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The people’s Democratic Republic of Algeria
‫العلمي‬ ‫البحث‬ ‫و‬ ‫العالي‬ ‫التعليم‬ ‫وزارة‬
Ministery of Higher Education an Scientific Research
‫الجامعي‬ ‫المركز‬
–
‫أحمد‬ ‫صالحي‬
-
‫النعامة‬ University Center –Salhi Ahmed – Nâama –
Institut des Lettres et des Langues
Département des langues étrangères
Filière de langue française
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Année Universitaire 2021/2022
Polycopié de cours
destiné aux étudiants de 2ème graduation (Master 1 & 2)
en didactique des langues étrangères
- Langue française-
Politiques linguistiques
Politiques linguistiques
1
Avant-propos
La situation linguistique du pays qui se caractérisait par un bilinguisme
(arabe/français) bien ancré dans l'histoire, a été ponctuée par différentes pratiques
d'enseignement selon les périodes historiques, et, fait marquant dans cette histoire,
par la généralisation d'une politique d'arabisation à partir des années soixante dix.
C'est pourquoi il paraît nécessaire de s'interroger à nouveau sur l'évolution et la mise
en œuvre de ces pratiques. Le français tel que pratiqué dans le système éducatif
algérien revêt aujourd'hui, du moins officiellement, le statut de langue étrangère
(FLE). Son enseignement ne peut, bien entendu, se concevoir indépendamment de
l'évolution méthodologique de l'enseignement des langues étrangères, évolution
vécue quasiment à l'échelle universelle.
L’implantation du français en Algérie procède de l’histoire du pays, mais pas
en tant que langue maternelle. Son statut dépend de critères socioculturels et socio-
économiques influencés par la politique engagée par l’Etat. En effet l’arabisation,
comme élément unificateur postcolonial, impose de définir des choix de société, et
dans ce contexte, la place de la langue française est l’objet d’un lourd débat: Quel
statut lui conférer ? Quelle influence lui concéder ? Quel investissement lui réserver
dans la société algérienne moderne ? Telles sont les données liminaires qui bâtissent
la polémique. Force est de reconnaitre que l'école française a introduit en Algérie un
système d'enseignement moderne et a formé un grand nombre d'instituteurs.
Cependant, en excluant la langue arabe, elle est à l'origine de la division linguistique
des élites qui ont eu à gouverner le pays dès l'indépendance. Plus qu'un simple
différent sur le choix de la langue, deux groupes aux références culturelles et
idéologiques opposées s'affrontent. Les francophones défendent ainsi le projet d'une
Algérie multiculturelle, riche de son histoire. Ils aspirent à un état moderne, ouvert
sur le monde et prônent le bilinguisme comme moyen d'accéder à la modernité. Les
arabophones revendiquent une nation arabo-musulmane. Dès l'indépendance du pays
en juillet 1962, et plus particulièrement dès la première rentrée scolaire (septembre
1963), l'une des premières préoccupations pédagogiques au sein du système éducatif
a été de poser les jalons d'une méthode spécifique d'enseignement de la langue
française. Il fallait « algérianiser » l'enseignement. Des instructions officielles ont été
reconduites dans le système éducatif algérien au lendemain de l'indépendance. Sans
2
autre critère de choix que la contrainte d'une situation imposée, et dans laquelle on ne
pouvait envisager de rupture immédiate avec le système éducatif hérité de la période
coloniale. La question de pertinence et d’efficacité ne pouvait être évoquée dans la
mesure où il fallait répondre à des urgences, définies comme objectifs prioritaires :
d’une part alphabétiser et permettre l'accès à tous à l'enseignement, et d'autre part
éduquer et transmettre des connaissances. C’est ainsi que les enseignants ont dû
reconduire des méthodes et des pratiques d’apprentissage déjà en vigueur dans
l’Algérie coloniale. Les seuls réaménagements immédiats seront apportés aux
programmes d’histoire et de géographie.
Si nous voulons analyser les premières méthodes conçues et élaborées à partir
de l’indépendance, nous ne pouvons faire l’impasse sur un rappel très rapide des
méthodes pratiquées dans le système éducatif qui prévalait en Algérie avant 1962 et
ce, pour deux raisons : la première c’est que malgré la rupture qu’a représenté
l’accession à l’indépendance du pays, il ne pouvait y avoir de changement radical
dans les méthodes pratiquées dans les écoles. En effet, les structures en place, les
personnels existants – du moins ceux qui étaient restés à leur poste – et les
enseignants nouvellement recrutés devaient accueillir dès la rentrée scolaire suivante
des milliers d’élèves dont certains en cours de cursus. La seconde raison tient à
l’absence de programmes et manuels spécifiquement algériens dans la mesure où, en
dépit des déclarations et des recommandations des dirigeants du mouvement pour
l’indépendance à propos des objectifs et orientations de l’école algérienne, et ce dès
les premières années du déclenchement de la guerre de libération1
, il n’était pas
possible de concevoir un tout nouveau programme en raison des priorités du moment
et des délais impartis pour la rentrée scolaire prévue en octobre 1962. Plus de
cinquante ans après son indépendance, l’Algérie montre combien cette question
demeure d’actualité aujourd’hui. Dans ce pays, où, depuis son origine, la polyglossie
constitue un caractère socioculturel avéré (berbère-arabe), la langue française est un
enjeu fondamental qui concerne ses choix de développement, ses choix éducatifs, ses
choix culturels. La langue française s’est moulée dans le panorama algérien
socioculturel, socio-économique, professionnel. Il est alors concevable qu’elle
puisse, de nos jours, s’approcher en tant qu’idiome composant la polyglossie
1
Orientations contenues dans la plateforme du congrès de la Soummam tenu le 20 août 1956 et qui
jette les bases d’une « Algérie nouvelle ».
3
algérienne, en tant qu’objet d’une appropriation linguistique se projetant comme un
lent processus en cours.
4
COURS N°1 : Cours introductif
La politique linguistique : éléments de définition
1. Qu’est-ce qu’une politique linguistique?
La question des politiques linguistiques et éducatives renvoie généralement aux
choix, aux objectifs ainsi qu’aux orientations d’un état en matière de langue(s) et
exprime, de ce fait, la légitimité sociale Boyer2
. .Rousseau3
définit la politique
linguistique comme : « toute forme de décision prise par un État, par un
gouvernement ou par un acteur social reconnu ou faisant autorité, destinée à orienter
l’utilisation d’une ou de plusieurs langues sur un « territoire » (réel ou virtuel) donné
ou à en régler l’usage. »
- La politique linguistique est le plus souvent formulée dans des textes officiels.
- La politique linguistique découle tout simplement des pratiques linguistiques
existantes.
2. Politique linguistique, planification et aménagement linguistiques
Pour Calvet4
, la politique linguistique est la « détermination des grands choix en
matière de relations entre langues et société » et sa « mise en pratique » est la
planification ». L’aménagement linguistique consiste, d’une manière très générale,
en l’application d’une politique linguistique. Calvet 5
précise : « La politique
linguistique est l’ensemble des choix conscients effectués dans le domaine des
rapports entre langue et vie sociale, et plus particulièrement entre langue et vie
nationale, et la planification linguistique comme la recherche et la mise en œuvre
des moyens nécessaires à l’application d’une politique linguistique». Le terme
2
Boyer, H. (2010) « Les politiques linguistiques » In Mots. Les langages du politique. p5..
https://doi.org/10.4000/mots.19891 consulté le 08 août 2021
3
ROUSSEAU, L.-J. (2005) .« Élaboration et mise en œuvre des politiques linguistique » p1
https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-02424020/document consulté le 09-08-2021
4
CALVET L.-J. (1996), Les politiques linguistiques, Paris, PUF.p3
5
CALVET L.-J., (1987),. La guerre des langues et les politiques linguistiques, Paris, Payot. pp154-
155
5
‘’aménagement linguistique ‘’ a été proposé dans les années soixante dix (70) par le
linguiste québécois Jean-Claude Corbeil, en remplacement du vocable « planification
linguistique » traduction de l’expression « language planning ».connue depuis 1959.
de fait, l'aménagement linguistique consiste à mener une action sur les langues par
une instance de pouvoir. L’aménagement linguistique consiste donc à mettre en
œuvre des stratégies et des moyens en vue d’atteindre les objectifs d’une politique
linguistique prédéfinie.
Robillard 6
propose « quatre niveaux principaux : pour la réalisation de cette
opération :
- l'évaluation de la situation (identification des problèmes au début, estimation du
degré d'efficacité des mesures mises en œuvre à divers stades, jusqu'à l'évaluation
finale),
- la politique (formulation d'objectifs, d'une stratégie pour atteindre ceux-ci),
- la planification (programmation dans le temps , prévision, gestion des
ressources,
- les actions (opérations concrètes faisant partie de l'intervention sur la langue ou
situation linguistique).».
