux joueurs de sport électronique.
L’assimilation du contrat d’e-sport au sport traditionnel implique un rattachement au droit du
sport formel. Le rapport préconise d’ « intégrer la pratique compétitive du jeu vidéo aux
secteurs mentionnés à l’article D. 1242-1 du code du travail »35
. Cette disposition du code du
travail exempte certains secteurs et certaines activités du principe du contrat à durée
indéterminée comme contrat de référence, précisément au regard « caractère par nature
temporaire de ces emplois »36
. La mission parlementaire propose d’y inclure l’e-sport, au
même titre que le sport professionnel qui figure à l’alinéa 5 de l’article. En somme, la
première étape d’un contrat d’e-sportif professionnel consisterait en la reconnaissance du
CDD comme contrat naturel de la discipline.
Au surplus, la mission parlementaire incite le législateur à « rendre applicable à la pratique
compétitive du jeu vidéo les articles L. 222-2 et L. 222-6 du code du sport au cas des
compétiteurs professionnels de jeu vidéo et des sociétés ou associations qui les emploient »37
.
De cette manière, les organismes d’e-sport auraient la possibilité de conclure des CDD d’une
durée d’un à cinq ans, éventuellement renouvelables, calqués sur ceux des sportifs
professionnels « classiques ».
En définitive, il s’agit pour la mission parlementaire de mettre en place un cadre juridique
exhaustif du sportif professionnel, y associant les e-sportifs au même titre que les sportifs
traditionnels. A l’évidence, la mise en place d’un tel cadre juridique ne saurait voir le jour
sans la reconnaissance de la discipline du jeu vidéo en compétition et du système d’agréments
concédés aux organisateurs de compétitions et/ou aux équipes (tel qu’évoqué au 1.1 du 1 du
chapitre 2 de la présente partie).
2.3 – L’alternative du statut du joueur professionnel de poker incertaine
Cette insécurité du statut du joueur n’est pas sans rappeler le cas du joueur professionnel de
poker, pour lequel la jurisprudence semble fragile faute de décision des juridictions suprêmes
françaises.
35
Rapport intermédiaire Durain Salles, page 24.
36
Article D. 1242-1 du code du travail
37
Ces dispositions régissent le recours au CDD spécifique des sportifs et entraineurs professionnels et la durée
du contrat, prévoyant une superposition avec les saisons sportives.
26
Droit et Régulation du sport électronique – Antoine Bergeaud
Car si le statut juridique du e-sportif est pour l’heure à définir, l’activité en elle-même et a
fortiori les gains ou revenus du sport électronique n’emportent eux non-plus aucun un régime
établi. La question se pose de savoir si le joueur professionnel d’e-sport, lorsqu’il remporte
une compétition, est soumis au régime du gain ou à celui du revenu. La création envisagée
d’un véritable statut du joueur de sport électronique professionnel semble plaider en faveur
d’une activité rémunérée – soit un revenu. Mais à partir de quand peut-on considérer qu’un
joueur est « professionnel » et que ses gains sont assimilés à des revenus ? Pour l’heure et
faute d’avoir un cadre juridique fiable pour les joueurs de sport électronique, on peut établir
un parallèle entre l’e-sportif et le joueur professionnel de poker s’agissant de la fiscalité qui
leur est applicable.
D’un point de vue fiscal, le joueur professionnel de poker ne dispose d’aucun statut particulier
ni dérogatoire au droit commun. En premier lieu, faut-il pouvoir distinguer le joueur de poker
« amateur » du joueur professionnel afin de déterminer le régime fiscal de chacun. Pour ce
faire, il convient de se référer à la jurisprudence du Conseil d’Etat qui suggère un faisceau
d’indices permettant d’identifier le joueur professionnel dans une décision isolée38
: l’absence
d’activité professionnelle en parallèle de l’activité de joueur, l’importance des gains réalisés et
les moyens mis en œuvre pour ce faire, ainsi que la dimension habituelle de la pratique du
poker (soit le reflet du niveau et de la notoriété du joueur en l’espèce). Une certitude s’il en
est, lorsque ces critères sont cumulativement remplis, le joueur de poker est qualifié de
professionnel, participant à un jeu ne reposant pas entièrement sur le hasard. A contrario, le
joueur amateur ne serait semble-t-il pas tenu de déclarer ses gains issus du poker, qu’il
pratiquerait en tant que loisir. L’idée générale repose finalement sur l’intention du joueur : se
procurer une source de revenu ou non ? Si oui, il s’agit pour le juge de le considérer comme
un joueur professionnel.
Il en résulte une imposition au titre des bénéfices non-commerciaux pour le joueur
professionnel de poker. Cette voie apparait comme « par défaut » ou « par élimination » au
sens de l’article 92 du Code Général des Impôts. Par « occupation ou exploitation lucrative et
source de profit », le code distingue les jeux de hasard pur (loteries voire paris hippiques) du
poker, comportant – même a minima – une dose d’adresse et de savoir-faire.
38
Tribunal Administratif de Clermont-Ferrand, 21 octobre 2010, n° 09-640, Petit
27
Droit et Régulation du sport électronique – Antoine Bergeaud
L’analogie entre le joueur professionnel de poker et le joueur professionnel d’e-sport peut être
intéressante d’un point de vue théorique mais ne saurait résoudre les incertitudes vis-à-vis du
sport électronique. En effet, le vœu du législateur est avant tout de sécuriser juridiquement la
discipline, si bien qu’on imagine difficilement qu’il calque un modèle incertain pour ne pas
dire bancal qui est celui du poker professionnel.
Titre II – De l’intervention publique primordiale pour
réguler un nouveau marché polymorphe
Au même titre que les marchés anciennement monopolistiques qui se sont progressivement
ouverts à la concurrence, le secteur des jeux en ligne a connu un réel bouleversement avec la
loi du 12 mai 201039
. Sans préjudice d’un rattachement des compétitions de jeux vidéo aux
jeux en ligne, l’acte d’inscrire l’e-sport dans la loi, avec un cadre juridique unique et inédit,
suppose d’y assortir un contrôle efficient et a fortiori une régulation de la part des pouvoirs
publics et des autorités compétentes.
La pratique compétitive des jeux vidéo est manifestement observée comme présentant une
pluralité pour ne pas dire une multitude de risques vis-à-vis de la préservation de l’ordre
public au sens large. En ce sens, bien que l’e-sport s’adresse à toutes les générations et à
toutes les tranches d’âge, on pressent un risque important pour les publics fragiles et
particulièrement les mineurs : des risques sanitaires tels que l’addiction ou la diffusion
d’images violentes impose de mettre en place toutes les dispositions utiles afin de contrôler
l’accès aux publics menacés ; le législateur comprend cet impératif (chapitre 1).
En outre, le principe de mise en place d’une régulation de l’e-sport ne saurait occulter la
question du choix des instances compétentes. Si l’e-sport n’est ni véritablement un sport, ni
véritablement une loterie, on peut se émettre l’hypothèse d’une régulation inédite sous l’égide
d’instances croisées. Au surplus, l’e-sport emporte de nombreuses implications dans plusieurs
39
Loi n° 2010-476 du 12 mai 2010 relative à l'ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux
d'argent et de hasard en ligne
28
Droit et Régulation du sport électronique – Antoine Bergeaud
secteurs, si bien qu’on étudiera le panel des régulations périphériques dont la discipline devra
certainement s’acquitter (chapitre 2).
Chapitre 1 – La prévention des risques et des dérives afférents au sport
électronique compétitif
La reconnaissance du sport électronique va de pair avec un nouvel élan donné aux jeux vidéo.
Il y a fort à parier qu’un engouement s’en ressente ces prochains mois, avec davantage de
visibilité pour la discipline. Par un effet de ricochet, les conséquences de la consécration
législative des compétitions de jeux vidéo peuvent être amenées à se décupler, d’où la
nécessité d’une vigilance accrue et d’une régulation efficiente.
En ce sens, les mineurs et l’ensemble des publics fragiles sont concernés par l’article 42 du
projet de loi pour une République Numérique, lesquels doivent être protégés contre tout effet
pervers engendré (1). Par ailleurs, un œil mal intentionné pourrait voir naître une opportunité
de blanchiment ou de fraude via les compétitions de jeux vidéo et conduit les autorités à
évaluer et à modeler les garde-fous appropriés en amont de toute dérive pressentie (2).
1 – La protection des mineurs et la lutte contre les addictions
1.1 – Une population mineure déjà en proie aux addictions liées aux jeux
d’argent, fragilisée par l’accès aux qualifications en ligne
L’article 42 du projet de loi pour une République Numérique intervient à un moment critique
vis-à-vis de la lutte contre les addictions et de la protection de mineurs s’agissant des jeux
d’argent et de hasard. En effet, l’enquête menée par l’Observatoire des Jeux sur les pratiques
de jeu d’argent et de hasard en France en 2014 révèle que la part des comportements
problématiques est en hausse : on estime à 2,2% le nombre de joueurs « à risque modéré » et
0,5% le nombre de joueurs « excessifs » soit respectivement, environ 1 million d’une part
deux-cent mille français d’autre part40
. En outre, la population de joueurs « problématiques »
40
Les jeux d'argent et de hasard en France en 2014, Enquête de l’Observatoire des Jeux et de l’INPES
29
Droit et Régulation du sport électronique – Antoine Bergeaud
concerne principalement les jeunes, non-diplômés et issus de milieux sociaux défavorisés ; un
tiers d’entre eux est sans-emploi41
.
Point de vigilance s’il en est pour les autorités : l’interdiction de jeux pour les mineurs n’est
pas assurée tel qu’elle devrait l’être et emporte des conséquences préoccupantes sur leur
santé. Ainsi, près d’un mineur (âgé de 15 à 17 ans) sur trois joue, parmi lesquels un dixième
d’entre eux rencontre des problèmes dus à cette pratique42
.
Parallèlement à ce constat inquiétant, la pratique du jeu vidéo est quasi-totale chez les moins
de dix-huit ans : 100% des 10-14 ans et 91% des 15-18 ans s’adonnent aux jeux vidéo43
sous
la forme d’un loisir. La « génération Z »44
est née avec les jeux vidéo et les supports afférents
(ordinateurs, consoles, tablettes et smartphones). De ce fait, il n’est pas anodin d’établir qu’un
risque pèse sur ces générations qui ont goutées aux jeux vidéo en tant que loisir depuis leur
naissance, et que l’introduction d’un modèle payant est susceptible de conduire à des
addictions importantes à l’aune du constat de la fragilité des populations mineures face aux
jeux d’argent.
Bien que le projet de loi pour une République Numérique ne qualifie pas l’e-sport comme un
jeu d’argent, force est de constater que les phases de qualifications se dérouleront avec un
droit d’entrée, fût-il « de nature à (ne pas) accroître l’espérance de gain du joueur (…) exigé
par l’organisateur »45
.
C’est précisément cette phase des qualifications en ligne qui nous alerte sur les risques en
termes de santé des mineurs. La frontière est mince entre le jeu de loisir pur, voire le « fantasy
sport »46
et les compétitions de jeux vidéo. Cette porosité entre les différents types de jeux
renforce la confusion voire la banalisation des jeux d’argent, qui plus est au regard du statut
unique de l’e-sport proposé par l’article 42 du projet de loi pour une République Numérique.
Les compétitions de jeux vidéo constituent alors doublement une menace pour les mineurs :
41
Toujours selon la même étude
42
Enquête de l’Observatoire des jeux et de l’INPES précitée.
43
Etude SELL / GfK « Les Français et le Jeu Vidéo » - Sur une base de 1002 personnes âgées de 10 à 65 ans /
Octobre 2015
44
Les générations nées après l’an 2000 sont qualifiées de « Génération Z » du fait qu’elles sont nées en plein
boom des nouvelles technologies de l’information et de communication.
45
Article 42 du Projet de loi pour une République Numérique
46
Le Fantasy Football est un jeu virtuel très populaire auprès des passionnés de football où l’on sélectionne les
joueurs de son choix pour former son équipe puis affronter les autres utilisateurs (les résultats dépendent des
performances des joueurs dans la vie réelle). Aux Etats-Unis, le fantasy sport peut être payant et permet
d’obtenir un gain et constituerait d’ores et déjà un motif d’interdiction puisqu’il est librement offert au public
également.
30
Droit et Régulation du sport électronique – Antoine Bergeaud
les jeunes joueurs habitués à la pratique récréative du jeu vidéo auront une large tendance à
être attirés par l’expérience du e-sport en tant qu’acteur – en tant que joueurs donc – et ces
mêmes jeunes pourront s’orienter vers les jeux d’argent qui résultent des compétitions de
sport électronique via la prise de paris – légale ou non mais bel et bien présente – sur l’issue
des rencontres entre les joueurs.
A cet égard, il apparaît crucial de protéger les jeunes des conséquences potentiellement
nuisibles engendrées par la « légalisation » du sport électronique. Les rédacteurs de l’article
ont vraisemblablement eu à l’esprit que les compétitions de jeux vidéo présentaient un risque
vis-à-vis du maintien de l’ordre public à en croire les garanties qu’ils ont assorties à la
consécration législative de la discipline.
1.2 – Une régulation de l’accès aux compétitions des mineurs malaisée
Si l’article 42 fixe des objectifs marquants en matière de protection des mineurs, il reviendra à
l’arrêté du ministère de la jeunesse – qui « fixe également, pour chaque logiciel de loisir,
l’âge minimal requis des joueurs pour participer à la compétition »47
- de définir clairement
la mise en œuvre, la méthode et le contrôle adéquats pour atteindre l’objectif ambitieux
affiché.
La rédaction du texte ne saurait échapper à un parallèle avec la politique de l’Etat en matière
de jeux d’argent et de hasard. En effet, le lecteur averti se hasardera à une analogie entre le I
de l’article 3 de la loi du 12 mai 2010 et le I de l’article 42 du projet de loi pour une
République Numérique. La loi du 12 mai 2010 énonce en ces termes les objectifs associés à la
légalité des jeux en ligne :
« I. ― La politique de l'Etat en matière de jeux d'argent et de hasard a pour objectif de limiter
et d'encadrer l'offre et la consommation des jeux et d'en contrôler l'exploitation afin de :
1° Prévenir le jeu excessif ou pathologique et protéger les mineurs ;
2° Assurer l'intégrité, la fiabilité et la transparence des opérations de jeu ;
3° Prévenir les activités frauduleuses ou criminelles ainsi que le blanchiment de
capitaux et le financement du terrorisme ».
47
Article 42, I, du projet de loi pour une République Numérique
31
Droit et Régulation du sport électronique – Antoine Bergeaud
L’architecture du texte sur les compétitions de jeux vidéo ne saurait nier la parenté avec la loi
du 12 mai 2010 telle que ci-dessus rédigée, quand bien même le législateur prône et argue
l’autonomie de l’e-sport vis-à-vis des jeux d’argent. Peut-on alors en déduire que la politique
de protection des mineurs quant au e-sport sera parsemée d’embuches pour au même titre que
la prévention du jeu excessif ou pathologique n’est que trop partiellement remplie aujourd’hui
en matière de jeux d’argent ? Au surplus, les acteurs du sport électronique, dont la charge
serait de mener à bien cet objectif, hériteront d’une tâche d’autant plus complexe que l’article
42 est particulièrement évasif sur la mise en œuvre formelle de la protection des mineurs. De
ce point de vue, on peut regretter que le législateur ne soit pas allé plus loin dans
l’identification des acteurs chargés de veiller à la protection de mineurs et ne se soit pas
engagé dans la définition des consignes qu’il leur imposerait.
Toutefois, on ne saurait accabler le législateur dans les approximations du projet de loi. En
parallèle de ces carences, le rapport intermédiaire établi par Rudy Salles et Jérôme Durain48
,
pose les fondations d’un accès aux mineurs contrôlé et cohérent. Ils suggèrent ainsi de
conditionner la participation des mineurs aux compétitions à une autorisation parentale49
et de
fonder cette autorisation sur la classification du label PEGI50
. Ce label se décline en plusieurs
niveaux tels que « PEGI 12 » ou « PEGI 18 » en fonction de la nature du jeu vidéo et du
public qu’il vise. Les jeux vidéo violents entrent généralement dans la catégorie « PEGI 16 »
ou « PEGI 18 » tandis que les jeux tous publics sont marqués d’un « PEGI 2 ». Ainsi, cette
classification n’a qu’une valeur indicative pour les parents lorsqu’ils procèdent à l’achat du
jeu vidéo. A dire vrai, le respect de l’indication du label n’est que marginalement reçue et
respectée pour plusieurs raisons. Primo, les parents cèdent à leurs enfants qui plaident en
faveur d’une classification sévère. Deuxio, les parents n’ont pas toujours – et de moins en
moins – accès aux jeux que se procurent leurs enfants, et a fortiori lorsqu’ils sont
dématérialisés sur des plateformes de jeux vidéo en ligne où le label peut plus facilement
passer outre la vigilance parentale. Les chiffres sont éloquents51
: à partir du collège, plus de
huit garçons sur dix ont déjà joué à un jeu classé PEGI 18, c’est-à-dire déconseillés aux
mineurs ; le chiffre atteint près de 90% pour les lycéens.
48
Précité
49
Proposition n°2 du rapport intermédiaire.
50
Pan European Game information.
51
Source : Enquête du Programme d’étude sur les liens et l’impact des écrans sur l’adolescent scolarisé
PELLEAS), Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT), décembre 2014
32
Droit et Régulation du sport électronique – Antoine Bergeaud
La mission propose qu’une autorisation parentale expresse soit demandée en fonction de
l’indice « PEGI » pour toute participation d’un mineur à une compétition de jeu vidéo. Si
cette démarche va dans « le bon sens », elle peut paraitre timide et illusoire confrontée à la
réalité. Au même titre que les parents sont parfois tributaires de l’argumentaire de leurs
enfants, une telle déclaration pourrait se résumer à une simple formalité administrative
rapidement éclipsée. Plus préoccupant encore, l’authenticité de l’autorisation parentale
pourrait s’avérer bien délicate à contrôler pour les éditeurs ou les organisateurs de
compétitions dès lors que celle-ci sera vraisemblablement numérisée. Cette réglementation, si
elle semble répondre efficacement à l’objectif de préservation de la santé des mineurs,
pourrait souffrir d’une efficience contrastée.
Concernant les gains issus des compétitions de sport électronique des joueurs de moins de 16
ans, la mission parlementaire prodigue un accès aux lots importants raisonné partant du
constat précédemment évoqué selon lequel les moins de dix-huit ans font figures de public
sensible, en proie aux comportements problématiques vis-à-vis de l’argent. En ce sens, la
régulation de l’accès des mineurs aux compétitions de jeux vidéo est incarnée ici par
l’interdiction formelle des mineurs de moins de 14 ans, pour lesquels seuls des lots « en
nature » d’une valeur modérée (moins de 100€ par lot) sont à remporter. Les parlementaires
envisagent un échelonnement des lots en fonction de l’âge. Ainsi pour les mineurs de 16 ans,
le montant du lot pourrait atteindre une valeur de 2000€ et de limiter l’accès à ces derniers
aux tournois qui proposent des lots plus importants. Des garde-fous sont apportés face aux
gains des mineurs via la consignation obligatoire auprès de la Caisse des dépôts52
tels que
d’autres activités le prévoient déjà (sport, mannequinat ou cinéma).
Ces propositions paraissent sensées au vu des risques qui pèsent sur les mineurs, mais ne
résolvent pas véritablement la sécurité juridique et la pérennité de la régulation envisagée. En
effet, limiter l’accès à une catégorie de population, en l’occurrence le public mineur,
s’apparente à une mesure de police d’avantage qu’à de la régulation pure. Toutefois, veiller au
respect de l’interdiction et prévenir les débordements liés à l’âge des participants des
compétitions d’e-sport est une problématique quasi-exclusivement en termes de régulation.
Ainsi, le choix d’une auto-régulation du secteur (par le contrôle des éditeurs) parait comme la
plus légitime, mais pas nécessairement comme la plus « rentable » du point de vue des
52
Proposition n°3 de la mission parlementaire
33
Droit et Régulation du sport électronique – Antoine Bergeaud
résultats escomptés. A contrario, la fixation législative d’une limite d’âge sonne comme une
immixtion problématique ; une police davantage qu’une régulation.
La régulation des compétitions de jeux vidéo se dessine sous la forme d’une coopération voire
d’une collaboration entre les différents acteurs du secteur. Elle ne saurait être trop indulgente
ni permissive mais elle n’a pas vocation à franchir la frontière d’une « régulation répressive »
sectorielle ex-ante. C’est d’autant plus vrai que le sport électronique peine à distinguer un
organe régulateur naturel, dédié et appliqué à ce domaine en l’état actuel de la législation.
La prise de conscience de l’enjeu que représente les mineurs dans l’avènement des
compétitions de jeux vidéo est à n’en pas douter l’élément décisif et déclencheur d’une
régulation la plus adéquate possible. Par le passé, les pouvoirs publics ont opté pour une
politique des œillères sur des sujets brûlants concernant les mineurs et sont désormais dans un
bourbier inextricable. A l’échelle européenne, 23 % des enfants de 9 à 16 ans ont vu des
contenus sexuels ou pornographiques au cours des six premiers mois de l’année 201353
, tous
médias confondus. La situation est désormais banalisée et l’accès à la pornographie des jeunes
désempare les parents, faute de pouvoir s’appuyer sur une régulation pérenne. Les parents
sont désormais seuls face à ce fléau si bien que le pédopsychiatre Patrice Huerre estime que,
plutôt que de compter sur des dispositifs de verrouillage, « les parents doivent éduquer leur
enfant à la rencontre inévitable avec des contenus inadaptés »54
.
Il apparait urgent et primordial de ne pas laisser une situation comparable s’installer dans le
cadre de l’e-sport et de l’accès aux mineurs à l’avenir ; une régulation assumée et véritable
s’impose.
2 – Une politique de lutte contre la fraude et le blanchiment indispensable
