SlideShare une entreprise Scribd logo
1  sur  2
Télécharger pour lire hors ligne
Versailles Magazine I Avril 2012
Vous avez composé la BO du Voyage dans
la Lune, ce film muet réalisé par Georges
Méliès en 1902, restauré, colorisé et
présenté au Festival de Cannes pour le
150e
anniversaire de la naissance du
réalisateur. Comment s’est passée
cette collaboration posthume?
Cette commande, inattendue, devait être une
parenthèse dans notre travail en studio. Mais,
comme nous nous sommes trouvés un
patrimoine commun avec Méliès, nous y avons
répondu instinctivement et c’est devenu notre
album. Le côté colorisé, frais, pop, presque
psychédélique, nous a immédiatement inspiré.
Comment qualifiez-vous cet album?
Il est assez déroutant… notamment le premier
morceau… où il faut s’accrocher. Mais c’est
justement son côté informel, barré, étrange,
expérimental qui est intéressant.
Un endroit où il s’écoute le mieux?
Seul. Dans une voiture. Sur la route. Direction
Versailles… Il s’écoute très bien dans le parc
du château de Versailles par exemple.
Vous y revenez souvent?
Très souvent. Versailles, c’est le bout du
chemin. La fin de la route, comme si le monde
s’arrêtait au bout du parc. Il y a le parc, le génie
de Le Nôtre, son esprit fantomatique, et puis
plus rien…
Vous avez fait vos études au Lycée Jules
Ferry, vous avez monté votre premier groupe
Orange… Pourquoi ce nom? Depuis,
on vous l’a subtilisé…
Orange… c’est une couleur qui devait nous
rappeler les années 70. C’est notre côté
nostalgique. On a fait notre premier concert en
1988 au Centre Huit. Il y avait des groupes
comme Oui-Oui dont le batteur était Michel
Gondry. Ce ne sont que de très bons souvenirs.
Imaginiez-vous à ce moment-là que votre
succès serait planétaire?
Non, mais nous étions extrêmement motivés.
On ne se prenait pas au sérieux mais on était
consciencieux. On travaillait beaucoup. On se
fixait des objectifs. Nous pensions qu’on allait y
arriver. Ça ne pouvait pas être autrement.
Vous aviez confiance en vous?
Oui. C’est assez rare en France… mais oui, on
avait confiance en nous. Ici, quand un enfant veut
tenter quelque chose on le décourage; on lui dit
« attention! », ça va être très très difficile… On
manque de fun, de foi en l’avenir. C’est pour cela
que l’on aime les États-Unis. Là-bas, on dit au
AIR
«Versailles restera à jamais le creuset de l’électro»
Ils sont passés par Versailles. Ce sont les « Grands témoins ». Représentants des anciens
Versaillais, ou auteurs, créateurs dont Versailles a été source d’inspiration, ils nous
racontent leur histoire mais aussi les souvenirs de leur passage dans la ville.
©wendybevan
L'histoire de Air débute dans
les années 1980 au lycée Jules-
Ferry de Versailles, où étudient
ses deux leaders, Jean-Benoît
Dunckel et Nicolas Godin et leur
camarade, le DJ Alex Gopher.
Dix ans et une Victoire de
la musique plus tard, Air
est devenu un groupe emblé-
matique de l’électro française.
Air travaillera également avec un
groupe aux origines communes,
Phoenix, avec le DJ également
versaillais Etienne de Crécy et
formera notamment avec lui
et les Daft Punk un courant de
musique électronique qualifié
de « French touch » par la
presse anglo-saxonne et
reconnu dans le monde entier.
Après avoir composé la musique
des trois films de Sofia Coppola,
Air s’est attaqué récemment à la
version restaurée du mythique
Voyage dans la lune de Georges
Méliès présenté au festival de
Cannes l’année dernière.
PourLeVoyagedanslaLune,Airaexplorél’universducinémamuet.
©wendybevan
30 GRAND TÉMOIN
Avril 2012 I Versailles Magazine
contraire aux enfants de tenter leur chance et
surtout de beaucoup, beaucoup travailler.
Vous aviez donc conscience de votre talent?
On ne croit pas aux artistes maudits. Si l’on a du
