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1
LA FORCE OBLIGATOIRE DES PACTES D’ACTIONNAIRES
DEPUIS LA REFORME DU DROIT DES CONTRATS
Guilhaume Agbodjan
Mastère Spécialisé Finance – ESCP Europe
Master of Laws (LL.M.) in International Corporate Finance – University of
Reading (UK)
Rédaction encadrée par
Olivier Mourain
Avocat Associé – Reboul & Associés
Les pactes d’actionnaires sont devenus, depuis la fin du XXème siècle, des outils
incontournables de la vie des affaires permettant d’organiser le contrôle commun d’une
société. La difficulté à en assurer la bonne exécution constituait toutefois la faiblesse de ces
conventions. Cette lacune a conduit les praticiens à développer des mécanismes conventionnels
pour tenter d’en garantir l’efficacité. La réforme du droit des contrats, en vigueur depuis le 1er
octobre 2016, ayant consacré le droit à l’exécution forcée des obligations, il convient d’en
mesurer l’impact sur la force obligatoire des pactes d’actionnaires.
Since the end of the 20th
century, shareholders’ agreements have become essential business
tools allowing to organise the common control of companies. Nonetheless, the difficulty to
ensure the proper performance of these agreements represented a weakness. This insufficiency
led legal practitioners to develop binding mechanisms to secure their enforceability. The
French contract law reform, applicable to contracts entered into after October 1, 2016,
strengthened the right to obtain the enforcement of contractual obligations. As such, its impact
on the enforceability of shareholders’ agreements should be analysed.
Créés par la pratique dans le but d’organiser contractuellement le contrôle commun d’une
société, les pactes d’actionnaires1
se sont développés en France à partir des années 1990 suite à
la multiplication d’intervenants au sein de l’actionnariat des sociétés françaises (fonds de
pension, sociétés de capital-risque et autres investisseurs)2
. Ces accords ne répondent pas à une
forme contractuelle précisément définie et peuvent inclure une grande variété de clauses
1
Bien que certaines règles soient transposables aux sociétés de personnes, la présente étude porte sur les pactes
conclus dans les sociétés par actions. Le terme « d’actionnaires » sera alors utilisé, y compris pour désigner les
pactes relatifs aux sociétés par actions simplifiées.
2
D. Martin et L. Faugerolas, « Les pactes d’actionnaires », JCP G 1989, n°41, p. 3412.
2
adoptées en fonction des circonstances et des besoins des différentes opérations à intervenir sur
le capital de la société. Ils constituent dès lors un instrument souple, structuré autour de deux
objectifs : (i) renforcer la stabilité et la cohésion de l’actionnariat d’une société par des
stipulations relatives au capital et au transfert de titres et (ii) organiser la répartition du pouvoir
au sein de la société par des clauses dites « politiques »3
.
Le recours aux pactes d’actionnaires permet alors aux parties signataires d’adapter, dans la
mesure du possible, le droit des sociétés à leurs besoins, au moyen de techniques contractuelles
classiques4
. Bien que des clauses organisant les rapports entre associés puissent être insérées
dans les statuts, ces accords prennent la forme de conventions distinctes5
. Cette séparation
présente l’avantage de maintenir la confidentialité des pactes (pour les sociétés non-cotées6
),
contrairement aux statuts qui sont publiés au greffe du tribunal de commerce. Toutefois, le
recours à une convention extrastatutaire peut également avoir une incidence sur la force
obligatoire de ces engagements. En effet, plusieurs dispositions légales sanctionnent par la
nullité un acte (notamment une cession d’actions) ou une délibération effectuée en violation des
statuts7
. Par opposition, les sanctions en cas d’inexécution d’une clause contenue dans une
convention extrastatutaire sont plus incertaines.
En dépit de leur développement considérable dans l’univers économique français, les pactes
d’actionnaires soulevaient de nombreuses difficultés pratiques en cas d’inexécution. Une
doctrine quasi-unanime8
déplorait qu’une telle inexécution conduise classiquement à l’octroi
de dommages-intérêts. Cette réparation « par équivalent » ne permettait pas de satisfaire la
partie au pacte qui s’estimait lésée et n’apparaissait pas comme suffisamment dissuasive pour
3
Cette souplesse est mise en exergue par le terme de « pacte » fréquemment utilisé pour qualifier des accords
souples aux contours imprécis (sur ce point, voir S. Messaï-Bahri, « Pactes d’actionnaires », Etudes Joly Sociétés,
2016 ; S. Schiller, « Pactes d’actionnaires », Rép. soc. Dalloz, 2017 ; Y. Reinhard, « L’exécution forcée des pactes
d’actionnaires », Revue de droit des contrats 2005, p. 115).
4
J.-J. Daigre et M. Sentilles-Dupont, « Pactes d'actionnaires », GLN Joly, coll. Pratique des affaires, 1995, n° 2.
5
S. Messaï-Bahri, op. cit.
6
Pour mémoire, les clauses des pactes d’actionnaires prévoyant des conditions préférentielles de cession ou
d’acquisition d’actions admises aux négociations sur un marché règlementé doivent être portées à la connaissance
du public lorsqu’elles portent sur plus de 0,5% du capital ou des droits de vote de la société ayant émis ces actions
(art. L. 233-11 C. com). D’autres obligations existent en période d’offre publique. La présente étude ne traite pas
des spécificités applicables aux pactes relatifs aux sociétés cotées.
7
La violation d’une clause statutaire aménageant conventionnellement une disposition légale entraine la nullité
des actes et délibérations (art. L. 235-1 C. com. ; Cass. com. 18 mai 2010, n°09-14855). Dans les sociétés par
actions, une cession effectuée en violation d’une procédure d’agrément statutaire est nulle (art. L. 228-23 C. com.).
Dans les SAS, toute cession effectuée en violation d’une clause statutaire est nulle (art. L. 227-15 C. com).
8
Notamment B. Brignon, « Les pactes d’associés : que la force soit avec eux ! », Dr. Sociétés, juin 2014, n°6 ;
N. Rontchevsky, M. Buchberger, B.-O. Becker et G. Buge, « L’inexécution des pactes d’actionnaires », Actes
pratiques et ingénierie sociétaire, nov. 2011, n°120 ; « L’exécution forcée des pactes d’actionnaires
extrastatutaires, Compte-rendu de la réunion "Campus 2013" du barreau de Paris du 11 juillet 2013 », Lexbase
Hebdo édition affaires, 12 septembre 2013, p. 23 ; Y. Reinhard, op. cit.
3
contraindre la partie défaillante à s’exécuter. La force obligatoire de ces conventions s’en
trouvait ainsi largement affaiblie. Dans le cadre de l’inexécution d’une promesse unilatérale de
cession d’actions, par exemple, une somme d’argent ne compense pas efficacement la qualité
d’actionnaire majoritaire qui aurait dû être conférée au bénéficiaire de la promesse. Un auteur
affirme en ce sens que « l’exécution forcée n’est pas (…) une mesure spécifique du juge
méritant pour cela d’être contrôlée par lui, c’est le droit contractuel préexistant du créancier,
la prestation elle‐même que le débiteur s’est engagé à fournir, simplement "mis en force" au
cours d’un procès9
». Par ailleurs, la condamnation à des dommages-intérêts reste difficile à
appréhender (nécessité de démontrer le préjudice lié à l’inexécution, difficulté de chiffrer le
préjudice).
Les dispositions de l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des
contrats, du régime général et de la preuve des obligations sont venues utilement recenser et
préciser les sanctions applicables en cas de manquement contractuel imputable au débiteur
d’une obligation10
. Le droit à exécution forcée y est consacré et pourra, en principe, sanctionner
l’inexécution d’obligations fréquemment insérées dans les pactes d’actionnaires. Cette
consécration suffit-elle à renforcer la force obligatoire de ces engagements ? Avant la réforme
du droit des contrats, le droit positif permettait rarement de mettre en œuvre des solutions
satisfaisantes en cas d’inexécution des pactes (I). Malgré les précisions apportées par
l’ordonnance, l’exécution forcée reste soumise à certaines limites qui ne semblent pas sécuriser
pleinement ces conventions entre actionnaires (II).
La présente étude se limitera à mesurer l’impact de la réforme du droit des contrats sur la
sécurisation des pactes extrastatutaires dans les sociétés non-cotées11
.
I. L’EFFICACITE RELATIVE DES PACTES D’ACTIONNAIRES AVANT LA
REFORME DU DROIT DES CONTRATS
Malgré l’affirmation par la Cour de cassation du droit pour le créancier lésé d’obtenir
l’exécution forcée de certaines obligations, cette sanction demeurait rarement mise en œuvre
9
T. Genicon, « Contre l'introduction du "coût manifestement déraisonnable" comme exception à l'exécution forcée
en nature », Dr. et patr., oct. 2014, n°240, p. 63.
10
L’ensemble de ces sanctions sont désormais regroupées dans une section du Code civil tandis que la plupart
résultaient auparavant de diverses décisions de la Cour de cassation et de juridictions d’appel. Voir notamment
Denis Mazeaud, « L'exécution forcée en nature dans la réforme du droit des contrats », Dalloz 2016, p. 2477.
11
Voir note n°5.
4
avant la réforme (A). Cela a conduit les praticiens à prévoir des mécanismes conventionnels
destinés à s’assurer de l’exécution des obligations résultant des pactes d’actionnaires (B).
A. Incertitude de l’exécution forcée des obligations stipulées dans les pactes
d’actionnaires
La présente section examine les stipulations classiques des pactes d’actionnaires ainsi que le
régime qui leur était applicable avant l’entrée en vigueur de la réforme du droit des contrats12
.
1. Imprévisibilité des sanctions en cas d’inexécution d’obligations portant sur les
transferts de titres
Les clauses relatives au capital visent à organiser (i) le maintien des équilibres préexistants
entre actionnaires d’une société et (ii) l’évolution de ces équilibres jusqu’à (iii) la cession de
leurs actions.
Les premières ont pour but de figer la situation de l’actionnariat telle qu’existante au
moment de la signature de l’accord afin de garantir le maintien des rapports initiaux entre
actionnaires. Elles prennent la forme de clauses d’anti-dilution prévenant l’accroissement de
la participation d’un actionnaire par augmentation de capital à laquelle les autres actionnaires
n’auraient pas souscrit13
, de clauses d’inaliénabilité14
ou d’engagements de non-acquisition.
Ces stipulations s’analysent classiquement en des obligations de ne pas faire dont la violation
était soumise à des fluctuations jurisprudentielles. En effet, la sanction de l’inexécution des
obligations de faire ou de ne pas faire, était limitée, avant l’ordonnance, par le principe énoncé
dans l’ancien article 1142 du Code civil selon lequel « Toute obligation de faire ou de ne pas
faire se résout en dommages et intérêts en cas d'inexécution de la part du débiteur15
». Bien
que la doctrine considère que les rédacteurs du Code civil aient souhaité retranscrire l’adage «
nul ne peut être contraint à l'accomplissement direct d'un fait », cette sanction ne permettait
12
Il convient de noter que l’ordonnance du 10 février 2016 précitée n’a pas modifié le régime des clauses insérées
dans les statuts, issu du Code de commerce.
13
Ces clauses prennent parfois la forme de convention de vote.
14
Ces clauses sont admises lorsque la période d’inaliénabilité n’est pas supérieure à 10 ans, dans les statuts de
sociétés par actions simplifiées par l’article L. 227-13 du Code de commerce, et dans les statuts de sociétés
européennes par l’article L. 229-11 du Code de commerce. Une cession effectuée en violation de ces clauses est
nulle (art. L. 227-15 du Code de commerce pour la SAS et L. 229-11 C. com pour la SE). Dans les autres formes
sociales, elles semblent être admises dans les conventions extrastatutaires à condition qu’elles soient limitées dans
le temps et qu’elles protègent un intérêt légitime (lequel est matérialisé par l’intérêt social relatif à la société en
cause). Cass. 1ère
civ., 31 octobre 2007. Voir sur ce point R. Mortier, « Les nouveaux horizons de l’inaliénabilité
en droit des groupements », Dr. sociétés 2008, n°1.
15
Voir sur ce point, S. Schiller, op. cit., n°45. Sur les clauses de parité, voir toutefois Cass. com., 24 mai 2011,
n°10-24869 commenté par P. Mousseron, Bulletin Joly Sociétés 2011, n°10, p. 388.
5
pas de conférer une pleine force obligatoire aux conventions16
. La Cour de cassation a toutefois
remis en cause ce principe en admettant de prononcer l’exécution en nature dès lors que celle-
ci n’était pas impossible17
. La portée de la règle fut alors précisée : l’article 1142 ancien visait
à éviter « une mesure de contrainte, une atteinte grave à la liberté individuelle [du débiteur]18
».
En ce sens seule une impossibilité matérielle, juridique ou morale permettait d’exclure
l’exécution forcée du débiteur en cas de manquement à une obligation de faire19
. Cette sanction
a toutefois rarement été mise en œuvre par la Cour de cassation.
Les clauses régissant l’évolution de l’actionnariat visent à limiter l’entrée de nouveaux
actionnaires susceptibles de remettre en cause les équilibres négociés au moment de la
signature du pacte. Ces clauses restreignant la libre négociabilité des actions sont caractérisées
principalement par la mise en œuvre de procédures d’agrément et de pactes/clauses de
préférence. L’insertion d’une clause de préférence (ou de préemption) permet de contrôler
l’évolution de l’actionnariat en obligeant l’actionnaire qui désire céder ses titres à en proposer
prioritairement l’achat à un actionnaire existant, bénéficiaire de la clause. Une cession d’actions
à un tiers, intervenue en méconnaissance d’une telle clause encourait la nullité et la substitution
du bénéficiaire au tiers selon une jurisprudence constante20
. La Cour de cassation subordonnait
toutefois cette sanction à la double connaissance par le tiers de l’existence de la clause de
préférence et de l’intention du bénéficiaire de s’en prévaloir. Ces conditions pour obtenir
l’exécution de l’obligation contenue dans la clause de préférence – c’est-à-dire, l’obligation de
mettre le bénéficiaire en mesure d’acquérir prioritairement les actions – demeuraient strictes et
il était mal aisé d’en rapporter la preuve en pratique21
. Les clauses d’agrément constituent un
autre mécanisme permettant de limiter l’introduction de nouveaux actionnaires au capital de la
société. Elles obligent le cédant à demander l’accord des autres actionnaires ou d’un organe de
la société avant de céder ses actions à un tiers ou à un autre actionnaire22
. Les clauses
16
Le principe de force obligatoire des contrats était consacré par l’article 1134 ancien du Code civil.
17
Voir notamment Cass. 1ère
civ., 16 janvier 2007, n°06-13983. Dans le cadre d’une cession de droit sociaux, voir
Cass. com. 12 novembre 2008, n°07-20844. Dans ce dernier arrêt, la Cour approuve la nomination en référé d’un
mandataire ad hoc chargé de signer un acte de cession en lieu et place du débiteur défaillant.
