1. Naissance d’une nouvelle génération de
managers formés au multiculturalisme
Les entreprises prennent petit à petit conscience de l’importance d’une bonne gestion du multiculturalisme. Car la
diversité culturelle peut être un atout ou un handicap. L’exemple de IATA, l’association faîtière des compagnies aériennes,
composée d’environ 1500 collaborateurs de 140 nationalités, est un beau cas d’école.
Comment faire de la diversité culturelle une
force plutôt qu’un handicap? C’est la question
qui s’impose aujourd’hui à toutes les entrepri-
ses, petites ou grandes. Car si la diversité cul-
turelle représente assurément un atout, mal
gérée, celle-ci peut également être une source
de blocages. Cette gestion du management
interculturel passe donc par la recherche d’un
équilibreentrel’identitépropredel’entreprise
et les diversités sociales et culturelles des col-
laborateurs qui la composent. «Il est avant
tout nécessaire de prendre conscience de ses
propres valeurs culturelles et de son propre
style de communication, tout en tenant
compte de la multitude de perceptions et de
points de vue qui existent forcément dans une
équipe multiculturelle», explique Ariane Cur-
dy, formatrice et consultante interculturelle
pour de nombreuses entreprises suisses et
étrangères.
Ce sont souvent les cultures proches
qui génèrent le plus de malentendus
Le problème d’une bonne gestion de
l’interculturalité se révèle le plus souvent lors
de fusions-acquisitions internationales ou ré-
gionales. Dans ce dernier cas, il est parfois
surprenant de constater que la proximité géo-
graphique n’est pas gage d’une plus grande
compréhension. «Ce sont souvent des cultures
proches qui génèrent le plus de malenten-
dus», raconte Ariane Curdy. Lors d’une fusion
entre une entreprise de téléphonie française
et une société suisse, la consultante a dû désa-
morcer toute une série de conflits latents liés
aux valeurs professionnelles et la flexibilité
de l’employé. «Pour les Suisses, il était cho-
quant de voir leurs collègues français débar-
quer à 9 heures du matin alors qu’eux étaient
à pied d’œuvre depuis plus d’une heure. A
l’inverse, les Français étaient surpris de cons-
tater que les Suisses quittaient l’entreprise à
18 heures pile, alors qu’eux étaient disposés à
rester travailler plus tard.»
Les clichés ont parfois la vie dure. Comme
l’asiatique respectueux et méticuleux ou
l’Africain à l’image décontractée. Les Russes,
par exemple, estiment qu’«il vaut mieux pas-
ser une soirée avec un Français et signer un
contrat avec un Allemand.» Mais en même
temps, ignorer ces poncifs peut être synonyme
de sacrées déconvenues. «L’interculturalité à
beaucoup à voir avec la perception, souligne
Ariane Curdy. Pour travailler en harmonie, la
connaissance de l’autre est primordiale.»
Reconnaître l’impact de la culture sur
les relations personnelles
Quelle influence exerce alors la culture sur la
structure et les processus d’organisation
d’une entreprise? Quelle dimension cultu-
relle stimule ou au contraire entrave les ef-
forts d’évolution? Bon nombre de dirigeants
de sociétés reconnaissent l’influence de la
culture sur les relations interpersonnelles. Il
leur est plus difficile d’admettre son impact
sur les rouages de l’entreprise. Pourtant, de-
puis les années 60, de nombreux sociologues
se sont penchés sur ces questions. Geert Hof-
stede est l’auteur de l’une des principales étu-
des sur l’impact des différences culturelles en
matière de management*.
Cetteétudeaétémenéeauprèsdes116000
employés d’une grande firme américaine
d’informatique dans 40 pays pour connaître
les préférences de style de management.
Hofstede a identifié quatre axes: distance hié-
rarchique, individualisme et collectivisme,
aversion pour l’incertitude, masculinité et
féminité (voir tableau).