3. Les composantes d’une politique linguistique
Une politique linguistique comprend l’ensemble des principes, législations,
programmes et mesures en vue d’aménager les langues au pays , leur reconnaissance
comme langues officielles, langues nationales, etc., et à leur usage respectif dans
différents champs (administration publique, commerce, affaires, travail,
enseignement)
Elle sert à rehausser le statut de certaines langues comme, pour l’Algérie,
- La langue amazighe rehaussée au statut de langue officielle du pays enseignée ;
- La précision des statuts des langues étrangères, Français, Anglais, etc.
6
ROBILLARD, Didier de, (1997), articles « Action linguistique » p.p36-38 In MOREAU, Marie-
Louise (éd.), Sociolinguistique, concepts de base, Sprimont (B), Mardaga.
6
Première partie : L’histoire de l’enseignement de langue
française à travers les différents systèmes d’instructions
7
COURS N°2
Données historiques
La langue française est implantée en Algérie depuis 1833, et a vu l’application
en Algérie de la loi Jules FERRY promulguée en 1882, impliquant l’obligation, la
gratuité et la laïcité de l’enseignement avec l’idéologie explicite que l’enseignement
du français serait un moyen de « civiliser les Arabes » alors considérés comme une
race inférieure.
En novembre 1885, le conseil supérieur de l’Algérie souligne, dans un vœu
signé par les dix sept des dix huit délégués des conseils généraux, la
nécessité d’initier les indigènes à la civilisation 7
et d’ouvrir chez eux des
écoles où on leur enseigne les élément de l’instruction publique française.
Léon8
L'idéologie de l'époque attestait la légitimité dans la prétendue « supériorité de la
race française » sur la « race indigène ». Jules FERRY (1832-1893), l’un des
fondateurs de l'éducation moderne française, avait déclaré à ce sujet, le 28 juillet
1885, lors d'un débat à la Chambre des députés:
« Messieurs, il y a un second point, un second ordre d’idées que je dois également
aborder [...] : c’est le côté humanitaire et civilisateur de la question. [...] Messieurs, il faut
parler plus haut et plus vrai ! Il faut dire ouvertement qu’en effet les races supérieures ont
un droit vis-à-vis des races inférieures. [...] Je répète qu’il y a pour les races supérieures un
droit, parce qu’il y a un devoir pour elles. Elles ont le devoir de civiliser les races
inférieures. [...] » 9
7
C’est nous qui soulignons.
8
Léon. A. (1991). Colonisation, enseignement et éducation, Etude historique et comparative. Paris :
L’Harmattan. P162
9
Données historiques et conséquences linguistiques. Article en ligne. http:// www .tlfq .ulaval. ca/axl
/afrique/algerie-2histoire.htm Consulté le 12/07/2020.
8
La thèse de Ferry n’avait pas seulement des adhérents ; George Clemenceau
(1841-1929) déclarait à la tribune de la Chambre des députés, le 30 juillet 1885 en
opposition farouche à Jules Ferry sur les devoirs prétendus des races supérieures
envers les races inférieures,
« Je ne comprends pas que nous n'ayons pas été unanimes à nous lever d'un bond pour
protester violemment contre vos paroles. Non, il n'y a pas de droits des nations dites
supérieures sur les nations dites inférieures. N'essayons pas de revêtir la violence du nom
hypocrite de civilisation. La conquête que vous préconisez, c'est l'abus pur et simple de la
force, ce n'est pas le droit, c'en est la négation. ».10
Cette même idéologie admettait la désignation des différentes couches sociales
de « races » en Algérie : Français, Européens et indigènes selon des catégories
racialistes (le« racialisme » est, selon Gilbert Meynier , une dénomination du racisme
théorisé et institutionnalisé.)11
. Les autochtones sont dédaigneusement nommés «
indigènes » pour signifier leur infériorité et leur statut d'assujettis.
En ouvrant l’école publique française, Jules Ferry a contribué à l’établissement
d’une école laïque, gratuite et obligatoire, résultat d’un long processus évolutif
social. Le principe de laïcité devait être la conséquence de la neutralité de l'Etat
français à qui revenait la responsabilité de mettre son enseignement au service de
tous sans heurter les consciences religieuses ou idéologiques. La loi Ferry a
sensiblement modifié le paysage scolaire qui prévalait jusqu’alors en Algérie.
L’instruction était auparavant dispensée dans les écoles coraniques qui, privilégiant
le domaine de la religion, avaient pour but essentiel l'enseignement de l'écriture et de
la grammaire arabes afin de faciliter l'étude du Coran. Le nouveau système
d’enseignement mis en en place par l’administration coloniale a provoqué la crainte
chez les algériens de perdre leur identité arabo-musulmane et les a poussés à refuser
de scolariser leurs enfants. Le nouveau système a été décrit en termes
d’affrontements, conduisant à juxtaposer deux cultures dissemblables, occidentale et
orientale, favorisant la première et inhibant la seconde. Il était admis par les
différents décrets en la matière, qu'il ne devait pas y avoir de séparation entre
10
LE COUR GRANDMAISON,O L'assimilation : un mythe républicain ? http:/ /www.senat .fr/ga/ga
105/ga105_mono.html consulté le 12/07/2020
11
Meynier,G (2010). « L’historiographie française de l’Algérie et les Algériens en système
colonial » Intervention à Alger le 22 octobre 2010 à l'invitation d'El Watan. P3. Article en ligne
http://www.algeria-watch.org/pdf/pdf_fr/meynier_historiographie_francaise.pdf consulté le
12/08/2020
9
l'enseignement primaire européen et l'enseignement primaire indigène, que les
enfants musulmans sont admis au même titre que les élèves français « aux conditions
fixées par les lois et règlements, dans les écoles primaires publiques de tout
degré »12
et qu'inversement « aucune école spécialement destinée aux indigènes n'est
fermée aux élèves français ou étrangers qui désirent la fréquenter ».13
Le décret du 18 Octobre 1892 insiste sur la neutralité religieuse absolue de l'école :
« La liberté de conscience des élèves est formellement garantie, ils ne peuvent être
astreints à aucune pratique incompatible avec leur religion. »14
Ce n’est que plus tard, après avoir ressenti le besoin et la nécessité d’apprendre,
que la demande de scolarisation des enfants devint pressante et significative pour les
Algériens. L’instruction porte alors en eux le secret de la résurrection et leur permet
ainsi de recouvrer ainsi leur liberté et leur indépendance. On ne manque pas de noter
l’opposition massive des européens à l’enseignement du français aux indigènes. Ce
désaccord ostensiblement remarqué traduit une prise de conscience très politique
chez les dominants comme chez les dominés; l’usage du français est pour les uns
l’outil et le symbole de leur domination politique et pour les autres le moyen de
s’instruire, de s’émanciper, d’accéder à la promotion sociale et d’obtenir quelques
droits. Cela suscitait l’inquiétude des colons qui considéraient l’instruction des
algériens comme étant un péril pour la société coloniale algérienne et leurs intérêts
personnels. C’est dans cette optique qu’ont été créés deux systèmes
d’enseignement, fondés sur la séparation ethnique et religieuse et sur l’inégalité
devant l’instruction : l’enseignement européen mis en place pour répondre à la
politique coloniale et aux besoins des populations européennes vivant en Algérie et
l’enseignement musulman destiné à la population autochtone. Sous couvert de
rationalité, ce sont en réalité les dominants qui imposent, de façon déguisée, leurs
préférences et placent ainsi les dominés en situation d’infériorité. Cette
ségrégation devant l’instruction a été sans doute à l’origine du choix de la politique
linguistique opéré à l’indépendance.
En partant du fait que les langues expriment l’identité, sont le témoin de
l’histoire et parce qu’elles sont le produit des pratiques sociales, il nous paraît
12
http://encyclopedie-afn.org/index.php/ALGERIE_-_ENSEIGNEMENT_-_1830_-_1946_-
_Partie_III Article en ligne consulté le 20/07/2020
13
Ibid
14
Ibid
10
nécessaire de présenter un bref aperçu historique des deux systèmes d’enseignement
afin de mieux cerner l’évolution de l'enseignement de la langue française dans
l'Algérie indépendante et d’expliquer les enjeux identitaires et les valeurs
symboliques très présents dans la problématique de l’enseignement/apprentissage des
langues. En évoquant brièvement les circonstances historiques de la présence du
français dans ce pays, nous apporterons des éléments de réponse aux
questionnements de cette étude sur les situations didactiques. Nous montrerons
comment la coexistence de plusieurs systèmes d’instruction a entrainé l’émergence
de deux élites aux orientations linguistique, politique et culturelle situées aux
antipodes les unes des autres et a pesé sur le choix de la politique linguistique du
pays. Qui sommes-nous quand on choisit de parler ou d’apprendre telle ou telle
langue dans telle ou telle situation ? Notre identité change- t-elle quand on change de
langue ?
