Leaders de demain : le modèle Daft Punk ou le triomphe de l'humilité
1. Leaders
de
demain
:
le
modèle
Daft
Punk
ou
le
triomphe
de
l’humilité
Suite à mes différents « posts » relatifs au leadership, on me questionne très
souvent sur les qualités principales que le dirigeant de demain se doit de
posséder impérativement. Il en est une qui me semble fondamentale et dont
on ne parle pas assez : l’humilité.
Dans mon dernier ouvrage « Leaders du troisième type », publié aux
Editions Eyrolles, j’aborde ce point en particulier. Avec l’accord de l’éditeur, je
partage avec vous quelques pages qui traitent de ce sujet.
Extrait du livre « Leaders du troisième type »
Je me souviens d’un soir de Décembre 2012 où j’animais une session sur le
leadership dans un master spécialisé sur le campus d’HEC Paris. Le groupe
ne tarissait pas de questions. Certaines reviennent du reste inlassablement :
« Quelles qualités doivent posséder les leaders ? », « Comment devient-on
un leader ? », « Est-ce inné ? », « Quelle différence existe-t-il entre un
manager et un leader ? » D’autres sont plus spécifiques, moins courantes.
L’une d’elles me revint à l’esprit : « Comment expliquer qu’il y ait autant de
leaders à se laisser entrainer dans des actes immoraux, inappropriés, à la
limite parfois de la légalité ? »
Nous en connaissons tous à présent la raison principale. Elle porte la marque
du narcissisme. Comme nous avons pu le voir dans la seconde partie de cet
ouvrage, les leaders sont en effet pour l’essentiel d’essence narcissique. Des
narcissiques dominants. Des narcissiques qui peuvent être de plus
« productifs » — pour le meilleur — ou « destructeurs » — pour le pire. De
façon générale, les narcissiques présentent toutes les qualités requises pour
diriger et inspirer les autres. Mais il arrive un moment où le succès leur monte
à la tête. Incapables de maitriser leurs pulsions, de gérer leur ego, leur
2. nombrilisme — un amour d’eux-mêmes immodéré — ils pensent que ce qui
s’applique aux autres ne saurait leur être opposé. Ils considèrent avoir tous
les droits eu égard à leur contribution personnelle. Tôt ou tard, ils sombrent,
particulièrement lorsqu’ils sont sous les feux des projecteurs. Les raisons de
leur déviance sont généralement de trois ordres : un goût excessif pour le
pouvoir, l’appât du gain, un appétit sexuel démesuré. Ce n’est généralement
qu’une question de temps, du moins pour la plupart d’entre eux car certains
— conscients des risques encourus — parviennent à se placer eux-mêmes
sous un contrôle strict.
“Je venais juste d’allumer la radio de ma voiture lorsque
« Get Lucky » des Daft Punk retentit dans l’habitacle [...] il
fallait transposer le style « Daft Punk » à l’entreprise !”
J’avais répondu au travers de quelques exemples vécus et de tout ce que
j’avais appris depuis la fameuse « révélation d’Oxford ». Mais c’est après ce
cours, ce soir-là, en en quittant Jouy-en-Josas, que j’eus un nouveau déclic.
Les images permettent parfois d’exprimer plus de choses que de longs
développements. Je venais juste d’allumer la radio de ma voiture lorsque
« Get Lucky » des Daft Punk retentit dans l’habitacle. Le titre phare —
emblématique d’une génération — illumina mon esprit et me fournit une
nouvelle grille de lecture. Tout me parut soudainement d’une parfaite
évidence. Il fallait transposer le style « Daft Punk » [1]à l’entreprise ! Tout le
monde connaît le groupe français qui caracole en tête des ventes à chaque
sortie d’un album.
Dans un monde où l’image est devenue reine, où chacun joue des coudes
pour être vu et reconnu, où la sur-médiatisation a pris le pas sur tout le reste,
il est plutôt singulier de voir deux artistes — à la notoriété aujourd’hui
mondiale — soucieux de se protéger et de garder leur indépendance, comme
s’ils voulaient garder leurs rêves intacts.
Crédit image : Clod
3. L’idée de répliquer ce que nous pourrions appeler le modèle « Daft Punk » au
monde de l’entreprise me fit tout d’abord sourire. J’imaginais tous ces cadres
et dirigeants casqués en combinaison déambulant dans les couloirs des
sièges sociaux à la recherche d’un leadership idéal. Et si l’humilité était
finalement plus efficace que le coaching ou la technique du « fou-du-roi »
pour mettre les narcissiques sous contrôle ? Si elle permettait d’éviter les
débordements évoqués précédemment. La solution serait donc en chacun de
nous. Ne pourrait-on pas maitriser nos pulsions internes en développant une
forme d’humilité ? L’humilité comme rempart à la stupidité, à l’excès et aux
actes contraires à l’intérêt général. Serait-il possible de combiner narcissisme
et humilité pour un même individu ? Alors que je me rapprochais de Paris, je
pensais que cela était tout simplement impossible. Et pourtant, je devais
admettre que ce serait la meilleure combinaison possible. Une façon de
garder les côtés bénéfiques des narcissiques sans en avoir les nuisances !
