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DOSSIER RÉFLEXIONS SUR
  L’EFFICACITÉ DES GARANTIES
     DANS LES PROCÉDURES
         COLLECTIVES

Les dernières réformes du droit des entreprises en
difficulté ont engendré de nouvelles réflexions sur le sort
des créanciers munis de sûretés. Parmi ces réflexions,
certaines méritent de nouveaux approfondissements,
qu’elles traitent de l’article L. 650-1 du code de
commerce, du sort de la cession Dailly, du privilège de
conciliation ou du régime de déclaration des créances.




 11 Propos introductifs                                29 Six ans déjà, et toujours rien de bien
Pierre-Grégoire Marly,                                rassurant à propos de l’article L. 650-1 du Code
Professeur agrégé des Facultés de droit,              de commerce
Directeur scientifique du dossier                     Hervé Kensicher,
                                                      Avocat Associé,
 12 La cession Dailly dans la tourmente               Orrick Rambaud Martel
des procédures collectives
Jean-Jacques Ansault,                                  40 Le privilège de conciliation
Agrégé de droit privé et de sciences criminelles,     Philippe Hameau,
Professeur à l’Université de Rouen                    Avocat Associé,
                                                      Orrick Rambaud Martel
 22 Les conséquences du défaut de déclaration de
créance sur les garanties dont dispose le créancier
David Robine,
Maître de conférences à l’Université de Rouen
(CUREJ)
Dossier Réflexions sur l’efficacité des garanties dans les procédures collectives


                                                                               Propos introductifs
Pierre-Grégoire Marly,
Professeur agrégé des Facultés de droit,
Directeur scientifique du dossier




Initialement porté vers la confrontation du droit          observe que le nouveau régime du défaut de 1) Cass. com., 27 mars 2012, n°
                                                                                                               10.20-077.
des sûretés au droit des entreprises en difficulté,        déclaration favorise nettement le sort du créancier
le présent dossier s’est finalement émancipé de            bénéficiant de garanties personnelles, malgré les
cette thématique à deux égards : d’une part, en            sanctions que celui-ci pourrait encourir en vertu
dépassant le strict domaine des sûretés de droit           des règles du cautionnement ou du droit de la
commun pour aborder le privilège de conciliation           responsabilité civile.
et la cession Dailly à titre de garantie ; d’autre part,
en saisissant le sort des créanciers garantis sous         Dans son étude, Maître Philippe Hammeau
l’angle particulier de la déclaration des créances et      revient sur les raisons qui présidèrent en 2005 à
du principe d’irresponsabilité du « fournisseur de         l’instauration d’un privilège de conciliation en
concours ».                                                faveur des créanciers concourant volontairement
                                                           au redressement de l’entreprise en difficulté. Tout
Ce principe d’irresponsabilité, proclamé à                 en examinant les conditions d’acquisition de ce
l’article L. 650-1 du Code de commerce, est                privilège, sa nature et son efficacité, l’éminent
l’objet d’une première étude qui livre une analyse         praticien interpelle en filigrane sur le caractère
critique de cette disposition au moment même               réellement incitatif d’une telle mesure.
où la Cour de cassation vient de se prononcer
sur son interprétation (1). Par une réflexion              Enfin, notre collègue Jean-Jacques Ansault nous
particulièrement éclairée, Maître Hervé Kensicher          fait l’honneur d’une réflexion très approfondie sur
démontre l’imprécision du texte précité, tant              la rencontre de la cession Dailly à titre de garantie
sur l’étendue du principe qu’il énonce que sur le          avec le droit des entreprises en difficulté. Cette
contenu des exceptions qu’il assigne, spécialement         rencontre, qu’il aborde sous l’angle du cédant
celle tirée des garanties disproportionnées. Six           failli, découvre l’immunité dont jouit cette cession
années après son introduction par la réforme de            fiduciaire tant à l’ouverture qu’au cours de la
2005, l’article L. 650-1 demeure ainsi mystérieux,         procédure collective. Ce constat, soutenu par la
voire obscure. Il se confirme toutefois que la             riche analyse de son auteur, doit cependant être
protection qu’il devait primitivement offrir au            mitigé en l’hypothèse d’un conflit opposant le
fournisseur de crédit est manifestement démentie           cessionnaire au créancier réservataire, ainsi qu’en
en pratique.                                               présence d’un mandat d’encaissement confié au
                                                           cédant. Ce nonobstant, Jean-Jacques Ansault
De son côté, notre collègue David Robine livre une         démontre l’efficacité de cette discrète et singulière
utile et subtile réflexion relative à l’incidence du       propriété-sûreté que constitue la cession Dailly à
défaut de déclaration des créances sur le sort des         titre de garantie.
garanties dont jouit le créancier. Dans un souci
d’exhaustivité, il aborde l’ensemble des garanties         Au bilan, des diverses réflexions formant ce
consenties tant par le débiteur que par un tiers.          dossier transparait une appréciation contrastée
Partant, il révèle qu’en substituant l’inopposabilité      de l’efficacité des garanties dont jouit le créancier
à l’extinction des créances non déclarées, la réforme      confronté à la procédure collective de son débiteur.
de 2005 n’aboutit pas moins à la neutralisation des        Plus largement, ce sont les réformes de 2005 et
garanties octroyées par le débiteur, sous quelques         2008 qui s’offrent à un bilan nuancé.
réserves toutefois discutables. En revanche, il



N°96 Mars 2012                                                       11                                            JOURNAL DES SOCIÉTÉS
Dossier Réflexions sur l’efficacité des garanties dans les procédures collectives


                            Six ans déjà, et toujours rien
                   de bien rassurant à propos de l’article
                          L. 650-1 du Code de commerce
Hervé Kensicher,
Avocat Associé,
Orrick Rambaud Martel




L’incertitude juridique, qui nuit notamment            aujourd’hui le principe exprimé dans l’article L.        1) Art. L.650-1 : « Lorsqu’une
                                                                                                                procédure de sauvegarde, de redres-
à la sécurité et l’épanouissement de la vie des        650-1, et qui d’ailleurs n’a plus aucun lien avec        sement judiciaire ou de liquidation
affaires, peut provenir de la norme législative        la procédure de conciliation. Or l’opposition            judiciaire est ouverte, les créanciers
ou réglementaire elle-même : on doit souvent en        parlementaire, voyant là l’œuvre à peine                 ne peuvent être tenus pour respon-
déplorer la formulation imprécise, fruit d’une         masquée du grand capital banquier cherchant              sables des préjudices subis du fait
                                                                                                                des concours consentis, sauf les cas
réflexion hâtive ou incomplète, d’une étonnante        à se prémunir de toute responsabilité pour               de fraude, d’immixtion caractérisée
méconnaissance de la réalité des affaires ou           les atteintes qu’il pourrait désormais infliger          dans la gestion du débiteur ou si les
de l’absence de concertation sérieuse avec les         impunément à la veuve de Carpentras, s’en émut           garanties prises en contrepartie de
                                                                                                                ces concours sont disproportionnées
praticiens, voire de quelque compromission             très ardemment (5). Le prix payé pour le retour          à ceux-ci. »
d’ordre politique ou, tout simplement, de la           à la sérénité du débat parlementaire fut un texte        « Pour le cas où la responsabilité
propension de notre législateur à l’écriture           bien vite remanié, trop prestement sans doute            d’un créancier est reconnue, les
synthétique – cette exception culturelle bien          pour se ménager le bénéfice d’une réflexion              garanties prises en contrepartie de
                                                                                                                ses concours peuvent être annulées
française qui, dans la sphère du droit, a le fâcheux   approfondie quant à la manière dont les tribunaux        ou réduites par le juge. »
effet de laisser les acteurs de l’économie réelle      allaient pouvoir l’interpréter ; on y inclut ainsi
à la merci d’une interprétation administrative         de notables mais très imprécises exceptions au           2) L’ordonnance n°2008-1345 du
ou judiciaire tardive, évolutive ou dictée par         régime d’exonération que la disposition nouvelle         18 décembre 2008 a en effet, d’une
                                                                                                                part, précisé que l’article L.650-1
l’opportunité et donc potentiellement arbitraire.      voulait instituer (agrémentées, en outre, de la          s’applique seulement « lorsqu’une
L’article L. 650-1 du Code de commerce (1) en          bien sévère sanction de nullité des sûretés prévue       procédure de sauvegarde, de redres-
fournit une criante et navrante illustration.          par le second alinéa de l’article L. 650-1, dans le      sement judiciaire ou de liquidation
                                                                                                                judiciaire est ouverte » et, d’autre
Cette disposition, née en 2005 sur les mêmes           cas où la responsabilité du dispensateur de crédit       part, apporté une once de flexibilité
fonts baptismaux que la fameuse procédure de           est retenue) (6). Si effectivement il y avait eu de la   en substituant à la nullité automa-
sauvegarde, tient lieu d’introduction au Titre V,      part de certains lobbys tentative de s’arroger un        tique initialement instituée la latitude
relatif aux responsabilités et sanctions, du Livre     régime d’irresponsabilité trop généreux (plutôt          désormais donnée au juge de décider
                                                                                                                du sort des garanties, qu’il pourra
VI du Code de commerce, consacré aux difficultés       que de s’en tenir à une réduction plus raisonnable       ainsi annuler, conserver ou réduire,
des entreprises. Malgré deux précisions apportées      pour le banquier du dilemme entre rupture                selon son appréciation souveraine.
par l’ordonnance du 18 décembre 2008 (2), elle         abusive de crédit et soutien abusif (7)), bien
                                                                                                                3) Voir notamment D. Robine, L’ar-
continue de susciter maintes interrogations plus       pris fut qui croyait prendre : malgré l’apparence        ticle L.650-1 du code de commerce :
de six ans après son entrée en vigueur, en raison      première d’un principe d’exonération, le texte ne        un “cadeau” empoisonné ?, D. 2006.
notamment de son laconisme.                            protège pas vraiment le fournisseur de crédit, loin      Chron. 69 ; P. Hoang, De la suppres-
On en connait la genèse, abondamment relatée           s’en faut, et recèle même pour lui de véritables         sion du dispositif prétorien de la res-
                                                                                                                ponsabilité pour soutien abusif, D.
dans la doctrine contemporaine de la naissance         chausse-trapes.                                          2006. Chron. 1458 ; le commentaire
de la loi de sauvegarde (3). Le rappel des débats      Certes, l’article L. 650-1 n’est en rien un texte        très complet de J. Moury, La respon-
parlementaires houleux dont est issu l’article         abscons ; mais il est pourtant obscur, en raison         sabilité du fournisseur de “concours”
                                                                                                                dans le marc de l’article L.650-1
L. 650-1, bien que paraissant relever du genre         essentiellement de la grande imprécision dont            du code de commerce, D. 2006.
anecdotique, apporte un éclairage édifiant sur         s’est contenté le législateur, fidèle à son habitude     Chron. 1743 ; R. Routier, L’article
le processus par lequel le législateur peut, à         d’écriture synthétique, ouvrant par là tout un           L.650-1 du code de commerce : un
l’occasion, produire une disposition néfaste, à        champ de questions laissées sans réponse. Comme          article “détonnant” pour le débiteur
                                                                                                                et “détonant” pour le contribuable,
l’opposé de l’idée louable dans laquelle le texte      a pu jadis l’exprimer avec humour un avocat fort         D. 2006. Chron. 2916 ; J-L. Vallens,
finalement adopté puise son origine.                   en verve, « l’obscurité d’un texte, ce n’est jamais      Les “effets pervers” de la loi de sau-
Il s’agissait initialement de promouvoir les           qu’un hommage discret rendu par le législateur           vegarde des entreprises, RTD com.
concours financiers à l’entreprise en difficulté       à la sagacité du magistrat ! » (8). Tout en              2007 p. 604 ; V. Perruchot-Triboulet,
                                                                                                                La responsabilité des créanciers (C.
dans le cadre de la procédure de conciliation,         rappelant en quoi pêche l’article L. 650-1, voyons       com. Art. L.650-1, issue de la loi
en exonérant les prêteurs qui les fournissent de       donc aujourd’hui, après quelques années de très          de sauvegarde du 26 juillet 2005),
toute responsabilité, notamment pour soutien           lente gestation jurisprudentielle, comment les           RLDC n° 43, Nov. 2007, p. 64 ; et
                                                                                                                généralement la doctrine nombreuse
abusif, du fait de l’octroi de ces concours (4) ;      tribunaux, dans leurs décisions déjà nombreuses          que cite le commentaire de A.
mais, sous l’impulsion, paraît-il, de la Fédération    (9), ont répondu à cet hommage empoisonné –              Lienhard sous l’art. L.650-1, dans
Bancaire Française, l’idée originelle évolua vers      et si l’espoir d’y trouver quelque réconfort était       l’édition Dalloz du Code des Procé-
l’exonération bien plus générale qui constitue         justifié.                                                dures Collectives. Voir en outre la


N°96 Mars 2012                                                     29                                               JOURNAL DES SOCIÉTÉS
Dossier Réflexions sur l’efficacité des garanties dans les procédures collectives

Thèse soutenue par A-L Capoen, La         I. Un champ d’application aux                        d’y inclure toute extension du terme d’un crédit
responsabilité bancaire à l’égard des
entreprises en difficulté, Université     contours incertains                                  existant, voire plus généralement tout délai de
de Toulouse, 2008, pp. 31 et s.                                                                paiement autre qu’un délai usuel (13). On ne
                                          L’indigence du texte législatif a pour première      voit effectivement pas pourquoi le moratoire
4) En effet, le projet de loi initial     victime    la  délimitation    de  son   champ       ou délai de paiement qu’accorde un créancier
prévoyait, dans son art. 8 créant la
disposition du Code de commerce           d’application.                                       ne constituerait pas un “concours” financier,
instituant le privilège de concilia-                                                           puisqu’il a bien pour effet de lui permettre de
tion (art. L.611-11), d’y insérer un      A. Procédures collectives                            conserver sa trésorerie pendant le délai octroyé.
second alinéa rédigé comme suit au
bénéfice des personnes qui, dans
                                                                                               Certaines juridictions semblent attachées au
l’accord de conciliation homologué,   En effet, malgré l’emplacement du texte, dans            vocable plus couramment utilisé de “crédit”,
ont consenti un crédit au débiteur en la partie du Code traitant des entreprises en            voyant dans l’article L.650-1 une disposition
vue d’assurer la poursuite d’activité difficulté, la doctrine antérieure à la réforme de       applicable à « tout crédit quelle que soit sa
de l’entreprise et sa pérennité : « Ces
personnes ne peuvent, sauf fraude     2008 s’interrogeait sur la nécessité d’un lien entre     nature ou sa forme » (14), tandis que d’autres
ou comportement manifestement         l’existence d’une procédure collective et le régime      tirent simplement du caractère très générique des
abusif de leur part, être tenues pour de responsabilité institué par l’article L. 650-1.       termes “concours” et “créanciers” la conséquence
responsables des préjudices subis du  Si d’aucuns ont pu avec grand effroi voir dans           que cette disposition a un « domaine très large »,
fait des concours consentis du fait
d’un accord homologué » (projet de    la généralité des termes employés par l’article          applicable à tous types de concours financiers,
loi n° 1596 déposé le 12 mai 2004).   L. 650-1 la marque d’une disposition ayant               « quelle que soit […] leur nature, la technique
Il s’agissait donc bien d’une mesure  vocation à régir tout le droit de la responsabilité      juridique utilisée et le créancier concerné » (15).
incitative de l’octroi de crédit dans
le cadre de la seule conciliation, quedu dispensateur de crédit aux entreprises, même          Toutefois, il serait heureux que les juridictions
le gouvernement commentait ainsi :    hors du contexte d’une procédure prévue par le           aient l’occasion de préciser de façon plus
« Dans la procédure de conciliation,  Livre VI du Code de commerce, la grande majorité         prononcée que le “crédit” n’est qu’une variété de
le financement de l’entreprise inter- des auteurs, sans aller jusqu’à envisager un tel         concours financier, et que toute prorogation du
vient dans le cadre de négociations
au cours desquelles la situation est  extrême, remarquait néanmoins à juste titre              terme d’un concours existant est elle-même un
étudiée par toutes les parties. Dès   que l’emplacement de la nouvelle disposition             concours financier.
lors qu’elles sont parfaitement infor-et son libellé très général autorisaient son             On devrait d’ailleurs pouvoir considérer, en
mées, il n’apparaît pas raisonnable
de leur conférer la même faculté
                                      application non pas seulement dans le cas d’une          outre, que l’apport de fonds au débiteur par
qu’en droit commun d’invoquer à       procédure de sauvegarde ou de redressement               voie de souscription à un emprunt obligataire, y
l’encontre de l’un des créanciers une ou liquidation judiciaires, mais aussi dans celui        compris dans le cas d’obligations convertibles
faute née de l’apparence trompeuse    d’une conciliation (10) (voire d’un mandat ad            en titres de capital, constitue bien un “concours”
de responsabilité conférée par l’oc-
troi d’un financement. Il convient    hoc, puisqu’il s’agit bien après tout d’une mesure       financier au sens de l’article L. 650-1, même si
seulement de réserver la fraude ou le elle aussi prévue par le Livre VI du Code de             la souscription de titres obligataires n’est pas un
comportement manifestement abusif     commerce).                                               “crédit” stricto sensu (il n’est pas rare, en effet,
d’un créancier ».
                                      Avec l’ordonnance de décembre 2008, on sait              que l’aide apportée à la société en difficulté par
5) Donnant même lieu à des            non seulement que ce lien est indispensable, mais        certaines catégories de créanciers, notamment
échanges peu amènes entre députés : encore que le mandat ad hoc et la conciliation             ceux qui sont aussi ses associés, le soit sous forme
voir notamment la transcription des ne sont pas concernés, car désormais le principe           obligataire) ; mais il n’existe à ce jour aucune
débats des 1er et 8 mars 2005 au sein
de l’Assemblée Nationale, plus em- d’exonération de responsabilité ne joue que                 jurisprudence sur ce point.
preints de fébrilité politicienne que « lorsqu’une procédure de sauvegarde, de
de réflexion juridique sereine.       redressement judiciaire ou de liquidation                C. Créanciers
                                      judiciaire est ouverte » (ce à quoi il faut
6) Le texte finalement adopté de
l’art. L.650-1 provient de l’amende- vraisemblablement        ajouter    aujourd’hui    la     Le “concours” financier, s’il englobe donc de
ment n° 602 présenté par le Rappor- sauvegarde financière accélérée (11)).                     nombreux types d’opération, doit cependant avoir
teur de la Commission des lois le 1er Mais l’amélioration du texte réalisée en 2008 est        été apporté par un “créancier”. Selon la doctrine,
mars 2005.
                                      toute relative, tant elle laisse encore ouvertes de      l’emploi de ce terme s’explique par la volonté du
7) Pour un exposé limpide des         multiples questions.                                     législateur de ne pas restreindre l’application
termes du dilemme, voir D. Robine,                                                             de l’article L. 650-1 aux seuls banquiers ; il ne
op. cit. nos 1 s.                         B. Concours financiers                                doit donc pas être compris comme excluant du
8) Réplique semble-t-il attribuée à                                                            bénéfice de cette disposition celui qui a prêté
Me Vincent de Moro-Giaffieri, à qui       Tout d’abord, que doit-on entendre par les termes    son concours financier au débiteur avant la
un magistrat du siècle dernier repro-     “concours” et “créanciers” qui figuraient déjà       survenance de la procédure collective, mais qui,
chait de citer un texte obscur.
                                          dans le texte initial et auxquels la réforme de      ayant déjà été remboursé, n’est plus créancier
9) On dénombre en effet quelques          2008 n’a apporté aucune précision ? Bien qu’il       au moment où celle-ci est ouverte (16). Malgré
centaines de décisions déjà, mais ne      n’existe pas de définition juridique de ce qu’est    l’imprécision du texte, il est par ailleurs
comportant encore, malheureuse-           un “concours”, on comprend que ce terme a été        indifférent que le dispensateur d’un concours
ment, aucun arrêt significatif de la
Cour de cassation (celle-ci ne s’étant    choisi précisément en raison de son caractère        financier ait été déjà un créancier existant du
prononcée que sur l’application dans      générique (et par ailleurs, malgré l’omission de     débiteur au moment où il lui a apporté le concours
le temps de l’art. L.650-1).              cette précision, qu’il doit s’agir d’un concours     qui entre dans le champ de l’article L. 650-1, ou le
                                          “financier”, étant donné le contexte).               soit devenu pour la première fois par le fait de ce
10) Notamment V. Perruchot-Tri-
boulet, op. cit. p. 65, jugeant trop      Selon la doctrine, l’article L. 650-1 trouve donc    concours (17).
large le champ d’application de l’art.    à s’appliquer à toute aide financière, à court,      Le principal effet de l’emploi du terme “créancier”
L.650-1.                                  moyen ou long terme, qu’elle soit productrice ou     semble ainsi être d’exclure les associés ou
11) En effet, ainsi que l’énonce          non d’intérêts, en ce compris donc tout prêt ou      actionnaires du débiteur du champ d’application
l’art. L.628-1 C. com., la nouvelle       avance, toute ouverture de crédit, tout découvert,   de l’article L. 650-1, du moins à raison des
procédure dite de “sauvegarde finan-      toute opération d’affacturage ou d’escompte et       sommes qu’ils apportent au capital social du
cière accélérée” instituée par la loi     tout crédit-fournisseur (12). La notion très large   débiteur. De prime abord et en l’absence de
n° 2010-1249 du 22 octobre 2010
est de façon générale soumise aux         de “concours” financier permettrait en outre         jurisprudence sur ce point, on ne voit pas ce qui,

