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Année universitaire 2018/2019
Master 2 mention Droit des affaires,
parcours-type Juriste d’entreprise
MEMOIRE
La responsabilité des dirigeants sociaux :
étude de droit comparé
aux Etats-Unis et en France
Présenté par Barbara MIEL
Sous la direction de Monsieur Olivier STAES,
Maître de conférences
Numéro d’étudiant : 21809506
2
L’Université n’entend ni approuver, ni désapprouver les opinions particulières émises
dans ce mémoire.
Ces opinions sont considérées comme propres à leur auteur.
3
Remerciements
Je tiens à remercier chaleureusement :
Monsieur Olivier STAES, mon directeur de mémoire, pour ses précieux conseils et avis ;
L’ensemble de l’équipe pédagogique, pour la qualité des enseignements dispensés dans
le cadre de cette formation ;
Madame Saliha NAJLAOUI, qui s’est montrée réactive et disponible tout au long de
l’année pour répondre à mes interrogations ;
Le service de Formation Ouverte et à Distance de l’Université Toulouse 1 Capitole qui,
en accueillant favorablement ma candidature, m’a donné cette formidable opportunité
d’intégrer un Master 2 dans un domaine qui m’est cher, tout en poursuivant mon activité
professionnelle ;
Maître Jean-Marie GILLES, mon employeur, qui n’a cessé de m’encourager dans ma
reprise d’études universitaires, et qui me témoigne sa confiance au quotidien ;
Mon conjoint, pour sa bienveillance, sa patience et son soutien indéfectible tout au long
de cette formation, sans lesquels ce mémoire n’aurait pu aboutir.
4
INTRODUCTION
Considérés comme l’incarnation même du libéralisme économique, les Etats-Unis
représentent un terreau propice au développement de nombreuses entreprises. De par
leurs fonctions, les dirigeants à la tête de ces sociétés (qui, pour bon nombre d’entre elles,
ont une envergure internationale) exposent quotidiennement leur responsabilité
personnelle. Il est indispensable que cette responsabilité réponde à un équilibre entre la
nécessité, d’une part, de confier aux dirigeants une certaine latitude dans la gestion de
leur entreprise et, d’autre part, d’assurer la préservation des intérêts des actionnaires1
.
L’on pourrait penser que, sous couvert d’encourager la création et l’essor des entreprises
sur leur territoire, les Etats-Unis tendent à adopter une législation quelque peu indulgente
à l’égard des dirigeants sociaux. En réalité, force est de constater que le cadre juridique
régissant cette matière s’est renforcé au cours des deux dernières décennies, notamment
en alourdissant les obligations des dirigeants. Les scandales nés au début des années 2000,
en particulier l’affaire Enron2
, ne sont pas étrangers à cette évolution, au demeurant saluée
par une large partie de la doctrine pour laquelle il s’agit là d’ « une nécessité pour la
crédibilité des marchés (…) pour la morale et pour le droit »3
.
Selon le système juridique du Common law, les règles relatives à la responsabilité des
dirigeants aux Etats-Unis évoluent – tout comme l’ensemble des branches du droit
américain – au gré de la jurisprudence. Cette évolution s’inscrit dans un contexte
économique mondial qui se complexifie, à tel point que le « white-collar crime », pratique
phare de nombreux cabinets d’avocats anglo-saxons, s’est considérablement développée
en France au cours des dernières années.
Dans ce contexte, il serait intéressant de mesurer le degré d’influence en France de la
législation américaine sur la responsabilité des dirigeants sociaux. Cette problématique
constitue l’objet de la présente étude, dont le périmètre se limitera à la responsabilité des
dirigeants des sociétés commerciales.
Dans cette perspective, une première partie sera consacrée au cadre législatif et aux rôles
confiés aux dirigeants aux Etats-Unis et en France.
La seconde partie exposera les devoirs incombant aux dirigeants ainsi que les agissements
engageant leur responsabilité, tant civile que pénale.
Enfin, la troisième partie abordera les alternatives aux sanctions judiciaires prévues par
chacun des deux systèmes juridiques.
1
Golding G., “Tightening the screws on directors: care, delegation and reliance”, UNSW Law Journal,
Vol. 35, p. 266-290, 2012
2
La société gazière Enron était, jusqu’à sa faillite en 2001, l’une des plus grandes entreprises américaines
par sa capitalisation boursière. Sa faillite est le fruit de nombreuses opérations spéculatives qui avaient
dissimulées à travers des manipulations comptables frauduleuses, validées par un cabinet d’audit
3
Lucas F-X., « La responsabilité des dirigeants d’entreprise », Revue Lamy Droit civil, n° 1, 1er
janvier
2004
5
PARTIE I : CADRE LEGISLATIF
ET ROLES DES DIRIGEANTS
Avant d’envisager la nature des devoirs qui leur incombent, il importe de définir la notion
de « dirigeants » (Chapitre 1). Le cadre législatif, tant français qu’américain, sera ensuite
abordé (Chapitre 2). Enfin, sera exposé le rôle du dirigeant au sein de chaque système
juridique étudié (Chapitre 3).
CHAPITRE 1 : La définition du dirigeant
Le terme générique de « dirigeant » recouvre en réalité une variété d’acteurs au sein de
l’entreprise. La notion américaine sera tout d’abord abordée (I) pour être ensuite
comparée à la conception française (II).
I) La notion de dirigeant aux Etats-Unis
Les dirigeants des sociétés américaines se scindent en deux catégories : d’une part, les
officers et, d’autre part, les directors.
 Officers
Le terme officers désigne les dirigeants en charge de la gestion quotidienne de la société
et qui doivent rendre compte de leurs actes aux administrateurs (« directors »). Les
missions qui leurs sont confiées sont prévues et détaillées dans les statuts. De manière
générale, les officers sont investis d’un pouvoir de représentation envers les tiers et
peuvent ainsi contracter au nom de la société.
Cette catégorie recouvre :
o le Président (« Chief Executive Officer » ou « CEO ») ;
o le Directeur général (« Chief operating officer » ou « COO ») ;
o le Directeur financier (« Chief financial officer » ou « CFO ») ;
o le Secrétaire.
 Directors
Là encore, la notion n’est pas précisément définie par les textes légaux. Cependant, la
définition généralement retenue par la jurisprudence et les auteurs est la suivante :
“A director is the head of an organization, either elected or appointed, who generally
has certain powers and duties relating to management or administration”4
.
Il ressort de cette définition – au demeurant relativement large – que le director est investi
de certains pouvoirs et devoirs dans le cadre de la gestion et l’administration de la société.
4
West’s Encyclopedia of American Law, edition 2, The Gale Group, 2008
6
Le director est membre du Board of directors – généralement traduit par « Conseil
d’administration ». Il s’agit d’un organe unique composé d’administrateurs qui peuvent
ou non assurer une fonction de direction5
.
A cet égard, une distinction est opérée entre les inside directors et les outside directors6
.
L’inside director, en sus de son mandat d’administrateur, détient le titre de directeur ou
possède des parts/actions de la société. Les principaux inside directors sont le CEO, le
directeur général, le directeur financier et les représentants des actionnaires. L’outside
director – ou non-executive director – n’a aucun lien de subordination envers l’entreprise
et n’est pas un représentant des actionnaires. Il ne participe pas à la gestion de la société.
La jurisprudence américaine admet qu’une personne physique, sans être dirigeant de droit
(« de jure director ») puisse néanmoins être dirigeant de fait (« de facto director »). Le
dirigeant est qualifié « de fait » dès lors qu’il contrôle effectivement la direction de la
société et qu’il exerce les fonctions de dirigeant, en se prévalant d’avoir été élu ou désigné
pour ce faire. Le dirigeant de fait est tenu aux mêmes devoirs fiduciaires7
que le dirigeant
de droit8
.
II) La notion de dirigeant en France
Tout comme aux Etats-Unis, la notion de dirigeant n’est pas légalement définie en France.
Dès lors, sa définition trouve sa source dans la jurisprudence ainsi que la doctrine, pour
lesquelles un dirigeant d’une société commerciale est un mandataire social, c’est-à-dire
qu’il représente la société dans tous les actes de la vie courante de l’entreprise. Il s’agit
ainsi du représentant légal de la société.
Il est constant, au regard des textes régissant le droit des sociétés, que :
 dans les sociétés à responsabilité limitée (ci-après désignées « SARL »), seuls les
gérants sont qualifiés de dirigeants ;
 dans les sociétés anonymes (ci-après désignées « SA ») de type moniste, les
dirigeants recouvrent les membres du Conseil d’administration ainsi que le
Directeur général, outre le/les Directeur(s) général(aux) délégué(s) ;
 dans les SA de type dualiste, les dirigeants sont les membres du Directoire. Quant
aux membres du Conseil de surveillance, ils exercent uniquement une mission de
contrôle des organes de la direction de la société. En conséquence, ils ne sont pas
considérés comme dirigeants de l’entreprise. A cet égard, les textes précisent
expressément qu’ « ils n’encourent aucune responsabilité en raison des actes de
la gestion et de leur résultat »9
;
5
Principes de gouvernance d’entreprise du G20 et de l’OCDE, Editions OCDE, Paris, 2017
6
Dahya J., McConnell JJ., “Outside directors and corporate board decisions”, Journal of corporate finance,
2005
7
Sur la notion de « devoirs fiduciaires », cf. page 29
8
South Seas Corp. v. Sablan, 525 F. Supp. 1033, District Court of Northern Mariana Islands, 21 octobre
1981
9
Article L225-257 du Code de commerce
7
 dans les sociétés par actions simplifiée (ci-après désignées « SAS »), la question
se pose de savoir lesquels parmi ses membres, outre le Président et les éventuels
directeurs généraux et/ou les directeurs généraux délégués, doivent être qualifiés
de dirigeants. Sur ce point, d’aucuns considèrent que « l’une des plus sérieuses
difficultés suscitées par le régime de la SAS vient de ce que le législateur ne se
préoccupe nullement de définir le terme générique de « dirigeant » pourtant
employé à plusieurs reprises »10
. Face à cet écueil, il importe d’apprécier la notion
de dirigeant in concreto, en fonction de la nature des missions confiées
statutairement aux administrateurs11
. Sur cette base, les Juges du fond considèrent
que les personnes disposant d’un pouvoir de gérer la SAS doivent être qualifiées
de dirigeants, et ce, peu important qu’elles soient membres d’un organe de
surveillance12
.
Une distinction classique en droit français est celle opérée entre le dirigeant de fait et le
dirigeant de droit. La qualification de dirigeant de fait s’impose en présence de « faits
précis de nature à caractériser une immixtion dans la gestion se traduisant par une
activité positive et indépendante, par le pouvoir d’engager la personne morale ou encore
une activité positive de direction en toute indépendance. Cette gestion de fait peut être
caractérisée même si elle ne concerne qu’une partie de la gestion de la personne morale.
Elle ne doit cependant pas se résumer à des faits limités ou isolés »13
.
Cette définition résulte de la jurisprudence de la Cour de cassation, laquelle qualifie de
dirigeants de fait « les personnes tant physiques que morales qui, dépourvues de mandat
social, se sont immiscées dans la gestion, l’administration ou la direction d’une société,
celles qui, en toute souveraineté ou indépendance ont exercé une activité positive de
gestion et de direction »14
et « sous couvert ou au lieu et place [des] représentants légaux
[de cette société] »15
.
La Haute juridiction dégage ainsi trois conditions pour qualifier une personne de dirigeant
de fait :
 l’intéressé doit avoir agi en toute indépendance ;
 il doit avoir réalisé des actes positifs ;
 ces actes doivent être des actes de direction, de gestion ou d’administration.
La qualification est réalisée par une appréciation in concreto ainsi que par la vérification
de la réunion d’un faisceau d’indices concordants16
.
En tout état de cause, la notion de dirigeant de fait en France diffère significativement de
la qualification américaine, en ce qu’il n’est pas nécessaire que l’intéressé se soit prévalu
d’une prétendue élection ou désignation.
10
Godon L., La Société par Actions Simplifiée, L.G.D.J., 2014
11
Varachas L., « Les « administrateurs » de sociétés par actions simplifiées », Journal spécial des sociétés,
n° 153, p. 23 à 26, juin 2017
12
CA Paris, Pôle 5 – Chambre 9, n° 13/03892, 20 juin 2013
13
Tricot D., « Les critères de la gestion de fait », Droit et patrimoine, p. 24, janvier 1996
14
Cass. crim., 19 mai 1999, n° 98-81105
15
Cass. soc., 25 janvier 1994, n° 90-41913
16
Cass. com., 20 avril 2017, n° 15-10425
8
CHAPITRE 2 : L’évolution du cadre législatif
Les Etats-Unis et la France étant tous deux membres de l’Organisation de coopération et
de développement économiques (OCDE), leur cadre législatif respectif en matière de
responsabilité des dirigeants est largement influencé par les Principes de gouvernance
d’entreprise, publiés pour la première fois en 199917
. Bien que n’ayant aucun pouvoir
contraignant, ces principes se présentent comme « la référence au niveau international
pour les responsables de l’action publique, les investisseurs, les sociétés et les autres
parties prenantes ». Ils ont pour objet « d’aider les responsables de l’action publique à
évaluer et améliorer le cadre juridique, réglementaire et institutionnel, organisant la
gouvernance d’entreprise afin de favoriser l’efficience économique, une croissance
durable et la stabilité financière ».
Les Principes de gouvernance d’entreprise demeurent une source parmi d’autres de la
législation encadrant la responsabilité des dirigeants. De toute évidence, le législateur tant
américain que français a adapté et nuancé quelque peu ces principes de façon à se
conformer aux spécificités politiques et culturelles propres à chacun des deux Etats. Dès
lors, il convient d’étudier l’évolution de cette législation, d’une part aux Etats-Unis (I) et,
d’autre part, en France (II).
I) L’évolution de la législation relative à la responsabilité des dirigeants aux
Etats-Unis
Comme pour l’ensemble des branches du droit américain, la responsabilité des dirigeants
ne fait pas l’objet d’un cadre législatif uniforme. Dès lors, seront uniquement étudiés
ci-après les principaux textes en vigueur.
Tout d’abord, parmi les cinquante Etats, une large partie est soumise au Model Business
Act (MBCA) (a).
En outre, de nombreuses sociétés choisissent de s’enregistrer dans l’Etat du Delaware en
raison des multiples atouts que sa législation présente (b).
Enfin, les entreprises cotées en bourse sont régies par la loi fédérale et soumises au
contrôle de la Securities and Exchange Commission (SEC) (c).
a- Le Model Business Corporation Act (“MBCA”)
Ce texte est né en 1950, sous l’égide de l’American Bar Association. Il s’agit d’un
ensemble de règles standard applicables au droit des sociétés, dépourvu de valeur
contraignante au niveau national. Néanmoins, trente-deux Etats ainsi que le District de
Columbia ont choisi de ratifier ce texte en tout ou partie18
. En tout état de cause, ce texte
a influencé très largement le droit des sociétés aux Etats-Unis et est régulièrement cité en
tant que référence par les tribunaux, les avocats et les auteurs19
.
17
Principes de gouvernance d’entreprise du G20 et de l’OCDE, Editions OCDE, Paris, 2017
18
Ces Etats sont les suivants : Alabama, Arizona, Arkansas, Colorado, Caroline du Nord, Caroline du Sud,
Connecticut, Dakota du Sud, Floride, Géorgie, Hawaï, Idaho, Indiana, Iowa, Kentucky, Louisiane, Maine,
Massachussetts, Mississippi, Montana, Nebraska, New Hampshire, Nouveau Mexique, Oregon, Rhode
Island, Tennessee, Utah, Vermont, Virginie, Washington, Wisconsin, Wyoming
19
“Model Business Corporation Act (2016) Launches”, ABA Publishing, 2017 /
https://businesslawtoday.org/2017/01/model-business-corporation-act-2016-revision-launches/
9
Ce texte a été révisé à plusieurs reprises, la dernière version datant de 2016
(ANNEXE A). Cette nouvelle mouture est le fruit d’une importante refonte visant à
éliminer certaines incohérences et moderniser des dispositions devenues obsolètes depuis
la révision de 1984.
Pris en sa dernière version, les principaux apports du MBCA sont les suivants :
 simplification des dispositions relatives au capital social :
o suppression des notions de « stated capital » (capital déclaré), « par value »
(valeur nominale des actions), « treasury shares » (actions rachetées). Les
auteurs ont reconnu que ces concepts, dont la vocation première était de
protéger les créanciers, ne remplissaient plus leur rôle ;
o les actions peuvent être constituées par tout bénéfice tangible ou intangible
de la société ;
o suppression de la distinction entre les différents types d’actions.
 modernisation des dispositions relatives aux « distributions », c’est-à-dire tout
transfert d’argent ou de propriété au bénéfice d’un actionnaire (section 6.40) :
L’entreprise qui entend réaliser ces distributions doit préalablement procéder à un
« insolvency test » et un « balance sheet tests » (tests de solvabilité). Il s’agit de
vérifier que l’actif de l’entreprise est supérieur ou égal au passif et au « liquidation
preferences on senior equity », sorte de droit de préférence accordé à certains
actionnaires qui se verront rémunérer en priorité.
 distinction entre le code de bonne conduite des dirigeants et le régime de
responsabilité :
o le code de bonne conduite des dirigeants (section 8.30) porte
essentiellement sur la manière dont les dirigeants agissent et prennent leurs
décisions. Cette section insiste sur le devoir de bonne foi du dirigeant et
sur la croyance du dirigeant d’agir dans le meilleur intérêt de l’entreprise.
o s’agissant du régime de responsabilité des dirigeants (section 8.31), le
MBCA pose le principe selon lequel, de manière générale, un dirigeant
n’engage pas sa responsabilité personnelle en cas de décision imprudente
ou non-conforme aux règles de bonne conduite énoncées à la section 8.30.
Néanmoins, sa responsabilité peut être retenue en cas de faute dans
l’exécution ou d’absence d’exécution de ses obligations.
10
 clauses élusives / limitatives de responsabilité ou des devoirs des dirigeants
(section 2.02) :
Il est possible d’insérer dans les statuts :
o une clause élusive ou limitative de responsabilité à l’égard de
l’administrateur qui, par son action ou inaction, causerait un préjudice à la
société, exception faite des cas où cet administrateur :
 reçoit un avantage pécuniaire auquel il ne peut pas légalement
prétendre ;
 cause intentionnellement un dommage à l’égard de la société ou des
actionnaires ;
 consent à distribuer des sommes aux actionnaires qui excèdent le
plafond autorisé ;
 viole intentionnellement une loi pénale.
o une clause supprimant ou limitant un devoir du dirigeant. Cependant, une
telle clause doit être approuvée par le Conseil d’administration.
 nouvelle approche sur les transactions conclues par les dirigeants et
impliquant des conflits d’intérêts (section 8.60) :
Cette section porte sur les transactions conclues entre un dirigeant et la société,
celle-ci étant considérée comme une partie à part entière.
Il peut s’agir notamment :
o d’un prêt consenti par la société à l’un de ses dirigeants ou à une entité
dans laquelle l’un de ses dirigeants détient un intérêt financier ;
o d’une garantie consentie par la société d’une obligation incombant à l’un
de ses dirigeants ou incombant à une entité dans laquelle l’un de ses
dirigeants détient un intérêt financier ;
o de toute convention conclue entre la société et l’un de ses dirigeants ou à
une entité dans laquelle l’un de ses dirigeants détient un intérêt financier.
De telles transactions ne peuvent pas être remises judiciairement en cause si elles
ont été approuvées par les autres dirigeants (« qualified directors ») ainsi que par
les actionnaires dépourvus d’intérêt. Il s’agit en quelque sorte d’un équivalent des
conventions réglementées en France. Ces transactions étant alors approuvées, le
dirigeant concerné ne peut faire l’objet d’aucune sanction, y compris pécuniaire.
Elles restent néanmoins susceptibles d’être contestées en justice sur d’autres
fondements que celui tenant au conflit d’intérêts.
11
 nouvelle règle d’exonération sur les opportunités d’affaires (« business
opportunities safe harbor ») (section 8.70)
Les auteurs américains s’accordent à dire que, s’agissant de certaines opportunités
d’affaires, la société bénéficie d’un droit prioritaire sur celui de ses dirigeants. En
principe, dans le cas où un dirigeant s’arroge un droit prioritaire sur une telle
opportunité sans avoir préalablement présentée cette dernière à la société, il risque
d’être poursuivi pour avoir usurpé ou intercepté ce droit au détriment de la société,
et s’expose à des dommages-intérêts. Il s’agit de la règle des opportunités
d’affaires (« corporate opportunity doctrine »).
Néanmoins, le MBCA admet la possibilité de déroger statutairement à cette règle
en stipulant que dans le cas où un dirigeant tire profit, directement ou
indirectement, d’une opportunité d’affaires, cette situation ne peut donner lieu à
des sanctions, y compris pécuniaires, au motif que la société aurait dû bénéficier
de ce profit en priorité. Cette dérogation statutaire doit être approuvée par le
Conseil d’administration.
b- Le droit des sociétés du Delaware (« the Delaware General Corporation Law »)
La Delaware General Corporation Law (« DGCL ») est insérée au Titre 8, Chapitre 1 du
Code du Delaware (ANNEXE B). Adoptée le 10 mars 1899, elle jouit d’un véritable
succès en raison de sa flexibilité. Comptant plus d’un million de sociétés, le Delaware se
targue d’être l’Etat favori de domiciliation des entreprises américaines et internationales.
Sur ce point, force est de constater que plus de 66 % des entreprises classées au Fortune
50020
y sont domiciliées21
.
Ce régime juridique est particulièrement plébiscité par les sociétés cotées en bourse. En
effet, en vertu de la règle des affaires internes (« internal affairs doctrine »), les sociétés
exerçant leur activité dans plusieurs Etats sont exclusivement régies par le droit applicable
au sein de l’Etat dans lequel elles sont immatriculées22
. Cette règle permet aux sociétés
immatriculées dans l’Etat du Delaware de bénéficier non seulement d’une législation
avantageuse et flexible, mais également d’une uniformisation des règles applicables à son
activité sur l’ensemble du territoire américain. Il en résulte que si une procédure est
engagée à l’encontre d’une société immatriculée dans l’Etat du Delaware devant une
juridiction d’un autre Etat, cette juridiction devra appliquer le droit du Delaware, et ce,
même si la société en défense n’y exerce aucune activité et s’est contentée de s’y
immatriculer.
20
Le Fortune 500 est le classement annuel des 500 premières entreprises américaines, classées selon
l’importance de leur chiffre d’affaires.