Les multinationales ont bien compris
tout l’intérêt d’une bonne gestion du multi-
culturalisme. Des sociétés telles que Nestlé ou
Procter&Gambletravaillentdepuislongtemps
sur la gestion du multiculturalisme. Une anti-
cipation qui a un coût, mais qui est moindre
qu’une intervention a posteriori.
Conscientes de l’importance d’un ma-
nagement interculturel digne de ce nom, cer-
taines entreprises ont développé leurs propres
stratégies. Comme IATA, l’association faîtière
*Geert Hofstede: Cultures conséquences, éd. Sage Publica-
tions, 2001; www.geert-hofstede.com
IndividualistCollectivistIndividualism(IDV)
5
15
25
35
45
55
65
75
85
95
10 30 50 70 90 110
Small Power Distance (PDI) Large
• Costa Rica
• Israel
• Denmark • Canada Quebec
• Japan
• India
• Belgium FR
• France
• Switzerland FR
• New Zeeland
• Finland
• Germany
• Norway
• Sweden
• UK
• United Staates
• Pakistan
• Ecuador • Guatemala
• Venezuela
• Indonesia
• Thailand • Singapore
• Hong Kong
• Turkey
• Iran • Arabs
• Russia
• Philippines
• Romania
• China
• Mexico
• Brazil
Power Distance vs Individualism (G. Hofstede) *
HR Today Le journal suisse des ressources humaines
HR Today 5 octobre 2008
2. des compagnies aériennes, par essence con-
frontée à l’interculturalisme. Cette entreprise
est composée d’environ 1500 collaborateurs,
dont 350 à Genève et 350 à Montréal. Les au-
tres employés sont répartis dans les 72 bu-
reaux éparpillés sur l’ensemble du globe.
«Nous comptons près de 140 nationalités au
sein de l’entreprise», souligne Guido Gianas-
so, vice-président du département «capital
humain» d’IATA. Les Suisses représentent 12
pour cent de notre effectif, les Britanniques
près de 15 pour cent; aucune autre nationali-
té ne dépasse 10 pour cent du total des effec-
tifs en place à Genève. «Ces horizons multi-
ples sont à la fois une force, et un défi», estime
le DRH. Le management interculturel se situe
donc au cœur de la gestion des ressources hu-
maines de l’association du transport aérien.
D’autant que pour IATA, les grands enjeux
commerciaux se situent aujourd’hui en Asie,
en Chine et en Inde notamment.
Comment se développer en Asie, au
Moyen-Orient et en Amérique du sud
Le «Pays du Milieu» est en effet la nation qui,
ces cinq dernières années, connaît une pro-
gression des plus fulgurantes en termes de
potentiel de développement pour le marché
aérien. La Chine a émis près de 113 millions de
billets d’avion en 2007. Ce n’est pas tout. An-
nuellement, l’empire augmente son volume
de vente de tickets de 20 millions, l’équivalent
des pays européens les plus importants. A ter-
me, l’Asie, mais aussi le Moyen-Orient et
l’Amérique du sud représenteront le marché
le plus important en termes de chiffre
d’affaires des compagnies aériennes.
«Pour continuer notre développement en
Chine – il y a cinq ans nous avions 20 collabo-
rateurs, ils sont maintenant 100 – le défi n’est
pas la langue. Ni la politique ou le système
législatif, mais un défi bel et bien culturel.
Pourquoi? Parce que, schématiquement, les
Occidentaux sont très individualistes avec
une relation à la hiérarchie assez informelle.
En Asie ou dans les pays du Moyen-Orient, le
«Power-distance» est élevé, et la structure hié-
rarchique est très codifiée.» Une évidence qui
pourtant n’est pas suffisamment prise en
compte par des sociétés qui considèrent que
Business is business, et que finalement, on
trouve toujours un terrain d’entente. Fatale
erreur.