JOURNAL DES SOCIÉTÉS                                                        30                                                     N°96 Mars 2012
Dossier Réflexions sur l’efficacité des garanties dans les procédures collectives

dans le texte de l’article L. 650-1, permettrait        Si l’article L. 650-1 ne devait s’appliquer qu’aux      règles applicables à la procédure
                                                                                                                de sauvegarde de droit commun, et
de les exclure du bénéfice de cette disposition         concours, bien peu fréquents, octroyés durant           l’on ne comprendrait pas qu’il soit à
lorsqu’il est question des fonds qu’ils mettent à       l’une des procédures mentionnées, alors son             cet égard fait exception de l’art. L.
disposition par voie de prêts d’associé, d’avances      champ       d’application    serait    excessivement    650-1, même si l’énumération qu’il
en compte-courant d’associé, d’avances de               limité. On s’étonnerait en outre que n’y figure         comporte ne vise pas expressément
                                                                                                                la sauvegarde financière accélérée.
trésorerie intra-groupe ou de souscriptions             pas la conciliation, dont on sait pourtant que le
obligataires, moyens fréquemment utilisés par           législateur a voulu favoriser l’essor, notamment        12) Voir notamment J. Moury, La
les associés pour financer leur société (18). On        en offrant un régime de faveur au créancier             responsabilité du fournisseur de
                                                                                                                “concours” dans le marc de l’article
remarquera cependant, malgré l’indépendance             apporteur d’argent frais dans le cadre d’une            L. 650-1 du code de commerce, op.
de principe entre les qualités d’associé et de          conciliation donnant lieu à homologation                cit., § 12 et D. Legeais, Les concours
créancier (19), que l’application de l’article L.       (23). En effet, si tel était le cas, ce créancier ne    consentis à une entreprise en diffi-
650-1 aux associés qui sont aussi créanciers            bénéficierait pas du régime de l’article L. 650-1,      culté, JCP E 2005, 1510, p. 1747,
                                                                                                                § 6.
serait en quelque sorte contre nature, car ce           qui lui aussi se veut favorable aux créanciers,
sont eux qui contrôlent le débiteur ; ainsi, tout       car exonératoire de responsabilité (encore que          13) D. Legeais, Les concours
associé créancier voyant sa responsabilité mise         cette faveur puisse sembler illusoire, comme on         consentis à une entreprise en diffi-
en cause à raison des concours octroyés par             l’évoquera ci-après, du fait des exceptions qui la      culté, op. cit., § 6. Mais voir, contra,
                                                                                                                P-M. Le Corre, Dalloz Action Droit
lui et qui chercherait quelque protection dans          restreignent).                                          et pratique des procédures col-
l’article L. 650-1 risquerait fort de se voir opposer   Une interprétation plausible – quoique loin             lectives, Éd. 2012-2013, p. 2237,
l’argument de l’immixtion caractérisée dans la          d’être satisfaisante – de l’article L. 650-1 ainsi      § 834.13.
gestion du débiteur (20) (à ce sujet, voir infra,       modifié semble être que le préjudice résultant          14) Voir notamment Grenoble, 15
“L’immixtion”).                                         du concours consenti doit soit avoir contribué à        décembre 2011, n° 09/02991 (Juris-
S’agissant toujours de ce qu’il faut entendre par       l’ouverture de la procédure collective, soit s’être     Data n° 2011-029008), qui, tout en
“créanciers”, il semble qu’il y ait dans l’esprit       fait sentir alors que la procédure est ouverte, ce      conservant le terme “concours”, lui
                                                                                                                adjoint celui de “crédit”, auquel on
de certains auteurs quelque incertitude quant à         qui permet d’accorder le bénéfice de l’article L.       comprend que cette Cour d’appel
l’application de l’article L. 650-1 aux organismes      650-1 aux concours consentis tant avant que             entend donner le sens le plus large :
sociaux, concernant les délais de paiement qu’ils       pendant la procédure. Mais il faudrait aussi            « Ce texte de portée générale est
                                                                                                                applicable à tout créancier de l’en-
ont octroyé à un débiteur faisant par la suite objet    savoir si, pour les besoins de l’article L. 650-1, la   treprise, qu’il soit un professionnel
d’une procédure collective (21) ; pourtant les          procédure doit être considérée comme demeurant          du crédit, un fournisseur ou toute
juridictions l’admettent, considérant que le sens       " ouverte "pendant la réalisation du plan de            autre personne ayant apporté son
très large du mot “créanciers” le justifie (22).        sauvegarde ou de continuation. Il serait tout de        concours, et à tout crédit, quelle que
                                                                                                                soit sa nature ou sa forme ».
                                                        même surprenant que différentes règles régissent
D. Le moment où le concours financier est                la responsabilité du créancier, selon que le            15) Ainsi Toulouse, 3 février 2010,
consenti                                                préjudice résultant du concours consenti avant ou       n° 08/05207 (JurisData n° 2010-
                                                                                                                007669), qui, à propos de l’applica-
                                                        pendant la procédure est subi avant ou pendant la       tion de l’art. L. 650-1 aux délais de
La position dominante de la doctrine et des             mise en œuvre du plan.                                  paiement accordés à une infirmière
tribunaux, qui valide l’application de l’article        Peut-on tenter une vision plus téméraire et voir,       par sa caisse de retraite, énonce sans
L. 650-1 à toute forme de concours financier et         dans la référence aux procédures collectives            ambigüité que « Ce texte est parfai-
                                                                                                                tement applicable en l’espèce dès
tout créancier, ne suffit pas à clore tout débat        qui figure maintenant au début de l’article L.          lors […] que son domaine est très
sur le champ d’application de cette disposition :       650-1, non pas le fondement du retour au régime         large et joue quelle que soit la date
la précision apportée par la réforme de 2008,           normal de responsabilité pour le créancier dont         d’octroi des concours, antérieure
pourtant sensée clarifier la portée du texte,           le concours est consenti, et porte préjudice, en        ou postérieure à l’ouverture de la
                                                                                                                procédure collective, leur nature,
contenait en elle-même le germe d’un autre débat,       dehors de toute procédure collective, mais au           la technique juridique utilisée…
celui-là concernant le moment où est octroyé le         contraire la consécration d’une exclusion totale        et le créancier concerné puisque
concours financier incriminé.                           de toute responsabilité si le concours accordé          tous sont visés et pas seulement les
                                                                                                                établissements de crédit. Sa portée
En effet, l’article L. 650-1 pose un principe           ne résulte pas dans l’ouverture d’une telle             englobe ainsi les délais de paie-
d’exonération     de   responsabilité    applicable     procédure ? Pour cela, il faudrait lire le premier      ment consentis par les organismes
« lorsqu’une procédure de sauvegarde, de                alinéa de l’article L. 650-1 comme signifiant           sociaux ».
redressement judiciaire ou de liquidation               que le créancier n’est responsable du préjudice
                                                                                                                16) Voir notamment J. Moury, La
judiciaire est ouverte ». Comment comprendre            subi du fait du concours accordé que si une             responsabilité du fournisseur de
cette proposition circonstancielle temporelle, par      procédure collective est ouverte et qu’il y a eu de     “concours” dans le marc de l’article
laquelle commence l’article L. 650-1 ? D’un point       sa part fraude, immixtion caractérisée ou prise         L. 650-1 du code de commerce, op.
                                                                                                                cit., § 12.
de vue strictement grammatical, elle ne vient           de garanties disproportionnées. Il est permis de
préciser que le moment où le créancier bénéficie        douter d’une telle interprétation, tant l’énoncé        17) La jurisprudence regorge d’ail-
de l’exonération de responsabilité, et non pas          aurait pu être plus lumineux si telle avait en effet    leurs d’espèces où le créancier l’est
le moment où est octroyé le concours financier,         été la volonté du pouvoir normatif.                     devenu par l’octroi du concours
                                                                                                                financier incriminé. Pour n’en citer
laissant cette question-là ouverte. Faut-il donc,       L’analyse de la jurisprudence démontre que les          que quelques unes parmi les plus
pour que s’applique ce régime d’apparente               nombreuses décisions déjà intervenues le sont           récentes : Aix-en-Provence, 12 jan-
exonération, que le concours soit octroyé durant        toutes à propos de concours financiers octroyés         vier 2012, n° 2012/13 (JurisData
la procédure collective, ou que le préjudice soit       au débiteur avant l’ouverture de la procédure           n° 2012-001944) ; Lyon, 4 novembre
                                                                                                                2011, n °10/01506 (JurisData
subi, ou l’action elle-même intentée, au cours de       collective, et aucune ne rejette l’application          n° 2011-027039).
la procédure, ou bien encore ces critères sont-ils      de l’article L. 650-1 par ce motif. Il a même
cumulatifs ? Faut-il plutôt que le concours, alors      été précisé qu’il n’importe pas que le concours         18) En ce sens, J-P Legros, Sauve-
                                                                                                                garde, redressement et liquidation
nécessairement consenti avant la procédure, ait         soit antérieur ou postérieur à l’ouverture de           judiciaires, JCL Procédures collec-
contribué à l’ouverture de celle-ci, ou qu’il ait été   la procédure (24). Pourtant, quelques auteurs           tives, Fasc. 2162, § 328.
consenti alors que le débiteur, sans encore faire       estiment que le moment de l’octroi du concours
l’objet de la procédure collective, était déjà en       financier n’est pas indifférent : s’il a été consenti   19) Cass. Com., 24 juin 1997, Bull.
                                                                                                                civ. 1997, IV, n° 207.
difficulté ?                                            à un débiteur qui n’était pas en difficulté au

N°96 Mars 2012                                                      31                                              JOURNAL DES SOCIÉTÉS
Dossier Réflexions sur l’efficacité des garanties dans les procédures collectives

20) En ce sens, F. Vinckel, Le droit      moment de l’octroi du concours, mais qui en            Face à la question de l’application de la nouvelle
au remboursement du compte cou-
rant d’associé, à l’aune du droit des     raison du caractère inapproprié du concours            disposition à l’égard des cautions, les tribunaux
entreprises en difficulté, Rev. proc.     ainsi consenti, conjugué à d’autres problèmes          n’ont pas su apporter une réponse très homogène.
coll. n° 1, janvier 2011, étude 4,        rencontrés ultérieurement, fait ensuite l’objet        Si le créancier peut exciper de l’article L. 650-
§ 32.                                     d’une procédure collective, alors l’article L. 650-    1 à l’encontre de la caution qui l’attaque sur le
21) P-M. Le Corre, Dalloz Action          1 n’aurait pas vocation à s’appliquer (25). Ce         terrain du soutien abusif, de la même façon qu’il
Droit et pratique des procédures          raisonnement semble de prime abord avoir été           peut le faire à l’égard du débiteur principal (28),
collectives, Éd. 2012-2013, p. 2238,      inventé de toutes pièces, dans le seul dessein de      il ne fait en revanche aucun doute qu’il ne peut
§ 834.13.
                                          limiter l’application d’un régime exonératoire         se réfugier derrière l’article L. 650-1 pour éviter
22) Voir Toulouse, 3 février 2010,        de responsabilité jugé trop favorable pour les         toute action ou demande reconventionnelle
n° 08/05207 (JurisData n° 2010-           créanciers. Peut-être puise-t-il sa source dans les    de la part des cautions fondée sur les moyens
007669), op. cit., qui indique très       motifs de la décision du Conseil Constitutionnel       que la jurisprudence antérieure et la loi leur
clairement que l’art. L. 650-1 s’ap-
plique aux organismes sociaux. Une        ayant validé la loi de sauvegarde, les sages y ayant   ont donné afin d’échapper à leur engagement,
autre Cour d’Appel aurait pu confor-      expressément fait référence aux « concours à une       par exemple le devoir de mise en garde ou
ter cette position, mais s’est conten-    entreprise en difficulté » (26) à. Toujours est-       l’article L. 341-4 du Code de la consommation
tée de statuer qu’en l’espèce cette       il qu’au moins une cour d’appel s’est à plusieurs      (29). Mais, tandis qu’une majorité de décisions
disposition n’était pas applicable, car
la procédure collective concernée         reprises faite l’écho de ce raisonnement étrange,      a jugé les cautions fondées à se prévaloir des
avait été ouverte avant l’entrée en       qui distingue là où la loi ne le fait pas et qui       exceptions que l’article L. 650-1 prévoit (30), il
vigueur de la loi de sauvegarde :         conduit à ce que le créancier de l’entreprise en       en est aussi de nombreuses qui ont statué dans
Nîmes, 18 mars 2010, n° 08/02932
(JurisData n° 2010-016896).               bonne santé soit moins bien traité que le créancier    le sens exactement contraire (31), de sorte que,
                                          de l’entreprise en difficulté (27).                    fâcheusement, le droit qui est appliqué en un lieu
23) En vertu de l’art. L. 611-11 du       Abstraction     faite   de     cette  jurisprudence    de France n’a pas cours en un autre.
Code de commerce, le créancier qui,       surprenante, l’aberration est de toute façon déjà      Pour éviter ou réduire le débat sur le champ
dans le cadre d’un accord de conci-
liation homologué par le tribunal,        présente dans le texte même de l’article L. 650-1,     d’application de l’article L. 650-1, il aurait
fournit un nouvel apport en trésore-      car précisément il ne s’applique que lorsqu’une        pourtant été plutôt aisé d’ajouter simplement
rie, ou un nouveau bien ou service,       procédure collective est ouverte. En effet, avec       quelques mots à son premier alinéa, par exemple :
en vue d’assurer la poursuite de
l’activité du débiteur et sa pérennité,
                                          deux régimes de responsabilité qui coexistent,         « Lorsqu’une procédure de sauvegarde, de
est en effet favorisé en cas d’ouver-     l’un pour les concours portant préjudice hors          redressement judiciaire ou de liquidation
ture ultérieure d’une procédure de        toute procédure collective et l’autre, plus            judiciaire est ouverte, les créanciers quels qu’ils
sauvegarde, ou de redressement ou         favorable, pour ceux qui contribuent à une telle       soient ne peuvent être tenus pour responsables
liquidation judiciaire, par un privi-
lège le plaçant en rang supérieur aux     procédure, on doit alors remarquer l’étonnant          des préjudices subis du fait des concours
créanciers postérieurs (et donc bien      paradoxe auquel mène l’article L. 650-1 : le           financiers octroyés par eux, qu’il s’agisse de
sûr aux créanciers antérieurs, même       créancier qui consent un concours, y compris           concours nouveaux ou du report de l’échéance
titulaires de sûretés), juste après le
super-privilège des salaires et celui
                                          d’ailleurs dans le cadre d’un mandat ad hoc ou         de concours existants, quelle que soit la forme
des frais de justice.                     d’une conciliation, ne bénéficierait pas du régime     juridique de ces concours et qu’ils aient été
                                          de responsabilité supposé avantageux de l’article      consentis antérieurement à l’ouverture de la
24) Notamment Toulouse, 3 février         L. 650-1 si ce concours, quoique préjudiciable,        procédure, alors que l’entreprise était saine ou en
2010, n° 08/05207 (JurisData
n° 2010-007669), op. cit.                 ne l’est pas suffisamment pour provoquer ensuite       difficulté, ou postérieurement à celle-ci, sauf les
                                          l’ouverture d’une procédure collective, alors qu’il    cas de fraude… » ; puis de préciser dans un autre
25) Notamment, P. Bouteiller, Sau-        lui profiterait (en sus du privilège de l’argent       alinéa qui peut se prévaloir de la disposition.
vegarde, redressement et liquidation      frais, en cas de concours accordé dans le cadre        Mais sans doute cela n’aurait-il pas été assez
judiciaires, JCL Banque – Crédit
– Bourse, 2007, Fasc. 520, § 10 :         d’une conciliation donnant lieu à homologation)        synthétique pour le rédacteur législatif…
« lorsque l’entreprise bénéficiaire       s’il est assez nuisible pour aboutir finalement à
du concours était en parfaite santé       une telle procédure. À trop vouloir encourager le      II. Des exceptions à géométrie
lors de l’octroi du crédit, mais […]
doit ultérieurement se soumettre          crédit aux entreprises en difficulté, doit-on finir    floue
[…] à une procédure collective, la        par décourager le crédit à celles qui sont encore
banque sera dans l’impossibilité          saines ?                                               Quoi qu’il en soit du champ d’application, il faut
d’invoquer la protection établie par                                                             constater que l’exonération de responsabilité
l’article L. 650-1 […], et les tiers
seront fondés à rechercher […] sa         E. Les personnes pouvant s’en prévaloir                en cas d’ouverture d’une procédure n’est
responsabilité selon les critères du                                                             qu’apparente. Le créancier doit en effet s’extirper
droit commun ».                         Fidèle à son laconisme, le législateur n’a pas jugé      du champ de mines qu’a créé l’article L. 650-1
26) Cons. const., 22 juillet 2005,
                                        utile de préciser qui est autorisé à se prévaloir        par la formulation laconique des trois exceptions
n° 2005-522 DC, § 11 : « le légis-      de l’article L. 650-1. Cela n’était certes pas           posées à l’exonération de responsabilité :
lateur a expressément prévu que la      nécessaire, tant la chose est évidente, s’agissant       la fraude, l’immixtion caractérisée dans la
responsabilité de tout créancier qui    du créancier lui-même, qui doit pouvoir l’opposer        gestion du débiteur et la prise de garanties
consent des concours à une entre-
prise en difficulté resterait engagée   au débiteur le recherchant en responsabilité,            disproportionnées au concours financier accordé.
en cas de fraude… ».                    et, réciproquement, s’agissant du débiteur, qui          Pour apaiser une opposition criant au scandale
                                        doit pouvoir lui opposer les exceptions que              du pauvre débiteur écrasé par le grand capital, de
27) Rennes, 2e ch., 12 novembre         le texte a prévu pour écarter l’exonération de           rocambolesques débats parlementaires ont abouti
2008, n° 07/06082 (JurisData
n° 2008-008113), énonçant que           responsabilité. Mais c’était sans compter avec           à ce que le texte d’origine, qui se voulait peut-
l’art. L.650-1 « édicte une immunité les cautions, qui forment le gros des bataillons            être exagérément protecteur de banquiers parfois
légale en faveur des créanciers qui     plaidant l’article L. 650-1, ayant eu tôt fait de        trop aisément mis à mal devant les tribunaux par
apportent leur soutien aux entre-
prises en difficulté » ; Rennes, 2 ch., saisir l’opportunité offerte par l’article L. 650-1
                                  e                                                              quelques débiteurs récalcitrants, soit en fin de
29 juin 2010, n° 09/04968 (Juris-       d’ajouter aux moyens existants de se soustraire          parcours affublé de ces exceptions dont personne
Data N° 2010-031122), statuant          à leur engagement en invoquant la fraude,                ne prit la peine de donner la moindre définition.
que la fin de non-recevoir opposée      l’immixtion caractérisée ou la disproportion des         Le remède est ainsi devenu pire que le mal.
par la banque et tirée de l’applica-
tion de l’art. L.650-1 ne peut être     garanties.                                               On conçoit bien qu’il serait vain de prétendre