18
E. Brochier, « L’exécution en nature des pactes entre actionnaires : observations d’un praticien », Revue des
contrats 2005, n°1 p. 125.
19
L’impossibilité morale serait caractérisée lorsque « l'obligation souscrite présente un caractère éminemment
personnel et que son exécution forcée emporterait une atteinte frontale à ses droits et libertés fondamentaux ». D.
Mazeaud, op. cit., n°6
20
Cass. ch. mixte 26 mai 2006, n° 03-19376.
21
D. Martin et G. Buge, « L’effectivité des clauses relatives au transfert de titres », Bulletin Joly Sociétés 2011,
n°7, p. 617.
22
Depuis l’ordonnance n°2004-604 du 24 juin 2004, ces clauses peuvent également viser les cessions entre
actionnaires dans les sociétés par actions.
6
extrastatutaires d’agrément, dont la validité est contestée en doctrine23
, constitueraient des
obligations de faire. La sanction qui leur était applicable préalablement à l’ordonnance de
réforme du droit des contrats, se trouvait alors soumise aux incertitudes décrites ci-avant.
Les clauses précitées sont souvent complétées par des clauses de sortie « dont l’objet est de
prévoir, pour les réglementer, les modalités à venir de cessions de titres, ou celles de retrait
(…) du capital social24
». L’objectif de ces clauses est d’organiser la sortie des actionnaires
parties au pacte en permettant, notamment, d’éviter que certains restent « prisonniers » de leurs
titres en cas de vente de la société ou de cession d’un bloc majoritaire (surtout lorsqu’ils sont
minoritaires et que l’actionnariat majoritaire change25
). A cette fin, les pactes peuvent prévoir
des clauses de sorties conjointes (tag along)26
par lesquelles un actionnaire, souvent majoritaire,
s’engage à faire acquérir également, par le cessionnaire de ses actions, tout ou partie des titres
détenus par un ou plusieurs autres actionnaires, souvent minoritaires, aux mêmes conditions,
notamment de prix. L’efficacité de ces clauses était faible avant la réforme, puisqu’elles
s’analysent en promesses de porte-fort27
. En cas d’inexécution de la clause par le cessionnaire,
l’actionnaire lésé ne pouvait alors obtenir que des dommages-intérêts de la part de l’actionnaire
cédant concurrent28
. Certains mécanismes permettent enfin d’obtenir la cession forcée de la part
de certains actionnaires, voire leur exclusion29
. Bien que les clauses extrastatutaires prévoyant
directement l’exclusion d’un associé ne soient pas valables et encourent, à ce titre, la nullité30
,
23
Pour : S. Messaï-Bahri, op.cit., n°105 ; S. Schiller, op. cit., n°36. Contre : Y. Guyon, Traité des contrats, Les
sociétés, LGDJ 2002, 5e éd., n°219 ; R. Besnard Goudet, « Clauses statutaires d’agrément, de préemption et
d’exclusion dans les cessions d’actions », JurisClasseur Sociétés, Fasc. 1792, n°4. Les clauses statutaires
d’agrément sont prévues légalement, dans les sociétés par actions (art. L. 228-23 et L. 228-24 C. com), dans les
SAS (art. L. 227-14 C. com) et dans les SARL (art. L. 223-13 et L. 223-14 C. com).
24
H. Le Nabasque, P. Dunaud et P. Elsen, « Les clauses de sortie dans les pactes d'actionnaires », Actes pratiques
1992, n°5, p. 2.
25
Ces clauses sont fréquentes dans le cadre de joint-ventures ou pour organiser la sortie de l’investisseur dans les
opérations de capital-risque.
26
Ces clauses peuvent prévoir la sortie du capital par les actionnaires signataires du pacte ou une sortie
proportionnelle prévoyant que chaque actionnaire cèdera le même pourcentage d’actions.
27
Art. 1120 ancien C. civ. L’engagement n’est pas pris par le cessionnaire dont on ne connaît pas l’identité au
moment de la rédaction de la clause. Sur ce point, voir Y. Guyon, op. cit., n°222.
28
Ces clauses étaient parfois assorties d’une promesse unilatérale d’achat sous condition suspensive obligeant
l’actionnaire majoritaire à racheter les actions en cas d’inexécution par le cessionnaire. Ce mécanisme censé
renforcer la situation du minoritaire bénéficiaire de la promesse de porte-fort n’y parvenait que partiellement car
l’inexécution de la promesse unilatérale ne faisait naître qu’un droit à réparation de la part du promettant,
actionnaire majoritaire.
29
Concernant les clauses statutaires d’exclusion, la loi les autorise expressément dans la SAS (art. 227-16 C. com.),
la société à capital variable (art. L. 231-6, al.2 C. com.) et la SEL (art. 21, al. 2 Loi du 31 décembre 1990). Pour
les autres formes sociales il est possible d’insérer une clause statutaire d’exclusion lorsqu’elle est incluse dans les
statuts d’origine ou en cours de vie sociale, lorsque l’insertion est votée à l’unanimité (voir notamment CA Paris,
27 mars 2001 n°2000-12023).
30
Sur ce point, voir H. Le Nabasque, P. Dunaud et P. Elsen, op. cit., n°52 ; J.-J. Daigre, N. Metais, V. Tandeau de
Marsac, S.-G. Archibald actualisé par A. Cerati-Gauthier, « Clauses d’exclusion dans les sociétés anonymes non
cotées », JurisClasseur Sociétés, Fasc. P-240, n°12.
7
les praticiens ont recours à des promesses unilatérales de vente sous condition suspensive ou à
des stipulations pour autrui afin de s’assurer de la cession forcée31
(ou de l’exclusion d’un
actionnaire). En pratique, ces clauses sont destinées à obtenir un engagement préalable des
actionnaires minoritaires de céder leurs titres en cas d’offre acceptée par les majoritaires et
portant sur l’intégralité du capital. Plus généralement, les clauses par lesquelles un actionnaire
s’engage à céder ses titres en cas de survenance de certains évènements prédéterminés32
, quelle
qu’en soit la raison, prennent la forme d’une promesse unilatérale de vente33
. L’inexécution de
telles promesses et l’inexécution des autres clauses organisant le capital restaient soumises à
une jurisprudence fluctuante avant la réforme du droit des contrats, qui ne garantissait pas leur
efficacité.
En effet, le juge s’est appuyé sur la notion d’obligation de faire pour statuer sur
l’inexécution de promesses unilatérales34
. L’admission de l’exécution forcée de ces
engagements se heurte à la confrontation de deux principes antagonistes : le droit de propriété
(qui a valeur constitutionnelle) et l’impératif de protection des conventions35
. Malgré plusieurs
décisions qui ont pu faire espérer un revirement de jurisprudence36
, la solution initiale est restée
inchangée sous le droit antérieur à la réforme : la rétractation de la promesse avant la levée de
l’option par le bénéficiaire empêchait la formation du contrat. La Cour de cassation énonçait
ainsi « Attendu que (…) l'obligation de la promettante ne constituait qu'une obligation de faire
et que la levée d'option, postérieure à la rétractation de la promettante, excluait toute rencontre
des volontés réciproques de vendre et d'acquérir ». Bien que la référence explicite à une
obligation de faire ait été abandonnée dans les arrêts postérieurs, il semble que la Cour ait
appliqué un raisonnement similaire. Elle aurait fondé ses décisions sur une impossibilité
juridique pour décider d’exclure l’exécution forcée de la promesse comme l’a analysé le
Professeur Denis Mazeaud : « la Cour considérait que la formation du contrat promis était
impossible : un contrat suppose, en effet, la rencontre de deux volontés, or si le promettant
révoque la promesse avant la levée de l'option, cette rencontre est impossible37
». A défaut
31
Ces clauses sont qualifiées de clause d’entrainement ou drag along. Il convient de noter qu’une incertitude
subsistait concernant l’exécution forcée de stipulations pour autrui. L’exécution forcée était peu admise en pratique
lorsque l’obligation souscrite par le promettant était une obligation de faire.
32
Par exemple un investisseur financier sortant de la société à un certain horizon après avoir apportés des fonds
nécessaires à son développement.
33
N. Rontchevsky, M. Buchberger, B.-O. Becker et G. Buge, op. cit., n°14.
34
Arnaud Lecourt, « L'impact de la réforme du droit des contrats sur le droit des sociétés : aspects théoriques et
pratiques », RTD Com. 2016, n°4, p. 767.
35
N. Rontchevsky, M. Buchberger, B.-O. Becker et G. Buge, op. cit., n°6.
36
Notamment, Cass. 3ème
civ., 25 mars 2009, n°08-12237.
37
D. Mazeaud, op. cit., n°10.
8
d’exécution forcée, l’inexécution d’une promesse unilatérale de vente ne pouvait alors se
résoudre qu’en dommages-intérêts38
.
Les clauses politiques ne jouissaient pas, sous l’empire du droit ancien, d’une force obligatoire
plus importante.
2. La mise en œuvre des clauses relatives à la gestion de la société
Les conventions de vote permettent l’organisation du pouvoir politique au sein de la société.
Elles participent à une gestion concertée puisqu’elles permettent de « planifier la prise de
décision au sein du groupement en introduisant une certaine prévisibilité dans le
fonctionnement d’assemblées39
». En tant qu’accords aménageant le droit de vote (prérogative
fondamentale de l’actionnaire), la question de leur validité40
en droit des sociétés a d’abord
occupé les juges avant que le contentieux ne se concentre par la suite sur l’exécution de ces
clauses politiques41
. Cette dernière question n’en est pas moins importante. Les décisions
sociales faisant l’objet de conventions de vote portent traditionnellement sur la désignation des
mandataires, la politique de financement de la société ou plus généralement sur toute décision
intéressant son organisation. L’inexécution de l’accord peut alors engendrer des conséquences
importantes sur le bon fonctionnement de la société. Pourtant, la jurisprudence a rarement statué
dans un sens donnant pleine force obligatoire à ces conventions.
Outre la problématique de l’exécution forcée des obligations de faire, la sacralisation du droit
de vote des actionnaires et l’article L. 235-1 al. 2 du Code de commerce – qui limite strictement
les cas de nullité des délibérations en droit des sociétés42
– demeuraient les principaux obstacles
à l’efficacité des conventions de vote. Les rares décisions ayant admis l’exécution forcée de ces
38
Jurisprudence dite « Consorts Cruz » Cass. 3ème
civ., 15 décembre 1993, n°91-10199. La solution est rappelée
plus récemment par Cass. 3ème
civ., 11 mai 2011, n°10-12875 et Cass. 3ème
civ., 13 septembre 2011, n°10-19.526
bien que ces derniers arrêts abandonnent la référence à une obligation de faire. Certains commentateurs anticipent
toutefois un possible revirement de jurisprudence sur ce point. Il concernerait alors les litiges portant sur des
contrats antérieurs à l’entrée en vigueur de l’ordonnance de réforme (1er
octobre 2016). Le juge pourrait être
influencé par le nouveau régime de la promesse unilatérale issu de la réforme pour infléchir sa position (art. 1124
C. civ.) sans, bien sûr, que cela ne soit formellement reproduit dans la motivation en raison du principe de non-
rétroactivité de la loi (art. 2 du C. civ.). Il existe des avis divergents sur la question d’un éventuel revirement.
Notamment, pour : F. Barrière, A. W. Grumberg, « L’incidence de droit des contrats sur les opérations
d’acquisitions », Rev. sociétés 2016, p. 639 ; N. Rontchevsky, « L’exécution forcée en nature des pactes d’associés
et la réforme du droit des contrats », Actes pratiques et ingénierie sociétaire, juil. 2016, n°148, p. 4. Contra :
M. Mecki, « Contrats préparatoires : principes et clauses contractuelles. Nouveaux textes, nouveau temps », JCP
N 2016, n°13, p. 1112.
39
F.-X. Lucas, « L’exécution forcée des conventions de vote », Bulletin Joly Sociétés, n°7, p. 625.
40
Les conventions de vote ont ainsi été admises en jurisprudence sous réserve du respect de certaines conditions.
Voir notamment CA Paris, 30 juin 1995.
41
F.-X. Lucas, op. cit.
42
En ce sens, l’article L. 235-1 al. 2 du Code de commerce limite strictement les cas de nullité des délibérations
en droit des sociétés. Voir sur ce point N. Rontchevsky, M. Buchberger, B.-O. Becker et G. Buge, op. cit., n°31.
9
engagements en cas d’inexécution semblent toutefois contourner les règles de droit des sociétés
pour appliquer le principe selon lequel l’exécution forcée doit être admise dès lors qu’elle est
possible. Ainsi, dans l’arrêt Metaleurop43
, un actionnaire ayant refusé de voter une
augmentation de capital alors qu’il avait souscrit un engagement préalable en ce sens, s’est vu
ordonner de participer à ladite augmentation lors d’une assemblée générale ultérieure dont la
convocation a également été ordonnée par la Cour. La Cour d’appel de Paris a ainsi confirmé
le principe selon lequel l’exécution en nature des obligations de faire doit être admise dès lors
qu’elle est possible. Il convient de souligner qu’en l’espèce, l’exécution de la convention de
vote ne nécessitait pas l’annulation de l’assemblée générale initiale. Cette nuance est essentielle.
En effet, dans un autre arrêt, plus récent, la même Cour a refusé de révoquer deux membres du
conseil de surveillance d’une société nommés en violation d’un engagement de vote car une
telle révocation revenait à annuler les résolutions portant sur leur nomination44
. Le Professeur
Alain Couret relève que la décision réformée par la Cour d’appel portait ici sur une ordonnance
de référé. Une juridiction statuant sur le fond aurait probablement pu annuler la décision sociale
sur le fondement de l’abus de majorité en raison des circonstances particulières de l’espèce.
Une distinction semblait alors s’imposer entre d’un côté, les demandes en exécution forcée ne
nécessitant pas l’annulation d’une assemblée générale (notamment les demandes formulées
avant l’assemblée par la voie du référé45
) pour lesquelles quelques décisions admettent
l’exécution forcée, et de l’autre, les demandes en exécution forcée qui seraient postérieures à
l’assemblée générale et supposeraient alors de l’annuler46
. Dans ce second cas, l’exécution
forcée était écartée en raison du principe d’intangibilité des décisions sociales47
et des causes
de nullité limitativement énumérées par l’article L. 235-1 du Code de commerce. En application
de ce texte : si la délibération a emporté une modification des statuts, sa nullité ne pourra
résulter « que d’une disposition expresse du présent livre (C. com., livre II) ou des lois qui
régissent la nullité des contrats » tandis que pour les délibérations ne modifiant pas les statuts,
il ne pourra être question de les annuler qu’en cas de « violation d’une disposition impérative
du présent livre (C. com., livre II) ou des lois qui régissent les contrats ». La seule inexécution
43
CA Paris 30 juin 1995, n°1995-021894.
44
CA Paris, 8 novembre 2011, RG 11/16066. A. Couret, Sociétés commerciales, Mémento pratique Fr. Lefebvre,
2016, n° 69312.