Mais comment alors IATA s’y est-elle donc
prise pour éviter les déboires qu’ont connu
d’autres entreprises d’envergure? «Nous avons
trois options, explique Guido Gianasso. La pre-
mière consiste à envoyer là-bas un de nos ca-
dres, formé à un management plutôt anglo-
saxon, avec une forte probabilité pour que
cela ne fonctionne pas. La seconde, embau-
cher sur place un manager chinois. Le risque?
Sa trop grande autonomie et une perte de con-
trôle de la situation. La troisième possibilité:
engager un cadre biculturel; un Chinois de
Hong-Kong ou un Occidental résidant depuis
longtemps en Chine et maîtrisant donc parfai-
tement les codes. Le problème, c’est que ce
profil est extrêmement rare et donc très de-
mandé. Par conséquent, ils sont considérés
comme peu fidèles à leur employeur». IATA a
donc exploré une quatrième piste, maison
celle-ci. «Nous avons décidé de former nous-
mêmes une nouvelle génération de managers
capables de travailler dans des environne-
ments avec des codes sociaux différents»,
s’enthousiasme Guido Gianasso. Le but: app-
rendre à des Chinois et à des Occidentaux à
travailler ensemble, à transcender leurs pro-
pres valeurs et cultures.
Forger une vraie philosophie multi-
culturelle auprès des cadres
Nom de code de ce programme: I-Lead, pour
Intercultural Leadership Engagement and De-
velopment. Vingt personnes à haut potentiel
travaillant dans les différentes succursales de
l’entreprise - Brésil, Singapour, Manille,
Montréal, Genève, etc. – sont sélectionnées
pour intégrer I-Lead. En octobre 2007, vingt
cadres ont été envoyés à Pékin pour la premi-
ère édition de ce programme pour y suivre un
workshop d’une semaine animé par le di-
recteur général de IATA Giovanni Bisignani,
en présence des membres du comité exécutif.
Une manière de montrer que ce programme
de management interculturel est d’une im-
portance capitale pour l’association représen-
tante de l’industrie aérienne. Lors de ce sémi-
«Il faut d’abord prendre
conscience de ses propres
valeurs culturelles et de son
style de communication.»
Ariane Curdy, formatrice en diversité culturelle
«Nous favorisons une
culture commune et une vraie
philosophie multiculturelle
propre à IATA.»
Guido Gianasso, DRH chez IATA
HR Today 5 octobre 2008
3. naire, les participants ont suivi une for-
mation sur les deux cultures et travaillé
sur la stratégie d’entreprise. A la fin de
la semaine, les vingt cadres sont assem-
blés en binôme; un Oriental et un Occi-
dental. Ensuite? En binôme toujours,
direction un des 74 bureaux de la compa-
gnie pour un travail de quatre mois en
collaboration avec une petite équipe de
dix juniors basés sur place. «Cela leur
permet de vivre au quotidien les diffé-
rences culturelles, de les surmonter en
cas de problèmes», poursuit le DRH. Cha-
que équipe élargie planche sur un projet
spécifique qui est ensuite présenté au
directeur général et son état-major. «Et
ça marche! estime Guido Gianasso. Par
ce programme, nous favorisons une cul-
ture commune qui permet de dépasser
les différences et de forger une vraie phi-
losophie multiculturelle propre à IATA.»
Fort du succès de I-Lead, en septembre
vingt nouveaux sélectionnés se sont en-
volés pour New-Delhi pour le deuxième
I-Lead. Car l’Inde représente un autre
marché d’importance pour les compa-
gnies aériennes.
Le secteur privé n’est pas le seul
à se soucier de l’interculturel
Les sociétés à visée commerciale ne sont
pas les seules structures ou le manage-
ment interculturel a son importance, les
organisations internationales du type
ONU ou les ONG comme le CICR ou Mé-
decins sans frontières. MSF dispense une
«Préparation premier départ» à Genève
qui dure une semaine. Une journée de ce
module est consacrée à l’approche inter-
culturelle. L’ONU, en revanche, n’offre
pas de cours préparatifs à l’intercultura
lité, mais une formation de deux jours
de «sensibilisation aux différences», un
séminaire à choix que les collaborateurs
onusiens peuvent trouver dans
l’imposant catalogue de cours proposé
par l’ONU.