21
Site internet de l’Agence pour les entreprises du Delaware (« Delaware Division of Corporations ») :
https://corp.delaware.gov/aboutagency/
22
Usa Ibp Usa, Us Company Laws And Regulations Handbook, Volume 2 Delaware Corporation,
International Business Publications, 2009
12
Cet avantage considérable est d’autant plus apprécié que l’Etat du Delaware ne prélève
aucun impôt sur les sociétés pour les entreprises immatriculées dans cet Etat et n’y
exerçant aucune activité. Cela étant, dans un tel cas de figure, ces sociétés demeurent
redevables d’une taxe annuelle qualifiée de « franchise tax », dont l’ensemble des
entreprises immatriculées dans l’Etat du Delaware sont redevables.
Par ailleurs, le droit du Delaware a ceci d’avantageux qu’elle n’exige aucunement des
dirigeants ou actionnaires de la société qu’ils soient domiciliés dans cet Etat. En outre,
une société peut être dirigée par une personne unique, tandis que d’autres Etats exigent
un minimum de trois dirigeants23
.
Le succès du droit du Delaware est tel qu’il fait office de modèle à part entière dans
d’autres Etats24
, lesquels s’inspirent de principes essentiels tels que celui de la Business
judgment rule25
. Il s’agit d’une présomption simple selon laquelle les dirigeants agissent
de bonne foi, avec diligence et en toute loyauté.
Le droit du Delaware a donné lieu à une abondante jurisprudence rendue notamment par
la Court of Chancery. La particularité de cette juridiction réside dans le fait qu’elle soit
dépourvue de jury, les décisions étant exclusivement rendues par le Chancelier ou l’un
des quatre Vice-Chanceliers. La Court of Chancery est compétente pour trancher les
litiges relatifs aux principes d’équité (« equity »).
Au sein du système du Common law, l’équité recouvre un ensemble de principes
généraux qui ont été progressivement dégagés par la jurisprudence, tels que26
:
 L’équité suit le droit (« Equity follows the law »)
L’équité doit être conforme au droit et ne doit pas remettre en cause les règles
établies par le common law ; elle peut uniquement les compléter.
 L’équité s’intéresse davantage à l’intention qu’à la forme (« Equity looks at the
intent rather than the form »)
L’équité doit vérifier en premier lieu l’intention des parties et le fond plutôt que
la forme. En d’autres termes, dans l’hypothèse où les règles de forme
n’auraient pas été respectées, un accord peut néanmoins être validé s’il ne
subsiste aucun doute quant à l’intention des parties.
23
Exemples : les Etats de Californie, Maine, Maryland, New York, Utah
USA Ibp Usa, Us Company Laws and Regulations Handbook, International Business Publication, 2012
24
Sirikanchana S. and Zand S., "The Manner in Which Corporate Law and Financial Regulations Are
Made", Comparative Corporate Governance and Financial Regulation, Paper 6, 2016
25
Cf. page 32
26
Levenstein M., « Maxims of Equity: A Juridical Critique of the Ethics of Chancery Law », Algora
Publishing, page 95, 2014
13
 L’équité ne laissera pas un dommage privé de réparation (« Equity will not
suffer a wrong to be without a remedy »)
Une décision rendue en équité ordonnera la réparation intégrale du préjudice
causé.
 L’équité aide les personnes diligentes et non pas négligentes (« Equity aids the
vigilant and not the indolent »)
Une partie ne peut se prévaloir du principe d’équité s’il a lui-même tardé à
faire valoir ses propres droits.
 Celui qui recherche l’équité doit lui-même agir avec équité (« He who seeks
equity must do equity »)
Une partie n’est pas recevable à rechercher la réparation de son préjudice si
elle ne s’est pas elle-même comportée de manière équitable envers l’autre
partie.
L’équité se distingue du droit pur en ce qu’il ne tend pas à la réparation pécuniaire du
préjudice subi mais à une réparation en nature, telle qu’une injonction de faire
(« specific performance ») ou de ne pas faire (« injunction »).
Distincts à l’origine, les systèmes de common law et d’equity ont été fusionnés aux
Etats-Unis en 193827
. Les juridicions d’equity ont alors rejoint celles du Common law,
excepté dans les Etats du Delaware, du Mississippi et du Tennessee, où elles ont été
conservées.
Les décisions rendues par la Court of Chancery peuvent faire l’objet d’un recours devant
la Delaware Supreme Court. Il s’agit de la juridiction la plus haute de l’Etat où siègent
cinq juges, nommés par le Gouverneur pour un mandat de douze ans.
Quelques exemples de décisions (« opinions ») remarquées rendues par les juridictions
de l’Etat du Delaware relatives à la responsabilité des dirigeants sont exposés ci-après :
 Caremark International Inc. Derivative Litigation, 199628
A travers cette décision, la Court of Chancery a défini pour la première fois le devoir de
surveillance (« oversight duty ») incombant aux dirigeants (ANNEXE C).
Dans cette affaire, des employés de la société Caremark étaient accusés d’avoir commis
des infractions pénales, entraînant le paiement d’amendes à hauteur de 250 millions de
dollars. Les actionnaires de la société ont intenté une action judiciaire à l’encontre des
dirigeants pour manquement à leur devoir fiduciaire d’avoir à contrôler les affaires de la
société. Les actionnaires et dirigeants sont finalement parvenus à un accord, qu’il
convenait de faire homologuer judiciairement.
27
Les Federal Rules of Civil Procedure sont entrées en vigueur le 16 septembre 1938
28
Caremark International Inc. Derivative Litigation, 698 A.2d 959, Civil action n° 13670 (Del. Ch. Sept.
25, 1996)
14
La Court of Chancery a retenu que :
« Directors have “a duty to attempt in good faith to assure that a corporate
information and reporting system, which the board concludes is adequate, exists…”
[However], only a sustained or systematic failure of the board to exercise
oversight – such as an utter failure to attempt to assure a reasonable information
and reporting system exists – will establish the lack of good faith that is a necessary
condition to liability. Such a test of liability – lack of good faith as evidenced by
sustained or systematic failure of a director to exercise reasonable oversight – is
quite high. »
Pour la Court of Chancery, les dirigeants sont ainsi tenus d’une obligation de bonne foi
de mettre en place un système efficace d’information et de surveillance de la société. La
Cour subordonne la responsabilité des dirigeants pour manquement à leur obligation de
surveillance à trois conditions cumulatives :
o les dirigeants avaient / auraient dû avoir connaissance des actes illicites qui se
déroulaient au sein de la société ;
o ils n’ont pris aucune mesure pour empêcher ou remédier de bonne foi à cette
situation ;
o ce manquement est la cause directe des pertes alléguées par les demandeurs.
L’accord conclu entre les actionnaires et les dirigeants a été validé. Cette décision est
historique dans le droit du Delaware, à tel point que toute action désormais intentée par
des actionnaires à l’encontre de dirigeants pour une prétendue violation de leur obligation
de bonne foi est qualifiée d’« action Caremark ».
 Stone v. Ritter, 200629
:
Dans cette affaire, des actionnaires de la société AmSouth Bancorporation, société
immatriculée dans l’Etat du Delaware, ont intenté une action à l’encontre de quinze de
ses dirigeants. Les demandeurs faisaient grief à ces derniers d’avoir fait supporter à la
société des amendes et pénalités à hauteur de 50 millions de dollars dans le cadre de la
violation par certains employés des règles inhérentes au secret bancaire et à la lutte contre
le blanchiment d’argent. Les actionnaires faisaient valoir que les dirigeants avaient fait
preuve d’un manquement à leur obligation de surveillance.
29
Stone v. Ritter, et al., WL 3169168 (Del. Nov. 6, 2006)
15
La Cour suprême n’a pas accueilli cette argumentation et a confirmé la décision de la
Court of Chancery, laquelle avait jugé que :
« the plaintiffs did not plead the existence of “red flags” – “facts showing that the
board ever was aware that AmSouth’s internal controls were inadequate, that
these inadequacies would result in illegal activities, and that the board chose to do
nothing about problems it allegedly knew existed” ».
La Cour suprême a considéré :
« In the absence of red flags, good faith in the context of oversight must be
measured by the directors’ actions “to assure a reasonable information and
reporting system exists” and not by second-guessing after the occurrence of
employee conduct that resulted in an unintended adverse outcome ».
En d’autres termes, en l’espèce, les demandeurs se sont contentés de critiquer après-coup
(« second-guessing ») l’inaction des dirigeants, sans pour autant démontrer que ces
derniers avaient expressément été alertés sur le caractère inadéquat des contrôles internes
et que ces inadéquations pouvaient déboucher sur des activités illégales. Ils n’ont pas
davantage établi que les dirigeants avaient preuve de mauvaise foi, condition pourtant
essentielle pour voir retenir la responsabilité des dirigeants. Dès lors, les actionnaires ont
été déboutés de leurs demandes (ANNEXE D).
c- Les entreprises cotées en bourse : SEC et droit fédéral
La Securities and Exchange Commission (ci-après désignée « la SEC ») est un organisme
gouvernemental qui a été institué en 193430
. Sa mission est de trois ordres : d’une part,
protéger les investisseurs, d’autre part, garantir un fonctionnement juste, ordonné et
efficace des marchés et, enfin, faciliter la formation du capital31
. Basée à Washington DC,
cette autorité est composée de cinq divisions, chacune d’elles étant dirigée par un
commissionnaire32
:
 Corporation Finance : elle s’assure que les investisseurs disposent
d’informations suffisantes pour prendre leurs décisions de manière éclairée. Elle
est également chargée d’accompagner les sociétés dans l’interprétation de la
réglementation. Enfin, elle formule des recommandations à la SEC sur
l’opportunité d’établir de nouvelles règles et d’amender des textes existants.
30
Securities Exchange Act, Public Law 73-291, promulguée le 6 juin 1934
31
Site internet de l’Office of Investor Education and Advocacy (OIEA), dont la mission consiste à fournir
des services et outils pour traiter des problématiques rencontrées par les investisseurs :
https://www.investor.gov/introduction-investing/basics/role-sec
32
Site internet de la SEC : https://www.sec.gov/divisions.shtml
16
 Investment management : elle surveille les sociétés d’investissements à capital
variable et les fonds communs de placement.
 Enforcement : cette division mène des enquêtes dans le cadre d’éventuelles
violations de lois fédérales sur les valeurs mobilières et engage des actions civiles
devant les juridictions fédérales.
 Trading and Market : elle élabore des normes visant à garantir un fonctionnement
juste, ordonné et efficace des marchés financiers.
 Economic and Risk Analysis : elle est en charge de l’analyse approfondie des
données économiques et statistiques, afin de dégager les problématiques,
tendances et innovations touchant les marchés financiers.
Tout comme l’AMF en France33
, la SEC dispose d’un pouvoir réglementaire et d’un
pouvoir de sanction.
***
La loi fédérale Sarbanes-Oxley34
de 2002 (ci-après désignée « la loi SOX ») sur la réforme
de la comptabilité des sociétés cotées et la protection des investisseurs a été votée dans le
contexte du krach boursier de 200135
(ANNEXE E).
Le texte est composé de onze titres, dont l’essentiel est présenté ci-après :
Titre I − Création du Public Company
Accounting Oversight Board
(“PCAOB”)
Cet organisme est chargé de la
supervision, la régulation et l’inspection
des cabinets d’audit des sociétés cotées.
Titre II − Indépendance des auditeurs
Cette règle vise à limiter les situations de
conflits d’intérêts. Certaines activités des
cabinets d’audit sont réduites, telles que
l’activité de conseil au bénéfice de leurs
clients.
La durée maximale des mandats est fixée
à cinq ans.
33
Cf. page 39
34
Sarbanes-Oxley Act of 2002, Public Law 107-204, Approved July 30, 2002, 116 Stat. 745
35
De nombreux investisseurs avaient perdu des sommes considérables du fait de comportements
frauduleux, en particulier des manipulations de données comptables.
17
Titre III − Responsabilité des
entreprises
Le directeur général et le directeur
financier sont tenus de certifier, dater et
signer les rapports financiers. De la sorte,
ils engagent leur responsabilité
personnelle sur l’exactitude et
l’exhaustivité des données présentées
dans ces rapports.
Titre IV – Renforcement de la
transparence des états financiers
Les entreprises sont tenues de divulguer
promptement tout changement notable
dans leur situation financière.
Les auditeurs externes doivent analyser
les rapports internes établis par les
dirigeants et en valider les résultats. En
outre, ils émettent un avis officiel sur
l’efficacité des contrôles internes (article
404).
Il est interdit aux dirigeants de recourir à
un emprunt personnel auprès de leur
entreprise.
Titre V − Conflits d’intérêt chez les
analyses financiers
Ce titre consiste à définir un code de
bonne conduite des analystes financiers.
Ces derniers sont tenus de divulguer tout
conflit d’intérêt potentiel. Il s’agit ni plus
ni moins de préserver ou restaurer la
confiance des investisseurs à leur égard.
Titre VI − Autorité et ressources de la
SEC
La SEC a le pouvoir de censurer ou
d’interdire un professionnel (courtier,
négociant, conseiller) de pratiquer son
activité.
Titre VII − Etudes et rapports
La SEC est chargée de dresser un certain
nombre de rapports relatifs aux fraudes
sur les titres des marchés financiers, au
rôle des agences de notation et celui des
banques d’investissement.
18
Titre VIII − Responsabilité en cas de
fraude ou délit
Ce titre présente les différentes sanctions
pénales encourues en cas de fraude, de
modification ou destructions des données
financières, mais également l’immixtion
dans les enquêtes internes et la protection
accordée aux lanceurs d’alerte.
Titre IX − Renforcement des peines
pour les cols blancs fraudeurs
Les sanctions pénales à l’égard des cols
blancs fraudeurs sont alourdies.
La certification des comptes par une
personne non habilitée, notamment,
constitue une infraction pénale.
Titre X − Déclarations du revenu des
sociétés
Cette déclaration de revenus doit être
signée par le Directeur général.
Titre XI − Fraude en entreprise et
responsabilité
La falsification des comptes constitue une
infraction pénale. La SEC est investie du
pouvoir de geler toute opération qu’elle
estimerait inhabituelle.
De nombreuses dispositions s’appliquent également aux sociétés non cotées.
Cette loi a fait l’objet de vives critiques, en particulier quant à ses dispositions portant sur
l’évaluation du contrôle interne (Titre IV - article 404). En effet, une telle évaluation
suppose des vérifications de grande ampleur, lesquelles impliquent des coûts significatifs
(modification des systèmes d’information comptable, outils de reporting, frais d’audit…),
voire disproportionnés vis-à-vis des entreprises les plus modestes36
.
36
Wang J., “Sarbanes-Oxley Section 404 Places Disproportionate Burden on Smaller Public Companies”,
Center for Data Analysis of The Heritage Foundation, 2008
19
II) L’évolution de la législation relative à la responsabilité des dirigeants en
France
Quatre lois essentielles seront examinées ci-après : la loi relative aux nouvelles
régulations économiques (a), la loi de sécurité financière (b), la loi pour la confiance et
la modernisation de l’économie (c) et, enfin, la loi relative à la transparence, à la lutte
contre la corruption et à la modernisation de la vie économique (d).
a- La loi relative aux nouvelles régulations économiques (dite « loi NRE »)37
Alors que la loi du 16 novembre 1940 sur l’administration et la direction des sociétés
anonymes avait institué une concentration des pouvoirs de direction entre les mains du
Président du Conseil d’administration (lequel était alors désigné par le vocable de
« Président Directeur général »), la loi NRE a opéré une distinction entre, d’une part, les
fonctions de Président du Conseil d’administration et, d’autre part, celles de Directeur
général.
Ainsi, depuis l’entrée en vigueur de la loi NRE, il revient au Conseil d’administration de
choisir entre :
 maintenir la concentration des pouvoirs entre les mains du Président-Directeur
général ;
 dissocier les fonctions de Président du Conseil d’administration et celles de
Directeur général. Par conséquent, et en toute logique, le Directeur général a été
ajouté à la liste des personnes physiques civilement responsables38
.
D’aucuns considèrent que cette dissociation instaurée par la loi NRE a été directement
inspirée par le modèle américain qui distingue les directors des officers39
. En tout état de
cause, cette disposition a été globalement accueillie de manière favorable par les auteurs,
qui y voient une amélioration de la situation des dirigeants sociaux à travers un meilleur
équilibre des pouvoirs40
.
Un autre apport essentiel de la loi NRE réside dans l’obligation de mentionner, dans le
rapport annuel présenté à l’assemblée générale, les rémunérations et avantages versés aux
dirigeants des sociétés anonymes au cours de l’exercice passé41
.
37
Loi n° 2001-420 du 15 mai 2001 relative aux nouvelles régulations économiques, JORF n° 113 du 16
mai 2001, page 7776
38
Article L225-251 du Code de commerce
39
Conac P-H., « La dissociation des fonctions de président du conseil d’administration et de directeur
général des sociétés anonymes par le projet de loi sur les Nouvelles Régulations Economiques (NRE) »,
Revue générale du droit, n° 726, 2012
40
Grossi I., « La situation des dirigeants sociaux au lendemain de la loi sur les nouvelles régulations
économiques », Droit et Patrimoine, n° 98, 1er
novembre 2001
41
Article 116 de la loi NRE
20
b- La loi de sécurité financière (dite « loi LSF »)42
Les dispositions de cette loi s’appliquent à l’ensemble des sociétés anonymes ainsi qu’aux
sociétés faisant appel à l’épargne publique. Ce texte vise principalement à renforcer le
contrôle interne des sociétés en imposant de nouvelles obligations aux dirigeants
(ANNEXE F)43
.
Pour une large partie de la doctrine, la loi LSF a été largement influencée par la loi
américaine Sarbanes-Oxley44
, en ce que, notamment :
 ces deux lois visent à apporter aux actionnaires une plus grande transparence
concernant l’information comptable et financière de la société ;
 elles créent toutes deux un organe de contrôle des commissaires aux comptes
(Public Company Accounting Oversight Board aux Etats-Unis ; Haut Conseil du
commissariat aux comptes en France) ;
 la loi LSF impose au Président du Conseil d’administration45
ou du Conseil de
surveillance46
de rendre compte des procédures de contrôle interne mises en place
au sein de la société (au sein des sociétés américaines cotées, cette obligation
revient au CEO et au CFO)47
.
A l’inverse, la loi LSF a apporté un certain assouplissement s’agissant, notamment :
 de l’obligation de publication de la rémunération et avantages versés aux
dirigeants, initialement instituée par la loi NRE et s’imposant désormais aux
seules sociétés cotées en bourse48
;
 des conventions réglementées passées avec les actionnaires de la société,
lesquelles ne doivent être soumises à autorisation préalable du Conseil
d’administration49
ou du Conseil de surveillance50
que si l’actionnaire intéressé
dispose d’une fraction de vote supérieure à 10 %, contre 5 % auparavant.
De surcroît, pour certains auteurs, la loi LSF a signé un recul de la responsabilité pénale
des dirigeants, notamment en substituant les sanctions pénales jusqu’alors prévues en
matière d’émission de valeurs mobilières ou de tenue d’assemblées générales, par la
nullité des décisions irrégulières51
.
42
Loi n° 2003-706 du 1er
août 2003 de sécurité financière, JORF n° 177 du 2 août 2003, page 13220
43
Marini P., Rapport d’information n° 431 (2003-2004), au nom de la commission des finances du Sénat,
27 juillet 2004 - https://www.senat.fr/rap/r03-431/r03-43148.html
44
Cf. page 16
45
Article L225-37 du Code de commerce
46
Article L225-68 du Code de commerce
47
Cappelletti L., « La normalisation du contrôle interne : esquisse des conséquences organisationnelles de
la loi de sécurité financière », Normes et Mondialisation, mai 2004
48
Obligation désormais énoncée à l’article L225-37-3 du Code de commerce
49
Article L225-38 du Code de commerce
50
Article L225-86 du Code de commerce
51
Lucas F-X., « Loi de sécurité financière, corporate governance ou poudre aux yeux », Droit et
Patrimoine, n° 122, 1er
janvier 2004
21
c- La loi pour la confiance et la modernisation de l’économie (dite « loi Breton »)52
L’apport majeur de cette loi – au regard de la présente étude – réside dans l’extension du
régime des conventions réglementées aux rémunérations et avantages accordés aux
Présidents, Directeurs généraux et Directeurs généraux délégués des sociétés cotées en
bourse à la cessation de leurs fonctions. Ces conventions sont ainsi soumises à
autorisation préalable du Conseil d’administration53
ou du Conseil de surveillance54
.
En pratique, ces dispositions concernent :
 les retraites dites « chapeau », c’est-à-dire les régimes de retraite
complémentaire financées en totalité par l’entreprise et attribuées sous forme
de rente mensuelle ;
 les « parachutes dorés », ou primes de départ, désignant les avantages et
indemnités versés aux dirigeants à la suite de la cessation de leurs fonctions.
Ils comprennent notamment les indemnités de départ proprement dites, les
versements de stock-options ou encore les indemnités versées au titre d’une
clause de non-concurrence.
d- La loi relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation
de la vie économique (dite « loi Sapin II »)55
Les principaux apports de cette loi en matière de responsabilité des dirigeants sont les
suivants :
 les Présidents, Directeurs généraux, membres du Directoire et gérants de
sociétés qualifiées de « grande taille »56
sont tenus de mettre en place des
mesures internes de prévention et de détection de faits de corruption et de
trafic d’influence57
. Le contrôle du respect de ces mesures est assuré par
l’Agence française anticorruption, créée par cette même loi.
Le dirigeant qui viendrait à manquer à ces obligations s’expose à une sanction
pécuniaire de 200.000 euros. Le texte précise que le montant de cette sanction
est « proportionné à la gravité des manquements constatés et à la situation
financière de la personne physique (…) sanctionnée ».
52
Loi n° 2005-842 du 26 juillet 2005 pour la confiance et la modernisation de l’économie
53
Article L225-38 du Code de commerce
54
Article L226-86 du Code de commerce
55
Loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016
56
Dont l’effectif est supérieur ou égal à 500 salariés (ou appartenant à un groupe dont la société mère a son
siège social en France et dont l’effectif comprend au moins 500 salariés) et dont le chiffre d’affaires annuel
est supérieur à 100 millions d’euros
57
Article 17 de la loi Sapin II
22
 l’action en responsabilité pour insuffisance d’actif58
est écartée en cas de
simple négligence du dirigeant dans la gestion de la société59
.
Partant, le risque pour les dirigeants de se voir poursuivis sur ce fondement
s’en trouve nécessairement réduit. Il n’en demeure pas moins que la notion
de « simple négligence » est soumise à l’appréciation souveraine des Juges
du fond, ce qui ne contribue guère à une jurisprudence uniforme en la matière.
CHAPITRE 3 : Le rôle du dirigeant
Comme exposé supra, la notion de dirigeant revêt en réalité de multiples fonctions au sein
de l’entreprise. Tant aux Etats-Unis (I) qu’en France (II), chaque catégorie de dirigeant
est investie de missions spécifiques qui font l’objet du présent chapitre.