talent, il est reconnu un jour ou l’autre. Il faut
juste être là au bon moment et savoir s’inscrire
dans le désir du public.
À quel moment avez-vous trouvé réellement
votre public?
Dans notre cas, nous ne l’avons pas « trouvé »
mais nous l’avons créé. Il est né en même
temps que notre musique.
La French Touch, dont vous êtes l’un
des groupes leaders, existe-t-elle encore?
La French Touch c’est en fait plusieurs groupes,
plusieurs artistes qui n’ont aucun point
commun si ce n’est la mélancolie. Chacun de
ces groupes exploite le filon de l’enfance.
Chaque album est comme un petit péché
mignon qui nous permet de remonter la source
de nos premières émotions en les réactualisant
à chaque fois.
C’est ce que vous avez fait avec le Voyage
dans la Lune?
L’œuvre de Méliès, et en particulier celle-ci,
fait partie de l’inconscient collectif. Nous nous
sommes sentis proche de son côté « touche à
tout », de l’esprit « fait main » qui caractérise
le film. Mais nous nous sommes volontaire-
ment éloignés du burlesque et de l’ambiance
« piano bastringue » qui accompagnait la
diffusion des films muets de l’époque.
Comment fait-on d’une œuvre centenaire,
une expérience avant-gardiste, étrange et
sidérante? Comme Méliès vous avez un petit
côté prestidigitateurs…
Nous sommes des artistes et comme tout
artiste, nous avons des vies magiques. Dans le
cadre de ce film muet, les sons remplacent les
mots. Et nous avons « inventé » toutes sortes
de sons. Mais contrairement à un travail de BO
« classique » qui consiste à choisir un thème et
à l’illustrer sur toute la longueur du film, il a
fallu ici traduire à chaque fois des univers et
des atmosphères différentes.
Avec quels instruments avez-vous choisi de
travailler pour traduire l’ambiance étrange
et minérale qui rythme le film?
Tous les instruments de ce studio ont été
utilisés. (Des dizaines… Une jungle d’instru-
ments. NDLR). Nous avons beaucoup utilisé les
timbales pour illustrer le côté Vulcain, la roche,
les cratères… C’est notre côté Haroun Tazieff!
Vous connaissez un succès gigantesque aux
États-Unis, en Asie… En France, la critique a
été moins spontanée, moins enthousiaste.
Comment le vivez-vous?
Nous faisons partie des ces talents français qui
s’exportent… comme certains grands chefs
cuisiniers par exemple. C’est comme ça. Cela
ne nous dérange pas. Il y a pas mal de choses
que nous n’aimons pas; alors, nous n’allons
certainement pas reprocher à d’autres de ne
pas aimer notre musique!
Quels rapports entretenez-vous avec la
musique. Est-ce le même qu’à vos débuts
à Versailles?
C’est un rapport obsessionnel. Même lorsqu’on
ne travaille pas, la musique travaille en nous.
Aujourd’hui, notre plus grand challenge est de
parvenir à nous renouveler, à avancer, à nous
laisser avancer… Ce n’est pas toujours simple
lorsque l’on est un groupe.
Comment ça va entre vous?
On se croirait chez le psy… Nous avons deux
personnalités complémentaires; ce qui n’exclut
pas parfois certaines tensions… mais nous
parvenons à les transformer en énergie
créatrice et positive.
Vous regrettez le Paris créatif et débridé du
début du XXe
siècle… Vous voyagez
beaucoup. Pouvez-vous nous dire quelle
place culturelle tiennent Paris et la France
dans le monde aujourd’hui?
La France possède encore un savoir-faire
artistique prononcé et reconnu partout dans le
monde. Mais notre pays, et en particulier Paris,
devient le musée du monde. C’est dommage.
Versailles? Ils nous imaginent encore en
crinoline… Et pourtant Versailles restera à
jamais le creuset de l’électro… I
GRAND TÉMOIN 31
LesAlbumsdugroupesontmondialementconnus.LaBOduVoyagedanslalune,composéeparAir.Airaégalementcollaboréà denombreusesbandesoriginalesdefilmsdontMarieAntoinettedeSofiaCoppola.
Legroupesurscènele29juin2007,àVersailles.