Les débats conflictuels sur le choix des langues pour les enfants conduisent les
dirigeants et les parents à classer ces langues dans un ordre selon leur importance
internationale, leur fonctionnalité, selon les institutions scolaires et les acteurs
habilités à intervenir dans le processus d’apprentissage. Un choix qui s’avère d’une
grande complexité et tient compte des contraintes sociales, identitaires, scolaires et
même économiques.
En parlant des langues, Philippe Blanchet explique :
Toute langue a deux fonctions essentielles, une fonction communicative qui contribue à
relier les personnes et les communautés, une fonction existentielle qui contribue à les
différencier. Et ces fonctions sont toutes deux indissociables. Dès que l’on communique
dans une langue, on ne communique pas dans une autre, et donc on se différencie de ceux
qui ne la comprennent pas en même temps qu’on crée une connivence avec ceux qui la
comprennent ! Une langue constitue de la sorte l’un des éléments majeurs d’une identité
culturelle spécifique […].15
15
Blanchet. Ph. « Langues, identités culturelles et développement : Quelle dynamique pour
les peuples émergents », Conférence présentée à l’occasion du cinquantenaire de présence
africaine 1998, cité par Sandrine Airoldi in « multiculturalisme, multilinguisme et milieu
urbain » sous la direction de Catherine Paulin. Presses universitaires de Franche Comté. 2005
(P9-20).
11
COURS N°3
Systèmes d’instruction
1. Le système d’instruction européen
Cet enseignement, calqué sur celui de la métropole, s’adresse uniquement aux
enfants d’origine européenne et est dispensé entièrement en langue française. Les
lois sur l'enseignement laïque, gratuit et obligatoire sont appliquées et les écoles
communales ouvertes aux enfants de toutes confessions. Les cursus scolaires, les
programmes, les horaires de classe obéissent aux mêmes instructions officielles en
vigueur dans la métropole. L’administration française devait garantir toutes les
commodités de la vie métropolitaine afin d’encourager les européens à rester en
Algérie. Les enfants juifs algériens, naturalisés après le décret Crémieux16
, sont
également concernés par ce type d’enseignement dont l’objectif, en plus de sa visée
assimilationniste, est de créer un groupe unifié, ayant les mêmes repères identitaires,
culturels, qui se différencie de la grande majorité formée par les communautés
musulmanes. Cet enseignement s’aligne les dispositions décrétées en France
métropolitaine en rapport avec les cursus scolaires, les instructions officielles, les
programmes, les horaires et les examens et concours.
2. Le système d’instruction musulman
Le terme “musulman“, en référence au statut juridique personnel de droit local
(loi musulmane), était employé pour désigner les algériens suivant leur confession
religieuse, les distinguant des français et des juifs algériens naturalisés suite au décret
Crémieux qui, à des fins assimilationnistes, déclare les juifs des départements
algériens citoyens français jouissant de tous les droits réglés par la loi française. Le
décret consacre en Algérie la rupture entre les colonisés et les colonisateurs, qui
16
Décret N°136, Le gouvernement de la défense nationale décrète :« Les israélites indigènes des
départements de l'Algérie sont déclarés citoyens français ; en conséquence, leur statut réel et leur
statut personnel seront, à compter de la promulgation du présent décret, réglés par la loi française,
tous droits acquis jusqu'à ce jour restant inviolables. Toute disposition législative, tout sénatus-
consulte, décret, règlement ou ordonnance contraires, sont abolis. » Fait à Tours, le 24 0ctobre 1870.
http://fr.wikipedia.org/wiki/D%C3%A9cret_Cr%C3%A9mieux consulté le 25/05/2020.
12
viennent d'Europe et auxquels s'assimilent désormais les juifs. La nécessité de créer
un système scolaire propre aux musulmans est apparue après leur première
insurrection en 1845-1846, afin d’absorber le mouvement insurrectionnel et de
ramener la paix. Le Duc d’Aumale argumente que « L’ouverture d’une école au
milieu des indigènes vaut autant qu’un bataillon pour la pacification du pays. »
(Ageron 2005 : 319). Destiné aux Arabes et aux Berbères, cet enseignement est
dispensé en arabe et en français dans trois types d’écoles : les écoles arabes-
françaises ; les médersas et les écoles coraniques ; et les écoles indigènes. Plutôt que
de veiller à l’instruction et à l’épanouissement intellectuel des musulmans, il avait
pour objectif d’exercer un contrôle sur eux. Depuis sa mise en place, jusqu’à sa
suppression, ce système a subi plusieurs réformes. Si, pendant le second Empire, il a
connu une relative évolution, la troisième République l’a réduit, voire anéanti.
3.1. Les écoles arabes-françaises (1850-1865)
Ces écoles dont l’objectif était de former une génération de transition tout en
conservant aux élèves leurs coutumes religieuses, leur nourriture et tous les usages
consacrés dans la religion musulmane, dispensaient aux algériens un enseignement
élémentaire de base : la lecture, l’écriture, le calcul, la grammaire, quelques notions
d’histoire et géographie (tout ceci en français) et la lecture et l’écriture arabes. Deux
catégories d’enseignants assuraient l’encadrement des élèves : le maître adjoint arabe
(maître-indigène ou moniteur) chargé d’enseigner le Coran, limité à son aspect
linguistique ; l'autre enseignant, français, enseignait les matières de base mais devait
les traduire en arabe, en ayant recours au maître adjoint comme interprète. Les
maîtres-indigènes étaient diplômés du brevet des études de l’Ecole Normale d’Alger
et les moniteurs, devant essentiellement assurer l’enseignement du coran, avaient
seulement un certificat d’études primaires. Ces écoles devaient être installées dans
les régions complètement pacifiées et formaient particulièrement des cadis17
et des
muphtis 18
. Dans les autres régions, l’administration essayait de rénover
17
Le cadi (juge) est un magistrat qui remplie des fonctions civiles, judiciaires et religieuses. Il
s’occupe des problèmes de la vie quotidienne (différents entre personnes physiques et/ou morales,
mariages, divorces, héritages, etc)
18
Le muphti ou mufti est un spécialiste de la loi islamique (la Chariâ) qui donne des fatwas (avis qui
s“accordent avec les préceptes de l’Islam). Il est considéré comme l’agent intermédiaire entre
l’administration (actuellement le ministère des affaires religieuses) et les imams de mosquées.
13
l'enseignement coranique. L’enseignement dans ces écoles qui s’inscrivait dans une
politique globale de la colonisation, ne pouvait avoir comme objectif l’instruction et
l’émancipation des dominés. Cela irait, comme nous l’avons précisé plus haut, à
l’encontre des intérêts des colons qui considèrent l’instruction des Algériens comme
mettant en péril leur domination. Des mesures étaient prises par l’administration
coloniale relatives à l’extension de l’obligation aux enfants musulmans et la
fermeture des collèges arabes-français en référence à aux dispositions du décret du
23 octobre 1871 et leur intégration aux lycées européens. La suppression des écoles
arabes-françaises a mis fin à l’enseignement public bilingue. Le taux de scolarisation
des Algériens a considérablement baissé.
3.2. Les medersas et les écoles coraniques (1850-1960)
Inspirées des fondations lancées dans l’Orient Musulman (XIème – XIIème
siècles) pour éduquer les enfants issus des milieux pauvres, les medersas ont été
prospères jusqu’à l’arrivée des turcs (1515). Depuis le XVIe siècle et durant trois
siècles environ (jusqu'en 1830), l'Algérie était une province de l'Empire Ottoman
(venu en 1515 au secours des populations arabo-berbères victimes de la reconquête
espagnole). Elle fut gouvernée par un Dey (Dey : titre des régents d’Alger sous
l’empire ottoman 1671-1830), ses Beys (Bey : titre Turc désignant un chef de clan,
haut fonctionnaire du souverain) et ses Janissaires (Janissaire : Soldat d’élite de
l’armée ottomane). Au cours de l'occupation turque, l'Algérie bénéficia d’une grande
autonomie, sous l’autorité d’un pouvoir militaire exercé par le Dey et contrôlé par la
milice des Janissaires turcs. La présence turque en Algérie n’était pas le fait d'une
présence de type coloniale, donc sans apport massif de populations étrangères. Les
seuls Turcs présents en Algérie étaient ceux qui faisaient partie de la caste dirigeante
ainsi que les militaires. Cette communauté restait distincte et isolée des populations
arabo-berbères. Les turcs vivaient comme des étrangers. Ceci n’a, par ailleurs, pas
empêché le rapprochement des communautés turque et arabo-berbère. Encore
aujourd'hui, de nombreux Algériens ont des origines turques et ont conservé leurs
patronymes.