I) Le rôle du dirigeant aux Etats-Unis
Le Board of directors est chargé d’une double mission de surveillance et de conseil,
l’objectif final étant « d’assurer aux actionnaires un rendement satisfaisant »60
. A ce titre,
il participe activement au pilotage stratégique de l’entreprise61
. Il est par ailleurs amené à
contrôler les pratiques de la société en matière de gouvernance, à déterminer la
rémunération des dirigeants ou encore à gérer les conflits d’intérêt susceptibles de naître
entre les dirigeants, les administrateurs et les actionnaires. De manière plus large, il veille,
en principe, à ce que l’entreprise se conforme scrupuleusement à la législation en vigueur.
Les outside directors apportent un éclairage extérieur aux décisions à prendre. Ils
bénéficient généralement d’une large expérience du monde de l’entreprise, dans la mesure
où il s’agit souvent de CEOs d’autres sociétés. De manière générale, les récentes réformes
visent à accroître la part des outside directors au sein des Boards. Etant indépendants du
management de l’entreprise, ils ne craindront pas, selon certains auteurs, d’affronter le
CEO pour protéger les intérêts des actionnaires. Cela étant, certains regardent avec
scepticisme l’efficacité alléguée de ces dirigeants, au regard de leur modeste niveau de
connaissance de l’entreprise62
.
58
Cf. page 47
59
Article L651-2 du Code de commerce
60
Principes de gouvernance d’entreprise du G20 et de l’OCDE, Editions OCDE, Paris, 2017
61
Hendry K., Kiel G., “The Role of the Board in Firm Strategy: integrating agency and organisational
controle perspectives”, Corporate Governance, Vol. 12, n° 4, Blackwell Publishing Ltd, October 2004
62
Duchin R., Matsusaka G., Ozbas O., When are outside directors effective?, septembre 2009
23
S’agissant des inside directors, le rôle du Chief Executive Officer – élu par le Board – est
essentiel et l’un des plus influençables au sein de l’entreprise63
. Sa mission est multiple.
Tout d’abord, il décide de la répartition des ressources au sein de l’entreprise et mène les
négociations pour le compte de la société64
. Il veille à ce que les résultats de l’entreprise
soient conformes aux objectifs fixés65
. Par ailleurs, il s’assure que le recrutement des
salariés soit effectué de manière optimale66
. En outre, le CEO résout les conflits
susceptibles d’intervenir entre les collaborateurs et les intervenants externes67
. Il rend
compte au Board of directors et est le représentant légal de la société. Dès lors, le rôle
décisionnaire du CEO est indéniable.
Le Chef Financial Officer est en charge de superviser la gestion financière de l’entreprise.
A ce titre, il rend compte de manière précise aux différentes parties prenantes – y compris
aux actionnaires – de l’état financier de l’entreprise. Il est garant de la fiabilité des
documents comptables et financiers de la société et veille à ce qu’ils soient établis
conformément à la législation en vigueur. Par ailleurs, il participe activement aux
décisions portant sur l’investissement des fonds de la société.
II) Le rôle du dirigeant en France
Le Code de commerce contient des dispositions spécifiques à chaque type de société
commerciale. De manière générale, les textes distinguent les pouvoirs des dirigeants dans
les rapports entre associés et dans les rapports avec les tiers. Des similitudes sont aisément
identifiables s’agissant :
 des pouvoirs confiés au représentant légal pour agir en toute circonstance dans la
limite de l’objet social, sous réserve des pouvoirs expressément attribués aux
actionnaires/associés et aux autres dirigeants ;
 de l’engagement de la société par tout acte conclu par le dirigeant, quand bien
même cet acte dépasserait l’objet social, à moins que la société ne démontre que
le tiers avait connaissance de ce que l’acte dépassait cet objet social ou qu’il ne
pouvait pas l’ignorer ;
 du fait que la seule publication des statuts ne peut à elle-seule suffire à démontrer
que le tiers savait que l’acte dépassait l’objet social ou ne pouvait l’ignorer.
63
Glick M., “The Role of Chief Executive Officer”, Advances in Developing Human Resources, SAGE
Publications, 2011
64
Mintzberg H., The nature of managerial work. New York, NY: Harper & Row, 1973
65
Hart S., Quinn R., “Roles executives play: CEOs, behavioral complexity, and firm performance”, Human
Relations n° 46, 1993
66
Gulick L., American forest policy: a study of government administration and economics. New York, NY:
Institute of Public Administration, 1937
67
Castaldi R., “An analysis of the work roles of CEOs of small firms”, American Journal of Small Business,
1986
24
1) La SARL
Elle est dirigée par un ou plusieurs gérants, qui peuvent être associés ou non, mais qui
sont nécessairement des personnes physiques68
.
S’agissant des rapports entre associés, les pouvoirs du gérant sont déterminés par les
statuts. A défaut, le gérant peut réaliser tous les actes de gestion dans l’intérêt de la
société69
, étant précisé que l’acte de gestion est celui qui ne relève pas de la compétence
de l’assemblée générale70
.
Pour ce qui concerne les rapports avec les tiers, le gérant dispose « des pouvoirs les plus
étendus pour agir en toute circonstance au nom de la société, sous réserve des pouvoirs
que la loi attribue expressément aux associés »71
. Les pouvoirs légalement attribués aux
associés sont, par exemple, la transformation de la SARL en une SAS72
.
En outre, « la société est engagée même par les actes du gérant qui ne relèvent pas de
l’objet social, à moins qu’elle ne prouve que le tiers savait que l’acte dépassait cet objet
ou qu’il ne pouvait l’ignorer compte tenu des circonstances, étant exclu que la seule
publication des statuts suffise à constituer cette preuve ». A ce titre, le gérant peut engager
la SARL par la conclusion d’un contrat de cautionnement73
, la mise en vente ou en
location-gérance d’un fonds de commerce74
.
Les associés peuvent choisir de limiter les pouvoirs du gérant en insérant une clause en
ce sens dans les statuts. Néanmoins, une telle clause sera inopposable aux tiers. En
d’autres termes, dans l’hypothèse où le gérant agirait sans l’accord préalable des associés,
ces derniers pourront rechercher sa responsabilité personnelle.
2) La SA
a- La SA à Conseil d’administration
Le Directeur général, nécessairement personne physique, est le représentant légal auprès
des tiers de la SA classique. A ce titre, il dispose des pouvoirs les plus étendus pour agir
en toute circonstance au nom de la société, à la double condition que ces pouvoirs soient
exercés dans la limite de l’objet social et sous réserve de ceux que la loi attribue
expressément aux assemblées d’actionnaires et au Conseil d’administration75
.
La société reste néanmoins engagée par les actes du Directeur général ne relevant pas de
l’objet social, à moins qu’elle ne démontre que le tiers avait connaissance du dépassement
de cet objet ou qu’il ne pouvait l’ignorer compte tenu des circonstances.
68
Article L223-18 alinéa 1 du Code de commerce
69
Combinaison des articles L223-18 et L221-4 du Code de commerce
70
Cass. com., 12 janvier 1993, n° 91-12548, Publié au Bulletin
71
Article L223-18 alinéa 5 du Code de commerce
72
Article L227-3 du Code de commerce
73
Cass. com., 12 mai 2015, n° 13-28504
74
Cass. com., 31 janvier 2012, n° 10-15489
75
Article L225-56 du Code de commerce
25
La seule publication des statuts ne saurait suffire à constituer cette preuve. En outre, les
statuts peuvent prévoir de limiter les pouvoirs du Directeur général, sans que cette
limitation soit opposable aux tiers.
Le Directeur général peut être épaulé par des Directeurs généraux délégués dont le
nombre est fixé dans les statuts et ne peut excéder cinq76
. Leur nomination relève du
pouvoir du Conseil d’administration, sur proposition du Directeur général.
S’agissant des administrateurs composant le Conseil d’administration, ils peuvent être
des personnes tant physiques que morales77
. Cet organe a pour missions :
 de déterminer les orientations de l’activité de la société et de veiller à leur mise en
œuvre78
;
 de se saisir de toute question intéressant la bonne marche de la société et de régler
les affaires la concernant par délibérations ;
 d’autoriser les cautions, avals et garanties ;
 d’autoriser les conventions réglementées ayant notamment vocation à être
conclues, directement ou par personne interposée, entre la société et son Directeur
général, un Directeur général délégué, un administrateur ou d’un actionnaire
disposant d’une fraction des droits de vote supérieure à 10 %79
;
S’agissant des rapports avec les tiers, le Conseil d’administration engage la société y
compris par les actes ne relevant pas de l’objet social, à moins que la société ne démontre
que le tiers avait conscience du dépassement de l’objet social ou qu’il ne pouvait l’ignorer,
la seule publication des statuts étant insuffisante à constituer cette preuve. Enfin, le
Conseil d’administration réalise les contrôles et vérifications qu’il estime opportuns.
Le Président du Conseil d’administration assume la direction générale de la société.
Alternativement, le Conseil d’administration peut choisir de la confier au Directeur
général80
. Le Président du Conseil d’administration « veille au bon fonctionnement des
organes de la société et s’assure, en particulier, que les administrateurs sont en mesure
de remplir leur mission81
».
76
Article L225-53 du Code de commerce
77
Article L225-20 du Code de commerce
78
Article L225-35 du Code de commerce
79
Article L225-38 du Code de commerce
80
Article L225-51-1 du Code de commerce
81
Article L225-51 du Code de commerce
26
b- La SA à Conseil de surveillance et directoire
Le Président du Directoire est le représentant légal de la SA de type dualiste. Le Conseil
de surveillance peut, si une clause statutaire le prévoit, attribuer le même pouvoir de
représentation à un ou plusieurs autres membres du Directoire, ceux-ci portant alors le
titre de Directeur(s) général(aux)82
. Dans l’hypothèse où une seule personne exerce les
fonctions dévolues au Directoire83
, celle-ci prend le titre de Directeur général unique et,
par corollaire, de représentant légal de la société84
. Tant les membres du Directoire que
le Directeur général unique sont nécessairement des personnes physiques.
Le Directoire dispose des « pouvoirs les plus étendus pour agir en toute circonstance au
nom de la société. Il les exerce dans la limite de l’objet social et sous réserve de ceux
expressément attribués par la loi au conseil de surveillance et aux assemblées
d’actionnaires »85
. S’agissant des rapports avec les tiers, la SA est engagée y compris par
les actes du Directoire qui ne relèvent pas de l’objet social, à moins qu’elle ne démontre
que le tiers avait connaissance de ce que l’acte dépassait cet objet ou qu’il ne pouvait
l’ignorer compte tenu des circonstances. La seule publication des statuts ne saurait suffire
à constituer cette preuve. Les statuts peuvent limiter les pouvoirs du Directoire, sans que
cette limitation ne soit opposable aux tiers.
3) La SAS
Cette forme de société a ceci de particulier qu’elle présente une large souplesse dans son
fonctionnement et son organisation. Tout d’abord, le Président d’une SAS peut être tant
une personne physique que morale. Par ailleurs, bien que la SAS doive impérativement
être représentée à l’égard des tiers par un Président unique, une clause statutaire peut
désigner un Directeur général ou un Directeur général délégué pour exercer les pouvoirs
confiés à ce dernier86
. En pratique, il est courant de voir instaurer un Comité de direction
ou bien un Conseil d’administration au sein des SAS.
Le Président « est investi des pouvoirs les plus étendus pour agir en toute circonstance
au nom de la société dans la limite de l’objet social »87
. Tout comme dans le cadre du
régime applicable à la SARL, les actes passés par le Président qui ne relèvent pas de
l’objet social engagent néanmoins la société, sauf si cette dernière démontre que le tiers
avait connaissance du dépassement de cet objet ou qu’il ne pouvait l’ignorer compte tenu
des circonstances. Là encore, la seule publication des statuts ne saurait suffire à constituer
cette preuve. De même, les statuts peuvent prévoir de limiter les pouvoirs du Président,
sans que cette limitation ne soit opposable aux tiers.
Le régime afférent à la responsabilité des membres du Conseil d’administration et du
Directoire des sociétés anonymes s’applique également au Président et aux dirigeants de
la SAS88
.
82
Article L225-66 du Code de commerce
83
Cette faculté n’est ouverte que si le capital de la société est inférieur à 150.000 euros.
84
Article L225-59 du Code de commerce
85
Article L225-64 du Code de commerce
86
Article L227-6 du Code de commerce
87
Article précité
88
Article L227-7 du Code de commerce
27
PARTIE II : LES DEVOIRS DES DIRIGEANTS
De par leurs fonctions, les dirigeants sociaux sont soumis à de nombreux devoirs et
obligations dont le manquement est de nature à engager leur responsabilité. La
gouvernance d’entreprise représente une notion essentielle pour comprendre les règles
encadrant cette responsabilité (Chapitre 1). Seront ensuite abordés les mécanismes de
mise en jeu de la responsabilité des dirigeants, tant civile (Chapitre 2) que pénale
(Chapitre 3).
CHAPITRE 1 : La gouvernance d’entreprise
Également traduite sous les expressions « gouvernement d’entreprise » et « gouvernance
d’entreprise », la corporate governance tend à prêter à confusion quant à son périmètre
d’application en France. En effet, aux Etats-Unis, le terme corporate vise essentiellement
les sociétés cotées, et non pas les entreprises de manière générale89
.
Bien qu’une résistance du modèle français ait pu être soulignée par le passé90
, ces
dernières années se sont illustrées par une américanisation croissante du droit français des
sociétés91
. Ainsi, les devoirs de diligence et de loyauté auxquels sont tenus les dirigeants
en France sont des principes dérivés de leurs homologues américains que sont le duty of
care et le duty of loyalty (I).
Les dirigeants ne sont toutefois pas les seuls acteurs concernés par la gouvernance
d’entreprise : la société elle-même, les actionnaires, les créanciers, les employés, les
clients, voire l’Etat, en sont également les parties prenantes (II).
Enfin, la « business judgment rule », présomption simple venant tout droit des Etats-Unis
selon laquelle les dirigeants agissent de bonne foi, avec diligence et en toute loyauté92
,
s’est progressivement introduite dans le paysage juridique français (III).
89
Benbrahim Z., « Ethique et gouvernance : entre intentions et pratiques », Revue Management & Avenir,
Management Prospective Editions, n° 7, p. 43 à 59, 2006
90
Magnier V., « Réception du droit américain dans l'organisation interne des sociétés commerciales »,
L’américanisation du droit, Archives de Philosophie du Droit n° 45, p. 213-225, juillet 2001
91
Behaja J., « La portée juridique et l’efficacité de la corporate governance et des codes de gouvernement
d’entreprise », Revue des sociétés 2019, p. 155
92
Sobczyk J., « La Business Judgment Rule : l’essai sur les sources de la règle », Thèse en Droit privé,
sous la direction de Monsieur le Professeur Bruno Dondero, Université Panthéon-Sorbonne – Paris I, p. 10,
soutenue le 16 octobre 2015
28
I) Les principes d’influence américaine régissant la gouvernance d’entreprise
De la gouvernance d’entreprise, dont il convient de définir la notion et les enjeux (1), ont
été dégagés deux principes essentiels que sont le duty of care (2) et le duty of loyalty (3).
1- La gouvernance d’entreprise : notion et enjeux
La gouvernance d’entreprise n’est pas formellement définie par les textes. Aux Etats-
Unis, la jurisprudence et les auteurs la définissent communément comme l’ensemble des
processus, pratiques, lois et institutions ayant une influence sur la manière dont
l’entreprise est dirigée, administrée ou contrôlée93
. Transposée au droit français, cette
conception demeure relativement floue.
La corporate governance a tout d’abord été suggérée en 1932 par deux économistes
américains, Adolf Berle et Gardiner Means94
, lesquels soulignaient que les sociétés par
actions, de par la dispersion de l’actionnariat, étaient confrontées à un risque de
divergences d’intérêts entre, d’une part, les dirigeants et, d’autre part, les actionnaires.
Ce n’est qu’à compter des années 1970 que la corporate governance s’est
progressivement forgé une place pour s’ériger en véritable modèle. Puis, à l’occasion de
la vague d’offres publiques de rachat hostiles au cours des années 1980, les actionnaires
ont pris conscience que nombre d’entreprises n’avaient pas été gérées dans leur intérêt de
façon constante. Les années 1990 ont marqué l’essor du développement de la notion de
« shareholder value » (valeur actionnariale) – désignant la capacité de l’entreprise à
générer des bénéfices pour ses actionnaires. Il en a découlé un renforcement du contrôle
juridico-institutionnel des dirigeants par les actionnaires, en particulier de leur
rémunération qui, pour nombre d’entre eux, étaient en inadéquation avec la performance
de l’entreprise. En 1994, le rapport de l’American Law Institute95
a posé les principes
essentiels de la corporate governance, donnant naissance à un véritable corps de règles.
En 2002, faisant écho à la faillite de grands groupes tels que Enron et Worldcom, la loi
Sarbanes-Oxley96
(SOX) a été adoptée.
Aujourd’hui, les principes dégagés par les textes de lois et la jurisprudence reposent
essentiellement sur une exigence de transparence envers les actionnaires des actes
accomplis par les dirigeants, la dissociation de la présidence du Conseil d’administration
et la Direction générale, l’implication des actionnaires dans la nomination des
administrateurs et dirigeants, ou encore la promotion d’une culture d’éthique, d’intégrité
et de responsabilité sociétale des entreprises (RSE).
93
Haidar J. I., “Investor protections and economic growth”, Economics Letters, Elsevier, vol. 103(1), pages
1-4, April 2009
94
Berle A., Means G., The Modern Corporation and Private Property, New York:Macmillan, 1932
95
American Law Institute, Principles of Corporate Governance: Analysis and Recommendations,
American Law Institute Publishers, 1994
96
Cf. page 16
29
La réception de la corporate governance en France s’est opérée de facto par les sociétés
cotées qui, sous la pression des investisseurs institutionnels anglo-saxons, ont
progressivement adopté des règles de « bonne gouvernance »97
. Les premières
recommandations officielles sont nées, tout d’abord, du rapport Viénot I en 1995,
principalement axé sur la composition et les missions du Conseil d’administration, puis
du rapport Viénot II en 1999, portant essentiellement sur la transparence des
rémunérations des dirigeants des sociétés cotées. Ces rapports ont été élaborés à la
demande du Conseil national du patronat français (CNPF) et l’Association française des
entreprises privées (AFEP) et sont le fruit de groupes de travail réunissant des présidents
de sociétés cotées françaises.
Une partie des recommandations formulées dans ces rapports a été entérinée, tout d’abord
par la loi NRE en 200198
, dont l’objectif était de fournir un cadre législatif à la
gouvernance d’entreprise, puis par la loi sur la sécurité financière de 200399
, visant à
accroître la responsabilité des dirigeants et renforcer le contrôle interne.
Aujourd’hui, tant en France qu’aux Etats-Unis, la gouvernance d’entreprise se distingue
de l’éthique des affaires, bien que ces questions fassent toutes deux parties intégrantes de
la responsabilité sociale de l’entreprise (RSE)100
.
2- Le duty of care
Cette obligation incombant aux dirigeants revêt une nature fiduciaire. La West’s
Encyclopedia of American Law rappelle qu’une relation fiduciaire est établie dès lors
qu’une partie confie à une autre la charge d’agir à son profit, le tout dans un climat de
confiance101
.
Cette définition sur le caractère fiduciaire rejoint celle du Code civil français, en vertu
duquel l’opération de fiducie consiste pour « un ou plusieurs constituants [de transférer]
des biens, des droits ou des sûretés (…) à un ou plusieurs fiduciaires qui, les tenant
séparés de leur patrimoine propre, agissent dans un but déterminé au profit d’un ou
plusieurs bénéficiaires »102
. La notion de confiance ne ressort toutefois pas explicitement,
à la différence de la définition donnée outre-Atlantique.
Généralement traduit en français par l’expression « devoir de diligence », le duty of care
impose aux dirigeants de prendre leurs décisions avec prudence (« reasonable care »)103
.
Deux critères entrent en jeu pour caractériser cette prudence : d’une part, la bonne foi du
dirigeant et, d’autre part, la croyance pour le dirigeant d’agir dans le meilleur intérêt de
la société. Reconnu de longue date aux Etats-Unis, le devoir de diligence se forge peu à
peu une place en droit français.
97
Rubinstein M., « Le débat sur le gouvernement d’entreprise en France : un état des lieux », Revue
d’économie industrielle, vol. 98, p. 7-28, 1er
trimestre 2002
98
Cf. page 19
99
Cf. page 20
100
Schier G. et Meier O., Gouvernance, éthique et RSE : état des lieux et perspectives, Hermes Science
Publications, 21 avril 2009
101
West's Encyclopedia of American Law, edition 2, 2008
102
Article 2011 du Code civil
103
Eisenberg M., « The Duty of Care of Corporate Directors and officers », 51 u. Pitt. L. Rev 945, 1989
30
3- Le duty of loyalty
Il s’agit du deuxième devoir fiduciaire pesant traditionnellement sur les dirigeants
d’entreprise. Ce devoir repose sur la confiance que vouent les associés aux dirigeants dans
la gestion de la société et dans leur intérêt bien compris.
En France, ce devoir de loyauté est le fruit d’une construction prétorienne, laquelle est
influencée, d’une part, par le principe de bonne foi résultant de l’article 1104 du Code
civil et, d’autre part, par le principe de la corporate governance régnant aux Etats-Unis
et exposée supra104
.
Le dirigeant est tenu par cette obligation tant à l’égard de la société que des associés eux-
mêmes105
. A titre d’exemples, la Cour de cassation a pu juger que :
 l’ancien Directeur général d’une société anonyme qui, après sa démission, a créé
une société concurrente et débauché une partie des salariés de son ancienne
entreprise, a manqué à son obligation de loyauté à l’égard de cette dernière106
;
 le manquement du dirigeant à son devoir de loyauté envers la société, en agissant
à l’encontre de l’intérêt social, constitue une faute de gestion107
;
 manque à son devoir de loyauté envers les associés le dirigeant qui a laissé
ceux-ci dans l’ignorance de l’opération d’acquisition pour son compte personnel
d’un immeuble que les associés entendaient acheter ensemble pour y exercer leur
activité108
;
 manque à son devoir de loyauté envers l’associé cédant, le dirigeant social qui
s’abstient d’informer ce dernier de circonstances de nature à influer sur son
consentement109
;
II) Les parties prenantes de la gouvernance d’entreprise
Initialement, la gouvernance d’entreprise était largement « orientée actionnaire »110
, en
ce sens que seuls les intérêts des actionnaires étaient pris en compte. Désormais, la
doctrine s’accorde à dire que de multiples intervenants, tant internes qu’externes à la
société, qualifiées de « parties prenantes », ont vocation à influencer les décisions de
l’entreprise111
.