45
En cas de refus de voter de la part de l’actionnaire qui s’était engagé à approuver une décision sociale, le juge
des référés pourra nommer un mandataire chargé de voter à la place de l’actionnaire défaillant. Voir F.-X. Lucas,
op. cit.
46
T. Massart, « La problématique de l'exécution forcée des conventions de vote » in Réforme du droit des contrats,
Actes pratiques et ingénierie sociétaire, mai 2016, n°147, p. 16.
47
T. Com Paris, 12 février 1991, Bull. Joly 1991, p. 592, note M. Jeantin.
10
d’un engagement de vote inscrit dans un pacte d’actionnaires ne permettait donc pas
d’envisager la nullité d’une délibération sociale. Ainsi, comme l’a indiqué un auteur « la liberté
de voter l’emporte sur la force obligatoire des conventions48
».
Les praticiens ont alors prévu des mécanismes conventionnels afin de sécuriser les engagements
stipulés dans les pactes.
B. Mécanismes conventionnels visant à renforcer l’efficacité des pactes d’actionnaires
Au regard de la faiblesse et des incertitudes entourant les sanctions prononcées par les
juridictions avant la réforme du droit des contrats, les praticiens ont développé des techniques
contractuelles visant à se prémunir contre la violation des obligations stipulées dans les pactes
d’actionnaires (1) ou à la dissuader (2).
1. Le développement de mécanismes préventifs
Pour assurer une meilleure efficacité des pactes d’actionnaires, la pratique a mis au point des
mécanismes conventionnels, permettant notamment de déroger à l’article 1142 ancien du Code
civil. Les rédacteurs inséraient alors des clauses dites « d’exécution forcée » indiquant
expressément la renonciation par les parties au bénéfice de ces dispositions. De telles clauses
ont été admises en jurisprudence49
notamment dans le cadre de promesses unilatérales de
vente50
. Elles permettaient de déroger conventionnellement à l’application de l’article 1142 du
Code civil et précisaient que l’octroi de dommages-intérêts ne constituerait pas une sanction
suffisante pour satisfaire le créancier de l’obligation. Les parties acceptaient ainsi par avance
l’exécution en nature. La clause devait être rédigée avec grand soin et l’exécution forcée devait
être expressément et explicitement prévue51
. La doctrine était également favorable à l’utilisation
de ces clauses d’exécution forcée pour sécuriser les clauses politiques d’un pacte
d’actionnaires52
.
Toutefois, ces stipulations ne permettaient pas d’obtenir la nullité d’une cession effectuée de
bonne foi, notamment en cas de violation d’un pacte de préférence. De même, l’annulation de
décisions prises en violation de conventions de vote restait soumise aux limites propres au droit
48
S. Messaï-Bahri, op. cit.
49
Cass. 3ème
civ., 27 mars 2008, 07-11721 et Cass. 3ème
civ., 8 septembre 2010, n°09-13345.
50
CA Paris, 3 décembre 2008, Juris-Data n° 2008-373790.
51
J.-F. Louit et V. Lacarelle, « Remarques sur l’efficacité des pactes d’actionnaires », RTDF 2008/2, p. 65. Pour
un exemple de clause admise en jurisprudence, voir : CA Paris 3 décembre 2008, n°2008-373790.
52
N. Rontchevsky, M. Buchberger, B.-O. Becker et G. Buge, op. cit., n°55.
11
des sociétés, liées au caractère fondamental du droit de vote et au principe d’intangibilité des
décisions sociales53
.
Il existait par ailleurs des techniques juridiques faisant intervenir un tiers chargé de la bonne
exécution du pacte. Le recours à un teneur de compte ou un séquestre des titres objets d’une
clause limitant ou organisant les cessions ont été proposés. Le tiers auquel les titres étaient
« confiés » était alors tenu de n’accepter que les transferts respectant les modalités prévues dans
la convention. Les cessions intervenant sans l’autorisation du teneur de compte ou du séquestre
devenaient alors inopposables aux tiers et à la société. Cette technique n’était pas dépourvue de
limites. Depuis la dématérialisation des valeurs mobilières54
le séquestre ne peut porter que sur
les registres de mouvements de titres et comptes d’actionnaires. Les titres demeurant
juridiquement dans le patrimoine de l’actionnaire, cela ne l’empêchait pas, matériellement, de
les céder à un tiers par ordre de mouvement55
. La bonne foi du tiers-acquéreur (c’est-à-dire
lorsqu’il ignore les restrictions à la cession d’actions prévues au pacte et l’existence du
séquestre) pouvait alors empêcher d’obtenir la nullité de l’opération en cause56
.
Le recours à la fiducie57
pouvait pallier la problématique décrite ci-dessus. Cette technique58
présente des avantages comparables au séquestre concernant le transfert des titres à la différence
que le fiduciaire dispose d’un droit réel sur les choses qui lui sont confiées59
. Ce dernier jouit
donc d’un droit de disposition sur les actions insérées dans le patrimoine fiduciaire et est le seul
compétent pour les céder. Il pouvait ainsi être tenu de ne procéder qu’aux cessions conformes
aux stipulations du pacte. De nombreux auteurs préconisaient également la fiducie pour
sécuriser les conventions de vote60
car elle permet la libre répartition des droits entre
l’actionnaire constituant et le fiduciaire. Si les droits sociaux sont stipulés au bénéfice du
53
Ibid. Les causes de nullité des délibérations sont limitativement énumérées par l’article L. 235-1 du Code de
commerce.
54
Loi n°81-1160 du 30 décembre 1981, article 94, II.
55
Sur l’obligation de délivrance des titres cédés par ordre de mouvement, voir Cass. com., 24 mai 2011,
n°10-12163 commenté par D. Poracchia et C.-A. Maetz, Bulletin Joly Sociétés 2011, n°10, p. 386.
56
S. Prat, Les pactes d’actionnaires relatifs au transfert de valeurs mobilières, Litec 1992, n°504. Pour une mesure
censée remédier à cet obstacle, voir notamment N. Rontchevsky, M. Buchberger, B.-O. Becker et G. Buge, op.cit.,
n°40.
57
La fiducie est l'opération par laquelle un ou plusieurs constituants transfèrent des biens, des droits ou des sûretés,
ou un ensemble de biens, de droits ou de sûretés, présents ou futurs, à un ou plusieurs fiduciaires qui, les tenant
séparés de leur patrimoine propre, agissent dans un but déterminé au profit d'un ou plusieurs bénéficiaires. Article
2011 du Code civil.
58
Loi n°2007-211 du 19 février 2007 instituant la fiducie.
59
S. Schiller, « La fiducie : un excellent moyen de sécuriser les pactes d’actionnaires », Dr. et Patr., mars 2012,
p. 71.
60
R. Dammann et G. Podeur, « Fiducie-gestion et pactes d’actionnaires », Bulletin Joly Sociétés, 2008, n°8, p.
652 ; P. Morel, « La fiducie, outil idéal pour sécuriser l’exécution des pactes d’actionnaires », Banque et droit
2009, n°716, p. 55 ; F.-X. Lucas, op. cit.
12
fiduciaire, celui-ci sera alors compétent pour exercer les droits de vote conformément aux
clauses du pacte. Une limite évidente peut toutefois être relevée concernant l’usage de la
fiducie : le fiduciaire pourrait, lui-même, ne pas exercer sa fonction conformément aux
stipulations du pacte. Faute de jurisprudence sur ce sujet, le doute reste entier concernant les
sanctions applicables61
.
D’autres mesures ont été préconisées comme prévoir que le pacte est signé « en présence de la
société » ou insérer directement la société en qualité de partie afin de lui rendre la convention
opposable dans le but que celle-ci soit « garante » de son exécution62
. Le recours au mandat a
également été évoqué pour sécuriser les engagements de vote. L’efficacité de ces mesures
semblait toutefois incertaine63
. Les difficultés liées à l’organisation conventionnelle de
l’exécution ont conduit les praticiens à prévoir des sanctions spécifiques visant à dissuader
l’inexécution.
2. Le recours à des techniques dissuasives
Les praticiens décidaient fréquemment d’organiser contractuellement les conséquences de
l’inexécution d’un pacte d’actionnaires. Ces techniques visaient à obtenir l’exécution des
obligations d’un pacte en décourageant le cocontractant qui pourrait être tenté d’en violer l’une
des stipulations.
En ce sens, l’insertion d’une clause pénale, fixant contractuellement le montant des dommages-
intérêts dus par le débiteur en cas d’inexécution de son obligation64
a été envisagée par les
rédacteurs de pactes d’actionnaires. La stipulation d’une clause pénale n’emportait pas
renonciation du créancier à demander l’exécution forcée de l’obligation mais lui offrait le choix
de solliciter l’exécution en nature ou d’obtenir une somme d’argent65
. Elle présentait toutefois
deux difficultés majeures liées à la fixation de son montant : s’il était trop faible, la clause
n’était pas dissuasive et si celui-ci était trop élevé, il risquait d’être réduit par le juge66
.
61
S. Schiller, « La fiducie : un excellent moyen de sécuriser les pactes d’actionnaires », Dr. et Patr., mars 2012,
p. 71.
62
P. Mousseron, Les conventions sociétaires, LGDJ, 2010, n° 20.
63
Sur le pacte signé par la société, voir l’article du Professeur Bruno Dondero qui préconise plutôt la notification
du pacte à la société : B. Dondero, « Le pacte d'actionnaires signé par la société », Rev. sociétés 2011, p. 535. Sur
les limites liées à l’utilisation de la technique du mandat pour sécuriser les conventions de vote, voir
N. Rontchevsky, M. Buchberger, B.-O. Becker et G. Buge, op. cit., n°49 et s. Les auteurs insistent ici sur (i) le
caractère temporaire du mandat qui n’est valable que pour une assemblée générale dans les SA (art. R. 225-79 du
Code de commerce) et (ii) sur le caractère « faussement » irrévocable du mandat de voter en droit des sociétés.
Voir notamment Cass 1ère
civ., 5 février 2002, n°99-20895.
64
Art. 1226 ancien C. civ., art. 1231-5 C. civ.
65
Art. 1228 ancien C. civ.
66
Art. 1231 ancien C. civ., art. 1231-5 C. civ.
13
Un mécanisme proche de la clause pénale était souvent préconisé : le rachat forcé des titres
(sorte d’exclusion de l’actionnaire) sous la forme d’une promesse unilatérale de vente, à un prix
assorti d’une décote67
. L’efficacité de ce mécanisme était toutefois soumise aux difficultés
entourant l’exécution des promesses.
Au vu des lacunes démontrées concernant les mécanismes conventionnels censés garantir
l’exécution des pactes d’actionnaires68
, la réforme du droit des contrats était porteuse d’espoirs
concernant le renforcement de leur force obligatoire. Elle a apporté des précisions nécessaires
quant aux conséquences de l’inexécution de certaines catégories de clauses classiquement
insérées dans ces conventions.
II. LA SECURISATION NÉCESSAIRE DES PACTES D’ACTIONNAIRES
APRES LA REFORME
L’ordonnance de réforme du droit des contrats précise utilement les sanctions de l’inexécution
en consacrant notamment le droit d’obtenir l’exécution forcée69
. Elle insère par ailleurs une
sous-section spécifique, destinée aux avant-contrats et à leur régime. Ces ajouts présentent
toutefois de nombreuses limites (A) qui ne privent pas d’intérêt les techniques contractuelles
développées auparavant par les praticiens, tout en incitant à les adapter aux nouvelles
dispositions (B).
A. Renforcement nuancé de la force obligatoire des conventions
1. La codification du droit à l’exécution forcée en nature
L’ordonnance du 10 février 2016 a consacré l’exécution forcée comme sanction de la violation
d’une obligation, sans distinction quant à la nature de celle-ci70
. Cette sanction est également
valable dans le cadre d’une stipulation pour autrui, le bénéficiaire de la stipulation étant bien
créancier du promettant71
.
67
Y. Le Maut, « Remise en cause des promesses de cession de titres par leur requalification en clause pénale »,
Actes pratiques et ingénierie sociétaire, n°86, 2006, p. 1.
68
A. Couret et A. Reygrobellet, « Le projet de réforme de droit des obligations : incidence sur les régimes de
cessions de droits sociaux », Bulletin Joly Sociétés 2015, n°5, p. 247.
69
Art. 1217, 1221 et 1341 C. civ.
70
Ibid.
71
Art. 1206 al. 1 C. civ.
14
A première lecture, le nouvel article 122172
du Code civil semble pleinement mettre en œuvre
la force obligatoire des contrats, énoncée à l’article 110373
du même Code. Il confère une valeur
supérieure à l’engagement consenti, dont l’exécution forcée ne serait que le prolongement
naturel. L’application de cette sanction semble aisée puisque sa mise en œuvre ne nécessite
qu’une mise en demeure, condition nécessaire et suffisante pour obtenir que le cocontractant
défaillant s’exécute. En effet, le créancier n’a pas à rapporter la preuve d’une inexécution d’une
certaine gravité74
comme c’est le cas concernant d’autres sanctions de l’inexécution. Cette
simplicité n’est qu’apparente car l’exécution forcée reste soumise à deux exceptions énoncées
par l’article 1221, qui limitent fortement son efficacité : « Le créancier d'une obligation peut,
après mise en demeure, en poursuivre l'exécution en nature sauf si cette exécution est
impossible ou s'il existe une disproportion manifeste entre son coût pour le débiteur et son
intérêt pour le créancier. » La notion « d’exécution impossible » était déjà utilisée par la
jurisprudence antérieure à l’ordonnance75
.
En revanche, l’introduction d’une exception à l’exécution forcée en raison du « coût
manifestement déraisonnable » pour le débiteur est une nouveauté76
. Inspiré par la conception
économique du contrat77
et pouvant être rapproché de la politique de la Cour de cassation
relative au test de proportionnalité78
, cet ajout semble inapproprié et impropre à garantir la force
obligatoire des conventions79
. Il a notamment été condamné par une partie de la doctrine80
. Le
créancier lésé subi en effet une altération de son droit à obtenir l’exécution forcée, suite à la
mise en balance d’intérêts contradictoires : les intérêts du créancier à obtenir l’exécution forcée
et son coût pour le débiteur. Le nouvel article 1221 du Code civil immisce ainsi le juge dans le
contrat et des incertitudes demeurent quant aux éléments qu’il sera amené à évaluer pour se
prononcer. Le coût devra-t-il être apprécié en fonction de l’objet de la prestation (conception
objective) ou faudra-t-il prendre en considération les capacités du débiteur (conception
72
« Le créancier d'une obligation peut, après mise en demeure, en poursuivre l'exécution en nature sauf si cette
exécution est impossible ou s'il existe une disproportion manifeste entre son coût pour le débiteur et son intérêt
pour le créancier. »
73
« Les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits. »
74
D. Mazeaud, op. cit., n°8.
75
Cass. com. 16 janvier 2007, n°06-13983.