JOURNAL DES SOCIÉTÉS                                                          32                                                    N°96 Mars 2012
Dossier Réflexions sur l’efficacité des garanties dans les procédures collectives

donner une définition pleinement satisfaisante          venues préciser, fort heureusement, qu’il n’y a         accueillie, car « il n’apparaît pas
                                                                                                                que [le débiteur] était, lorsque des
des cas de fraude, dont les avatars sont infinis.       pas par principe fraude dans le fait d’octroyer un      concours lui ont été consentis, en
Mais l’immixtion caractérisée aurait très               “crédit de restructuration” d’encours existants         difficulté, dans une situation finan-
utilement profité d’une énonciation, ne serait-         (37).                                                   cière irrémédiablement compromise
ce que succincte, de ce qui, précisément,               Il demeure que les notions de fraude et de faute        ou que les crédits consentis aient été
                                                                                                                insupportables pour sa trésorerie » ;
doit la caractériser. Quant aux garanties               sont intimement liées et que le danger perdure,         Rennes, 3e ch., 13 septembre 2011,
disproportionnées, voilà bien une notion inscrite       en dépit de l’objectif recherché par l’article L.       n° 10/04649, précisant que « [l’art.
dans le flou le plus complet !                          650-1, de voir des décisions juridictionnelles faire    L.650-1] qui propose des conditions
                                                                                                                plus rigoureuses de mise en jeu
                                                        rentrer par la porte de la fraude la mise en jeu de     de la responsabilité du banquier
A. La fraude                                            la responsabilité du banquier pour soutien abusif       dispensateur du crédit ne concerne
                                                        sur les fondements classiques, alors même qu’une        que l’hypothèse où des concours
Peut-être l’exception expresse de la fraude était-      procédure collective a été ouverte.                     sont consentis à une entreprise en
                                                                                                                difficulté ».
elle d’ailleurs inutile, puisque “fraus omnia
corrumpit” : les tribunaux n’ont certainement           B. L’immixtion                                          28) Voir par ex. Poitiers, 7 septembre
pas besoin qu’un texte vise expressément la                                                                     2010, n° 09/01626.
fraude pour écarter les prétentions d’une partie        S’agissant de l’“immixtion caractérisée dans
                                                                                                                29) Voir par ex. Montpellier, 21
dont le comportement est jugé frauduleux. Le            la gestion du débiteur”, le terrain semblait dès        octobre 2008, n° 07/05336 ; Aix-en-
parlementaire qui a porté la loi de sauvegarde          l’origine un peu plus balisé que celui de la fraude.    Provence, 12 mai 2011, n° 2011/194.
sur ses fonts baptismaux estimait d’ailleurs que        En effet, si un auteur a pu noter que définir ce qui
                                                                                                                30) Orléans 29 avril 2010,
« la réserve du cas de fraude n’appelle guère de        distingue l’immixtion “caractérisée” de celle qui       n° 09/02517 et 13 janvier 2011,
commentaire » (32). Mais, quitte à mentionner la        ne l’est pas relève de la gageure (38), on pouvait      n° 10/01319 ; Colmar, 8 novembre
fraude, il aurait été utile que le texte de l’article   néanmoins d’emblée se référer à la jurisprudence        2011, n° 11/00212 ; Poitiers, 20
L. 650-1 l’explicite un peu, du moins dans le           existante de la Cour de cassation en matière de         septembre 2011, n° 10/04392 ; Paris,
                                                                                                                8 septembre 2011, n° 09/16516 (ces
contexte spécifique de la responsabilité du             gestion de fait. Pour retenir l’immixtion d’une         exceptions sont « inhérentes à la
créancier, plutôt que de laisser aux juridictions le    personne dans la gestion du débiteur, cette             dette » et donc opposables par la
soin de le faire, avec les disparités prévisibles que   jurisprudence, qui n’a depuis pas varié, requiert       caution) ; Versailles, 26 mai 2011,
                                                                                                                n° 10/04534.
cela produit.                                           que les faits établis soient propres à caractériser,
À défaut, on peut chercher quelque explication          de la part de cette personne, “l’exercice, en toute     31) Pau, 2 novembre 2010,
dans les travaux parlementaires, où il est indiqué      indépendance, d’une action positive de direction”       n° 4592/10, 08/04435 ; Montpellier,
qu’il ne s’agit que de « la fraude civile, qui […]      dans l’entreprise débitrice (39).                       11 mai 2010, n° 09/04537 et 8 mars
                                                                                                                2011, n° 10/02659 ; Douai, 13 jan-
à vrai dire […] ne se démarque guère a priori           Concernant plus particulièrement l’exception            vier 2010, n° 08/07573 et 30 juin
de la fraude pénale », et qu’il s’agit, « pour ne       de l’immixtion du créancier dans la gestion du          2011, n° 09/08505 (affirmant très
pas écarter la mise en jeu de la responsabilité         débiteur, dans le contexte spécifique de l’article      fermement que « ces exceptions qui
                                                                                                                appartiennent au débiteur principal
du banquier dans des cas extrêmes », de                 L. 650-1, elle était décrite par le Sénateur J-J.       ne peuvent en aucun cas être soule-
tenir compte « d’actes qui auront été réalisés          Hyest, dans son rapport sur le projet de la loi de      vées par la caution »)
en utilisant des moyens déloyaux destinés à             sauvegarde, comme renvoyant « à l’hypothèse,
surprendre un consentement, à obtenir un                particulièrement rare, dans laquelle le créancier       32) X. de Roux, rapp. AN n° 2095,
                                                                                                                11 février 2005, p. 168.
avantage matériel ou moral indu ou faits pour           acquiert la qualité de dirigeant de fait en
échapper à l’exécution des lois » (33).                 participant activement à la gestion du débiteur         33) X. de Roux, rapp. AN n° 2095,
Quant à l’enseignement pouvant être tiré de             et en prenant seul des décisions importantes en         op. cit., p. 168.
la jurisprudence sur ce point, on voit bien que         ses lieu et place » (40).
                                                                                                                34) Par ex., Douai, 2e ch., 13 janvier
l’allégation de fraude est avancée par les débiteurs    Cette définition est aujourd’hui reprise par la         2010, n° 08/07573, qui ne trouve
dans la plupart des espèces soumises aux                jurisprudence des Cours d’Appel, qui la combine         aucune fraude, mais qui laisse penser
tribunaux, le plus souvent d’ailleurs en soutenant      avec la notion, mise en exergue par la Cour de          qu’il en aurait été autrement s’il
                                                                                                                avait été démontré que la banque
que le fait même d’apporter un soutien financier        cassation, d’actes positifs de direction ou de          avait consenti un concours malgré
abusif, c’est-à-dire consenti à l’entreprise            gestion exercés en toute indépendance. Ainsi            sa connaissance d’une situation irré-
alors qu’elle est en situation irrémédiablement         la Cour d’Appel de Versailles dans une espèce           médiablement compromise : « [la
compromise, constitue en lui-même une                   récente (41), qui, tout en statuant, sans doute         caution] n’apporte pas la preuve de
                                                                                                                manœuvres de la banque qui aurait
“fraude”. La rédaction de certaines décisions           pour se rattacher à cette jurisprudence de la Cour      soutenu la société tout en sachant
paraît conforter ce point de vue (34), qui tente        de cassation, que les faits invoqués « ne sont pas      que la voie choisie était sans is-
d’effacer l’innovation de l’article L. 650-1 pour en    de nature à établir l’existence d’une gestion de        sue » ; et, plus particulièrement, Di-
                                                                                                                jon, 1ère ch. Civ., 8 novembre 2011,
revenir au schéma classique de la responsabilité        fait laquelle se caractérise par le fait d’exercer en   qui admet de façon peu convaincante
pour soutien abusif. Mais, manifestement, les           toute indépendance des actes positifs de direction      que « [la banque] était en posses-
tribunaux ne cèdent pas aisément à l’argument           et de gestion », complète ce rappel en indiquant        sion de suffisamment d’éléments
de la fraude. Pour les convaincre de l’existence        que le cas du créancier coupable d’immixtion            pour comprendre que la situation
                                                                                                                [du débiteur] semblait alors irré-
d’une fraude, il semble qu’il faille démontrer          « correspond […] au gérant de fait […] ou à celui       médiablement compromise [et,] en
que le créancier, confronté à un débiteur en            qui, sans s’être substitué au gérant de droit, a        acceptant d’escompter de nouvelles
difficulté, a sciemment cherché à se procurer un        influé sur les décisions de celui-ci en orientant sa    traites […] et en dénonçant tardive-
avantage, par exemple en accordant un découvert         gestion pour des décisions qui sans son influence       ment le dépassement du découvert
                                                                                                                […], a engagé sa responsabilité en
supplémentaire dans le seul but d’obtenir une           n’auraient peut-être pas été prises [et] que ces        contribuant à l’aggravation du pas-
garantie dont il ne disposait pas encore (35), et       décisions doivent être à l’origine du préjudice         sif et ne peut sérieusement soutenir
l’on voit bien là le rattachement à la définition       allégué ».                                              qu’elle n’a eu aucun comportement
                                                                                                                frauduleux ».
succincte de la fraude figurant dans le rapport         La précision apportée par la Cour d’Appel de
parlementaire cité ci-avant, où il est question         Versailles dans son arrêt précité donne à réfléchir.    35) Voir notamment Versailles, 16e
de moyens déloyaux destinés à surprendre le             Ainsi se pose en particulier la question, sans          ch., 20 janvier 2011, n° 09/09658 :
consentement ou obtenir un avantage indu (36).          réponse claire aujourd’hui, de la qualification que     « il apparaît que cette autorisation
                                                                                                                de découvert a eu pour seule finalité
Plus concrètement, quelques décisions sont              les tribunaux, dans leur appréciation souveraine        de permettre à la banque l’obtention

N°96 Mars 2012                                                      33                                              JOURNAL DES SOCIÉTÉS
Dossier Réflexions sur l’efficacité des garanties dans les procédures collectives

