Dans ce numéro d'EuraTech'Trends, focus sur ce nouveau phénomène de société qu'est l'E-sport. Des premiers balbutiements au début des années 70 à une industrie qui pèsera plus de 3 milliards d'euros à l'horizon 2020, retour sur l'histoire et les évolutions de cette discipline qui a vu son développement s’accélérer de façon exponentielle aussi bien sur le plan technologique que Business.
1. J
eu vidéo et compétition
ont depuis toujours entre-
tenu une relation étroite.
Dès 1972, Spacewar fai-
sait l’objet d’un tournoi entre
une douzaine de joueurs au
sein du laboratoire d’intelli-
gence artificielle de l’univer-
sité de Stanford. Difficile à
l’époque de parler de e-sport,
tant la compétition est locale et
spontanée, mais elle ouvrira la
porte à de nombreuses autres
par la suite, notamment le
Space Invaders Tournament en
1980 et ses 10 000 participants.
À l’époque, les jeux étaient
conçus pour des parties en solo
où seul le meilleur score dépar-
tageait le vainqueur. Même si
en 1983 l’U.S. National Video
Game Team est créé, il faudra
attendre les avancées techno-
logiques et la démocratisation
d’internet pour donner un véri-
table fondement à l’e-sport.
Le tournant
Dès 1993, des joueurs com-
mencent à s’affronter en
connexion par modem notam-
ment sur Netrek, qualifié par
Wired Magazine comme « the
first online sports game ». Le
niveau supérieur ne sera at-
teint qu’en 1997 avec Red Anni-
hilation qui réunit plus de 1900
joueurs à travers le monde et
offre à son vainqueur un lot
conséquent : la Ferrari 328 GTS
cabriolet du développeur de
Quake. Quelques mois après,
la première Cyberathlete Pro-
fessional League (CPL) voit le
jour sous l’impulsion de Angel
Munoz considéré comme le
père fondateur de l’e-sport. Les
joueurs sont désormais recon-
nus comme des athlètes et les
compétitions bénéficient de
moyens conséquents comme
le CPL World Tour de Painkil-
ler et son million de dollars de
récompense.
L’essor
L’e-sport connaît un essor sans
précédent avec la création
d’associations et d’événements
comme l’EVO (2002) pour les
jeux de combat, la Major League
Gaming (2002), première ligue
professionnelle dédiée aux jeux
ou encore l’Electronic Sports
World Cup (2003). Le phéno-
mène concerne les États-Unis
mais aussi la Corée du sud qui
bénéficie du plan d’équipe-
ment de technologies de com-
munication, notamment les «
PC-bang », des cybercafés qui
attirent toute la jeunesse du
pays. Pourtant en 2008, coup
de tonnerre dans le ciel bleu
de l’e-sport : la CPL et dans la
foulée l’ESCW annoncent la ces-
sation de toutes leurs activités
dans un contexte économique
morose qui pousse certains
sponsors, comme Intel ou AMD,
à retirer leurs billes.
La renaissance
Tributaire du sponsoring, l’e-
sport l’est aussi de la publi-
cité et la création de Twitch.tv
en 2011 marque l’avènement
du streaming, d’autant que
les avancées technologiques
permettent désormais une dif-
fusion mobile. Dès lors, les in-
vestisseurs affluent et attirent
avec eux de grands acteurs du
monde sportif comme le PSG,
Schalke 04, Manchester City ou
encore Galatasaray. En 2015, le
plus gros cashprize de l’histoire
de l’e-sport est atteint avec 17
millions de dollars distribués
lors de The International V.
D’un point de vue juridique,
les États-Unis reconnaissent en
2013 les joueurs professionnels
de League of Legends en tant
qu’athlètes professionnels et le
KOC (Korean Olympic Comitee)
classifie l’e-sport comme sport
olympique de niveau 2.
E
euratech trends
Janvier 2018 Numéro #12
L' E-Sport
Le 1er
tournoi de Spacewar en 1972 à Stanford
2. L
es derniers chiffres sur l’e-
sport publiés par Newzoo*1
donnent le vertige : 493 mil-
lions de dollars de revenus
en 2016 (droits TV, publicité,
sponsoring, merchandising, tic-
keting, Game Publisher…), une
prévision de 696 millions de
dollars pour 2017 et même 1,488
milliard de dollars dont 1,22 mil-
liard générés uniquement par
les droits TV, la publicité et le
sponsoring en 2020. L’audience,
elle, devrait passer de 385 mil-
lions en 2017 à 589 millions de
personnes en 2020.