76
Sur l’absence de prise en compte du coût de l’exécution pour le débiteur préalablement à la réforme, voir
Cass. 3ème
civ., 11 mai 2005, n° 03-21136. Cet arrêt portait sur la construction d’une maison à laquelle il manquait
33 centimètres de hauteur, le maître d’ouvrage a obtenu la destruction et la reconstruction sans que le caractère
excessif du coût n’ait été retenu par les juges.
77
T. Genicon, op. cit.
78
B. Louvel, « Réflexions à la Cour de cassation », Dalloz 2015, p. 1326.
79
H. Lecuyer, « L’inexécution du contrat », Contrats Concurrence Consommation, mai 2016, n°5.
80
Voir T. Genicon, op. cit. et M. Mecki, op. cit.
15
subjective)81
? La première proposition conduirait le juge à mesurer l’appauvrissement du
débiteur au regard de l’économie du contrat, auquel il est par définition étranger82
. La deuxième
proposition reviendrait à nier que le consentement donné lie le débiteur. Cette notion revient
par ailleurs à accorder de la clémence à un débiteur fautif comme le fait remarquer un auteur83
.
Dans le cadre d’un pacte d’actionnaires, on peut notamment s’interroger sur l’interprétation du
juge concernant l’exécution forcée d’une clause de bad leaver84
ou d’une clause d’exclusion
sous forme de promesse unilatérale de vente. Ces clauses prévoient une décote du prix de
cession qui paraîtrait disproportionnée compte tenu de la valeur de marché des actions. En effet,
selon deux auteurs, on peut déduire de l'article 1221 du Code civil que les cessions considérées
doivent être opérées « selon les mêmes termes et conditions pour l'ensemble des actionnaires
participants85
». Selon une conception objective, les promesses de cessions prévoyant un prix
décoté feraient alors obstacle à l’admission de l’exécution forcée : elles conduiraient à une perte
économique pour le promettant au regard des conditions cessions prévues pour d’autres
actionnaires. Le juge pourrait alors considérer qu’elles constituent un « coût manifestement
excessif pour le débiteur » pour écarter l’exécution forcée86
. L’utilisation de l’adverbe
« manifestement » laisse toutefois une faculté d’appréciation au juge pour évaluer le coût de la
prestation pour le débiteur au jour de l’inexécution et éviter que le moindre surcout ne prive le
créancier de l’exécution de l’obligation87
.
Ces deux exceptions posent un problème de sécurité juridique que les praticiens souhaiteront
écarter au moyen de techniques contractuelles analysées dans la prochaine section (II. B).
2. Applications du principe de l’exécution forcée
La codification du régime relatif au pacte de préférence par l’article 1123 du Code civil issu de
la réforme constitue une première application du principe de l’exécution forcée. Il confirme la
81
V. Forti, « Exécution forcée en nature », Rép. soc. Dalloz, 2016, n°78.
82
Voir T. Genicon, op. cit. Le professeur Yves-Marie Laithier analyse au contraire que le juge ne pourrait être
fondé à effectuer une telle évaluation. Y.-M. Laithier, « Les sanctions de l’inexécution du contrat » in La réforme
du droit des contrats : quelles innovations ? (Hors-série), Revue des contrats 2016, p. 39.
83
M. Mecki, « Fiche pratique : l'exécution forcée "en nature ", sauf si… », Gaz. Pal. 2016, n°25, p. 15, n°13.
84
Les clauses dites de « good/bad leaver » ont pour objet de prévoir le rachat des titres des actionnaires-dirigeants
ainsi que les conditions de ce rachat en fonction des circonstances (prévues dans le pacte) dans lesquelles ces
derniers quittent la société. Ces engagements prennent la forme de promesses unilatérales. En cas de départ
considéré fautif, l’actionnaire sortant sera considéré comme un bad leaver et cèdera alors ces titres, à un prix
décoté, aux actionnaires bénéficiaires de la promesse.
85
J.-J. Ansault et D. Swinburne, op. cit.
86
J.-J. Ansault et D. Swinburne, « Premières réflexions sur les évolutions des opérations de fusion-acquisition »,
JCP E 2016, n°21, 1307. Voir toutefois A. Couret et A. Reygrobellet, op. cit., n°44. Les auteurs indiquent que
cette limite ne trouverait a priori pas à s’appliquer dans le cas d’une cession de droits sociaux.
87
T. Genicon, op. cit.
16
sanction auparavant énoncée par la jurisprudence et conserve les mêmes conditions
d’application (double connaissance par le tiers du pacte et de l’intention du bénéficiaire de s’en
prévaloir). Cet article introduit en outre un mécanisme « d’action interrogatoire »88
censé
permettre à un acquéreur potentiel de demander par écrit à une personne qu’il pense être le
bénéficiaire d’un pacte de préférence, de confirmer dans un délai raisonnable, l'existence du
pacte et s'il entend s'en prévaloir. De nombreux auteurs ont déjà émis des réserves quant à
l’opportunité pour un tiers de recourir à une telle action89
.
Enfin, la réforme apporte une nouveauté qui constitue une application forte de l’exécution
forcée en prévoyant la nullité du contrat conclu en violation d’une promesse unilatérale. Les
rédacteurs de l’ordonnance confirment ainsi l’abandon de la jurisprudence dite Consorts Cruz :
« La révocation de la promesse pendant le temps laissé au bénéficiaire pour opter n'empêche
pas la formation du contrat promis90
». Cette innovation était attendue par la doctrine et les
praticiens. La nullité du contrat est néanmoins soumise à la connaissance par le tiers de
l’existence de la promesse91
ce qui limite la portée de cette nouvelle règle. On peut également
s’interroger sur une éventuelle question prioritaire de constitutionnalité sur cette disposition car
elle pourrait constituer une atteinte à la liberté contractuelle dont la valeur constitutionnelle a
été reconnue92
. Un auteur explique en ce sens qu’une promesse unilatérale ne peut suffire à
figer le consentement d’une partie93
et que, dès lors, l’exécution forcée ne saurait constituer la
sanction d’une obligation pour laquelle le consentement n’a pas été donné94
.
Concernant les conventions de vote, les limites issues du droit des sociétés continuent à
s’appliquer95
. Par ailleurs, l’ordonnance n’a pas retenu l’exécution forcée dans le cadre d’une
promesse de porte-fort (utilisée notamment dans le cadre des clauses de sortie conjointe)96
.
B. Maintien et aménagements de mécanismes conventionnels pour améliorer
l’efficacité des pactes d’actionnaires
88
Art. 1123 C. c. al. 3 et 4.
89
Voir M. de Fontmichel, « Les nouvelles actions interrogatoires », Dalloz 2016, p. 1665 ; A. Lecourt, op. cit.
90
Art. 1124 al. 2 C. civ.
91
Art. 1124 al. 3 C. civ.
92
Cons. const., 13 juin 2013, n° 2013-672 DC relative à la loi relative à la sécurisation de l'emploi, Dalloz 2014,
p. 1516, obs. N. Jacquinot et A. Mangiavillano.
93
Voir note n°37.
94
En ce sens, Fabre-Magnan, « De l'inconstitutionnalité de l'exécution forcée des promesses unilatérales de
vente », Dalloz 2015, p. 826. Pour une opinion plus nuancée, voir R. Mortier, « Renforcement légal de l’efficacité
de la promesse unilatérale de contrat », Droit des sociétés 2016, n°4, p. 54.
95
T. Massart, op. cit.
96
Art. 1204 al. 2 C. civ.
17
L’exécution forcée étant désormais consacrée par le Code civil, les pactes d’actionnaires
devront permettre sa mise en œuvre efficace. Cela suppose de s’assurer que toutes les conditions
nécessaires à l’admission de l’exécution en nature soient en place. Par ailleurs, dans l’attente
de décisions des juges précisant l’essentiel des notions, il faudra également se prémunir contre
les incertitudes apportées par la réforme, notamment en usant des mécanismes conventionnels
connus.
1. Le cas général de la clause d’exécution forcée
En raison des limites qui entourent l’exécution forcée – notamment lorsque celle-ci est
manifestement excessive pour le débiteur – il pourra être opportun de prévoir contractuellement
l’exécution des obligations d’un pacte d’actionnaire, au-delà des nouvelles dispositions légales.
L’article 1221 du Code civil ne revêtant pas un caractère d’ordre public, l’exécution forcée
pourra s’organiser conventionnellement97
. Les rédacteurs s’interrogeront sur la possibilité
d’écarter le critère de disproportion manifeste entre le coût de l’exécution forcée pour le
débiteur et son intérêt pour le créancier98
. Le débiteur de l’obligation renoncera alors aux
dispositions restreignant l’exécution forcée en cas de coût manifestement disproportionné.
Cette renonciation pourra être stipulée dans le cadre d’engagements portant sur la cession des
titres, notamment s’agissant d’une cession forcée ou conjointe sous forme de promesse, a
fortiori dans les cas où une décote du prix de cession est prévue99
. Le promettant, débiteur de
l’obligation, admettra en outre ne pas s’opposer à l’exécution forcée.
Bien qu’une telle suppression de l’exception semble contraire à l’esprit du texte, la clause
l’écartant constituerait, selon le Professeur Laithier, un « moyen de répartir et d’accepter les
risques, ou un moyen de faire échec aux fautes lucratives, ou encore, plus généralement, un
indicateur de la valeur ou de l’importance subjective que le créancier accorde à l'exécution en
nature escomptée et qui est (ou a pu être) la raison d'être de son engagement100
».
2. La protection des promesses unilatérales
97
Le rapport au Président de la République indique que l’ordonnance de réforme est « supplétive de volonté sauf
disposition contraire ».
98
A. Lecourt, op. cit.
99
Notamment en cas de clause de bad leaver ou de clause d’exclusion sous la forme d’une promesse unilatérale.
Voir supra II. A.
100
Y.-M. Laithier, op. cit. Pour une opinion contraire, voir D. Mazeaud, op. cit., n°13. Le professeur Denis
Mazeaud estime notamment qu’une clause supprimant l’exception de disproportion manifeste constituerait une
utilisation abusive du droit à exécution forcée dont le créancier est titulaire.
18
La quasi omniprésence des promesses unilatérales de vente et d’achat dans les pactes
d’actionnaires a été rappelée dans les sections précédentes de la présente étude. L’exécution
forcée d’une promesse dans le cadre d’une cession d’actions conclues avec un tiers en violation
des droits du bénéficiaire est désormais admise mais soumise à la connaissance par le tiers de
l’existence de la promesse101
. L’ajout de cette condition vise à protéger l’acquéreur de bonne
foi mais affaiblit le principe d’exécution forcée. Il sera alors opportun d’organiser
contractuellement la sanction de la violation de l’obligation. L’article 1124 alinéa 2 pose une
interrogation supplémentaire en ce qu’il vise la rétractation « pendant le temps laissé au
bénéficiaire pour opter ». Lorsque le délai d’exercice de la promesse ne débute pas au jour de
la conclusion du contrat, la formulation imprécise de cet article semble, selon une interprétation
littérale, permettre au promettant de rétracter efficacement sa promesse entre la conclusion du
pacte (dans lequel est stipulé la promesse) et le début du délai d’exercice de celle-ci. Il semble
que l’exécution forcée, telle que prévue à l’article 1124 ne pourrait alors être exigée.
Une clause d’exécution forcée permettra en ce sens de se prémunir contre une rétractation
précoce ou une cession d’actions à un tiers en violation d’une promesse lorsque le tiers ignorait
l’existence de celle-ci102
. Une clause pénale prévoyant une indemnité pour les mêmes raisons
pourra également être prévue. Le bénéficiaire s’interrogera en outre sur l’opportunité de notifier
l’existence de la promesse à un tiers qu’il soupçonne de vouloir acquérir les titres. Certains
praticiens proposent en outre d’insérer une stipulation statutaire indiquant la présence d’une
promesse. Les statuts étant publiés au greffe du tribunal de commerce, le tiers acquéreur ne
pourra faire valoir qu’il ignorait l’existence des restrictions portant sur les actions.
Enfin, la possibilité que les dispositions de cet article soient déclarées inconstitutionnelles limite
la sécurité juridique entourant ces conventions103
. Les mécanismes énoncés supra (I. B) et
visant à sécuriser les promesses unilatérales semblent donc ne pas être privés d’intérêt. Outre
la clause d’exécution forcée et la clause pénale, le séquestre ou la fiducie pourront toujours
servir d’outils visant la sécurisation des promesses stipulées dans un pacte. Malgré les limites
entourant le nouveau régime de la promesse unilatérale, celle-ci constituera toujours une mesure
101
Le rapport au Président que l’ordonnance de réforme est « supplétive de volonté sauf disposition contraire ».
102
A. Lecourt, op. cit.
102
Y.-M. Laithier, op. cit. Pour une opinion contraire, voir D. Mazeaud, op. cit., n°13. Le professeur Denis
Mazeaud estime notamment qu’une clause supprimant l’exception de disproportion manifeste constituerait une
utilisat ion abusive du droit à exécution forcée dont le créancier est titulaire. B. Cardi et F. Alogna, « M&A: key
takeaways for dealmakers on the modernization of French contract law », International Institute for the Study of
Cross-Border Investment and M&A.
103
Sur ce point, voir supra II. A.
19
utile pour renforcer les clauses de sorties conjointe (tag along) car ces dernières ne constituent
traditionnellement de simples promesses de porte-fort104
.
Conclusion
Malgré le développement important des pactes d’actionnaires durant les dernières décennies,
ceux-ci ne disposaient pas d’une force obligatoire garantissant l’exécution des obligations de
chaque partie. L’efficacité de ces conventions régissant l’organisation du capital et du pouvoir
politique au sein d’une société s’en trouvait incertaine. Aussi, les mécanismes contractuels
développés par les praticiens pour sécuriser les clauses relatives au capital et à l’organisation
du pouvoir politique comportaient des limites qui ne permettaient pas de prévenir pleinement
l’inexécution.
La réforme du droit des contrats était attendue pour améliorer la force obligatoire de ces
conventions en admettant notamment le droit à l’exécution forcée et en renforçant le régime
des promesses unilatérales. Les apports des nouvelles dispositions ont toutefois été amoindris
par les diverses conditions et limites prévues. Malgré des précisions et des codifications
attendues par les praticiens, ces nouveautés ne conduiront pas nécessairement à une
simplification de la mise en œuvre des pactes d’actionnaires car elles ne supprimeront pas le
recours à des mécanismes supplétifs, contractuellement convenus, de sécurisation (stipulation
de clauses d’exécution forcée, clause pénale, recours au séquestre…).
A l’avenir, l’efficacité des pactes d’actionnaires pourrait provenir de progrès techniques,
matérialisés par des développements récents autour de la Blockchain105
. Cette technologie serait
en mesure d’offrir de nouvelles opportunités aux praticiens pour s’assurer de la mise en œuvre
des pactes d’actionnaires en empêchant matériellement toute cession d’actions contraires aux
stipulations contractuelles106
.