du cautionnement [et] revêt, compte      des faits, donneront à la faculté que les termes         ses chances de récupérer les fonds avancés ; il
tenu de ces circonstances, un carac-
tère frauduleux » ; et le commentaire    d’une convention de crédit, ou les parties par           sera alors tiraillé entre le désir d’influer sur les
critique qu’ont fait de cette décision   leur comportement dans le cours de leur relation,        décisions à prendre, par exemple en imposant la
F.J. Crédot et T. Samin dans Res-        peuvent laisser au prêteur d’imposer telle ou telle      nomination d’un tiers expert, qui conseillera le
ponsabilité du banquier : notion de      décision à son débiteur dans la conduite de son          débiteur et en pratique mènera la barque pendant
fraude au sens de l’article L.650-1
du Code de commerce, RD banc. fin.       activité. Il serait utile de pouvoir distinguer ici      un temps, et la crainte de se voir reprocher
n° 4, juillet 2011, comm. 130.           selon la nature de l’opération de financement : par      l’immixtion.
                                         exemple, un crédit de trésorerie classique destiné       Peut-on à cet égard distinguer entre l’hypothèse
36) Voir également Limoges, 9
septembre 2010, n° 09/00855 (« [la
                                         au financement du besoin de fonds de roulement           où la convention ne prévoyait aucune intervention
fraude] peut se définir comme            d’une entreprise petite ou grande, dont le prêteur       du prêteur et celle où les parties en avaient
l’acte établi ou le comportement         n’est fréquemment pas l’unique banquier ; ou, par        convenu dès l’origine par des stipulations
suivi dans le but de préjudicier aux     contraste, le crédit permettant un investissement        précises ? Il est à craindre que le juge ne s’arrêtera
droits d’autrui ») ; Douai, 2e ch.,
1er juillet 2010, n° 09/03656 (« la      spécifique, souvent de grande envergure et               pas à cette distinction et se déterminera au cas
fraude suppose une intention de          financé par un seul prêteur ou consortium                par cas, en fonction de ce qu’il estimera opportun
détourner la loi ou encore une trom-     bancaire, comme l’acquisition ou la construction         au vu des faits de chaque espèce.
perie destinée à léser une personne      d’un immeuble de rapport, la réalisation d’un            En l’absence de définition législative de ce que
de ses droits ») ; Orléans, 29 avril
2010, n° 09/02517, et 13 janvier         projet industriel ou d’un ouvrage public concédé,        recouvre la notion d’immixtion, on notera la
2011, n° 10/01319 (« la fraude doit      ou bien encore l’acquisition d’une société.              vision large du Ministre de la Justice à l’époque
s’entendre de l’octroi de crédits        Dans le premier cas, la banque, sans compétence          des débats sur l’article L. 650-1, qui y voyait
illicites ou de manœuvres exercées
par le créancier pour le seul service    dans le métier du débiteur, octroie le crédit sur le     « l’influence » caractérisée que le créancier exerce
de ses intérêts personnels au lieu de    fondement d’une analyse globale de comptabilité          sur son débiteur (42), et il faudra donc se reporter
soutenir l’activité d’une entreprise     historique et prévisionnelle ; elle ne saurait,          à la jurisprudence existante sur l’immixtion
ou d’assurer sa pérennité ») ; et        sans se substituer indûment au dirigeant de              caractérisée dans le contexte de la notion de
Versailles, 13e ch., 12 mai 2011,
donnant une explication plus détail-     l’entreprise débitrice, prétendre dicter la façon de     gestion de fait.
lée que d’autres cours d’appel sur la    dépenser au jour le jour les sommes prêtées ou le        On doit malheureusement constater que très
notion de fraude, qui comporte à la      déroulement de l’activité financée.                      peu des nombreuses décisions juridictionnelles
fois la fraude aux droits des tiers et
la fraude à la loi, et citant même les
                                         Dans le second, en revanche, l’opération sera            rendues au titre de l’article L.650-1 l’ont été
travaux parlementaires susvisés.         souvent réalisée à travers une société dédiée,           dans des espèces où l’immixtion jouait un réel
                                         financée par un prêteur spécialiste du domaine           rôle. Parmi les plus récentes, on relèvera celle
37) Notamment, Limoges, 9 sep-           d’activité concerné, qui aura mis sur la table les       de la Cour d’appel de Versailles indiquant, s’il
tembre 2010, n° 09/00855, op.
cit. ; et Orléans, 13 janvier 2011,      deux tiers, sinon plus, des fonds nécessaires à          en était besoin, que le fait pour le banquier de
n° 10/01319, op. cit.                    l’investissement, ne disposera d’aucun recours           demander le réapprovisionnement d’un compte
                                         contre les associés de la société emprunteuse            à découvert et de ne pas le clôturer dès la
38) P. Bouteiller, Sauvegarde, re-
dressement et liquidation judiciaires,
                                         (excepté sur leurs titres dans le capital de celle-      survenance des difficultés ne constitue pas une
JCL Banque – Crédit – Bourse,            ci) et ne pourra placer l’espoir de voir le service      immixtion ; celle de la Cour d’Appel de Colmar
2007, Fasc. 520, § 17.                   de la dette et son remboursement assurés que             précisant, sans grande surprise, que le banquier
                                         dans les seuls flux financiers générés par l’actif       qui consent un prêt à une société dont la surface
39) Cass. Com., 12 juillet 2005,
n° 02-19.860 (JurisData n° 2005-         financé ou dans la seule valeur vénale de celui-         financière est limitée n’est pas, de ce seul fait,
029487) ; Cass. com., 10 janvier         ci. Pour ce genre d’opération, le financement            coupable d’immixtion ; ou encore celle de la Cour
2012, n° 10-28.067 (JurisData            est spécifiquement dimensionné en fonction               de Grenoble confirmant que ne constitue pas
n° 2012-000206).                         d’une projection de trésorerie finement établie          non plus immixtion le fait pour un fournisseur
40) J-J Hyest, Rapp. Sénat n° 335,       par l’emprunteur, et tout est précisément étudié         d’octroyer un crédit fournisseur et d’exiger qu’il
11 mai 2005, p. 442.                     avant le lancement de l’opération de telle sorte         soit assorti de sûretés (43). Aucune de ces espèces
                                         que l’emprunteur ne nécessite aucun concours             ne présente un véritable intérêt à l’égard de la
41) Versailles, 13e ch., 12 mai 2011,
op. cit.                                 financier autre que celui qui est initialement mis       problématique de l’immixtion.
                                         en place. Dans un tel schéma, il n’est pas anormal
42) M. Perben, Ministre de la Jus-       de reconnaître au prêteur le pouvoir d’influer sur       C. Les garanties disproportionnées
tice, à propos de la notion d’immix-     certaines décisions importantes, par exemple sur
tion caractérisée : « Celle-ci peut
se manifester de trois façons : la       la qualité des locataires de l’immeuble financé          S’agissant enfin des garanties disproportionnées,
société de fait, le dirigeant de fait,   ou les caractéristiques des baux à consentir, sur        on comprend bien la motivation ayant présidé
et, enfin, l’influence exercée par le    l’opportunité de réaliser tels ou tels travaux de        à l’adoption de ce nouveau concept : il vise
créancier sur son débiteur. C’est ce
dernier comportement qui est visé
                                         modification du bien, ou encore sur la nécessité de      à sanctionner le prêteur trop gourmand de
ici. Pour permettre d’engager la res-    remplacer un prestataire de gestion immobilière          garanties et qui, prenant plus de sûretés que ne le
ponsabilité du créancier, l’immixtion    défaillant. La convention de crédit comportera           nécessite son crédit, prive le débiteur du moyen
doit être caractérisée, conformément     aisément quelques dizaines de stipulations               d’en offrir à d’autres créanciers pour obtenir d’eux
a la jurisprudence de la Cour de
cassation… » (Assemblée Nationale,       détaillées obligeant ainsi l’emprunteur à prendre        les concours financiers supplémentaires dont il a
3e séance du mardi 8 mars 2005 —         certaines mesures, ou au contraire lui interdisant       besoin (44).
JOAN CR 2005, n°21, p.1791)              d’en prendre d’autres. Il n’existe à ce sujet            Mais la notion de garanties disproportionnées
                                         aucune doctrine ou jurisprudence permettant de           suscite la perplexité à plusieurs titres.
43) Versailles, 13e ch., 12 mai 2011,
op. cit. ; Colmar, 8 novembre 2011,      déterminer dans quelle mesure l’influence que
n° 11/00212 (Jurisdata n° 2011-          les caractéristiques de ce type de financement           1. Le vaste domaine des “garanties”
025782) ; Grenoble, 15 décembre          donnent au prêteur est susceptible de prêter le
2011, n° 09/02991 (Jurisdata
n° 2011-029008).                         flanc à la critique de l’immixtion caractérisée.         En premier lieu, le terme employé est celui de
                                         Dans tous les cas, si l’activité menace de péricliter,   “garanties”, couvrant un domaine plus vaste
44) J-J Hyest, Rapp. Sénat n° 335,       le créancier, souvent d’ailleurs à la demande du         que celui des seules sûretés et dont les contours,
11 mai 2005, p. 442, où le Séna-         débiteur lui-même, souhaitera naturellement              incertains, fluctueront sans doute au gré des
teur donne cette seule et laconique
explication de la raison d’être de       intervenir pour sauver l’opération et maximiser          hésitations jurisprudentielles. S’y trouveraient

JOURNAL DES SOCIÉTÉS                                                          34                                                       N°96 Mars 2012
Dossier Réflexions sur l’efficacité des garanties dans les procédures collectives

donc toutes les sûretés, non seulement celles,        par le débiteur, mais par un tiers, généralement         l’exception des garanties dispropor-
                                                                                                               tionnées : « Les créanciers qui pren-
réelles, que donne le débiteur lui-même, mais         son dirigeant ou associé ou sa société-mère.             draient de telles garanties nuiraient
encore tout cautionnement ou autre sûreté             Cependant l’article L. 650-1 ne fait pas cette           aux autres créanciers, puisqu’ils
personnelle, ainsi que toute sûreté réelle, que       distinction, qui résisterait d’ailleurs mal à            réduiraient d’autant leurs propres
donnera pour lui un tiers, par exemple un             l’analyse économique, puisque la capacité d’un           garanties ».
dirigeant ou la société-mère (45) ; à quoi il         débiteur à disposer de tiers pouvant le cautionner       45) Il existe toutefois des décisions
faut vraisemblablement ajouter tout ce que            est nécessairement limitée. Quelques Cours               qui n’admettent pas que le débiteur
l’avocat imaginatif du débiteur convaincra            d’Appel ont pourtant admis sans ambigüité                lui-même, plutôt que le garant,
                                                                                                               puisse exciper de la disproportion
le juge de bien vouloir considérer comme              l’exclusion du cautionnement (47).                       de garanties pour la dette d’autrui
participant du système de “garanties” offert au                                                                fournies par un tiers garant, par ex.
créancier, donc potentiellement toutes sortes         2. La disproportion                                      Poitiers, 29 mars 2011, n° 09/02492.
de mécanismes contractuels (46), qu’il est
                                                                                                               46) Voir notamment V. Perruchot-
impossible d’inventorier ici mais qui pourraient      En deuxième lieu, il y a la notion même de la            Triboulet, op. cit., p. 68 ; A. Lien-
bien inclure la solidarité passive adjonctive, la     disproportion des garanties par rapport au               hard, commentaire sous l’art. L.650-
délégation imparfaite, les promesses de porte-        concours financier. Elle suppose la comparaison          1, dans l’édition Dalloz du Code des
                                                                                                               Procédures Collectives ; V Forray,
fort, certaines lettres d’intention, la réserve       entre le concours consenti et les garanties prises       Commentaire complémentaire de
de propriété, les “sûretés négatives” (soit           en contrepartie, et donc qu’on puisse attribuer          l’article L.650-1 du code de com-
l’interdiction faite au débiteur de consentir des     une valeur à celles-ci, sans pourtant pouvoir            merce, RTD Com. 2008, p. 661, § 3 ;
sûretés à des tiers qui viendraient en concurrence    tenir compte du fait que la valeur d’une sûreté          J. Moury, op. cit., §§ 19-20.
avec le créancier dans une procédure collective,      pour le prêteur est grandement amoindrie, en             47) Montpellier, 11 mai 2010,
ou de souscrire de nouveaux endettements),            raison même des procédures collectives, par              n° 09/04537 (« [l’art. L.650-1]
voire même maints autres engagements de faire         le délai qu’il lui faudra subir pour recouvrer           concerne les garanties prises contre
ou ne pas faire. Les conventions établies pour les    son dû ou par la préférence donnée à certains            le débiteur principal et non celles
                                                                                                               prises contre la caution ») ; Pau,
opérations de financement majeures sur la place       créanciers privilégiés, y compris sur le produit de      2 novembre 2010, n° 4592/10,
de Paris, notamment en matière de financement         la réalisation des sûretés du prêteur.                   08/04435 (les garanties visées
immobilier ou de “leveraged buy-out”, qui             Il faut aussi pouvoir apprécier la différence de         « s’entendant de celles fournies par
                                                                                                               le débiteur »).
courent facilement sur plus d’une centaine de         valeur entre diverses sûretés. Bien malin pourtant
pages, dont un bon tiers consacré aux obligations     qui dira à coup sûr si l’hypothèque du droit             48) M. Perben, Ministre de la Justice
et interdictions de faire imposées à l’emprunteur,    réel né de l’emphytéose conclue sur le terrain           (op. cit.), à propos de la notion de
prennent rarement le chemin du prétoire ; le juge,    d’assiette d’une centrale de production électrique       disproportion : « Il s’agit ici de viser
                                                                                                               les prises de garanties inhabituelles
qui les voit donc peu, pourra lorsque l’occasion      photovoltaïque vaut plus ou moins que la cession         au regard de la pratique. Il va de soi
s’en présentera trouver trop belle la part faite au   à titre de garantie des créances de l’exploitant sur     que les crédits immobiliers qui sont
créancier. La porte lui est ainsi ouverte, avec la    l’acheteur qui s’est engagé à lui prendre l’énergie      consentis en échange d’une hypo-
                                                                                                               thèque sur la totalité du bien alors
notion extensible de “garanties”, d’anéantir en       produite pendant une période donnée ; cela               qu’ils n’en financent qu’une partie
partie, sur le fondement de l’article L. 650-1, ce    dépend de la liquidité de l’actif sur le marché,         demeurent possibles puisque telle est
qu’il ne pourrait autrement mettre de côté sans       ainsi que de la durée restant à courir du bail, de       la pratique. »
méconnaître le principe de l’autonomie de la          celle du contrat d’achat, de la pérennité du tarif,
volonté des parties.                                  etc. Le créancier prendra donc les deux sûretés,
L’espoir de trouver, dans les six années de           qui en réalité ont peu d’intérêt l’une sans l’autre.
jurisprudence depuis la naissance de l’article L.     Si le prêteur multiplie les sûretés, ce n’est
650-1, quelque exemple intéressant d’application      d’ailleurs pas seulement parce qu’il lui est difficile
de cette disposition à des mécanismes de garantie     de juger à l’avance de leur valeur individuelle,
débordant du champ des sûretés classiques reste       mais aussi parce qu’il sait bien que, même si la
vain. En effet, les espèces dont les tribunaux        France modernise énergiquement ses sûretés,
ont jusqu’à présent eu à connaître concernent         elle continue de laisser les procédures collectives
essentiellement des sûretés courantes, telles que     les réduire à peau de chagrin. La procédure
nantissement de compte bancaire, nantissement         collective non seulement déshabille le créancier
de fonds de commerce, hypothèque et, surtout,         de ses sûretés, mais peut aussi, en vertu de
cautionnement. Il est d’ailleurs affligeant de        l’article L. 650-1, l’exposer au reproche de s’être
constater, à la lecture de la plupart des cas         trop couvert ; on s’étonnera ensuite de la frilosité
soumis aux juridictions, que l’article L. 650-1 a     des banquiers. Fort heureusement, on croit
jusqu’à présent principalement servi d’argument       comprendre des débats parlementaires de 2005
supplémentaire pour les cautions dans leur            qu’il ne devrait pas être critiquable de prendre une
tentative    quasi-systématique     d’échapper    à   sûreté sur un bien dont on finance l’acquisition
l’engagement qu’elles ont souscrit, comme             et dont la valeur excède le montant du prêt,
si tout l’attirail défensif que leur procure le       « puisque telle est la pratique » (48). Il faut
droit moderne à cet effet n’y suffisait pas           donc s’en remettre à la sagacité des magistrats
déjà. Concernant justement le cautionnement,          et espérer qu’ils sachent apprécier correctement
garantie par excellence, il n’y a aucun doute         quelles sont les différentes pratiques du marché,
dans la jurisprudence majoritaire qu’il s’agit        selon la nature des opérations de financement ;
bien d’une garantie visée par l’article L. 650-1.     autant dire que la matière, inévitablement, sera
Mais la question était permise, si l’on considère     fortement empreinte de subjectivité et donc
l’exception des garanties disproportionnées           fluctuante.
comme ayant pour but d’empêcher un créancier          Parmi les premières questions initialement
de priver le débiteur des moyens d’obtenir du         évoquées en doctrine à propos de la notion
crédit auprès d’autres créanciers ; en effet, le      de disproportion figurait celle de savoir s’il
cautionnement est une sûreté fournie non pas          pouvait s’agir de disproportion par rapport aux

N°96 Mars 2012                                                    35                                               JOURNAL DES SOCIÉTÉS
Dossier Réflexions sur l’efficacité des garanties dans les procédures collectives

49) Notamment, D. Legeais, Les           capacités de celui qui consent la garantie, plutôt      fréquent. Peut-être faut-il en conclure que l’excès
concours consentis à une entreprise
en difficulté, op. cit. § 17 ; D. Ro-    qu’uniquement par rapport au concours financier         dans la disproportion est un critère nécessaire,
bine, L’article L. 650-1 du code de      que la garantie vient sécuriser. Remarquant             mais qu’il est implicite.
commerce : un “cadeau” empoison-         à juste titre que le texte est à cet égard clair, la    Le plus souvent, en fait, la disproportion paraîtra
né ?, op. cit. § 31 ; V Forray, Com-     doctrine concluait qu’il ne pouvait s’agir que de       excessive non pas à cause de la disproportion
mentaire complémentaire de l’article
L. 650-1 du code de commerce, RTD        disproportion par rapport au concours dispensé          entre la valeur de chaque garantie considérée
Com. 2008, op. cit., § 3.                (49). Mais l’interrogation a perduré, du moins          isolément et le montant du concours consenti,
                                         dans l’esprit des plaideurs. De ce fait, puisque        mais en raison de l’empilement des garanties
50) Par ex. Caen, 8 avril 2010,
N° 08/04035 ; Montpellier, 26
                                         la jurisprudence relative à l’article L. 650-           prises par le dispensateur du concours. La
octobre 2010, n° 09/7533 ;               1 regorge d’espèces centrées sur l’application          propension du créancier à accaparer les garanties
                                         de cette disposition à la caution, on y trouve          est en effet perçue par la société moderne
51) Voir notamment Poitiers, 11          de nombreuses décisions offrant un mélange              comme critiquable, indépendamment même de
janvier 2011, qui relève même que
la caution, appelante, entretient une quelque peu indigeste entre disproportion au               la question de savoir s’il en résulte un préjudice.
confusion entre les deux types de        concours octroyé et disproportion aux capacités         Pourtant, lorsqu’il ne s’agit que de garanties
disproportions, alors qu’elles ne        financières de la caution (50). Dans certains cas,      pouvant être prises successivement par différents
relèvent pas du même régime ; et         les juridictions statuent sur ce second type de         créanciers en rangs distincts, on ne voit pas en
Douai, 30 juin 2011, n° 09/08505.
                                         disproportion au seul visa de l’article L. 650-1,       quoi l’empilement des garanties au profit du
52) Metz, 15 juin 2011, n° 09/00850, qui pourtant ne s’y prête pas, tandis que d’autres          premier créancier empêche le débiteur d’offrir
11/00504. Voir aussi Douai, 1er juil- distinguent clairement entre la disproportion              les mêmes garanties en rang inférieur à un
let 2010, n° 09/03823, où la Cour
refuse l’exception de disproportion      visée par l’article L. 650-1 et celle relative à        deuxième créancier. Le problème du débiteur
en relevant que les diverses garanties la capacité financière de la caution personne             dans ce cas n’existe que si la valeur globale des
ne se superposaient pas, puisque         physique, dont cette dernière peut exciper, en          garanties disponibles, indépendamment de
chacune devait couvrir ce que les        dehors même de toute procédure collective,              leur rang respectif, ne suffit pas à permettre le
autres ne garantissaient pas, de
sorte qu’on suppute que la solution      au titre de l’article L. 341-4 du Code de la            désintéressement de tous les créanciers ; or on
auraient pu être différente s’il y avait consommation (51).                                      ne peut pas reprocher au premier créancier d’être
eu superposition.                        La question centrale de l’appréciation de la            garanti à hauteur du montant de sa créance.
                                         disproportion, donc du ou des critères qui la           Quoi qu’il en soit de la théorie, voyons ce qu’a
                                         caractérisent, est autrement plus épineuse. La          pu en tirer la jurisprudence. Les décisions sont
                                         loi, on le sait, est parfaitement muette sur ce         nombreuses, mais très rares sont celles qui font
                                         point, et c’est par conséquent au juge de faire le      droit à l’allégation de la disproportion, de sorte
                                         tri. Ne s’agit-il que d’une question de montant ?       qu’il faut principalement raisonner a contrario,
                                         Et, dans l’affirmative, doit-on considérer le           de surcroît sans bénéficier, dans la plupart des
                                         montant garanti par la sûreté (c’est-à-dire, dans       cas, de l’énonciation de comparaisons chiffrées
                                         le cas d’une garantie personnelle, le montant de        ou précises entre le montant du concours et les
                                         l’engagement du garant, ou, dans celui d’une            garanties octroyées.
                                         garantie réelle, le montant en garantie duquel          Dans une espèce récente, la Cour d’Appel de
                                         elle est donnée), ou plutôt la valeur du bien           Metz a jugé que les garanties consenties par des
                                         grevé ? Pour ce qui concerne le montant garanti,        époux à la sûreté d’un prêt de 98 000 € octroyé
                                         l’interrogation paraît de prime abord saugrenue,        à la société dont ils étaient les associés, à savoir
                                         puisque le principe de l’accessoire interdit au         un cautionnement solidaire d’environ 118 000 €
                                         créancier, lorsqu’il exerce la sûreté, de se faire      et une affectation hypothécaire par l’un deux
                                         payer plus que ce qui lui est dû (et l’objection de     d’un immeuble d’une valeur estimée de 120
                                         la fraude conduit au même résultat dans le cas          000 € à 130 000 €, étaient disproportionnées,
                                         d’une garantie autonome), de telle sorte qu’il ne       car ayant « vocation à se cumuler » (52). Même
                                         pourrait jamais y avoir disproportion, quels que        si l’on croit y voir une décision d’opportunité
                                         soient la nature et le nombre des garanties prises      faisant feu de tout bois pour protéger les
                                         par le créancier. Mais la chose n’est pas si simple,    cautions personnes physiques, la solution a
                                         car il existe de nombreuses formes de sûreté qui        de quoi inquiéter les créanciers, d’autant que
                                         ne permettent pas que plusieurs créanciers les          la Cour ne semble pas s’être embarrassée de
                                         prennent en rangs successifs (par ex. la propriété-     rechercher en quoi consistait le préjudice et
                                         sûreté, comme la cession fiduciaire de créances,        quel était le lien de causalité entre le cumul des
                                         ou les sûretés impliquant dépossession physique         garanties et ce préjudice. Compte tenu de ce
                                         ou fictive), de sorte qu’en prenant une telle sûreté,   que le cautionnement devait vraisemblablement
                                         le créancier prive le débiteur de la possibilité de     couvrir non seulement le principal de 98 000 €,
                                         l’offrir à d’autres, quand bien même la valeur          mais encore le paiement des intérêts (dont l’arrêt
                                         du bien donné en sûreté excèderait largement le         ne précise pas les modalités), son montant ne
                                         montant de la créance à garantir.                       paraît pas véritablement disproportionné. C’est
                                         Pour ce qui est de l’analyse focalisée uniquement       donc bien le cumul des deux sûretés, considérées
                                         sur la seule valeur du bien grevé, ont voit bien,       dans cette espèce sous l’angle de la valeur totale
                                         en l’absence dans l’article L. 650-1 du moindre         théorique qu’elles représentent, qui crée la
                                         adjectif, tel que “manifeste” ou “excessive”,           disproportion. Un tel point de vue méconnaît
                                         venant qualifier la notion de disproportion,            la réalité des affaires, et s’il suffit de cumuler
                                         qu’elle conduirait objectivement à ce que toute         deux sûretés pour encourir la nullité de chacune,
                                         sûreté réelle portant sur un bien dont la valeur,       les banquiers ont quelque souci à se faire : la
                                         au moment où la sûreté est constituée, excède le        solvabilité des cautions n’est jamais certaine, pas
                                         montant maximal de la créance garantie subisse          plus que la valeur future d’un bien immobilier à
                                         le reproche de la disproportion ; or le cas est très    la barre du tribunal. Il ne semble pourtant pas