14
Le système d’instruction musulman est restructuré par les français autour du
rétablissement des anciennes19 médersas (pluriel de médersa), terme utilisé par
l’administration française (de son origine arabe « madrasa » ayant pour pluriel
« madaris »). Étymologiquement, en arabe le mot médersa désigne école", mais il ne
pouvait, à l’époque, nommer qu’une école musulmane. Dans le but d’adapter
l’enseignement aux centres d’intérêts des algériens très attachés à leurs coutumes et
qui souhaitaient que le droit musulman, et non pas le droit français continue à leur
être appliqué en ce qui concerne le statut des personnes, les successions et les
immeubles, le décret du 30 septembre 1850 permit la création de trois médersas en
Algérie : à Médéa, à Constantine et à Tlemcen. Ces établissements, établis sous le
contrôle de l’autorité française pour répondre à ses besoins en personnel indigène
devaient opposer une concurrence aux zaouïas dirigées par des personnalités
religieuses comme l’explique Kateb: « Ces écoles qui font une utile concurrence aux
zaouïas que dirigent les marabouts, sont placées sous la surveillance des officiers
généraux commandants.» 20
Une zaouïa (étymologiquement: mot arabe signifiant angle, coin) est un
établissement religieux à caractère soufiste qui regroupe les adeptes d’une confrérie
musulmane selon une méthode ou voie (de l’arabe : Tariqua) particulière. Elle
comprend des locaux pour la lecture du Coran, la prière, l'enseignement religieux et
général. Elle accueille des voyageurs et des étudiants venus, pour certaines, de toute
l'Afrique recevoir l’enseignement du coran et de l‘Islam et peut ainsi servir
d'auberge. Elle peut être un lieu de culte qui donne lieu à des pèlerinages qu'on
appelle el moussem˝ (la saison) où les adeptes viennent se réunir pour réciter leurs
liturgies.
La medersa est un établissement religieux à but éducatif qui comprend des
espaces pour les études, une salle de prière et une salle d’ablutions. La méthode
appliquée dans l’instruction, sous étroite surveillance des maîtres de la mosquée, est
de type mnémotechnique21
basée essentiellement sur la restitution (dictée, lecture à
haute voix, récitation, questions et réponses). L’enseignement littéraire et
19
Il s’agit des médersas des souverains de la Berbérie (XIIème – XIVème siècles)
20
Kateb. K. 2006. Ecole, population et société. L'Harmattan, . p40
21
L’absence de tout document imprimé qualifiait ce type d’enseignement de « pauvre enseignement
avec de pauvres moyens » et rendait non seulement impossible la diffusion des connaissances, mais
même la fixation de celles qui avaient été acquises.
15
théologique est dispensé par des moniteurs connus sous le nom de « moudarrissin »
(pluriel arabe de « Moudarris»). Des rudiments de la langue française, des
mathématiques, de l’histoire et de la géographie furent inscrits au programme
d’enseignement afin de permettre aux fonctionnaires musulmans formés dans les
médersas d’entretenir des rapports avec les autorités françaises.
« Un décret en date du 27 juillet 1883 affecte à chacune des médersas un professeur
de français comme adjoint aux trois professeurs de matières musulmanes.[…] Par un
décret du 23 juillet 1895 l’enseignement des études arabes et des études françaises
fut considérablement renforcé dans les médersas. Ce décret fut promulgué par le
ministre de l’instruction publique, Emile COMBES, en réponse à la nécessité de
hisser les médersas au niveau de l’enseignement supérieur, seul capable de
permettre au droit et à la théologie musulmane d’être enseignés d’une manière
profitable. Les médersas devinrent ainsi de véritables écoles d’études supérieures
musulmanes »22
Ces établissements ont connu plusieurs réformes qui ont favorisé leur
évolution pour les élever à la parité avec les lycées d’enseignement secondaire. Dès
l’année 1951, les médersas sont transformées en lycées d’enseignement franco
musulman. Les études restent étalées sur six ans pour préparer et conduire au
baccalauréat tout en conservant une part importante à l’étude de la langue arabe. La
voie de l’enseignement supérieur s’ouvre ainsi aux médersiens. Les médersas ont
fusionné avec les lycées dès l’année1960.
3.3. Les écoles indigènes
Ce type d’enseignement de par son caractère simple et élémentaire, n’avait
pour autre objectif que d’amener les élèves algériens à résoudre les questions qui se
présentent fréquemment dans leur vie quotidienne et dans leurs relations d'affaires
avec les colons. Il fallait donc apprendre, aux algériens, les rudiments de la langue
française en vue de mieux les dominer, de les asservir aux tâches économiques et de
les soumettre à l’exploitation des colons en tant que main d’œuvre bon marché. La
mission primordiale du système éducatif reposant sur l’autoritarisme, s’avère être la
formation d’auxiliaires, subalternes à l’administration coloniale. L’école donc va
former des travailleurs de champs et d’ateliers, non pas des fonctionnaires pour les
22
Janier, C. Les Medersas algériennes. Article en ligne http://www.atdm 34 .net/image s/stories/
souvenirs/Janier_medersas.pdf p15. consulté le 15/05/2020
16
emplois publics. Cette démarche que d’aucuns qualifient d’œuvre d’exploitation et
d’asservissement plutôt qu’une œuvre scolaire, a été l’un des aspects fondamentaux
de la ségrégation scolaire.
Le décret du 13 février 1883 instaure et organise « l’enseignement des
indigènes ». Il prévoit la création de trois sortes d’écoles dites spéciales : les écoles
principales dans les centres urbains; les écoles préparatoires ou de section dans les
douars et les écoles enfantines pour garçons et filles de 6 à 12 ans. Un décret daté du
9 novembre 1887 réglemente l’enseignement des indigènes et redéfinit l’école
principale, l’école ordinaire, l’école enfantine (confiée aux institutrices et monitrices
françaises). Ce décret prévoit la formation des maîtres qui se destinent à cet
enseignement « par des cours normaux destinés à l’étude de l’arabe et du berbère,
des mœurs et de l’hygiène »23
. Un troisième décret en date du 18 octobre 1892,
reprenant ceux de 1883 et 1887, définit les buts et les méthodes dans l’enseignement
indigène, rappelle qu’il n’y a pas de séparation des écoles absolue entre
l’enseignement primaire destiné aux indigènes et l’enseignement primaire ordinaire
et insiste sur la neutralité religieuse « la liberté de conscience des élèves est
formellement garantie, ils ne peuvent être astreints à aucune pratique incompatible
avec leur religion » (le décret)24
. Les enfants indigènes devaient ainsi être admis au
même titre que les européens « aux conditions fixées par les lois et règlements dans
les écoles publiques de tout degré » (le décret)25
Le contenu d’enseignement, dispensé entièrement en langue française et
offrant quelques heures de langue arabe à titre facultatif, se basait pour l’essentiel sur
les programmes calqué du modèle métropolitain mais adapté au milieu et aux fins
attendues.
« L’enseignement se donne pour but unique de former des élèves aimant le travail et
pourvus de connaissances les plus indispensables : de les rapprocher de nous par
initiation à notre langue, aux formes essentielles de notre pensée, aux méthodes qui
ont assuré notre progrès matériel en vue d’améliorer de génération en génération
leur mode d’existence et d’assurer leur mieux-être dans le cadre de la tradition. »26
23
1870-1914 : les étapes de l’Enseignement en Algérie. article en ligne,http://www.algerie-ecole-
1830-1962.fr/generale/Lesetapesdelenseignement2emepartiede18701914.pdf consulté le
16/05/2021
24
Ibid
25
Ibid
26
Ibid
17
Les instituteurs ne pouvaient pas aspirer à un enseignement de luxe, scientifique
et complet; ils se limitaient à l'essentiel proposant un enseignement avant tout
pratique permettant d’acquérir la langue française usuelle qui établira entre les élèves
et l’instituteur un moyen de communication commode et d’assurer une place
importante aux travaux d'atelier destinés à développer la sûreté de l'œil et l’habileté
de la main. C’est donc un enseignement professionnel, sans l’être ouvertement, qui
vise à « rendre » les enfants à leurs parents le vite possible en les dotant de quelques
savoir-faire notamment ce qui se rapporte aux pratiques agricole et industrielle. Il
était ainsi question d’apprendre aux algériens les rudiments de la langue française en
vue de mieux les dominer, de les asservir aux tâches économiques et de les soumettre
à l’exploitation des colons en tant que main d’œuvre bon marché. Cette démarche
que d’aucuns qualifient d’œuvre d’exploitation et d’asservissement plutôt qu’une
œuvre scolaire, a été l’un des aspects fondamentaux de la ségrégation scolaire.
