La gouvernance des entreprises familiales est un sujet d’une actualité d’autant plus grande que les recherches démontrent aujourd’hui que cette «famille» particulière d’entreprises a dans l’ensemble mieux résisté à la crise financière qui a débuté en 2007 que les autres catégories d’entreprises.
Les ouvrages dédiés à la gouvernance familiale et les codes de gouvernance spécialisés incitent à la mise en place d’une gouvernance dans laquelle les actionnaires familiaux, souvent les successeurs désignés, auront à exercer des mandats sociaux.
Mais qu’en est-il des risques de mise en jeu de leur responsabilité au titre de ces mandats ?
Décryptage des règles juridiques applicables selon la règle de trois.
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Fondations l'essor d'une philanthropie familiale et professionnalisee
Gouvernance familiale et responsabilité des administrateurs: décryptage selon la règle de trois
1. 28 Option Finance n°1108 - Lundi 17 janvier 2011
Entreprise et expertise Juridique
Gouvernance familiale et
responsabilité des administrateurs :
décryptage selon la règle de trois
La gouvernance des entreprises familiales
est un sujet d’une actualité d’autant plus
grande que les recherches démontrent
aujourd’hui que cette «famille» particulière
d’entreprises a dans l’ensemble mieux
résisté à la crise financière qui a débuté en
2007 que les autres catégories d’entreprises.
Valérie Tandeau de Marsac,
avocat associée,
JeantetAssociés, Jeantet
Family
L
es nombreuses études publiées sur ce sujet attri-
buent cette résilience à une perspective plus
orientée vers le long terme, un faible niveau d’en-
dettement, combiné à un niveau d’investissement
et d’innovation plus fort que la moyenne. Les ouvrages
dédiés à la gouvernance familiale et les codes de gouver-
nance spécialisés incitent à la mise en place d’une gouver-
nance dans laquelle les actionnaires familiaux, souvent les
successeurs désignés, auront à exercer des mandats sociaux.
Peu en revanche font état des risques que fait encourir aux
personnes concernées la prise en charge de telles responsa-
bilités.Pourtant,unemiseengardeestnécessaire,auregard,
en particulier, de deux décisions de la Cour de cassation de
20101
, qui élargissent considérablement les risques de mise
en œuvre de cette responsabilité.
Schématiquement, la responsabilité des dirigeants peut être
mise en cause :
– pour trois motifs : violation des dispositions législatives ou
réglementaires, violation des statuts, ou faute de gestion ;
– dans trois registres différents : au plan civil, pénal, ou
disciplinaire ;
– pour des préjudices qui peuvent avoir été subis par trois
catégories d’acteurs : la société elle-même, un associé
individuellement (il dispose alors d’une action dite «indivi-
duelle»), ou un tiers ;
– lorsque le préjudice a été subi par la société elle-même,
trois types d’actions peuvent être envisagés : l’action en
responsabilité contre un dirigeant pour réparer le préjudice
subi (dite «action sociale») peut être engagée par les repré-
sentants légaux de la société (action «ut universi») ou par un
actionnaire (action «ut singuli») si la société est «in bonis»,
ou au titre de l’action en comblement de passif en cas de
procédure collective2
;
– dans tous les cas trois conditions doivent être réunies : il
faut caractériser une faute, un préjudice, et prouver l’exis-
tence d’un lien de causalité entre cette faute et ce préjudice ;
– la notion de faute s’apprécie dans trois catégories de
contexte différent, selon que le préjudice a été subi par un
tiers, ou selon que la société est «in bonis» ou en difficulté ;
– quand l’action en responsabilité est engagée par un tiers,
la jurisprudence exige que trois critères soient réunis pour
caractériser une faute séparable des fonctions et imputable
personnellement au dirigeant : la faute doit être intention-
nelle, d’une exceptionnelle gravité, et incompatible avec
l’exercice des fonctions3
;
– et pour finir, trois précisions : ces risques peuvent avoir
des conséquences financières très lourdes, notamment
lorsque des sanctions disciplinaires sont prononcées par les
autorités de marché, ils peuvent engager la responsabilité
pénale des dirigeants ou même de la personne morale, et
ainsi compromettre la pérennité de l’entreprise, ce qui doit
inciter à les envisager très sérieusement.
On constate ainsi que la règle de trois s’avère utile à la
compréhension de la difficile question de la responsabilité
des dirigeants. Son utilisation permet d’établir une inté-
ressante passerelle entre l’univers des juristes et celui des
mathématiciens, qui est aussi celui des actuaires, chargés de
modéliser les probabilités d’occurrence des risques pour en
autoriser la couverture par une assurance. Terminons en
effet par une bonne nouvelle : les risques ici décrits peuvent
généralement et sous certaines conditions être couverts par
une assurance. n
1. Décision du 9 mars 2010, citée ci-après à la note n° 3 et décision du
30 mars 2010, qui exige des membres du conseil d’administration ou du
directoire de rapporter la preuve de leur prudence et de leur diligence pour
s’exonérer de leur responsabilité en cas de faute de gestion caractérisée
dudit conseil ou directoire.
2. L’action sociale ne peut pas se cumuler avec l’action en comblement de
passif (Cass. Com. 28 février 1995).
3. La Cour de cassation, dans un arrêt du 9 mars 2010 (n° 08-21.547)
précise que lorsque la responsabilité d’un ou plusieurs administrateurs est
mise en cause par un ou plusieurs actionnaire(s) agissant individuellement,
ce ou ces dernier(s) n’est/(ne sont) pas considéré(s) comme un tiers vis-
à-vis de la société. En conséquence, il n’est pas nécessaire de démontrer
que la faute était séparable des fonctions, c’est-à-dire intentionnelle, d’une
exceptionnelle gravité et incompatible avec l’exercice des fonctions.