JOURNAL DES SOCIÉTÉS                                                       36                                                        N°96 Mars 2012
L650 1
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L650 1

  • 1. DOSSIER RÉFLEXIONS SUR L’EFFICACITÉ DES GARANTIES DANS LES PROCÉDURES COLLECTIVES Les dernières réformes du droit des entreprises en difficulté ont engendré de nouvelles réflexions sur le sort des créanciers munis de sûretés. Parmi ces réflexions, certaines méritent de nouveaux approfondissements, qu’elles traitent de l’article L. 650-1 du code de commerce, du sort de la cession Dailly, du privilège de conciliation ou du régime de déclaration des créances. 11 Propos introductifs 29 Six ans déjà, et toujours rien de bien Pierre-Grégoire Marly, rassurant à propos de l’article L. 650-1 du Code Professeur agrégé des Facultés de droit, de commerce Directeur scientifique du dossier Hervé Kensicher, Avocat Associé, 12 La cession Dailly dans la tourmente Orrick Rambaud Martel des procédures collectives Jean-Jacques Ansault, 40 Le privilège de conciliation Agrégé de droit privé et de sciences criminelles, Philippe Hameau, Professeur à l’Université de Rouen Avocat Associé, Orrick Rambaud Martel 22 Les conséquences du défaut de déclaration de créance sur les garanties dont dispose le créancier David Robine, Maître de conférences à l’Université de Rouen (CUREJ)
  • 2. Dossier Réflexions sur l’efficacité des garanties dans les procédures collectives Propos introductifs Pierre-Grégoire Marly, Professeur agrégé des Facultés de droit, Directeur scientifique du dossier Initialement porté vers la confrontation du droit observe que le nouveau régime du défaut de 1) Cass. com., 27 mars 2012, n° 10.20-077. des sûretés au droit des entreprises en difficulté, déclaration favorise nettement le sort du créancier le présent dossier s’est finalement émancipé de bénéficiant de garanties personnelles, malgré les cette thématique à deux égards : d’une part, en sanctions que celui-ci pourrait encourir en vertu dépassant le strict domaine des sûretés de droit des règles du cautionnement ou du droit de la commun pour aborder le privilège de conciliation responsabilité civile. et la cession Dailly à titre de garantie ; d’autre part, en saisissant le sort des créanciers garantis sous Dans son étude, Maître Philippe Hammeau l’angle particulier de la déclaration des créances et revient sur les raisons qui présidèrent en 2005 à du principe d’irresponsabilité du « fournisseur de l’instauration d’un privilège de conciliation en concours ». faveur des créanciers concourant volontairement au redressement de l’entreprise en difficulté. Tout Ce principe d’irresponsabilité, proclamé à en examinant les conditions d’acquisition de ce l’article L. 650-1 du Code de commerce, est privilège, sa nature et son efficacité, l’éminent l’objet d’une première étude qui livre une analyse praticien interpelle en filigrane sur le caractère critique de cette disposition au moment même réellement incitatif d’une telle mesure. où la Cour de cassation vient de se prononcer sur son interprétation (1). Par une réflexion Enfin, notre collègue Jean-Jacques Ansault nous particulièrement éclairée, Maître Hervé Kensicher fait l’honneur d’une réflexion très approfondie sur démontre l’imprécision du texte précité, tant la rencontre de la cession Dailly à titre de garantie sur l’étendue du principe qu’il énonce que sur le avec le droit des entreprises en difficulté. Cette contenu des exceptions qu’il assigne, spécialement rencontre, qu’il aborde sous l’angle du cédant celle tirée des garanties disproportionnées. Six failli, découvre l’immunité dont jouit cette cession années après son introduction par la réforme de fiduciaire tant à l’ouverture qu’au cours de la 2005, l’article L. 650-1 demeure ainsi mystérieux, procédure collective. Ce constat, soutenu par la voire obscure. Il se confirme toutefois que la riche analyse de son auteur, doit cependant être protection qu’il devait primitivement offrir au mitigé en l’hypothèse d’un conflit opposant le fournisseur de crédit est manifestement démentie cessionnaire au créancier réservataire, ainsi qu’en en pratique. présence d’un mandat d’encaissement confié au cédant. Ce nonobstant, Jean-Jacques Ansault De son côté, notre collègue David Robine livre une démontre l’efficacité de cette discrète et singulière utile et subtile réflexion relative à l’incidence du propriété-sûreté que constitue la cession Dailly à défaut de déclaration des créances sur le sort des titre de garantie. garanties dont jouit le créancier. Dans un souci d’exhaustivité, il aborde l’ensemble des garanties Au bilan, des diverses réflexions formant ce consenties tant par le débiteur que par un tiers. dossier transparait une appréciation contrastée Partant, il révèle qu’en substituant l’inopposabilité de l’efficacité des garanties dont jouit le créancier à l’extinction des créances non déclarées, la réforme confronté à la procédure collective de son débiteur. de 2005 n’aboutit pas moins à la neutralisation des Plus largement, ce sont les réformes de 2005 et garanties octroyées par le débiteur, sous quelques 2008 qui s’offrent à un bilan nuancé. réserves toutefois discutables. En revanche, il N°96 Mars 2012 11 JOURNAL DES SOCIÉTÉS
  • 3. Dossier Réflexions sur l’efficacité des garanties dans les procédures collectives Six ans déjà, et toujours rien de bien rassurant à propos de l’article L. 650-1 du Code de commerce Hervé Kensicher, Avocat Associé, Orrick Rambaud Martel L’incertitude juridique, qui nuit notamment aujourd’hui le principe exprimé dans l’article L. 1) Art. L.650-1 : « Lorsqu’une procédure de sauvegarde, de redres- à la sécurité et l’épanouissement de la vie des 650-1, et qui d’ailleurs n’a plus aucun lien avec sement judiciaire ou de liquidation affaires, peut provenir de la norme législative la procédure de conciliation. Or l’opposition judiciaire est ouverte, les créanciers ou réglementaire elle-même : on doit souvent en parlementaire, voyant là l’œuvre à peine ne peuvent être tenus pour respon- déplorer la formulation imprécise, fruit d’une masquée du grand capital banquier cherchant sables des préjudices subis du fait des concours consentis, sauf les cas réflexion hâtive ou incomplète, d’une étonnante à se prémunir de toute responsabilité pour de fraude, d’immixtion caractérisée méconnaissance de la réalité des affaires ou les atteintes qu’il pourrait désormais infliger dans la gestion du débiteur ou si les de l’absence de concertation sérieuse avec les impunément à la veuve de Carpentras, s’en émut garanties prises en contrepartie de ces concours sont disproportionnées praticiens, voire de quelque compromission très ardemment (5). Le prix payé pour le retour à ceux-ci. » d’ordre politique ou, tout simplement, de la à la sérénité du débat parlementaire fut un texte « Pour le cas où la responsabilité propension de notre législateur à l’écriture bien vite remanié, trop prestement sans doute d’un créancier est reconnue, les synthétique – cette exception culturelle bien pour se ménager le bénéfice d’une réflexion garanties prises en contrepartie de ses concours peuvent être annulées française qui, dans la sphère du droit, a le fâcheux approfondie quant à la manière dont les tribunaux ou réduites par le juge. » effet de laisser les acteurs de l’économie réelle allaient pouvoir l’interpréter ; on y inclut ainsi à la merci d’une interprétation administrative de notables mais très imprécises exceptions au 2) L’ordonnance n°2008-1345 du ou judiciaire tardive, évolutive ou dictée par régime d’exonération que la disposition nouvelle 18 décembre 2008 a en effet, d’une part, précisé que l’article L.650-1 l’opportunité et donc potentiellement arbitraire. voulait instituer (agrémentées, en outre, de la s’applique seulement « lorsqu’une L’article L. 650-1 du Code de commerce (1) en bien sévère sanction de nullité des sûretés prévue procédure de sauvegarde, de redres- fournit une criante et navrante illustration. par le second alinéa de l’article L. 650-1, dans le sement judiciaire ou de liquidation judiciaire est ouverte » et, d’autre Cette disposition, née en 2005 sur les mêmes cas où la responsabilité du dispensateur de crédit part, apporté une once de flexibilité fonts baptismaux que la fameuse procédure de est retenue) (6). Si effectivement il y avait eu de la en substituant à la nullité automa- sauvegarde, tient lieu d’introduction au Titre V, part de certains lobbys tentative de s’arroger un tique initialement instituée la latitude relatif aux responsabilités et sanctions, du Livre régime d’irresponsabilité trop généreux (plutôt désormais donnée au juge de décider du sort des garanties, qu’il pourra VI du Code de commerce, consacré aux difficultés que de s’en tenir à une réduction plus raisonnable ainsi annuler, conserver ou réduire, des entreprises. Malgré deux précisions apportées pour le banquier du dilemme entre rupture selon son appréciation souveraine. par l’ordonnance du 18 décembre 2008 (2), elle abusive de crédit et soutien abusif (7)), bien 3) Voir notamment D. Robine, L’ar- continue de susciter maintes interrogations plus pris fut qui croyait prendre : malgré l’apparence ticle L.650-1 du code de commerce : de six ans après son entrée en vigueur, en raison première d’un principe d’exonération, le texte ne un “cadeau” empoisonné ?, D. 2006. notamment de son laconisme. protège pas vraiment le fournisseur de crédit, loin Chron. 69 ; P. Hoang, De la suppres- On en connait la genèse, abondamment relatée s’en faut, et recèle même pour lui de véritables sion du dispositif prétorien de la res- ponsabilité pour soutien abusif, D. dans la doctrine contemporaine de la naissance chausse-trapes. 2006. Chron. 1458 ; le commentaire de la loi de sauvegarde (3). Le rappel des débats Certes, l’article L. 650-1 n’est en rien un texte très complet de J. Moury, La respon- parlementaires houleux dont est issu l’article abscons ; mais il est pourtant obscur, en raison sabilité du fournisseur de “concours” dans le marc de l’article L.650-1 L. 650-1, bien que paraissant relever du genre essentiellement de la grande imprécision dont du code de commerce, D. 2006. anecdotique, apporte un éclairage édifiant sur s’est contenté le législateur, fidèle à son habitude Chron. 1743 ; R. Routier, L’article le processus par lequel le législateur peut, à d’écriture synthétique, ouvrant par là tout un L.650-1 du code de commerce : un l’occasion, produire une disposition néfaste, à champ de questions laissées sans réponse. Comme article “détonnant” pour le débiteur et “détonant” pour le contribuable, l’opposé de l’idée louable dans laquelle le texte a pu jadis l’exprimer avec humour un avocat fort D. 2006. Chron. 2916 ; J-L. Vallens, finalement adopté puise son origine. en verve, « l’obscurité d’un texte, ce n’est jamais Les “effets pervers” de la loi de sau- Il s’agissait initialement de promouvoir les qu’un hommage discret rendu par le législateur vegarde des entreprises, RTD com. concours financiers à l’entreprise en difficulté à la sagacité du magistrat ! » (8). Tout en 2007 p. 604 ; V. Perruchot-Triboulet, La responsabilité des créanciers (C. dans le cadre de la procédure de conciliation, rappelant en quoi pêche l’article L. 650-1, voyons com. Art. L.650-1, issue de la loi en exonérant les prêteurs qui les fournissent de donc aujourd’hui, après quelques années de très de sauvegarde du 26 juillet 2005), toute responsabilité, notamment pour soutien lente gestation jurisprudentielle, comment les RLDC n° 43, Nov. 2007, p. 64 ; et généralement la doctrine nombreuse abusif, du fait de l’octroi de ces concours (4) ; tribunaux, dans leurs décisions déjà nombreuses que cite le commentaire de A. mais, sous l’impulsion, paraît-il, de la Fédération (9), ont répondu à cet hommage empoisonné – Lienhard sous l’art. L.650-1, dans Bancaire Française, l’idée originelle évolua vers et si l’espoir d’y trouver quelque réconfort était l’édition Dalloz du Code des Procé- l’exonération bien plus générale qui constitue justifié. dures Collectives. Voir en outre la N°96 Mars 2012 29 JOURNAL DES SOCIÉTÉS
  • 4. Dossier Réflexions sur l’efficacité des garanties dans les procédures collectives Thèse soutenue par A-L Capoen, La I. Un champ d’application aux d’y inclure toute extension du terme d’un crédit responsabilité bancaire à l’égard des entreprises en difficulté, Université contours incertains existant, voire plus généralement tout délai de de Toulouse, 2008, pp. 31 et s. paiement autre qu’un délai usuel (13). On ne L’indigence du texte législatif a pour première voit effectivement pas pourquoi le moratoire 4) En effet, le projet de loi initial victime la délimitation de son champ ou délai de paiement qu’accorde un créancier prévoyait, dans son art. 8 créant la disposition du Code de commerce d’application. ne constituerait pas un “concours” financier, instituant le privilège de concilia- puisqu’il a bien pour effet de lui permettre de tion (art. L.611-11), d’y insérer un A. Procédures collectives conserver sa trésorerie pendant le délai octroyé. second alinéa rédigé comme suit au bénéfice des personnes qui, dans Certaines juridictions semblent attachées au l’accord de conciliation homologué, En effet, malgré l’emplacement du texte, dans vocable plus couramment utilisé de “crédit”, ont consenti un crédit au débiteur en la partie du Code traitant des entreprises en voyant dans l’article L.650-1 une disposition vue d’assurer la poursuite d’activité difficulté, la doctrine antérieure à la réforme de applicable à « tout crédit quelle que soit sa de l’entreprise et sa pérennité : « Ces personnes ne peuvent, sauf fraude 2008 s’interrogeait sur la nécessité d’un lien entre nature ou sa forme » (14), tandis que d’autres ou comportement manifestement l’existence d’une procédure collective et le régime tirent simplement du caractère très générique des abusif de leur part, être tenues pour de responsabilité institué par l’article L. 650-1. termes “concours” et “créanciers” la conséquence responsables des préjudices subis du Si d’aucuns ont pu avec grand effroi voir dans que cette disposition a un « domaine très large », fait des concours consentis du fait d’un accord homologué » (projet de la généralité des termes employés par l’article applicable à tous types de concours financiers, loi n° 1596 déposé le 12 mai 2004). L. 650-1 la marque d’une disposition ayant « quelle que soit […] leur nature, la technique Il s’agissait donc bien d’une mesure vocation à régir tout le droit de la responsabilité juridique utilisée et le créancier concerné » (15). incitative de l’octroi de crédit dans le cadre de la seule conciliation, quedu dispensateur de crédit aux entreprises, même Toutefois, il serait heureux que les juridictions le gouvernement commentait ainsi : hors du contexte d’une procédure prévue par le aient l’occasion de préciser de façon plus « Dans la procédure de conciliation, Livre VI du Code de commerce, la grande majorité prononcée que le “crédit” n’est qu’une variété de le financement de l’entreprise inter- des auteurs, sans aller jusqu’à envisager un tel concours financier, et que toute prorogation du vient dans le cadre de négociations au cours desquelles la situation est extrême, remarquait néanmoins à juste titre terme d’un concours existant est elle-même un étudiée par toutes les parties. Dès que l’emplacement de la nouvelle disposition concours financier. lors qu’elles sont parfaitement infor-et son libellé très général autorisaient son On devrait d’ailleurs pouvoir considérer, en mées, il n’apparaît pas raisonnable de leur conférer la même faculté application non pas seulement dans le cas d’une outre, que l’apport de fonds au débiteur par qu’en droit commun d’invoquer à procédure de sauvegarde ou de redressement voie de souscription à un emprunt obligataire, y l’encontre de l’un des créanciers une ou liquidation judiciaires, mais aussi dans celui compris dans le cas d’obligations convertibles faute née de l’apparence trompeuse d’une conciliation (10) (voire d’un mandat ad en titres de capital, constitue bien un “concours” de responsabilité conférée par l’oc- troi d’un financement. Il convient hoc, puisqu’il s’agit bien après tout d’une mesure financier au sens de l’article L. 650-1, même si seulement de réserver la fraude ou le elle aussi prévue par le Livre VI du Code de la souscription de titres obligataires n’est pas un comportement manifestement abusif commerce). “crédit” stricto sensu (il n’est pas rare, en effet, d’un créancier ». Avec l’ordonnance de décembre 2008, on sait que l’aide apportée à la société en difficulté par 5) Donnant même lieu à des non seulement que ce lien est indispensable, mais certaines catégories de créanciers, notamment échanges peu amènes entre députés : encore que le mandat ad hoc et la conciliation ceux qui sont aussi ses associés, le soit sous forme voir notamment la transcription des ne sont pas concernés, car désormais le principe obligataire) ; mais il n’existe à ce jour aucune débats des 1er et 8 mars 2005 au sein de l’Assemblée Nationale, plus em- d’exonération de responsabilité ne joue que jurisprudence sur ce point. preints de fébrilité politicienne que « lorsqu’une procédure de sauvegarde, de de réflexion juridique sereine. redressement judiciaire ou de liquidation C. Créanciers judiciaire est ouverte » (ce à quoi il faut 6) Le texte finalement adopté de l’art. L.650-1 provient de l’amende- vraisemblablement ajouter aujourd’hui la Le “concours” financier, s’il englobe donc de ment n° 602 présenté par le Rappor- sauvegarde financière accélérée (11)). nombreux types d’opération, doit cependant avoir teur de la Commission des lois le 1er Mais l’amélioration du texte réalisée en 2008 