104
Daille-Duclos B., Le devoir de loyauté du dirigeant, Juris-Classeur périodique, p. 1486, 1998
105
Arrêt Vilgrain, Cass. com., 27 février 1996, n° 94-11241, Publié au Bulletin (ANNEXE H)
106
Cass. com., 24 février 1998, n° 96-12638, Publié au Bulletin
107
Cass. com., 5 avril 2018, n° 16-23365
108
Cass. com., 18 décembre 2012, n° 11-24305
109
Cass. com., 12 mars 2013, n° 12-11970
110
Meier O., Schier G., « Quelles théories et principes d’actions en matière de gouvernance des
associations ? », Management & Avenir, n° 20, P. 179 à 198, juin 2008
111
Bessire D., Chatelin C., Onnée S., « Qu’est-ce qu’une bonne gouvernance ? », Comptabilité et
Environnement, mai 2007
31
L’approche « partenariale » s’est ainsi progressivement substituée à l’approche
« actionnariale ». Dès lors, bien que la maximisation des richesses de l’entreprise demeure
la préoccupation première de la gouvernance d’entreprise, le concours apporté par
l’ensemble des parties prenantes dans le processus de gouvernance est désormais pris en
considération de manière significative.
1) Les parties prenantes internes
 Les associés
Les associés peuvent mettre en œuvre un certain nombre de mécanismes leur permettant
d’encadrer le comportement des dirigeants112
. Ces prérogatives sont expressément
prévues par les textes, lesquels soumettent de multiples décisions au vote de l’assemblée
générale des associés.
 Les employés
Collaborateurs à part entière de l’entreprise, les employés assurent les prestations
promises par l’employeur auprès du public. Ils contribuent activement à la réussite, à la
performance et aux résultats de la société. En contrepartie, ils attendent de l’entreprise
une rémunération ainsi que des conditions de travail satisfaisantes. En conséquence, la
satisfaction du salarié est susceptible de favoriser une bonne gouvernance d’entreprise.
 Les organisations syndicales
Les syndicats, en tant que défenseurs des intérêts économiques des salariés et acteurs de
la négociation collective, participent incontestablement à la définition et l’évolution de la
stratégie adoptée par l’entreprise113
.
2) Les parties prenantes externes
 Les clients
La satisfaction des clients représente évidemment l’objectif premier de l’entreprise, dans
la mesure où ce sont eux qui génèrent le chiffre d’affaires. Leurs attentes en termes de
qualité et de prix des prestations sont donc nécessairement écoutées par les dirigeants.
Dès lors, les clients exercent indéniablement une influence sur la gouvernance de
l’entreprise.
112
Meier O., Schier G., « Quelles théories et principes d’actions en matière de gouvernance des
associations ? », Management & Avenir, n° 20, P. 179 à 198, juin 2008
113
Dionne-Proulx J., Larochelle G., « Ethique et gouvernance d’entreprise », Management & Avenir,
n° 32, p. 36 à 53, 2010
32
 Les créanciers
Une étude relativement récente a mis en exergue le rôle joué par les créanciers dans la
gouvernance d’entreprise, et ce, bien en amont des situations de faillite114
. Cette influence
qu’exercent les créanciers se manifeste essentiellement à l’occasion de la violation d’une
clause contractuelle par l’entreprise débitrice de l’obligation. En effet, dans ce cas, plutôt
que de mettre fin au contrat et/ou solliciter le paiement immédiat des indemnités
contractuellement convenues, il est courant que le créancier renégocie les termes du
contrat initial en tirant profit de sa position de force. Il peut résulter de cette renégociation
un changement parfois drastique dans la composition des dirigeants, certains se trouvant
alors démis de leurs fonctions.
 L’Etat
En instaurant un cadre législatif et institutionnel suffisamment strict, le gouvernement a
vocation à encourager une meilleure gouvernance de l’entreprise.
 Les associations et organisations non gouvernementales
Leur rôle dans la gouvernance d’entreprise se manifeste particulièrement depuis les
années 1970. En effet, ces organisations ont fortement incité les entreprises
multinationales à rédiger et adopter des chartes éthiques et codes de conduite visant à
formaliser les principes que ces sociétés déclarent respecter dans leurs activités115
.
III) La « business judgment rule »
Il s’agit d’une règle élaborée par la jurisprudence américaine, mêlant norme
juridictionnelle et norme de conduite116
. En vertu de ce principe, le dirigeant est présumé
agir de bonne foi, de manière avertie et dans le meilleur intérêt de la société. L’élaboration
progressive de cette règle s’explique par la relative frilosité des Juges à sanctionner des
dirigeants pour des décisions qualifiées de « mauvaises » par les actionnaires.
L’affaire Dodge v. Ford Motor Co.117
en est la première illustration. Dans cette affaire,
les actionnaires de la société Ford Motor Company reprochaient au dirigeant, Henry Ford,
d’appliquer des prix de vente trop bas pour permettre à la société de leur distribuer de
confortables dividendes. Ils demandaient notamment aux Juges de limiter les
investissements destinés au développement de l’entreprise et privilégier le paiement des
dividendes. La Cour suprême du Michigan a jugé qu’il incombait effectivement aux
dirigeants d’agir avant tout dans l’intérêt des actionnaires, et non pas de faire preuve de
générosité envers les salariés ou les clients.
114
Nini G., Smith D.C., Sufi A., “Creditor control rights, corporate governance, and firm value”, Review
of Financial Studies, vol. 25(6), p. 1713-1761, 2012
115
Boutillier S., Castilla Ramos B., « Gouvernance et responsabilité sociale des entreprises
internationales : l’exemple d’une entreprise américaine implantée au Mexique », Marché et organisations,
n° 9, p. 89-118, 2009
116
Abadie P., Entreprise responsable et environnement – Recherche d’une systématisation en droit français
et américain, Bruylant, juin 2013
117
Dodge v. Ford Motor Co., 204 Mich. 459, 170 N.W. 668, 1919
33
Néanmoins, les Juges ont simultanément considéré :
“the management of the corporation and its affairs rests in the board of directors,
and no court will interfere or substitute its judgment so long as the proposed
actions are not ultra vires or fraudulent. They may be ill advised, in the opinion
of the court, but this is no ground for exercise of jurisdiction. The board has full
power over the matter of investing the surplus and as to dividends so long as they
act in good faith”
(…)
“the judges are not business experts”
(…)
“the experience of the Ford Motor Company is evidence of capable management
of its affairs.”
(…)
“no one will contend that if the avowed purpose of the defendant directors was to
sacrifice the interests of shareholders it would not be the duty of the courts to
interfere.
We are not, however, persuaded that we should interfere with the proposed
expansion of the business of the Ford Motor Company.”
En statuant ainsi, la Cour suprême du Michigan a esquissé les contours de la business
judgment rule.
Par la suite, cette règle a été expressément appliquée dans l’affaire Shlensky v. Wrigley118
.
Dans cette espèce, les actionnaires d’un club de baseball recherchaient la responsabilité
de son dirigeant pour avoir refusé d’équiper un stade de baseball d’éclairages qui auraient
permis d’organiser des matchs de nuit. Les actionnaires considéraient qu’en empêchant
la mise en place de tels matchs supplémentaires, le dirigeant a fait perdre des revenus à
la société, et voie de conséquence, des potentiels dividendes. Ils considéraient que le
dirigeant avait manqué à son devoir de prudence et de diligence, en ne poursuivant pas
l’intérêt social de la société. La Cour d’appel de l’Illinois a jugé :
“(…) we do not mean to say that we have decided that the decision of the directors
was a correct one. That is beyond our jurisdiction and ability. We are merely
saying that the decision is one properly before directors and the motives alleged in
the amended complaint showed no fraud, illegality or conflict of interest in their
making of that decision.”
Ainsi, la Cour a rappelé que les juridictions n’avaient pas à intervenir dans les affaires
d’une entreprise, ni à apprécier la pertinence d’une décision prise par un dirigeant, à
moins que cette décision se révèle être entachée de fraude, d’illégalité ou d’un conflit
d’intérêts.
118
Shlensky v. Wrigley, 237 NE 2d 776, Appellate Court, 1968
34
Dans une affaire Aronson v. Lewis119
, un actionnaire a poursuivi les dirigeants de la
société Meyers Parking System Inc. pour ne pas avoir correctement redistribué les
revenus de la société. Il était notamment reproché au CEO, fondateur et actionnaire de la
société, de s’être vu attribuer une rémunération salariale et des primes particulièrement
généreuses.
La Cour suprême du Delaware a débouté le demandeur en jugeant que :
“The business judgment rule is an acknowledgment of the managerial prerogatives
of Delaware directors under Section 141(a) (…). It is a presumption that in
making a business decision the directors of a corporation acted on an informed
basis, in good faith and in the honest belief that the action taken was in the best
interests of the company (…) The burden is on the party challenging the decision
to establish facts rebutting the presumption”.
La Cour a ainsi expressément défini la business judgment rule, sur le fondement de
laquelle les Juges déclinent toute compétence pour statuer sur le bien ou mal-fondé des
décisions prises par les dirigeants. En tant que présomption simple, et donc réfragable,
elle peut être renversée si le demandeur démontre l’existence d’une fraude, d’une
illégalité, d’un conflit d’intérêts ou encore d’une faute grave du dirigeant et, plus
généralement, d’une violation par le dirigeant de son devoir de loyauté.
Aux Etats-Unis, la business judgment rule constitue un fondement à part entière.
D’origine prétorienne, la business judgment rule a été par la suite définie dans plusieurs
textes de nature plus ou moins contraignante, notamment le Model Business Corporation
Act120
et les Principles of Corporate Governance121
.
Une large partie de la doctrine considère que cette règle a pour objectif de protéger la
grande latitude accordée aux dirigeants dans la gestion des affaires de l’entreprise122
.
Cette présomption les protège d’une remise en cause systématique de leurs décisions123
.
En ce sens, ils bénéficient d’une forme d’immunité124
. Pour certains, la business judgment
rule s’analyse comme une application du devoir de diligence pesant sur les dirigeants125
.
La business judgment rule, parfois traduite par l’expression « règle du jugement
d’affaires », ne connaît pas d’équivalent en droit français. En effet, en théorie, il n’existe
aucune présomption en faveur des dirigeants. Néanmoins, certaines décisions laissent à
penser qu’elles ont été quelque peu influencées par cette règle126
.
119
Aronson v. Lewis, 473 A 2d 805 (Del),812, 1984
120
Cf. page 8
121
Cf. page 8
122
Fletcher W., Fletcher Cyclopedia of the Law of Corporations, Thomson/West Group, 2012
123
Perez J., Esquisse sur la responsabilité civile des dirigeants sociaux en droit américain, Revue des
sociétés : journal des sociétés n° 2, p. 195-209, 2003
124
McMillan L., The business judgment rule as an immunity doctrine, William & Mary Business law
review, 2013
125
Chamy E., Transposition du Corporate Governance anglo-saxon en droit français, LPA n° 69, page 4,
9 juin 1997
126
Dondero B., « Responsabilité du dirigeant à l’égard de la société : pas de business judgment rule à la
française ? », Gazette du Palais, n° 132, p. 19, 12 mai 2015
35
Cependant, le principe de non-immixtion du Juge dans la gestion des affaires règne en
droit français comme en droit américain. Le Conseil constitutionnel a eu l’occasion de se
prononcer sur cette question dans une décision du 27 mars 2014127
. Des députés et
sénateurs avaient déféré à cette juridiction la loi visant à reconquérir l’économie réelle
(dite « Loi Florange »). Il était notamment fait grief à cette loi de permettre à un Tribunal
de commerce « de juger qu’une entreprise a refusé sans motif légitime une offre de reprise
sérieuse » et que ces dispositions « conduis[ai]ent ainsi le juge à substituer son
appréciation à celle du chef d’une entreprise, qui n’est pas en difficulté, pour des choix
économiques relatifs à la conduite et au développement de cette entreprise ». Le Conseil
constitutionnel a considéré que ces dispositions portaient à la liberté d’entreprendre une
atteinte manifestement disproportionnée au regard de l’objectif poursuivi et que, partant,
elles étaient contraires à la Constitution.
Dans une décision du 20 janvier 2015, la Cour de cassation s’est prononcée sur la
responsabilité d’un dirigeant128
. Dans cette affaire, il était reproché au gérant d’avoir
commis des fautes de gestion. Ce n’est pas tant la décision rendue par la Haute juridiction
qui nous occupe, mais plutôt le moyen développé par le défendeur. En effet, pour tenter
de se voir exonérer de sa responsabilité, celui-ci avait fait valoir que « le gérant d’une
société à responsabilité limitée qui a fait preuve de diligence suffisante dans
l’administration de la société ne saurait voir sa responsabilité personnelle pour faute de
gestion ». Pour certains auteurs, le gérant avait ainsi tenté de faire reconnaître
« l’application de la business judgment rule à la française »129
.
En tout état de cause, d’aucuns considèrent que certains principes en vigueur en France
permettent d’aboutir à un résultat similaire à celui de la business judgment rule
américaine130
. Ainsi, les faits générateurs de responsabilité des dirigeants en droit français
tiennent notamment à la contrariété à l’intérêt social, au défaut de diligence ou de
prudence du dirigeant, à la fraude, à l’illégalité ou à l’abus de bien sociaux. Or, en droit
américain, ces mêmes faits font précisément obstacle à l’application de la business
judgment rule.
127
Décision n° 2014-692 DC du 27 mars 2014
128
Cass. com., 20 janvier 2015, n° 13-27189
129
Dondero B., « Responsabilité du dirigeant à l’égard de la société : pas de business judgment rule à la
française ? », Gazette du Palais, n° 132, p. 19, 12 mai 2015
130
Mahieu F., La Business Judgment Rule aux Etats-Unis et son application en France, mai 2017
https://blogs.parisnanterre.fr/article/la-business-judgment-rule-aux-etats-unis-et-son-application-en-france
36
CHAPITRE 2 : La responsabilité civile des dirigeants
Dans un premier temps, ce chapitre abordera le régime juridique encadrant la
responsabilité civile des dirigeants (I) puis exposera les manquements civils et sanctions
attachées aux Etats-Unis (II) et en France (III).
I) Le régime de la responsabilité civile
a- Aux Etats-Unis
La responsabilité des dirigeants peut être recherchée tant par les actionnaires que par la
Securities and Exchange Commission (SEC), voire des tiers.
S’agissant des actionnaires, deux types d’action sont à distinguer selon l’objectif
poursuivi. Tout d’abord, l’actionnaire qui souhaiterait obtenir l’indemnisation d’un
préjudice personnellement subi en raison d’un manquement d’un dirigeant, utilisera
l’action directe (« direct action »).
Les actionnaires agissant pour le compte de la société à l’encontre d’un dirigeant dont ils
rechercheraient la responsabilité utilisent l’action dérivée (« derivative action »). Les
auteurs la définissent ainsi : « a lawsuit by a corporation’s shareholders, theoretically on
behalf of the corporation, to protect and benefit all shareholders against the corporation
for improper management131
». Cette procédure est comparable à l’action sociale en droit
français132
.
Lorsqu’elle est accueillie par les Juges, une telle action ouvre droit à l’allocation de
dommages-intérêts au bénéfice de la société. A cet égard, il sera rappelé que le système
juridique américain permet l’octroi de dommages-intérêts dits « punitifs » visant à
sanctionner la faute commise par le défendeur et priver celui-ci de tout gain dont il aurait
pu bénéficier. Une telle indemnisation n’est pas admise au sein du système juridique
français, lequel applique strictement le principe de la réparation intégrale.
S’agissant de la SEC, celle-ci s’assure que les entreprises qu’elle surveille agissent en
conformité avec les dispositions en vigueur. Cette autorité dispose d’un pouvoir de
sanction administrative à l’encontre d’un dirigeant mais peut également intenter une
action en responsabilité civile devant un tribunal fédéral. Les manquements que la SEC
sanctionne ou pour lesquels elle saisit le Juge judiciaire reposent essentiellement sur les
manipulations de marché, la dissimulation d’informations importantes sur les titres et
valeurs ou encore le vol de titres initialement détenus par les clients de la société
d’investissement qu’ils dirigent.
131
Hill. G. and Hill. K., The People’s law Dictionary, 2005
132
Cf. page 37
37
Le choix de la juridiction dépend de la nature de la sanction qu’entend infliger la SEC.
Par exemple, si cette autorité souhaite voir interdire une personne physique d’exercer une
fonction d’officer ou de director, elle n’aura d’autre choix que de saisir le tribunal fédéral.
En pratique, la présomption de bonne foi, de diligence et de loyauté (« business judgment
rule ») en faveur des dirigeants, conjuguée aux obligations relativement limitées qui
s’imposent à eux, ont pour effet de voir leur responsabilité rarement retenue en cas de
dommage133
. Cela étant, il est unanimement admis que leur responsabilité civile peut être
retenue en cas de faute professionnelle (« corporate misconduct »). Il s’agit d’une
responsabilité de nature délictuelle (« tort law »). Dans ce cas, le responsable est
redevable de dommages-intérêts envers la partie lésée (associé ou tiers), en sus
d’éventuelles sanctions administratives émanant de la SEC.
b- En France
L’étude de la jurisprudence nous enseigne que la responsabilité personnelle des dirigeants
est de plus en plus recherchée, tout particulièrement lorsque les manquements de ces
derniers ont contribué à l’insolvabilité de la société.
Les textes opèrent une distinction de régime selon la forme de la société.
Pour la SARL, la SA et la SAS, la responsabilité des dirigeants est prévue expressément
par le Code de commerce. Pour ces trois formes de sociétés, les textes offrent la possibilité
aux associés/actionnaires d’intenter :
 une action individuelle visant la réparation du préjudice subi personnellement par
les associés/actionnaires ;
 une action sociale ut singuli134
visant la réparation du préjudice subi par la société.
Si les demandeurs obtiennent gain de cause, les dommages-intérêts sont alloués à
la société elle-même, tout comme en matière de derivative action aux Etats-Unis.
De manière similaire, les textes retiennent que les dirigeants « sont responsables,
individuellement ou solidairement, selon le cas, envers la société ou envers les tiers, soit
des infractions aux dispositions législatives ou réglementaires applicables aux [SARL,
SA ou SAS selon le cas], soit des violations des statuts, soit des fautes commises dans
leur gestion. Si plusieurs [dirigeants] ont coopéré aux mêmes faits, le tribunal détermine
la part contributive de chacun dans la réparation du dommage ».
133
Gerding E., « Directors Personal Liability for Corporate Fault in the United States », Directors’
Personal Liability for Corporate Fault: A Comparative Analysis, Helen Anderson, p. 301-330, 2008
134
Par opposition à l’action sociale ut universi à la disposition des dirigeants en cas de préjudice subi par
la société. Pour des raisons évidentes – un dirigeant n’a aucun intérêt à agir contre lui-même – cette action
est rarement exercée.
38
Ces règles s’appliquent expressément :
 aux gérants de SARL135
;
 aux membres du Conseil d’administration et au Directeur général des SA de type
moniste136
;
 aux membres du Directoire des SA de type dualiste137
;
 le Président et les dirigeants de la SAS138
sont soumis au même régime de
responsabilité que celui applicable aux membres du Conseil d’administration et
du Directoire des SA139
.
Tant l’action individuelle que sociale se prescrivent par trois ans à compter du fait
dommageable (ou de sa révélation, s’il a été dissimulé)140
.
Dans un arrêt remarqué du 30 mars 2010 (arrêt Crédit Martiniquais), la Cour de cassation
a précisé que chaque administrateur d’une SA de type moniste, ainsi que chaque membre
du Directoire d’une SA de type dualiste, commet une faute individuelle s’il participe à la
prise d’une décision fautive de cet organe, à moins qu’il ne démontre s’être comporté
avec prudence et diligence141
(ANNEXE G).
En outre, la responsabilité des membres du Conseil de surveillance des SA de type
dualiste est engagée en cas de faute personnelle commise dans l’exécution de leur mandat.
Elle peut être également retenue s’ils ont connaissance de délits commis par des membres
du Directoire mais s’abstiennent de les révéler aux actionnaires. En revanche, ils
n’engagent pas leur responsabilité en raison des actes de la gestion et de leur résultat142
.
Pour ce qui concerne les dirigeants de fait, certains textes, tels que ceux relatifs au droit
des entreprises en difficulté, les mentionnent expressément143
, tandis que d’autres restent
muets sur cette qualification.
En pratique, les actions tant individuelles que sociales sont rarement engagées par les
associés de sociétés commerciales144
. En effet :
 l’associé qui engage l’action ut singuli doit assumer seul les frais de procédure,
alors même que l’éventuelle indemnisation octroyée en cas de succès bénéficierait
à la seule société ;
 l’associé qui sollicite la réparation de son préjudice personnel doit démontrer que
le dommage subi est distinct de celui résultant de la dépréciation des parts
sociales. Or, un tel préjudice distinct est rarement établi.
135
Article L223-22 du Code de commerce
136
Article L225-251 du Code de commerce
137
Article L225-256 du Code de commerce
138
Cf. page 7 sur la notion de dirigeant des SAS
139
Article L227-8 du Code de commerce
140
Articles L223-23 et L225-254 du Code de commerce
141
Cass. com., 30 mars 2010, n° 08-17841, Publié au Bulletin
142
Article L225-257 du Code de commerce
143
Articles L651-2 et L652-1 du Code de commerce
144
Lucas F-X., « Loi de sécurité financière, corporate governance ou poudre aux yeux », Droit et
Patrimoine, n° 122, 1er
janvier 2004
39
Enfin, il convient d’évoquer le pouvoir de sanction confié à la Commission des sanctions
de l’Autorité des marchés financiers (ci-après désignée « AMF »). Créée en 2003 par la
loi LSF145
, cette autorité peut en effet infliger des sanctions aux personnes morales qu’elle
contrôle (essentiellement les entreprises d’investissement et de gestion) mais également
des personnes physiques agissant pour leur compte ou y exerçant des fonctions
dirigeantes146
.
Les agissements susceptibles d’être reprochés à ces dirigeants résident principalement
dans l’abus de marché147
ainsi que les manquements à leurs obligations professionnelles
définies par la loi ou par voie réglementaire. Les sanctions infligées peuvent être de nature
disciplinaire (avertissement, blâme, interdiction d’exercice à titre temporaire ou définitif)
et/ou pécuniaire (d’un montant maximal de 15 millions d’euros, ou décuple du montant
de l’avantage retiré du manquement si celui-ci peut être déterminé). Les sommes versées
au titre de ces sanctions sont perçues par le fonds de garantie auquel est affiliée la
personne morale ou, à défaut, au Trésor public148
.
II) Les manquements civils et sanctions attachées aux Etats-Unis
Ils sont de quatre ordres :
1- Violation d’une loi fédérale ou étatique
La responsabilité du dirigeant peut être retenue dans le cas où ce dernier aurait violé une
disposition légale relative au droit des sociétés. Parmi ces dispositions figurent celles de
la loi Sarbanes-Oxley (« SOX »)149
, ainsi que des textes portant sur des matières
spécifiques telles que la loi Sherman Antitrust150
, la loi bancaire nationale151
, la loi
Copyright152
ou encore la loi Lanham153
.