“La solution serait donc en chacun de nous. Ne pourrait-
on pas maitriser nos pulsions internes en développant une
forme d’humilité ? “
Venant du mot latin « humilitas », dérivé de « humus » signifiant la « terre »,
l’humilité est un trait de caractère que l’on associe rarement au leadership. Du
moins pas spontanément. Il est facile d’en comprendre les raisons. Un
individu faisant preuve d’humilité se voit pour ce qu’il est, avec beaucoup de
réalisme. Et c’est bien entendu en totale opposition avec les narcissiques qui
dominent le monde actuel et qui se considèrent généralement comme
supérieurs aux autres en tous points. Ils ont une image d’eux-mêmes
rarement conforme à ce qu’elle est vraiment. Il y a en eux un zeste de
prétention, de suffisance ou d’arrogance. Certains parlent d’un goût exacerbé
pour tout ce qui touche au grandiose. Le problème est qu’à partir d’un certain
stade, cela peut relever d’une forme de pathologie.
La force de l’humilité
Gardons à l’esprit que l’humilité n’est pas une qualité innée chez les êtres
humains, ce qui veut dire qu’elle s’acquiert avec le temps. Avec l’expérience,
on gagne en maturité, on en sait davantage sur nous-mêmes et les autres.
On se forge un caractère plus solide — tant sur le plan affectif, intellectuel
que spirituel — tout en prenant conscience de notre rôle et de notre place au
milieu des autres, dans l’univers, dans l’entreprise qui nous emploie, dans
notre vie privée, au milieu de nos amis, de notre famille, dans notre couple.
Tout en étant conscient de notre valeur, on apprend à considérer les autres et
à vraiment s’intéresser à eux. Faire preuve d’humilité, c’est accepter les
différences, nos propres limites et nos imperfections. Mais c’est aussi
connaitre ses qualités et points de différenciation. La modestie — que l’on
confond souvent avec l’humilité — n’en est qu’une représentation. L’individu
faisant preuve d’humilité est donc par essence très lucide sur lui-même. Il l’est
aussi sur les autres. Sa force n’en est que décuplée.
Quand le narcissique rencontre l’humilité !
4. Annoncée ainsi, la rencontre semble improbable. Oxymorique, cette
association de traits est pourtant peut-être l’une des solutions les plus simples
à la vacance actuelle de leadership. Pour contourner leurs limites, les
narcissiques n’auraient peut-être qu’à développer un peu plus d’humilité. Un
comportement plus humble est en réalité la condition sine qua none à
l’accomplissement de grands desseins. Du moins aujourd’hui. Car les temps
changent, nos repères évoluent et bien qu’il y ait un socle commun, les
qualités d’hier ne sont plus exactement celles qui conviennent de nos jours.
Napoléon Bonaparte — narcissique pur — n’avait probablement que peu
d’humilité. Cela ne l’a pas empêché de marquer l’histoire. Mais c’était une
autre époque. Il fut un empereur redouté par toutes les nations environnantes.
Il fut respecté en son temps par ceux qui l’entouraient. Il serait aujourd’hui
considéré comme un tyran, comme un dictateur au même titre que ceux qui
ont été combattus au cours des deux dernières décennies. Notre regard et
nos valeurs ne sont plus les mêmes.
Les narcissiques productifs purs peuvent réaliser de grandes choses mais
rarement atteindre le stade ultime du leadership. La question qui suit est de
savoir comment acquérir ce supplément d’humilité. Si pour la plupart des
gens, elle se gagne avec le temps — ce qui ne présage en rien du résultat
obtenu — pour les narcissiques, c’est un peu plus compliqué en ce sens qu’ils
ne la recherchent pas. En effet, ces derniers n’ont aucun intérêt pour ce trait
de caractère. L’humilité est généralement perçue par eux comme une
faiblesse ! Il faut donc la leur enseigner. En comprenant son essence et
finalement convertis à ses vertus, ils pourront devenir des leaders plus
aboutis, ceux que notre société moderne appelle aujourd’hui de ses vœux.
[1] Daft Punk est un groupe français, composé de Thomas Bangalter et Guy-Manuel de
Homem-Christo, tous deux originaires de Paris. Spécialisés dans la musique électronique, ils
lancent un style que l’on qualifie de « French touch ». Leur succès est planétaire et leurs
albums font fureur. Début 2014, ils remportent cinq Grammy Awards pour l’album « Random
Access Memories » sous le label Columbia Records. Mais ce qui est particulièrement
intéressant est qu’ils n’apparaissent jamais à visages découverts. Sur scène, ils surgissent en
costumes futuristes, casqués[2]. C’est devenu leur marque de fabrique. Ils ont crée leur
propre mythe. Mais comment interpréter ce désir d’anonymat.
[2] L’inspiration viendrait du film de Brian de Palma : « Phantom of the Paradise ».