18
Deuxième partie : La question d’identité
19
Cours N°4
La question d’identité
1. Les fondamentaux de l’identité
Nous pouvons manifestement dire que toute communauté cherche à affirmer son
identité religieuse et culturelle, à la préserver, à la protéger et à défendre les
caractères propres et fondamentaux qui la constituent. Elle dispense alors, une
éducation et un enseignement qui assurent sa continuité et sa perpétuité. Dans le cas
de l’Algérie, il était naturel de se réapproprier une identité déniée pendant près d’un
siècle et demi par l’occupant. Le besoin de distinction identitaire pousse ainsi à
imposer un choix de la langue à apprendre et à pratiquer. La langue contribue à la
construction de l’identité culturelle ; elle est donc nécessaire pour l’élaboration
d’une identité collective et garantit la cohésion sociale d’une communauté favorisant
l’intégration sociale et forgeant la symbolique identitaire. En ce sens, Danièle
HOUPERT reprend les propos de MONTESQUIEU :
« Si je savais quelque chose qui me fût utile et qui fût préjudiciable à ma
famille, je le rejetterais de mon esprit. Si je savais quelque chose qui fût utile
à ma famille, et qui ne le fût pas à ma patrie, je chercherais à l’oublier. Si je
savais quelque chose qui fût utile à ma patrie et qui fût préjudiciable à
l’Europe et au genre humain, je le regarderais comme un crime »27
.
Mais, il n’empêche que le rapport de la langue à l’identité est complexe, car il ne
s’agit pas seulement de la langue mais aussi de son usage. Les rapports entre groupes
parlant une langue commune génèrent souvent des phénomènes identitaires reposant
sur la conscience d’appartenir à une même communauté linguistique. Ces identités
portées par la langue sont directement liées aux faits politiques et sociaux.
27
HOUPERT,D. « Langue(s), identités culturelle et citoyenneté ». p4 Article en ligne http ://
pedagogie2.ac-reunion.fr/langages/lcr2004/1erdegre/analyses/cr_houpert.pdf consulté le
10/05/2021
20
2. Enjeux identitaires de l’apprentissage des langues en Algérie
L’histoire d’un pays, d’une société est un élément clé de la construction des
aspects fondamentaux qui caractérisent son identité. L’Algérie, n’échappe pas à la
règle. L’histoire, la mémoire et la définition de l’identité nationale y apparaissent en
effet comme les composantes indissociables d’un triptyque. « Le poids du passé
apparait d’autant plus contraignant qu’il a fait l’objet d’appropriation coloniale et
de réappropriations nationales inversées. » Manceron28
.
En parlant du poids du passé, il ne s’agit pas de se focaliser sur le passé
colonial de l’Algérie mais de faire également allusion à la culture ancestrale des
algériens et leur lien culturel avec les différentes présences et dominations
(carthaginoises, romaines, vandales royaumes berbères et présence ottomane).
L’Algérie est marquée par son hétérogénéité sociolinguistique et socio
culturelle : les enseignes, la presse, les médias, la publicité, la littérature
s’expriment en deux langues principales, l’arabe et le français, alors que l’arabe
dialectal (l’algérien) et le tamazight29
sont les langues principalement parlées dans la
rue et dans les foyers. Le français demeure la principale langue étrangère pratiquée
dans le pays. Ce qui caractérise sa situation est le fait qu’elle soit utilisée comme
langue support dans l’enseignement et comme langue de communication scientifique
et économique.
L'Algérie se caractérise par une diversité linguistique héritée de son histoire. Dès
son indépendance, le pays est dirigé par une élite qui jouera un rôle immense dans le
devenir linguistique de la population. La situation linguistique se caractérise par la
coexistence de plusieurs langues qui sont l’arabe classique dit également littéraire,
moderne ou encore standard, l’arabe algérien (dialectal), le tamazight et le français
qui ne cesse de subir des changements. Selon les ambitions et l'éthique du pouvoir en
place, la portée idéologique est différemment exploitée. Le processus de
développement du moment a conduit à des transformations fondamentales prônant
28
MANCERON, G. et AISSANI, F. (1996). Algérie: comprendre la crise. Editions Complexe. P39
29
Le Tamazight ou langue berbère sous ses différentes variantes ( le kabyle, le chaoui, le mozabite, le
targui et d’autres variantes du Sud de l’Algérie telles les chlouhs de Bousemghoun ( wilaya d’El
Bayadh) et Ain Safra (wilaya de Nâama) est langue maternelle d'un grand nombre d'Algériens. La
population amazighe est présente, sous ses diverses composantes dans tout le pays et principalement
dans la grande Kabylie ( région de Tizi-Ouzou) et la petite Kabylie (région de Bejaïa), dans les Aurès
où l'on parle chaoui et dans le Sud algérien, avec ses composantes mozabite (région de Ghardaïa) et
touarègue, où le targui est confiné à la communication tribale et intra-groupe.
21
les options d’arabisation, de démocratisation, de culture scientifique et technique.
L’arabisation, la démocratisation et l'islamité sont les options retenues par 1er
Congrès du FLN (Front de libération national) le 16 avril 1964. Ces options ont été
traduites en termes opératoires et élargies aux préoccupations relatives aux principes
fondateurs de la nation algérienne. Cependant, les objectifs clairement affichés par le
pouvoir en place sont de se délivrer de la présence étrangère pour procéder à une
véritable algérianisation de l’école considérée comme le lieu d’enjeux qui dépassent
de loin le linguistique. La langue arabe devient ainsi la langue de l’Etat et celle de
l’école. L’article 3 de la Constitution de 1962 stipule : «L'arabe est la langue
nationale et officielle.». La politique suivie dans l’enseignement constitue la colonne
vertébrale de la politique linguistique en Algérie, mais elle concerne tout aussi bien
l’administration et l’environnement. Après une période assez mouvementée sous
Ahmed Benbella (1962-1965), l’arabisation va connaitre trois moments avec Houari
Boumediene (1965-1978). Cette période est marquée par les noms de Taleb Ibrahimi
(1965-1970), Abdelhamid Mehri (1970- 1977) et Mostefa Lacheraf (1977-1979). La
période présidée par Chadli Bendjedid (1979-1992) a connu des remous liés à la crise
politique et économique traversée par le pays.
Dès son accession à l’indépendance en juillet 1962, l’état algérien est sous le
contrôle de dirigeants socialistes du FLN qui mettent en œuvre une politique
linguistique et culturelle basée essentiellement sur l’arabisation et le retour aux
valeurs arabo-islamiques pour donner un contenu à la libération nationale. Cette
réforme, mise progressivement en œuvre par le gouvernement algérien, répond à une
triple motivation : La langue arabe représente la face culturelle de l'indépendance,
elle est langue de l'islam et langue de la nation arabe .Ahmed Taleb Ibrahimi
(1973 : 16), l’un des concepteurs de la politique éducative algérienne, cité par
Abdenour Arezki, nous livre sa pensée :
« Il ne nous vient pas à l’idée de nier l’apport de la culture française qui nous a
appris ne serait-ce que la méthode et le "discours sur la méthode». Mais il y a le
revers de la médaille, ce que nous appelons les séquelles impalpables de la
colonisation. En empruntant la langue du colonisateur, nous empruntons aussi, et de
22
façon inconsciente, sa démarche intellectuelle, voire son échelle de valeurs. Et seul
un retour à la culture nationale peut faire disparaître ces séquelles. » 30
Le chapitre I de la Charte nationale portant comme titre « L’Islam et la
révolution socialiste » stipule que :
Le peuple algérien est un peuple musulman. L’Islam est la religion de l’Etat. Partie
intégrante de notre personnalité historique, l’Islam se révéla comme l’un de ses
remparts les plus puissants contre toutes les entreprises de dépersonnalisation. 31
Le parti socialiste algérien qui contrôle le pouvoir depuis l'indépendance,
ainsi que les différents gouvernements qui se sont succédé, ont tous favorisé
l'arabisation et l'islamisation de la société algérienne. Les diverses constitutions
successives depuis 1963 sont constantes sur ce plan: l'islam est la religion de l'État et
l'arabe, sa langue nationale et officielle.
La constitution nationale dans ses articles 2 et 3 stipule :
Art.2 : L’islam est la religion de l’Etat
Art.3 : L’arabe est la langue nationale et officielle. L’Etat œuvre
à généraliser l’utilisation de la langue nationale au plan
officiel.» (Constitution de 1976, 2002)
Il est bien entendu que la notion d'islamité est intimement liée à la langue arabe.
L'arabe classique est la langue du Coran et de la révélation divine. C'est la langue qui
lie l'Algérie aux mondes arabe et musulman, et ainsi l'une des constituantes de la
personnalité algérienne, conformément à l'objectif « suprême » du maître
réformisme religieux Abdelhamid Ben Badis 32
. Cet objectif est fondé sur les
principes développés dans son œuvre, à savoir entre autres la sauvegarde de la
personnalité d'une Algérie unie et en symbiose, dans ses spécificités ethniques,
religieuses et culturelles indivisées et indivisibles et porté par le triptyque suivant:
« L'Algérie est notre patrie, l'Islam est notre religion et l'arabe est notre langue ».
30
Abdenour .A . « La planification linguistique en Algérie où l’effet de boomerang sur les
représentations sociolinguistiques » in Revue; Le français en Afrique, n° 25,CNRS,UMR 6039, Nice,
2010. http://www.unice.fr/ILF-CNRS/ofcaf/25/Arezki%20Abdenour%20.pdf cons le 25/05/2020
31
Charte nationale (1976 : 21). Titre premier : L’Islam et la révolution socialiste.