Il n’est pas nécessaire de démontrer une quelconque intention ou négligence de la part du
dirigeant154
. La seule violation d’une disposition légale suffit à engager sa responsabilité.
145
Cf. page 20
146
Article L621-15, III, b du Code monétaire et financier
147
Selon le Règlement (UE) n° 596/2014 du Parlement européen et du Conseil du 16 avril 2014, la notion
d’abus de marché recouvre « tout comportement illicite sur un marché financier, et (…) les opérations
d’initiés, la divulgation illicite d’informations privilégiées et les manipulations de marché ».
148
Article L621-15, III, b du Code monétaire et financier
149
Cf. page 16
150
Sherman Antitrust Act, 1890, prohibant notamment les pratiques anticoncurrentielles
151
National Banking Act, 1863, encadrant le système bancaire national
152
Copyright Act, 1976, relative au droit d’auteur
153
Lanham (Trademark) Act, 1946, relative aux marques déposées et aux actes de concurrence déloyale
154
Glynn T., Beyond « Unlimiting » Shareholder Liability: Vicarious Tort Liability for Corporate Officers,
Vanderbilt Law Review n° 57, p. 329 à 357, 2004
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La responsabilité des dirigeants sociaux : étude de droit comparé aux Etats-Unis et en France

  • 1. Année universitaire 2018/2019 Master 2 mention Droit des affaires, parcours-type Juriste d’entreprise MEMOIRE La responsabilité des dirigeants sociaux : étude de droit comparé aux Etats-Unis et en France Présenté par Barbara MIEL Sous la direction de Monsieur Olivier STAES, Maître de conférences Numéro d’étudiant : 21809506
  • 2. 2 L’Université n’entend ni approuver, ni désapprouver les opinions particulières émises dans ce mémoire. Ces opinions sont considérées comme propres à leur auteur.
  • 3. 3 Remerciements Je tiens à remercier chaleureusement : Monsieur Olivier STAES, mon directeur de mémoire, pour ses précieux conseils et avis ; L’ensemble de l’équipe pédagogique, pour la qualité des enseignements dispensés dans le cadre de cette formation ; Madame Saliha NAJLAOUI, qui s’est montrée réactive et disponible tout au long de l’année pour répondre à mes interrogations ; Le service de Formation Ouverte et à Distance de l’Université Toulouse 1 Capitole qui, en accueillant favorablement ma candidature, m’a donné cette formidable opportunité d’intégrer un Master 2 dans un domaine qui m’est cher, tout en poursuivant mon activité professionnelle ; Maître Jean-Marie GILLES, mon employeur, qui n’a cessé de m’encourager dans ma reprise d’études universitaires, et qui me témoigne sa confiance au quotidien ; Mon conjoint, pour sa bienveillance, sa patience et son soutien indéfectible tout au long de cette formation, sans lesquels ce mémoire n’aurait pu aboutir.
  • 4. 4 INTRODUCTION Considérés comme l’incarnation même du libéralisme économique, les Etats-Unis représentent un terreau propice au développement de nombreuses entreprises. De par leurs fonctions, les dirigeants à la tête de ces sociétés (qui, pour bon nombre d’entre elles, ont une envergure internationale) exposent quotidiennement leur responsabilité personnelle. Il est indispensable que cette responsabilité réponde à un équilibre entre la nécessité, d’une part, de confier aux dirigeants une certaine latitude dans la gestion de leur entreprise et, d’autre part, d’assurer la préservation des intérêts des actionnaires1 . L’on pourrait penser que, sous couvert d’encourager la création et l’essor des entreprises sur leur territoire, les Etats-Unis tendent à adopter une législation quelque peu indulgente à l’égard des dirigeants sociaux. En réalité, force est de constater que le cadre juridique régissant cette matière s’est renforcé au cours des deux dernières décennies, notamment en alourdissant les obligations des dirigeants. Les scandales nés au début des années 2000, en particulier l’affaire Enron2 , ne sont pas étrangers à cette évolution, au demeurant saluée par une large partie de la doctrine pour laquelle il s’agit là d’ « une nécessité pour la crédibilité des marchés (…) pour la morale et pour le droit »3 . Selon le système juridique du Common law, les règles relatives à la responsabilité des dirigeants aux Etats-Unis évoluent – tout comme l’ensemble des branches du droit américain – au gré de la jurisprudence. Cette évolution s’inscrit dans un contexte économique mondial qui se complexifie, à tel point que le « white-collar crime », pratique phare de nombreux cabinets d’avocats anglo-saxons, s’est considérablement développée en France au cours des dernières années. Dans ce contexte, il serait intéressant de mesurer le degré d’influence en France de la législation américaine sur la responsabilité des dirigeants sociaux. Cette problématique constitue l’objet de la présente étude, dont le périmètre se limitera à la responsabilité des dirigeants des sociétés commerciales. Dans cette perspective, une première partie sera consacrée au cadre législatif et aux rôles confiés aux dirigeants aux Etats-Unis et en France. La seconde partie exposera les devoirs incombant aux dirigeants ainsi que les agissements engageant leur responsabilité, tant civile que pénale. Enfin, la troisième partie abordera les alternatives aux sanctions judiciaires prévues par chacun des deux systèmes juridiques. 1 Golding G., “Tightening the screws on directors: care, delegation and reliance”, UNSW Law Journal, Vol. 35, p. 266-290, 2012 2 La société gazière Enron était, jusqu’à sa faillite en 2001, l’une des plus grandes entreprises américaines par sa capitalisation boursière. Sa faillite est le fruit de nombreuses opérations spéculatives qui avaient dissimulées à travers des manipulations comptables frauduleuses, validées par un cabinet d’audit 3 Lucas F-X., « La responsabilité des dirigeants d’entreprise », Revue Lamy Droit civil, n° 1, 1er janvier 2004
  • 5. 5 PARTIE I : CADRE LEGISLATIF ET ROLES DES DIRIGEANTS Avant d’envisager la nature des devoirs qui leur incombent, il importe de définir la notion de « dirigeants » (Chapitre 1). Le cadre législatif, tant français qu’américain, sera ensuite abordé (Chapitre 2). Enfin, sera exposé le rôle du dirigeant au sein de chaque système juridique étudié (Chapitre 3). CHAPITRE 1 : La définition du dirigeant Le terme générique de « dirigeant » recouvre en réalité une variété d’acteurs au sein de l’entreprise. La notion américaine sera tout d’abord abordée (I) pour être ensuite comparée à la conception française (II). I) La notion de dirigeant aux Etats-Unis Les dirigeants des sociétés américaines se scindent en deux catégories : d’une part, les officers et, d’autre part, les directors.  Officers Le terme officers désigne les dirigeants en charge de la gestion quotidienne de la société et qui doivent rendre compte de leurs actes aux administrateurs (« directors »). Les missions qui leurs sont confiées sont prévues et détaillées dans les statuts. De manière générale, les officers sont investis d’un pouvoir de représentation envers les tiers et peuvent ainsi contracter au nom de la société. Cette catégorie recouvre : o le Président (« Chief Executive Officer » ou « CEO ») ; o le Directeur général (« Chief operating officer » ou « COO ») ; o le Directeur financier (« Chief financial officer » ou « CFO ») ; o le Secrétaire.  Directors Là encore, la notion n’est pas précisément définie par les textes légaux. Cependant, la définition généralement retenue par la jurisprudence et les auteurs est la suivante : “A director is the head of an organization, either elected or appointed, who generally has certain powers and duties relating to management or administration”4 . Il ressort de cette définition – au demeurant relativement large – que le director est investi de certains pouvoirs et devoirs dans le cadre de la gestion et l’administration de la société. 4 West’s Encyclopedia of American Law, edition 2, The Gale Group, 2008
  • 6. 6 Le director est membre du Board of directors – généralement traduit par « Conseil d’administration ». Il s’agit d’un organe unique composé d’administrateurs qui peuvent ou non assurer une fonction de direction5 . A cet égard, une distinction est opérée entre les inside directors et les outside directors6 . L’inside director, en sus de son mandat d’administrateur, détient le titre de directeur ou possède des parts/actions de la société. Les principaux inside directors sont le CEO, le directeur général, le directeur financier et les représentants des actionnaires. L’outside director – ou non-executive director – n’a aucun lien de subordination envers l’entreprise et n’est pas un représentant des actionnaires. Il ne participe pas à la gestion de la société. La jurisprudence américaine admet qu’une personne physique, sans être dirigeant de droit (« de jure director ») puisse néanmoins être dirigeant de fait (« de facto director »). Le dirigeant est qualifié « de fait » dès lors qu’il contrôle effectivement la direction de la société et qu’il exerce les fonctions de dirigeant, en se prévalant d’avoir été élu ou désigné pour ce faire. Le dirigeant de fait est tenu aux mêmes devoirs fiduciaires7 que le dirigeant de droit8 . II) La notion de dirigeant en France Tout comme aux Etats-Unis, la notion de dirigeant n’est pas légalement définie en France. Dès lors, sa définition trouve sa source dans la jurisprudence ainsi que la doctrine, pour lesquelles un dirigeant d’une société commerciale est un mandataire social, c’est-à-dire qu’il représente la société dans tous les actes de la vie courante de l’entreprise. Il s’agit ainsi du représentant légal de la société. Il est constant, au regard des textes régissant le droit des sociétés, que :  dans les sociétés à responsabilité limitée (ci-après désignées « SARL »), seuls les gérants sont qualifiés de dirigeants ;  dans les sociétés anonymes (ci-après désignées « SA ») de type moniste, les dirigeants recouvrent les membres du Conseil d’administration ainsi que le Directeur général, outre le/les Directeur(s) général(aux) délégué(s) ;  dans les SA de type dualiste, les dirigeants sont les membres du Directoire. Quant aux membres du Conseil de surveillance, ils exercent uniquement une mission de contrôle des organes de la direction de la société. En conséquence, ils ne sont pas considérés comme dirigeants de l’entreprise. A cet égard, les textes précisent expressément qu’ « ils n’encourent aucune responsabilité en raison des actes de la gestion et de leur résultat »9 ; 5 Principes de gouvernance d’entreprise du G20 et de l’OCDE, Editions OCDE, Paris, 2017 6 Dahya J., McConnell JJ., “Outside directors and corporate board decisions”, Journal of corporate finance, 2005 7 Sur la notion de « devoirs fiduciaires », cf. page 29 8 South Seas Corp. v. Sablan, 525 F. Supp. 1033, District Court of Northern Mariana Islands, 21 octobre 1981 9 Article L225-257 du Code de commerce
  • 7. 7  dans les sociétés par actions simplifiée (ci-après désignées « SAS »), la question se pose de savoir lesquels parmi ses membres, outre le Président et les éventuels directeurs généraux et/ou les directeurs généraux délégués, doivent être qualifiés de dirigeants. Sur ce point, d’aucuns considèrent que « l’une des plus sérieuses difficultés suscitées par le régime de la SAS vient de ce que le législateur ne se préoccupe nullement de définir le terme générique de « dirigeant » pourtant employé à plusieurs reprises »10 . Face à cet écueil, il importe d’apprécier la notion de dirigeant in concreto, en fonction de la nature des missions confiées statutairement aux administrateurs11 . Sur cette base, les Juges du fond considèrent que les personnes disposant d’un pouvoir de gérer la SAS doivent être qualifiées de dirigeants, et ce, peu important qu’elles soient membres d’un organe de surveillance12 . Une distinction classique en droit français est celle opérée entre le dirigeant de fait et le dirigeant de droit. La qualification de dirigeant de fait s’impose en présence de « faits précis de nature à caractériser une immixtion dans la gestion se traduisant par une activité positive et indépendante, par le pouvoir d’engager la personne morale ou encore une activité positive de direction en toute indépendance. Cette gestion de fait peut être caractérisée même si elle ne concerne qu’une partie de la gestion de la personne morale. Elle ne doit cependant pas se résumer à des faits limités ou isolés »13 . Cette définition résulte de la jurisprudence de la Cour de cassation, laquelle qualifie de dirigeants de fait « les personnes tant physiques que morales qui, dépourvues de mandat social, se sont immiscées dans la gestion, l’administration ou la direction d’une société, celles qui, en toute souveraineté ou indépendance ont exercé une activité positive de gestion et de direction »14 et « sous couvert ou au lieu et place [des] représentants légaux [de cette société] »15 . La Haute juridiction dégage ainsi trois conditions pour qualifier une personne de dirigeant de fait :  l’intéressé doit avoir agi en toute indépendance ;  il doit avoir réalisé des actes positifs ;  ces actes doivent être des actes de direction, de gestion ou d’administration. La qualification est réalisée par une appréciation in concreto ainsi que par la vérification de la réunion d’un faisceau d’indices concordants16 . En tout état de cause, la notion de dirigeant de fait en France diffère significativement de la qualification américaine, en ce qu’il n’est pas nécessaire que l’intéressé se soit prévalu d’une prétendue élection ou désignation. 10 Godon L., La Société par Actions Simplifiée, L.G.D.J., 2014 11 Varachas L., « Les « administrateurs » de sociétés par actions simplifiées », Journal spécial des sociétés, n° 153, p. 23 à 26, juin 2017 12 CA Paris, Pôle 5 – Chambre 9, n° 13/03892, 20 juin 2013 13 Tricot D., « Les critères de la gestion de fait », Droit et patrimoine, p. 24, janvier 1996 14 Cass. crim., 19 mai 1999, n° 98-81105 15 Cass. soc., 25 janvier 1994, n° 90-41913 16 Cass. com., 20 avril 2017, n° 15-10425
  • 8. 8 CHAPITRE 2 : L’évolution du cadre législatif Les Etats-Unis et la France étant tous deux membres de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), leur cadre législatif respectif en matière de responsabilité des dirigeants est largement influencé par les Principes de gouvernance d’entreprise, publiés pour la première fois en 199917 . Bien que n’ayant aucun pouvoir contraignant, ces principes se présentent comme « la référence au niveau international pour les responsables de l’action publique, les investisseurs, les sociétés et les autres parties prenantes ». Ils ont pour objet « d’aider les responsables de l’action publique à évaluer et améliorer le cadre juridique, réglementaire et institutionnel, organisant la gouvernance d’entreprise afin de favoriser l’efficience économique, une croissance durable et la stabilité financière ». Les Principes de gouvernance d’entreprise demeurent une source parmi d’autres de la législation encadrant la responsabilité des dirigeants. De toute évidence, le législateur tant américain que français a adapté et nuancé quelque peu ces principes de façon à se conformer aux spécificités politiques et culturelles propres à chacun des deux Etats. Dès lors, il convient d’étudier l’évolution de cette législation, d’une part aux Etats-Unis (I) et, d’autre part, en France (II). I) L’évolution de la législation relative à la responsabilité des dirigeants aux Etats-Unis Comme pour l’ensemble des branches du droit américain, la responsabilité des dirigeants ne fait pas l’objet d’un cadre législatif uniforme. Dès lors, seront uniquement étudiés ci-après les principaux textes en vigueur. Tout d’abord, parmi les cinquante Etats, une large partie est soumise au Model Business Act (MBCA) (a). En outre, de nombreuses sociétés choisissent de s’enregistrer dans l’Etat du Delaware en raison des multiples atouts que sa législation présente (b). Enfin, les entreprises cotées en bourse sont régies par la loi fédérale et soumises au contrôle de la Securities and Exchange Commission (SEC) (c). a- Le Model Business Corporation Act (“MBCA”) Ce texte est né en 1950, sous l’égide de l’American Bar Association. Il s’agit d’un ensemble de règles standard applicables au droit des sociétés, dépourvu de valeur contraignante au niveau national. Néanmoins, trente-deux Etats ainsi que le District de Columbia ont choisi de ratifier ce texte en tout ou partie18 . En tout état de cause, ce texte a influencé très largement le droit des sociétés aux Etats-Unis et est régulièrement cité en tant que référence par les tribunaux, les avocats et les auteurs19 . 17 Principes de gouvernance d’entreprise du G20 et de l’OCDE, Editions OCDE, Paris, 2017 18 Ces Etats sont les suivants : Alabama, Arizona, Arkansas, Colorado, Caroline du Nord, Caroline du Sud, Connecticut, Dakota du Sud, Floride, Géorgie, Hawaï, Idaho, Indiana, Iowa, Kentucky, Louisiane, Maine, Massachussetts, Mississippi, Montana, Nebraska, New Hampshire, Nouveau Mexique, Oregon, Rhode Island, Tennessee, Utah, Vermont, Virginie, Washington, Wisconsin, Wyoming 19 “Model Business Corporation Act (2016) Launches”, ABA Publishing, 2017 / https://businesslawtoday.org/2017/01/model-business-corporation-act-2016-revision-launches/
  • 9. 9 Ce texte a été révisé à plusieurs reprises, la dernière version datant de 2016 (ANNEXE A). Cette nouvelle mouture est le fruit d’une importante refonte visant à éliminer certaines incohérences et moderniser des dispositions devenues obsolètes depuis la révision de 1984. Pris en sa dernière version, les principaux apports du MBCA sont les suivants :  simplification des dispositions relatives au capital social : o suppression des notions de « stated capital » (capital déclaré), « par value » (valeur nominale des actions), « treasury shares » (actions rachetées). Les auteurs ont reconnu que ces concepts, dont la vocation première était de protéger les créanciers, ne remplissaient plus leur rôle ; o les actions peuvent être constituées par tout bénéfice tangible ou intangible de la société ; o suppression de la distinction entre les différents types d’actions.  modernisation des dispositions relatives aux « distributions », c’est-à-dire tout transfert d’argent ou de propriété au bénéfice d’un actionnaire (section 6.40) : L’entreprise qui entend réaliser ces distributions doit préalablement procéder à un « insolvency test » et un « balance sheet tests » (tests de solvabilité). Il s’agit de vérifier que l’actif de l’entreprise est supérieur ou égal au passif et au « liquidation preferences on senior equity », sorte de droit de préférence accordé à certains actionnaires qui se verront rémunérer en priorité.  distinction entre le code de bonne conduite des dirigeants et le régime de responsabilité : o le code de bonne conduite des dirigeants (section 8.30) porte essentiellement sur la manière dont les dirigeants agissent et prennent leurs décisions. Cette section insiste sur le devoir de bonne foi du dirigeant et sur la croyance du dirigeant d’agir dans le meilleur intérêt de l’entreprise. o s’agissant du régime de responsabilité des dirigeants (section 8.31), le MBCA pose le principe selon lequel, de manière générale, un dirigeant n’engage pas sa responsabilité personnelle en cas de décision imprudente ou non-conforme aux règles de bonne conduite énoncées à la section 8.30. Néanmoins, sa responsabilité peut être retenue en cas de faute dans l’exécution ou d’absence d’exécution de ses obligations.
  • 10. 10  clauses élusives / limitatives de responsabilité ou des devoirs des dirigeants (section 2.02) : Il est possible d’insérer dans les statuts : o une clause élusive ou limitative de responsabilité à l’égard de l’administrateur qui, par son action ou inaction, causerait un préjudice à la société, exception faite des cas où cet administrateur :  reçoit un avantage pécuniaire auquel il ne peut pas légalement prétendre ;  cause intentionnellement un dommage à l’égard de la société ou des actionnaires ;  consent à distribuer des sommes aux actionnaires qui excèdent le plafond autorisé ;  viole intentionnellement une loi pénale. o une clause supprimant ou limitant un devoir du dirigeant. Cependant, une telle clause doit être approuvée par le Conseil d’administration.  nouvelle approche sur les transactions conclues par les dirigeants et impliquant des conflits d’intérêts (section 8.60) : Cette section porte sur les transactions conclues entre un dirigeant et la société, celle-ci étant considérée comme une partie à part entière. Il peut s’agir notamment : o d’un prêt consenti par la société à l’un de ses dirigeants ou à une entité dans laquelle l’un de ses dirigeants détient un intérêt financier ; o d’une garantie consentie par la société d’une obligation incombant à l’un de ses dirigeants ou incombant à une entité dans laquelle l’un de ses dirigeants détient un intérêt financier ; o de toute convention conclue entre la société et l’un de ses dirigeants ou à une entité dans laquelle l’un de ses dirigeants détient un intérêt financier. De telles transactions ne peuvent pas être remises judiciairement en cause si elles ont été approuvées par les autres dirigeants (« qualified directors ») ainsi que par les actionnaires dépourvus d’intérêt. Il s’agit en quelque sorte d’un équivalent des conventions réglementées en France. Ces transactions étant alors approuvées, le dirigeant concerné ne peut faire l’objet d’aucune sanction, y compris pécuniaire. Elles restent néanmoins susceptibles d’être contestées en justice sur d’autres fondements que celui tenant au conflit d’intérêts.