Contenu connexe

En vedette

Microprocesador
MicroprocesadorMicroprocesador
MicroprocesadorKiara Sak
 
ventajas y desventajas de la licenciatura en Consultoría Jurídica frente a la...
ventajas y desventajas de la licenciatura en Consultoría Jurídica frente a la...ventajas y desventajas de la licenciatura en Consultoría Jurídica frente a la...
ventajas y desventajas de la licenciatura en Consultoría Jurídica frente a la...Edche195
 
La datación de los evangelios p. jesús maría mestre
La datación de los evangelios   p. jesús maría mestreLa datación de los evangelios   p. jesús maría mestre
La datación de los evangelios p. jesús maría mestreEduardoSebGut
 
Escribir para web
Escribir para webEscribir para web
Escribir para webDevaBM
 
El apagon analogico
El apagon analogicoEl apagon analogico
El apagon analogicocompany7
 
Quainton Memorial Hall Showcase 2015 presentation
Quainton Memorial Hall Showcase 2015 presentationQuainton Memorial Hall Showcase 2015 presentation
Quainton Memorial Hall Showcase 2015 presentationtc128
 
Unidad 3: Seguridad informatica
Unidad 3: Seguridad informaticaUnidad 3: Seguridad informatica
Unidad 3: Seguridad informaticaTheNexuss
 
100 Diapositivas
100 Diapositivas100 Diapositivas
100 DiapositivasMartii15
 

En vedette (14)

Gestio a02
Gestio a02Gestio a02
Gestio a02
 
Microprocesador
MicroprocesadorMicroprocesador
Microprocesador
 
ventajas y desventajas de la licenciatura en Consultoría Jurídica frente a la...
ventajas y desventajas de la licenciatura en Consultoría Jurídica frente a la...ventajas y desventajas de la licenciatura en Consultoría Jurídica frente a la...
ventajas y desventajas de la licenciatura en Consultoría Jurídica frente a la...
 
Trabajo pdf m
Trabajo pdf mTrabajo pdf m
Trabajo pdf m
 
ITW Jean d'O.
 ITW Jean d'O. ITW Jean d'O.
ITW Jean d'O.
 
Mis vacaciones
Mis vacacionesMis vacaciones
Mis vacaciones
 
La datación de los evangelios p. jesús maría mestre
La datación de los evangelios   p. jesús maría mestreLa datación de los evangelios   p. jesús maría mestre
La datación de los evangelios p. jesús maría mestre
 
Diapositivas
DiapositivasDiapositivas
Diapositivas
 
ITW Natalie Dessay
ITW Natalie DessayITW Natalie Dessay
ITW Natalie Dessay
 
Escribir para web
Escribir para webEscribir para web
Escribir para web
 
El apagon analogico
El apagon analogicoEl apagon analogico
El apagon analogico
 
Quainton Memorial Hall Showcase 2015 presentation
Quainton Memorial Hall Showcase 2015 presentationQuainton Memorial Hall Showcase 2015 presentation
Quainton Memorial Hall Showcase 2015 presentation
 
Unidad 3: Seguridad informatica
Unidad 3: Seguridad informaticaUnidad 3: Seguridad informatica
Unidad 3: Seguridad informatica
 
100 Diapositivas
100 Diapositivas100 Diapositivas
100 Diapositivas
 

Similaire à ITW Grand Témoin - AIR.