32
A. Ben Badis (1889-1940). Président de l'Association des Oulémas (ulémas) musulmans algériens,
figure emblématique du mouvement réformiste musulman en Algérie qui s’est développé pendant
l’entre deux guerres. En compagnie d'un groupe d'anciens élèves et de compagnons, loyaux fidèles,
disciples formés dans leur majorité à Tunis ou au Moyen-Orient, il dénonce la mainmise de
l'administration coloniale sur le culte musulman.
23
La langue arabe classique est désormais imposée comme seule langue officielle
et nationale. Son application s’est étendue aux domaines politique et culturel pour
devenir synonyme de ressourcement, de retour à l’authenticité et de récupération de
l’identité arabe. Dès la promulgation des premiers textes officiels, le pouvoir a
réhabilité l’identité du peuple algérien sous ses deux composantes linguistique et
religieuse. Son rôle de culture nationale consistera, en premier lieu, à rendre à la
langue arabe, expression même des valeurs culturelles de notre pays, sa dignité et son
efficacité en tant que langue de civilisation.
« L’Algérie entretient avec la langue arabe un lien particulier qui tient à ses
rapports anciens avec l’Islam mais aussi à la façon spécifique par laquelle elle est
entrée dans le monde moderne par le biais d’une colonisation qui fut d’abord une
annexion c'est-à-dire la négation de son identité propre ».Bistolfi33
Dès les premières heures de la constitution de l’Etat algérien, le français,
langue de colonisation pendant 132 ans, est cité de façon systématique dans les textes
officiels : la Constitution, la Charte nationale34
et le Cadre de Référence du système
éducatif, mais il est mentionné uniquement en tant qu’héritage colonial et/ou langue
étrangère « privilégiée ».
«Le discours idéologique dominant a stigmatisé le français comme langue du
colonisateur et d’aliénation culturelle, mais paradoxalement il n’a pas engendré
une attitude de rejet de cette langue par les Algériens. L’alphabétisation en arabe
classique était plus portée par une idéologie culturelle et identitaire que par
une logique de formation, liée à un projet de développement social et économique.
Ce rôle semble être réservé aux langues étrangères, au français notamment,
perçu comme langue de la promotion sociale, de la technologie et de l’ouverture à
d’autres cultures et civilisations. »35
33
BISTOLFI, R. (2003). Les langues de la Méditerranée, Editions L’Harmattan. p141
34
Source suprême de la politique de la Nation et des lois de l'Etat
35
Abdenour .A . (2010). « La planification linguistique en Algérie où l’effet de boomerang sur les
représentations sociolinguistiques » p166. in Revue; Le français en Afrique, n° 25,CNRS,UMR
6039, Nice,. http://www.unice.fr/ILF-CNRS/ofcaf/25/Arezki%20Abdenour%20.pdf cons le
25/05/2020
24
3. L’arabisation et son impact sur l’enseignement de la langue
française
Le terme arabisation connait différentes acceptions : linguistique, historique et
politique. Dans le domaine de la linguistique, il signifie « une opération
morphologique et phonétique qui permet d’adapter un terme étranger qu’on inclut
dans la langue, après l’avoir aligné sur un des paradigmes propres à cette
langue. »36
. L’arabisation est donc une transposition d’un mot étranger afin de
donner à la langue arabe la possibilité d'exercer avec efficacité et aisance toutes les
fonctions que réclame la civilisation mondiale moderne.
D’un point de vue historique, c’est l’arrivée des Arabes au VIIème siècle en
vue de l’islamisation de l’Afrique du Nord, originellement berbère, qui enclenche le
processus d’arabisation. Ce processus, freiné par les occupations espagnoles, turques
et françaises qu’avait connues par l’Algérie, est relancé par le mouvement des
ulémas dès 1931 afin de lutter contre la politique d’assimilation.
D’un point de vue politique, l’arabisation est synonyme de réhabilitation de
l’identité nationale, de ressourcement, de retour à l’authenticité et de récupération de
l’identité arabe.
« L'arabisation (at-Taârib), en tant que concept et projet de société, est un terme
relativement récent. Elle ne s'est jamais inscrite, nous venons de le voir, comme un passage
obligé de l'islamisation, contrairement à certaines affirmations. En revanche, elle porte en
elle le symbole de la décolonisation culturelle eu égard à la francophonisation, voire la
"francisation" effective ou supposée des sociétés maghrébines sous la domination coloniale.
D'où les débats passionnés et passionnels qui en découlent, face à un fait accompli
historique dont les enjeux éducatifs et leurs implications politiques et sociales dépassent le
cadre pédagogique. » A. Moatassim 37
La langue arabe devait opérer une double substitution: elle devait se substituer au
français, pour prendre la place de la langue de l'aliénation culturelle et restaurer la
personnalité nationale. Elle devait aussi se substituer aux dialectes, pour remplacer la
multiplicité dialectale par une langue unique, à même d'assurer l'unité des citoyens
36
Ghoual. H..(2002) « La politique d'arabisation face à la situation bilingue et diglossique de
l'Algérie». thèse de doctorat . P117
37
Moatassime, A. (1996) : « Islam, arabisation et francophonie. Une interface possible à
l’interrogation « Algérie-France-Islam» ? , Confluences Méditerranées, 69-85
25
autour de l'État. Elle devint une priorité absolue pour le pouvoir en place. En d’autres
termes, il s’agissait, après l’indépendance de signer l’appartenance de l’Algérie à la
sphère géopolitique arabe. L’arabisation devait être alors le résultat des efforts
consentis par les dirigeants arabes, en faveur du panarabisme qui ouvrirait les pays
arabes à l’idéologie arabe internationale et permettrait la construction d’un ensemble
arabe et islamique. Une nation arabo-islamique, conservatrice, qui rayonnerait au
sein de la grande nation arabe, la « Oumma » (Nation en arabe). Cet espoir du monde
arabe qui pourrait contester la légitimité de ces mêmes Etats, trop envahis par
l’idéologie occidentale.
4. Un choix identitaire
Les options fondamentales relatives à l’école algérienne et donc à
l’ensemble du système éducatif ont été ordonnées dans un premier temps par le
Projet38
de Programme pour la Réalisation de la Révolution Démocratique et
Populaire, projet (émanant du parti unique algérien, le FLN adopté à l'unanimité
par le CNRA à Tripoli en juin 1962 :
« La culture algérienne sera nationale, révolutionnaire et scientifique. Son rôle de
culture nationale consistera en premier lieu à rendre à la langue arabe, expression
même des valeurs culturelles de notre pays, sa dignité et son efficacité en tant que
langue de civilisation [….]. Elle combattra ainsi le cosmopolitisme culturel et
l'imprégnation occidentale qui ont contribué à inculquer à beaucoup d'Algériens le
mépris de leur langue et de leurs valeurs nationales ».39
L’enseignement/apprentissage des langues étrangères est tributaire des statuts
qui leur sont réservés dans les pays où elles sont enseignées. Les politiques
linguistiques ne tiennent pas souvent compte des réalités linguistiques mais sont
plutôt marquées par des considérations idéologiques et influencées par les conflits
géopolitiques.
L’usage du français en Algérie s’est largement étendu après l’indépendance.
Mais, en raison de la politique d’arabisation, la politique linguistique mise en œuvre
par les instances officielles du pays depuis son accession à l’indépendance (juillet
38
Projet de Programme du parti FLN pour la Réalisation de la Révolution Démocratique et Populaire
adopté à l'unanimité par le C. N. R. A.(Comité National de la Révolution Algérienne) à Tripoli en juin
1962 http://www.el-mouradia.dz/arabe/symbole/textes/tripoli.htm consulté le 13juin 2021
39
Ibid
26
1962)40
, a été basée essentiellement sur l’arabisation et le retour aux valeurs arabo-
islamiques.
Les politiques engagées en Algérie devant assurer le choix d’options
nationales responsables ont été l’enjeu d’affrontements politiques. Ce qui aurait pu
permettre de construire une personnalité algérienne est devenu l’enjeu de divisions et
de haines. Certains ont confondu course au profit et démocratisation. Une grande
partie des Algériens résistent toujours à la politique d’arabisation autoritaire et
refusent de changer leurs pratiques linguistiques. Deux groupes aux références
culturelles et idéologiques opposées s'affrontent. Les francophones défendent ainsi le
projet d'une Algérie multiculturelle, riche de son histoire. Ils aspirent à un état
moderne, ouvert sur le monde et prônent le bilinguisme comme moyen d'accéder à la
modernité. Les arabophones, nourris de l'idéologie des ulémas, revendiquent une
nation arabo-islamique.
L’accession à la promotion sociale et au savoir passait par la langue arabe au
lieu de la langue utilisée par les francophones dits « parti de la France » (cette
expression est une traduction de l’arabe « Hizb Fransa »).