  • 11. 11  nouvelle règle d’exonération sur les opportunités d’affaires (« business opportunities safe harbor ») (section 8.70) Les auteurs américains s’accordent à dire que, s’agissant de certaines opportunités d’affaires, la société bénéficie d’un droit prioritaire sur celui de ses dirigeants. En principe, dans le cas où un dirigeant s’arroge un droit prioritaire sur une telle opportunité sans avoir préalablement présentée cette dernière à la société, il risque d’être poursuivi pour avoir usurpé ou intercepté ce droit au détriment de la société, et s’expose à des dommages-intérêts. Il s’agit de la règle des opportunités d’affaires (« corporate opportunity doctrine »). Néanmoins, le MBCA admet la possibilité de déroger statutairement à cette règle en stipulant que dans le cas où un dirigeant tire profit, directement ou indirectement, d’une opportunité d’affaires, cette situation ne peut donner lieu à des sanctions, y compris pécuniaires, au motif que la société aurait dû bénéficier de ce profit en priorité. Cette dérogation statutaire doit être approuvée par le Conseil d’administration. b- Le droit des sociétés du Delaware (« the Delaware General Corporation Law ») La Delaware General Corporation Law (« DGCL ») est insérée au Titre 8, Chapitre 1 du Code du Delaware (ANNEXE B). Adoptée le 10 mars 1899, elle jouit d’un véritable succès en raison de sa flexibilité. Comptant plus d’un million de sociétés, le Delaware se targue d’être l’Etat favori de domiciliation des entreprises américaines et internationales. Sur ce point, force est de constater que plus de 66 % des entreprises classées au Fortune 50020 y sont domiciliées21 . Ce régime juridique est particulièrement plébiscité par les sociétés cotées en bourse. En effet, en vertu de la règle des affaires internes (« internal affairs doctrine »), les sociétés exerçant leur activité dans plusieurs Etats sont exclusivement régies par le droit applicable au sein de l’Etat dans lequel elles sont immatriculées22 . Cette règle permet aux sociétés immatriculées dans l’Etat du Delaware de bénéficier non seulement d’une législation avantageuse et flexible, mais également d’une uniformisation des règles applicables à son activité sur l’ensemble du territoire américain. Il en résulte que si une procédure est engagée à l’encontre d’une société immatriculée dans l’Etat du Delaware devant une juridiction d’un autre Etat, cette juridiction devra appliquer le droit du Delaware, et ce, même si la société en défense n’y exerce aucune activité et s’est contentée de s’y immatriculer. 20 Le Fortune 500 est le classement annuel des 500 premières entreprises américaines, classées selon l’importance de leur chiffre d’affaires. 21 Site internet de l’Agence pour les entreprises du Delaware (« Delaware Division of Corporations ») : https://corp.delaware.gov/aboutagency/ 22 Usa Ibp Usa, Us Company Laws And Regulations Handbook, Volume 2 Delaware Corporation, International Business Publications, 2009
  • 12. 12 Cet avantage considérable est d’autant plus apprécié que l’Etat du Delaware ne prélève aucun impôt sur les sociétés pour les entreprises immatriculées dans cet Etat et n’y exerçant aucune activité. Cela étant, dans un tel cas de figure, ces sociétés demeurent redevables d’une taxe annuelle qualifiée de « franchise tax », dont l’ensemble des entreprises immatriculées dans l’Etat du Delaware sont redevables. Par ailleurs, le droit du Delaware a ceci d’avantageux qu’elle n’exige aucunement des dirigeants ou actionnaires de la société qu’ils soient domiciliés dans cet Etat. En outre, une société peut être dirigée par une personne unique, tandis que d’autres Etats exigent un minimum de trois dirigeants23 . Le succès du droit du Delaware est tel qu’il fait office de modèle à part entière dans d’autres Etats24 , lesquels s’inspirent de principes essentiels tels que celui de la Business judgment rule25 . Il s’agit d’une présomption simple selon laquelle les dirigeants agissent de bonne foi, avec diligence et en toute loyauté. Le droit du Delaware a donné lieu à une abondante jurisprudence rendue notamment par la Court of Chancery. La particularité de cette juridiction réside dans le fait qu’elle soit dépourvue de jury, les décisions étant exclusivement rendues par le Chancelier ou l’un des quatre Vice-Chanceliers. La Court of Chancery est compétente pour trancher les litiges relatifs aux principes d’équité (« equity »). Au sein du système du Common law, l’équité recouvre un ensemble de principes généraux qui ont été progressivement dégagés par la jurisprudence, tels que26 :  L’équité suit le droit (« Equity follows the law ») L’équité doit être conforme au droit et ne doit pas remettre en cause les règles établies par le common law ; elle peut uniquement les compléter.  L’équité s’intéresse davantage à l’intention qu’à la forme (« Equity looks at the intent rather than the form ») L’équité doit vérifier en premier lieu l’intention des parties et le fond plutôt que la forme. En d’autres termes, dans l’hypothèse où les règles de forme n’auraient pas été respectées, un accord peut néanmoins être validé s’il ne subsiste aucun doute quant à l’intention des parties. 23 Exemples : les Etats de Californie, Maine, Maryland, New York, Utah USA Ibp Usa, Us Company Laws and Regulations Handbook, International Business Publication, 2012 24 Sirikanchana S. and Zand S., "The Manner in Which Corporate Law and Financial Regulations Are Made", Comparative Corporate Governance and Financial Regulation, Paper 6, 2016 25 Cf. page 32 26 Levenstein M., « Maxims of Equity: A Juridical Critique of the Ethics of Chancery Law », Algora Publishing, page 95, 2014
  • 13. 13  L’équité ne laissera pas un dommage privé de réparation (« Equity will not suffer a wrong to be without a remedy ») Une décision rendue en équité ordonnera la réparation intégrale du préjudice causé.  L’équité aide les personnes diligentes et non pas négligentes (« Equity aids the vigilant and not the indolent ») Une partie ne peut se prévaloir du principe d’équité s’il a lui-même tardé à faire valoir ses propres droits.  Celui qui recherche l’équité doit lui-même agir avec équité (« He who seeks equity must do equity ») Une partie n’est pas recevable à rechercher la réparation de son préjudice si elle ne s’est pas elle-même comportée de manière équitable envers l’autre partie. L’équité se distingue du droit pur en ce qu’il ne tend pas à la réparation pécuniaire du préjudice subi mais à une réparation en nature, telle qu’une injonction de faire (« specific performance ») ou de ne pas faire (« injunction »). Distincts à l’origine, les systèmes de common law et d’equity ont été fusionnés aux Etats-Unis en 193827 . Les juridicions d’equity ont alors rejoint celles du Common law, excepté dans les Etats du Delaware, du Mississippi et du Tennessee, où elles ont été conservées. Les décisions rendues par la Court of Chancery peuvent faire l’objet d’un recours devant la Delaware Supreme Court. Il s’agit de la juridiction la plus haute de l’Etat où siègent cinq juges, nommés par le Gouverneur pour un mandat de douze ans. Quelques exemples de décisions (« opinions ») remarquées rendues par les juridictions de l’Etat du Delaware relatives à la responsabilité des dirigeants sont exposés ci-après :  Caremark International Inc. Derivative Litigation, 199628 A travers cette décision, la Court of Chancery a défini pour la première fois le devoir de surveillance (« oversight duty ») incombant aux dirigeants (ANNEXE C). Dans cette affaire, des employés de la société Caremark étaient accusés d’avoir commis des infractions pénales, entraînant le paiement d’amendes à hauteur de 250 millions de dollars. Les actionnaires de la société ont intenté une action judiciaire à l’encontre des dirigeants pour manquement à leur devoir fiduciaire d’avoir à contrôler les affaires de la société. Les actionnaires et dirigeants sont finalement parvenus à un accord, qu’il convenait de faire homologuer judiciairement. 27 Les Federal Rules of Civil Procedure sont entrées en vigueur le 16 septembre 1938 28 Caremark International Inc. Derivative Litigation, 698 A.2d 959, Civil action n° 13670 (Del. Ch. Sept. 25, 1996)
  • 14. 14 La Court of Chancery a retenu que : « Directors have “a duty to attempt in good faith to assure that a corporate information and reporting system, which the board concludes is adequate, exists…” [However], only a sustained or systematic failure of the board to exercise oversight – such as an utter failure to attempt to assure a reasonable information and reporting system exists – will establish the lack of good faith that is a necessary condition to liability. Such a test of liability – lack of good faith as evidenced by sustained or systematic failure of a director to exercise reasonable oversight – is quite high. » Pour la Court of Chancery, les dirigeants sont ainsi tenus d’une obligation de bonne foi de mettre en place un système efficace d’information et de surveillance de la société. La Cour subordonne la responsabilité des dirigeants pour manquement à leur obligation de surveillance à trois conditions cumulatives : o les dirigeants avaient / auraient dû avoir connaissance des actes illicites qui se déroulaient au sein de la société ; o ils n’ont pris aucune mesure pour empêcher ou remédier de bonne foi à cette situation ; o ce manquement est la cause directe des pertes alléguées par les demandeurs. L’accord conclu entre les actionnaires et les dirigeants a été validé. Cette décision est historique dans le droit du Delaware, à tel point que toute action désormais intentée par des actionnaires à l’encontre de dirigeants pour une prétendue violation de leur obligation de bonne foi est qualifiée d’« action Caremark ».  Stone v. Ritter, 200629 : Dans cette affaire, des actionnaires de la société AmSouth Bancorporation, société immatriculée dans l’Etat du Delaware, ont intenté une action à l’encontre de quinze de ses dirigeants. Les demandeurs faisaient grief à ces derniers d’avoir fait supporter à la société des amendes et pénalités à hauteur de 50 millions de dollars dans le cadre de la violation par certains employés des règles inhérentes au secret bancaire et à la lutte contre le blanchiment d’argent. Les actionnaires faisaient valoir que les dirigeants avaient fait preuve d’un manquement à leur obligation de surveillance. 29 Stone v. Ritter, et al., WL 3169168 (Del. Nov. 6, 2006)
  • 15. 15 La Cour suprême n’a pas accueilli cette argumentation et a confirmé la décision de la Court of Chancery, laquelle avait jugé que : « the plaintiffs did not plead the existence of “red flags” – “facts showing that the board ever was aware that AmSouth’s internal controls were inadequate, that these inadequacies would result in illegal activities, and that the board chose to do nothing about problems it allegedly knew existed” ». La Cour suprême a considéré : « In the absence of red flags, good faith in the context of oversight must be measured by the directors’ actions “to assure a reasonable information and reporting system exists” and not by second-guessing after the occurrence of employee conduct that resulted in an unintended adverse outcome ». En d’autres termes, en l’espèce, les demandeurs se sont contentés de critiquer après-coup (« second-guessing ») l’inaction des dirigeants, sans pour autant démontrer que ces derniers avaient expressément été alertés sur le caractère inadéquat des contrôles internes et que ces inadéquations pouvaient déboucher sur des activités illégales. Ils n’ont pas davantage établi que les dirigeants avaient preuve de mauvaise foi, condition pourtant essentielle pour voir retenir la responsabilité des dirigeants. Dès lors, les actionnaires ont été déboutés de leurs demandes (ANNEXE D). c- Les entreprises cotées en bourse : SEC et droit fédéral La Securities and Exchange Commission (ci-après désignée « la SEC ») est un organisme gouvernemental qui a été institué en 193430 . Sa mission est de trois ordres : d’une part, protéger les investisseurs, d’autre part, garantir un fonctionnement juste, ordonné et efficace des marchés et, enfin, faciliter la formation du capital31 . Basée à Washington DC, cette autorité est composée de cinq divisions, chacune d’elles étant dirigée par un commissionnaire32 :  Corporation Finance : elle s’assure que les investisseurs disposent d’informations suffisantes pour prendre leurs décisions de manière éclairée. Elle est également chargée d’accompagner les sociétés dans l’interprétation de la réglementation. Enfin, elle formule des recommandations à la SEC sur l’opportunité d’établir de nouvelles règles et d’amender des textes existants. 30 Securities Exchange Act, Public Law 73-291, promulguée le 6 juin 1934 31 Site internet de l’Office of Investor Education and Advocacy (OIEA), dont la mission consiste à fournir des services et outils pour traiter des problématiques rencontrées par les investisseurs : https://www.investor.gov/introduction-investing/basics/role-sec 32 Site internet de la SEC : https://www.sec.gov/divisions.shtml
  • 16. 16  Investment management : elle surveille les sociétés d’investissements à capital variable et les fonds communs de placement.  Enforcement : cette division mène des enquêtes dans le cadre d’éventuelles violations de lois fédérales sur les valeurs mobilières et engage des actions civiles devant les juridictions fédérales.  Trading and Market : elle élabore des normes visant à garantir un fonctionnement juste, ordonné et efficace des marchés financiers.  Economic and Risk Analysis : elle est en charge de l’analyse approfondie des données économiques et statistiques, afin de dégager les problématiques, tendances et innovations touchant les marchés financiers. Tout comme l’AMF en France33 , la SEC dispose d’un pouvoir réglementaire et d’un pouvoir de sanction. *** La loi fédérale Sarbanes-Oxley34 de 2002 (ci-après désignée « la loi SOX ») sur la réforme de la comptabilité des sociétés cotées et la protection des investisseurs a été votée dans le contexte du krach boursier de 200135 (ANNEXE E). Le texte est composé de onze titres, dont l’essentiel est présenté ci-après : Titre I − Création du Public Company Accounting Oversight Board (“PCAOB”) Cet organisme est chargé de la supervision, la régulation et l’inspection des cabinets d’audit des sociétés cotées. Titre II − Indépendance des auditeurs Cette règle vise à limiter les situations de conflits d’intérêts. Certaines activités des cabinets d’audit sont réduites, telles que l’activité de conseil au bénéfice de leurs clients. La durée maximale des mandats est fixée à cinq ans. 33 Cf. page 39 34 Sarbanes-Oxley Act of 2002, Public Law 107-204, Approved July 30, 2002, 116 Stat. 745 35 De nombreux investisseurs avaient perdu des sommes considérables du fait de comportements frauduleux, en particulier des manipulations de données comptables.
  • 17. 17 Titre III − Responsabilité des entreprises Le directeur général et le directeur financier sont tenus de certifier, dater et signer les rapports financiers. De la sorte, ils engagent leur responsabilité personnelle sur l’exactitude et l’exhaustivité des données présentées dans ces rapports. Titre IV – Renforcement de la transparence des états financiers Les entreprises sont tenues de divulguer promptement tout changement notable dans leur situation financière. Les auditeurs externes doivent analyser les rapports internes établis par les dirigeants et en valider les résultats. En outre, ils émettent un avis officiel sur l’efficacité des contrôles internes (article 404). Il est interdit aux dirigeants de recourir à un emprunt personnel auprès de leur entreprise. Titre V − Conflits d’intérêt chez les analyses financiers Ce titre consiste à définir un code de bonne conduite des analystes financiers. Ces derniers sont tenus de divulguer tout conflit d’intérêt potentiel. Il s’agit ni plus ni moins de préserver ou restaurer la confiance des investisseurs à leur égard. Titre VI − Autorité et ressources de la SEC La SEC a le pouvoir de censurer ou d’interdire un professionnel (courtier, négociant, conseiller) de pratiquer son activité. Titre VII − Etudes et rapports La SEC est chargée de dresser un certain nombre de rapports relatifs aux fraudes sur les titres des marchés financiers, au rôle des agences de notation et celui des banques d’investissement.
  • 18. 18 Titre VIII − Responsabilité en cas de fraude ou délit Ce titre présente les différentes sanctions pénales encourues en cas de fraude, de modification ou destructions des données financières, mais également l’immixtion dans les enquêtes internes et la protection accordée aux lanceurs d’alerte. Titre IX − Renforcement des peines pour les cols blancs fraudeurs Les sanctions pénales à l’égard des cols blancs fraudeurs sont alourdies. La certification des comptes par une personne non habilitée, notamment, constitue une infraction pénale. Titre X − Déclarations du revenu des sociétés Cette déclaration de revenus doit être signée par le Directeur général. Titre XI − Fraude en entreprise et responsabilité La falsification des comptes constitue une infraction pénale. La SEC est investie du pouvoir de geler toute opération qu’elle estimerait inhabituelle. De nombreuses dispositions s’appliquent également aux sociétés non cotées. Cette loi a fait l’objet de vives critiques, en particulier quant à ses dispositions portant sur l’évaluation du contrôle interne (Titre IV - article 404). En effet, une telle évaluation suppose des vérifications de grande ampleur, lesquelles impliquent des coûts significatifs (modification des systèmes d’information comptable, outils de reporting, frais d’audit…), voire disproportionnés vis-à-vis des entreprises les plus modestes36 . 36 Wang J., “Sarbanes-Oxley Section 404 Places Disproportionate Burden on Smaller Public Companies”, Center for Data Analysis of The Heritage Foundation, 2008
  • 19. 19 II) L’évolution de la législation relative à la responsabilité des dirigeants en France Quatre lois essentielles seront examinées ci-après : la loi relative aux nouvelles régulations économiques (a), la loi de sécurité financière (b), la loi pour la confiance et la modernisation de l’économie (c) et, enfin, la loi relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique (d). a- La loi relative aux nouvelles régulations économiques (dite « loi NRE »)37 Alors que la loi du 16 novembre 1940 sur l’administration et la direction des sociétés anonymes avait institué une concentration des pouvoirs de direction entre les mains du Président du Conseil d’administration (lequel était alors désigné par le vocable de « Président Directeur général »), la loi NRE a opéré une distinction entre, d’une part, les fonctions de Président du Conseil d’administration et, d’autre part, celles de Directeur général. Ainsi, depuis l’entrée en vigueur de la loi NRE, il revient au Conseil d’administration de choisir entre :  maintenir la concentration des pouvoirs entre les mains du Président-Directeur général ;  dissocier les fonctions de Président du Conseil d’administration et celles de Directeur général. Par conséquent, et en toute logique, le Directeur général a été ajouté à la liste des personnes physiques civilement responsables38 . D’aucuns considèrent que cette dissociation instaurée par la loi NRE a été directement inspirée par le modèle américain qui distingue les directors des officers39 . En tout état de cause, cette disposition a été globalement accueillie de manière favorable par les auteurs, qui y voient une amélioration de la situation des dirigeants sociaux à travers un meilleur équilibre des pouvoirs40 . Un autre apport essentiel de la loi NRE réside dans l’obligation de mentionner, dans le rapport annuel présenté à l’assemblée générale, les rémunérations et avantages versés aux dirigeants des sociétés anonymes au cours de l’exercice passé41 . 37 Loi n° 2001-420 du 15 mai 2001 relative aux nouvelles régulations économiques, JORF n° 113 du 16 mai 2001, page 7776 38 Article L225-251 du Code de commerce 39 Conac P-H., « La dissociation des fonctions de président du conseil d’administration et de directeur général des sociétés anonymes par le projet de loi sur les Nouvelles Régulations Economiques (NRE) », Revue générale du droit, n° 726, 2012 40 Grossi I., « La situation des dirigeants sociaux au lendemain de la loi sur les nouvelles régulations économiques », Droit et Patrimoine, n° 98, 1er novembre 2001 41 Article 116 de la loi NRE
  • 20. 20 b- La loi de sécurité financière (dite « loi LSF »)42 Les dispositions de cette loi s’appliquent à l’ensemble des sociétés anonymes ainsi qu’aux sociétés faisant appel à l’épargne publique. Ce texte vise principalement à renforcer le contrôle interne des sociétés en imposant de nouvelles obligations aux dirigeants (ANNEXE F)43 . Pour une large partie de la doctrine, la loi LSF a été largement influencée par la loi américaine Sarbanes-Oxley44 , en ce que, notamment :  ces deux lois visent à apporter aux actionnaires une plus grande transparence concernant l’information comptable et financière de la société ;  elles créent toutes deux un organe de contrôle des commissaires aux comptes (Public Company Accounting Oversight Board aux Etats-Unis ; Haut Conseil du commissariat aux comptes en France) ;  la loi LSF impose au Président du Conseil d’administration45 ou du Conseil de surveillance46 de rendre compte des procédures de contrôle interne mises en place au sein de la société (au sein des sociétés américaines cotées, cette obligation revient au CEO et au CFO)47 . A l’inverse, la loi LSF a apporté un certain assouplissement s’agissant, notamment :  de l’obligation de publication de la rémunération et avantages versés aux dirigeants, initialement instituée par la loi NRE et s’imposant désormais aux seules sociétés cotées en bourse48 ;  des conventions réglementées passées avec les actionnaires de la société, lesquelles ne doivent être soumises à autorisation préalable du Conseil d’administration49 ou du Conseil de surveillance50 que si l’actionnaire intéressé dispose d’une fraction de vote supérieure à 10 %, contre 5 % auparavant. De surcroît, pour certains auteurs, la loi LSF a signé un recul de la responsabilité pénale des dirigeants, notamment en substituant les sanctions pénales jusqu’alors prévues en matière d’émission de valeurs mobilières ou de tenue d’assemblées générales, par la nullité des décisions irrégulières51 . 42 Loi n° 2003-706 du 1er août 2003 de sécurité financière, JORF n° 177 du 2 août 2003, page 13220 43 Marini P., Rapport d’information n° 431 (2003-2004), au nom de la commission des finances du Sénat, 27 juillet 2004 - https://www.senat.fr/rap/r03-431/r03-43148.html 44 Cf. page 16 45 Article L225-37 du Code de commerce 46 Article L225-68 du Code de commerce 47 Cappelletti L., « La normalisation du contrôle interne : esquisse des conséquences organisationnelles de la loi de sécurité financière », Normes et Mondialisation, mai 2004 48 Obligation désormais énoncée à l’article L225-37-3 du Code de commerce 49 Article L225-38 du Code de commerce 50 Article L225-86 du Code de commerce 51 Lucas F-X., « Loi de sécurité financière, corporate governance ou poudre aux yeux », Droit et Patrimoine, n° 122, 1er janvier 2004
  • 21. 21 c- La loi pour la confiance et la modernisation de l’économie (dite « loi Breton »)52 L’apport majeur de cette loi – au regard de la présente étude – réside dans l’extension du régime des conventions réglementées aux rémunérations et avantages accordés aux Présidents, Directeurs généraux et Directeurs généraux délégués des sociétés cotées en bourse à la cessation de leurs fonctions. Ces conventions sont ainsi soumises à autorisation préalable du Conseil d’administration53 ou du Conseil de surveillance54 . En pratique, ces dispositions concernent :  les retraites dites « chapeau », c’est-à-dire les régimes de retraite complémentaire financées en totalité par l’entreprise et attribuées sous forme de rente mensuelle ;  les « parachutes dorés », ou primes de départ, désignant les avantages et indemnités versés aux dirigeants à la suite de la cessation de leurs fonctions. Ils comprennent notamment les indemnités de départ proprement dites, les versements de stock-options ou encore les indemnités versées au titre d’une clause de non-concurrence. d- La loi relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique (dite « loi Sapin II »)55 Les principaux apports de cette loi en matière de responsabilité des dirigeants sont les suivants :  les Présidents, Directeurs généraux, membres du Directoire et gérants de sociétés qualifiées de « grande taille »56 sont tenus de mettre en place des mesures internes de prévention et de détection de faits de corruption et de trafic d’influence57 . Le contrôle du respect de ces mesures est assuré par l’Agence française anticorruption, créée par cette même loi. Le dirigeant qui viendrait à manquer à ces obligations s’expose à une sanction pécuniaire de 200.000 euros. Le texte précise que le montant de cette sanction est « proportionné à la gravité des manquements constatés et à la situation financière de la personne physique (…) sanctionnée ». 52 Loi n° 2005-842 du 26 juillet 2005 pour la confiance et la modernisation de l’économie 53 Article L225-38 du Code de commerce 54 Article L226-86 du Code de commerce 55 Loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 56 Dont l’effectif est supérieur ou égal à 500 salariés (ou appartenant à un groupe dont la société mère a son siège social en France et dont l’effectif comprend au moins 500 salariés) et dont le chiffre d’affaires annuel est supérieur à 100 millions d’euros 57 Article 17 de la loi Sapin II
