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Un bon QI ne suffit plus pour être un
leader !
Comme je l’écrivais dans l’un de mes précédents billets publié en Janvier 2016 —
« Uber, Airbnb, Booking.com … ces nouveaux acteurs qui rebattent les cartes » —
l’après-guerre a vu émerger une nouvelle catégorie de dirigeants, essentiellement
des ingénieurs. Il y avait bien sûr de nombreuses raisons pouvant expliquer cette
montée en puissance, la plus évidente de toutes étant la nécessité de reconstruire
une industrie détruite par le chaos du second conflit mondial. Et effectivement, les
ingénieurs devenaient dès lors déterminants pour retrouver une économie
européenne florissante. Nous savons que les désastres, les guerres, les
dévastations laissent souvent place à des périodes plus heureuses, où tout semble à
nouveau possible. Ce fut indéniablement le cas des trente années qui suivirent
l’armistice, surnommées les « trente glorieuses ». Elles ont été d’autant plus
essentielles qu’elles ont vu naitre la société de consommation !
« Un monde de rationalité »
Alors que les idées dominaient le monde d’avant-guerre — les étudiants de bonne
famille visaient l’obtention du bac philo avant de conquérir Normale Sup dans la
même discipline —, tout bascule après l’apocalypse. Un univers de rationalité vient
s’imposer à tous. Désormais, on analyse les problèmes qui se présentent avec
méthode et sens logique. Ce n’est pas tant bien sûr qu’on ne le faisait pas
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auparavant mais certainement pas de façon aussi mécanique. Le mode opératoire
change, comme le système de management. On décortique les obstacles en sous
problèmes pour trouver la solution parfaite. Une équation, des variables, une ou
plusieurs inconnues, mais une et une seule solution. Dans un monde cartésien,
l’ingénieur ou le scientifique est plus à son aise que toute autre personne. Il est
devenu peu à peu le leader de référence et va s’installer aux postes de pilotage pour
plus de cinquante ans en réalité, sous d’autres traits parfois. Lorsque les financiers et
les marchés s’imposent dans les années 90 et au début de la décennie suivante, ils
présentent des caractéristiques finalement assez similaires à celles de leurs ainés.
Ce sont souvent en effet des ingénieurs qui ont complété leur cursus d’un MBA.
« Le progrès technologique a tout changé »
La naissance d’internet est venue modifier la donne. D’un coup, nous sommes entrés
dans la troisième révolution industrielle, l’âge de l’information. Du jour au lendemain,
ou presque, la connaissance qui assurait une forme de pouvoir devient accessible au
plus grand nombre, ou du moins dans un premier temps à un plus grand nombre.
Dès lors, il ne s’agit plus vraiment de détenir un savoir en tant que tel, mais d’avoir la
bonne information au bon moment pour prendre la bonne décision. Les données
deviennent peu à peu le carburant de la nouvelle économie. Les profils des leaders
connaissent alors une mutation franche. On commence à raisonner en termes
d’usage ou de besoin. Mais c’est sans doute l’avènement de la quatrième révolution
industrielle qui va projeter le monde dans une autre dimension. Là, la technologie
n’est plus une contrainte. Tout devient possible. Le cloud, la gestion des gros
volumes de données, les développements agiles et les objets connectés autorisent
toutes les folies et libèrent les énergies. Elle débute au milieu des années 2000 et
c’est un peu comme si on enlevait toutes barrières. Certes, la technologie ne peut
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tout expliquer. Nous savons que le capital humain au sens large du terme et la
capacité au changement s’avèrent bien souvent déterminants. Mais la maitrise
technologique reste un préalable. Lors de l’émergence de la première vague de
startup dans les années 1995-1999, c’est bien elle qui fit défaut. C’est en tout cas
l’une des raisons essentielles de l’éclatement de la bulle internet en 2000, la
promesse technologique n’ayant finalement pas été au rendez-vous. Rien de tel
aujourd’hui.