La régulation du sport électronique doit s’appréhender selon toutes les modalités qui peuvent
découler de la consécration législative dont on fait l’étude. En ce sens, même si le projet de
texte se dérobe plus ou moins sur l’éventualité de l’organisation de paris sportifs afférentes
aux compétitions d’e-sport, force est d’envisager qu’une telle activité puisse avoir lieu. A tout
le moins, la prise de paris sur l’issue des parties de sport électronique en ligne est d’ores et
53
EU Kids Online (2014): findings, methods, recommendations. EU Kids Online, LSE
54
Peut-on protéger les enfants de la pornographie ?, Journal La Croix, France Lebreton, le 24/11/2015
34
Droit et Régulation du sport électronique – Antoine Bergeaud
déjà avérée55
, si bien que les risques de fraude et de blanchiment précèdent la légalité de celle-
ci. On ne saurait dresser une esquisse de la régulation pertinente du sport électronique en
omettant que celui-ci puisse conduire à des paris, fussent-ils illégaux pour l’heure.
2.1 – Les jeux d’argent et paris sportifs : des biais de fraude et de blanchiment
traditionnels
L’essence-même du principe de prohibition des jeux d’argent et des loteries résulte de la
volonté de l’Etat de préserver l’ordre public. La fraude et le blanchiment d’argent56
peuvent
être considérés comme des composantes dérivées57
de l’ordre public en ce qu’ils impliquent
escroqueries, délits voire crimes58
- soit une insécurité patente. En témoigne la position de la
Cour de Justice de l’Union dans l’arrêt Placanica et autres59
, selon laquelle la politique
d’expansion menée par un Etat peut se fonder non seulement sur la protection des joueurs
mais également et de façon suffisante sur un principe de prévention de « l'exploitation des
activités de jeu de hasard à des fins criminelles ou frauduleuses en les canalisant dans des
circuits contrôlables ». Le droit interne applique sensiblement le même raisonnement tel
qu’exprimé dans le décret de 197860
relatif à l’organisation et à l’exploitation des jeux de
loteries autorisés en son article premier, modifié par le décret n°2015-1858 du 30 décembre
2015 :
« Art. 1 :
En application de l'article 136 de la loi du 31 mai 1933 et de l'article 48 de la loi n° 94-1163
du 29 décembre 1994, il peut être proposé au public y compris par voie de communications
électroniques une offre de jeux de loterie qui doit respecter les objectifs suivants :
-assurer l'intégrité, la sécurité et la fiabilité des opérations de jeux et veiller à la
transparence de leur exploitation ;
55
Le site internet http://www.parionse-sport.com/ est en libre-accès depuis le territoire français par exemple.
56
« Le blanchiment est le fait de faciliter, par tout moyen, la justification mensongère de l’origine des biens ou
des revenus de l’auteur d’un crime ou d’un délit ayant procuré à celui-ci un profit direct ou indirect (Article 324-
1 et suivants du Code pénal) » d’après le lexique proposé par MCE Avocats.
57
« La lutte contre des réseaux est partie intégrante de la sécurité » selon Anne Jacquemet in Monopole des jeux
de hasard et ordre public –– AJDA 2007. 1282
58
« Sécurité, salubrité et tranquillité publiques sont les trois composantes historiques de l’ordre public de la
police » rappelle le Professeur Thomas Pez, dans un article « L’ordre public économique », Les Nouveaux
Cahiers du Conseil constitutionnel 2015/4 (N° 49), p. 43-57.
59
CJCE 6 mars 2007, Placanica et autres, C-338/04
60
Décret n°78-1067 du 9 novembre 1978 relatif à l'organisation et à l'exploitation des jeux de loterie autorisés
par l'article 136 de la loi du 31 mai 1933 et de l'article 48 de la loi n° 94-1163 du 29 décembre 1994.
35
Droit et Régulation du sport électronique – Antoine Bergeaud
-canaliser la demande de jeux dans un circuit contrôlé par l'autorité publique, afin
de prévenir les risques d'une exploitation des jeux d'argent à des fins frauduleuses
ou criminelles et de lutter contre le blanchiment d'argent ;
-encadrer la consommation des jeux afin de prévenir le développement des
phénomènes de dépendance.
Les jeux de loterie ne peuvent être vendus aux mineurs, même émancipés.
Nul ne peut être tenu pour responsable du non-respect de la disposition précédente s'il a été
induit en erreur sur l'âge du ou des mineurs concernés. »
L’Etat a redoublé d’efforts ces dernières années pour tenter de diminuer les tentatives de
blanchiment par le biais des jeux d’argent. Par le biais du secrétaire d’Etat chargé du budget
Christian Eckert, la lutte contre la fraude et le blanchiment est « revenue sur le tapis » lors de
l’inauguration du nouvel entrepôt central automatisé de la Française des Jeux (FDJ), le 13
avril 2016. Il s’adressait en ces termes à la FDJ :
« Il y a aussi – et à mon sens : surtout – des enjeux de lutte contre la fraude et le blanchiment,
et des questions de santé publique avec la lutte contre le jeu des mineurs et la prévention du
jeu excessif. La mission de la Française des Jeux n’est pas de « vendre » des loteries et des
paris : c’est de canaliser la demande de jeu, et de l’orienter vers des produits récréatifs et
sûrs. C’est ma responsabilité d’y veiller, en tant que régulateur. C’est également votre
responsabilité, en tant qu’opérateur sous monopole, et c’est d’ailleurs bien ainsi que vous
concevez votre rôle : j’y reviendrai d’ailleurs dans un instant, au travers de quelques
exemples. »61
Et d’ajouter :
« Les paris sportifs ont connu une forte croissance ces dernières années, et demeurent exposés
aux risques de fraude et de blanchiment : il est donc nécessaire de renforcer le contrôle des
autorités publiques sur ce segment. »
Par ces mots, Christian Eckert admet à demi-mots que le blanchiment d’argent se distingue
perpétuellement comme la bête noire des jeux d’argent et de hasard que l’Etat ne parvient
jamais à endiguer de manière définitive. Ces fléaux se seraient intensifiés via les paris sportifs
– particulièrement via les paris sportifs en ligne – selon le ministre. Ce dernier réaffirme la
volonté de l’Etat de mettre à mal les organisations souterraines qui utilisent les jeux d’argent
pour blanchir l’argent sale.
61
Discours de Christian ECKERT, secrétaire d’Etat chargé du Budget, Inauguration du nouvel entrepôt central
automatisé de la FDJ, Paris Nord Roissy, Mercredi 13 avril 2016
36
Droit et Régulation du sport électronique – Antoine Bergeaud
Face à ce constat, on ne peut que s’étonner de la légèreté de l’encadrement et de la régulation
imposés en matière de lutte contre la fraude et le blanchiment via l’e-sport à l’aune du texte
proposé. Au même titre que l’objectif de protection des mineurs, la « prévention des activités
frauduleuses ou criminelles »62
, n’est pour l’heure assortie d’aucunes mesures ciblées.
Pourtant, force est d’observer un lien éventuel entre les compétitions de e-sport – elles même
susceptibles de paris à l’avenir – et les paris sportifs pour lesquels la fraude et le blanchiment
sont « monnaie courante ».
On pourrait d’ores et déjà envisager de calquer les mesures qui s’imposent aux opérateurs de
paris sportifs et de loterie en matière de lutte contre la fraude et de blanchiment. En effet, la
directive de l’Union Européenne n°2015/849 du Parlement Européen et du Conseil du 20 mai
2015 relative à la prévention de l'utilisation du système financier aux fins du blanchiment de
capitaux ou du financement du terrorisme vient parachever la législation européenne en
vigueur63
. Son domaine d’application s’est en effet élargi au secteur des jeux d’argent.
Viennent ainsi s'ajouter aux établissements de crédit et aux établissements financiers les
prestataires de service de jeux d'argent et de hasard :
« L'utilisation du secteur des jeux d'argent et de hasard pour blanchir le produit d'activités
criminelles est préoccupante. Afin d'atténuer les risques liés à ce secteur, la présente directive
devrait prévoir d'obliger les prestataires de services de jeux d'argent et de hasard présentant
des risques plus élevés à appliquer des mesures de vigilance à l'égard de la clientèle pour
chaque transaction d'un montant égal ou supérieur à 2 000 EUR. Les États membres
devraient s'assurer que les entités assujetties appliquent le même seuil à la perception de
gains, aux mises, y compris par l'achat et l'échange de plaques ou de jetons, ou aux deux. Les
prestataires de services de jeux d'argent et de hasard possédant des locaux physiques, tels que
les casinos et les maisons de jeu, devraient veiller à pouvoir lier les mesures de vigilance
qu'ils appliquent à l'égard de leur clientèle, si ces mesures sont mises en œuvre à l'entrée de
leurs locaux, aux transactions effectuées par le client concerné dans les locaux en
question. »64
Au regard des facteurs cumulés susceptibles d’accroitre le risque de blanchiment via les
compétitions de jeux vidéo, le législateur pourrait envisager de soumettre les organisateurs
desdites futures compétitions aux dispositions de la directive anti-blanchiment de 2015. Au
62
Article 42, I du projet de loi pour une République Numérique
63
Cette nouvelle directive modifie le règlement (UE) n° 648/2012 du Parlement européen et du Conseil et
abroge la directive 2005/60/CE du Parlement européen et du Conseil et la directive 2006/70/CE de la
Commission.
64
Paragraphe 21 de la directive précitée
37
Droit et Régulation du sport électronique – Antoine Bergeaud
demeurant, il est également envisageable de façonner un régime ex-nihilo pour les
organisateurs d’e-sport de telle sorte que le blanchiment soit contenu le mieux possible.
En tout état de cause, on ne saurait feindre la menace de risque de blanchiment au vu des
chiffres de croissance de l’e-sport et des revenus engendrés par la discipline. Plus le
phénomène prendra de l’ampleur, plus les tentatives de blanchiment auront l’opportunité
d’être noyées dans les flux financiers et plus il sera difficile de les combattre. Encore une fois,
le choix d’une régulation pertinente et réaliste devra être une condition sine qua non de
l’avènement de l’e-sport en France.
2.2 – La difficulté du contrôle de la sincérité des joueurs en compétition
Outre le phénomène de blanchiment de grande ampleur qui sévit sur le secteur des jeux
d’argent, la fraude en ce qu’elle incarne de plus triviale peut être amenée à déteindre sur le
monde de l’e-sport au même titre qu’elle existe pour les jeux d’argent.
Un parallèle peut clairement être établi entre le poker en ligne et les compétitions de jeux
vidéo en ligne – s’agissant donc des phases de qualification. Le monde du poker a connu de
nombreux scandales de tricherie ces dernières années impliquant des fraudes bancaires et du
blanchiment65
. Mais nous porterons notre regard davantage sur les risques de collusion, qui
peuvent tout à fait être transposés en matière de compétitions de jeux vidéo.
La méthode de la collusion est rudimentaire : deux joueurs ou plus sont complices et
communiquent par Skype durant les parties afin d’éliminer les adversaires, puis se partagent
les gains. On pourrait objecter que le sport électronique, en ce qu’il n’opposerait que deux
joueurs l’un contre l’autre lors des phases de qualifications en ligne, échappe à la collusion.
En tant que fraude et qu’arnaque des autres participants à la table comme c’est le cas au
poker, il est vrai que cela est peu probable pour le sport électronique. Toutefois, deux joueurs
peuvent également être amenés à s’entendre sur le sort d’une confrontation dans l’unique but
de blanchir l’argent.
65
En 2011, les fondateurs des trois plus gros sites de poker en ligne opérant aux Etats-Unis ont été inculpés de
fraude bancaire et blanchiment d'argent pour avoir camouflé les revenus tirés des jeux d'argent sur internet.
38
Droit et Régulation du sport électronique – Antoine Bergeaud
A tout le moins faut-il relativiser l’ampleur de ce risque. En effet, le projet de loi et l’article
consacré aux compétitions de jeux vidéo précise que le sacrifice financier sera faible, si bien
que les gains encaissés sur le fondement d’une collusion seraient marginaux. Mais le futur de
l’e-sport, et la question des paris pour l’heure en suspens, laisse entrevoir de nombreuses
opportunités de fraude ; les mêmes que pour les jeux d’argents en principe prohibés par le
code de la sécurité intérieure.
La sincérité des compétitions de jeux vidéo tient également au matériel support de celles-ci. Il
est en ce point remarquable qu’aucune mention n’est faite dans le texte quant à l’égalité entre
les joueurs qui s’affrontent lors des compétitions de sport électronique. Si en principe l’égalité
quasi-parfaite peut être respectée et tenue lors des compétitions requérant la présence
physique des joueurs, il peut s’avérer particulièrement délicat d’assurer ce principe pour les
phases de qualifications en ligne. Or, ce que l’on peut dénommer comme du « dopage
technologique »66
est susceptible de créer une insécurité manifeste pour les joueurs, et
éventuellement nourrir les tribunaux en ce sens via l’accusation des organisateurs de
compétitions de défaut de sécurité sur leur plateforme de jeux.
Ainsi, la connexion internet, le matériel utilisé mais également l’éventualité de prise de
produits dopants par les joueurs de sport électronique est éludée du texte de loi. Il est
vraisemblablement trop tôt pour envisager que l’Agence Française de Lutte contre le Dopage
(AFLD) ait un rôle à jouer en matière de compétitions de jeu vidéo compétitif. Toutefois, la
mise en place d’un contrôle efficient parait tout à fait illusoire en l’état via les compétitions
qui auront lieu par écrans interposés.
Le dopage est un phénomène identifié ces dernières années, et en recrudescence dans le
monde du poker en ligne. Les conclusions d'une étude de l'Université américaine de Nova
Southeastern évoquent un taux ahurissant : 80% des joueurs de poker utiliseraient diverses
substances dans le but d’améliorer leurs performances au jeu67
. Les fervents défenseurs d'une
politique répressive face au dopage dans le poker se heurtent à d’insolubles difficultés.
L’indétermination des produits dopants est la première embuche. Que penser du café, du tabac
et de l'alcool consommés plus que de raison ? La mise en place de dépistages massifs parait
66
Le « dopage technologique » a pu notamment faire référence par le passé aux cyclistes qui concouraient avec
un vélo équipé d’un moteur.
67
Source article de presse : Pokernews.com, Gwenn Riga,l Le dopage au Poker : 80% des joueurs y auraient
recours, 2010
39
Droit et Régulation du sport électronique – Antoine Bergeaud
illusoire dès lors la majorité des joueurs évoluent en ligne, en toute impunité vis-à-vis des
contrôles.
Ces dérives, si elles paraissent marginales et résiduelles, sont à prendre au sérieux, qui plus
est au regard des facteurs qui s’entrecroisent dans le monde de l’e-sport. Tel que
précédemment évoqué, les jeunes – public fragile et en proie aux excès – sont parmi les
premiers concernés par les compétitions de sport électronique. La tentation de l’apat du gain,
de l’argent facile pourrait conduire les adolescents au même titre que des adultes parfaitement
informés des risques à consommer des substances – licites ou non mais dangereuses pour la
santé – afin de voir leurs performances exploser.
Un problème crucial mérite ici d’être identifié : le risque d’une rupture d’égalité, laquelle
pourrait être imputable à l’organisateur des compétitions de jeux vidéo en ligne et par
extension, au ministre qui se sera vu conférer l’agrément à l’organisateur malgré
l’insuffisance des garanties « anti-triche », est lourde de conséquence. C’est sans compter que
de telles pratiques de triche et de fraude sont susceptibles d’être déférées devant le juge
administratif – au regard de l’agrément du ministre. Le ministre engagerait-il sa responsabilité
sur le plan de la fraude qui sévirait sur les plateformes de compétitions de jeux vidéo
dématérialisées ? Si oui, la définition d’une méthode de contrôle des obligations qui
incomberont aux détenteurs de l’agrément par le ministre devra être discutée par le
législateur.
Enfin, faut-il que les organisateurs de compétitions de sport électronique montrent « patte
blanche » et garantissent ainsi leur indépendance vis-à-vis des compétitions en elles-mêmes.
En d’autres termes, il paraitrait illogique que les membres de l’organisation de compétitions
de jeux vidéo soient eux-mêmes susceptibles de participer à ces compétitions. Si cette
dimension parait couler de source, tel n’a pas été le cas pour le poker en ligne. D’après le
journal Mediapart, l’ARJEL aurait ouvert une enquête en fin d’année 2012 sur les pratiques
de Partouche Gaming France en identifiant que des comptes appartenaient à des membres de
la direction du groupe68
. Or, la loi du 12 mai 2010 précise en son article 32 que :
« I. ― Le propriétaire, les dirigeants, les mandataires sociaux et le personnel d'un opérateur
de jeux ou de paris en ligne titulaire de l'agrément prévu à l'article 21 ne peuvent engager, à
68
Source : pokeracadémie.fr, Mediapart révèle une enquête de l'ARJEL sur le groupe Partouche, 19 Février
2013
40
Droit et Régulation du sport électronique – Antoine Bergeaud
titre personnel, directement ou par personne interposée, des mises sur des jeux ou des paris
proposés par cet opérateur. »
Le législateur aurait intérêt à transposer cette disposition au secteur du sport électronique afin
d’endiguer tout conflit d’intérêt et d’être en mesure de réprimer les comportements délictuels
en ce sens. En l’occurrence, une telle disposition entrerait parfaitement dans le champ d’une
régulation sensée et pertinente de la part de l’Etat et conduirait à une réduction des risques
profitable à l’ensemble du secteur de l’e-sport.
Chapitre 2 – Des structures pérennes et fiables pour chapeauter la pratique
compétitive du sport électronique à définir
Projeter la régulation du sport électronique revient à identifier l’ensemble des structures qui
gravitent autour de la discipline désormais en passe d’être légalement reconnue. Faute d’être
rattachée à la catégorie des jeux d’argent ou à la catégorie des sports traditionnels, le régime
hybride du sport électronique ne suggère pas de régulateur dédié à proprement parlé.
Toutefois, la délivrance d’un agrément aux structures chargées d’organiser les compétitions
de jeux vidéo suppose nécessairement un contrôle, une supervision si ce n’est une tutelle. En
ce sens, la question du « régulateur transversal » n’est pas tranchée, si bien qu’une autorité
administrative indépendante – existante ou à venir – aussi bien que le ministre des sports, sont
susceptibles de chapeauter l’e-sport (1). Mais si cette régulation s’apparente à un encadrement
extérieur, les compétitions de jeux vidéo trouvent une source de régulation primordiale et
naturelle dans leur organisation propre à l’initiative des éditeurs de jeux vidéo (2). Enfin, au
regard de la portée retentissante des compétitions de jeux vidéo et de l’audience qu’elle
provoque déjà, la question de la retransmission et de la diffusion des tournois ne saurait
échapper durablement au Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA) en charge du contrôle des
contenus télévisuels, radiophoniques et plus largement numériques (3).
1 – Une régulation de l’e-sport tiraillée entre plusieurs options
Le panel des régulations envisageables pour le sport électronique est abordé par le rapport
intermédiaire de Rudy Salles et Jérôme Durain69
. Ils considèrent que la création d’une
69
Précité
41
Droit et Régulation du sport électronique – Antoine Bergeaud
commission spécialisée au sein du CNOSF serait bénéfique (1.1). Toutefois, ils semblent
réfractaires à l’idée d’une régulation de l’ARJEL pour les phases de jeu en ligne (1.2).
1.1 – La création d’une commission spécialisée au sein du comité national
olympique du sport français (CNOSF)
Bien que l’e-sport, rappelons-le, ne soit pas à cent pour cent assimilable à une discipline
sportive – c’est le vœu du législateur – la régulation de l’e-sport pourrait s’inspirer des
structures de régulation du monde du sport. C’est en tout cas la proposition faite par la
mission parlementaire sur l’e-sport.
Considérant qu’aucune fédération naturelle ne saurait se dégager avec certitude et
s’approprier la discipline du sport électronique à elle-seule, l’idée de s’inspirer du code du
sport a émergé en faveur de la création d’une commission spécialisée constituée au sein du
CNOSF. En définitive, cette proposition consacre l’élan des pouvoirs publics en faveur d’un
rapprochement optimal avec le sport, dès lors que cela est envisageable. Il s’agit ici d’une
régulation souple et peu contraignante ; on peut considérer qu’une telle structure fasse œuvre
de passerelle entre les pouvoirs publics et le monde du sport lorsqu’aucune structure adéquate
ne s’est imposée pour prendre ce rôle. Au surplus, cette proposition s’inscrit dans le cadre
d’une approche comparative avec les modèles étrangers, voisins, qui n’hésitent pas à
rapprocher autant que possible l’e-sport du sport.
Mais est-ce vraiment de cette manière que l’on doit concevoir la régulation et ne serait-ce pas
ici un glissement sémantique maladroit que de vouloir attribuer à une commission rattachée
au CNOSF une mission de régulation ? A toutes fins utiles, précisons que la régulation «
consiste, au premier sens du terme, à rendre régulier, à assurer le fonctionnement régulier, le
bon fonctionnement »70
. Par ailleurs, la « fonction de régulation poursuit d'abord un objectif
de contrôle du respect des libertés économiques afin que le marché puisse produire tous les
effets que l'on attend, mais aussi, en second lieu, l'objectif de rétablir l'équilibre des pouvoirs
70
Th. Pez, « L’ordre public économique », Les Nouveaux Cahiers du Conseil constitutionnel 2015/4 (N° 49), p.
43-57.
Droit et régulation du sport électronique
Droit et régulation du sport électronique
Droit et régulation du sport électronique
Droit et régulation du sport électronique
Droit et régulation du sport électronique
Droit et régulation du sport électronique
Droit et régulation du sport électronique
Droit et régulation du sport électronique
Droit et régulation du sport électronique
Droit et régulation du sport électronique
Droit et régulation du sport électronique
Droit et régulation du sport électronique
Droit et régulation du sport électronique