  • 22. 22  l’action en responsabilité pour insuffisance d’actif58 est écartée en cas de simple négligence du dirigeant dans la gestion de la société59 . Partant, le risque pour les dirigeants de se voir poursuivis sur ce fondement s’en trouve nécessairement réduit. Il n’en demeure pas moins que la notion de « simple négligence » est soumise à l’appréciation souveraine des Juges du fond, ce qui ne contribue guère à une jurisprudence uniforme en la matière. CHAPITRE 3 : Le rôle du dirigeant Comme exposé supra, la notion de dirigeant revêt en réalité de multiples fonctions au sein de l’entreprise. Tant aux Etats-Unis (I) qu’en France (II), chaque catégorie de dirigeant est investie de missions spécifiques qui font l’objet du présent chapitre. I) Le rôle du dirigeant aux Etats-Unis Le Board of directors est chargé d’une double mission de surveillance et de conseil, l’objectif final étant « d’assurer aux actionnaires un rendement satisfaisant »60 . A ce titre, il participe activement au pilotage stratégique de l’entreprise61 . Il est par ailleurs amené à contrôler les pratiques de la société en matière de gouvernance, à déterminer la rémunération des dirigeants ou encore à gérer les conflits d’intérêt susceptibles de naître entre les dirigeants, les administrateurs et les actionnaires. De manière plus large, il veille, en principe, à ce que l’entreprise se conforme scrupuleusement à la législation en vigueur. Les outside directors apportent un éclairage extérieur aux décisions à prendre. Ils bénéficient généralement d’une large expérience du monde de l’entreprise, dans la mesure où il s’agit souvent de CEOs d’autres sociétés. De manière générale, les récentes réformes visent à accroître la part des outside directors au sein des Boards. Etant indépendants du management de l’entreprise, ils ne craindront pas, selon certains auteurs, d’affronter le CEO pour protéger les intérêts des actionnaires. Cela étant, certains regardent avec scepticisme l’efficacité alléguée de ces dirigeants, au regard de leur modeste niveau de connaissance de l’entreprise62 . 58 Cf. page 47 59 Article L651-2 du Code de commerce 60 Principes de gouvernance d’entreprise du G20 et de l’OCDE, Editions OCDE, Paris, 2017 61 Hendry K., Kiel G., “The Role of the Board in Firm Strategy: integrating agency and organisational controle perspectives”, Corporate Governance, Vol. 12, n° 4, Blackwell Publishing Ltd, October 2004 62 Duchin R., Matsusaka G., Ozbas O., When are outside directors effective?, septembre 2009
  • 23. 23 S’agissant des inside directors, le rôle du Chief Executive Officer – élu par le Board – est essentiel et l’un des plus influençables au sein de l’entreprise63 . Sa mission est multiple. Tout d’abord, il décide de la répartition des ressources au sein de l’entreprise et mène les négociations pour le compte de la société64 . Il veille à ce que les résultats de l’entreprise soient conformes aux objectifs fixés65 . Par ailleurs, il s’assure que le recrutement des salariés soit effectué de manière optimale66 . En outre, le CEO résout les conflits susceptibles d’intervenir entre les collaborateurs et les intervenants externes67 . Il rend compte au Board of directors et est le représentant légal de la société. Dès lors, le rôle décisionnaire du CEO est indéniable. Le Chef Financial Officer est en charge de superviser la gestion financière de l’entreprise. A ce titre, il rend compte de manière précise aux différentes parties prenantes – y compris aux actionnaires – de l’état financier de l’entreprise. Il est garant de la fiabilité des documents comptables et financiers de la société et veille à ce qu’ils soient établis conformément à la législation en vigueur. Par ailleurs, il participe activement aux décisions portant sur l’investissement des fonds de la société. II) Le rôle du dirigeant en France Le Code de commerce contient des dispositions spécifiques à chaque type de société commerciale. De manière générale, les textes distinguent les pouvoirs des dirigeants dans les rapports entre associés et dans les rapports avec les tiers. Des similitudes sont aisément identifiables s’agissant :  des pouvoirs confiés au représentant légal pour agir en toute circonstance dans la limite de l’objet social, sous réserve des pouvoirs expressément attribués aux actionnaires/associés et aux autres dirigeants ;  de l’engagement de la société par tout acte conclu par le dirigeant, quand bien même cet acte dépasserait l’objet social, à moins que la société ne démontre que le tiers avait connaissance de ce que l’acte dépassait cet objet social ou qu’il ne pouvait pas l’ignorer ;  du fait que la seule publication des statuts ne peut à elle-seule suffire à démontrer que le tiers savait que l’acte dépassait l’objet social ou ne pouvait l’ignorer. 63 Glick M., “The Role of Chief Executive Officer”, Advances in Developing Human Resources, SAGE Publications, 2011 64 Mintzberg H., The nature of managerial work. New York, NY: Harper & Row, 1973 65 Hart S., Quinn R., “Roles executives play: CEOs, behavioral complexity, and firm performance”, Human Relations n° 46, 1993 66 Gulick L., American forest policy: a study of government administration and economics. New York, NY: Institute of Public Administration, 1937 67 Castaldi R., “An analysis of the work roles of CEOs of small firms”, American Journal of Small Business, 1986
  • 24. 24 1) La SARL Elle est dirigée par un ou plusieurs gérants, qui peuvent être associés ou non, mais qui sont nécessairement des personnes physiques68 . S’agissant des rapports entre associés, les pouvoirs du gérant sont déterminés par les statuts. A défaut, le gérant peut réaliser tous les actes de gestion dans l’intérêt de la société69 , étant précisé que l’acte de gestion est celui qui ne relève pas de la compétence de l’assemblée générale70 . Pour ce qui concerne les rapports avec les tiers, le gérant dispose « des pouvoirs les plus étendus pour agir en toute circonstance au nom de la société, sous réserve des pouvoirs que la loi attribue expressément aux associés »71 . Les pouvoirs légalement attribués aux associés sont, par exemple, la transformation de la SARL en une SAS72 . En outre, « la société est engagée même par les actes du gérant qui ne relèvent pas de l’objet social, à moins qu’elle ne prouve que le tiers savait que l’acte dépassait cet objet ou qu’il ne pouvait l’ignorer compte tenu des circonstances, étant exclu que la seule publication des statuts suffise à constituer cette preuve ». A ce titre, le gérant peut engager la SARL par la conclusion d’un contrat de cautionnement73 , la mise en vente ou en location-gérance d’un fonds de commerce74 . Les associés peuvent choisir de limiter les pouvoirs du gérant en insérant une clause en ce sens dans les statuts. Néanmoins, une telle clause sera inopposable aux tiers. En d’autres termes, dans l’hypothèse où le gérant agirait sans l’accord préalable des associés, ces derniers pourront rechercher sa responsabilité personnelle. 2) La SA a- La SA à Conseil d’administration Le Directeur général, nécessairement personne physique, est le représentant légal auprès des tiers de la SA classique. A ce titre, il dispose des pouvoirs les plus étendus pour agir en toute circonstance au nom de la société, à la double condition que ces pouvoirs soient exercés dans la limite de l’objet social et sous réserve de ceux que la loi attribue expressément aux assemblées d’actionnaires et au Conseil d’administration75 . La société reste néanmoins engagée par les actes du Directeur général ne relevant pas de l’objet social, à moins qu’elle ne démontre que le tiers avait connaissance du dépassement de cet objet ou qu’il ne pouvait l’ignorer compte tenu des circonstances. 68 Article L223-18 alinéa 1 du Code de commerce 69 Combinaison des articles L223-18 et L221-4 du Code de commerce 70 Cass. com., 12 janvier 1993, n° 91-12548, Publié au Bulletin 71 Article L223-18 alinéa 5 du Code de commerce 72 Article L227-3 du Code de commerce 73 Cass. com., 12 mai 2015, n° 13-28504 74 Cass. com., 31 janvier 2012, n° 10-15489 75 Article L225-56 du Code de commerce
  • 25. 25 La seule publication des statuts ne saurait suffire à constituer cette preuve. En outre, les statuts peuvent prévoir de limiter les pouvoirs du Directeur général, sans que cette limitation soit opposable aux tiers. Le Directeur général peut être épaulé par des Directeurs généraux délégués dont le nombre est fixé dans les statuts et ne peut excéder cinq76 . Leur nomination relève du pouvoir du Conseil d’administration, sur proposition du Directeur général. S’agissant des administrateurs composant le Conseil d’administration, ils peuvent être des personnes tant physiques que morales77 . Cet organe a pour missions :  de déterminer les orientations de l’activité de la société et de veiller à leur mise en œuvre78 ;  de se saisir de toute question intéressant la bonne marche de la société et de régler les affaires la concernant par délibérations ;  d’autoriser les cautions, avals et garanties ;  d’autoriser les conventions réglementées ayant notamment vocation à être conclues, directement ou par personne interposée, entre la société et son Directeur général, un Directeur général délégué, un administrateur ou d’un actionnaire disposant d’une fraction des droits de vote supérieure à 10 %79 ; S’agissant des rapports avec les tiers, le Conseil d’administration engage la société y compris par les actes ne relevant pas de l’objet social, à moins que la société ne démontre que le tiers avait conscience du dépassement de l’objet social ou qu’il ne pouvait l’ignorer, la seule publication des statuts étant insuffisante à constituer cette preuve. Enfin, le Conseil d’administration réalise les contrôles et vérifications qu’il estime opportuns. Le Président du Conseil d’administration assume la direction générale de la société. Alternativement, le Conseil d’administration peut choisir de la confier au Directeur général80 . Le Président du Conseil d’administration « veille au bon fonctionnement des organes de la société et s’assure, en particulier, que les administrateurs sont en mesure de remplir leur mission81 ». 76 Article L225-53 du Code de commerce 77 Article L225-20 du Code de commerce 78 Article L225-35 du Code de commerce 79 Article L225-38 du Code de commerce 80 Article L225-51-1 du Code de commerce 81 Article L225-51 du Code de commerce
  • 26. 26 b- La SA à Conseil de surveillance et directoire Le Président du Directoire est le représentant légal de la SA de type dualiste. Le Conseil de surveillance peut, si une clause statutaire le prévoit, attribuer le même pouvoir de représentation à un ou plusieurs autres membres du Directoire, ceux-ci portant alors le titre de Directeur(s) général(aux)82 . Dans l’hypothèse où une seule personne exerce les fonctions dévolues au Directoire83 , celle-ci prend le titre de Directeur général unique et, par corollaire, de représentant légal de la société84 . Tant les membres du Directoire que le Directeur général unique sont nécessairement des personnes physiques. Le Directoire dispose des « pouvoirs les plus étendus pour agir en toute circonstance au nom de la société. Il les exerce dans la limite de l’objet social et sous réserve de ceux expressément attribués par la loi au conseil de surveillance et aux assemblées d’actionnaires »85 . S’agissant des rapports avec les tiers, la SA est engagée y compris par les actes du Directoire qui ne relèvent pas de l’objet social, à moins qu’elle ne démontre que le tiers avait connaissance de ce que l’acte dépassait cet objet ou qu’il ne pouvait l’ignorer compte tenu des circonstances. La seule publication des statuts ne saurait suffire à constituer cette preuve. Les statuts peuvent limiter les pouvoirs du Directoire, sans que cette limitation ne soit opposable aux tiers. 3) La SAS Cette forme de société a ceci de particulier qu’elle présente une large souplesse dans son fonctionnement et son organisation. Tout d’abord, le Président d’une SAS peut être tant une personne physique que morale. Par ailleurs, bien que la SAS doive impérativement être représentée à l’égard des tiers par un Président unique, une clause statutaire peut désigner un Directeur général ou un Directeur général délégué pour exercer les pouvoirs confiés à ce dernier86 . En pratique, il est courant de voir instaurer un Comité de direction ou bien un Conseil d’administration au sein des SAS. Le Président « est investi des pouvoirs les plus étendus pour agir en toute circonstance au nom de la société dans la limite de l’objet social »87 . Tout comme dans le cadre du régime applicable à la SARL, les actes passés par le Président qui ne relèvent pas de l’objet social engagent néanmoins la société, sauf si cette dernière démontre que le tiers avait connaissance du dépassement de cet objet ou qu’il ne pouvait l’ignorer compte tenu des circonstances. Là encore, la seule publication des statuts ne saurait suffire à constituer cette preuve. De même, les statuts peuvent prévoir de limiter les pouvoirs du Président, sans que cette limitation ne soit opposable aux tiers. Le régime afférent à la responsabilité des membres du Conseil d’administration et du Directoire des sociétés anonymes s’applique également au Président et aux dirigeants de la SAS88 . 82 Article L225-66 du Code de commerce 83 Cette faculté n’est ouverte que si le capital de la société est inférieur à 150.000 euros. 84 Article L225-59 du Code de commerce 85 Article L225-64 du Code de commerce 86 Article L227-6 du Code de commerce 87 Article précité 88 Article L227-7 du Code de commerce
  • 27. 27 PARTIE II : LES DEVOIRS DES DIRIGEANTS De par leurs fonctions, les dirigeants sociaux sont soumis à de nombreux devoirs et obligations dont le manquement est de nature à engager leur responsabilité. La gouvernance d’entreprise représente une notion essentielle pour comprendre les règles encadrant cette responsabilité (Chapitre 1). Seront ensuite abordés les mécanismes de mise en jeu de la responsabilité des dirigeants, tant civile (Chapitre 2) que pénale (Chapitre 3). CHAPITRE 1 : La gouvernance d’entreprise Également traduite sous les expressions « gouvernement d’entreprise » et « gouvernance d’entreprise », la corporate governance tend à prêter à confusion quant à son périmètre d’application en France. En effet, aux Etats-Unis, le terme corporate vise essentiellement les sociétés cotées, et non pas les entreprises de manière générale89 . Bien qu’une résistance du modèle français ait pu être soulignée par le passé90 , ces dernières années se sont illustrées par une américanisation croissante du droit français des sociétés91 . Ainsi, les devoirs de diligence et de loyauté auxquels sont tenus les dirigeants en France sont des principes dérivés de leurs homologues américains que sont le duty of care et le duty of loyalty (I). Les dirigeants ne sont toutefois pas les seuls acteurs concernés par la gouvernance d’entreprise : la société elle-même, les actionnaires, les créanciers, les employés, les clients, voire l’Etat, en sont également les parties prenantes (II). Enfin, la « business judgment rule », présomption simple venant tout droit des Etats-Unis selon laquelle les dirigeants agissent de bonne foi, avec diligence et en toute loyauté92 , s’est progressivement introduite dans le paysage juridique français (III). 89 Benbrahim Z., « Ethique et gouvernance : entre intentions et pratiques », Revue Management & Avenir, Management Prospective Editions, n° 7, p. 43 à 59, 2006 90 Magnier V., « Réception du droit américain dans l'organisation interne des sociétés commerciales », L’américanisation du droit, Archives de Philosophie du Droit n° 45, p. 213-225, juillet 2001 91 Behaja J., « La portée juridique et l’efficacité de la corporate governance et des codes de gouvernement d’entreprise », Revue des sociétés 2019, p. 155 92 Sobczyk J., « La Business Judgment Rule : l’essai sur les sources de la règle », Thèse en Droit privé, sous la direction de Monsieur le Professeur Bruno Dondero, Université Panthéon-Sorbonne – Paris I, p. 10, soutenue le 16 octobre 2015
  • 28. 28 I) Les principes d’influence américaine régissant la gouvernance d’entreprise De la gouvernance d’entreprise, dont il convient de définir la notion et les enjeux (1), ont été dégagés deux principes essentiels que sont le duty of care (2) et le duty of loyalty (3). 1- La gouvernance d’entreprise : notion et enjeux La gouvernance d’entreprise n’est pas formellement définie par les textes. Aux Etats- Unis, la jurisprudence et les auteurs la définissent communément comme l’ensemble des processus, pratiques, lois et institutions ayant une influence sur la manière dont l’entreprise est dirigée, administrée ou contrôlée93 . Transposée au droit français, cette conception demeure relativement floue. La corporate governance a tout d’abord été suggérée en 1932 par deux économistes américains, Adolf Berle et Gardiner Means94 , lesquels soulignaient que les sociétés par actions, de par la dispersion de l’actionnariat, étaient confrontées à un risque de divergences d’intérêts entre, d’une part, les dirigeants et, d’autre part, les actionnaires. Ce n’est qu’à compter des années 1970 que la corporate governance s’est progressivement forgé une place pour s’ériger en véritable modèle. Puis, à l’occasion de la vague d’offres publiques de rachat hostiles au cours des années 1980, les actionnaires ont pris conscience que nombre d’entreprises n’avaient pas été gérées dans leur intérêt de façon constante. Les années 1990 ont marqué l’essor du développement de la notion de « shareholder value » (valeur actionnariale) – désignant la capacité de l’entreprise à générer des bénéfices pour ses actionnaires. Il en a découlé un renforcement du contrôle juridico-institutionnel des dirigeants par les actionnaires, en particulier de leur rémunération qui, pour nombre d’entre eux, étaient en inadéquation avec la performance de l’entreprise. En 1994, le rapport de l’American Law Institute95 a posé les principes essentiels de la corporate governance, donnant naissance à un véritable corps de règles. En 2002, faisant écho à la faillite de grands groupes tels que Enron et Worldcom, la loi Sarbanes-Oxley96 (SOX) a été adoptée. Aujourd’hui, les principes dégagés par les textes de lois et la jurisprudence reposent essentiellement sur une exigence de transparence envers les actionnaires des actes accomplis par les dirigeants, la dissociation de la présidence du Conseil d’administration et la Direction générale, l’implication des actionnaires dans la nomination des administrateurs et dirigeants, ou encore la promotion d’une culture d’éthique, d’intégrité et de responsabilité sociétale des entreprises (RSE). 93 Haidar J. I., “Investor protections and economic growth”, Economics Letters, Elsevier, vol. 103(1), pages 1-4, April 2009 94 Berle A., Means G., The Modern Corporation and Private Property, New York:Macmillan, 1932 95 American Law Institute, Principles of Corporate Governance: Analysis and Recommendations, American Law Institute Publishers, 1994 96 Cf. page 16
  • 29. 29 La réception de la corporate governance en France s’est opérée de facto par les sociétés cotées qui, sous la pression des investisseurs institutionnels anglo-saxons, ont progressivement adopté des règles de « bonne gouvernance »97 . Les premières recommandations officielles sont nées, tout d’abord, du rapport Viénot I en 1995, principalement axé sur la composition et les missions du Conseil d’administration, puis du rapport Viénot II en 1999, portant essentiellement sur la transparence des rémunérations des dirigeants des sociétés cotées. Ces rapports ont été élaborés à la demande du Conseil national du patronat français (CNPF) et l’Association française des entreprises privées (AFEP) et sont le fruit de groupes de travail réunissant des présidents de sociétés cotées françaises. Une partie des recommandations formulées dans ces rapports a été entérinée, tout d’abord par la loi NRE en 200198 , dont l’objectif était de fournir un cadre législatif à la gouvernance d’entreprise, puis par la loi sur la sécurité financière de 200399 , visant à accroître la responsabilité des dirigeants et renforcer le contrôle interne. Aujourd’hui, tant en France qu’aux Etats-Unis, la gouvernance d’entreprise se distingue de l’éthique des affaires, bien que ces questions fassent toutes deux parties intégrantes de la responsabilité sociale de l’entreprise (RSE)100 . 2- Le duty of care Cette obligation incombant aux dirigeants revêt une nature fiduciaire. La West’s Encyclopedia of American Law rappelle qu’une relation fiduciaire est établie dès lors qu’une partie confie à une autre la charge d’agir à son profit, le tout dans un climat de confiance101 . Cette définition sur le caractère fiduciaire rejoint celle du Code civil français, en vertu duquel l’opération de fiducie consiste pour « un ou plusieurs constituants [de transférer] des biens, des droits ou des sûretés (…) à un ou plusieurs fiduciaires qui, les tenant séparés de leur patrimoine propre, agissent dans un but déterminé au profit d’un ou plusieurs bénéficiaires »102 . La notion de confiance ne ressort toutefois pas explicitement, à la différence de la définition donnée outre-Atlantique. Généralement traduit en français par l’expression « devoir de diligence », le duty of care impose aux dirigeants de prendre leurs décisions avec prudence (« reasonable care »)103 . Deux critères entrent en jeu pour caractériser cette prudence : d’une part, la bonne foi du dirigeant et, d’autre part, la croyance pour le dirigeant d’agir dans le meilleur intérêt de la société. Reconnu de longue date aux Etats-Unis, le devoir de diligence se forge peu à peu une place en droit français. 97 Rubinstein M., « Le débat sur le gouvernement d’entreprise en France : un état des lieux », Revue d’économie industrielle, vol. 98, p. 7-28, 1er trimestre 2002 98 Cf. page 19 99 Cf. page 20 100 Schier G. et Meier O., Gouvernance, éthique et RSE : état des lieux et perspectives, Hermes Science Publications, 21 avril 2009 101 West's Encyclopedia of American Law, edition 2, 2008 102 Article 2011 du Code civil 103 Eisenberg M., « The Duty of Care of Corporate Directors and officers », 51 u. Pitt. L. Rev 945, 1989
  • 30. 30 3- Le duty of loyalty Il s’agit du deuxième devoir fiduciaire pesant traditionnellement sur les dirigeants d’entreprise. Ce devoir repose sur la confiance que vouent les associés aux dirigeants dans la gestion de la société et dans leur intérêt bien compris. En France, ce devoir de loyauté est le fruit d’une construction prétorienne, laquelle est influencée, d’une part, par le principe de bonne foi résultant de l’article 1104 du Code civil et, d’autre part, par le principe de la corporate governance régnant aux Etats-Unis et exposée supra104 . Le dirigeant est tenu par cette obligation tant à l’égard de la société que des associés eux- mêmes105 . A titre d’exemples, la Cour de cassation a pu juger que :  l’ancien Directeur général d’une société anonyme qui, après sa démission, a créé une société concurrente et débauché une partie des salariés de son ancienne entreprise, a manqué à son obligation de loyauté à l’égard de cette dernière106 ;  le manquement du dirigeant à son devoir de loyauté envers la société, en agissant à l’encontre de l’intérêt social, constitue une faute de gestion107 ;  manque à son devoir de loyauté envers les associés le dirigeant qui a laissé ceux-ci dans l’ignorance de l’opération d’acquisition pour son compte personnel d’un immeuble que les associés entendaient acheter ensemble pour y exercer leur activité108 ;  manque à son devoir de loyauté envers l’associé cédant, le dirigeant social qui s’abstient d’informer ce dernier de circonstances de nature à influer sur son consentement109 ; II) Les parties prenantes de la gouvernance d’entreprise Initialement, la gouvernance d’entreprise était largement « orientée actionnaire »110 , en ce sens que seuls les intérêts des actionnaires étaient pris en compte. Désormais, la doctrine s’accorde à dire que de multiples intervenants, tant internes qu’externes à la société, qualifiées de « parties prenantes », ont vocation à influencer les décisions de l’entreprise111 . 104 Daille-Duclos B., Le devoir de loyauté du dirigeant, Juris-Classeur périodique, p. 1486, 1998 105 Arrêt Vilgrain, Cass. com., 27 février 1996, n° 94-11241, Publié au Bulletin (ANNEXE H) 106 Cass. com., 24 février 1998, n° 96-12638, Publié au Bulletin 107 Cass. com., 5 avril 2018, n° 16-23365 108 Cass. com., 18 décembre 2012, n° 11-24305 109 Cass. com., 12 mars 2013, n° 12-11970 110 Meier O., Schier G., « Quelles théories et principes d’actions en matière de gouvernance des associations ? », Management & Avenir, n° 20, P. 179 à 198, juin 2008 111 Bessire D., Chatelin C., Onnée S., « Qu’est-ce qu’une bonne gouvernance ? », Comptabilité et Environnement, mai 2007