Dans un registre plus académique,
l’Ecole Polytechnique Fédérale de Lau-
sanne (EPFL) offre également une appro-
che à l’interculturalité. Avec 107 natio-
nalités et plus de 50 pour cent de pro-
fesseurs provenant de l’étranger, l’EPFL
est un des sites universitaires les plus
cosmopolites au monde. Le but de ce sé-
minaire n’est évidemment pas de facili-
ter le commerce, mais de permettre aux
étudiants étrangers de confronter leurs
visions de la Suisse. Marc Lalive d’Epinay
Trois livres sur les équipes
multiculturelles
Fruit de la collaboration de nombreux experts
internationaux dans le domaine de la gestion,
cet ouvrage commence par une partie théo-
rique pour se familiariser avec les diverses
approches d’analyse interculturelle et cerner
les problématiques clés propres à
l’internationalisation des entreprises, avec
des pratiques de gestion sensibles à
l’interculturel. La seconde partie s’intéresse
aux spécificités des cultures nationales d’une vingtaine de pays.
Très utile pour un cadre destiné à une période d’expatriation. Le
DVD qui vient avec est un bon plus.
Jean-François Chanlat, Edouardo Davel et Jean-Pierre Dupuis:
Gestion en contexte interculturel
Approches, problématiques, pratiques et plongées
Ed. PUL, 2008, 488 pages + un DVD, ISBN: 978-2-7637-8504-2
Cette recherche de Christophe Barmeyer mon-
tre que le développement de compétences
transcendant les frontières et la faculté
d’intégration au sein de groupes de travail inter-
nationaux sont étroitement liés au profil de la
personnalité des collaborateurs concernés. La
connaissance de styles culturels typiques et
l’aptitude à combiner des caractéristiques com-
portementales individuelles pour en faire des forces complémen-
taires fournissent ainsi d’importantes aides d’orientation et des
esquisses de solutions pour les défis que présente le manage-
ment interculturel.
Christophe Barmeyer
Management interculturel et styles d’apprentissage
éd. PUL, 2007, 288 pages, ISBN 978-2-7637-8448-9
Cet ouvrage réunit les concepts théoriques es-
sentiels aux outils de la gestion RH internatio-
nale avec les cas pratiques. Avec une approche
détaillée des processus suivants: recrutement
de salariés au profil international, développe-
ment des compétences à travers les filiales,
élaboration et introduction des nouveaux outils
de management, transfert des systèmes et des
pratiques RH dans les filiales. L’objectif étant la
création de valeur pour les organisations multinationales, afin
qu’elles restent compétitives tout en soignant leur responsabilité
sociale. Très complet.
Marie-France Waxin et Christoph Barmeyer
Gestion des ressources humaines internationales
éd. Groupe Liaisons, 2008, 553 pages, ISBN: 978-2878806144
Formations «multiculturalisme»
De nombreuses formations ou confé-
rences sur le management interculturel
sont régulièrement proposées. Le
CRPM à Lausanne (centre romand de
promotion du management) dispense
un séminaire de deux jours sur le multi-
culturalisme.
A Genève, l’Office cantonal de l’inspec
tion et des relations du travail (OCIRT)
et la Fédération des entreprises roman
des (FER) organisent une conférence le
9 octobre sur le thème «Gérer les
aspects interculturels dans les entrepri-
ses». De 17h à 19h30, Auditorium de la
FER-Genève (1er sous-sol), 98, rue de
St-Jean à Genève.
Informations: tél. 022 388 29 75
Inscription requise en ligne:
www.ge.ch/ocirt. Entrée libre.
Le 11 novembre, la Société romande
de coaching (SR Coach) organise une
conférence sur le coaching multi-
culturel. Au centre Courtil de Morges.
Inscriptions sur www.srcoach.ch
HR Today 5 octobre 2008