Contenu connexe

Similaire à Droit et régulation du sport électronique

Eura techtrends#12 l'e-sport
Eura techtrends#12 l'e-sportEura techtrends#12 l'e-sport
Eura techtrends#12 l'e-sportEuraTechnologies
 
La blockchain peut-elle révolutionner le business model du sport et du fitnes...
La blockchain peut-elle révolutionner le business model du sport et du fitnes...La blockchain peut-elle révolutionner le business model du sport et du fitnes...
La blockchain peut-elle révolutionner le business model du sport et du fitnes...Francois Le Fevre
 
barometre 2014 Credoc - Diffusion et usages des TIC dans la société Française
barometre 2014 Credoc - Diffusion et usages des TIC dans la société Françaisebarometre 2014 Credoc - Diffusion et usages des TIC dans la société Française
barometre 2014 Credoc - Diffusion et usages des TIC dans la société Françaisepolenumerique33
 
La diffusion des technologies de l'information et de la communication dans la...
La diffusion des technologies de l'information et de la communication dans la...La diffusion des technologies de l'information et de la communication dans la...
La diffusion des technologies de l'information et de la communication dans la...Silicon Village
 
Quel est l'impact de la démocratisation du jeu vidéo sur les modèles économiq...
Quel est l'impact de la démocratisation du jeu vidéo sur les modèles économiq...Quel est l'impact de la démocratisation du jeu vidéo sur les modèles économiq...
Quel est l'impact de la démocratisation du jeu vidéo sur les modèles économiq...Guillaume CHEVRON
 
DWS17 - Game Summit - Laurent MICHAUD - IDATE DigiWorld
DWS17 - Game Summit - Laurent MICHAUD - IDATE DigiWorldDWS17 - Game Summit - Laurent MICHAUD - IDATE DigiWorld
DWS17 - Game Summit - Laurent MICHAUD - IDATE DigiWorldIDATE DigiWorld
 
Les pratiques de consommation de jeux vidéo des français
Les pratiques de consommation de jeux vidéo des français Les pratiques de consommation de jeux vidéo des français
Les pratiques de consommation de jeux vidéo des français LeCNC
 
Thèse : Le sport de demain
Thèse : Le sport de demainThèse : Le sport de demain
Thèse : Le sport de demainMaude Bienfait
 
Badminton numérique
Badminton numériqueBadminton numérique
Badminton numériquejc WECKERLE
 
Business&Breakfast Sport 25.10.2017
Business&Breakfast Sport 25.10.2017Business&Breakfast Sport 25.10.2017
Business&Breakfast Sport 25.10.2017Fabernovel
 
Elaboration of E_voting system based on elliptic curve cryptography
Elaboration of E_voting system based on elliptic curve cryptographyElaboration of E_voting system based on elliptic curve cryptography
Elaboration of E_voting system based on elliptic curve cryptographypacomeambassa
 
Memoire finale
Memoire finaleMemoire finale
Memoire finalegoogang
 
Atos Worldline ExpertiseSport
Atos Worldline ExpertiseSportAtos Worldline ExpertiseSport
Atos Worldline ExpertiseSportRomain Godel
 
Les français et le numérique : l’étude 2013_Rapport credoc 2013-dec2013
Les français et le numérique : l’étude 2013_Rapport credoc 2013-dec2013Les français et le numérique : l’étude 2013_Rapport credoc 2013-dec2013
Les français et le numérique : l’étude 2013_Rapport credoc 2013-dec2013Vincent DEMULIERE
 

Similaire à Droit et régulation du sport électronique (18)

Eura techtrends#12 l'e-sport
Eura techtrends#12 l'e-sportEura techtrends#12 l'e-sport
Eura techtrends#12 l'e-sport
 
La blockchain peut-elle révolutionner le business model du sport et du fitnes...
La blockchain peut-elle révolutionner le business model du sport et du fitnes...La blockchain peut-elle révolutionner le business model du sport et du fitnes...
La blockchain peut-elle révolutionner le business model du sport et du fitnes...
 
barometre 2014 Credoc - Diffusion et usages des TIC dans la société Française
barometre 2014 Credoc - Diffusion et usages des TIC dans la société Françaisebarometre 2014 Credoc - Diffusion et usages des TIC dans la société Française
barometre 2014 Credoc - Diffusion et usages des TIC dans la société Française
 
Etude credoc-2009-111209
Etude credoc-2009-111209Etude credoc-2009-111209
Etude credoc-2009-111209
 
La diffusion des technologies de l'information et de la communication dans la...
La diffusion des technologies de l'information et de la communication dans la...La diffusion des technologies de l'information et de la communication dans la...
La diffusion des technologies de l'information et de la communication dans la...
 
Newsletter_n2.pdf
Newsletter_n2.pdfNewsletter_n2.pdf
Newsletter_n2.pdf
 
Quel est l'impact de la démocratisation du jeu vidéo sur les modèles économiq...
Quel est l'impact de la démocratisation du jeu vidéo sur les modèles économiq...Quel est l'impact de la démocratisation du jeu vidéo sur les modèles économiq...
Quel est l'impact de la démocratisation du jeu vidéo sur les modèles économiq...
 
DWS17 - Game Summit - Laurent MICHAUD - IDATE DigiWorld
DWS17 - Game Summit - Laurent MICHAUD - IDATE DigiWorldDWS17 - Game Summit - Laurent MICHAUD - IDATE DigiWorld
DWS17 - Game Summit - Laurent MICHAUD - IDATE DigiWorld
 
Les pratiques de consommation de jeux vidéo des français
Les pratiques de consommation de jeux vidéo des français Les pratiques de consommation de jeux vidéo des français
Les pratiques de consommation de jeux vidéo des français
 
Thèse : Le sport de demain
Thèse : Le sport de demainThèse : Le sport de demain
Thèse : Le sport de demain
 
Jeu Motus C
Jeu Motus  CJeu Motus  C
Jeu Motus C
 
Badminton numérique
Badminton numériqueBadminton numérique
Badminton numérique
 
Business&Breakfast Sport 25.10.2017
Business&Breakfast Sport 25.10.2017Business&Breakfast Sport 25.10.2017
Business&Breakfast Sport 25.10.2017
 
Présentation eSport
Présentation eSportPrésentation eSport
Présentation eSport
 
Elaboration of E_voting system based on elliptic curve cryptography
Elaboration of E_voting system based on elliptic curve cryptographyElaboration of E_voting system based on elliptic curve cryptography
Elaboration of E_voting system based on elliptic curve cryptography
 
Memoire finale
Memoire finaleMemoire finale
Memoire finale
 
Atos Worldline ExpertiseSport
Atos Worldline ExpertiseSportAtos Worldline ExpertiseSport
Atos Worldline ExpertiseSport
 
Les français et le numérique : l’étude 2013_Rapport credoc 2013-dec2013
Les français et le numérique : l’étude 2013_Rapport credoc 2013-dec2013Les français et le numérique : l’étude 2013_Rapport credoc 2013-dec2013
Les français et le numérique : l’étude 2013_Rapport credoc 2013-dec2013
 