Campus mag etudiant avril 2015
Campus mag etudiant avril 2015Campus mag etudiant avril 2015
Campus mag etudiant avril 2015Laetitia Naon
 
2-7ème Concours Régional Multimédia de Lublin. Gim.2 Zamość-Klaudia Kowalska,...
2-7ème Concours Régional Multimédia de Lublin. Gim.2 Zamość-Klaudia Kowalska,...2-7ème Concours Régional Multimédia de Lublin. Gim.2 Zamość-Klaudia Kowalska,...
2-7ème Concours Régional Multimédia de Lublin. Gim.2 Zamość-Klaudia Kowalska,...profeurope
 
Nø Førmat!, le label bien nommé
Nø Førmat!, le label bien nommé Nø Førmat!, le label bien nommé
Nø Førmat!, le label bien nommé Ktoure
 
Dossier presse j a v 2011 26.09
Dossier presse j a v 2011 26.09Dossier presse j a v 2011 26.09
Dossier presse j a v 2011 26.09jackzic
 
Sortileges & Carafons
Sortileges & CarafonsSortileges & Carafons
Sortileges & CarafonsJerome Piva
 
Raphaël Pichon: chef absolu.
Raphaël Pichon: chef absolu. Raphaël Pichon: chef absolu.
Raphaël Pichon: chef absolu. AstridRenoult
 
Revue Bruire
Revue BruireRevue Bruire
Revue Bruireolivier
 
Interview icone
Interview iconeInterview icone
Interview iconeperditaens
 
Doc Pres Compil
Doc Pres CompilDoc Pres Compil
Doc Pres Compillalouline
 
Programme Festival Rockomotives 2019
Programme Festival Rockomotives 2019Programme Festival Rockomotives 2019
Programme Festival Rockomotives 2019VictorFiguresLibres
 
пісня, як засіб
пісня, як засібпісня, як засіб
пісня, як засібfreedom_Z
 
Gazette n°3 Jeudi 15 Octobre 2015
Gazette n°3 Jeudi 15 Octobre 2015Gazette n°3 Jeudi 15 Octobre 2015
Gazette n°3 Jeudi 15 Octobre 2015InfocomLeRoche
 

Similaire à ITW Grand Témoin - AIR. (20)

Françoise Hardy
Françoise HardyFrançoise Hardy
Françoise Hardy
 
Lcf13 complet
Lcf13 completLcf13 complet
Lcf13 complet
 
Campus mag etudiant avril 2015
Campus mag etudiant avril 2015Campus mag etudiant avril 2015
Campus mag etudiant avril 2015
 
2-7ème Concours Régional Multimédia de Lublin. Gim.2 Zamość-Klaudia Kowalska,...
2-7ème Concours Régional Multimédia de Lublin. Gim.2 Zamość-Klaudia Kowalska,...2-7ème Concours Régional Multimédia de Lublin. Gim.2 Zamość-Klaudia Kowalska,...
2-7ème Concours Régional Multimédia de Lublin. Gim.2 Zamość-Klaudia Kowalska,...
 
Du trait au caractere
Du trait au caractereDu trait au caractere
Du trait au caractere
 
Le vent
Le ventLe vent
Le vent
 
Page 5 bd
Page 5 bdPage 5 bd
Page 5 bd
 
Page 4 bd
Page 4 bdPage 4 bd
Page 4 bd
 
Nø Førmat!, le label bien nommé
Nø Førmat!, le label bien nommé Nø Førmat!, le label bien nommé
Nø Førmat!, le label bien nommé
 
Dossier presse j a v 2011 26.09
Dossier presse j a v 2011 26.09Dossier presse j a v 2011 26.09
Dossier presse j a v 2011 26.09
 
Sortileges & Carafons
Sortileges & CarafonsSortileges & Carafons
Sortileges & Carafons
 
Raphaël Pichon: chef absolu.
Raphaël Pichon: chef absolu. Raphaël Pichon: chef absolu.
Raphaël Pichon: chef absolu.
 
Revue Bruire
Revue BruireRevue Bruire
Revue Bruire
 
Campusmag Mars 2016
Campusmag Mars 2016Campusmag Mars 2016
Campusmag Mars 2016
 
Interview icone
Interview iconeInterview icone
Interview icone
 
Doc Pres Compil
Doc Pres CompilDoc Pres Compil
Doc Pres Compil
 
Programme Festival Rockomotives 2019
Programme Festival Rockomotives 2019Programme Festival Rockomotives 2019
Programme Festival Rockomotives 2019
 
пісня, як засіб
пісня, як засібпісня, як засіб
пісня, як засіб
 
Jofroi
JofroiJofroi
Jofroi
 
Gazette n°3 Jeudi 15 Octobre 2015
Gazette n°3 Jeudi 15 Octobre 2015Gazette n°3 Jeudi 15 Octobre 2015
Gazette n°3 Jeudi 15 Octobre 2015
 

ITW Grand Témoin - AIR.