est été apporté par un “créancier”. Selon la doctrine, mars 2005. toute relative, tant elle laisse encore ouvertes de l’emploi de ce terme s’explique par la volonté du 7) Pour un exposé limpide des multiples questions. législateur de ne pas restreindre l’application termes du dilemme, voir D. Robine, de l’article L. 650-1 aux seuls banquiers ; il ne op. cit. nos 1 s. B. Concours financiers doit donc pas être compris comme excluant du 8) Réplique semble-t-il attribuée à bénéfice de cette disposition celui qui a prêté Me Vincent de Moro-Giaffieri, à qui Tout d’abord, que doit-on entendre par les termes son concours financier au débiteur avant la un magistrat du siècle dernier repro- “concours” et “créanciers” qui figuraient déjà survenance de la procédure collective, mais qui, chait de citer un texte obscur. dans le texte initial et auxquels la réforme de ayant déjà été remboursé, n’est plus créancier 9) On dénombre en effet quelques 2008 n’a apporté aucune précision ? Bien qu’il au moment où celle-ci est ouverte (16). Malgré centaines de décisions déjà, mais ne n’existe pas de définition juridique de ce qu’est l’imprécision du texte, il est par ailleurs comportant encore, malheureuse- un “concours”, on comprend que ce terme a été indifférent que le dispensateur d’un concours ment, aucun arrêt significatif de la Cour de cassation (celle-ci ne s’étant choisi précisément en raison de son caractère financier ait été déjà un créancier existant du prononcée que sur l’application dans générique (et par ailleurs, malgré l’omission de débiteur au moment où il lui a apporté le concours le temps de l’art. L.650-1). cette précision, qu’il doit s’agir d’un concours qui entre dans le champ de l’article L. 650-1, ou le “financier”, étant donné le contexte). soit devenu pour la première fois par le fait de ce 10) Notamment V. Perruchot-Tri- boulet, op. cit. p. 65, jugeant trop Selon la doctrine, l’article L. 650-1 trouve donc concours (17). large le champ d’application de l’art. à s’appliquer à toute aide financière, à court, Le principal effet de l’emploi du terme “créancier” L.650-1. moyen ou long terme, qu’elle soit productrice ou semble ainsi être d’exclure les associés ou 11) En effet, ainsi que l’énonce non d’intérêts, en ce compris donc tout prêt ou actionnaires du débiteur du champ d’application l’art. L.628-1 C. com., la nouvelle avance, toute ouverture de crédit, tout découvert, de l’article L. 650-1, du moins à raison des procédure dite de “sauvegarde finan- toute opération d’affacturage ou d’escompte et sommes qu’ils apportent au capital social du cière accélérée” instituée par la loi tout crédit-fournisseur (12). La notion très large débiteur. De prime abord et en l’absence de n° 2010-1249 du 22 octobre 2010 est de façon générale soumise aux de “concours” financier permettrait en outre jurisprudence sur ce point, on ne voit pas ce qui, JOURNAL DES SOCIÉTÉS 30 N°96 Mars 2012
  • 5. Dossier Réflexions sur l’efficacité des garanties dans les procédures collectives dans le texte de l’article L. 650-1, permettrait Si l’article L. 650-1 ne devait s’appliquer qu’aux règles applicables à la procédure de sauvegarde de droit commun, et de les exclure du bénéfice de cette disposition concours, bien peu fréquents, octroyés durant l’on ne comprendrait pas qu’il soit à lorsqu’il est question des fonds qu’ils mettent à l’une des procédures mentionnées, alors son cet égard fait exception de l’art. L. disposition par voie de prêts d’associé, d’avances champ d’application serait excessivement 650-1, même si l’énumération qu’il en compte-courant d’associé, d’avances de limité. On s’étonnerait en outre que n’y figure comporte ne vise pas expressément la sauvegarde financière accélérée. trésorerie intra-groupe ou de souscriptions pas la conciliation, dont on sait pourtant que le obligataires, moyens fréquemment utilisés par législateur a voulu favoriser l’essor, notamment 12) Voir notamment J. Moury, La les associés pour financer leur société (18). On en offrant un régime de faveur au créancier responsabilité du fournisseur de “concours” dans le marc de l’article remarquera cependant, malgré l’indépendance apporteur d’argent frais dans le cadre d’une L. 650-1 du code de commerce, op. de principe entre les qualités d’associé et de conciliation donnant lieu à homologation cit., § 12 et D. Legeais, Les concours créancier (19), que l’application de l’article L. (23). En effet, si tel était le cas, ce créancier ne consentis à une entreprise en diffi- 650-1 aux associés qui sont aussi créanciers bénéficierait pas du régime de l’article L. 650-1, culté, JCP E 2005, 1510, p. 1747, § 6. serait en quelque sorte contre nature, car ce qui lui aussi se veut favorable aux créanciers, sont eux qui contrôlent le débiteur ; ainsi, tout car exonératoire de responsabilité (encore que 13) D. Legeais, Les concours associé créancier voyant sa responsabilité mise cette faveur puisse sembler illusoire, comme on consentis à une entreprise en diffi- en cause à raison des concours octroyés par l’évoquera ci-après, du fait des exceptions qui la culté, op. cit., § 6. Mais voir, contra, P-M. Le Corre, Dalloz Action Droit lui et qui chercherait quelque protection dans restreignent). et pratique des procédures col- l’article L. 650-1 risquerait fort de se voir opposer Une interprétation plausible – quoique loin lectives, Éd. 2012-2013, p. 2237, l’argument de l’immixtion caractérisée dans la d’être satisfaisante – de l’article L. 650-1 ainsi § 834.13. gestion du débiteur (20) (à ce sujet, voir infra, modifié semble être que le préjudice résultant 14) Voir notamment Grenoble, 15 “L’immixtion”). du concours consenti doit soit avoir contribué à décembre 2011, n° 09/02991 (Juris- S’agissant toujours de ce qu’il faut entendre par l’ouverture de la procédure collective, soit s’être Data n° 2011-029008), qui, tout en “créanciers”, il semble qu’il y ait dans l’esprit fait sentir alors que la procédure est ouverte, ce conservant le terme “concours”, lui adjoint celui de “crédit”, auquel on de certains auteurs quelque incertitude quant à qui permet d’accorder le bénéfice de l’article L. comprend que cette Cour d’appel l’application de l’article L. 650-1 aux organismes 650-1 aux concours consentis tant avant que entend donner le sens le plus large : sociaux, concernant les délais de paiement qu’ils pendant la procédure. Mais il faudrait aussi « Ce texte de portée générale est applicable à tout créancier de l’en- ont octroyé à un débiteur faisant par la suite objet savoir si, pour les besoins de l’article L. 650-1, la treprise, qu’il soit un professionnel d’une procédure collective (21) ; pourtant les procédure doit être considérée comme demeurant du crédit, un fournisseur ou toute juridictions l’admettent, considérant que le sens " ouverte "pendant la réalisation du plan de autre personne ayant apporté son très large du mot “créanciers” le justifie (22). sauvegarde ou de continuation. Il serait tout de concours, et à tout crédit, quelle que soit sa nature ou sa forme ». même surprenant que différentes règles régissent D. Le moment où le concours financier est la responsabilité du créancier, selon que le 15) Ainsi Toulouse, 3 février 2010, consenti préjudice résultant du concours consenti avant ou n° 08/05207 (JurisData n° 2010- 007669), qui, à propos de l’applica- pendant la procédure est subi avant ou pendant la tion de l’art. L. 650-1 aux délais de La position dominante de la doctrine et des mise en œuvre du plan. paiement accordés à une infirmière tribunaux, qui valide l’application de l’article Peut-on tenter une vision plus téméraire et voir, par sa caisse de retraite, énonce sans L. 650-1 à toute forme de concours financier et dans la référence aux procédures collectives ambigüité que « Ce texte est parfai- tement applicable en l’espèce dès tout créancier, ne suffit pas à clore tout débat qui figure maintenant au début de l’article L. lors […] que son domaine est très sur le champ d’application de cette disposition : 650-1, non pas le fondement du retour au régime large et joue quelle que soit la date la précision apportée par la réforme de 2008, normal de responsabilité pour le créancier dont d’octroi des concours, antérieure pourtant sensée clarifier la portée du texte, le concours est consenti, et porte préjudice, en ou postérieure à l’ouverture de la procédure collective, leur nature, contenait en elle-même le germe d’un autre débat, dehors de toute procédure collective, mais au la technique juridique utilisée… celui-là concernant le moment où est octroyé le contraire la consécration d’une exclusion totale et le créancier concerné puisque concours financier incriminé. de toute responsabilité si le concours accordé tous sont visés et pas seulement les établissements de crédit. Sa portée En effet, l’article L. 650-1 pose un principe ne résulte pas dans l’ouverture d’une telle englobe ainsi les délais de paie- d’exonération de responsabilité applicable procédure ? Pour cela, il faudrait lire le premier ment consentis par les organismes « lorsqu’une procédure de sauvegarde, de alinéa de l’article L. 650-1 comme signifiant sociaux ». redressement judiciaire ou de liquidation que le créancier n’est responsable du préjudice 16) Voir notamment J. Moury, La judiciaire est ouverte ». Comment comprendre subi du fait du concours accordé que si une responsabilité du fournisseur de cette proposition circonstancielle temporelle, par procédure collective est ouverte et qu’il y a eu de “concours” dans le marc de l’article laquelle commence l’article L. 650-1 ? D’un point sa part fraude, immixtion caractérisée ou prise L. 650-1 du code de commerce, op. cit., § 12. de vue strictement grammatical, elle ne vient de garanties disproportionnées. Il est permis de préciser que le moment où le créancier bénéficie douter d’une telle interprétation, tant l’énoncé 17) La jurisprudence regorge d’ail- de l’exonération de responsabilité, et non pas aurait pu être plus lumineux si telle avait en effet leurs d’espèces où le créancier l’est le moment où est octroyé le concours financier, été la volonté du pouvoir normatif. devenu par l’octroi du concours financier incriminé. Pour n’en citer laissant cette question-là ouverte. Faut-il donc, L’analyse de la jurisprudence démontre que les que quelques unes parmi les plus pour que s’applique ce régime d’apparente nombreuses décisions déjà intervenues le sont récentes : Aix-en-Provence, 12 jan- exonération, que le concours soit octroyé durant toutes à propos de concours financiers octroyés vier 2012, n° 2012/13 (JurisData la procédure collective, ou que le préjudice soit au débiteur avant l’ouverture de la procédure n° 2012-001944) ; Lyon, 4 novembre 2011, n °10/01506 (JurisData subi, ou l’action elle-même intentée, au cours de collective, et aucune ne rejette l’application n° 2011-027039). la procédure, ou bien encore ces critères sont-ils de l’article L. 650-1 par ce motif. Il a même cumulatifs ? Faut-il plutôt que le concours, alors été précisé qu’il n’importe pas que le concours 18) En ce sens, J-P Legros, Sauve- garde, redressement et liquidation nécessairement consenti avant la procédure, ait soit antérieur ou postérieur à l’ouverture de judiciaires, JCL Procédures collec- contribué à l’ouverture de celle-ci, ou qu’il ait été la procédure (24). Pourtant, quelques auteurs tives, Fasc. 2162, § 328. consenti alors que le débiteur, sans encore faire estiment que le moment de l’octroi du concours l’objet de la procédure collective, était déjà en financier n’est pas indifférent : s’il a été consenti 19) Cass. Com., 24 juin 1997, Bull. civ. 1997, IV, n° 207. difficulté ? à un débiteur qui n’était pas en difficulté au N°96 Mars 2012 31 JOURNAL DES SOCIÉTÉS
  • 6. Dossier Réflexions sur l’efficacité des garanties dans les procédures collectives 20) En ce sens, F. Vinckel, Le droit moment de l’octroi du concours, mais qui en Face à la question de l’application de la nouvelle au remboursement du compte cou- rant d’associé, à l’aune du droit des raison du caractère inapproprié du concours disposition à l’égard des cautions, les tribunaux entreprises en difficulté, Rev. proc. ainsi consenti, conjugué à d’autres problèmes n’ont pas su apporter une réponse très homogène. coll. n° 1, janvier 2011, étude 4, rencontrés ultérieurement, fait ensuite l’objet Si le créancier peut exciper de l’article L. 650- § 32. d’une procédure collective, alors l’article L. 650- 1 à l’encontre de la caution qui l’attaque sur le 21) P-M. Le Corre, Dalloz Action 1 n’aurait pas vocation à s’appliquer (25). Ce terrain du soutien abusif, de la même façon qu’il Droit et pratique des procédures raisonnement semble de prime abord avoir été peut le faire à l’égard du débiteur principal (28), collectives, Éd. 2012-2013, p. 2238, inventé de toutes pièces, dans le seul dessein de il ne fait en revanche aucun doute qu’il ne peut § 834.13. limiter l’application d’un régime exonératoire se réfugier derrière l’article L. 650-1 pour éviter 22) Voir Toulouse, 3 février 2010, de responsabilité jugé trop favorable pour les toute action ou demande reconventionnelle n° 08/05207 (JurisData n° 2010- créanciers. Peut-être puise-t-il sa source dans les de la part des cautions fondée sur les moyens 007669), op. cit., qui indique très motifs de la décision du Conseil Constitutionnel que la jurisprudence antérieure et la loi leur clairement que l’art. L. 650-1 s’ap- plique aux organismes sociaux. Une ayant validé la loi de sauvegarde, les sages y ayant ont donné afin d’échapper à leur engagement, autre Cour d’Appel aurait pu confor- expressément fait référence aux « concours à une par exemple le devoir de mise en garde ou ter cette position, mais s’est conten- entreprise en difficulté » (26) à. Toujours est- l’article L. 341-4 du Code de la consommation tée de statuer qu’en l’espèce cette il qu’au moins une cour d’appel s’est à plusieurs (29). Mais, tandis qu’une majorité de décisions disposition n’était pas applicable, car la procédure collective concernée reprises faite l’écho de ce raisonnement étrange, a jugé les cautions fondées à se prévaloir des avait été ouverte avant l’entrée en qui distingue là où la loi ne le fait pas et qui exceptions que l’article L. 650-1 prévoit (30), il vigueur de la loi de sauvegarde : conduit à ce que le créancier de l’entreprise en en est aussi de nombreuses qui ont statué dans Nîmes, 18 mars 2010, n° 08/02932 (JurisData n° 2010-016896). bonne santé soit moins bien traité que le créancier le sens exactement contraire (31), de sorte que, de l’entreprise en difficulté (27). fâcheusement, le droit qui est appliqué en un lieu 23) En vertu de l’art. L. 611-11 du Abstraction faite de cette jurisprudence de France n’a pas cours en un autre. Code de commerce, le créancier qui, surprenante, l’aberration est de toute façon déjà Pour éviter ou réduire le débat sur le champ dans le cadre d’un accord de conci- liation homologué par le tribunal, présente dans le texte même de l’article L. 650-1, d’application de l’article L. 650-1, il aurait fournit un nouvel apport en trésore- car précisément il ne s’applique que lorsqu’une pourtant été plutôt aisé d’ajouter simplement rie, ou un nouveau bien ou service, procédure collective est ouverte. En effet, avec quelques mots à son premier alinéa, par exemple : en vue d’assurer la poursuite de l’activité du débiteur et sa pérennité, deux régimes de responsabilité qui coexistent, « Lorsqu’une procédure de sauvegarde, de est en effet favorisé en cas d’ouver- l’un pour les concours portant préjudice hors redressement judiciaire ou de liquidation ture ultérieure d’une procédure de toute procédure collective et l’autre, plus judiciaire est ouverte, les créanciers quels qu’ils sauvegarde, ou de redressement ou favorable, pour ceux qui contribuent à une telle soient ne peuvent être tenus pour responsables liquidation judiciaire, par un privi- lège le plaçant en rang supérieur aux procédure, on doit alors remarquer l’étonnant des préjudices subis du fait des concours créanciers postérieurs (et donc bien paradoxe auquel mène l’article L. 650-1 : le financiers octroyés par eux, qu’il s’agisse de sûr aux créanciers antérieurs, même créancier qui consent un concours, y compris concours nouveaux ou du report de l’échéance titulaires de sûretés), juste après le super-privilège des salaires et celui d’ailleurs dans le cadre d’un mandat ad hoc ou de concours existants, quelle que soit la forme des frais de justice. d’une conciliation, ne bénéficierait pas du régime juridique de ces concours et qu’ils aient été de responsabilité supposé avantageux de l’article consentis antérieurement à l’ouverture de la 24) Notamment Toulouse, 3 février L. 650-1 si ce concours, quoique préjudiciable, procédure, alors que l’entreprise était saine ou en 2010, n° 08/05207 (JurisData n° 2010-007669), op. cit. ne l’est pas suffisamment pour provoquer ensuite difficulté, ou postérieurement à celle-ci, sauf les l’ouverture d’une procédure collective, alors qu’il cas de fraude… » ; puis de préciser dans un autre 25) Notamment, P. Bouteiller, Sau- lui profiterait (en sus du privilège de l’argent alinéa qui peut se prévaloir de la disposition. vegarde, redressement et liquidation frais, en cas de concours accordé dans le cadre Mais sans doute cela n’aurait-il pas été assez judiciaires, JCL Banque – Crédit – Bourse, 2007, Fasc. 520, § 10 : d’une conciliation donnant lieu à homologation) synthétique pour le rédacteur législatif… « lorsque l’entreprise bénéficiaire s’il est assez nuisible pour aboutir finalement à du concours était en parfaite santé une telle procédure. À trop vouloir encourager le II. Des exceptions à géométrie lors de l’octroi du crédit, mais […] doit ultérieurement se soumettre crédit aux entreprises en