La mondialisation
La croissance exponentielle de
l’e-sport est en partie due à la
mondialisation du secteur. Si
historiquement les États-Unis et
l’Asie de l’Est, avec la Chine et
la Corée du Sud en tête, repré-
sentent un terreau fertile à son
développement, l’Europe rat-
trape actuellement son retard.
Sur ce terrain, la France occupe
une très belle troisième position
derrière la Suède (49 millions
de dollars) et la Russie (40 mil-
lions de dollars) à hauteur de 23
millions de dollars générés en
2017 selon une récente étude
menée par SuperData pour Pay-
Pal. L’Hexagone doit son rang
à un fort engouement de ses
citoyens qui se qualifient pour
près du quart d’entre eux de
joueurs réguliers ou passionnés
(The Pawn, « Étude sur l’eSport
», octobre 2017).
Un cadre légal
Le gouvernement français a
d’ailleurs décidé de traiter le
sujet sérieusement en incluant
dans la Loi pour une République
Numérique une réflexion sur le
statut juridique des pratiquants
de e-sport. Les articles 95 à 102
légalisent les compétitions de
jeux vidéo organisées en pré-
sence physique des participants
et dotent les joueurs d’un sta-
tut social, en créant un CDD
spécifique, calqué sur celui des
sportifs professionnels. Dans le
sillage de la fédération interna-
tionale (International e-Sports
Federation*2
), un organisme
français*3
a même vu le jour en
avril 2016 et regroupe la plupart
des acteurs majeurs du sport
électronique (organisateurs de
tournois, médias spécialisés
et syndicats professionnels).
Son ambition est de définir un
encadrement légal aux compéti-
tions, de permettre aux joueurs
professionnels d’être reconnus
par un statut légal, d’encadrer
les diffusions télévisées et de
promouvoir l’e-sport sur le plan
national et international.
Métier : e-athlète
Connaissez -vous Bruce
«Spank» Grannec ? A 31 ans, ce
français est 4 fois champion du
monde de PES / FIFA et fait par-
tie du gotha de l’e-sport dans
lequel on le surnomme « Le
Lionel Messi Virtuel ». Le phéno-
mène n’est pas prêt de s’arrêter
puisque de nombreuses for-
mations se créent comme par
exemple la Paris Gaming School
qui offre une formation aux
métiers de l’e-sport à une tren-
taine d’élèves. Tous ne seront
pas des futurs e-athlètes mais
ambitionnent de devenir com-
mentateur, organisateur d’évé-
nements, analyste ou encore
coach.
L’appétit des grands
L’e-sport attire aussi de plus en
plus d’acteurs majeurs. Alibaba,
le géant chinois des ventes sur
internet a créé sa filiale sportive
en 2015. « Nous estimons que
d’ici cinq à dix ans, le modèle
économique sera plus complet.
Outre les compétitions, il faut
prendre en compte la consom-
mation liée aux sports électro-
niques et au merchandising »,
explique son directeur exécu-
tif, M. Dazhong. Comme lui, de
nombreux acteurs anticipent les
potentialités de marché de l’e-
sport, dont l’audience dépasse
déjà celles du baseball et du
football américain. Au Royaume-
Uni, Ginx TV a annoncé un accord
avec Sky et ITV pour créer la plus
grand chaine TV ESport du monde,
distribuée à 23 millions de télés-
pectateurs à travers le monde.
Des arènes dédiées sont éga-
lement construites comme la
toute récente Blizzard Arena
Los Angeles (octobre 2017).
Tous sont attirés par le 1,6 mil-
lion de téléspectateurs compo-
sés essentiellement par la très
convoitée cible des millennials :
selon une étude SuperData, les
18-34 ans représentent 62 % du
public.