  • 1. Versailles Magazine I Avril 2012 Vous avez composé la BO du Voyage dans la Lune, ce film muet réalisé par Georges Méliès en 1902, restauré, colorisé et présenté au Festival de Cannes pour le 150e anniversaire de la naissance du réalisateur. Comment s’est passée cette collaboration posthume? Cette commande, inattendue, devait être une parenthèse dans notre travail en studio. Mais, comme nous nous sommes trouvés un patrimoine commun avec Méliès, nous y avons répondu instinctivement et c’est devenu notre album. Le côté colorisé, frais, pop, presque psychédélique, nous a immédiatement inspiré. Comment qualifiez-vous cet album? Il est assez déroutant… notamment le premier morceau… où il faut s’accrocher. Mais c’est justement son côté informel, barré, étrange, expérimental qui est intéressant. Un endroit où il s’écoute le mieux? Seul. Dans une voiture. Sur la route. Direction Versailles… Il s’écoute très bien dans le parc du château de Versailles par exemple. Vous y revenez souvent? Très souvent. Versailles, c’est le bout du chemin. La fin de la route, comme si le monde s’arrêtait au bout du parc. Il y a le parc, le génie de Le Nôtre, son esprit fantomatique, et puis plus rien… Vous avez fait vos études au Lycée Jules Ferry, vous avez monté votre premier groupe Orange… Pourquoi ce nom? Depuis, on vous l’a subtilisé… Orange… c’est une couleur qui devait nous rappeler les années 70. C’est notre côté nostalgique. On a fait notre premier concert en 1988 au Centre Huit. Il y avait des groupes comme Oui-Oui dont le batteur était Michel Gondry. Ce ne sont que de très bons souvenirs. Imaginiez-vous à ce moment-là que votre succès serait planétaire? Non, mais nous étions extrêmement motivés. On ne se prenait pas au sérieux mais on était consciencieux. On travaillait beaucoup. On se fixait des objectifs. Nous pensions qu’on allait y arriver. Ça ne pouvait pas être autrement. Vous aviez confiance en vous? Oui. C’est assez rare en France… mais oui, on avait confiance en nous. Ici, quand un enfant veut tenter quelque chose on le décourage; on lui dit « attention! », ça va être très très difficile… On manque de fun, de foi en l’avenir. C’est pour cela que l’on aime les États-Unis. Là-bas, on dit au AIR «Versailles restera à jamais le creuset de l’électro» Ils sont passés par Versailles. Ce sont les « Grands témoins ». Représentants des anciens Versaillais, ou auteurs, créateurs dont Versailles a été source d’inspiration, ils nous racontent leur histoire mais aussi les souvenirs de leur passage dans la ville. ©wendybevan L'histoire de Air débute dans les années 1980 au lycée Jules- Ferry de Versailles, où étudient ses deux leaders, Jean-Benoît Dunckel et Nicolas Godin et leur camarade, le DJ Alex Gopher. Dix ans et une Victoire de la musique plus tard, Air est devenu un groupe emblé- matique de l’électro française. Air travaillera également avec un groupe aux origines communes, Phoenix, avec le DJ également versaillais Etienne de Crécy et formera notamment avec lui et les Daft Punk un courant de musique électronique qualifié de « French touch » par la presse anglo-saxonne et reconnu dans le monde entier. Après avoir composé la musique des trois films de Sofia Coppola, Air s’est attaqué récemment à la version restaurée du mythique Voyage dans la lune de Georges Méliès présenté au festival de Cannes l’année dernière. PourLeVoyagedanslaLune,Airaexplorél’universducinémamuet. ©wendybevan 30 GRAND TÉMOIN