difficulté, doit-on finir floue […] à une procédure collective, la par décourager le crédit à celles qui sont encore banque sera dans l’impossibilité saines ? Quoi qu’il en soit du champ d’application, il faut d’invoquer la protection établie par constater que l’exonération de responsabilité l’article L. 650-1 […], et les tiers seront fondés à rechercher […] sa E. Les personnes pouvant s’en prévaloir en cas d’ouverture d’une procédure n’est responsabilité selon les critères du qu’apparente. Le créancier doit en effet s’extirper droit commun ». Fidèle à son laconisme, le législateur n’a pas jugé du champ de mines qu’a créé l’article L. 650-1 26) Cons. const., 22 juillet 2005, utile de préciser qui est autorisé à se prévaloir par la formulation laconique des trois exceptions n° 2005-522 DC, § 11 : « le légis- de l’article L. 650-1. Cela n’était certes pas posées à l’exonération de responsabilité : lateur a expressément prévu que la nécessaire, tant la chose est évidente, s’agissant la fraude, l’immixtion caractérisée dans la responsabilité de tout créancier qui du créancier lui-même, qui doit pouvoir l’opposer gestion du débiteur et la prise de garanties consent des concours à une entre- prise en difficulté resterait engagée au débiteur le recherchant en responsabilité, disproportionnées au concours financier accordé. en cas de fraude… ». et, réciproquement, s’agissant du débiteur, qui Pour apaiser une opposition criant au scandale doit pouvoir lui opposer les exceptions que du pauvre débiteur écrasé par le grand capital, de 27) Rennes, 2e ch., 12 novembre le texte a prévu pour écarter l’exonération de rocambolesques débats parlementaires ont abouti 2008, n° 07/06082 (JurisData n° 2008-008113), énonçant que responsabilité. Mais c’était sans compter avec à ce que le texte d’origine, qui se voulait peut- l’art. L.650-1 « édicte une immunité les cautions, qui forment le gros des bataillons être exagérément protecteur de banquiers parfois légale en faveur des créanciers qui plaidant l’article L. 650-1, ayant eu tôt fait de trop aisément mis à mal devant les tribunaux par apportent leur soutien aux entre- prises en difficulté » ; Rennes, 2 ch., saisir l’opportunité offerte par l’article L. 650-1 e quelques débiteurs récalcitrants, soit en fin de 29 juin 2010, n° 09/04968 (Juris- d’ajouter aux moyens existants de se soustraire parcours affublé de ces exceptions dont personne Data N° 2010-031122), statuant à leur engagement en invoquant la fraude, ne prit la peine de donner la moindre définition. que la fin de non-recevoir opposée l’immixtion caractérisée ou la disproportion des Le remède est ainsi devenu pire que le mal. par la banque et tirée de l’applica- tion de l’art. L.650-1 ne peut être garanties. On conçoit bien qu’il serait vain de prétendre JOURNAL DES SOCIÉTÉS 32 N°96 Mars 2012
  • 7. Dossier Réflexions sur l’efficacité des garanties dans les procédures collectives donner une définition pleinement satisfaisante venues préciser, fort heureusement, qu’il n’y a accueillie, car « il n’apparaît pas que [le débiteur] était, lorsque des des cas de fraude, dont les avatars sont infinis. pas par principe fraude dans le fait d’octroyer un concours lui ont été consentis, en Mais l’immixtion caractérisée aurait très “crédit de restructuration” d’encours existants difficulté, dans une situation finan- utilement profité d’une énonciation, ne serait- (37). cière irrémédiablement compromise ce que succincte, de ce qui, précisément, Il demeure que les notions de fraude et de faute ou que les crédits consentis aient été insupportables pour sa trésorerie » ; doit la caractériser. Quant aux garanties sont intimement liées et que le danger perdure, Rennes, 3e ch., 13 septembre 2011, disproportionnées, voilà bien une notion inscrite en dépit de l’objectif recherché par l’article L. n° 10/04649, précisant que « [l’art. dans le flou le plus complet ! 650-1, de voir des décisions juridictionnelles faire L.650-1] qui propose des conditions plus rigoureuses de mise en jeu rentrer par la porte de la fraude la mise en jeu de de la responsabilité du banquier A. La fraude la responsabilité du banquier pour soutien abusif dispensateur du crédit ne concerne sur les fondements classiques, alors même qu’une que l’hypothèse où des concours Peut-être l’exception expresse de la fraude était- procédure collective a été ouverte. sont consentis à une entreprise en difficulté ». elle d’ailleurs inutile, puisque “fraus omnia corrumpit” : les tribunaux n’ont certainement B. L’immixtion 28) Voir par ex. Poitiers, 7 septembre pas besoin qu’un texte vise expressément la 2010, n° 09/01626. fraude pour écarter les prétentions d’une partie S’agissant de l’“immixtion caractérisée dans 29) Voir par ex. Montpellier, 21 dont le comportement est jugé frauduleux. Le la gestion du débiteur”, le terrain semblait dès octobre 2008, n° 07/05336 ; Aix-en- parlementaire qui a porté la loi de sauvegarde l’origine un peu plus balisé que celui de la fraude. Provence, 12 mai 2011, n° 2011/194. sur ses fonts baptismaux estimait d’ailleurs que En effet, si un auteur a pu noter que définir ce qui 30) Orléans 29 avril 2010, « la réserve du cas de fraude n’appelle guère de distingue l’immixtion “caractérisée” de celle qui n° 09/02517 et 13 janvier 2011, commentaire » (32). Mais, quitte à mentionner la ne l’est pas relève de la gageure (38), on pouvait n° 10/01319 ; Colmar, 8 novembre fraude, il aurait été utile que le texte de l’article néanmoins d’emblée se référer à la jurisprudence 2011, n° 11/00212 ; Poitiers, 20 L. 650-1 l’explicite un peu, du moins dans le existante de la Cour de cassation en matière de septembre 2011, n° 10/04392 ; Paris, 8 septembre 2011, n° 09/16516 (ces contexte spécifique de la responsabilité du gestion de fait. Pour retenir l’immixtion d’une exceptions sont « inhérentes à la créancier, plutôt que de laisser aux juridictions le personne dans la gestion du débiteur, cette dette » et donc opposables par la soin de le faire, avec les disparités prévisibles que jurisprudence, qui n’a depuis pas varié, requiert caution) ; Versailles, 26 mai 2011, n° 10/04534. cela produit. que les faits établis soient propres à caractériser, À défaut, on peut chercher quelque explication de la part de cette personne, “l’exercice, en toute 31) Pau, 2 novembre 2010, dans les travaux parlementaires, où il est indiqué indépendance, d’une action positive de direction” n° 4592/10, 08/04435 ; Montpellier, qu’il ne s’agit que de « la fraude civile, qui […] dans l’entreprise débitrice (39). 11 mai 2010, n° 09/04537 et 8 mars 2011, n° 10/02659 ; Douai, 13 jan- à vrai dire […] ne se démarque guère a priori Concernant plus particulièrement l’exception vier 2010, n° 08/07573 et 30 juin de la fraude pénale », et qu’il s’agit, « pour ne de l’immixtion du créancier dans la gestion du 2011, n° 09/08505 (affirmant très pas écarter la mise en jeu de la responsabilité débiteur, dans le contexte spécifique de l’article fermement que « ces exceptions qui appartiennent au débiteur principal du banquier dans des cas extrêmes », de L. 650-1, elle était décrite par le Sénateur J-J. ne peuvent en aucun cas être soule- tenir compte « d’actes qui auront été réalisés Hyest, dans son rapport sur le projet de la loi de vées par la caution ») en utilisant des moyens déloyaux destinés à sauvegarde, comme renvoyant « à l’hypothèse, surprendre un consentement, à obtenir un particulièrement rare, dans laquelle le créancier 32) X. de Roux, rapp. AN n° 2095, 11 février 2005, p. 168. avantage matériel ou moral indu ou faits pour acquiert la qualité de dirigeant de fait en échapper à l’exécution des lois » (33). participant activement à la gestion du débiteur 33) X. de Roux, rapp. AN n° 2095, Quant à l’enseignement pouvant être tiré de et en prenant seul des décisions importantes en op. cit., p. 168. la jurisprudence sur ce point, on voit bien que ses lieu et place » (40). 34) Par ex., Douai, 2e ch., 13 janvier l’allégation de fraude est avancée par les débiteurs Cette définition est aujourd’hui reprise par la 2010, n° 08/07573, qui ne trouve dans la plupart des espèces soumises aux jurisprudence des Cours d’Appel, qui la combine aucune fraude, mais qui laisse penser tribunaux, le plus souvent d’ailleurs en soutenant avec la notion, mise en exergue par la Cour de qu’il en aurait été autrement s’il avait été démontré que la banque que le fait même d’apporter un soutien financier cassation, d’actes positifs de direction ou de avait consenti un concours malgré abusif, c’est-à-dire consenti à l’entreprise gestion exercés en toute indépendance. Ainsi sa connaissance d’une situation irré- alors qu’elle est en situation irrémédiablement la Cour d’Appel de Versailles dans une espèce médiablement compromise : « [la compromise, constitue en lui-même une récente (41), qui, tout en statuant, sans doute caution] n’apporte pas la preuve de manœuvres de la banque qui aurait “fraude”. La rédaction de certaines décisions pour se rattacher à cette jurisprudence de la Cour soutenu la société tout en sachant paraît conforter ce point de vue (34), qui tente de cassation, que les faits invoqués « ne sont pas que la voie choisie était sans is- d’effacer l’innovation de l’article L. 650-1 pour en de nature à établir l’existence d’une gestion de sue » ; et, plus particulièrement, Di- jon, 1ère ch. Civ., 8 novembre 2011, revenir au schéma classique de la responsabilité fait laquelle se caractérise par le fait d’exercer en qui admet de façon peu convaincante pour soutien abusif. Mais, manifestement, les toute indépendance des actes positifs de direction que « [la banque] était en posses- tribunaux ne cèdent pas aisément à l’argument et de gestion », complète ce rappel en indiquant sion de suffisamment d’éléments de la fraude. Pour les convaincre de l’existence que le cas du créancier coupable d’immixtion pour comprendre que la situation [du débiteur] semblait alors irré- d’une fraude, il semble qu’il faille démontrer « correspond […] au gérant de fait […] ou à celui médiablement compromise [et,] en que le créancier, confronté à un débiteur en qui, sans s’être substitué au gérant de droit, a acceptant d’escompter de nouvelles difficulté, a sciemment cherché à se procurer un influé sur les décisions de celui-ci en orientant sa traites […] et en dénonçant tardive- avantage, par exemple en accordant un découvert gestion pour des décisions qui sans son influence ment le dépassement du découvert […], a engagé sa responsabilité en supplémentaire dans le seul but d’obtenir une n’auraient peut-être pas été prises [et] que ces contribuant à l’aggravation du pas- garantie dont il ne disposait pas encore (35), et décisions doivent être à l’origine du préjudice sif et ne peut sérieusement soutenir l’on voit bien là le rattachement à la définition allégué ». qu’elle n’a eu aucun comportement frauduleux ». succincte de la fraude figurant dans le rapport La précision apportée par la Cour d’Appel de parlementaire cité ci-avant, où il est question Versailles dans son arrêt précité donne à réfléchir. 35) Voir notamment Versailles, 16e de moyens déloyaux destinés à surprendre le Ainsi se pose en particulier la question, sans ch., 20 janvier 2011, n° 09/09658 : consentement ou obtenir un avantage indu (36). réponse claire aujourd’hui, de la qualification que « il apparaît que cette autorisation de découvert a eu pour seule finalité Plus concrètement, quelques décisions sont les tribunaux, dans leur appréciation souveraine de permettre à la banque l’obtention N°96 Mars 2012 33 JOURNAL DES SOCIÉTÉS
  • 8. Dossier Réflexions sur l’efficacité des garanties dans les procédures collectives du cautionnement [et] revêt, compte des faits, donneront à la faculté que les termes ses chances de récupérer les fonds avancés ; il tenu de ces circonstances, un carac- tère frauduleux » ; et le commentaire d’une convention de crédit, ou les parties par sera alors tiraillé entre le désir d’influer sur les critique qu’ont fait de cette décision leur comportement dans le cours de leur relation, décisions à prendre, par exemple en imposant la F.J. Crédot et T. Samin dans Res- peuvent laisser au prêteur d’imposer telle ou telle nomination d’un tiers expert, qui conseillera le ponsabilité du banquier : notion de décision à son débiteur dans la conduite de son débiteur et en pratique mènera la barque pendant fraude au sens de l’article L.650-1 du Code de commerce, RD banc. fin. activité. Il serait utile de pouvoir distinguer ici un temps, et la crainte de se voir reprocher n° 4, juillet 2011, comm. 130. selon la nature de l’opération de financement : par l’immixtion. exemple, un crédit de trésorerie classique destiné Peut-on à cet égard distinguer entre l’hypothèse 36) Voir également Limoges, 9 septembre 2010, n° 09/00855 (« [la au financement du besoin de fonds de roulement où la convention ne prévoyait aucune intervention fraude] peut se définir comme d’une entreprise petite ou grande, dont le prêteur du prêteur et celle où les parties en avaient l’acte établi ou le comportement n’est fréquemment pas l’unique banquier ; ou, par convenu dès l’origine par des stipulations suivi dans le but de préjudicier aux contraste, le crédit permettant un investissement précises ? Il est à craindre que le juge ne s’arrêtera droits d’autrui ») ; Douai, 2e ch., 1er juillet 2010, n° 09/03656 (« la spécifique, souvent de grande envergure et pas à cette distinction et se déterminera au cas fraude suppose une intention de financé par un seul prêteur ou consortium par cas, en fonction de ce qu’il estimera opportun détourner la loi ou encore une trom- bancaire, comme l’acquisition ou la construction au vu des faits de chaque espèce. perie destinée à léser une personne d’un immeuble de rapport, la réalisation d’un En l’absence de définition législative de ce que de ses droits ») ; Orléans, 29 avril 2010, n° 09/02517, et 13 janvier projet industriel ou d’un ouvrage public concédé, recouvre la notion d’immixtion, on notera la 2011, n° 10/01319 (« la fraude doit ou bien encore l’acquisition d’une société. vision large du Ministre de la Justice à l’époque s’entendre de l’octroi de crédits Dans le premier cas, la banque, sans compétence des débats sur l’article L. 650-1, qui y voyait illicites ou de manœuvres exercées par le créancier pour le seul service dans le métier du débiteur, octroie le crédit sur le « l’influence » caractérisée que le créancier exerce de ses intérêts personnels au lieu de fondement d’une analyse globale de comptabilité sur son débiteur (42), et il faudra donc se reporter soutenir l’activité d’une entreprise historique et prévisionnelle ; elle ne saurait, à la jurisprudence existante sur l’immixtion ou d’assurer sa pérennité ») ; et sans se substituer indûment au dirigeant de caractérisée dans le contexte de la notion de Versailles, 13e ch., 12 mai 2011, donnant une explication plus détail- l’entreprise débitrice, prétendre dicter la façon de gestion de fait. lée que d’autres cours d’appel sur la dépenser au jour le jour les sommes prêtées ou le On doit malheureusement constater que très notion de fraude, qui comporte à la déroulement de l’activité financée. peu des nombreuses décisions juridictionnelles fois la fraude aux droits des tiers et la fraude à la loi, et citant même les Dans le second, en revanche, l’opération sera rendues au titre de l’article L.650-1 l’ont été travaux parlementaires susvisés. souvent réalisée à travers une société dédiée, dans des espèces où l’immixtion jouait un réel financée par un prêteur spécialiste du domaine rôle. Parmi les plus récentes, on relèvera celle 37) Notamment, Limoges, 9 sep- d’activité concerné, qui aura mis sur la table les de la Cour d’appel de Versailles indiquant, s’il tembre 2010, n° 09/00855, op. cit. ; et Orléans, 13 janvier 2011, deux tiers, sinon plus, des fonds nécessaires à en était besoin, que le fait pour le banquier de n° 10/01319, op. cit. l’investissement, ne disposera d’aucun recours demander le réapprovisionnement d’un compte contre les associés de la société emprunteuse à découvert et de ne pas le clôturer dès la 38) P. Bouteiller, Sauvegarde, re- dressement et liquidation judiciaires, (excepté sur leurs titres dans le capital de celle- survenance des difficultés ne constitue pas une JCL Banque – Crédit – Bourse, ci) et ne pourra placer l’espoir de voir le service immixtion ; celle de la Cour d’Appel de Colmar 2007, Fasc. 520, § 17. de la dette et son remboursement assurés que précisant, sans grande surprise, que le banquier dans les seuls flux financiers générés par l’actif qui consent un prêt à une société dont la surface 39) Cass. Com., 12 juillet 2005, n° 02-19.860 (JurisData n° 2005- financé ou dans la seule valeur vénale de celui- financière est limitée n’est pas, de ce seul fait, 029487) ; Cass. com., 10 janvier ci. Pour ce genre d’opération, le financement coupable d’immixtion ; ou encore celle de la Cour 2012, n° 10-28.067 (JurisData est spécifiquement dimensionné en fonction de Grenoble confirmant que ne constitue pas n° 2012-000206). d’une projection de trésorerie finement établie non plus immixtion le fait pour un fournisseur 40) J-J Hyest, Rapp. Sénat n° 335, par l’emprunteur, et tout est précisément étudié d’octroyer un crédit fournisseur et d’exiger qu’il 11 mai 2005, p. 442. avant le lancement de l’opération de telle sorte soit assorti de sûretés (43). Aucune de ces espèces que l’emprunteur ne nécessite aucun concours ne présente un véritable intérêt à l’égard de la 41) Versailles, 13e ch., 12 mai 2011, op. cit. financier autre que celui qui est initialement mis problématique de l’immixtion. en place. Dans un tel schéma, il n’est pas anormal 42) M. Perben, Ministre de la Jus- de reconnaître au prêteur le pouvoir d’influer sur C. Les garanties disproportionnées tice, à propos de la notion d’immix- certaines décisions importantes, par exemple sur tion caractérisée : « Celle-ci peut se manifester de trois façons : la la qualité des locataires de l’immeuble financé S’agissant enfin des garanties disproportionnées, société de fait, le dirigeant de fait, ou les caractéristiques des baux à consentir, sur on comprend bien la motivation ayant présidé et, enfin, l’influence exercée par le l’opportunité de réaliser tels ou tels travaux de à l’adoption de ce nouveau concept : il vise créancier sur son débiteur. C’est ce dernier comportement qui est visé modification du bien, ou encore sur la nécessité de à sanctionner le prêteur trop gourmand de ici. Pour permettre d’engager la res- remplacer un prestataire de gestion immobilière garanties et qui, prenant plus de sûretés que ne le ponsabilité du créancier, l’immixtion défaillant. La convention de crédit comportera nécessite son crédit, prive le débiteur du moyen doit être caractérisée, conformément aisément quelques dizaines de stipulations d’en offrir à d’autres créanciers pour obtenir d’eux a la jurisprudence de la Cour de cassation… » (Assemblée Nationale, détaillées obligeant ainsi l’emprunteur à prendre les concours financiers supplémentaires dont il a 3e séance du mardi 8 mars 2005 — certaines mesures, ou au contraire lui interdisant besoin (44). JOAN CR 2005, n°21, p.1791) d’en prendre d’autres. Il n’existe à ce sujet Mais la notion de garanties disproportionnées aucune doctrine ou jurisprudence permettant de suscite la perplexité à plusieurs titres. 43) Versailles, 13e ch., 12 mai 2011, op. cit. ; Colmar, 8 novembre 2011, déterminer dans quelle mesure l’influence que n° 11/00212 (Jurisdata n° 2011- les caractéristiques de ce type de financement 1. Le vaste domaine des “garanties” 025782) ; Grenoble, 15 décembre donnent au prêteur est susceptible de prêter le 2011, n° 09/02991 (Jurisdata n° 2011-029008). flanc à la critique de l’immixtion caractérisée. En premier lieu, le terme employé est celui de Dans tous les cas, si l’activité menace de péricliter, “garanties”, couvrant un domaine plus vaste 44) J-J Hyest, Rapp. Sénat n° 335, le créancier, souvent d’ailleurs à la demande du que celui des seules sûretés et dont les contours, 11 mai 2005, p. 442, où le Séna- débiteur lui-même, souhaitera naturellement incertains, fluctueront sans doute au gré des teur donne cette seule et laconique explication de la raison d’être de intervenir pour sauver l’opération et maximiser hésitations jurisprudentielles. S’y trouveraient JOURNAL DES SOCIÉTÉS 34 N°96 Mars 2012
