Contenu connexe
Similaire à Raphaël Pichon: chef absolu. (20)
Plus de AstridRenoult (6)
Raphaël Pichon: chef absolu.
- 1. 22 Versailles Magazine mars 2015
grand témoin
RaphaëlPichon:chefabsolu
Le jeune chef d’orchestre formé à Versailles, directeuretfondateurdel’ensemblePygmalion,a
reçuuneVictoiredelaMusiquelemoisdernier.Ilincarne,parsajeunesseetsacréativité,unemodernité
fondéesurl’excellenceetlarecherche.Sadémarche,avanttoutartistique,estaussiuneaventurecollective
ethumaine.Portéparsacuriosité,ilexploreleszonesd’ombred’unemusiqueclassiquequ’ilemmèneet
représenteavecgrâcepartoutdanslemonde.Avantsonconcertles5et6 maiàl’OpéraRoyal,ilrevient
surl’originedesavocationetsespremièresémotionsmusicalesàVersailles.
Votre ensemble, Pygmalion a reçu
en février dernier une Victoire de la
Musique pour son enregistrement de la
Köthener Trauermusik BMW 244a de J.S
Bach (Harmonia Mundi), qu’avez-vous
ressenti en recevant cette distinction ?
Une grande grande fierté. C’est un
immensehonneurpournous,d’au-
tant plus que nous ne nous y atten-
dions pas. Ce disque a été un projet
exigeant et ambitieux ; il s’agissait
de faire revivre une œuvre perdue
de Bach et d’en offrir notre lecture
au public. Si les Victoires de la Mu-
sique peuvent parfois privilégier
des œuvres ou des interprétations
« abordables » par le plus grand
nombre, elles ont fait ici le choix
de récompenser un travail de re-
cherche ; c’est une grande satisfac-
tionpournousetunimmensebon-
heur que la jeunesse et l’exigence
soient ainsi récompensées. À titre
personnel,cettesoiréeaétémapre-
mièreexpériencedesVictoiresdela
Musique, qui est un exercice à part
dans la vie et la carrière d’un musi-
cien.S’exprimerendirect,seretrou-
ver au milieu de tant de gens que
l’onadmire…Cefutuneréelleexpé-
rience !
Vous avez fondé Pygmalion lorsque
vous aviez 21 ans ; vous avez donné
votre 1er
concert à Notre-Dame
de Versailles en 2006. Quelle est
la vocation de cet ensemble ?
Depuis huit ans, nous avons beau-
coup travaillé, incarné de nom-
breux élans, partagé des tournées,
des voyages, des rencontres… Pyg-
malion reste une aventure entre-
preneurialeethumaine.D’unpoint
devuepurementmusical,notredé-
marche s’inscrit à la suite de deux
générations de musiciens qui nous
ont précédés et qui ont fait revivre
unpanimportantdupatrimoinede
lamusiquebaroque.Nousnousins-
crivons dans cet héritage, tout en
privilégiant les nombreuses zones
d’ombrequidemeurent.
Quels retours avez-vous du public
en concert, en tournées, partout dans
le monde ?
Nous recevons de nombreux té-
moignagespositifsdegensquisont
touchés par cette musique, qui ne
connaissaient pas telle ou telle
œuvre ;autantdenouveauxambas-
sadeurs qui illustrent une grande
curiositédupublic.Nousaimonsai-
guisercettecuriosité ;c’estnotrevo-
cation.Lecœurdenotredémarche.
Le répertoire de Pygmalion, à l’origine
très tourné vers le Baroque et la musique
sacrée évolue sans cesse. Vers quoi
vous tournez-vous aujourd’hui ?
Beaucoup de nouvelles aventures
nous attendent, la première étant
l’opéra ; et c’est dans ce cadre que
nousseronsàVersaillesenmaiavec
Dardanus, mis en scène par Michel
Fau. Dardanus est un incroyable di-
vertissement,unetragédielyriqueà
la française, riche, exaltante, boule-
versante.Jevousinviteàvenirladé-
couvrir en mai prochain à l’Opéra
RoyaldeVersailles.
Au Festival d’Aix, à l’Opéra d’Amsterdam
et maintenant en tournée partout dans
le monde, vous dirigez un spectacle
hybride (musique et théâtre) entière-
ment créé à partir de cantates de Bach ;
expliquez-nous comment Trauernacht
contribue à moderniser Bach et son
propos.
Il a fallu d’abord que nous accep-
tions de prendre une liberté totale
par rapport aux œuvres du com-
positeur en les démembrant pour
redonner naissance à un propos
nouveau, certes, mais totalement
inspiré par les thématiques chères
à Bach. Nous avons modestement
tenté, en associant la musique à
une mise en scène magnifique de
Katie Mitchell, de ne jamais renier
cette musique mais au contraire de
lui offrir une possibilité nouvelle
et inouïe de s’exprimer sous un
nouveau jour. Trauernacht est un
spectacle qui propose à chacun de
constater combien la musique de
J’aime travailler
en groupe.