Droit et régulation du sport électronique

  • 1. Université Paris Dauphine Master 291 – Droit et régulation des marchés Droit et régulation du sport électronique Mémoire de recherche appliquée par Antoine BERGEAUD Sous la direction de M. le Professeur Thomas Pez Juin 2016
  • 2. 1 Droit et Régulation du sport électronique – Antoine Bergeaud Les opinions exprimées le sont à titre personnel et n'engagent que leur auteur.
  • 3. 2 Droit et Régulation du sport électronique – Antoine Bergeaud Remerciements Je remercie le Professeur Pez d’avoir accepté d’encadrer ce mémoire et pour ses remarques qui ont toujours été reçues comme de bons conseils. Je remercie le Master 291 – Droit et Régulation des marchés de l’Université Paris-Dauphine de m’avoir donné l’opportunité de m’orienter vers le droit de la régulation et de m’y épanouir davantage que je ne l’escomptais. Je remercie tout particulièrement Claire Vellard et Maxime Gervy sans qui l’idée de rédiger un mémoire sur le sport électronique n’aurait jamais pu éclore. Leur connaissance et leur expertise du droit des jeux d’argent et de hasard, ainsi que leur soutien dans cette démarche aura sans nul doute été des plus précieuses. Mille mercis à ma Laure pour son oreille attentive et sa curiosité qui m’ont souvent orienté vers les bonnes pistes.
  • 4. 3 Droit et Régulation du sport électronique – Antoine Bergeaud Liste des abréviations  AAI : Autorité Administrative Indépendante  AFLD : Agence Française de Lutte contre le Dopage  ARJEL : Autorité de Régulation des Jeux en Ligne  CA : Cour d’Appel  C.Cass : Cour de Cassation  CDD : Contrat à Durée Déterminée  CDI : Contrat à Durée Indéterminée  CE : Conseil d’Etat  CNOSF : Comité National Olympique du Sport Français  CSA : Conseil Supérieur de l’Audiovisuel  DGCCRF : Direction Générale de la Concurrence de la Consommation et de la Répression des Fraudes  E-sport : Sport électronique  FPS : First Person Shooters  PEGI : Pan European Game Information  SELL : Syndicat des éditeurs de logiciels de loisirs
  • 5. 4 Droit et Régulation du sport électronique – Antoine Bergeaud Table des matières Remerciements........................................................................................................................... 2 Liste des abréviations................................................................................................................. 3 Introduction ................................................................................................................................ 5 Titre I – Une pratique compétitive des jeux vidéo aux contours juridiques naissants et indécis .................................................................................................................................................. 12 Chapitre 1 – L’avènement d’un régime dérogatoire ambivalent.......................................... 12 1 – Une offre d’e-sport disponible malgré l’absence de cadre juridique et réglementaire12 2 – La légalité de l’e-sport rendue possible par dérogation au principe d’interdiction des loteries............................................................................................................................... 14 Chapitre 2 - L’octroi du caractère sportif aux compétitions de jeux vidéo source de controverses juridiques......................................................................................................... 17 1 – La reconnaissance de l’e-sport comme un « sport » demeure prématuré mais non moins envisageable dans le futur ...................................................................................... 17 2 – Le statut juridique des e-sportifs en question ............................................................. 23 Titre II – De l’intervention publique primordiale pour réguler un nouveau marché polymorphe .................................................................................................................................................. 27 Chapitre 1 – La prévention des risques et des dérives afférents au sport électronique compétitif.............................................................................................................................. 28 1 – La protection des mineurs et la lutte contre les addictions ......................................... 28 2 – Une politique de lutte contre la fraude et le blanchiment indispensable .................... 33 Chapitre 2 – Des structures pérennes et fiables pour chapeauter la pratique compétitive du sport électronique à définir................................................................................................... 40 1 – Une régulation de l’e-sport tiraillée entre plusieurs options....................................... 40 2 – Le rôle primordial des éditeurs dans la régulation du e-sport..................................... 44 3 – Le CSA comme régulateur de la diffusion des compétitions de jeux vidéo............... 45 Conclusion................................................................................................................................ 48 Bibliographie............................................................................................................................ 51
  • 6. 5 Droit et Régulation du sport électronique – Antoine Bergeaud Introduction En lecture à l’Assemblée Nationale le 12 janvier 2016 dans le cadre du projet de loi « pour une République Numérique »1 , un amendement présenté par le rapporteur M. Belot est venu inscrire une proposition attendue à l’ordre du jour en faveur du sport électronique. En effet, l’amendement n°CL593 proposait une rédaction de l’article 42 du projet de loi dite « Lemaire » afin de clarifier, de structurer et d’encadrer le régime des compétitions de jeux vidéo – également dénommées « sport électronique » ou encore « e-sport »2 . Il est rédigé tel que suit : « I. – Un agrément peut être délivré par le ministre chargé de la jeunesse aux organisateurs de compétitions de jeux vidéo, notamment à dominante sportive, requérant la présence physique des joueurs, qui présentent des garanties visant à : 1° Assurer l’intégrité, la fiabilité et la transparence des compétitions ; 2° Protéger les mineurs ; 3° Prévenir les activités frauduleuses ou criminelles ; 4° Prévenir les atteintes à la santé publique. II. – Un arrêté du ministre chargé de la jeunesse fixe la liste des logiciels de loisirs, sur un support physique ou en ligne, s’appuyant sur une trame scénarisée ou des situations simulées, pour lesquels les organisateurs de compétitions peuvent bénéficier de l’agrément prévu au I du présent article. Ces logiciels de loisirs font prédominer, dans l’issue de la compétition, les combinaisons de l’intelligence et l’habilité des joueurs, en mettant à leur disposition des commandes et des interactions se traduisant sous formes d’images animées, sonorisées ou non, et visant à la recherche de performances physiques virtuelles ou intellectuelles. L’arrêté fixe également, pour chaque logiciel de loisir, l’âge minimal requis des joueurs pour participer à la compétition. 1 Ci-après « le projet de loi » 2 L’orthographe peut varier si bien qu’on considère « e-sport » et « e-sport » comme synonymes, en italique ou non, de manière indifférenciée.
  • 7. 6 Droit et Régulation du sport électronique – Antoine Bergeaud III. – Les compétitions pour lesquelles les organisateurs bénéficient de l’agrément prévu au I du présent article ne sont pas soumises aux articles L. 322-1 à L. 322-2-1 du code de la sécurité intérieure. Il en est de même des phases de qualifications de ces compétitions se déroulant en ligne, dès lors qu’aucun sacrifice financier de nature à accroître l’espérance de gain du joueur ou de son équipe n’est exigé par l’organisateur ». Mais qu’est-ce que précisément que l’e-sport ? Le ministère de l’économie le définit comme la « pratique compétitive (compétitions entre plusieurs joueurs) des jeux vidéo. Ces jeux sont souvent joués en équipe. Ils font généralement appel de manière prédominante à l’intelligence et à l’habileté physique des joueurs »3 . En d’autres termes, ce sont les tournois, duels ou compétitions entre joueurs (de jeux vidéo), encadrés ou non par des organismes, dont l’objectif est de désigner un vainqueur. Cette dimension compétitive marquée se distingue du loisir pur de la même manière que la course à pied entre amis n’ambitionne pas d’honorer celui qui fera le meilleur temps, pourvu qu’il soit chronométré – à la différence d’une compétition d’athlétisme par exemple. La spécificité de l’e-sport tient à la dénomination retenue. En effet, par « e-sport », on associe le support numérique – c’est-à-dire une console ou un ordinateur – à un sport. L’intitulé de la discipline a de quoi surprendre, et recèle plusieurs ambiguïtés. La première étant que certains des jeux vidéo ne sont autres que des simulations de sports tels que le jeu FIFA4 , pour le plus célèbre d’entre eux5 . A considérer que la pratique simulée d’un sport quel qu’il soit à travers un écran et par le biais d’un contrôle des « sportifs virtuels » répond à la qualification d’un sport, on pourrait admettre le raccourci linguistique. La seconde consiste à arguer que la pratique du jeu vidéo en tant que telle répond aux exigences, aux codes et aux caractéristiques du sport. Outre les jeux de sport simulés, l’e-sport concerne également les jeux de stratégie en temps réel6 , les arènes multijoueurs7 , les jeux de tir à la première personne8 ou First Person Shooters, les jeux de combat en tout genre, les jeux de cartes à collectionner – qui rencontrent par ailleurs un succès important également9 . 3 Portail de l’économie et des finances ; http://www.economie.gouv.fr 4 FIFA Football est le nom générique d’une série de jeux vidéo de football édité à l’origine par Electronic Arts en 1993 et développé par la suite sous la forme d’une franchise. 5 On peut également penser à Pro Evolution Soccer, NBA 2K, NHL, Virtual Tennis et bien d’autres. 6 Starcraft, Warcraft, Age Of Empires, par exemple 7 DotA, League Of Legends 8 Call of Duty, Counter Strike pour les plus célèbres 9 Magic, Hearthstone notamment
  • 8. 7 Droit et Régulation du sport électronique – Antoine Bergeaud Mais s’interroger sur les caractéristiques de l’e-sport, a fortiori dans la perspective juridique dont il est ici question, suppose une identification formelle et exhaustive des acteurs du secteur. On distingue ainsi : - Les joueurs et les équipes : leurs revenus proviennent principalement des gains obtenus à la suite des tournois, qui peuvent atteindre des sommes astronomiques. Marginalement, ils sont complétés par ce que leur versent les sponsors. Pour exemple, les championnats du monde de LOL (League Of Legends) étaient dotés de six millions de dollars. Le salaire de certains joueurs peut avoisiner 10 000 euros par mois... - Les organisateurs des compétitions : Cette catégorie d’acteurs, si elle est théoriquement identifiée, n’est pas définitivement acquise par un titulaire du précieux sésame à ce jour. Ce droit d’organisation des compétitions est au cœur des débats sur le sport électronique en ce sens qu’il est potentiellement une rente considérable pour le ou les futur(s) détenteur(s). Ces derniers se rémunèreront en effet sur les billets d’entrées pour les spectateurs, de la même manière que pour une compétition sportive à part entière. - Les éditeurs : Ils incarnent une catégorie primordiale et sont « les entreprises chargées d’assurer la publication et la diffusion du jeu vidéo, tout en créant le contenu de celui-ci » selon la directrice juridique de la maison Ubisoft10 . Parmi eux, on retrouve un petit nombre d’acteurs tels que Gameloft, Riot, Blizzard, Electronic Arts mais aussi Ubisoft. - Les sponsors : C’est probablement la catégorie d’acteurs qui connait la plus forte expansion. Ils financent les équipes, organisent les entrainements et rémunèrent les joueurs. Dans la majorité des cas, ce sont des entreprises préalablement impliquées dans le secteur de l’électronique et des jeux vidéo (Cdiscount, MSI, Intel, Razer, SteelSeries...). Toutefois, elles peuvent également émaner de la sphère du sport « réel » (Nike, RedBull, Pepsi-Cola, Coca-Cola...). La publicité est leur principal objectif à travers la retransmission à grande échelle des événements. 10 Définition donnée par Virginie Gringarten à l’occasion d’un colloque organisé par THE LAWSP « E-sport : vers une révolution juridique et sportive », 16 juin 2016 à l’Université Panthéon-Assas.
  • 9. 8 Droit et Régulation du sport électronique – Antoine Bergeaud - Les agents sportifs : A l’image des sportifs de haut niveau dans le monde du football, les joueurs s’attachent les services d’agents censés représenter leurs intérêts. - Les diffuseurs : Twitch ou Ogaming sont par exemple des chaînes « en ligne » qui retransmettent des matchs de compétitions vidéo. Leur financement résulte d’une publicité et d’un système de paiement à la demande pour les compétitions d’ampleur. - Les spectateurs : Que ce soit derrière leurs écrans ou dans les arènes des compétitions dédiées, les spectateurs sont de plus en plus nombreux à suivre activement les compétitions d’e-sport11 . La diversité des intérêts gravitant autour de l’e-sport explique l’engouement suscité par le projet de loi dont l’objectif est de consacrer l’e-sport. Toutefois, on remarque que certains acteurs sont parvenus mieux que d’autres à faire valoir leur vision et leurs intérêts auprès du législateur. Partant, on peut identifier l’origine de la rédaction de l’article 42 comme émanant du Syndicat des éditeurs de logiciels de loisirs (SELL). C’est vraisemblablement l’un des plus importants acteurs surplombant l’e-sport aujourd’hui puisqu’il est voué à représenter les éditeurs et ne cache pas ses ambitions de se positionner en tant qu’organisateur de compétitions de jeux vidéo – qui plus est dans le cadre d’une autorisation sous la forme d’un monopole. L’objectif du SELL est d’associer aux compétitions de jeux vidéo un statut juridique analogue à celui du sport afin d’y appliquer les mêmes règles. Dans leur perspective, une fédération sportive serait instituée et les participants aux compétitions seraient des sportifs. Le futur de l’e-sport a de quoi attirer les investisseurs ; les chiffres démontrent aujourd’hui qu’il y a peu de risque à se lancer sur ce marché d’avenir mais d’ores et déjà « juteux ». A l’échelle mondiale, on dénombre plus d’un milliard12 de personnes jouant à des jeux vidéo à ce jour. Malgré cette fulgurance sur les dernières années, l’e-sport semble désormais démontrer une certaine maturité si l’on en croit les analyses du SELL sur l’évolution très récente du marché13 . Par une analogie concrète, on observe que les retombées économiques de l’e-sport sont considérables et s’accroissent à mesure que l’e-sport se développe. Ainsi, les chiffres relevés par l’organisme NewZoo pour la France en 2014 sont éloquents : 4.5 millions 11 Environ 4,5 millions de spectateurs français de compétitions de jeux vidéo. 12 D’après plusieurs études de l’agence NewZoo dont « Global E-sports Market Report » 13 Entre 2010 et 2015, le marché français aurait connu une croissance annuelle de l’ordre de 3.8%
  • 10. 9 Droit et Régulation du sport électronique – Antoine Bergeaud de spectateurs réguliers d’e-sport, 1.7 millions de personnes démontrent un intérêt avancé pour la discipline (joueur régulier ou observateur régulier), 850 000 joueurs indépendamment de la fréquence parmi lesquels moins de 400 000 sont des joueurs réguliers d’après les chiffres relevés dans le rapport parlementaire « E-sport : la pratique compétitive du jeu vidéo »14 . L’amendement adopté marque l’appropriation par les pouvoirs publics d’un phénomène en pleine expansion nécessitant un cadre juridique pérenne et en adéquation avec les problématiques qu’il induit. Ainsi, y évoque-t-on le statut des organisateurs de compétitions de jeux vidéo, le support envisagé et le régime afférent (en ligne ou en « dur »15 ), la nature des jeux vidéo concernés, l’objectif recherché par la pratique compétitive de jeux vidéo – à savoir la « performance physique virtuelle ou intellectuelle » – et la possibilité de déroger au code de la sécurité intérieure s’agissant du principe de prohibition des jeux d’argent et des loteries. En effet, faut-il insister sur le fait que les compétitions de jeux vidéo supposent dans la majorité des cas une offre au public, un sacrifice financier dans le but d’obtenir un gain, ce qui les rapprochent sensiblement du jeu d’argent16 et pose dès lors de nombreuses questions juridiques à cet égard. Un obstacle important réside dans le fait qu’il n’existe en droit interne aucune définition formelle du sport. Seule la Charte Européenne du Sport17 suggère que le sport s’entend de « toutes formes d'activités physiques qui, à travers une participation organisée ou non, ont pour objectif l'expression ou l'amélioration de la condition physique et psychique, le développement des relations sociales ou l'obtention de résultats en compétition de tous niveaux »18 . Toutefois, cette disposition n’est absolument pas contraignante et n’aspire aucunement à une harmonisation européenne de la définition juridique du sport. En ce sens, il est délicat et périlleux d’asseoir le régime de l’e-sport en considérant qu’il répond à la définition du sport, dès lors que cette dernière est introuvable faute d’être réellement contraignante en droit positif. 14 Rapport intermédiaire établi par le député Rudy Salles et le Sénateur Jérôme Durain sur la demande de la ministre Axelle Lemaire dans le cadre, précisément, de la rédaction de l’article 42 du projet de Loi pour une République numérique, Mars 2016. 15 On entend par « en dur » la présence physique des joueurs. 16 L’article L. 322-2 du code de la sécurité intérieure prohibe « toutes opérations offertes au public, sous quelque dénomination que ce soit, pour faire naître l'espérance d'un gain qui serait dû, même partiellement, au hasard et pour lesquelles un sacrifice financier est exigé par l'opérateur de la part des participants » 17 RECOMMANDATION N° R (92) 13 REV du comité des ministres aux Etats membres, adoptée par le Comité des Ministres le 24 septembre 1992 18 Article 2 – Définition et champ d’application de la Charte
