Le débat politique autour des questions de fiscalité internationale, d'une actualité brulante, nous confronte souvent à des questions de moralité.. Prenons l'exemple des divergences qui nous opposent à l'UE en matière fiscale...
1. LE POINT SUR …
DROIT FISCAL, JUSTICE FISCALE, MORALITÉ
Le débat politique autour des questions de fiscalité interna- tunées recherchent des lieux fiscalement concurrentiels,
tionale, d’une actualité brûlante, nous confronte souvent à comme la Suisse justement par rapport à ses grands voisins.
des questions de moralité. Prenons l’exemple des divergences Pour les Suisses, les privilèges fiscaux sont équitables. Les
qui nous opposent à l’UE en matière fiscale: le non-assujetis- entreprises qui réalisent leurs bénéfices principalement en
sement de certains bénéfices d’entreprises à l’impôt cantonal Suisse ne se sentent pas discriminées. Le montant des impôts
et communal pour des raisons de privilèges fiscaux est-il mo- semble raisonnable pour la majorité des Suisses, ce qui expli-
ralement défendable? Ou celui de la communication de que que la soustraction fiscale ne soit pas véritablement un
renseignements à des Etats étrangers: peut-on moralement sport national dans ce pays. Il n’y a donc pas besoin de renfor-
justifier le fait de ne pas sanctionner pénalement la soustrac- cer les sanctions (pénales). Et il n’y a pas de raison de soutenir
tion fiscale, de refuser à un Etat étranger les renseignements d’autres Etats à imposer des sanctions plus sévères que celles
qu’il demande et de ne pas l’aider à imposer son droit à ses qui s’appliquent à nos propres contribuables.
contribuables?
Moralité. Si cette évaluation du droit fiscal et les explications
Droit fiscal. Avant de répondre à ces questions, examinons fournies sur la justice fiscale laissent subsister des doutes
la situation juridique. Il est clair que la Suisse n’a pas enfreint quant au bien-fondé de la position suisse, on peut encore faire
l’accord de libre-échange invoqué par l’UE dans le litige fiscal. appel aux intérêts d’une société reposant sur l’Etat-nation: il
N’étant pas membre de l’UE, la Suisse n’est pas tenue de res- s’agit «pour l’essentiel de la (...) sécurité, de l’intégrité de la vie
pecter le «code de comportement», c’est-à-dire les règles que politique et du bien-être de la population. Ces besoins ne sont
les Etats membres de l’UE se sont eux-mêmes imposés en 1997 pas empreints de morale. Ce sont des nécessités incontourna-
en matière de concurrence fiscale (règles contournées de ma- bles de l’existence nationale qu’il est impossible de juger selon
nière récurrente). Par ailleurs, les privilèges fiscaux suisses les critères du bien et du mal» (George Kennan: Morality and
ont été mis en place au cours des décennies aux niveaux fédé- Foreign Policy; Foreign Affairs, hiver 1985–86. Cité dans: Ma-
ral et cantonal selon un processus démocratique; ils s’appli- deleine Albright: The Mighty and the Allmighty 2006; p. 67).
quent à égalité aux entreprises suisses et étrangères et ne sont Les processus démocratiques en Suisse et, partant, l’intégrité
donc pas discriminatoires. de la vie politique sont indubitables. Dans un Etat sans res-
Le droit fiscal suisse prévoit des rappels d’impôts et des sources naturelles, la séduction fiscale est vitale. Elle est no-
amendes fiscales en cas de soustraction fiscale. Le fait que, tamment le garant d’emplois dans les entreprises, le com-
chez nous, la fraude fiscale qualifiée soit pénalement sanc- merce et la place financière importante, mais aussi dans le
tionnée, mais pas la soustraction fiscale simple, est une «ex- secteur de la construction ou dans les ménages privés. La dé-
ception helvétique» qui ne change rien au fait que la soustrac- fense et la poursuite de l’amélioration de la compétitivité fis-
tion fiscale est également punie dans notre pays. Dans toutes cale internationale sont moralement défendables et indispen-
les conventions de double imposition conclues à ce jour, la sables pour notre pays.
Suisse a su imposer qu’elle fournit des renseignements (tout
au plus) lorsque des actes pénalement significatifs ont égale- Stephan Kuhn, membre de la Commission de rédaction
ment été commis sur son territoire. «L’Expert-comptable suisse»
Justice fiscale. Le droit d’un Etat peut être compris comme
codification du sentiment de justice de ses citoyens. Toute-
fois, la perception individuelle n’est pas forcément identique
au droit en vigueur, notamment sur le montant de l’impôt.
C’est ainsi que les entreprises et les personnes physiques for-
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