Je suis passionné
par les
phénomènes
sonores créés
à plusieurs,
j’aime cette
alchimie concrète
et magique.
C’est cela qui
me nourrit.
©Jean-BaptisteMillot
- 2. Versailles Magazine mars 2015 23
montrer que ces « grandes » mu-
siques peuvent nourrir tout un
chacun si on a la chance de pou-
voirl’entendreetladécouvrir.Nous
musiciens, d’autant plus jeunes
musiciens, sommes les meilleurs
témoins pour faire savoir que la
musique peut transformer une vie,
que c’est un art curieux des autres
arts, qu’elle est un éternel dialogue,
un langage universel qui porte des
valeursuniverselles.
De quoi se nourrissent vos rêves
aujourd’hui ?
Ilssontnombreux !L’unseraitderé-
unir musique et la mer… Un projet
fabuleuxetunpeufousedessine !
Quelle place tient Versailles
dans votre vie ?
Une place à part, évidemment. Je
n’y ai que de beaux souvenirs et
maintenantquejem’ensuisextrait,
je vois parfois à quel point cette
ville peut souffrir de préjugés. Oui
Versailles est une ville privilégiée
par sa beauté, son patrimoine hors
du commun, ce parc du Château
qui nous a tous servi de terrain de
jeu !MaisVersaillesn’estpasqu’une
ville de privilégiés. J’espère au
contraire tenir de cette ville une fa-
culté, une aptitude à m’ouvrir aux
rencontres, aux personnes, aux ho-
rizons différents. Pygmalion est un
ensemble qui réunit des artistes de
12nationalitésdifférentes.Cetteai-
sancequenousavonsàbien« vivre
ensemble », cette curiosité de
l’autre,jecroisqueVersaillespeutet
doitl’inculquer !
grand témoin
Bach peut s’épanouir pleinement
dans des situations de notre quoti-
dien, dans nos vies de mortels, en
perpétuelquestionnement.
Vous bénéficiez déjà d’une légende
personnelle, reprise par tous ceux
qui vous présentent ; vous êtes un
« prodige », vous êtes ce jeune chef
qui a su « désobéir », dépasser les
contraintes imposées pour créer son
propre cheminement… Comment
vivez-vous ce succès ?
Ce métier est dans son essence in-
timement paradoxal : il s’impose à
vous tel un besoin profond, mais il
est un perpétuel questionnement,
parsemé de doutes. C’est cela qui le
rend si fantastique. Lorsque, ado-
lescent,j’aichantépourlapremière
fois sous la direction de Jean-Fran-
çois Frémont avec les Petits Chan-
teursdeVersailles,cebesoindemu-
siques’estimposéàmoi.Parlasuite,
créer mon propre ensemble m’est
apparunécessaire,carmonrapport
àlamusiqueatoujoursétécollectif.
J’aime travailler en groupe. Je suis
passionné par les phénomènes so-
nores créés à plusieurs, j’aime cette
alchimieconcrèteetmagique.C’est
celaquimenourrit.
Vous êtes chef d’orchestre et chef
d’entreprise. Quelle part tient cette
deuxième fonction dans votre emploi
du temps ?
L’entreprenariat est au cœur de ce
métier de créateur d’ensemble. Au
début, il a fallu que je passe beau-
coup de temps à gérer l’adminis-
tratif, à chercher des partenaires
et des sponsors ; maintenant, j’ai la
chance d’être entouré d’une équipe
formidablement compétente. Ma
vie est rythmée par l’étude de par-
titions mais il faut aussi penser les
programmes, penser les projets, re-
cruter les musiciens. Ce manage-
mentdeshommes,nos« ressources
humaines » à nous, sont primor-
diales dans ce métier. Nous vivons
ensemble, des hauts et des bas, des
joies et des peines. C’est un métier
richeetcomplet.
Placez-vous le travail au cœur
de la réussite ?
Oui, mais le travail n’est rien s’il ne
se nourrit pas d’une curiosité in-
finie. Nous cherchons sans cesse,
aussi bien sur la forme que sur
le fond, le contenu. Nous vivons
une époque compliquée pour la
culture. Dans beaucoup de villes
ou de régions, on perçoit que les
politiques se désolidarisent de la
musique classique, perçue comme
trop élitiste ou exclusive. Il en est
aujourd’hui de notre devoir de dé-
montrer le contraire et de tenter de
donner des clés d’entrée concrètes
àunpublicquisedoitd’êtredeplus
en plus large. Nous nous devons de
L’ensemble Pygmalion.
Dardanus de
Jean-Philippe Rameau.
Tragédie lyrique en 5 actes.
Opéra Royal de Versailles.
Les 5 et 6 mai à 20 h.
©ÉtienneGautier
©BertrandPichene
Je suis là pour
faire savoir
que la
musique peut
transformer
une vie.