« La créativité, nouveau moteur de la croissance
mondiale »
Il nous faut indéniablement une nouvelle génération de leaders pour relever les défis
qui nous font face aujourd’hui. Ils sont différents de ceux qu’ont eu à régler les
générations passées, celles que nous décrivions précédemment. Les dirigeants à
venir vont devoir tracer de nouvelles routes pour le bien de l’humanité. Ils devront
être sources d’inspiration pour tous, en donnant du sens à l’action commune et
individuelle, en replaçant l’enjeu collectif au cœur de l’action. Dans le monde de
demain, le travail devient collaboratif. Il s’agit dès lors de faire travailler ensemble
des compétences multiples, complémentaires, souvent disparates. Il faut avoir une
sensibilité différente pour mieux comprendre les évolutions actuelles, faire de
l’intergénérationnel une réalité et intégrer les diversités. C’est d’autant plus important
que nous venons d’un monde de biens et de services pour nous diriger vers une
économie des idées. Cette transition va impliquer des changements profonds. A tous
les niveaux. D’abord, en ce qui concerne les compétences. Ensuite, le modèle
sociétal va forcément être impacté. On raisonne depuis des décennies en termes de
durée du travail et de productivité quand peu à peu émerge une notion de valeur
ajoutée produite. Hier, on cherchait à mesurer le nombre de biens produits par une
personne en une heure. Demain, on jugera les idées déterminantes qu’elle aura eu
dans son travail pour faire avancer les choses ou mieux pour créer une rupture et
donc un avantage compétitif. La valeur ne pourra plus se mesurer en temps travaillé
mais en valeur générée. Il est évident que les modèles sociaux actuels vont
profondément changer dans les temps à venir pour s’adapter à ce fait majeur : la
créativité est devenue le nouveau moteur de l’économie mondiale. Dans ce
monde, à l’inverse du précédent, la solution unique n’existe pas forcément,
l’ingénieur a sa place mais il n’est plus seul maitre à bord. Les mathématiques ne
sont plus le seul critère de sélection.
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« L’intelligence se doit demain d’être multiforme »
Nous vénérons depuis des décennies une des formes de l’intelligence humaine.
Celle que l’on qualifie d’analytique. D’abord parce qu’elle correspondait bien aux
enjeux qui étaient les nôtres depuis l’après-guerre, ensuite parce que l’on sait
parfaitement la mesurer grâce au QI (Quotient Intellectuel). Mais il en existe six
autres formes : spatiale, physique, musicale, linguistique, interpersonnelle et
intrapersonnelle. Ne considérer que la forme analytique serait réduire le potentiel
humain à une seule forme d’expression. En réalité, deux d’entre elles se détachent
comme étant vitales dans la formation des leaders à venir : l’intelligence
relationnelle et l’intelligence émotionnelle.
Notre propos n’est pas bien entendu d’amoindrir l’importance de l’intelligence logico-
mathématique. Il serait complexe de diriger une entreprise ou un gouvernement avec
un QI faible. La complexité du monde actuel exige en effet des esprits bien affutés.
Mais inversement, les plus belles mécaniques intellectuelles peuvent se gripper si
elles s’avèrent incapables de s’entourer ou de saisir les sensibilités qui les entourent.
Dans l’incapacité de gérer leurs émotions et celles des autres, il peut vite leur être
difficile de trouver les compromis nécessaires, de comprendre où sont les blocages
et d’évaluer l’importance des forces et des résistances en présence. Or, dans un
monde où le relationnel et les réseaux dominent, ce sont là des atouts essentiels. Et
alors que le créatif occupe aujourd’hui une position centrale, gageons qu’allier de
multiples formes d’intelligence pour mieux comprendre notre société et mieux réagir
à ses évolutions va devenir un véritable champ différentiel.
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Le leader de demain sera davantage tourné sur les autres. Bien entouré, sensible,
agile, réactif, humain, il sera doté de qualités de perception hors norme et fera
souvent appel à son intuition. Bien analyser ne suffira pas pour réussir. Ce sera par
contre une condition nécessaire … mais pas suffisante pour diriger. Il faudra
expérimenter, se tromper, modifier, pivoter, en équipe, dans un esprit collaboratif.
Pour écrire de nouvelles pages au modèle économique, social et sociétal que nous
connaissons.