  • 11. 10 Droit et Régulation du sport électronique – Antoine Bergeaud Ce constat fait, faut-il souligner que la naissance du sport électronique a précédé tout cadre juridique et législatif, si bien que ce sont les faits et les pratiques qui s’imposent au législateur ; un devoir de réglementation au service d’intérêts divergents. La question du régime juridique des compétitions de jeux vidéo n’est pas sans susciter polémiques et interrogations. Toutefois, le consensus règne autour de la nécessité d’instaurer un cadre juridique adéquat, permettant de régulariser une pratique désormais ancrée dans le paysage du jeu vidéo. A l’évidence, les préoccupations et les velléités des différents acteurs divergent. Si les joueurs, les organisateurs et les éditeurs prônent un régime libéral qui vise à autoriser l’e- sport et à façonner un cadre juridique en faveur des joueurs professionnels ayant un véritable statut consacré, il est compréhensible que les pouvoirs publics voient le phénomène de l’e- sport d’un autre œil. Loin d’être résolument opposé aux compétitions de jeux vidéo, le ministère de l’économie, de l’industrie et du numérique, et Madame la Ministre Axelle Lemaire la première, mettent tout en œuvre pour consacrer la discipline. Elle déplorait ainsi dans la presse au mois de mai 2016 que « des responsables politiques stigmatisent les jeunes qui pratiquent les compétitions de jeux vidéo sans s’intéresser à la réalité de la discipline, qui porte une certaine éthique et des valeurs positives telles que l’esprit d’équipe, la discipline et le travail »19 . Nonobstant les efforts mis en œuvre pour favoriser le développement du sport électronique, de nombreux risques et dérives potentielles appellent à une architecture juridique précise et exhaustive. C’est en ce sens que la problématique et l’émergence du sport électronique semble associer, opposer ou en tout cas évoquer à la fois le droit et la régulation qu’il implique. Un raccourci infondé nous ferait dire que les acteurs du « business » des jeux vidéo rejetteraient toute forme de régulation étatique alors que les pouvoirs publiques auraient à l’esprit la préservation des droits et la protection des citoyens face à un phénomène polymorphe tel que l’e-sport. La réalité n’est pas aussi tranchée, mais force est d’admettre que les préoccupations diffèrent selon le « camp » de chaque acteur du sport électronique. En tout état de cause, il est vrai que l’article 42 du projet de « Loi Lemaire » concilie le droit et la régulation du sport électronique. En l’état et pour l’heure, le projet de loi pour une République Numérique demeure inabouti. Mais au-delà des modifications et des retouches à venir sur l’article 42, on peut toutefois 19 Interview de la secrétaire d’état au numérique Axelle Lemaire, Challenges, par Adrien Schwyter, le 20 mai 2016
  • 12. 11 Droit et Régulation du sport électronique – Antoine Bergeaud s’inquiéter de la ligne directrice du cadre légal des compétitions de jeux vidéo. De nombreux points de droit sont en suspens et nous interpellent : peut-on concilier les deux supports (en dur et en ligne) des compétitions de jeux vidéo ? Est-il possible de réfuter que les compétitions de jeux vidéo sont assimilables à un jeu d’argent dès lors qu’ils remplissent les critères du code de la sécurité intérieure ? Si tel était le cas, quel est le sens de la démarche du législateur d’autoriser exceptionnellement et sans justification motivée, la tenue de compétitions de jeux vidéo alors même qu’elles peuvent être perçues comme un jeu d’argent ? Enfin, faire de l’e-sport un sport par le biais de l’article 42 pourrait-il s’apparenter à un court- circuitage du Conseil d’Etat dont il relève expressément de se prononcer sur le caractère sportif d’une discipline via le contrôle de la légalité des refus d’agrément du ministre ? Davantage que de simples problématiques purement juridiques, le projet de loi, par ses approximations et parfois par son mutisme, laisse songeur sur la régulation à mettre en œuvre afin de prévenir des risques quant à eux pressentis et identifiés avec quasi-certitude. Selon qu’on envisage l’e-sport en ligne ou en dur, la régulation et le régulateur, pourtant unanimement reconnus comme indispensable par l’ensemble des acteurs, sera différent : l’ARJEL a vocation à réguler le secteur des jeux en ligne mais pas les compétitions, quelles qu’elles soient, « en dur ». Qu’en sera-t-il de la légalité paris sportifs à considérer que l’e- sport soit un sport comme les autres, voire un sport « à part » ? Dans le même sens, la détermination du mécanisme d’obtention de l’agrément du ministère pour devenir « organisateur de compétitions », jusqu’alors flou, déterminera le rôle des éditeurs, du SELL et pourrait conduire à un secteur autorégulé non sans risque juridique.
  • 13. 12 Droit et Régulation du sport électronique – Antoine Bergeaud Titre I – Une pratique compétitive des jeux vidéo aux contours juridiques naissants et indécis Chapitre 1 – L’avènement d’un régime dérogatoire ambivalent La nécessité et l’urgence de mettre en place et de définir un régime juridique de l’e-sport résulte du constat que l’activité s’est durablement installée dans des conditions juridiques floues, proches d’être illégales avec la tolérance des pouvoirs publics (1). La réponse législative intervient aujourd’hui dans le cadre du projet de loi « pour une République Numérique », façonnant un régime d’exception et purement dérogatoire à l’e-sport afin de maintenir et de contenir l’expansion du phénomène dans des conditions sécurisées juridiquement (2). 1 – Une offre d’e-sport disponible malgré l’absence de cadre juridique et réglementaire 1.1 – La tenue d’événements d’e-sport en ligne et en dur La définition de l’e-sport que nous avons ci-avant donné est le reflet d’une réalité davantage que d’une conceptualisation théorique. En effet, faute de cadre réglementaire établi pour caractériser le sport électronique, on considère par consensus que l’e-sport consiste en des compétitions de jeux vidéo où les joueurs s’affrontent par écran interposés sur internet ou dans une enceinte dédiée (en dur). Les compétiteurs se défient avec généralement une espérance de gain à la clef. Les événements de grande ampleur organisés sur le sol français sont par exemple la Paris Games Week20 . Il s’agit d’un salon du jeu vidéo annuel considéré comme l’événement principal en la matière en France. Les acteurs du monde du jeu vidéo y sont réunis pour une semaine. Il est également l’occasion d’organiser les phases finales de plusieurs tournois de jeux vidéo, avec la possibilité pour les spectateurs d’assister à la compétition sur place et en 20 L’édition 2015 a réuni près de 2 millions de spectateurs
  • 14. 13 Droit et Régulation du sport électronique – Antoine Bergeaud ligne par retransmission vidéo. Force est d’admettre que la Paris Games Week s’apparente en de nombreux points à une compétition sportive majeure : des commentateurs décrivent les images des écrans de joueurs, les joueurs sont interviewés21 à l’occasion des rencontres comme peuvent l’être les plus grands tennismen à Roland Garros et les sponsors se disputent les spots et affiches publicitaires. 1.2 – Une offre de paris illégaux importante Davantage que la tolérance des pouvoirs publics vis-à-vis de la tenue de compétitions de sport électronique, faut-il être conscient que l’e-sport est devenu une manne financière pour les opérateurs de paris dédiés, qui ne disposent d’aucun agrément délivré l’Autorité de régulation des jeux en ligne (ARJEL). En effet, tout opérateur de paris sportif est soumis à l’obtention d’un agrément auprès de l’ARJEL. Il convient de préciser que les paris pour lesquels les opérateurs sollicitent des agréments portent sur des sports à part entière, et que faute de disposer d’une telle qualification pour l’e-sport, les opérateurs illégaux ne sauraient solliciter l’Autorité en ce sens. On dénombre ainsi plusieurs sites étrangers dont la spécialité consiste en la prise de paris sur le sort des compétitions de jeux vidéo : egb.com, e-sportbetting.eu. Cette activité tombe évidemment sous le coup de la loi, mais aucune mesure en justice n’a été prise jusqu’alors contre ces opérateurs. D’autres sites internet22 se placent en qualité d’entremetteurs de joueurs sur la toile, afin d’organiser des rencontres entre les joueurs sur la plateforme en ligne dédiée. Celles-ci peuvent avoir un caractère gratuit ou payant et peuvent porter sur différents types de jeux. 21 Voir par exemple l’interview-portrait du joueur « Broken » : http://lci.tf1.fr/high-tech/paris-games-week- broken-profession-joueur-d-e-sport-8677515.html 22 WorldGaming ou Glory4Gamers
  • 15. 14 Droit et Régulation du sport électronique – Antoine Bergeaud 2 – La légalité de l’e-sport rendue possible par dérogation au principe d’interdiction des loteries 2.1 – L’interdiction des jeux de hasard étendue aux jeux d’adresse Jusqu’à l’apparition de l’article 42 du projet de loi, le sport électronique évoluait dans un régime inconnu pour ne pas dire illégal. Malgré un prolongement logique du développement et des progrès dans le domaine du numérique et précisément des jeux vidéo, les pouvoirs publics n’avaient-ils peut-être pas anticipé l’avènement de l’e-sport comme un phénomène de masse. Face à l’offre manifestement illégale d’e-sport sur le territoire français – principalement lorsqu’il est pratiqué en ligne – l’Etat a opté pour une politique de tolérance, probablement faute d’avoir toutes « les cartes en main » et le temps d’appréhender le phénomène23 . Le projet de loi Lemaire prévoit en son article 42, III, une dérogation au principe de prohibition des loteries, afin d’autoriser les compétitions de sport électronique sans toutefois y associer le statut de discipline sportive à part entière : « III. – Les compétitions pour lesquelles les organisateurs bénéficient de l’agrément prévu au I du présent article ne sont pas soumises aux articles L. 322‑1 à L. 322‑2‑1 du code de la sécurité intérieure. Il en est de même des phases de qualifications de ces compétitions se déroulant en ligne, dès lors qu’aucun sacrifice financier de nature à accroître l’espérance de gain du joueur ou de son équipe n’est exigé par l’organisateur. » Depuis la Loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation, l’article L. 322-2 du code de la sécurité intérieure a été modifié : « 1° Après le mot : « hasard », la fin de l'article L. 322-2 est ainsi rédigée : « et, d'une manière générale, toutes opérations offertes au public, sous quelque dénomination que ce soit, pour faire naître l'espérance d'un gain qui serait dû, même partiellement, au hasard et pour lesquelles un sacrifice financier est exigé par l'opérateur de la part des participants »24 . Et d’insérer par la suite un nouvel article L.322-2-1 au même code stipulant que : 23 La mise en œuvre d’un rapport parlementaire dédié à l’e-sport coïncide avec le projet de Loi Lemaire et marque une prise de conscience des pouvoirs publics et la nécessité de cerner cette discipline. 24 Article 148 de la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation
  • 16. 15 Droit et Régulation du sport électronique – Antoine Bergeaud « Cette interdiction recouvre les jeux dont le fonctionnement repose sur le savoir-faire du joueur. Le sacrifice financier est établi dans les cas où l'organisateur exige une avance financière de la part des participants, même si un remboursement ultérieur est rendu possible par le règlement du jeu ». A la lueur de l’évolution de la législation, il est désormais admis que la part, la proportion ou la densité de hasard contenue dans un jeu n’a aujourd’hui plus d’influence sur la légalité du jeu : dès lors que le hasard est présent, même de manière infime ou résiduelle, et sous réserve des conditions qui s’appliquaient auparavant25 , on peut considérer que le jeu s’apparente à une loterie et se voit ainsi interdit par la loi. L’application de cette rénovation législative est lourde de conséquences s’agissant du domaine des jeux vidéo. En effet, bien que les jeux vidéo soient principalement et à dominante des jeux d’adresse reposant sur le savoir-faire du joueur, le fait que la pratique compétitive de jeux vidéo contienne nécessairement une part de hasard, un aléa voire une fortune, place l’e-sport dans la catégorie des loteries prohibées. Une récente jurisprudence26 de la Cour d’appel de Paris a été l’occasion d’affirmer ce principe à l’encontre d’un site internet proposant des jeux en ligne où le hasard, fut-il résiduel, était présent : « En vertu de ce texte, était donc interdite toute opération qui, offerte au public, proposait une espérance de gain moyennant un sacrifice pécuniaire, pourvu seulement que ce gain fût pour une part quelconque, prépondérante ou non, attribué au gré du hasard. » Ce sont donc désormais les jeux dits d’adresse ou d’habileté qui entrent eux aussi dans la catégorie des jeux d’argent interdits par la loi. L’exposé sommaire joint à l’amendement n°CL593 proposant la version actuelle de l’article 42 sur les compétitions des jeux vidéo pose sans ambiguïté que « les loteries prenant la forme de compétitions de jeux vidéo – en ligne ou ‘en dur’ sont interdites en droit français ». De ce constat découle la nécessité de remédier à cet état de fait qui ne coïncide pas avec la réalité des faits en ce sens que les pouvoirs publics ont fermé les yeux sur les compétitions ayant eu lieu sur le sol français, malgré leur prohibition théorique. 25 Pour rappel, la présence d’un offre publique, une espérance de gain et un sacrifice financier étaient les trois des désormais quatre conditions pour caractériser une loterie qui tombe sous le coup de la loi. 26 CA de Paris, Pôle 1 - Chambre 2, Société GameDuell, 28 janvier 2016
  • 17. 16 Droit et Régulation du sport électronique – Antoine Bergeaud 2.1 – L’insolite exclusion des qualifications en ligne du régime des jeux d’argent Contre toute attente et non sans poser quelques difficultés d’interprétation, le législateur aura donc fait le choix de dissocier les phases de qualifications des compétitions de jeux vidéo du régime des jeux d’argent. Pourtant, tout portait à croire que les trois conditions pour rentrer dans cette catégorie étaient réunies au l’aune de l’article L. 322-1 du code de la sécurité intérieure27 . En réalité, le législateur opère une « pirouette » en considérant que le droit d’entrée ne constituera pas un sacrifice financier dans la mesure où il n’accroit pas l’espérance de gain du joueur ; c’est un leurre. La position du législateur est d’autant plus surprenante qu’il ne semble pas établir quelque garde-fou ni aucune limite quant au montant du sacrifice financier en jeu. En effet, bien que l’esprit du texte laisse entendre que la participation financière sera modique et qu’elle serait dès lors non constitutive d’une espérance de gain accrue, rien ne fait état d’un contrôle des « mises » dont le joueur devra s’acquitter pour entrer sur le circuit de la compétition. On peut également regretter que le législateur n’impose d’ores et déjà des mesures visant à limiter la répétition, le cumul des parties de qualification. En effet, il est tout à fait envisageable que des individus désireux « à tout prix » de participer à une compétition de jeux vidéo requérant la présence physique soient amenés à débourser le sacrifice financier de façon répétée et quasi-infinie jusqu’à obtenir leur sésame. De ce point de vue, la ruine pourrait guetter les joueurs les plus téméraires et motivés au terme du cumul des sacrifices financiers correspondant au droit d’entrée qui, unitairement, ne représentent que quelques sous. L’exclusion de la catégorie des jeux d’argent sonne faux et donne l’impression d’un artifice législatif susceptible de nourrir de nombreux débats et probablement un abondant contentieux. 27 Précité
  • 18. 17 Droit et Régulation du sport électronique – Antoine Bergeaud Chapitre 2 - L’octroi du caractère sportif aux compétitions de jeux vidéo source de controverses juridiques 1 – La reconnaissance de l’e-sport comme un « sport » demeure prématuré mais non moins envisageable dans le futur Le sport électronique ne serait donc ni un sport, ni un jeu d’argent. Pourtant, cet entre-deux peut apparaitre peu satisfaisant d’un point de vue rigoureusement juridique. Il s’agit d’une parade pour ne pas dire une pirouette du législateur, qui a envisagé l’e-sport comme une discipline à part, souhaitant toutefois lui calquer un régime très proche de celui du sport traditionnel. Malgré cela, la qualification d’une discipline ou d’un jeu comme « sportive » dépend de l’appréciation de plusieurs acteurs, au premier rang desquels le Conseil d’Etat, lorsqu’il est amené à se prononcer sur la validité des agréments refusés par le ministère des sports. 1.1 – Le choix de l’agrément « jeunesse éducation populaire » par opposition à une discipline sportive L’article L. 313-8 du code du sport dispose qu’ « un agrément peut être délivré par le ministre chargé des sports aux fédérations qui, en vue de participer à l'exécution d'une mission de service public, ont adopté des statuts comportant certaines dispositions obligatoires et un règlement disciplinaire conforme à un règlement type ». Le ministre dispose d’un pouvoir discrétionnaire important dans l’octroi d’un agrément aux fédérations sportives. Il se fonde sur deux conditions : le caractère sportif de la discipline concernée et le respect des exigences posées par la loi. En ce sens, le ministre dispose d’une appréciation large qui ne permet pas de connaitre avec certitude, à l’avance, si une discipline se verra reconnue comme un sport. Par ailleurs, le Conseil d’Etat utilise la méthode du faisceau d’indices lorsqu’il s’engage sur la voie du contrôle du refus de l’agrément. Certaines décisions de refus d’octroi d’agrément par le ministre dépassent parfois ces deux conditions et sont validées par le Conseil d’Etat :
  • 19. 18 Droit et Régulation du sport électronique – Antoine Bergeaud l’insuffisance des structures administratives et de l’encadrement technique, mais aussi le faible nombre de pratiquants28 . La phase supérieure de l’agrément consiste en une délégation, pour une « fédération délégataire » précisément. Elle ne bénéficie qu’à une seule fédération par discipline. L’article L131-14 dispose que « dans chaque discipline sportive et pour une durée déterminée, une seule fédération agréée reçoit délégation du ministre chargé des sports. Un décret en Conseil d'Etat détermine les conditions d'attribution et de retrait de la délégation, après avis du Comité national olympique et sportif français ». L’attribution du statut de fédération délégataire repose sur un arrêté du ministre. En définitive, ces deux autorisations permettent aux organismes d’organiser l’activité sportive dans toutes ses composantes, et principalement les compétitions29 . Il n’y a qu’une seule fédération délégataire par discipline ; elle seule répond à l’appellation de « Fédération Française » ou « Fédération Nationale ». L’article 42 propose une rédaction surprenante en ce sens qu’ « un agrément [soit] délivré par le ministère de la jeunesse aux organisateurs de compétitions de jeux vidéo ». Pourquoi le législateur a-t-il fait le choix d’une délivrance d’agrément par le ministre de la jeunesse et non le ministre des sports et qu’implique un tel choix ? Le code du sport mentionne un agrément délivré par le ministère des sports : l’agrément des « associations sportives ». Parallèlement, le même ministère, sous une casquette différente, peut délivrer un agrément « jeunesse-éducation populaire » qui demeure obscur concernant ses objectifs et les droits qu’il confère à la fédération agréée. Son origine remonte à deux ordonnances de 1943 et 1944 ; aujourd’hui prévue par la loi n° 2001-624 du 17 juillet 2001 portant diverses dispositions d'ordre social, éducatif et culturel, mais ne trouve pas de codification comme l’agrément « sport » ci-avant évoqué. Les dispositions en cause30 sont lapidaires : « Les associations, fédérations ou unions d'associations régulièrement déclarées ayant une activité dans le domaine de l'éducation populaire et de la jeunesse peuvent faire l'objet d'un agrément par le ministre chargé de la jeunesse ou par l'autorité administrative compétente. L'agrément est notamment subordonné à l'existence et au respect de dispositions statutaires 28 Décision Conseil d'État 2ème et 1ère sous-sections réunies, n° 220388, 15 octobre 2003 29 C. du sport, Art L 131-5 30 Article 8, Loi n° 2001-624 du 17 juillet 2001 portant diverses dispositions d'ordre social, éducatif et culturel