« Le discours idéologique dominant a stigmatisé le français comme langue du
colonisateur et d’aliénation culturelle, mais paradoxalement il n’a pas engendré
une attitude de rejet de cette langue par les Algériens. L’alphabétisation en arabe
classique était plus portée par une idéologie culturelle et identitaire que par
une logique de formation, liée à un projet de développement social et économique.
Ce rôle semble être réservé aux langues étrangères, au français notamment,
perçu comme langue de la promotion sociale, de la technologie et de l’ouverture
à d’autres cultures et civilisations. »41
Dès l’année 1968, des textes officiels émanant du pouvoir exécutif et
politique obligent les hauts fonctionnaires de l’état à connaître et maîtriser l'arabe
classique et précisent que désormais, tout recrutement de fonctionnaires devra
correspondre à cette exigence, alors que ceux qui sont déjà recrutés devront acquérir
cette connaissance. Les arabisants en profite pour prendre le contrôle de certains
40
Cette date marque pour l’Algérie l’accession à son indépendance politique après plus de trois
siècles de présences et de dominations étrangères
41
Abdenour .A (2010).. « La planification linguistique en Algérie où l’effet de boomerang sur les
représentations sociolinguistiques » p166. in Revue; Le français en Afrique, n° 25,CNRS,UMR
6039, Nice,http://www.unice.fr/ILF-CNRS/ofcaf/25/Arezki%20Abdenour%20.pdf cons le 25/05/2020
27
leviers de la société. Nous ne manquons pas de signaler que la politique d’arabisation
a servi de base aux mouvements intégristes qui revendiquaient l’arabité et l’islamité
et pour qui parler en français (langue du colonialisme) signifiait se mettre au-dessus
du peuple et réveiller des hostilités. C’était donc risquer des tensions dans les
relations sociales.
Trois constantes de la nation (thawabit el oumma) sur lesquelles se fonde
l’identité algérienne sont reprises en toute circonstance : l’arabe, l’islam et la patrie
algérienne. Ce triptyque sera remplacé par l’arabe, l’islam et l’amazighité. Un Haut-
Commissariat à l'amazighité auprès de la présidence de la République est créé par le
décret du 28 mai 1995. Ce nouvel organisme instauré par le président de la
république, le 7 juin 1995, fut chargé notamment de prendre diverses initiatives et de
formuler des propositions en matière d'enseignement de la langue berbère. En effet,
en avril 2002, le Parlement algérien a adopté, une modification constitutionnelle
instituant la langue berbère comme langue nationale. La langue arabe conserve son
statut de langue officielle.
Il nous semble nécessaire de signaler la distinction établie par Cuq entre une
langue nationale et une langue officielle.
« Quand elle n’est pas officielle, une langue nationale véhicule des valeurs
nationales, d’ordre culturel. Les langues nationales africaines ont généralement fait
l’objet d’une reconnaissance officielle (par décrets relatifs à leur transcription et à
leur orthographe par exemple), sans avoir le caractère de langues officielles (statut
réservé au français en Afrique francophone). Toutes les langues africaines n’ont pas
encore le statut de langues nationales et très peu sont enseignées à l’école.» 42
Une langue officielle est, toujours selon Cuq, une :
« langue adoptée par un Etat (ou un groupe d’Etats), généralement au nom de sa
constitution, une langue officielle est une langue institutionnelle : administration,
justice, éducation, secteurs législatif et commercial, etc. Un même Etat peut se doter
de deux langues officielles (c’est le cas du Cameroun par exemple où le français et
42
CUQ J. P. (2003). Dictionnaire de didactique du français langue étrangère et seconde Paris, clé
international. P152
28
l’anglais sont langues officielles). En Afrique, le français demeure langue officielle
(mais non nationale) dans seize Etats » .43
Le cadre de Référence du Système Educatif cité dans le plan d'action44
de
mise en œuvre de la Réforme du système éducatif (Octobre 2003) se fait l’écho des
nouvelles valeurs politique :
« Le système éducatif algérien doit promouvoir des valeurs en rapport avec l’Islamité,
l’Arabité et l’Amazighité en tant que trame historique de l’évolution démographique,
culturelle, religieuse et politique de notre société. »
Ce discours s’inspire des options fondamentales énoncées dans la Charte
nationale et dans la Constitution. Il résume également l’ensemble des rapports
entretenus entre les domaines politique et économique et les enjeux linguistiques que
l’école algérienne se doit d’assumer et dont elle se définit comme l’élément essentiel
autour duquel ils gravitent.
Pour beaucoup d'Algériens, l'arabe algérien, le berbère, l'arabe classique et le
français font partie de leur patrimoine culturel. Gilbert Granguillaume45
aborde la
question des langues telle qu’elle se présente en Algérie en explicitant les enjeux
symboliques, culturels, sociaux et politiques qui lui sont liés.
« […] prendre en compte le rôle des langues parlées (l’arabe algérien et le berbère)
en tant que références fondamentales et non à les mépriser et les bannir. De cette
politique linguistique aurait émergé peu à peu, à l’échelle nationale, la conscience
d’une identité algérienne respectée dans sa diversité et tirant profit ; une identité
algérienne nationale se démarquant à la fois du modèle occidental et du modèle
moyen oriental par sa histoire propre, ses traditions, ses langues et ses aspirations.»
L’arabisation est prise en charge à travers la promotion de la langue arabe en
tant que langue d’enseignement, de culture, de communication et de travail. Son
application s’est étendue aux domaines politique et culturel pour devenir synonyme
de ressourcement, de retour à l’authenticité et de récupération de l’identité arabe. Si
43
Ibid
44
Le plan d’action retenu par le Conseil des ministres en date du 30 avril 2002, expose les grandes
lignes de la refonte de l'école algérienne qui a désormais pour mission essentielle l'instruction, la
socialisation, la qualification, la préparation à l'exercice de la citoyenneté et l'ouverture sur le monde.
45
GRANDGUILLAUME, G. (2003). « Les enjeux de la question des langues »,p158. in Les langues
de la Méditerranée, Bistolfi, R. (Dir.), Les cahiers de Confluences, Paris, l’Harmattan, 2003, p 141-
165
29
l'on se réfère aux textes officiels relatifs aux options fondamentales du pays, et plus
particulièrement à la politique linguistique, la « réappropriation » de la langue arabe
reste le fondement de la politique linguistique du pays. C'est ainsi que l'une des
premières décisions politiques du pays nouvellement indépendant a été de rendre
l’arabe obligatoire pour l’ensemble de la population scolarisée. Pour ce faire, le
processus d'arabisation a été mis en œuvre. C’est au début des années soixante-dix,
avec l'avènement de « l’école fondamentale » ou école de neuf ans, mise en
application dès 1976 que la langue arabe est passée de langue enseignée à langue
d'enseignement.
Les textes officiels précédents et ceux en vigueur précisent que le
développement de l'enseignement constitue l'une des priorités absolues du pays. Le
but est d'assurer d'une part la promotion sociale et culturelle du peuple, et d'autre part
de donner au pays les cadres dont il a besoin dans tous les secteurs afin de pallier les
insuffisances.
5. L’arabisation et le système éducatif
Pour ce qui concerne l'éducation nationale, l'objectif prioritaire reste la
construction de la personnalité autonome du système éducatif algérien dont l’objectif
premier est de contribuer à perpétuer l’image de la Nation algérienne et à être
solidement amarré à ses ancrages géographique, historique, humain et culturel.
L’école, espace privilégié de développement chez le jeune algérien de l’amour de sa
patrie et de l’attachement à son héritage culturel plusieurs fois millénaire, a pour
mission essentielle de faire prendre conscience aux élèves de leur appartenance à une
identité historique collective, commune et unique, consacrée officiellement par la
nationalité algérienne. C’est dans cette perspective fondatrice de l’identité nationale
que l’institution officielle veille à la formation d’une conscience nationale qui prend sa
source dans les principes fondateurs de la nation algérienne : Islamité, Arabité,
Amazighité. L’école devient à juste titre le lieu de connaissance et le creuset où se
forge le respect du patrimoine historique, géographique, religieux, linguistique et
culturel et de l’ensemble des symboles qui l’expriment tels que les langues
nationales, l’emblème et l’hymne nationaux. L’école doit, à cet effet, enraciner chez
30
les enfants le sentiment patriotique et promouvoir et développer l’attachement et la
fidélité à l’Algérie, à l’unité nationale et à l’intégrité territoriale.
« L'école algérienne a pour vocation de former un citoyen doté de repères
nationaux incontestables, profondément attaché aux valeurs du peuple algérien,
capable de comprendre le monde qui l'entoure, de s'y adapter et d'agir sur lui et en
mesure de s'ouvrir sur la civilisation universelle.»46
L’école étant le lieu par excellence de la diffusion des idéologies, la
réhabilitation de l’identité nationale devait commencer par cette institution.