104
Pour rappel, la violation des clauses de porte-fort entraine l’octroi de dommages-intérêts de la part du
promettant (Art. 1204 al. 2 C. civ.).
105
« La blockchain est une technologie de stockage et de transmission d’informations, transparente, sécurisée, et
fonctionnant sans organe central de contrôle » (Blockchain France).
106
B. Dondero, « "Smart contracts", pacte d'actionnaires et droit de préemption », Affiches parisiennes, 16 mai
2016.

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La force obligatoire des pactes d'actionnaires depuis la réforme du droit des contrats

  • 1. 1 LA FORCE OBLIGATOIRE DES PACTES D’ACTIONNAIRES DEPUIS LA REFORME DU DROIT DES CONTRATS Guilhaume Agbodjan Mastère Spécialisé Finance – ESCP Europe Master of Laws (LL.M.) in International Corporate Finance – University of Reading (UK) Rédaction encadrée par Olivier Mourain Avocat Associé – Reboul & Associés Les pactes d’actionnaires sont devenus, depuis la fin du XXème siècle, des outils incontournables de la vie des affaires permettant d’organiser le contrôle commun d’une société. La difficulté à en assurer la bonne exécution constituait toutefois la faiblesse de ces conventions. Cette lacune a conduit les praticiens à développer des mécanismes conventionnels pour tenter d’en garantir l’efficacité. La réforme du droit des contrats, en vigueur depuis le 1er octobre 2016, ayant consacré le droit à l’exécution forcée des obligations, il convient d’en mesurer l’impact sur la force obligatoire des pactes d’actionnaires. Since the end of the 20th century, shareholders’ agreements have become essential business tools allowing to organise the common control of companies. Nonetheless, the difficulty to ensure the proper performance of these agreements represented a weakness. This insufficiency led legal practitioners to develop binding mechanisms to secure their enforceability. The French contract law reform, applicable to contracts entered into after October 1, 2016, strengthened the right to obtain the enforcement of contractual obligations. As such, its impact on the enforceability of shareholders’ agreements should be analysed. Créés par la pratique dans le but d’organiser contractuellement le contrôle commun d’une société, les pactes d’actionnaires1 se sont développés en France à partir des années 1990 suite à la multiplication d’intervenants au sein de l’actionnariat des sociétés françaises (fonds de pension, sociétés de capital-risque et autres investisseurs)2 . Ces accords ne répondent pas à une forme contractuelle précisément définie et peuvent inclure une grande variété de clauses 1 Bien que certaines règles soient transposables aux sociétés de personnes, la présente étude porte sur les pactes conclus dans les sociétés par actions. Le terme « d’actionnaires » sera alors utilisé, y compris pour désigner les pactes relatifs aux sociétés par actions simplifiées. 2 D. Martin et L. Faugerolas, « Les pactes d’actionnaires », JCP G 1989, n°41, p. 3412.
  • 2. 2 adoptées en fonction des circonstances et des besoins des différentes opérations à intervenir sur le capital de la société. Ils constituent dès lors un instrument souple, structuré autour de deux objectifs : (i) renforcer la stabilité et la cohésion de l’actionnariat d’une société par des stipulations relatives au capital et au transfert de titres et (ii) organiser la répartition du pouvoir au sein de la société par des clauses dites « politiques »3 . Le recours aux pactes d’actionnaires permet alors aux parties signataires d’adapter, dans la mesure du possible, le droit des sociétés à leurs besoins, au moyen de techniques contractuelles classiques4 . Bien que des clauses organisant les rapports entre associés puissent être insérées dans les statuts, ces accords prennent la forme de conventions distinctes5 . Cette séparation présente l’avantage de maintenir la confidentialité des pactes (pour les sociétés non-cotées6 ), contrairement aux statuts qui sont publiés au greffe du tribunal de commerce. Toutefois, le recours à une convention extrastatutaire peut également avoir une incidence sur la force obligatoire de ces engagements. En effet, plusieurs dispositions légales sanctionnent par la nullité un acte (notamment une cession d’actions) ou une délibération effectuée en violation des statuts7 . Par opposition, les sanctions en cas d’inexécution d’une clause contenue dans une convention extrastatutaire sont plus incertaines. En dépit de leur développement considérable dans l’univers économique français, les pactes d’actionnaires soulevaient de nombreuses difficultés pratiques en cas d’inexécution. Une doctrine quasi-unanime8 déplorait qu’une telle inexécution conduise classiquement à l’octroi de dommages-intérêts. Cette réparation « par équivalent » ne permettait pas de satisfaire la partie au pacte qui s’estimait lésée et n’apparaissait pas comme suffisamment dissuasive pour 3 Cette souplesse est mise en exergue par le terme de « pacte » fréquemment utilisé pour qualifier des accords souples aux contours imprécis (sur ce point, voir S. Messaï-Bahri, « Pactes d’actionnaires », Etudes Joly Sociétés, 2016 ; S. Schiller, « Pactes d’actionnaires », Rép. soc. Dalloz, 2017 ; Y. Reinhard, « L’exécution forcée des pactes d’actionnaires », Revue de droit des contrats 2005, p. 115). 4 J.-J. Daigre et M. Sentilles-Dupont, « Pactes d'actionnaires », GLN Joly, coll. Pratique des affaires, 1995, n° 2. 5 S. Messaï-Bahri, op. cit. 6 Pour mémoire, les clauses des pactes d’actionnaires prévoyant des conditions préférentielles de cession ou d’acquisition d’actions admises aux négociations sur un marché règlementé doivent être portées à la connaissance du public lorsqu’elles portent sur plus de 0,5% du capital ou des droits de vote de la société ayant émis ces actions (art. L. 233-11 C. com). D’autres obligations existent en période d’offre publique. La présente étude ne traite pas des spécificités applicables aux pactes relatifs aux sociétés cotées. 7 La violation d’une clause statutaire aménageant conventionnellement une disposition légale entraine la nullité des actes et délibérations (art. L. 235-1 C. com. ; Cass. com. 18 mai 2010, n°09-14855). Dans les sociétés par actions, une cession effectuée en violation d’une procédure d’agrément statutaire est nulle (art. L. 228-23 C. com.). Dans les SAS, toute cession effectuée en violation d’une clause statutaire est nulle (art. L. 227-15 C. com). 8 Notamment B. Brignon, « Les pactes d’associés : que la force soit avec eux ! », Dr. Sociétés, juin 2014, n°6 ; N. Rontchevsky, M. Buchberger, B.-O. Becker et G. Buge, « L’inexécution des pactes d’actionnaires », Actes pratiques et ingénierie sociétaire, nov. 2011, n°120 ; « L’exécution forcée des pactes d’actionnaires extrastatutaires, Compte-rendu de la réunion "Campus 2013" du barreau de Paris du 11 juillet 2013 », Lexbase Hebdo édition affaires, 12 septembre 2013, p. 23 ; Y. Reinhard, op. cit.
  • 3. 3 contraindre la partie défaillante à s’exécuter. La force obligatoire de ces conventions s’en trouvait ainsi largement affaiblie. Dans le cadre de l’inexécution d’une promesse unilatérale de cession d’actions, par exemple, une somme d’argent ne compense pas efficacement la qualité d’actionnaire majoritaire qui aurait dû être conférée au bénéficiaire de la promesse. Un auteur affirme en ce sens que « l’exécution forcée n’est pas (…) une mesure spécifique du juge méritant pour cela d’être contrôlée par lui, c’est le droit contractuel préexistant du créancier, la prestation elle‐même que le débiteur s’est engagé à fournir, simplement "mis en force" au cours d’un procès9 ». Par ailleurs, la condamnation à des dommages-intérêts reste difficile à appréhender (nécessité de démontrer le préjudice lié à l’inexécution, difficulté de chiffrer le préjudice). Les dispositions de l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations sont venues utilement recenser et préciser les sanctions applicables en cas de manquement contractuel imputable au débiteur d’une obligation10 . Le droit à exécution forcée y est consacré et pourra, en principe, sanctionner l’inexécution d’obligations fréquemment insérées dans les pactes d’actionnaires. Cette consécration suffit-elle à renforcer la force obligatoire de ces engagements ? Avant la réforme du droit des contrats, le droit positif permettait rarement de mettre en œuvre des solutions satisfaisantes en cas d’inexécution des pactes (I). Malgré les précisions apportées par l’ordonnance, l’exécution forcée reste soumise à certaines limites qui ne semblent pas sécuriser pleinement ces conventions entre actionnaires (II). La présente étude se limitera à mesurer l’impact de la réforme du droit des contrats sur la sécurisation des pactes extrastatutaires dans les sociétés non-cotées11 . I. L’EFFICACITE RELATIVE DES PACTES D’ACTIONNAIRES AVANT LA REFORME DU DROIT DES CONTRATS Malgré l’affirmation par la Cour de cassation du droit pour le créancier lésé d’obtenir l’exécution forcée de certaines obligations, cette sanction demeurait rarement mise en œuvre 9 T. Genicon, « Contre l'introduction du "coût manifestement déraisonnable" comme exception à l'exécution forcée en nature », Dr. et patr., oct. 2014, n°240, p. 63. 10 L’ensemble de ces sanctions sont désormais regroupées dans une section du Code civil tandis que la plupart résultaient auparavant de diverses décisions de la Cour de cassation et de juridictions d’appel. Voir notamment Denis Mazeaud, « L'exécution forcée en nature dans la réforme du droit des contrats », Dalloz 2016, p. 2477. 11 Voir note n°5.
  • 4. 4 avant la réforme (A). Cela a conduit les praticiens à prévoir des mécanismes conventionnels destinés à s’assurer de l’exécution des obligations résultant des pactes d’actionnaires (B). A. Incertitude de l’exécution forcée des obligations stipulées dans les pactes d’actionnaires La présente section examine les stipulations classiques des pactes d’actionnaires ainsi que le régime qui leur était applicable avant l’entrée en vigueur de la réforme du droit des contrats12 . 1. Imprévisibilité des sanctions en cas d’inexécution d’obligations portant sur les transferts de titres Les clauses relatives au capital visent à organiser (i) le maintien des équilibres préexistants entre actionnaires d’une société et (ii) l’évolution de ces équilibres jusqu’à (iii) la cession de leurs actions. Les premières ont pour but de figer la situation de l’actionnariat telle qu’existante au moment de la signature de l’accord afin de garantir le maintien des rapports initiaux entre actionnaires. Elles prennent la forme de clauses d’anti-dilution prévenant l’accroissement de la participation d’un actionnaire par augmentation de capital à laquelle les autres actionnaires n’auraient pas souscrit13 , de clauses d’inaliénabilité14 ou d’engagements de non-acquisition. Ces stipulations s’analysent classiquement en des obligations de ne pas faire dont la violation était soumise à des fluctuations jurisprudentielles. En effet, la sanction de l’inexécution des obligations de faire ou de ne pas faire, était limitée, avant l’ordonnance, par le principe énoncé dans l’ancien article 1142 du Code civil selon lequel « Toute obligation de faire ou de ne pas faire se résout en dommages et intérêts en cas d'inexécution de la part du débiteur15 ». Bien que la doctrine considère que les rédacteurs du Code civil aient souhaité retranscrire l’adage « nul ne peut être contraint à l'accomplissement direct d'un fait », cette sanction ne permettait 12 Il convient de noter que l’ordonnance du 10 février 2016 précitée n’a pas modifié le régime des clauses insérées dans les statuts, issu du Code de commerce. 13 Ces clauses prennent parfois la forme de convention de vote. 14 Ces clauses sont admises lorsque la période d’inaliénabilité n’est pas supérieure à 10 ans, dans les statuts de sociétés par actions simplifiées par l’article L. 227-13 du Code de commerce, et dans les statuts de sociétés européennes par l’article L. 229-11 du Code de commerce. Une cession effectuée en violation de ces clauses est nulle (art. L. 227-15 du Code de commerce pour la SAS et L. 229-11 C. com pour la SE). Dans les autres formes sociales, elles semblent être admises dans les conventions extrastatutaires à condition qu’elles soient limitées dans le temps et qu’elles protègent un intérêt légitime (lequel est matérialisé par l’intérêt social relatif à la société en cause). Cass. 1ère civ., 31 octobre 2007. Voir sur ce point R. Mortier, « Les nouveaux horizons de l’inaliénabilité en droit des groupements », Dr. sociétés 2008, n°1. 15 Voir sur ce point, S. Schiller, op. cit., n°45. Sur les clauses de parité, voir toutefois Cass. com., 24 mai 2011, n°10-24869 commenté par P. Mousseron, Bulletin Joly Sociétés 2011, n°10, p. 388.
  • 5. 5 pas de conférer une pleine force obligatoire aux conventions16 . La Cour de cassation a toutefois remis en cause ce principe en admettant de prononcer l’exécution en nature dès lors que celle- ci n’était pas impossible17 . La portée de la règle fut alors précisée : l’article 1142 ancien visait à éviter « une mesure de contrainte, une atteinte grave à la liberté individuelle [du débiteur]18 ». En ce sens seule une impossibilité matérielle, juridique ou morale permettait d’exclure l’exécution forcée du débiteur en cas de manquement à une obligation de faire19 . Cette sanction a toutefois rarement été mise en œuvre par la Cour de cassation. Les clauses régissant l’évolution de l’actionnariat visent à limiter l’entrée de nouveaux actionnaires susceptibles de remettre en cause les équilibres négociés au moment de la signature du pacte. Ces clauses restreignant la libre négociabilité des actions sont caractérisées principalement par la mise en œuvre de procédures d’agrément et de pactes/clauses de préférence. L’insertion d’une clause de préférence (ou de préemption) permet de contrôler l’évolution de l’actionnariat en obligeant l’actionnaire qui désire céder ses titres à en proposer prioritairement l’achat à un actionnaire existant, bénéficiaire de la clause. Une cession d’actions à un tiers, intervenue en méconnaissance d’une telle clause encourait la nullité et la substitution du bénéficiaire au tiers selon une jurisprudence constante20 . La Cour de cassation subordonnait toutefois cette sanction à la double connaissance par le tiers de l’existence de la clause de préférence et de l’intention du bénéficiaire de s’en prévaloir. Ces conditions pour obtenir l’exécution de l’obligation contenue dans la clause de préférence – c’est-à-dire, l’obligation de mettre le bénéficiaire en mesure d’acquérir prioritairement les actions – demeuraient strictes et il était mal aisé d’en rapporter la preuve en pratique21 . Les clauses d’agrément constituent un autre mécanisme permettant de limiter l’introduction de nouveaux actionnaires au capital de la société. Elles obligent le cédant à demander l’accord des autres actionnaires ou d’un organe de la société avant de céder ses actions à un tiers ou à un autre actionnaire22 . Les clauses 16 Le principe de force obligatoire des contrats était consacré par l’article 1134 ancien du Code civil. 17 Voir notamment Cass. 1ère civ., 16 janvier 2007, n°06-13983. Dans le cadre d’une cession de droit sociaux, voir Cass. com. 12 novembre 2008, n°07-20844. Dans ce dernier arrêt, la Cour approuve la nomination en référé d’un mandataire ad hoc chargé de signer un acte de cession en lieu et place du débiteur défaillant. 18 E. Brochier, « L’exécution en nature des pactes entre actionnaires : observations d’un praticien », Revue des contrats 2005, n°1 p. 125. 19 L’impossibilité morale serait caractérisée lorsque « l'obligation souscrite présente un caractère éminemment personnel et que son exécution forcée emporterait une atteinte frontale à ses droits et libertés fondamentaux ». D. Mazeaud, op. cit., n°6 20 Cass. ch. mixte 26 mai 2006, n° 03-19376. 21 D. Martin et G. Buge, « L’effectivité des clauses relatives au transfert de titres », Bulletin Joly Sociétés 2011, n°7, p. 617. 22 Depuis l’ordonnance n°2004-604 du 24 juin 2004, ces clauses peuvent également viser les cessions entre actionnaires dans les sociétés par actions.