  • 9. Dossier Réflexions sur l’efficacité des garanties dans les procédures collectives donc toutes les sûretés, non seulement celles, par le débiteur, mais par un tiers, généralement l’exception des garanties dispropor- tionnées : « Les créanciers qui pren- réelles, que donne le débiteur lui-même, mais son dirigeant ou associé ou sa société-mère. draient de telles garanties nuiraient encore tout cautionnement ou autre sûreté Cependant l’article L. 650-1 ne fait pas cette aux autres créanciers, puisqu’ils personnelle, ainsi que toute sûreté réelle, que distinction, qui résisterait d’ailleurs mal à réduiraient d’autant leurs propres donnera pour lui un tiers, par exemple un l’analyse économique, puisque la capacité d’un garanties ». dirigeant ou la société-mère (45) ; à quoi il débiteur à disposer de tiers pouvant le cautionner 45) Il existe toutefois des décisions faut vraisemblablement ajouter tout ce que est nécessairement limitée. Quelques Cours qui n’admettent pas que le débiteur l’avocat imaginatif du débiteur convaincra d’Appel ont pourtant admis sans ambigüité lui-même, plutôt que le garant, puisse exciper de la disproportion le juge de bien vouloir considérer comme l’exclusion du cautionnement (47). de garanties pour la dette d’autrui participant du système de “garanties” offert au fournies par un tiers garant, par ex. créancier, donc potentiellement toutes sortes 2. La disproportion Poitiers, 29 mars 2011, n° 09/02492. de mécanismes contractuels (46), qu’il est 46) Voir notamment V. Perruchot- impossible d’inventorier ici mais qui pourraient En deuxième lieu, il y a la notion même de la Triboulet, op. cit., p. 68 ; A. Lien- bien inclure la solidarité passive adjonctive, la disproportion des garanties par rapport au hard, commentaire sous l’art. L.650- délégation imparfaite, les promesses de porte- concours financier. Elle suppose la comparaison 1, dans l’édition Dalloz du Code des Procédures Collectives ; V Forray, fort, certaines lettres d’intention, la réserve entre le concours consenti et les garanties prises Commentaire complémentaire de de propriété, les “sûretés négatives” (soit en contrepartie, et donc qu’on puisse attribuer l’article L.650-1 du code de com- l’interdiction faite au débiteur de consentir des une valeur à celles-ci, sans pourtant pouvoir merce, RTD Com. 2008, p. 661, § 3 ; sûretés à des tiers qui viendraient en concurrence tenir compte du fait que la valeur d’une sûreté J. Moury, op. cit., §§ 19-20. avec le créancier dans une procédure collective, pour le prêteur est grandement amoindrie, en 47) Montpellier, 11 mai 2010, ou de souscrire de nouveaux endettements), raison même des procédures collectives, par n° 09/04537 (« [l’art. L.650-1] voire même maints autres engagements de faire le délai qu’il lui faudra subir pour recouvrer concerne les garanties prises contre ou ne pas faire. Les conventions établies pour les son dû ou par la préférence donnée à certains le débiteur principal et non celles prises contre la caution ») ; Pau, opérations de financement majeures sur la place créanciers privilégiés, y compris sur le produit de 2 novembre 2010, n° 4592/10, de Paris, notamment en matière de financement la réalisation des sûretés du prêteur. 08/04435 (les garanties visées immobilier ou de “leveraged buy-out”, qui Il faut aussi pouvoir apprécier la différence de « s’entendant de celles fournies par le débiteur »). courent facilement sur plus d’une centaine de valeur entre diverses sûretés. Bien malin pourtant pages, dont un bon tiers consacré aux obligations qui dira à coup sûr si l’hypothèque du droit 48) M. Perben, Ministre de la Justice et interdictions de faire imposées à l’emprunteur, réel né de l’emphytéose conclue sur le terrain (op. cit.), à propos de la notion de prennent rarement le chemin du prétoire ; le juge, d’assiette d’une centrale de production électrique disproportion : « Il s’agit ici de viser les prises de garanties inhabituelles qui les voit donc peu, pourra lorsque l’occasion photovoltaïque vaut plus ou moins que la cession au regard de la pratique. Il va de soi s’en présentera trouver trop belle la part faite au à titre de garantie des créances de l’exploitant sur que les crédits immobiliers qui sont créancier. La porte lui est ainsi ouverte, avec la l’acheteur qui s’est engagé à lui prendre l’énergie consentis en échange d’une hypo- thèque sur la totalité du bien alors notion extensible de “garanties”, d’anéantir en produite pendant une période donnée ; cela qu’ils n’en financent qu’une partie partie, sur le fondement de l’article L. 650-1, ce dépend de la liquidité de l’actif sur le marché, demeurent possibles puisque telle est qu’il ne pourrait autrement mettre de côté sans ainsi que de la durée restant à courir du bail, de la pratique. » méconnaître le principe de l’autonomie de la celle du contrat d’achat, de la pérennité du tarif, volonté des parties. etc. Le créancier prendra donc les deux sûretés, L’espoir de trouver, dans les six années de qui en réalité ont peu d’intérêt l’une sans l’autre. jurisprudence depuis la naissance de l’article L. Si le prêteur multiplie les sûretés, ce n’est 650-1, quelque exemple intéressant d’application d’ailleurs pas seulement parce qu’il lui est difficile de cette disposition à des mécanismes de garantie de juger à l’avance de leur valeur individuelle, débordant du champ des sûretés classiques reste mais aussi parce qu’il sait bien que, même si la vain. En effet, les espèces dont les tribunaux France modernise énergiquement ses sûretés, ont jusqu’à présent eu à connaître concernent elle continue de laisser les procédures collectives essentiellement des sûretés courantes, telles que les réduire à peau de chagrin. La procédure nantissement de compte bancaire, nantissement collective non seulement déshabille le créancier de fonds de commerce, hypothèque et, surtout, de ses sûretés, mais peut aussi, en vertu de cautionnement. Il est d’ailleurs affligeant de l’article L. 650-1, l’exposer au reproche de s’être constater, à la lecture de la plupart des cas trop couvert ; on s’étonnera ensuite de la frilosité soumis aux juridictions, que l’article L. 650-1 a des banquiers. Fort heureusement, on croit jusqu’à présent principalement servi d’argument comprendre des débats parlementaires de 2005 supplémentaire pour les cautions dans leur qu’il ne devrait pas être critiquable de prendre une tentative quasi-systématique d’échapper à sûreté sur un bien dont on finance l’acquisition l’engagement qu’elles ont souscrit, comme et dont la valeur excède le montant du prêt, si tout l’attirail défensif que leur procure le « puisque telle est la pratique » (48). Il faut droit moderne à cet effet n’y suffisait pas donc s’en remettre à la sagacité des magistrats déjà. Concernant justement le cautionnement, et espérer qu’ils sachent apprécier correctement garantie par excellence, il n’y a aucun doute quelles sont les différentes pratiques du marché, dans la jurisprudence majoritaire qu’il s’agit selon la nature des opérations de financement ; bien d’une garantie visée par l’article L. 650-1. autant dire que la matière, inévitablement, sera Mais la question était permise, si l’on considère fortement empreinte de subjectivité et donc l’exception des garanties disproportionnées fluctuante. comme ayant pour but d’empêcher un créancier Parmi les premières questions initialement de priver le débiteur des moyens d’obtenir du évoquées en doctrine à propos de la notion crédit auprès d’autres créanciers ; en effet, le de disproportion figurait celle de savoir s’il cautionnement est une sûreté fournie non pas pouvait s’agir de disproportion par rapport aux N°96 Mars 2012 35 JOURNAL DES SOCIÉTÉS
  • 10. Dossier Réflexions sur l’efficacité des garanties dans les procédures collectives 49) Notamment, D. Legeais, Les capacités de celui qui consent la garantie, plutôt fréquent. Peut-être faut-il en conclure que l’excès concours consentis à une entreprise en difficulté, op. cit. § 17 ; D. Ro- qu’uniquement par rapport au concours financier dans la disproportion est un critère nécessaire, bine, L’article L. 650-1 du code de que la garantie vient sécuriser. Remarquant mais qu’il est implicite. commerce : un “cadeau” empoison- à juste titre que le texte est à cet égard clair, la Le plus souvent, en fait, la disproportion paraîtra né ?, op. cit. § 31 ; V Forray, Com- doctrine concluait qu’il ne pouvait s’agir que de excessive non pas à cause de la disproportion mentaire complémentaire de l’article L. 650-1 du code de commerce, RTD disproportion par rapport au concours dispensé entre la valeur de chaque garantie considérée Com. 2008, op. cit., § 3. (49). Mais l’interrogation a perduré, du moins isolément et le montant du concours consenti, dans l’esprit des plaideurs. De ce fait, puisque mais en raison de l’empilement des garanties 50) Par ex. Caen, 8 avril 2010, N° 08/04035 ; Montpellier, 26 la jurisprudence relative à l’article L. 650- prises par le dispensateur du concours. La octobre 2010, n° 09/7533 ; 1 regorge d’espèces centrées sur l’application propension du créancier à accaparer les garanties de cette disposition à la caution, on y trouve est en effet perçue par la société moderne 51) Voir notamment Poitiers, 11 de nombreuses décisions offrant un mélange comme critiquable, indépendamment même de janvier 2011, qui relève même que la caution, appelante, entretient une quelque peu indigeste entre disproportion au la question de savoir s’il en résulte un préjudice. confusion entre les deux types de concours octroyé et disproportion aux capacités Pourtant, lorsqu’il ne s’agit que de garanties disproportions, alors qu’elles ne financières de la caution (50). Dans certains cas, pouvant être prises successivement par différents relèvent pas du même régime ; et les juridictions statuent sur ce second type de créanciers en rangs distincts, on ne voit pas en Douai, 30 juin 2011, n° 09/08505. disproportion au seul visa de l’article L. 650-1, quoi l’empilement des garanties au profit du 52) Metz, 15 juin 2011, n° 09/00850, qui pourtant ne s’y prête pas, tandis que d’autres premier créancier empêche le débiteur d’offrir 11/00504. Voir aussi Douai, 1er juil- distinguent clairement entre la disproportion les mêmes garanties en rang inférieur à un let 2010, n° 09/03823, où la Cour refuse l’exception de disproportion visée par l’article L. 650-1 et celle relative à deuxième créancier. Le problème du débiteur en relevant que les diverses garanties la capacité financière de la caution personne dans ce cas n’existe que si la valeur globale des ne se superposaient pas, puisque physique, dont cette dernière peut exciper, en garanties disponibles, indépendamment de chacune devait couvrir ce que les dehors même de toute procédure collective, leur rang respectif, ne suffit pas à permettre le autres ne garantissaient pas, de sorte qu’on suppute que la solution au titre de l’article L. 341-4 du Code de la désintéressement de tous les créanciers ; or on auraient pu être différente s’il y avait consommation (51). ne peut pas reprocher au premier créancier d’être eu superposition. La question centrale de l’appréciation de la garanti à hauteur du montant de sa créance. disproportion, donc du ou des critères qui la Quoi qu’il en soit de la théorie, voyons ce qu’a caractérisent, est autrement plus épineuse. La pu en tirer la jurisprudence. Les décisions sont loi, on le sait, est parfaitement muette sur ce nombreuses, mais très rares sont celles qui font point, et c’est par conséquent au juge de faire le droit à l’allégation de la disproportion, de sorte tri. Ne s’agit-il que d’une question de montant ? qu’il faut principalement raisonner a contrario, Et, dans l’affirmative, doit-on considérer le de surcroît sans bénéficier, dans la plupart des montant garanti par la sûreté (c’est-à-dire, dans cas, de l’énonciation de comparaisons chiffrées le cas d’une garantie personnelle, le montant de ou précises entre le montant du concours et les l’engagement du garant, ou, dans celui d’une garanties octroyées. garantie réelle, le montant en garantie duquel Dans une espèce récente, la Cour d’Appel de elle est donnée), ou plutôt la valeur du bien Metz a jugé que les garanties consenties par des grevé ? Pour ce qui concerne le montant garanti, époux à la sûreté d’un prêt de 98 000 € octroyé l’interrogation paraît de prime abord saugrenue, à la société dont ils étaient les associés, à savoir puisque le principe de l’accessoire interdit au un cautionnement solidaire d’environ 118 000 € créancier, lorsqu’il exerce la sûreté, de se faire et une affectation hypothécaire par l’un deux payer plus que ce qui lui est dû (et l’objection de d’un immeuble d’une valeur estimée de 120 la fraude conduit au même résultat dans le cas 000 € à 130 000 €, étaient disproportionnées, d’une garantie autonome), de telle sorte qu’il ne car ayant « vocation à se cumuler » (52). Même pourrait jamais y avoir disproportion, quels que si l’on croit y voir une décision d’opportunité soient la nature et le nombre des garanties prises faisant feu de tout bois pour protéger les par le créancier. Mais la chose n’est pas si simple, cautions personnes physiques, la solution a car il existe de nombreuses formes de sûreté qui de quoi inquiéter les créanciers, d’autant que ne permettent pas que plusieurs créanciers les la Cour ne semble pas s’être embarrassée de prennent en rangs successifs (par ex. la propriété- rechercher en quoi consistait le préjudice et sûreté, comme la cession fiduciaire de créances, quel était le lien de causalité entre le cumul des ou les sûretés impliquant dépossession physique garanties et ce préjudice. Compte tenu de ce ou fictive), de sorte qu’en prenant une telle sûreté, que le cautionnement devait vraisemblablement le créancier prive le débiteur de la possibilité de couvrir non seulement le principal de 98 000 €, l’offrir à d’autres, quand bien même la valeur mais encore le paiement des intérêts (dont l’arrêt du bien donné en sûreté excèderait largement le ne précise pas les modalités), son montant ne montant de la créance à garantir. paraît pas véritablement disproportionné. C’est Pour ce qui est de l’analyse focalisée uniquement donc bien le cumul des deux sûretés, considérées sur la seule valeur du bien grevé, ont voit bien, dans cette espèce sous l’angle de la valeur totale en l’absence dans l’article L. 650-1 du moindre théorique qu’elles représentent, qui crée la adjectif, tel que “manifeste” ou “excessive”, disproportion. Un tel point de vue méconnaît venant qualifier la notion de disproportion, la réalité des affaires, et s’il suffit de cumuler qu’elle conduirait objectivement à ce que toute deux sûretés pour encourir la nullité de chacune, sûreté réelle portant sur un bien dont la valeur, les banquiers ont quelque souci à se faire : la au moment où la sûreté est constituée, excède le solvabilité des cautions n’est jamais certaine, pas montant maximal de la créance garantie subisse plus que la valeur future d’un bien immobilier à le reproche de la disproportion ; or le cas est très la barre du tribunal. Il ne semble pourtant pas JOURNAL DES SOCIÉTÉS 36 N°96 Mars 2012