  • 20. 19 Droit et Régulation du sport électronique – Antoine Bergeaud garantissant la liberté de conscience, le respect du principe de non-discrimination, leur fonctionnement démocratique, la transparence de leur gestion, et permettant, sauf dans les cas où le respect de cette dernière condition est incompatible avec l'objet de l'association et la qualité de ses membres ou usagers, l'égal accès des hommes et des femmes et l'accès des jeunes à leurs instances dirigeantes. Les conditions de l'agrément et du retrait de l'agrément sont déterminées par décret en Conseil d'Etat. » A l’aune de ces dispositions, on cerne difficilement la démarche du législateur. En effet, aucune mention de « compétition », ni de pratique d’une activité sportive n’est présente, à la différence de l’agrément prévu à l’article 131-8 du code du sport. Il s’agit davantage d’une relation de proximité officialisée entre une association et le ministère, gage de confiance pour le public et de visibilité pour l’association agréée. Si l’on se fie à l’agrément national de jeunesse et d’éducation populaire octroyé à la Fédération Française de Jeu de Dames, on peut douter que cette seule autorisation ne permette légalement d’organiser des tournois – en tous points comparables à des compétitions (payantes et gains potentiels) – au regard de la loi n°2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation. Le recours à ce type d’agrément « jeunesse et éducation populaire » implique l’absence d’une Fédération délégataire pour ce type d’agrément et laisse penser qu’il puisse y avoir plusieurs organisateurs de jeux vidéo. Au total, on peut synthétiser le choix de l’agrément qui sera octroyé à l’e-sport sous la forme du tableau suivant et en tirer différentes interprétations :
  • 21. 20 Droit et Régulation du sport électronique – Antoine Bergeaud AGREMENT « SPORT » AGREMENT « JEUNESSE ET EDUCATION POPULAIRE » Source et fondements juridiques Code du sport L 131-1 à L 131-22 Ordonnances du 20 octobre 1943 et du 9 août 1944 + Loi du 17 juillet 2001 (art 8) Déclinaisons de l’agrément Fédérations délégataires (Une seule par discipline sportive) Fédérations agréées Agrément national Agrément départemental Objectif recherché Un but clairement sportif « L 131-1 du C. du sport : Les fédérations sportives ont pour objet l'organisation de la pratique d'une ou de plusieurs disciplines sportives. » Pas d’objectif énoncé. En substance, il s’agit d’une relation privilégiée entre l’Etat et l’organisme. Le rapport à la notion de compétition L 131-15 C. du sport : « Les fédérations délégataires : 1° Organisent les compétitions sportives à l'issue desquelles sont délivrés les titres internationaux, nationaux, régionaux ou départementaux » La notion de compétition est absente des textes L’organisation de compétition sportive est-elle permise ? Oui Hypothèse : Les fédérations (type jeu de dames) continuent d’organiser des compétitions payantes avec gain potentiel malgré l’interdiction résultant de la Loi Hamont sans avoir pris conscience que le droit avait évolué depuis 2014. Les pouvoirs publics auraient une politique de tolérance pour les compétitions de jeux d’adresse bien qu’ils ne disposent pas de l’agrément adéquat. Application au e-sport Le projet de loi pour une république numérique mélange les deux types d’agréments : un agrément délivré par le ministre chargé de la jeunesse aux organisateurs de compétitions sportives de jeux vidéo (qui relèvent théoriquement de l’agrément « sport »). Interprétation Le législateur entend-il autoriser les fédérations « non-sportives » à organiser des compétitions sportives ? Le législateur souhaite-il maintenir sa position selon laquelle le sport électronique n’est pas un sport ?
  • 22. 21 Droit et Régulation du sport électronique – Antoine Bergeaud 1.2 Le Conseil d’Etat détenteur de la qualification d’une discipline comme « sportive » Le Conseil d’Etat est sollicité par les associations qui aspirent à obtenir un agrément auprès du ministre des sports, en vue de s’établir comme une fédération sportive. Une jurisprudence fournie31 nous permet de déceler dans quelle mesure les juges du Palais Royal apprécient les critères qu’ils ont eux-mêmes définis par leurs précédentes décisions. Les trois critères exigés par le Conseil d’Etat pour annuler une décision de refus d’agrément du ministre des sports – et ainsi qualifier la discipline de sportive ou non – sont : - La performance physique ; - L’organisation régulière de compétitions ; - L’existence de règles bien définies. A l’aune des décisions rendues par le Conseil d’Etat, on peut imaginer quelle serait la position de ce dernier s’il était amené à contrôler le refus d’un agrément. Quelle serait, hypothétiquement et au vu de la jurisprudence, l’avis du Conseil d’Etat : le e-sport, un vrai sport ? 31 Voir tableau ci-après
  • 23. 22 Droit et Régulation du sport électronique – Antoine Bergeaud THEMATIQUE ABORDEE APPRECIATION DU CONSEIL D’ETAT ET APPLICATION AUX JEUX VIDEO Généralité Sur les conditions d’octroi de l’agrément Au regard de la jurisprudence issue de l’arrêt CE, 3 mars 2008 FAAEL, les conditions d’octroi d’un agrément ne penchent pas en la faveur du secteur des jeux vidéo : - Répondre à un objet d’intérêt général : a priori discutable - Le mode de fonctionnement démocratique serait éventuellement rempli. - Respecter les règles de transparence financière : envisageable. Critèresdufaisceaud’indicesduConseild’Etat Sur la performance physique La jurisprudence du Conseil d’Etat demeure peu enclin à recevoir l’idée d’une réelle performance physique dans certaines activités : - CE, 13 avril 2005, Fédération de Paintball sportif, n°258190 : Le Conseil d’Etat oppose « l’activité de loisir » à la quête de « la performance physique » - CE 26 juillet 2006, Fédération Française de Bridge, n°285529 : « le bridge ne contient aucune activité physique, ne présente pas le caractère d’une activité physique [ni] d’une discipline sportive au sens du I de l’article 16 de la loi du 16 juillet 1984 » - CE 9 novembre 2011, Fédération française de Darts, n°347382 : Distinction claire entre le loisir et le sport établie par le Conseil d’Etat. Sur l’organisation régulière de compétitions L’arrêt CE, 3 mars 2008 FAAEL est éloquente : cette dimension semble davantage valoir pour la délégation que pour l’agrément. Pour le Conseil d’Etat, il n’y a pas de sport sans « compétition », mais la compétition n’implique pas nécessairement la présence d’un sport, qui peut être simplement un loisir. Sur l’existence de règles bien définies A la lueur de la jurisprudence FAAEL, il semble que cette condition soit prédominante sur les autres : la FAAEL n’avait pour le Conseil d’Etat pas d’activités s’exerçant sur la « base de règles bien définies ». Mais cela est surprenant quand on regarde la décision Fédération française de Paintball, dont les règles sont très précises et pour laquelle l’agrément a été refusé par le ministre, décision confirmée par le Conseil d’Etat.
  • 24. 23 Droit et Régulation du sport électronique – Antoine Bergeaud 2 – Le statut juridique des e-sportifs en question 2.1 – L’absence de contrat de travail nuisible à la discipline La question du statut des « joueurs professionnels » de jeux vidéo n’est pas sans poser de réelles interrogations juridiques. En effet, l’engouement pour les compétitions de jeux vidéo et la croissance des gains que celles-ci génèrent nécessitent de trouver un cadre juridique adéquat. A en croire le rapport intermédiaire établi par les parlementaires32 , les joueurs sont pour l’instant, et pour une majorité d’entre eux, à leur compte et exercent en tant que travailleurs indépendants. Il en résulte que la relation de travail avec les sponsors, les clubs, demeure non-uniformisée et finalement assez précaire malgré les importantes rémunérations qu’elles impliquent. L’idée d’appliquer au sport électronique la même réglementation qu’au sportif professionnel est largement débattue mais aurait sans doute l’avantage d’y voir plus clair et de sécuriser dans les meilleurs délais la situation des joueurs concernés. Pour l’heure, faute de pouvoir distinctement établir une relation de pouvoir hiérarchique entre les structures organisatrices d’entrainement, de coaching et les joueurs, on observe l’absence manifeste de contrats de travail. « Attendu que l'existence d'une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu'elles ont donnée à leur convention mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l'activité des travailleurs », la jurisprudence33 s’appuie sur la méthode du faisceau d’indices pour établir qu’un contrat de travail existe en dépit d’une dénomination de « relation commerciale » particulièrement préjudiciable aux joueurs professionnels de jeux vidéo. Trois conditions se dégagent de la jurisprudence pour consacrer la relation de travail salariée34 et notamment le lien de subordination qui se décompose en trois critères, à savoir : 32 Rapport intermédiaire, E-sport la pratique compétitive du jeu vidéo, Durain et Salles, mars 2016 33 Cour de Cassation, Chambre sociale, du 19 décembre 2000, 98-40.572, Publié au bulletin 34 Yann Aubré détaille les conditions requises : « L'existence du contrat de travail suppose normalement la réunion de trois critères : d'une part, l'exécution d'une prestation de travail, d'autre part, le versement au travailleur concerné d'une rémunération en contrepartie de l'accomplissement de cette prestation et, enfin, la subordination juridique de ce travailleur au donneur d'ouvrage qui est, en principe, le bénéficiaire de cette même prestation de travail »
  • 25. 24 Droit et Régulation du sport électronique – Antoine Bergeaud - Le commanditaire impose des directives à la personne rémunérée dans le but d’accomplir ce pour quoi le contrat a été signé, assorti de possibilité de sanctions et de rétorsions si jamais un manquement était constaté ; - La rémunération du salarié est forfaitaire et non-alignée sur la réalité des tâches exécutées sur la période considérée. - Le lien employeur/employé suppose une exclusivité vis-à-vis du prestataire de service. Parmi ces critères, celui de l’exclusivité est inhérent au lien de subordination et joue un rôle très spécifique s’agissant des joueurs de jeux vidéo professionnels : ils sont en effet susceptibles de « changer de crèmerie » si l’offre est plus intéressante dans un autre club et le recours au contrat de travail de droit commun présenterait l’intérêt non négligeable de sécuriser l’ensemble des acteurs de l’e-sport en France. Le recours au contrat à durée déterminée n’est généralement pas possible puisque, à nouveau, trois conditions régissent l’utilisation du CDD et ne coïncident pas avec l’activité de l’e- sport : - Accroissement temporaire de l’activité ; - Remplacement d’un salarié absent ; - Remplacement d’un non salarié. Pas plus que le contrat à durée indéterminé qui sied particulièrement mal aux sportifs de haut niveau en ce sens que les règles de démission et de licenciement nient la question des transferts, élément décisif de la carrière d’un joueur de sport, au même titre qu’un joueur de sport électronique. Il résulte de cette situation de facto que ni les joueurs, ni les équipes et ni les clubs et sponsors ne parviennent à se satisfaire du cadre juridique applicable aux joueurs professionnels de sport électronique. L’absence de contrat de travail « sur-mesure » est source d’insécurité juridique et de risque planant sur tous les acteurs du sport électronique. 2.2 – L’éventualité d’un modèle calqué sur les sportifs professionnels Le sénateur Jérôme Durain évoquait « une vraie analogie entre l’e-sport et le sport » lors de la présentation du rapport parlementaire sur la discipline. Certes, le constat n’est ni unanime ni véritablement prouvé, mais on peut admettre un parallèle entre les deux s’agissant du statut et des contrats auxquels les joueurs seront soumis à l’avenir. C’est la vocation du rapport
  • 26. 25 Droit et Régulation du sport électronique – Antoine Bergeaud intermédiaire précité, lequel envisage sérieusement d’appliquer le CDD spécifique au sportif aux joueurs de sport électronique. L’assimilation du contrat d’e-sport au sport traditionnel implique un rattachement au droit du sport formel. Le rapport préconise d’ « intégrer la pratique compétitive du jeu vidéo aux secteurs mentionnés à l’article D. 1242-1 du code du travail »35 . Cette disposition du code du travail exempte certains secteurs et certaines activités du principe du contrat à durée indéterminée comme contrat de référence, précisément au regard « caractère par nature temporaire de ces emplois »36 . La mission parlementaire propose d’y inclure l’e-sport, au même titre que le sport professionnel qui figure à l’alinéa 5 de l’article. En somme, la première étape d’un contrat d’e-sportif professionnel consisterait en la reconnaissance du CDD comme contrat naturel de la discipline. Au surplus, la mission parlementaire incite le législateur à « rendre applicable à la pratique compétitive du jeu vidéo les articles L. 222-2 et L. 222-6 du code du sport au cas des compétiteurs professionnels de jeu vidéo et des sociétés ou associations qui les emploient »37 . De cette manière, les organismes d’e-sport auraient la possibilité de conclure des CDD d’une durée d’un à cinq ans, éventuellement renouvelables, calqués sur ceux des sportifs professionnels « classiques ». En définitive, il s’agit pour la mission parlementaire de mettre en place un cadre juridique exhaustif du sportif professionnel, y associant les e-sportifs au même titre que les sportifs traditionnels. A l’évidence, la mise en place d’un tel cadre juridique ne saurait voir le jour sans la reconnaissance de la discipline du jeu vidéo en compétition et du système d’agréments concédés aux organisateurs de compétitions et/ou aux équipes (tel qu’évoqué au 1.1 du 1 du chapitre 2 de la présente partie). 2.3 – L’alternative du statut du joueur professionnel de poker incertaine Cette insécurité du statut du joueur n’est pas sans rappeler le cas du joueur professionnel de poker, pour lequel la jurisprudence semble fragile faute de décision des juridictions suprêmes françaises. 35 Rapport intermédiaire Durain Salles, page 24. 36 Article D. 1242-1 du code du travail 37 Ces dispositions régissent le recours au CDD spécifique des sportifs et entraineurs professionnels et la durée du contrat, prévoyant une superposition avec les saisons sportives.
  • 27. 26 Droit et Régulation du sport électronique – Antoine Bergeaud Car si le statut juridique du e-sportif est pour l’heure à définir, l’activité en elle-même et a fortiori les gains ou revenus du sport électronique n’emportent eux non-plus aucun un régime établi. La question se pose de savoir si le joueur professionnel d’e-sport, lorsqu’il remporte une compétition, est soumis au régime du gain ou à celui du revenu. La création envisagée d’un véritable statut du joueur de sport électronique professionnel semble plaider en faveur d’une activité rémunérée – soit un revenu. Mais à partir de quand peut-on considérer qu’un joueur est « professionnel » et que ses gains sont assimilés à des revenus ? Pour l’heure et faute d’avoir un cadre juridique fiable pour les joueurs de sport électronique, on peut établir un parallèle entre l’e-sportif et le joueur professionnel de poker s’agissant de la fiscalité qui leur est applicable. D’un point de vue fiscal, le joueur professionnel de poker ne dispose d’aucun statut particulier ni dérogatoire au droit commun. En premier lieu, faut-il pouvoir distinguer le joueur de poker « amateur » du joueur professionnel afin de déterminer le régime fiscal de chacun. Pour ce faire, il convient de se référer à la jurisprudence du Conseil d’Etat qui suggère un faisceau d’indices permettant d’identifier le joueur professionnel dans une décision isolée38 : l’absence d’activité professionnelle en parallèle de l’activité de joueur, l’importance des gains réalisés et les moyens mis en œuvre pour ce faire, ainsi que la dimension habituelle de la pratique du poker (soit le reflet du niveau et de la notoriété du joueur en l’espèce). Une certitude s’il en est, lorsque ces critères sont cumulativement remplis, le joueur de poker est qualifié de professionnel, participant à un jeu ne reposant pas entièrement sur le hasard. A contrario, le joueur amateur ne serait semble-t-il pas tenu de déclarer ses gains issus du poker, qu’il pratiquerait en tant que loisir. L’idée générale repose finalement sur l’intention du joueur : se procurer une source de revenu ou non ? Si oui, il s’agit pour le juge de le considérer comme un joueur professionnel. Il en résulte une imposition au titre des bénéfices non-commerciaux pour le joueur professionnel de poker. Cette voie apparait comme « par défaut » ou « par élimination » au sens de l’article 92 du Code Général des Impôts. Par « occupation ou exploitation lucrative et source de profit », le code distingue les jeux de hasard pur (loteries voire paris hippiques) du poker, comportant – même a minima – une dose d’adresse et de savoir-faire. 38 Tribunal Administratif de Clermont-Ferrand, 21 octobre 2010, n° 09-640, Petit