  • 6. 6 extrastatutaires d’agrément, dont la validité est contestée en doctrine23 , constitueraient des obligations de faire. La sanction qui leur était applicable préalablement à l’ordonnance de réforme du droit des contrats, se trouvait alors soumise aux incertitudes décrites ci-avant. Les clauses précitées sont souvent complétées par des clauses de sortie « dont l’objet est de prévoir, pour les réglementer, les modalités à venir de cessions de titres, ou celles de retrait (…) du capital social24 ». L’objectif de ces clauses est d’organiser la sortie des actionnaires parties au pacte en permettant, notamment, d’éviter que certains restent « prisonniers » de leurs titres en cas de vente de la société ou de cession d’un bloc majoritaire (surtout lorsqu’ils sont minoritaires et que l’actionnariat majoritaire change25 ). A cette fin, les pactes peuvent prévoir des clauses de sorties conjointes (tag along)26 par lesquelles un actionnaire, souvent majoritaire, s’engage à faire acquérir également, par le cessionnaire de ses actions, tout ou partie des titres détenus par un ou plusieurs autres actionnaires, souvent minoritaires, aux mêmes conditions, notamment de prix. L’efficacité de ces clauses était faible avant la réforme, puisqu’elles s’analysent en promesses de porte-fort27 . En cas d’inexécution de la clause par le cessionnaire, l’actionnaire lésé ne pouvait alors obtenir que des dommages-intérêts de la part de l’actionnaire cédant concurrent28 . Certains mécanismes permettent enfin d’obtenir la cession forcée de la part de certains actionnaires, voire leur exclusion29 . Bien que les clauses extrastatutaires prévoyant directement l’exclusion d’un associé ne soient pas valables et encourent, à ce titre, la nullité30 , 23 Pour : S. Messaï-Bahri, op.cit., n°105 ; S. Schiller, op. cit., n°36. Contre : Y. Guyon, Traité des contrats, Les sociétés, LGDJ 2002, 5e éd., n°219 ; R. Besnard Goudet, « Clauses statutaires d’agrément, de préemption et d’exclusion dans les cessions d’actions », JurisClasseur Sociétés, Fasc. 1792, n°4. Les clauses statutaires d’agrément sont prévues légalement, dans les sociétés par actions (art. L. 228-23 et L. 228-24 C. com), dans les SAS (art. L. 227-14 C. com) et dans les SARL (art. L. 223-13 et L. 223-14 C. com). 24 H. Le Nabasque, P. Dunaud et P. Elsen, « Les clauses de sortie dans les pactes d'actionnaires », Actes pratiques 1992, n°5, p. 2. 25 Ces clauses sont fréquentes dans le cadre de joint-ventures ou pour organiser la sortie de l’investisseur dans les opérations de capital-risque. 26 Ces clauses peuvent prévoir la sortie du capital par les actionnaires signataires du pacte ou une sortie proportionnelle prévoyant que chaque actionnaire cèdera le même pourcentage d’actions. 27 Art. 1120 ancien C. civ. L’engagement n’est pas pris par le cessionnaire dont on ne connaît pas l’identité au moment de la rédaction de la clause. Sur ce point, voir Y. Guyon, op. cit., n°222. 28 Ces clauses étaient parfois assorties d’une promesse unilatérale d’achat sous condition suspensive obligeant l’actionnaire majoritaire à racheter les actions en cas d’inexécution par le cessionnaire. Ce mécanisme censé renforcer la situation du minoritaire bénéficiaire de la promesse de porte-fort n’y parvenait que partiellement car l’inexécution de la promesse unilatérale ne faisait naître qu’un droit à réparation de la part du promettant, actionnaire majoritaire. 29 Concernant les clauses statutaires d’exclusion, la loi les autorise expressément dans la SAS (art. 227-16 C. com.), la société à capital variable (art. L. 231-6, al.2 C. com.) et la SEL (art. 21, al. 2 Loi du 31 décembre 1990). Pour les autres formes sociales il est possible d’insérer une clause statutaire d’exclusion lorsqu’elle est incluse dans les statuts d’origine ou en cours de vie sociale, lorsque l’insertion est votée à l’unanimité (voir notamment CA Paris, 27 mars 2001 n°2000-12023). 30 Sur ce point, voir H. Le Nabasque, P. Dunaud et P. Elsen, op. cit., n°52 ; J.-J. Daigre, N. Metais, V. Tandeau de Marsac, S.-G. Archibald actualisé par A. Cerati-Gauthier, « Clauses d’exclusion dans les sociétés anonymes non cotées », JurisClasseur Sociétés, Fasc. P-240, n°12.
  • 7. 7 les praticiens ont recours à des promesses unilatérales de vente sous condition suspensive ou à des stipulations pour autrui afin de s’assurer de la cession forcée31 (ou de l’exclusion d’un actionnaire). En pratique, ces clauses sont destinées à obtenir un engagement préalable des actionnaires minoritaires de céder leurs titres en cas d’offre acceptée par les majoritaires et portant sur l’intégralité du capital. Plus généralement, les clauses par lesquelles un actionnaire s’engage à céder ses titres en cas de survenance de certains évènements prédéterminés32 , quelle qu’en soit la raison, prennent la forme d’une promesse unilatérale de vente33 . L’inexécution de telles promesses et l’inexécution des autres clauses organisant le capital restaient soumises à une jurisprudence fluctuante avant la réforme du droit des contrats, qui ne garantissait pas leur efficacité. En effet, le juge s’est appuyé sur la notion d’obligation de faire pour statuer sur l’inexécution de promesses unilatérales34 . L’admission de l’exécution forcée de ces engagements se heurte à la confrontation de deux principes antagonistes : le droit de propriété (qui a valeur constitutionnelle) et l’impératif de protection des conventions35 . Malgré plusieurs décisions qui ont pu faire espérer un revirement de jurisprudence36 , la solution initiale est restée inchangée sous le droit antérieur à la réforme : la rétractation de la promesse avant la levée de l’option par le bénéficiaire empêchait la formation du contrat. La Cour de cassation énonçait ainsi « Attendu que (…) l'obligation de la promettante ne constituait qu'une obligation de faire et que la levée d'option, postérieure à la rétractation de la promettante, excluait toute rencontre des volontés réciproques de vendre et d'acquérir ». Bien que la référence explicite à une obligation de faire ait été abandonnée dans les arrêts postérieurs, il semble que la Cour ait appliqué un raisonnement similaire. Elle aurait fondé ses décisions sur une impossibilité juridique pour décider d’exclure l’exécution forcée de la promesse comme l’a analysé le Professeur Denis Mazeaud : « la Cour considérait que la formation du contrat promis était impossible : un contrat suppose, en effet, la rencontre de deux volontés, or si le promettant révoque la promesse avant la levée de l'option, cette rencontre est impossible37 ». A défaut 31 Ces clauses sont qualifiées de clause d’entrainement ou drag along. Il convient de noter qu’une incertitude subsistait concernant l’exécution forcée de stipulations pour autrui. L’exécution forcée était peu admise en pratique lorsque l’obligation souscrite par le promettant était une obligation de faire. 32 Par exemple un investisseur financier sortant de la société à un certain horizon après avoir apportés des fonds nécessaires à son développement. 33 N. Rontchevsky, M. Buchberger, B.-O. Becker et G. Buge, op. cit., n°14. 34 Arnaud Lecourt, « L'impact de la réforme du droit des contrats sur le droit des sociétés : aspects théoriques et pratiques », RTD Com. 2016, n°4, p. 767. 35 N. Rontchevsky, M. Buchberger, B.-O. Becker et G. Buge, op. cit., n°6. 36 Notamment, Cass. 3ème civ., 25 mars 2009, n°08-12237. 37 D. Mazeaud, op. cit., n°10.
  • 8. 8 d’exécution forcée, l’inexécution d’une promesse unilatérale de vente ne pouvait alors se résoudre qu’en dommages-intérêts38 . Les clauses politiques ne jouissaient pas, sous l’empire du droit ancien, d’une force obligatoire plus importante. 2. La mise en œuvre des clauses relatives à la gestion de la société Les conventions de vote permettent l’organisation du pouvoir politique au sein de la société. Elles participent à une gestion concertée puisqu’elles permettent de « planifier la prise de décision au sein du groupement en introduisant une certaine prévisibilité dans le fonctionnement d’assemblées39 ». En tant qu’accords aménageant le droit de vote (prérogative fondamentale de l’actionnaire), la question de leur validité40 en droit des sociétés a d’abord occupé les juges avant que le contentieux ne se concentre par la suite sur l’exécution de ces clauses politiques41 . Cette dernière question n’en est pas moins importante. Les décisions sociales faisant l’objet de conventions de vote portent traditionnellement sur la désignation des mandataires, la politique de financement de la société ou plus généralement sur toute décision intéressant son organisation. L’inexécution de l’accord peut alors engendrer des conséquences importantes sur le bon fonctionnement de la société. Pourtant, la jurisprudence a rarement statué dans un sens donnant pleine force obligatoire à ces conventions. Outre la problématique de l’exécution forcée des obligations de faire, la sacralisation du droit de vote des actionnaires et l’article L. 235-1 al. 2 du Code de commerce – qui limite strictement les cas de nullité des délibérations en droit des sociétés42 – demeuraient les principaux obstacles à l’efficacité des conventions de vote. Les rares décisions ayant admis l’exécution forcée de ces 38 Jurisprudence dite « Consorts Cruz » Cass. 3ème civ., 15 décembre 1993, n°91-10199. La solution est rappelée plus récemment par Cass. 3ème civ., 11 mai 2011, n°10-12875 et Cass. 3ème civ., 13 septembre 2011, n°10-19.526 bien que ces derniers arrêts abandonnent la référence à une obligation de faire. Certains commentateurs anticipent toutefois un possible revirement de jurisprudence sur ce point. Il concernerait alors les litiges portant sur des contrats antérieurs à l’entrée en vigueur de l’ordonnance de réforme (1er octobre 2016). Le juge pourrait être influencé par le nouveau régime de la promesse unilatérale issu de la réforme pour infléchir sa position (art. 1124 C. civ.) sans, bien sûr, que cela ne soit formellement reproduit dans la motivation en raison du principe de non- rétroactivité de la loi (art. 2 du C. civ.). Il existe des avis divergents sur la question d’un éventuel revirement. Notamment, pour : F. Barrière, A. W. Grumberg, « L’incidence de droit des contrats sur les opérations d’acquisitions », Rev. sociétés 2016, p. 639 ; N. Rontchevsky, « L’exécution forcée en nature des pactes d’associés et la réforme du droit des contrats », Actes pratiques et ingénierie sociétaire, juil. 2016, n°148, p. 4. Contra : M. Mecki, « Contrats préparatoires : principes et clauses contractuelles. Nouveaux textes, nouveau temps », JCP N 2016, n°13, p. 1112. 39 F.-X. Lucas, « L’exécution forcée des conventions de vote », Bulletin Joly Sociétés, n°7, p. 625. 40 Les conventions de vote ont ainsi été admises en jurisprudence sous réserve du respect de certaines conditions. Voir notamment CA Paris, 30 juin 1995. 41 F.-X. Lucas, op. cit. 42 En ce sens, l’article L. 235-1 al. 2 du Code de commerce limite strictement les cas de nullité des délibérations en droit des sociétés. Voir sur ce point N. Rontchevsky, M. Buchberger, B.-O. Becker et G. Buge, op. cit., n°31.
  • 9. 9 engagements en cas d’inexécution semblent toutefois contourner les règles de droit des sociétés pour appliquer le principe selon lequel l’exécution forcée doit être admise dès lors qu’elle est possible. Ainsi, dans l’arrêt Metaleurop43 , un actionnaire ayant refusé de voter une augmentation de capital alors qu’il avait souscrit un engagement préalable en ce sens, s’est vu ordonner de participer à ladite augmentation lors d’une assemblée générale ultérieure dont la convocation a également été ordonnée par la Cour. La Cour d’appel de Paris a ainsi confirmé le principe selon lequel l’exécution en nature des obligations de faire doit être admise dès lors qu’elle est possible. Il convient de souligner qu’en l’espèce, l’exécution de la convention de vote ne nécessitait pas l’annulation de l’assemblée générale initiale. Cette nuance est essentielle. En effet, dans un autre arrêt, plus récent, la même Cour a refusé de révoquer deux membres du conseil de surveillance d’une société nommés en violation d’un engagement de vote car une telle révocation revenait à annuler les résolutions portant sur leur nomination44 . Le Professeur Alain Couret relève que la décision réformée par la Cour d’appel portait ici sur une ordonnance de référé. Une juridiction statuant sur le fond aurait probablement pu annuler la décision sociale sur le fondement de l’abus de majorité en raison des circonstances particulières de l’espèce. Une distinction semblait alors s’imposer entre d’un côté, les demandes en exécution forcée ne nécessitant pas l’annulation d’une assemblée générale (notamment les demandes formulées avant l’assemblée par la voie du référé45 ) pour lesquelles quelques décisions admettent l’exécution forcée, et de l’autre, les demandes en exécution forcée qui seraient postérieures à l’assemblée générale et supposeraient alors de l’annuler46 . Dans ce second cas, l’exécution forcée était écartée en raison du principe d’intangibilité des décisions sociales47 et des causes de nullité limitativement énumérées par l’article L. 235-1 du Code de commerce. En application de ce texte : si la délibération a emporté une modification des statuts, sa nullité ne pourra résulter « que d’une disposition expresse du présent livre (C. com., livre II) ou des lois qui régissent la nullité des contrats » tandis que pour les délibérations ne modifiant pas les statuts, il ne pourra être question de les annuler qu’en cas de « violation d’une disposition impérative du présent livre (C. com., livre II) ou des lois qui régissent les contrats ». La seule inexécution 43 CA Paris 30 juin 1995, n°1995-021894. 44 CA Paris, 8 novembre 2011, RG 11/16066. A. Couret, Sociétés commerciales, Mémento pratique Fr. Lefebvre, 2016, n° 69312. 45 En cas de refus de voter de la part de l’actionnaire qui s’était engagé à approuver une décision sociale, le juge des référés pourra nommer un mandataire chargé de voter à la place de l’actionnaire défaillant. Voir F.-X. Lucas, op. cit. 46 T. Massart, « La problématique de l'exécution forcée des conventions de vote » in Réforme du droit des contrats, Actes pratiques et ingénierie sociétaire, mai 2016, n°147, p. 16. 47 T. Com Paris, 12 février 1991, Bull. Joly 1991, p. 592, note M. Jeantin.