Aujourd’hui
euratech trends #1202
*1
https://newzoo.com/insights/articles/esports-revenues-will-reach-696-million-in-2017/
http://iesf.rsportz.com
http://france-esports.org/site
*2
*3
3. Qui dit sport, dit Jeux olympiques.
Les intérêts semblent évidents :
d’un côté l’e-sport gagnerait ses
lettres de noblesse avec la recon-
naissance par cet événement pla-
nétaire incontournable, de l’autre
c’est une manière de toucher les
millenials tant recherchés par les
annonceurs. Ses 250 millions de
joueurs, soit beaucoup plus que
plusieurs fédérations sportives
déjà reconnues, accordent à l’e-
sport une légitimité. Une réflexion
a d’ailleurs été engagée par le
Comité International Olympique
(CIO) sur la présence potentielle
de l’e-sport aux Jeux olympiques
de 2024.
Les jeux ne sont
pas faits
Toutefois, cette initiative n’est pas
sans soulever certaines interro-
gations et provoquer quelques
grincements de dents : l’e-sport
ne remplit pas forcément tous les
critères d’éligibilité*4
car considéré
par certains comme de la publicité
déguisée pour des jeux privés ; les
règles devront être compatibles
dans tous les pays (en France les
jeux en ligne posent des questions
en matière de santé publique,
notamment concernant l’interdic-
tion des loteries et jeux d’argent) ;
certains jeux vidéo sont déconseil-
lés aux mineurs ; si pour les jeux
comme les simulations sportives
cela semble plus évident, d’autres
devront faire un travail d’épuration
de la violence (Overwatch, Shoot-
mania, etc.)…
La propriété
intellectuelle
Autre problématique : la pro-
priété intellectuelle. En France par
exemple, toute per-
sonne qui souhaite
organiser une com-
pétition à partir d’un
jeu vidéo ou même la
diffuser est soumise à
l’autorisation de son
éditeur. Comment dès
lors généraliser une
discipline qui reste tri-
butaire du droit privé ?
La qualification en tant
que sport à part en-
tière apporterait une
partie de la réponse
puisque selon l’article L.333-1 du
Code du Sport « Les fédérations
sportives, ainsi que les organisa-
teurs de manifestations sportives
[…] sont propriétaires du droit
d’exploitation des manifestations
ou compétitions sportives qu’ils
organisent ».
Sponsoring et
publicité
Le développement de l’e-sport
souffre encore de la fragmentation
du marché, où différents opéra-
teurs organisent plusieurs compé-
titions, et de la faible exploitation
des droits télévisés ainsi que de
ceux du merchandising. Selon une
étude du cabinet Nielsen Sports,
un amateur de sports électro-
niques rapporte à peine 3 euros
par an, alors que c’est dix fois plus
dans l’univers du football. D’où la
nécessité pour l’e-sport de s’ouvrir
à de nouveaux annonceurs, hors
de la simple sphère du gaming. Si
le pari est gagné, c’est une part de
gâteau de quelques 10,5 milliards
d’euros en 2030 à se partager avec
une croissance annuelle moyenne
sur la période de 37,6 %.
Les apports
technologiques
Et la technologie dans tout ça ? La
récente annonce de partenariat
entre Blizzard et Google Deep-
Mind (SC2LE, StarCraft 2 Learning
Environment) ou encore la victoire
d’OpenAI sur les meilleurs joueurs
de Dota 2 forcent le débat. Oppor-
tunités ou risques ? Si les formi-
dables avancées de l’intelligence
artificielle vont permettre à l’e-
sport de gagner en coaching, en
entraînement, en données acces-
sibles, elles posent des questions
quant à la triche possible et sur la
place de l’humain. Quand on sait
qu’en octobre 2017 Google Deep-
Mind a mis 3 jours pour apprendre
le jeu de Go et battre facilement la
machine qui avait réussi à vaincre
le meilleur champion humain, la
question mérite d’être posée…
euratech trends #12 03
Les enjeux
*4
https://fr.wikipedia.org/wiki/Sports_olympiques
4. euratech trends #1204
Interview
Aurélien Delespierre, Directeur
Marketing Communication et Bil-
letterie du LOSC.
Le LOSC a fait le choix de se
positionner dans le e-sport de-
puis plus d’un an, pourquoi ?