  • 28. 27 Droit et Régulation du sport électronique – Antoine Bergeaud L’analogie entre le joueur professionnel de poker et le joueur professionnel d’e-sport peut être intéressante d’un point de vue théorique mais ne saurait résoudre les incertitudes vis-à-vis du sport électronique. En effet, le vœu du législateur est avant tout de sécuriser juridiquement la discipline, si bien qu’on imagine difficilement qu’il calque un modèle incertain pour ne pas dire bancal qui est celui du poker professionnel. Titre II – De l’intervention publique primordiale pour réguler un nouveau marché polymorphe Au même titre que les marchés anciennement monopolistiques qui se sont progressivement ouverts à la concurrence, le secteur des jeux en ligne a connu un réel bouleversement avec la loi du 12 mai 201039 . Sans préjudice d’un rattachement des compétitions de jeux vidéo aux jeux en ligne, l’acte d’inscrire l’e-sport dans la loi, avec un cadre juridique unique et inédit, suppose d’y assortir un contrôle efficient et a fortiori une régulation de la part des pouvoirs publics et des autorités compétentes. La pratique compétitive des jeux vidéo est manifestement observée comme présentant une pluralité pour ne pas dire une multitude de risques vis-à-vis de la préservation de l’ordre public au sens large. En ce sens, bien que l’e-sport s’adresse à toutes les générations et à toutes les tranches d’âge, on pressent un risque important pour les publics fragiles et particulièrement les mineurs : des risques sanitaires tels que l’addiction ou la diffusion d’images violentes impose de mettre en place toutes les dispositions utiles afin de contrôler l’accès aux publics menacés ; le législateur comprend cet impératif (chapitre 1). En outre, le principe de mise en place d’une régulation de l’e-sport ne saurait occulter la question du choix des instances compétentes. Si l’e-sport n’est ni véritablement un sport, ni véritablement une loterie, on peut se émettre l’hypothèse d’une régulation inédite sous l’égide d’instances croisées. Au surplus, l’e-sport emporte de nombreuses implications dans plusieurs 39 Loi n° 2010-476 du 12 mai 2010 relative à l'ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d'argent et de hasard en ligne
  • 29. 28 Droit et Régulation du sport électronique – Antoine Bergeaud secteurs, si bien qu’on étudiera le panel des régulations périphériques dont la discipline devra certainement s’acquitter (chapitre 2). Chapitre 1 – La prévention des risques et des dérives afférents au sport électronique compétitif La reconnaissance du sport électronique va de pair avec un nouvel élan donné aux jeux vidéo. Il y a fort à parier qu’un engouement s’en ressente ces prochains mois, avec davantage de visibilité pour la discipline. Par un effet de ricochet, les conséquences de la consécration législative des compétitions de jeux vidéo peuvent être amenées à se décupler, d’où la nécessité d’une vigilance accrue et d’une régulation efficiente. En ce sens, les mineurs et l’ensemble des publics fragiles sont concernés par l’article 42 du projet de loi pour une République Numérique, lesquels doivent être protégés contre tout effet pervers engendré (1). Par ailleurs, un œil mal intentionné pourrait voir naître une opportunité de blanchiment ou de fraude via les compétitions de jeux vidéo et conduit les autorités à évaluer et à modeler les garde-fous appropriés en amont de toute dérive pressentie (2). 1 – La protection des mineurs et la lutte contre les addictions 1.1 – Une population mineure déjà en proie aux addictions liées aux jeux d’argent, fragilisée par l’accès aux qualifications en ligne L’article 42 du projet de loi pour une République Numérique intervient à un moment critique vis-à-vis de la lutte contre les addictions et de la protection de mineurs s’agissant des jeux d’argent et de hasard. En effet, l’enquête menée par l’Observatoire des Jeux sur les pratiques de jeu d’argent et de hasard en France en 2014 révèle que la part des comportements problématiques est en hausse : on estime à 2,2% le nombre de joueurs « à risque modéré » et 0,5% le nombre de joueurs « excessifs » soit respectivement, environ 1 million d’une part deux-cent mille français d’autre part40 . En outre, la population de joueurs « problématiques » 40 Les jeux d'argent et de hasard en France en 2014, Enquête de l’Observatoire des Jeux et de l’INPES
  • 30. 29 Droit et Régulation du sport électronique – Antoine Bergeaud concerne principalement les jeunes, non-diplômés et issus de milieux sociaux défavorisés ; un tiers d’entre eux est sans-emploi41 . Point de vigilance s’il en est pour les autorités : l’interdiction de jeux pour les mineurs n’est pas assurée tel qu’elle devrait l’être et emporte des conséquences préoccupantes sur leur santé. Ainsi, près d’un mineur (âgé de 15 à 17 ans) sur trois joue, parmi lesquels un dixième d’entre eux rencontre des problèmes dus à cette pratique42 . Parallèlement à ce constat inquiétant, la pratique du jeu vidéo est quasi-totale chez les moins de dix-huit ans : 100% des 10-14 ans et 91% des 15-18 ans s’adonnent aux jeux vidéo43 sous la forme d’un loisir. La « génération Z »44 est née avec les jeux vidéo et les supports afférents (ordinateurs, consoles, tablettes et smartphones). De ce fait, il n’est pas anodin d’établir qu’un risque pèse sur ces générations qui ont goutées aux jeux vidéo en tant que loisir depuis leur naissance, et que l’introduction d’un modèle payant est susceptible de conduire à des addictions importantes à l’aune du constat de la fragilité des populations mineures face aux jeux d’argent. Bien que le projet de loi pour une République Numérique ne qualifie pas l’e-sport comme un jeu d’argent, force est de constater que les phases de qualifications se dérouleront avec un droit d’entrée, fût-il « de nature à (ne pas) accroître l’espérance de gain du joueur (…) exigé par l’organisateur »45 . C’est précisément cette phase des qualifications en ligne qui nous alerte sur les risques en termes de santé des mineurs. La frontière est mince entre le jeu de loisir pur, voire le « fantasy sport »46 et les compétitions de jeux vidéo. Cette porosité entre les différents types de jeux renforce la confusion voire la banalisation des jeux d’argent, qui plus est au regard du statut unique de l’e-sport proposé par l’article 42 du projet de loi pour une République Numérique. Les compétitions de jeux vidéo constituent alors doublement une menace pour les mineurs : 41 Toujours selon la même étude 42 Enquête de l’Observatoire des jeux et de l’INPES précitée. 43 Etude SELL / GfK « Les Français et le Jeu Vidéo » - Sur une base de 1002 personnes âgées de 10 à 65 ans / Octobre 2015 44 Les générations nées après l’an 2000 sont qualifiées de « Génération Z » du fait qu’elles sont nées en plein boom des nouvelles technologies de l’information et de communication. 45 Article 42 du Projet de loi pour une République Numérique 46 Le Fantasy Football est un jeu virtuel très populaire auprès des passionnés de football où l’on sélectionne les joueurs de son choix pour former son équipe puis affronter les autres utilisateurs (les résultats dépendent des performances des joueurs dans la vie réelle). Aux Etats-Unis, le fantasy sport peut être payant et permet d’obtenir un gain et constituerait d’ores et déjà un motif d’interdiction puisqu’il est librement offert au public également.
  • 31. 30 Droit et Régulation du sport électronique – Antoine Bergeaud les jeunes joueurs habitués à la pratique récréative du jeu vidéo auront une large tendance à être attirés par l’expérience du e-sport en tant qu’acteur – en tant que joueurs donc – et ces mêmes jeunes pourront s’orienter vers les jeux d’argent qui résultent des compétitions de sport électronique via la prise de paris – légale ou non mais bel et bien présente – sur l’issue des rencontres entre les joueurs. A cet égard, il apparaît crucial de protéger les jeunes des conséquences potentiellement nuisibles engendrées par la « légalisation » du sport électronique. Les rédacteurs de l’article ont vraisemblablement eu à l’esprit que les compétitions de jeux vidéo présentaient un risque vis-à-vis du maintien de l’ordre public à en croire les garanties qu’ils ont assorties à la consécration législative de la discipline. 1.2 – Une régulation de l’accès aux compétitions des mineurs malaisée Si l’article 42 fixe des objectifs marquants en matière de protection des mineurs, il reviendra à l’arrêté du ministère de la jeunesse – qui « fixe également, pour chaque logiciel de loisir, l’âge minimal requis des joueurs pour participer à la compétition »47 - de définir clairement la mise en œuvre, la méthode et le contrôle adéquats pour atteindre l’objectif ambitieux affiché. La rédaction du texte ne saurait échapper à un parallèle avec la politique de l’Etat en matière de jeux d’argent et de hasard. En effet, le lecteur averti se hasardera à une analogie entre le I de l’article 3 de la loi du 12 mai 2010 et le I de l’article 42 du projet de loi pour une République Numérique. La loi du 12 mai 2010 énonce en ces termes les objectifs associés à la légalité des jeux en ligne : « I. ― La politique de l'Etat en matière de jeux d'argent et de hasard a pour objectif de limiter et d'encadrer l'offre et la consommation des jeux et d'en contrôler l'exploitation afin de : 1° Prévenir le jeu excessif ou pathologique et protéger les mineurs ; 2° Assurer l'intégrité, la fiabilité et la transparence des opérations de jeu ; 3° Prévenir les activités frauduleuses ou criminelles ainsi que le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme ». 47 Article 42, I, du projet de loi pour une République Numérique
  • 32. 31 Droit et Régulation du sport électronique – Antoine Bergeaud L’architecture du texte sur les compétitions de jeux vidéo ne saurait nier la parenté avec la loi du 12 mai 2010 telle que ci-dessus rédigée, quand bien même le législateur prône et argue l’autonomie de l’e-sport vis-à-vis des jeux d’argent. Peut-on alors en déduire que la politique de protection des mineurs quant au e-sport sera parsemée d’embuches pour au même titre que la prévention du jeu excessif ou pathologique n’est que trop partiellement remplie aujourd’hui en matière de jeux d’argent ? Au surplus, les acteurs du sport électronique, dont la charge serait de mener à bien cet objectif, hériteront d’une tâche d’autant plus complexe que l’article 42 est particulièrement évasif sur la mise en œuvre formelle de la protection des mineurs. De ce point de vue, on peut regretter que le législateur ne soit pas allé plus loin dans l’identification des acteurs chargés de veiller à la protection de mineurs et ne se soit pas engagé dans la définition des consignes qu’il leur imposerait. Toutefois, on ne saurait accabler le législateur dans les approximations du projet de loi. En parallèle de ces carences, le rapport intermédiaire établi par Rudy Salles et Jérôme Durain48 , pose les fondations d’un accès aux mineurs contrôlé et cohérent. Ils suggèrent ainsi de conditionner la participation des mineurs aux compétitions à une autorisation parentale49 et de fonder cette autorisation sur la classification du label PEGI50 . Ce label se décline en plusieurs niveaux tels que « PEGI 12 » ou « PEGI 18 » en fonction de la nature du jeu vidéo et du public qu’il vise. Les jeux vidéo violents entrent généralement dans la catégorie « PEGI 16 » ou « PEGI 18 » tandis que les jeux tous publics sont marqués d’un « PEGI 2 ». Ainsi, cette classification n’a qu’une valeur indicative pour les parents lorsqu’ils procèdent à l’achat du jeu vidéo. A dire vrai, le respect de l’indication du label n’est que marginalement reçue et respectée pour plusieurs raisons. Primo, les parents cèdent à leurs enfants qui plaident en faveur d’une classification sévère. Deuxio, les parents n’ont pas toujours – et de moins en moins – accès aux jeux que se procurent leurs enfants, et a fortiori lorsqu’ils sont dématérialisés sur des plateformes de jeux vidéo en ligne où le label peut plus facilement passer outre la vigilance parentale. Les chiffres sont éloquents51 : à partir du collège, plus de huit garçons sur dix ont déjà joué à un jeu classé PEGI 18, c’est-à-dire déconseillés aux mineurs ; le chiffre atteint près de 90% pour les lycéens. 48 Précité 49 Proposition n°2 du rapport intermédiaire. 50 Pan European Game information. 51 Source : Enquête du Programme d’étude sur les liens et l’impact des écrans sur l’adolescent scolarisé PELLEAS), Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT), décembre 2014
  • 33. 32 Droit et Régulation du sport électronique – Antoine Bergeaud La mission propose qu’une autorisation parentale expresse soit demandée en fonction de l’indice « PEGI » pour toute participation d’un mineur à une compétition de jeu vidéo. Si cette démarche va dans « le bon sens », elle peut paraitre timide et illusoire confrontée à la réalité. Au même titre que les parents sont parfois tributaires de l’argumentaire de leurs enfants, une telle déclaration pourrait se résumer à une simple formalité administrative rapidement éclipsée. Plus préoccupant encore, l’authenticité de l’autorisation parentale pourrait s’avérer bien délicate à contrôler pour les éditeurs ou les organisateurs de compétitions dès lors que celle-ci sera vraisemblablement numérisée. Cette réglementation, si elle semble répondre efficacement à l’objectif de préservation de la santé des mineurs, pourrait souffrir d’une efficience contrastée. Concernant les gains issus des compétitions de sport électronique des joueurs de moins de 16 ans, la mission parlementaire prodigue un accès aux lots importants raisonné partant du constat précédemment évoqué selon lequel les moins de dix-huit ans font figures de public sensible, en proie aux comportements problématiques vis-à-vis de l’argent. En ce sens, la régulation de l’accès des mineurs aux compétitions de jeux vidéo est incarnée ici par l’interdiction formelle des mineurs de moins de 14 ans, pour lesquels seuls des lots « en nature » d’une valeur modérée (moins de 100€ par lot) sont à remporter. Les parlementaires envisagent un échelonnement des lots en fonction de l’âge. Ainsi pour les mineurs de 16 ans, le montant du lot pourrait atteindre une valeur de 2000€ et de limiter l’accès à ces derniers aux tournois qui proposent des lots plus importants. Des garde-fous sont apportés face aux gains des mineurs via la consignation obligatoire auprès de la Caisse des dépôts52 tels que d’autres activités le prévoient déjà (sport, mannequinat ou cinéma). Ces propositions paraissent sensées au vu des risques qui pèsent sur les mineurs, mais ne résolvent pas véritablement la sécurité juridique et la pérennité de la régulation envisagée. En effet, limiter l’accès à une catégorie de population, en l’occurrence le public mineur, s’apparente à une mesure de police d’avantage qu’à de la régulation pure. Toutefois, veiller au respect de l’interdiction et prévenir les débordements liés à l’âge des participants des compétitions d’e-sport est une problématique quasi-exclusivement en termes de régulation. Ainsi, le choix d’une auto-régulation du secteur (par le contrôle des éditeurs) parait comme la plus légitime, mais pas nécessairement comme la plus « rentable » du point de vue des 52 Proposition n°3 de la mission parlementaire
  • 34. 33 Droit et Régulation du sport électronique – Antoine Bergeaud résultats escomptés. A contrario, la fixation législative d’une limite d’âge sonne comme une immixtion problématique ; une police davantage qu’une régulation. La régulation des compétitions de jeux vidéo se dessine sous la forme d’une coopération voire d’une collaboration entre les différents acteurs du secteur. Elle ne saurait être trop indulgente ni permissive mais elle n’a pas vocation à franchir la frontière d’une « régulation répressive » sectorielle ex-ante. C’est d’autant plus vrai que le sport électronique peine à distinguer un organe régulateur naturel, dédié et appliqué à ce domaine en l’état actuel de la législation. La prise de conscience de l’enjeu que représente les mineurs dans l’avènement des compétitions de jeux vidéo est à n’en pas douter l’élément décisif et déclencheur d’une régulation la plus adéquate possible. Par le passé, les pouvoirs publics ont opté pour une politique des œillères sur des sujets brûlants concernant les mineurs et sont désormais dans un bourbier inextricable. A l’échelle européenne, 23 % des enfants de 9 à 16 ans ont vu des contenus sexuels ou pornographiques au cours des six premiers mois de l’année 201353 , tous médias confondus. La situation est désormais banalisée et l’accès à la pornographie des jeunes désempare les parents, faute de pouvoir s’appuyer sur une régulation pérenne. Les parents sont désormais seuls face à ce fléau si bien que le pédopsychiatre Patrice Huerre estime que, plutôt que de compter sur des dispositifs de verrouillage, « les parents doivent éduquer leur enfant à la rencontre inévitable avec des contenus inadaptés »54 . Il apparait urgent et primordial de ne pas laisser une situation comparable s’installer dans le cadre de l’e-sport et de l’accès aux mineurs à l’avenir ; une régulation assumée et véritable s’impose. 2 – Une politique de lutte contre la fraude et le blanchiment indispensable La régulation du sport électronique doit s’appréhender selon toutes les modalités qui peuvent découler de la consécration législative dont on fait l’étude. En ce sens, même si le projet de texte se dérobe plus ou moins sur l’éventualité de l’organisation de paris sportifs afférentes aux compétitions d’e-sport, force est d’envisager qu’une telle activité puisse avoir lieu. A tout le moins, la prise de paris sur l’issue des parties de sport électronique en ligne est d’ores et 53 EU Kids Online (2014): findings, methods, recommendations. EU Kids Online, LSE 54 Peut-on protéger les enfants de la pornographie ?, Journal La Croix, France Lebreton, le 24/11/2015
  • 35. 34 Droit et Régulation du sport électronique – Antoine Bergeaud déjà avérée55 , si bien que les risques de fraude et de blanchiment précèdent la légalité de celle- ci. On ne saurait dresser une esquisse de la régulation pertinente du sport électronique en omettant que celui-ci puisse conduire à des paris, fussent-ils illégaux pour l’heure. 2.1 – Les jeux d’argent et paris sportifs : des biais de fraude et de blanchiment traditionnels L’essence-même du principe de prohibition des jeux d’argent et des loteries résulte de la volonté de l’Etat de préserver l’ordre public. La fraude et le blanchiment d’argent56 peuvent être considérés comme des composantes dérivées57 de l’ordre public en ce qu’ils impliquent escroqueries, délits voire crimes58 - soit une insécurité patente. En témoigne la position de la Cour de Justice de l’Union dans l’arrêt Placanica et autres59 , selon laquelle la politique d’expansion menée par un Etat peut se fonder non seulement sur la protection des joueurs mais également et de façon suffisante sur un principe de prévention de « l'exploitation des activités de jeu de hasard à des fins criminelles ou frauduleuses en les canalisant dans des circuits contrôlables ». Le droit interne applique sensiblement le même raisonnement tel qu’exprimé dans le décret de 197860 relatif à l’organisation et à l’exploitation des jeux de loteries autorisés en son article premier, modifié par le décret n°2015-1858 du 30 décembre 2015 : « Art. 1 : En application de l'article 136 de la loi du 31 mai 1933 et de l'article 48 de la loi n° 94-1163 du 29 décembre 1994, il peut être proposé au public y compris par voie de communications électroniques une offre de jeux de loterie qui doit respecter les objectifs suivants : -assurer l'intégrité, la sécurité et la fiabilité des opérations de jeux et veiller à la transparence de leur exploitation ; 55 Le site internet http://www.parionse-sport.com/ est en libre-accès depuis le territoire français par exemple. 56 « Le blanchiment est le fait de faciliter, par tout moyen, la justification mensongère de l’origine des biens ou des revenus de l’auteur d’un crime ou d’un délit ayant procuré à celui-ci un profit direct ou indirect (Article 324- 1 et suivants du Code pénal) » d’après le lexique proposé par MCE Avocats. 57 « La lutte contre des réseaux est partie intégrante de la sécurité » selon Anne Jacquemet in Monopole des jeux de hasard et ordre public –– AJDA 2007. 1282 58 « Sécurité, salubrité et tranquillité publiques sont les trois composantes historiques de l’ordre public de la police » rappelle le Professeur Thomas Pez, dans un article « L’ordre public économique », Les Nouveaux Cahiers du Conseil constitutionnel 2015/4 (N° 49), p. 43-57. 59 CJCE 6 mars 2007, Placanica et autres, C-338/04 60 Décret n°78-1067 du 9 novembre 1978 relatif à l'organisation et à l'exploitation des jeux de loterie autorisés par l'article 136 de la loi du 31 mai 1933 et de l'article 48 de la loi n° 94-1163 du 29 décembre 1994.