  • 10. 10 d’un engagement de vote inscrit dans un pacte d’actionnaires ne permettait donc pas d’envisager la nullité d’une délibération sociale. Ainsi, comme l’a indiqué un auteur « la liberté de voter l’emporte sur la force obligatoire des conventions48 ». Les praticiens ont alors prévu des mécanismes conventionnels afin de sécuriser les engagements stipulés dans les pactes. B. Mécanismes conventionnels visant à renforcer l’efficacité des pactes d’actionnaires Au regard de la faiblesse et des incertitudes entourant les sanctions prononcées par les juridictions avant la réforme du droit des contrats, les praticiens ont développé des techniques contractuelles visant à se prémunir contre la violation des obligations stipulées dans les pactes d’actionnaires (1) ou à la dissuader (2). 1. Le développement de mécanismes préventifs Pour assurer une meilleure efficacité des pactes d’actionnaires, la pratique a mis au point des mécanismes conventionnels, permettant notamment de déroger à l’article 1142 ancien du Code civil. Les rédacteurs inséraient alors des clauses dites « d’exécution forcée » indiquant expressément la renonciation par les parties au bénéfice de ces dispositions. De telles clauses ont été admises en jurisprudence49 notamment dans le cadre de promesses unilatérales de vente50 . Elles permettaient de déroger conventionnellement à l’application de l’article 1142 du Code civil et précisaient que l’octroi de dommages-intérêts ne constituerait pas une sanction suffisante pour satisfaire le créancier de l’obligation. Les parties acceptaient ainsi par avance l’exécution en nature. La clause devait être rédigée avec grand soin et l’exécution forcée devait être expressément et explicitement prévue51 . La doctrine était également favorable à l’utilisation de ces clauses d’exécution forcée pour sécuriser les clauses politiques d’un pacte d’actionnaires52 . Toutefois, ces stipulations ne permettaient pas d’obtenir la nullité d’une cession effectuée de bonne foi, notamment en cas de violation d’un pacte de préférence. De même, l’annulation de décisions prises en violation de conventions de vote restait soumise aux limites propres au droit 48 S. Messaï-Bahri, op. cit. 49 Cass. 3ème civ., 27 mars 2008, 07-11721 et Cass. 3ème civ., 8 septembre 2010, n°09-13345. 50 CA Paris, 3 décembre 2008, Juris-Data n° 2008-373790. 51 J.-F. Louit et V. Lacarelle, « Remarques sur l’efficacité des pactes d’actionnaires », RTDF 2008/2, p. 65. Pour un exemple de clause admise en jurisprudence, voir : CA Paris 3 décembre 2008, n°2008-373790. 52 N. Rontchevsky, M. Buchberger, B.-O. Becker et G. Buge, op. cit., n°55.
  • 11. 11 des sociétés, liées au caractère fondamental du droit de vote et au principe d’intangibilité des décisions sociales53 . Il existait par ailleurs des techniques juridiques faisant intervenir un tiers chargé de la bonne exécution du pacte. Le recours à un teneur de compte ou un séquestre des titres objets d’une clause limitant ou organisant les cessions ont été proposés. Le tiers auquel les titres étaient « confiés » était alors tenu de n’accepter que les transferts respectant les modalités prévues dans la convention. Les cessions intervenant sans l’autorisation du teneur de compte ou du séquestre devenaient alors inopposables aux tiers et à la société. Cette technique n’était pas dépourvue de limites. Depuis la dématérialisation des valeurs mobilières54 le séquestre ne peut porter que sur les registres de mouvements de titres et comptes d’actionnaires. Les titres demeurant juridiquement dans le patrimoine de l’actionnaire, cela ne l’empêchait pas, matériellement, de les céder à un tiers par ordre de mouvement55 . La bonne foi du tiers-acquéreur (c’est-à-dire lorsqu’il ignore les restrictions à la cession d’actions prévues au pacte et l’existence du séquestre) pouvait alors empêcher d’obtenir la nullité de l’opération en cause56 . Le recours à la fiducie57 pouvait pallier la problématique décrite ci-dessus. Cette technique58 présente des avantages comparables au séquestre concernant le transfert des titres à la différence que le fiduciaire dispose d’un droit réel sur les choses qui lui sont confiées59 . Ce dernier jouit donc d’un droit de disposition sur les actions insérées dans le patrimoine fiduciaire et est le seul compétent pour les céder. Il pouvait ainsi être tenu de ne procéder qu’aux cessions conformes aux stipulations du pacte. De nombreux auteurs préconisaient également la fiducie pour sécuriser les conventions de vote60 car elle permet la libre répartition des droits entre l’actionnaire constituant et le fiduciaire. Si les droits sociaux sont stipulés au bénéfice du 53 Ibid. Les causes de nullité des délibérations sont limitativement énumérées par l’article L. 235-1 du Code de commerce. 54 Loi n°81-1160 du 30 décembre 1981, article 94, II. 55 Sur l’obligation de délivrance des titres cédés par ordre de mouvement, voir Cass. com., 24 mai 2011, n°10-12163 commenté par D. Poracchia et C.-A. Maetz, Bulletin Joly Sociétés 2011, n°10, p. 386. 56 S. Prat, Les pactes d’actionnaires relatifs au transfert de valeurs mobilières, Litec 1992, n°504. Pour une mesure censée remédier à cet obstacle, voir notamment N. Rontchevsky, M. Buchberger, B.-O. Becker et G. Buge, op.cit., n°40. 57 La fiducie est l'opération par laquelle un ou plusieurs constituants transfèrent des biens, des droits ou des sûretés, ou un ensemble de biens, de droits ou de sûretés, présents ou futurs, à un ou plusieurs fiduciaires qui, les tenant séparés de leur patrimoine propre, agissent dans un but déterminé au profit d'un ou plusieurs bénéficiaires. Article 2011 du Code civil. 58 Loi n°2007-211 du 19 février 2007 instituant la fiducie. 59 S. Schiller, « La fiducie : un excellent moyen de sécuriser les pactes d’actionnaires », Dr. et Patr., mars 2012, p. 71. 60 R. Dammann et G. Podeur, « Fiducie-gestion et pactes d’actionnaires », Bulletin Joly Sociétés, 2008, n°8, p. 652 ; P. Morel, « La fiducie, outil idéal pour sécuriser l’exécution des pactes d’actionnaires », Banque et droit 2009, n°716, p. 55 ; F.-X. Lucas, op. cit.
  • 12. 12 fiduciaire, celui-ci sera alors compétent pour exercer les droits de vote conformément aux clauses du pacte. Une limite évidente peut toutefois être relevée concernant l’usage de la fiducie : le fiduciaire pourrait, lui-même, ne pas exercer sa fonction conformément aux stipulations du pacte. Faute de jurisprudence sur ce sujet, le doute reste entier concernant les sanctions applicables61 . D’autres mesures ont été préconisées comme prévoir que le pacte est signé « en présence de la société » ou insérer directement la société en qualité de partie afin de lui rendre la convention opposable dans le but que celle-ci soit « garante » de son exécution62 . Le recours au mandat a également été évoqué pour sécuriser les engagements de vote. L’efficacité de ces mesures semblait toutefois incertaine63 . Les difficultés liées à l’organisation conventionnelle de l’exécution ont conduit les praticiens à prévoir des sanctions spécifiques visant à dissuader l’inexécution. 2. Le recours à des techniques dissuasives Les praticiens décidaient fréquemment d’organiser contractuellement les conséquences de l’inexécution d’un pacte d’actionnaires. Ces techniques visaient à obtenir l’exécution des obligations d’un pacte en décourageant le cocontractant qui pourrait être tenté d’en violer l’une des stipulations. En ce sens, l’insertion d’une clause pénale, fixant contractuellement le montant des dommages- intérêts dus par le débiteur en cas d’inexécution de son obligation64 a été envisagée par les rédacteurs de pactes d’actionnaires. La stipulation d’une clause pénale n’emportait pas renonciation du créancier à demander l’exécution forcée de l’obligation mais lui offrait le choix de solliciter l’exécution en nature ou d’obtenir une somme d’argent65 . Elle présentait toutefois deux difficultés majeures liées à la fixation de son montant : s’il était trop faible, la clause n’était pas dissuasive et si celui-ci était trop élevé, il risquait d’être réduit par le juge66 . 61 S. Schiller, « La fiducie : un excellent moyen de sécuriser les pactes d’actionnaires », Dr. et Patr., mars 2012, p. 71. 62 P. Mousseron, Les conventions sociétaires, LGDJ, 2010, n° 20. 63 Sur le pacte signé par la société, voir l’article du Professeur Bruno Dondero qui préconise plutôt la notification du pacte à la société : B. Dondero, « Le pacte d'actionnaires signé par la société », Rev. sociétés 2011, p. 535. Sur les limites liées à l’utilisation de la technique du mandat pour sécuriser les conventions de vote, voir N. Rontchevsky, M. Buchberger, B.-O. Becker et G. Buge, op. cit., n°49 et s. Les auteurs insistent ici sur (i) le caractère temporaire du mandat qui n’est valable que pour une assemblée générale dans les SA (art. R. 225-79 du Code de commerce) et (ii) sur le caractère « faussement » irrévocable du mandat de voter en droit des sociétés. Voir notamment Cass 1ère civ., 5 février 2002, n°99-20895. 64 Art. 1226 ancien C. civ., art. 1231-5 C. civ. 65 Art. 1228 ancien C. civ. 66 Art. 1231 ancien C. civ., art. 1231-5 C. civ.
  • 13. 13 Un mécanisme proche de la clause pénale était souvent préconisé : le rachat forcé des titres (sorte d’exclusion de l’actionnaire) sous la forme d’une promesse unilatérale de vente, à un prix assorti d’une décote67 . L’efficacité de ce mécanisme était toutefois soumise aux difficultés entourant l’exécution des promesses. Au vu des lacunes démontrées concernant les mécanismes conventionnels censés garantir l’exécution des pactes d’actionnaires68 , la réforme du droit des contrats était porteuse d’espoirs concernant le renforcement de leur force obligatoire. Elle a apporté des précisions nécessaires quant aux conséquences de l’inexécution de certaines catégories de clauses classiquement insérées dans ces conventions. II. LA SECURISATION NÉCESSAIRE DES PACTES D’ACTIONNAIRES APRES LA REFORME L’ordonnance de réforme du droit des contrats précise utilement les sanctions de l’inexécution en consacrant notamment le droit d’obtenir l’exécution forcée69 . Elle insère par ailleurs une sous-section spécifique, destinée aux avant-contrats et à leur régime. Ces ajouts présentent toutefois de nombreuses limites (A) qui ne privent pas d’intérêt les techniques contractuelles développées auparavant par les praticiens, tout en incitant à les adapter aux nouvelles dispositions (B). A. Renforcement nuancé de la force obligatoire des conventions 1. La codification du droit à l’exécution forcée en nature L’ordonnance du 10 février 2016 a consacré l’exécution forcée comme sanction de la violation d’une obligation, sans distinction quant à la nature de celle-ci70 . Cette sanction est également valable dans le cadre d’une stipulation pour autrui, le bénéficiaire de la stipulation étant bien créancier du promettant71 . 67 Y. Le Maut, « Remise en cause des promesses de cession de titres par leur requalification en clause pénale », Actes pratiques et ingénierie sociétaire, n°86, 2006, p. 1. 68 A. Couret et A. Reygrobellet, « Le projet de réforme de droit des obligations : incidence sur les régimes de cessions de droits sociaux », Bulletin Joly Sociétés 2015, n°5, p. 247. 69 Art. 1217, 1221 et 1341 C. civ. 70 Ibid. 71 Art. 1206 al. 1 C. civ.
  • 14. 14 A première lecture, le nouvel article 122172 du Code civil semble pleinement mettre en œuvre la force obligatoire des contrats, énoncée à l’article 110373 du même Code. Il confère une valeur supérieure à l’engagement consenti, dont l’exécution forcée ne serait que le prolongement naturel. L’application de cette sanction semble aisée puisque sa mise en œuvre ne nécessite qu’une mise en demeure, condition nécessaire et suffisante pour obtenir que le cocontractant défaillant s’exécute. En effet, le créancier n’a pas à rapporter la preuve d’une inexécution d’une certaine gravité74 comme c’est le cas concernant d’autres sanctions de l’inexécution. Cette simplicité n’est qu’apparente car l’exécution forcée reste soumise à deux exceptions énoncées par l’article 1221, qui limitent fortement son efficacité : « Le créancier d'une obligation peut, après mise en demeure, en poursuivre l'exécution en nature sauf si cette exécution est impossible ou s'il existe une disproportion manifeste entre son coût pour le débiteur et son intérêt pour le créancier. » La notion « d’exécution impossible » était déjà utilisée par la jurisprudence antérieure à l’ordonnance75 . En revanche, l’introduction d’une exception à l’exécution forcée en raison du « coût manifestement déraisonnable » pour le débiteur est une nouveauté76 . Inspiré par la conception économique du contrat77 et pouvant être rapproché de la politique de la Cour de cassation relative au test de proportionnalité78 , cet ajout semble inapproprié et impropre à garantir la force obligatoire des conventions79 . Il a notamment été condamné par une partie de la doctrine80 . Le créancier lésé subi en effet une altération de son droit à obtenir l’exécution forcée, suite à la mise en balance d’intérêts contradictoires : les intérêts du créancier à obtenir l’exécution forcée et son coût pour le débiteur. Le nouvel article 1221 du Code civil immisce ainsi le juge dans le contrat et des incertitudes demeurent quant aux éléments qu’il sera amené à évaluer pour se prononcer. Le coût devra-t-il être apprécié en fonction de l’objet de la prestation (conception objective) ou faudra-t-il prendre en considération les capacités du débiteur (conception 72 « Le créancier d'une obligation peut, après mise en demeure, en poursuivre l'exécution en nature sauf si cette exécution est impossible ou s'il existe une disproportion manifeste entre son coût pour le débiteur et son intérêt pour le créancier. » 73 « Les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits. » 74 D. Mazeaud, op. cit., n°8. 75 Cass. com. 16 janvier 2007, n°06-13983. 76 Sur l’absence de prise en compte du coût de l’exécution pour le débiteur préalablement à la réforme, voir Cass. 3ème civ., 11 mai 2005, n° 03-21136. Cet arrêt portait sur la construction d’une maison à laquelle il manquait 33 centimètres de hauteur, le maître d’ouvrage a obtenu la destruction et la reconstruction sans que le caractère excessif du coût n’ait été retenu par les juges. 77 T. Genicon, op. cit. 78 B. Louvel, « Réflexions à la Cour de cassation », Dalloz 2015, p. 1326. 79 H. Lecuyer, « L’inexécution du contrat », Contrats Concurrence Consommation, mai 2016, n°5. 80 Voir T. Genicon, op. cit. et M. Mecki, op. cit.