  • 31. 31 L’approche « partenariale » s’est ainsi progressivement substituée à l’approche « actionnariale ». Dès lors, bien que la maximisation des richesses de l’entreprise demeure la préoccupation première de la gouvernance d’entreprise, le concours apporté par l’ensemble des parties prenantes dans le processus de gouvernance est désormais pris en considération de manière significative. 1) Les parties prenantes internes  Les associés Les associés peuvent mettre en œuvre un certain nombre de mécanismes leur permettant d’encadrer le comportement des dirigeants112 . Ces prérogatives sont expressément prévues par les textes, lesquels soumettent de multiples décisions au vote de l’assemblée générale des associés.  Les employés Collaborateurs à part entière de l’entreprise, les employés assurent les prestations promises par l’employeur auprès du public. Ils contribuent activement à la réussite, à la performance et aux résultats de la société. En contrepartie, ils attendent de l’entreprise une rémunération ainsi que des conditions de travail satisfaisantes. En conséquence, la satisfaction du salarié est susceptible de favoriser une bonne gouvernance d’entreprise.  Les organisations syndicales Les syndicats, en tant que défenseurs des intérêts économiques des salariés et acteurs de la négociation collective, participent incontestablement à la définition et l’évolution de la stratégie adoptée par l’entreprise113 . 2) Les parties prenantes externes  Les clients La satisfaction des clients représente évidemment l’objectif premier de l’entreprise, dans la mesure où ce sont eux qui génèrent le chiffre d’affaires. Leurs attentes en termes de qualité et de prix des prestations sont donc nécessairement écoutées par les dirigeants. Dès lors, les clients exercent indéniablement une influence sur la gouvernance de l’entreprise. 112 Meier O., Schier G., « Quelles théories et principes d’actions en matière de gouvernance des associations ? », Management & Avenir, n° 20, P. 179 à 198, juin 2008 113 Dionne-Proulx J., Larochelle G., « Ethique et gouvernance d’entreprise », Management & Avenir, n° 32, p. 36 à 53, 2010
  • 32. 32  Les créanciers Une étude relativement récente a mis en exergue le rôle joué par les créanciers dans la gouvernance d’entreprise, et ce, bien en amont des situations de faillite114 . Cette influence qu’exercent les créanciers se manifeste essentiellement à l’occasion de la violation d’une clause contractuelle par l’entreprise débitrice de l’obligation. En effet, dans ce cas, plutôt que de mettre fin au contrat et/ou solliciter le paiement immédiat des indemnités contractuellement convenues, il est courant que le créancier renégocie les termes du contrat initial en tirant profit de sa position de force. Il peut résulter de cette renégociation un changement parfois drastique dans la composition des dirigeants, certains se trouvant alors démis de leurs fonctions.  L’Etat En instaurant un cadre législatif et institutionnel suffisamment strict, le gouvernement a vocation à encourager une meilleure gouvernance de l’entreprise.  Les associations et organisations non gouvernementales Leur rôle dans la gouvernance d’entreprise se manifeste particulièrement depuis les années 1970. En effet, ces organisations ont fortement incité les entreprises multinationales à rédiger et adopter des chartes éthiques et codes de conduite visant à formaliser les principes que ces sociétés déclarent respecter dans leurs activités115 . III) La « business judgment rule » Il s’agit d’une règle élaborée par la jurisprudence américaine, mêlant norme juridictionnelle et norme de conduite116 . En vertu de ce principe, le dirigeant est présumé agir de bonne foi, de manière avertie et dans le meilleur intérêt de la société. L’élaboration progressive de cette règle s’explique par la relative frilosité des Juges à sanctionner des dirigeants pour des décisions qualifiées de « mauvaises » par les actionnaires. L’affaire Dodge v. Ford Motor Co.117 en est la première illustration. Dans cette affaire, les actionnaires de la société Ford Motor Company reprochaient au dirigeant, Henry Ford, d’appliquer des prix de vente trop bas pour permettre à la société de leur distribuer de confortables dividendes. Ils demandaient notamment aux Juges de limiter les investissements destinés au développement de l’entreprise et privilégier le paiement des dividendes. La Cour suprême du Michigan a jugé qu’il incombait effectivement aux dirigeants d’agir avant tout dans l’intérêt des actionnaires, et non pas de faire preuve de générosité envers les salariés ou les clients. 114 Nini G., Smith D.C., Sufi A., “Creditor control rights, corporate governance, and firm value”, Review of Financial Studies, vol. 25(6), p. 1713-1761, 2012 115 Boutillier S., Castilla Ramos B., « Gouvernance et responsabilité sociale des entreprises internationales : l’exemple d’une entreprise américaine implantée au Mexique », Marché et organisations, n° 9, p. 89-118, 2009 116 Abadie P., Entreprise responsable et environnement – Recherche d’une systématisation en droit français et américain, Bruylant, juin 2013 117 Dodge v. Ford Motor Co., 204 Mich. 459, 170 N.W. 668, 1919
  • 33. 33 Néanmoins, les Juges ont simultanément considéré : “the management of the corporation and its affairs rests in the board of directors, and no court will interfere or substitute its judgment so long as the proposed actions are not ultra vires or fraudulent. They may be ill advised, in the opinion of the court, but this is no ground for exercise of jurisdiction. The board has full power over the matter of investing the surplus and as to dividends so long as they act in good faith” (…) “the judges are not business experts” (…) “the experience of the Ford Motor Company is evidence of capable management of its affairs.” (…) “no one will contend that if the avowed purpose of the defendant directors was to sacrifice the interests of shareholders it would not be the duty of the courts to interfere. We are not, however, persuaded that we should interfere with the proposed expansion of the business of the Ford Motor Company.” En statuant ainsi, la Cour suprême du Michigan a esquissé les contours de la business judgment rule. Par la suite, cette règle a été expressément appliquée dans l’affaire Shlensky v. Wrigley118 . Dans cette espèce, les actionnaires d’un club de baseball recherchaient la responsabilité de son dirigeant pour avoir refusé d’équiper un stade de baseball d’éclairages qui auraient permis d’organiser des matchs de nuit. Les actionnaires considéraient qu’en empêchant la mise en place de tels matchs supplémentaires, le dirigeant a fait perdre des revenus à la société, et voie de conséquence, des potentiels dividendes. Ils considéraient que le dirigeant avait manqué à son devoir de prudence et de diligence, en ne poursuivant pas l’intérêt social de la société. La Cour d’appel de l’Illinois a jugé : “(…) we do not mean to say that we have decided that the decision of the directors was a correct one. That is beyond our jurisdiction and ability. We are merely saying that the decision is one properly before directors and the motives alleged in the amended complaint showed no fraud, illegality or conflict of interest in their making of that decision.” Ainsi, la Cour a rappelé que les juridictions n’avaient pas à intervenir dans les affaires d’une entreprise, ni à apprécier la pertinence d’une décision prise par un dirigeant, à moins que cette décision se révèle être entachée de fraude, d’illégalité ou d’un conflit d’intérêts. 118 Shlensky v. Wrigley, 237 NE 2d 776, Appellate Court, 1968
  • 34. 34 Dans une affaire Aronson v. Lewis119 , un actionnaire a poursuivi les dirigeants de la société Meyers Parking System Inc. pour ne pas avoir correctement redistribué les revenus de la société. Il était notamment reproché au CEO, fondateur et actionnaire de la société, de s’être vu attribuer une rémunération salariale et des primes particulièrement généreuses. La Cour suprême du Delaware a débouté le demandeur en jugeant que : “The business judgment rule is an acknowledgment of the managerial prerogatives of Delaware directors under Section 141(a) (…). It is a presumption that in making a business decision the directors of a corporation acted on an informed basis, in good faith and in the honest belief that the action taken was in the best interests of the company (…) The burden is on the party challenging the decision to establish facts rebutting the presumption”. La Cour a ainsi expressément défini la business judgment rule, sur le fondement de laquelle les Juges déclinent toute compétence pour statuer sur le bien ou mal-fondé des décisions prises par les dirigeants. En tant que présomption simple, et donc réfragable, elle peut être renversée si le demandeur démontre l’existence d’une fraude, d’une illégalité, d’un conflit d’intérêts ou encore d’une faute grave du dirigeant et, plus généralement, d’une violation par le dirigeant de son devoir de loyauté. Aux Etats-Unis, la business judgment rule constitue un fondement à part entière. D’origine prétorienne, la business judgment rule a été par la suite définie dans plusieurs textes de nature plus ou moins contraignante, notamment le Model Business Corporation Act120 et les Principles of Corporate Governance121 . Une large partie de la doctrine considère que cette règle a pour objectif de protéger la grande latitude accordée aux dirigeants dans la gestion des affaires de l’entreprise122 . Cette présomption les protège d’une remise en cause systématique de leurs décisions123 . En ce sens, ils bénéficient d’une forme d’immunité124 . Pour certains, la business judgment rule s’analyse comme une application du devoir de diligence pesant sur les dirigeants125 . La business judgment rule, parfois traduite par l’expression « règle du jugement d’affaires », ne connaît pas d’équivalent en droit français. En effet, en théorie, il n’existe aucune présomption en faveur des dirigeants. Néanmoins, certaines décisions laissent à penser qu’elles ont été quelque peu influencées par cette règle126 . 119 Aronson v. Lewis, 473 A 2d 805 (Del),812, 1984 120 Cf. page 8 121 Cf. page 8 122 Fletcher W., Fletcher Cyclopedia of the Law of Corporations, Thomson/West Group, 2012 123 Perez J., Esquisse sur la responsabilité civile des dirigeants sociaux en droit américain, Revue des sociétés : journal des sociétés n° 2, p. 195-209, 2003 124 McMillan L., The business judgment rule as an immunity doctrine, William & Mary Business law review, 2013 125 Chamy E., Transposition du Corporate Governance anglo-saxon en droit français, LPA n° 69, page 4, 9 juin 1997 126 Dondero B., « Responsabilité du dirigeant à l’égard de la société : pas de business judgment rule à la française ? », Gazette du Palais, n° 132, p. 19, 12 mai 2015
  • 35. 35 Cependant, le principe de non-immixtion du Juge dans la gestion des affaires règne en droit français comme en droit américain. Le Conseil constitutionnel a eu l’occasion de se prononcer sur cette question dans une décision du 27 mars 2014127 . Des députés et sénateurs avaient déféré à cette juridiction la loi visant à reconquérir l’économie réelle (dite « Loi Florange »). Il était notamment fait grief à cette loi de permettre à un Tribunal de commerce « de juger qu’une entreprise a refusé sans motif légitime une offre de reprise sérieuse » et que ces dispositions « conduis[ai]ent ainsi le juge à substituer son appréciation à celle du chef d’une entreprise, qui n’est pas en difficulté, pour des choix économiques relatifs à la conduite et au développement de cette entreprise ». Le Conseil constitutionnel a considéré que ces dispositions portaient à la liberté d’entreprendre une atteinte manifestement disproportionnée au regard de l’objectif poursuivi et que, partant, elles étaient contraires à la Constitution. Dans une décision du 20 janvier 2015, la Cour de cassation s’est prononcée sur la responsabilité d’un dirigeant128 . Dans cette affaire, il était reproché au gérant d’avoir commis des fautes de gestion. Ce n’est pas tant la décision rendue par la Haute juridiction qui nous occupe, mais plutôt le moyen développé par le défendeur. En effet, pour tenter de se voir exonérer de sa responsabilité, celui-ci avait fait valoir que « le gérant d’une société à responsabilité limitée qui a fait preuve de diligence suffisante dans l’administration de la société ne saurait voir sa responsabilité personnelle pour faute de gestion ». Pour certains auteurs, le gérant avait ainsi tenté de faire reconnaître « l’application de la business judgment rule à la française »129 . En tout état de cause, d’aucuns considèrent que certains principes en vigueur en France permettent d’aboutir à un résultat similaire à celui de la business judgment rule américaine130 . Ainsi, les faits générateurs de responsabilité des dirigeants en droit français tiennent notamment à la contrariété à l’intérêt social, au défaut de diligence ou de prudence du dirigeant, à la fraude, à l’illégalité ou à l’abus de bien sociaux. Or, en droit américain, ces mêmes faits font précisément obstacle à l’application de la business judgment rule. 127 Décision n° 2014-692 DC du 27 mars 2014 128 Cass. com., 20 janvier 2015, n° 13-27189 129 Dondero B., « Responsabilité du dirigeant à l’égard de la société : pas de business judgment rule à la française ? », Gazette du Palais, n° 132, p. 19, 12 mai 2015 130 Mahieu F., La Business Judgment Rule aux Etats-Unis et son application en France, mai 2017 https://blogs.parisnanterre.fr/article/la-business-judgment-rule-aux-etats-unis-et-son-application-en-france
  • 36. 36 CHAPITRE 2 : La responsabilité civile des dirigeants Dans un premier temps, ce chapitre abordera le régime juridique encadrant la responsabilité civile des dirigeants (I) puis exposera les manquements civils et sanctions attachées aux Etats-Unis (II) et en France (III). I) Le régime de la responsabilité civile a- Aux Etats-Unis La responsabilité des dirigeants peut être recherchée tant par les actionnaires que par la Securities and Exchange Commission (SEC), voire des tiers. S’agissant des actionnaires, deux types d’action sont à distinguer selon l’objectif poursuivi. Tout d’abord, l’actionnaire qui souhaiterait obtenir l’indemnisation d’un préjudice personnellement subi en raison d’un manquement d’un dirigeant, utilisera l’action directe (« direct action »). Les actionnaires agissant pour le compte de la société à l’encontre d’un dirigeant dont ils rechercheraient la responsabilité utilisent l’action dérivée (« derivative action »). Les auteurs la définissent ainsi : « a lawsuit by a corporation’s shareholders, theoretically on behalf of the corporation, to protect and benefit all shareholders against the corporation for improper management131 ». Cette procédure est comparable à l’action sociale en droit français132 . Lorsqu’elle est accueillie par les Juges, une telle action ouvre droit à l’allocation de dommages-intérêts au bénéfice de la société. A cet égard, il sera rappelé que le système juridique américain permet l’octroi de dommages-intérêts dits « punitifs » visant à sanctionner la faute commise par le défendeur et priver celui-ci de tout gain dont il aurait pu bénéficier. Une telle indemnisation n’est pas admise au sein du système juridique français, lequel applique strictement le principe de la réparation intégrale. S’agissant de la SEC, celle-ci s’assure que les entreprises qu’elle surveille agissent en conformité avec les dispositions en vigueur. Cette autorité dispose d’un pouvoir de sanction administrative à l’encontre d’un dirigeant mais peut également intenter une action en responsabilité civile devant un tribunal fédéral. Les manquements que la SEC sanctionne ou pour lesquels elle saisit le Juge judiciaire reposent essentiellement sur les manipulations de marché, la dissimulation d’informations importantes sur les titres et valeurs ou encore le vol de titres initialement détenus par les clients de la société d’investissement qu’ils dirigent. 131 Hill. G. and Hill. K., The People’s law Dictionary, 2005 132 Cf. page 37
  • 37. 37 Le choix de la juridiction dépend de la nature de la sanction qu’entend infliger la SEC. Par exemple, si cette autorité souhaite voir interdire une personne physique d’exercer une fonction d’officer ou de director, elle n’aura d’autre choix que de saisir le tribunal fédéral. En pratique, la présomption de bonne foi, de diligence et de loyauté (« business judgment rule ») en faveur des dirigeants, conjuguée aux obligations relativement limitées qui s’imposent à eux, ont pour effet de voir leur responsabilité rarement retenue en cas de dommage133 . Cela étant, il est unanimement admis que leur responsabilité civile peut être retenue en cas de faute professionnelle (« corporate misconduct »). Il s’agit d’une responsabilité de nature délictuelle (« tort law »). Dans ce cas, le responsable est redevable de dommages-intérêts envers la partie lésée (associé ou tiers), en sus d’éventuelles sanctions administratives émanant de la SEC. b- En France L’étude de la jurisprudence nous enseigne que la responsabilité personnelle des dirigeants est de plus en plus recherchée, tout particulièrement lorsque les manquements de ces derniers ont contribué à l’insolvabilité de la société. Les textes opèrent une distinction de régime selon la forme de la société. Pour la SARL, la SA et la SAS, la responsabilité des dirigeants est prévue expressément par le Code de commerce. Pour ces trois formes de sociétés, les textes offrent la possibilité aux associés/actionnaires d’intenter :  une action individuelle visant la réparation du préjudice subi personnellement par les associés/actionnaires ;  une action sociale ut singuli134 visant la réparation du préjudice subi par la société. Si les demandeurs obtiennent gain de cause, les dommages-intérêts sont alloués à la société elle-même, tout comme en matière de derivative action aux Etats-Unis. De manière similaire, les textes retiennent que les dirigeants « sont responsables, individuellement ou solidairement, selon le cas, envers la société ou envers les tiers, soit des infractions aux dispositions législatives ou réglementaires applicables aux [SARL, SA ou SAS selon le cas], soit des violations des statuts, soit des fautes commises dans leur gestion. Si plusieurs [dirigeants] ont coopéré aux mêmes faits, le tribunal détermine la part contributive de chacun dans la réparation du dommage ». 133 Gerding E., « Directors Personal Liability for Corporate Fault in the United States », Directors’ Personal Liability for Corporate Fault: A Comparative Analysis, Helen Anderson, p. 301-330, 2008 134 Par opposition à l’action sociale ut universi à la disposition des dirigeants en cas de préjudice subi par la société. Pour des raisons évidentes – un dirigeant n’a aucun intérêt à agir contre lui-même – cette action est rarement exercée.
  • 38. 38 Ces règles s’appliquent expressément :  aux gérants de SARL135 ;  aux membres du Conseil d’administration et au Directeur général des SA de type moniste136 ;  aux membres du Directoire des SA de type dualiste137 ;  le Président et les dirigeants de la SAS138 sont soumis au même régime de responsabilité que celui applicable aux membres du Conseil d’administration et du Directoire des SA139 . Tant l’action individuelle que sociale se prescrivent par trois ans à compter du fait dommageable (ou de sa révélation, s’il a été dissimulé)140 . Dans un arrêt remarqué du 30 mars 2010 (arrêt Crédit Martiniquais), la Cour de cassation a précisé que chaque administrateur d’une SA de type moniste, ainsi que chaque membre du Directoire d’une SA de type dualiste, commet une faute individuelle s’il participe à la prise d’une décision fautive de cet organe, à moins qu’il ne démontre s’être comporté avec prudence et diligence141 (ANNEXE G). En outre, la responsabilité des membres du Conseil de surveillance des SA de type dualiste est engagée en cas de faute personnelle commise dans l’exécution de leur mandat. Elle peut être également retenue s’ils ont connaissance de délits commis par des membres du Directoire mais s’abstiennent de les révéler aux actionnaires. En revanche, ils n’engagent pas leur responsabilité en raison des actes de la gestion et de leur résultat142 . Pour ce qui concerne les dirigeants de fait, certains textes, tels que ceux relatifs au droit des entreprises en difficulté, les mentionnent expressément143 , tandis que d’autres restent muets sur cette qualification. En pratique, les actions tant individuelles que sociales sont rarement engagées par les associés de sociétés commerciales144 . En effet :  l’associé qui engage l’action ut singuli doit assumer seul les frais de procédure, alors même que l’éventuelle indemnisation octroyée en cas de succès bénéficierait à la seule société ;  l’associé qui sollicite la réparation de son préjudice personnel doit démontrer que le dommage subi est distinct de celui résultant de la dépréciation des parts sociales. Or, un tel préjudice distinct est rarement établi. 135 Article L223-22 du Code de commerce 136 Article L225-251 du Code de commerce 137 Article L225-256 du Code de commerce 138 Cf. page 7 sur la notion de dirigeant des SAS 139 Article L227-8 du Code de commerce 140 Articles L223-23 et L225-254 du Code de commerce 141 Cass. com., 30 mars 2010, n° 08-17841, Publié au Bulletin 142 Article L225-257 du Code de commerce 143 Articles L651-2 et L652-1 du Code de commerce 144 Lucas F-X., « Loi de sécurité financière, corporate governance ou poudre aux yeux », Droit et Patrimoine, n° 122, 1er janvier 2004
  • 39. 39 Enfin, il convient d’évoquer le pouvoir de sanction confié à la Commission des sanctions de l’Autorité des marchés financiers (ci-après désignée « AMF »). Créée en 2003 par la loi LSF145 , cette autorité peut en effet infliger des sanctions aux personnes morales qu’elle contrôle (essentiellement les entreprises d’investissement et de gestion) mais également des personnes physiques agissant pour leur compte ou y exerçant des fonctions dirigeantes146 . Les agissements susceptibles d’être reprochés à ces dirigeants résident principalement dans l’abus de marché147 ainsi que les manquements à leurs obligations professionnelles définies par la loi ou par voie réglementaire. Les sanctions infligées peuvent être de nature disciplinaire (avertissement, blâme, interdiction d’exercice à titre temporaire ou définitif) et/ou pécuniaire (d’un montant maximal de 15 millions d’euros, ou décuple du montant de l’avantage retiré du manquement si celui-ci peut être déterminé). Les sommes versées au titre de ces sanctions sont perçues par le fonds de garantie auquel est affiliée la personne morale ou, à défaut, au Trésor public148 . II) Les manquements civils et sanctions attachées aux Etats-Unis Ils sont de quatre ordres : 1- Violation d’une loi fédérale ou étatique La responsabilité du dirigeant peut être retenue dans le cas où ce dernier aurait violé une disposition légale relative au droit des sociétés. Parmi ces dispositions figurent celles de la loi Sarbanes-Oxley (« SOX »)149 , ainsi que des textes portant sur des matières spécifiques telles que la loi Sherman Antitrust150 , la loi bancaire nationale151 , la loi Copyright152 ou encore la loi Lanham153 . Il n’est pas nécessaire de démontrer une quelconque intention ou négligence de la part du dirigeant154 . La seule violation d’une disposition légale suffit à engager sa responsabilité. 145 Cf. page 20 146 Article L621-15, III, b du Code monétaire et financier 147 Selon le Règlement (UE) n° 596/2014 du Parlement européen et du Conseil du 16 avril 2014, la notion d’abus de marché recouvre « tout comportement illicite sur un marché financier, et (…) les opérations d’initiés, la divulgation illicite d’informations privilégiées et les manipulations de marché ». 148 Article L621-15, III, b du Code monétaire et financier 149 Cf. page 16 150 Sherman Antitrust Act, 1890, prohibant notamment les pratiques anticoncurrentielles 151 National Banking Act, 1863, encadrant le système bancaire national 152 Copyright Act, 1976, relative au droit d’auteur 153 Lanham (Trademark) Act, 1946, relative aux marques déposées et aux actes de concurrence déloyale 154 Glynn T., Beyond « Unlimiting » Shareholder Liability: Vicarious Tort Liability for Corporate Officers, Vanderbilt Law Review n° 57, p. 329 à 357, 2004