  • 36. 35 Droit et Régulation du sport électronique – Antoine Bergeaud -canaliser la demande de jeux dans un circuit contrôlé par l'autorité publique, afin de prévenir les risques d'une exploitation des jeux d'argent à des fins frauduleuses ou criminelles et de lutter contre le blanchiment d'argent ; -encadrer la consommation des jeux afin de prévenir le développement des phénomènes de dépendance. Les jeux de loterie ne peuvent être vendus aux mineurs, même émancipés. Nul ne peut être tenu pour responsable du non-respect de la disposition précédente s'il a été induit en erreur sur l'âge du ou des mineurs concernés. » L’Etat a redoublé d’efforts ces dernières années pour tenter de diminuer les tentatives de blanchiment par le biais des jeux d’argent. Par le biais du secrétaire d’Etat chargé du budget Christian Eckert, la lutte contre la fraude et le blanchiment est « revenue sur le tapis » lors de l’inauguration du nouvel entrepôt central automatisé de la Française des Jeux (FDJ), le 13 avril 2016. Il s’adressait en ces termes à la FDJ : « Il y a aussi – et à mon sens : surtout – des enjeux de lutte contre la fraude et le blanchiment, et des questions de santé publique avec la lutte contre le jeu des mineurs et la prévention du jeu excessif. La mission de la Française des Jeux n’est pas de « vendre » des loteries et des paris : c’est de canaliser la demande de jeu, et de l’orienter vers des produits récréatifs et sûrs. C’est ma responsabilité d’y veiller, en tant que régulateur. C’est également votre responsabilité, en tant qu’opérateur sous monopole, et c’est d’ailleurs bien ainsi que vous concevez votre rôle : j’y reviendrai d’ailleurs dans un instant, au travers de quelques exemples. »61 Et d’ajouter : « Les paris sportifs ont connu une forte croissance ces dernières années, et demeurent exposés aux risques de fraude et de blanchiment : il est donc nécessaire de renforcer le contrôle des autorités publiques sur ce segment. » Par ces mots, Christian Eckert admet à demi-mots que le blanchiment d’argent se distingue perpétuellement comme la bête noire des jeux d’argent et de hasard que l’Etat ne parvient jamais à endiguer de manière définitive. Ces fléaux se seraient intensifiés via les paris sportifs – particulièrement via les paris sportifs en ligne – selon le ministre. Ce dernier réaffirme la volonté de l’Etat de mettre à mal les organisations souterraines qui utilisent les jeux d’argent pour blanchir l’argent sale. 61 Discours de Christian ECKERT, secrétaire d’Etat chargé du Budget, Inauguration du nouvel entrepôt central automatisé de la FDJ, Paris Nord Roissy, Mercredi 13 avril 2016
  • 37. 36 Droit et Régulation du sport électronique – Antoine Bergeaud Face à ce constat, on ne peut que s’étonner de la légèreté de l’encadrement et de la régulation imposés en matière de lutte contre la fraude et le blanchiment via l’e-sport à l’aune du texte proposé. Au même titre que l’objectif de protection des mineurs, la « prévention des activités frauduleuses ou criminelles »62 , n’est pour l’heure assortie d’aucunes mesures ciblées. Pourtant, force est d’observer un lien éventuel entre les compétitions de e-sport – elles même susceptibles de paris à l’avenir – et les paris sportifs pour lesquels la fraude et le blanchiment sont « monnaie courante ». On pourrait d’ores et déjà envisager de calquer les mesures qui s’imposent aux opérateurs de paris sportifs et de loterie en matière de lutte contre la fraude et de blanchiment. En effet, la directive de l’Union Européenne n°2015/849 du Parlement Européen et du Conseil du 20 mai 2015 relative à la prévention de l'utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux ou du financement du terrorisme vient parachever la législation européenne en vigueur63 . Son domaine d’application s’est en effet élargi au secteur des jeux d’argent. Viennent ainsi s'ajouter aux établissements de crédit et aux établissements financiers les prestataires de service de jeux d'argent et de hasard : « L'utilisation du secteur des jeux d'argent et de hasard pour blanchir le produit d'activités criminelles est préoccupante. Afin d'atténuer les risques liés à ce secteur, la présente directive devrait prévoir d'obliger les prestataires de services de jeux d'argent et de hasard présentant des risques plus élevés à appliquer des mesures de vigilance à l'égard de la clientèle pour chaque transaction d'un montant égal ou supérieur à 2 000 EUR. Les États membres devraient s'assurer que les entités assujetties appliquent le même seuil à la perception de gains, aux mises, y compris par l'achat et l'échange de plaques ou de jetons, ou aux deux. Les prestataires de services de jeux d'argent et de hasard possédant des locaux physiques, tels que les casinos et les maisons de jeu, devraient veiller à pouvoir lier les mesures de vigilance qu'ils appliquent à l'égard de leur clientèle, si ces mesures sont mises en œuvre à l'entrée de leurs locaux, aux transactions effectuées par le client concerné dans les locaux en question. »64 Au regard des facteurs cumulés susceptibles d’accroitre le risque de blanchiment via les compétitions de jeux vidéo, le législateur pourrait envisager de soumettre les organisateurs desdites futures compétitions aux dispositions de la directive anti-blanchiment de 2015. Au 62 Article 42, I du projet de loi pour une République Numérique 63 Cette nouvelle directive modifie le règlement (UE) n° 648/2012 du Parlement européen et du Conseil et abroge la directive 2005/60/CE du Parlement européen et du Conseil et la directive 2006/70/CE de la Commission. 64 Paragraphe 21 de la directive précitée
  • 38. 37 Droit et Régulation du sport électronique – Antoine Bergeaud demeurant, il est également envisageable de façonner un régime ex-nihilo pour les organisateurs d’e-sport de telle sorte que le blanchiment soit contenu le mieux possible. En tout état de cause, on ne saurait feindre la menace de risque de blanchiment au vu des chiffres de croissance de l’e-sport et des revenus engendrés par la discipline. Plus le phénomène prendra de l’ampleur, plus les tentatives de blanchiment auront l’opportunité d’être noyées dans les flux financiers et plus il sera difficile de les combattre. Encore une fois, le choix d’une régulation pertinente et réaliste devra être une condition sine qua non de l’avènement de l’e-sport en France. 2.2 – La difficulté du contrôle de la sincérité des joueurs en compétition Outre le phénomène de blanchiment de grande ampleur qui sévit sur le secteur des jeux d’argent, la fraude en ce qu’elle incarne de plus triviale peut être amenée à déteindre sur le monde de l’e-sport au même titre qu’elle existe pour les jeux d’argent. Un parallèle peut clairement être établi entre le poker en ligne et les compétitions de jeux vidéo en ligne – s’agissant donc des phases de qualification. Le monde du poker a connu de nombreux scandales de tricherie ces dernières années impliquant des fraudes bancaires et du blanchiment65 . Mais nous porterons notre regard davantage sur les risques de collusion, qui peuvent tout à fait être transposés en matière de compétitions de jeux vidéo. La méthode de la collusion est rudimentaire : deux joueurs ou plus sont complices et communiquent par Skype durant les parties afin d’éliminer les adversaires, puis se partagent les gains. On pourrait objecter que le sport électronique, en ce qu’il n’opposerait que deux joueurs l’un contre l’autre lors des phases de qualifications en ligne, échappe à la collusion. En tant que fraude et qu’arnaque des autres participants à la table comme c’est le cas au poker, il est vrai que cela est peu probable pour le sport électronique. Toutefois, deux joueurs peuvent également être amenés à s’entendre sur le sort d’une confrontation dans l’unique but de blanchir l’argent. 65 En 2011, les fondateurs des trois plus gros sites de poker en ligne opérant aux Etats-Unis ont été inculpés de fraude bancaire et blanchiment d'argent pour avoir camouflé les revenus tirés des jeux d'argent sur internet.
  • 39. 38 Droit et Régulation du sport électronique – Antoine Bergeaud A tout le moins faut-il relativiser l’ampleur de ce risque. En effet, le projet de loi et l’article consacré aux compétitions de jeux vidéo précise que le sacrifice financier sera faible, si bien que les gains encaissés sur le fondement d’une collusion seraient marginaux. Mais le futur de l’e-sport, et la question des paris pour l’heure en suspens, laisse entrevoir de nombreuses opportunités de fraude ; les mêmes que pour les jeux d’argents en principe prohibés par le code de la sécurité intérieure. La sincérité des compétitions de jeux vidéo tient également au matériel support de celles-ci. Il est en ce point remarquable qu’aucune mention n’est faite dans le texte quant à l’égalité entre les joueurs qui s’affrontent lors des compétitions de sport électronique. Si en principe l’égalité quasi-parfaite peut être respectée et tenue lors des compétitions requérant la présence physique des joueurs, il peut s’avérer particulièrement délicat d’assurer ce principe pour les phases de qualifications en ligne. Or, ce que l’on peut dénommer comme du « dopage technologique »66 est susceptible de créer une insécurité manifeste pour les joueurs, et éventuellement nourrir les tribunaux en ce sens via l’accusation des organisateurs de compétitions de défaut de sécurité sur leur plateforme de jeux. Ainsi, la connexion internet, le matériel utilisé mais également l’éventualité de prise de produits dopants par les joueurs de sport électronique est éludée du texte de loi. Il est vraisemblablement trop tôt pour envisager que l’Agence Française de Lutte contre le Dopage (AFLD) ait un rôle à jouer en matière de compétitions de jeu vidéo compétitif. Toutefois, la mise en place d’un contrôle efficient parait tout à fait illusoire en l’état via les compétitions qui auront lieu par écrans interposés. Le dopage est un phénomène identifié ces dernières années, et en recrudescence dans le monde du poker en ligne. Les conclusions d'une étude de l'Université américaine de Nova Southeastern évoquent un taux ahurissant : 80% des joueurs de poker utiliseraient diverses substances dans le but d’améliorer leurs performances au jeu67 . Les fervents défenseurs d'une politique répressive face au dopage dans le poker se heurtent à d’insolubles difficultés. L’indétermination des produits dopants est la première embuche. Que penser du café, du tabac et de l'alcool consommés plus que de raison ? La mise en place de dépistages massifs parait 66 Le « dopage technologique » a pu notamment faire référence par le passé aux cyclistes qui concouraient avec un vélo équipé d’un moteur. 67 Source article de presse : Pokernews.com, Gwenn Riga,l Le dopage au Poker : 80% des joueurs y auraient recours, 2010
  • 40. 39 Droit et Régulation du sport électronique – Antoine Bergeaud illusoire dès lors la majorité des joueurs évoluent en ligne, en toute impunité vis-à-vis des contrôles. Ces dérives, si elles paraissent marginales et résiduelles, sont à prendre au sérieux, qui plus est au regard des facteurs qui s’entrecroisent dans le monde de l’e-sport. Tel que précédemment évoqué, les jeunes – public fragile et en proie aux excès – sont parmi les premiers concernés par les compétitions de sport électronique. La tentation de l’apat du gain, de l’argent facile pourrait conduire les adolescents au même titre que des adultes parfaitement informés des risques à consommer des substances – licites ou non mais dangereuses pour la santé – afin de voir leurs performances exploser. Un problème crucial mérite ici d’être identifié : le risque d’une rupture d’égalité, laquelle pourrait être imputable à l’organisateur des compétitions de jeux vidéo en ligne et par extension, au ministre qui se sera vu conférer l’agrément à l’organisateur malgré l’insuffisance des garanties « anti-triche », est lourde de conséquence. C’est sans compter que de telles pratiques de triche et de fraude sont susceptibles d’être déférées devant le juge administratif – au regard de l’agrément du ministre. Le ministre engagerait-il sa responsabilité sur le plan de la fraude qui sévirait sur les plateformes de compétitions de jeux vidéo dématérialisées ? Si oui, la définition d’une méthode de contrôle des obligations qui incomberont aux détenteurs de l’agrément par le ministre devra être discutée par le législateur. Enfin, faut-il que les organisateurs de compétitions de sport électronique montrent « patte blanche » et garantissent ainsi leur indépendance vis-à-vis des compétitions en elles-mêmes. En d’autres termes, il paraitrait illogique que les membres de l’organisation de compétitions de jeux vidéo soient eux-mêmes susceptibles de participer à ces compétitions. Si cette dimension parait couler de source, tel n’a pas été le cas pour le poker en ligne. D’après le journal Mediapart, l’ARJEL aurait ouvert une enquête en fin d’année 2012 sur les pratiques de Partouche Gaming France en identifiant que des comptes appartenaient à des membres de la direction du groupe68 . Or, la loi du 12 mai 2010 précise en son article 32 que : « I. ― Le propriétaire, les dirigeants, les mandataires sociaux et le personnel d'un opérateur de jeux ou de paris en ligne titulaire de l'agrément prévu à l'article 21 ne peuvent engager, à 68 Source : pokeracadémie.fr, Mediapart révèle une enquête de l'ARJEL sur le groupe Partouche, 19 Février 2013
  • 41. 40 Droit et Régulation du sport électronique – Antoine Bergeaud titre personnel, directement ou par personne interposée, des mises sur des jeux ou des paris proposés par cet opérateur. » Le législateur aurait intérêt à transposer cette disposition au secteur du sport électronique afin d’endiguer tout conflit d’intérêt et d’être en mesure de réprimer les comportements délictuels en ce sens. En l’occurrence, une telle disposition entrerait parfaitement dans le champ d’une régulation sensée et pertinente de la part de l’Etat et conduirait à une réduction des risques profitable à l’ensemble du secteur de l’e-sport. Chapitre 2 – Des structures pérennes et fiables pour chapeauter la pratique compétitive du sport électronique à définir Projeter la régulation du sport électronique revient à identifier l’ensemble des structures qui gravitent autour de la discipline désormais en passe d’être légalement reconnue. Faute d’être rattachée à la catégorie des jeux d’argent ou à la catégorie des sports traditionnels, le régime hybride du sport électronique ne suggère pas de régulateur dédié à proprement parlé. Toutefois, la délivrance d’un agrément aux structures chargées d’organiser les compétitions de jeux vidéo suppose nécessairement un contrôle, une supervision si ce n’est une tutelle. En ce sens, la question du « régulateur transversal » n’est pas tranchée, si bien qu’une autorité administrative indépendante – existante ou à venir – aussi bien que le ministre des sports, sont susceptibles de chapeauter l’e-sport (1). Mais si cette régulation s’apparente à un encadrement extérieur, les compétitions de jeux vidéo trouvent une source de régulation primordiale et naturelle dans leur organisation propre à l’initiative des éditeurs de jeux vidéo (2). Enfin, au regard de la portée retentissante des compétitions de jeux vidéo et de l’audience qu’elle provoque déjà, la question de la retransmission et de la diffusion des tournois ne saurait échapper durablement au Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA) en charge du contrôle des contenus télévisuels, radiophoniques et plus largement numériques (3). 1 – Une régulation de l’e-sport tiraillée entre plusieurs options Le panel des régulations envisageables pour le sport électronique est abordé par le rapport intermédiaire de Rudy Salles et Jérôme Durain69 . Ils considèrent que la création d’une 69 Précité
  • 42. 41 Droit et Régulation du sport électronique – Antoine Bergeaud commission spécialisée au sein du CNOSF serait bénéfique (1.1). Toutefois, ils semblent réfractaires à l’idée d’une régulation de l’ARJEL pour les phases de jeu en ligne (1.2). 1.1 – La création d’une commission spécialisée au sein du comité national olympique du sport français (CNOSF) Bien que l’e-sport, rappelons-le, ne soit pas à cent pour cent assimilable à une discipline sportive – c’est le vœu du législateur – la régulation de l’e-sport pourrait s’inspirer des structures de régulation du monde du sport. C’est en tout cas la proposition faite par la mission parlementaire sur l’e-sport. Considérant qu’aucune fédération naturelle ne saurait se dégager avec certitude et s’approprier la discipline du sport électronique à elle-seule, l’idée de s’inspirer du code du sport a émergé en faveur de la création d’une commission spécialisée constituée au sein du CNOSF. En définitive, cette proposition consacre l’élan des pouvoirs publics en faveur d’un rapprochement optimal avec le sport, dès lors que cela est envisageable. Il s’agit ici d’une régulation souple et peu contraignante ; on peut considérer qu’une telle structure fasse œuvre de passerelle entre les pouvoirs publics et le monde du sport lorsqu’aucune structure adéquate ne s’est imposée pour prendre ce rôle. Au surplus, cette proposition s’inscrit dans le cadre d’une approche comparative avec les modèles étrangers, voisins, qui n’hésitent pas à rapprocher autant que possible l’e-sport du sport. Mais est-ce vraiment de cette manière que l’on doit concevoir la régulation et ne serait-ce pas ici un glissement sémantique maladroit que de vouloir attribuer à une commission rattachée au CNOSF une mission de régulation ? A toutes fins utiles, précisons que la régulation « consiste, au premier sens du terme, à rendre régulier, à assurer le fonctionnement régulier, le bon fonctionnement »70 . Par ailleurs, la « fonction de régulation poursuit d'abord un objectif de contrôle du respect des libertés économiques afin que le marché puisse produire tous les effets que l'on attend, mais aussi, en second lieu, l'objectif de rétablir l'équilibre des pouvoirs 70 Th. Pez, « L’ordre public économique », Les Nouveaux Cahiers du Conseil constitutionnel 2015/4 (N° 49), p. 43-57.