  • 2. Avril 2012 I Versailles Magazine contraire aux enfants de tenter leur chance et surtout de beaucoup, beaucoup travailler. Vous aviez donc conscience de votre talent? On ne croit pas aux artistes maudits. Si l’on a du talent, il est reconnu un jour ou l’autre. Il faut juste être là au bon moment et savoir s’inscrire dans le désir du public. À quel moment avez-vous trouvé réellement votre public? Dans notre cas, nous ne l’avons pas « trouvé » mais nous l’avons créé. Il est né en même temps que notre musique. La French Touch, dont vous êtes l’un des groupes leaders, existe-t-elle encore? La French Touch c’est en fait plusieurs groupes, plusieurs artistes qui n’ont aucun point commun si ce n’est la mélancolie. Chacun de ces groupes exploite le filon de l’enfance. Chaque album est comme un petit péché mignon qui nous permet de remonter la source de nos premières émotions en les réactualisant à chaque fois. C’est ce que vous avez fait avec le Voyage dans la Lune? L’œuvre de Méliès, et en particulier celle-ci, fait partie de l’inconscient collectif. Nous nous sommes sentis proche de son côté « touche à tout », de l’esprit « fait main » qui caractérise le film. Mais nous nous sommes volontaire- ment éloignés du burlesque et de l’ambiance « piano bastringue » qui accompagnait la diffusion des films muets de l’époque. Comment fait-on d’une œuvre centenaire, une expérience avant-gardiste, étrange et sidérante? Comme Méliès vous avez un petit côté prestidigitateurs… Nous sommes des artistes et comme tout artiste, nous avons des vies magiques. Dans le cadre de ce film muet, les sons remplacent les mots. Et nous avons « inventé » toutes sortes de sons. Mais contrairement à un travail de BO « classique » qui consiste à choisir un thème et à l’illustrer sur toute la longueur du film, il a fallu ici traduire à chaque fois des univers et des atmosphères différentes. Avec quels instruments avez-vous choisi de travailler pour traduire l’ambiance étrange et minérale qui rythme le film? Tous les instruments de ce studio ont été utilisés. (Des dizaines… Une jungle d’instru- ments. NDLR). Nous avons beaucoup utilisé les timbales pour illustrer le côté Vulcain, la roche, les cratères… C’est notre côté Haroun Tazieff! Vous connaissez un succès gigantesque aux États-Unis, en Asie… En France, la critique a été moins spontanée, moins enthousiaste. Comment le vivez-vous? Nous faisons partie des ces talents français qui s’exportent… comme certains grands chefs cuisiniers par exemple. C’est comme ça. Cela ne nous dérange pas. Il y a pas mal de choses que nous n’aimons pas; alors, nous n’allons certainement pas reprocher à d’autres de ne pas aimer notre musique! Quels rapports entretenez-vous avec la musique. Est-ce le même qu’à vos débuts à Versailles? C’est un rapport obsessionnel. Même lorsqu’on ne travaille pas, la musique travaille en nous. Aujourd’hui, notre plus grand challenge est de parvenir à nous renouveler, à avancer, à nous laisser avancer… Ce n’est pas toujours simple lorsque l’on est un groupe. Comment ça va entre vous? On se croirait chez le psy… Nous avons deux personnalités complémentaires; ce qui n’exclut pas parfois certaines tensions… mais nous parvenons à les transformer en énergie créatrice et positive. Vous regrettez le Paris créatif et débridé du début du XXe siècle… Vous voyagez beaucoup. Pouvez-vous nous dire quelle place culturelle tiennent Paris et la France dans le monde aujourd’hui? La France possède encore un savoir-faire artistique prononcé et reconnu partout dans le monde. Mais notre pays, et en particulier Paris, devient le musée du monde. C’est dommage. Versailles? Ils nous imaginent encore en crinoline… Et pourtant Versailles restera à jamais le creuset de l’électro… I GRAND TÉMOIN 31 LesAlbumsdugroupesontmondialementconnus.LaBOduVoyagedanslalune,composéeparAir.Airaégalementcollaboréà denombreusesbandesoriginalesdefilmsdontMarieAntoinettedeSofiaCoppola. Legroupesurscènele29juin2007,àVersailles.