A. D. - Le club a été racheté en
janvier 2017 avec la volonté de
s’appuyer sur ce qui fonction-
nait déjà très bien, mais égale-
ment d’explorer des territoires
nouveaux. Nous avons estimé
que l’e-sport s’intégrait parfai-
tement dans notre projet par sa
dimension techno très forte mais
également pour l’engagement
de nouveaux publics. Nous nous
sommes donc positionnés sur le
jeu naturellement proche d’un
club de foot, FIFA. À partir du
moment où nous faisons le choix
d’intégrer l’e-sport, nous nous
devons d’avoir la même exigence
de compétitivité que celle que
nous mettons avec notre équipe
fanion.
Comment sont organisées les
compétitions entre les clubs
de football professionnel ?
A. D. - L’e-sport est un domaine
qui est en train de se structurer,
même si la pratique n’est pas si
nouvelle. Il y a encore beaucoup
de libertés, ce qui comporte des
inconvénients mais également
de nombreux avantages, avec
des compétitions qui ne sont
pas encore totalement chartées.
Il existe en effet une multiplicité
des acteurs, des éditeurs de jeux,
des éditeurs de consoles, des
organisateurs de compétitions, ce
qui n’est pas le cas dans le foot
terrain tel que nous le connais-
sons, avec des instances pyrami-
dales. Les enjeux pour l’e-sport
sont de se structurer progressi-
vement afin que la pratique per-
dure, que le modèle économique
soit viable et cela passe par le
fait de se donner un cadre, avec
des règles uniformisées. Par ail-
leurs, je pense que le fait que
des entreprises autres que des
clubs de foot s’investissent dans
l’e-sport va permettre l’arrivée de
moyens nouveaux, donc de plus
professionnaliser la discipline en
la pérennisant. Tous ces éléments
rendent l’engagement dans l’e-
sport passionnant, et je me suis
rendu compte qu’il y a beaucoup
plus de similitudes qu’on pourrait
le penser avec le sport profes-
sionnel.
Quel(s)modèle(s)économique(s)
pour l’e-sport dans le futur ?
A. D. - On peut imaginer que la
popularité grandissante de l’e-
sport intéressera de plus en plus
les diffuseurs, de plus en plus
généralistes. Canal+, Bein Sport
ont leurs propres programmes et
une chaine TV dédiée au e-sport
a même été créée récemment en
France. On peut imaginer demain
un modèle basé sur les droits télé,
un autre modèle basé sur le spon-
soring, le parallèle avec le foot
devient alors évident. Aujourd’hui
les marques sont de plus en plus
intéressées pour figurer dans l’e-
sport. On peut donc assurément
imaginer dans un futur proche
un modèle économique viable
pour l’e-sport. En témoignent les
tournois qui drainent de plus en
plus d’audience et de concurrents
toujours plus nombreux et perfor-
mants, à la recherche de récom-
penses financières toujours plus
conséquentes.
Propos recueillis par Samir Mo-
krani, chargé de communication
d’EuraTechnologies.
France
Directeur de publication :
Massimo Magnifico
Rédacteur en chef :
Patrick Bertolo
Journaliste :
Thibault Caudron
165 avenue de Bretagne 59000 Lille
03.20.19.18.55
contact@euratechnologies.com
Du 5 au 7 février 2018, Londres (Angleterre)
www.icetotallygaming.com/ice-vox
Du 23 au 24 février 2018, Boston (États-Unis)
www.sloansportsconference.com
ICE VOX
Du 12 au 14 février 2018, Cannes (France)
www.the-esports-bar.com/en/cannes.html
The 12th annual MIT Sloan Sports
Analytics Conference
Du 19 au 23 mars 2018, San Francisco (États-Unis)
www.gdconf.com
The Game Developers Conference
www.euratechnologies.com
Les 2 et 3 avril 2018, New-York (États-Unis)
http://xlivecon.com/esports/
Du 9 au 10 avril 2018, Berkeley (États-Unis)
http://vbevents.venturebeat.com/gbsummit2018
GamesBeat Summit 2018
XLIVE Esports SummitEsports BAR
Du 1er au 3 octobre 2018, Las Vegas (États-Unis)
www.esportsbizsummit.com
Esports Business Summit
AGENDA
Du 15 au 17 mars, Austin (États-Unis)
https://gaming.sxsw.com/
SXSW Gaming 2018