  • 15. 15 subjective)81 ? La première proposition conduirait le juge à mesurer l’appauvrissement du débiteur au regard de l’économie du contrat, auquel il est par définition étranger82 . La deuxième proposition reviendrait à nier que le consentement donné lie le débiteur. Cette notion revient par ailleurs à accorder de la clémence à un débiteur fautif comme le fait remarquer un auteur83 . Dans le cadre d’un pacte d’actionnaires, on peut notamment s’interroger sur l’interprétation du juge concernant l’exécution forcée d’une clause de bad leaver84 ou d’une clause d’exclusion sous forme de promesse unilatérale de vente. Ces clauses prévoient une décote du prix de cession qui paraîtrait disproportionnée compte tenu de la valeur de marché des actions. En effet, selon deux auteurs, on peut déduire de l'article 1221 du Code civil que les cessions considérées doivent être opérées « selon les mêmes termes et conditions pour l'ensemble des actionnaires participants85 ». Selon une conception objective, les promesses de cessions prévoyant un prix décoté feraient alors obstacle à l’admission de l’exécution forcée : elles conduiraient à une perte économique pour le promettant au regard des conditions cessions prévues pour d’autres actionnaires. Le juge pourrait alors considérer qu’elles constituent un « coût manifestement excessif pour le débiteur » pour écarter l’exécution forcée86 . L’utilisation de l’adverbe « manifestement » laisse toutefois une faculté d’appréciation au juge pour évaluer le coût de la prestation pour le débiteur au jour de l’inexécution et éviter que le moindre surcout ne prive le créancier de l’exécution de l’obligation87 . Ces deux exceptions posent un problème de sécurité juridique que les praticiens souhaiteront écarter au moyen de techniques contractuelles analysées dans la prochaine section (II. B). 2. Applications du principe de l’exécution forcée La codification du régime relatif au pacte de préférence par l’article 1123 du Code civil issu de la réforme constitue une première application du principe de l’exécution forcée. Il confirme la 81 V. Forti, « Exécution forcée en nature », Rép. soc. Dalloz, 2016, n°78. 82 Voir T. Genicon, op. cit. Le professeur Yves-Marie Laithier analyse au contraire que le juge ne pourrait être fondé à effectuer une telle évaluation. Y.-M. Laithier, « Les sanctions de l’inexécution du contrat » in La réforme du droit des contrats : quelles innovations ? (Hors-série), Revue des contrats 2016, p. 39. 83 M. Mecki, « Fiche pratique : l'exécution forcée "en nature ", sauf si… », Gaz. Pal. 2016, n°25, p. 15, n°13. 84 Les clauses dites de « good/bad leaver » ont pour objet de prévoir le rachat des titres des actionnaires-dirigeants ainsi que les conditions de ce rachat en fonction des circonstances (prévues dans le pacte) dans lesquelles ces derniers quittent la société. Ces engagements prennent la forme de promesses unilatérales. En cas de départ considéré fautif, l’actionnaire sortant sera considéré comme un bad leaver et cèdera alors ces titres, à un prix décoté, aux actionnaires bénéficiaires de la promesse. 85 J.-J. Ansault et D. Swinburne, op. cit. 86 J.-J. Ansault et D. Swinburne, « Premières réflexions sur les évolutions des opérations de fusion-acquisition », JCP E 2016, n°21, 1307. Voir toutefois A. Couret et A. Reygrobellet, op. cit., n°44. Les auteurs indiquent que cette limite ne trouverait a priori pas à s’appliquer dans le cas d’une cession de droits sociaux. 87 T. Genicon, op. cit.
  • 16. 16 sanction auparavant énoncée par la jurisprudence et conserve les mêmes conditions d’application (double connaissance par le tiers du pacte et de l’intention du bénéficiaire de s’en prévaloir). Cet article introduit en outre un mécanisme « d’action interrogatoire »88 censé permettre à un acquéreur potentiel de demander par écrit à une personne qu’il pense être le bénéficiaire d’un pacte de préférence, de confirmer dans un délai raisonnable, l'existence du pacte et s'il entend s'en prévaloir. De nombreux auteurs ont déjà émis des réserves quant à l’opportunité pour un tiers de recourir à une telle action89 . Enfin, la réforme apporte une nouveauté qui constitue une application forte de l’exécution forcée en prévoyant la nullité du contrat conclu en violation d’une promesse unilatérale. Les rédacteurs de l’ordonnance confirment ainsi l’abandon de la jurisprudence dite Consorts Cruz : « La révocation de la promesse pendant le temps laissé au bénéficiaire pour opter n'empêche pas la formation du contrat promis90 ». Cette innovation était attendue par la doctrine et les praticiens. La nullité du contrat est néanmoins soumise à la connaissance par le tiers de l’existence de la promesse91 ce qui limite la portée de cette nouvelle règle. On peut également s’interroger sur une éventuelle question prioritaire de constitutionnalité sur cette disposition car elle pourrait constituer une atteinte à la liberté contractuelle dont la valeur constitutionnelle a été reconnue92 . Un auteur explique en ce sens qu’une promesse unilatérale ne peut suffire à figer le consentement d’une partie93 et que, dès lors, l’exécution forcée ne saurait constituer la sanction d’une obligation pour laquelle le consentement n’a pas été donné94 . Concernant les conventions de vote, les limites issues du droit des sociétés continuent à s’appliquer95 . Par ailleurs, l’ordonnance n’a pas retenu l’exécution forcée dans le cadre d’une promesse de porte-fort (utilisée notamment dans le cadre des clauses de sortie conjointe)96 . B. Maintien et aménagements de mécanismes conventionnels pour améliorer l’efficacité des pactes d’actionnaires 88 Art. 1123 C. c. al. 3 et 4. 89 Voir M. de Fontmichel, « Les nouvelles actions interrogatoires », Dalloz 2016, p. 1665 ; A. Lecourt, op. cit. 90 Art. 1124 al. 2 C. civ. 91 Art. 1124 al. 3 C. civ. 92 Cons. const., 13 juin 2013, n° 2013-672 DC relative à la loi relative à la sécurisation de l'emploi, Dalloz 2014, p. 1516, obs. N. Jacquinot et A. Mangiavillano. 93 Voir note n°37. 94 En ce sens, Fabre-Magnan, « De l'inconstitutionnalité de l'exécution forcée des promesses unilatérales de vente », Dalloz 2015, p. 826. Pour une opinion plus nuancée, voir R. Mortier, « Renforcement légal de l’efficacité de la promesse unilatérale de contrat », Droit des sociétés 2016, n°4, p. 54. 95 T. Massart, op. cit. 96 Art. 1204 al. 2 C. civ.
  • 17. 17 L’exécution forcée étant désormais consacrée par le Code civil, les pactes d’actionnaires devront permettre sa mise en œuvre efficace. Cela suppose de s’assurer que toutes les conditions nécessaires à l’admission de l’exécution en nature soient en place. Par ailleurs, dans l’attente de décisions des juges précisant l’essentiel des notions, il faudra également se prémunir contre les incertitudes apportées par la réforme, notamment en usant des mécanismes conventionnels connus. 1. Le cas général de la clause d’exécution forcée En raison des limites qui entourent l’exécution forcée – notamment lorsque celle-ci est manifestement excessive pour le débiteur – il pourra être opportun de prévoir contractuellement l’exécution des obligations d’un pacte d’actionnaire, au-delà des nouvelles dispositions légales. L’article 1221 du Code civil ne revêtant pas un caractère d’ordre public, l’exécution forcée pourra s’organiser conventionnellement97 . Les rédacteurs s’interrogeront sur la possibilité d’écarter le critère de disproportion manifeste entre le coût de l’exécution forcée pour le débiteur et son intérêt pour le créancier98 . Le débiteur de l’obligation renoncera alors aux dispositions restreignant l’exécution forcée en cas de coût manifestement disproportionné. Cette renonciation pourra être stipulée dans le cadre d’engagements portant sur la cession des titres, notamment s’agissant d’une cession forcée ou conjointe sous forme de promesse, a fortiori dans les cas où une décote du prix de cession est prévue99 . Le promettant, débiteur de l’obligation, admettra en outre ne pas s’opposer à l’exécution forcée. Bien qu’une telle suppression de l’exception semble contraire à l’esprit du texte, la clause l’écartant constituerait, selon le Professeur Laithier, un « moyen de répartir et d’accepter les risques, ou un moyen de faire échec aux fautes lucratives, ou encore, plus généralement, un indicateur de la valeur ou de l’importance subjective que le créancier accorde à l'exécution en nature escomptée et qui est (ou a pu être) la raison d'être de son engagement100 ». 2. La protection des promesses unilatérales 97 Le rapport au Président de la République indique que l’ordonnance de réforme est « supplétive de volonté sauf disposition contraire ». 98 A. Lecourt, op. cit. 99 Notamment en cas de clause de bad leaver ou de clause d’exclusion sous la forme d’une promesse unilatérale. Voir supra II. A. 100 Y.-M. Laithier, op. cit. Pour une opinion contraire, voir D. Mazeaud, op. cit., n°13. Le professeur Denis Mazeaud estime notamment qu’une clause supprimant l’exception de disproportion manifeste constituerait une utilisation abusive du droit à exécution forcée dont le créancier est titulaire.
  • 18. 18 La quasi omniprésence des promesses unilatérales de vente et d’achat dans les pactes d’actionnaires a été rappelée dans les sections précédentes de la présente étude. L’exécution forcée d’une promesse dans le cadre d’une cession d’actions conclues avec un tiers en violation des droits du bénéficiaire est désormais admise mais soumise à la connaissance par le tiers de l’existence de la promesse101 . L’ajout de cette condition vise à protéger l’acquéreur de bonne foi mais affaiblit le principe d’exécution forcée. Il sera alors opportun d’organiser contractuellement la sanction de la violation de l’obligation. L’article 1124 alinéa 2 pose une interrogation supplémentaire en ce qu’il vise la rétractation « pendant le temps laissé au bénéficiaire pour opter ». Lorsque le délai d’exercice de la promesse ne débute pas au jour de la conclusion du contrat, la formulation imprécise de cet article semble, selon une interprétation littérale, permettre au promettant de rétracter efficacement sa promesse entre la conclusion du pacte (dans lequel est stipulé la promesse) et le début du délai d’exercice de celle-ci. Il semble que l’exécution forcée, telle que prévue à l’article 1124 ne pourrait alors être exigée. Une clause d’exécution forcée permettra en ce sens de se prémunir contre une rétractation précoce ou une cession d’actions à un tiers en violation d’une promesse lorsque le tiers ignorait l’existence de celle-ci102 . Une clause pénale prévoyant une indemnité pour les mêmes raisons pourra également être prévue. Le bénéficiaire s’interrogera en outre sur l’opportunité de notifier l’existence de la promesse à un tiers qu’il soupçonne de vouloir acquérir les titres. Certains praticiens proposent en outre d’insérer une stipulation statutaire indiquant la présence d’une promesse. Les statuts étant publiés au greffe du tribunal de commerce, le tiers acquéreur ne pourra faire valoir qu’il ignorait l’existence des restrictions portant sur les actions. Enfin, la possibilité que les dispositions de cet article soient déclarées inconstitutionnelles limite la sécurité juridique entourant ces conventions103 . Les mécanismes énoncés supra (I. B) et visant à sécuriser les promesses unilatérales semblent donc ne pas être privés d’intérêt. Outre la clause d’exécution forcée et la clause pénale, le séquestre ou la fiducie pourront toujours servir d’outils visant la sécurisation des promesses stipulées dans un pacte. Malgré les limites entourant le nouveau régime de la promesse unilatérale, celle-ci constituera toujours une mesure 101 Le rapport au Président que l’ordonnance de réforme est « supplétive de volonté sauf disposition contraire ». 102 A. Lecourt, op. cit. 102 Y.-M. Laithier, op. cit. Pour une opinion contraire, voir D. Mazeaud, op. cit., n°13. Le professeur Denis Mazeaud estime notamment qu’une clause supprimant l’exception de disproportion manifeste constituerait une utilisat ion abusive du droit à exécution forcée dont le créancier est titulaire. B. Cardi et F. Alogna, « M&A: key takeaways for dealmakers on the modernization of French contract law », International Institute for the Study of Cross-Border Investment and M&A. 103 Sur ce point, voir supra II. A.
  • 19. 19 utile pour renforcer les clauses de sorties conjointe (tag along) car ces dernières ne constituent traditionnellement de simples promesses de porte-fort104 . Conclusion Malgré le développement important des pactes d’actionnaires durant les dernières décennies, ceux-ci ne disposaient pas d’une force obligatoire garantissant l’exécution des obligations de chaque partie. L’efficacité de ces conventions régissant l’organisation du capital et du pouvoir politique au sein d’une société s’en trouvait incertaine. Aussi, les mécanismes contractuels développés par les praticiens pour sécuriser les clauses relatives au capital et à l’organisation du pouvoir politique comportaient des limites qui ne permettaient pas de prévenir pleinement l’inexécution. La réforme du droit des contrats était attendue pour améliorer la force obligatoire de ces conventions en admettant notamment le droit à l’exécution forcée et en renforçant le régime des promesses unilatérales. Les apports des nouvelles dispositions ont toutefois été amoindris par les diverses conditions et limites prévues. Malgré des précisions et des codifications attendues par les praticiens, ces nouveautés ne conduiront pas nécessairement à une simplification de la mise en œuvre des pactes d’actionnaires car elles ne supprimeront pas le recours à des mécanismes supplétifs, contractuellement convenus, de sécurisation (stipulation de clauses d’exécution forcée, clause pénale, recours au séquestre…). A l’avenir, l’efficacité des pactes d’actionnaires pourrait provenir de progrès techniques, matérialisés par des développements récents autour de la Blockchain105 . Cette technologie serait en mesure d’offrir de nouvelles opportunités aux praticiens pour s’assurer de la mise en œuvre des pactes d’actionnaires en empêchant matériellement toute cession d’actions contraires aux stipulations contractuelles106 . 104 Pour rappel, la violation des clauses de porte-fort entraine l’octroi de dommages-intérêts de la part du promettant (Art. 1204 al. 2 C. civ.). 105 « La blockchain est une technologie de stockage et de transmission d’informations, transparente, sécurisée, et fonctionnant sans organe central de contrôle » (Blockchain France). 106 B. Dondero, « "Smart contracts", pacte d'actionnaires et droit de préemption », Affiches parisiennes, 16 mai 2016.