« C’est à l’école que se joue le devenir politique du pays, car l’investissement
effectué maintenant ne sera rentabilisé que dans une ou deux décennies et, selon ce
que l’on aura investi, on récoltera une jeunesse formée, ouverte et motivée pour
construire un avenir démocratique ou une jeunesse désenchantée, révoltée et
disponible pour n’importe quelle aventure. » Mahiou47
Cet objectif était déjà annoncé dans la Charte de Tripoli en juin 1962 puis
développée par la Charte d'Alger promulguée en avril 1964 et précisée par la
Proclamation du 19 juin 1965, date de la destitution du premier Président de la
République algérienne Ahmed Ben Bella et de la prise de pouvoir du Conseil de la
Révolution présidé par Houari Boumediene, historiquement appelé :
« Redressement Révolutionnaire». C'est à partir de cette date que l'arabisation
devient une option politique clairement énoncée et qu'elle est théoriquement
haussée au niveau des principaux objectifs de la Révolution, représentant avec
l'enseignement l'une de ses dimensions culturelles. La restitution à part entière de la
place et du rôle de la langue nationale dans la vie de la nation est considérée
désormais comme une base indispensable de la souveraineté permettant aux enfants
algériens de s'enraciner dans leur langue écrite de culture, à savoir l'arabe classique,
bien que les langues étrangères doivent conserver une fonction complémentaire.
Sans langue arabe la personnalité algérienne ne serait pas complète et l'on ne
pourrait réédifier une civilisation arabo-islamique digne de ce qu'ont fait les
46
Loi d’orientation sur l’éducation N° 08-04 du 23 Janvier 2008. Article 2.
47
Mahiou, A. Où va l’Algérie? (2001). Institut de recherches et d’études sur les mondes arabes et
musulmans, Karthala. P34
31
anciens, apte à permettre de participer positivement à la modernité de la civilisation
universelle.
Les ordonnances se succèdent et viennent tour à tour imposer à tous les
fonctionnaires algériens et assimilés la connaissance de la langue nationale. Mêmes
si ces mesures n’avaient qu’une valeur symbolique, elles signifiaient cependant que
les cadres de l'Etat ne pouvaient plus ignorer la langue nationale.
La politique d’arabisation suivie dans l’enseignement constitue la colonne
vertébrale de la politique linguistique en Algérie, mais elle concerne tout aussi bien
l’administration et l’environnement. Après une période assez mouvementée durant la
période d’Ahmed Benbella (1962-1965), l’arabisation va connaitre trois moments
sous Houari Boumediene (1965-1978). Cette période est marquée par les noms de
Taleb Ibrahimi (1965-1970), Abdelhamid Mehri (1970- 1977) et Mostefa Lacheraf
(1977-1979). La période présidée par Chadli Bendjedid (1979-1992) a connu des
remous liés à la crise politique et économique traversée par le pays.
« Portée par la faveur populaire, l’arabisation réalise de jour en jour des progrès
considérables en Algérie et permet à de larges secteurs, notamment parmi la
jeunesse, de se révéler dans leur pratique de la langue nationale. Il s’agit là,
objectivement, d’un acquis d’une grande portée et qui n’est, au demeurant, que très
légitime ». Charte nationale (1976 : 65). Titre trois : La langue
nationale
Il s’agissait non seulement d’une arabisation mais encore et surtout d’une
algérianisation progressive des cadres et des programmes.
Cependant, l’Algérie manquant de cadres enseignants arabophones,
l’arabisation ne pouvait donc pas se faire de manière immédiate, car elle nécessitait
des moyens culturels et modernes et ne pouvait s’accomplir dans la
précipitation. Afin de pallier le manque de cadres arabophones, l’État a fait venir des
enseignants, pour la plupart, égyptiens, syriens et irakiens afin de lancer le processus
qui a duré près de vingt ans.
Francisants et arabisants ne pouvaient se passer les uns des autres, chaque
ministère fut obligé d’installer une équipe d'interprétariat chargée des traductions
écrites et verbales en langue arabe de documents, correspondances, textes officiels,
projets de textes à caractère législatif et projets de textes réglementaires. Ce travail
32
de traduction impliquait une lourde charge et d'une certaine façon, il représentait
aussi un large transfert des modèles français, au moment même de l'arabisation.
La loi n° 91-05 du 16 janvier 1991 portant généralisation de l'utilisation de la
langue arabe entre en vigueur sous la pression des nouveaux partis politiques
prônant le retour aux valeurs et constantes nationales, à savoir l'Arabité et l'Islamité.
La langue française ne constitue plus l'outil de communication privilégié dans les
institutions et organismes publics. Cette loi stipule dans l'article 2 que : « La langue
arabe est une composante de la personnalité nationale authentique et une constante
de la nation. Son usage traduit un aspect de souveraineté. Son utilisation est d'ordre
public ».
Les articles 5 et 6 de la loi no 91-05 du 16 janvier 1991 sont très clairs à ce
sujet:
Article 5
1) Tous les documents officiels, les rapports, et les procès-verbaux des
administrations publiques, des institutions, des entreprises et des
associations sont rédigés en langue arabe.
2) L’utilisation de toute langue étrangère dans les délibérations et
débats des réunions officielles est interdite.
Article 6
1) Les actes sont rédigés exclusivement en langue arabe.
2) L’enregistrement et la publicité d’un acte sont interdits si cet acte
est rédigé dans une langue autre que la langue arabe
D'autre part, dans l'article 18 de cette même loi, les législateurs imposent
l'utilisation de la langue arabe comme langue d'expression exclusive pour les
interventions, les déclarations, les conférences et pour tout document officiel.
Dans l'article 37, l'arabe est décrété langue d'enseignement obligatoire au sein
des établissements et instituts de l'enseignement supérieur. Cette loi fixe comme date
butoir l'échéance du 5 juillet 1997 pour une arabisation de toutes les disciplines.
Le 17 décembre 1996, le Conseil national de transition (CNT), l’assemblée
législative algérienne désignée, votait à l’unanimité une loi sur la « généralisation de
l’utilisation de la langue arabe ». Elle stipule notamment qu’à la date du 5 juillet
1998 (et en l’an 2000 pour l’enseignement supérieur)
33
« Les administrations publiques, les institutions, les entreprises et les associations,
quelle que soit leur nature, sont tenues d’utiliser la seule langue arabe dans
l’ensemble de leurs activités telles que la communication, la gestion administrative,
financière, technique et artistique ».
Et de préciser :
« L’utilisation de toute langue étrangère dans les délibérations et débats des
réunions officielles est interdite. »
En revanche, l’enseignement des langues étrangères, dont le français, est
souvent rattaché à la documentation et à la connaissance des civilisations
étrangères. Les conséquences de cette orientation sur l’enseignement du français
furent indéniablement le refus de la reconnaissance du bilinguisme. Dans le contexte
algérien, la notion de bilingue a longtemps été associée à classes bilingues. Elle a
émergé dans le milieu éducatif algérien, au lendemain de la mise en place de la
politique d’arabisation. Le terme bilingue se réfère essentiellement aux classes qui ne
sont pas arabisées. Elles sont donc bilingues, ce qui signifie qu’elles dispensent
l’enseignement de certaines matières comme les sciences, les mathématiques et la
physique en français. Cette notion disparait du champ éducatif, à la suite du
parachèvement du processus de l’arabisation. Depuis lors, le sens de ce concept
demeure imprécis ou entouré de flou, car aucune instance éducative ou universitaire
ne le prend en charge, à l’exception du module de sociolinguistique. Nous pouvons
néanmoins postuler que dans les représentations sociales ordinaires, le vocable
bilingue désigne une personne francophone ou ayant une formation en français en
opposition à arabophone qui a fait un cursus scolaire en arabe, « Est bilingue la
personne qui se sert régulièrement de deux langues dans la vie de tous les jours et
non qui possède une maîtrise semblable (et parfaite) des deux langues ». Grosjean48
.
Ainsi la langue française acquiert le statut de langue étrangère enseignée dès la
4ème année du primaire, puis lors de la réforme du système éducatif, son
enseignement a été introduit en 3ème année du cycle primaire dès la rentrée scolaire
2006-2007. Le français devient matière enseignée pendant 10 ans et l'arabe seule
langue d'enseignement.
48
Grosjean, F. (1982). Life with two languages: an introduction to bilingualism. Cambridge,
London: Harvard University press.
34
Ce bilinguisme non assumé a renforcé l’écart qui existait déjà entre les
arabophones et les francophones car ces derniers étaient les seuls à pouvoir prétendre
l’accès aux études prestigieuses dispensées en langue française et garantissant
l’ascension sociale. En cela, ce bilinguisme a exclu les étudiants issus des sections
arabisées qui ne pouvaient poursuivre leurs études que dans les filières les préparant
aux métiers de fonctionnaires dans des administrations dont la vocation première
n’était que la prestation de services et de maîtres d’écoles. C’est pourquoi certaines
voix se sont élevées qualifiant l’arabisation de précipitée et d’improvisée. En effet, le
français est un outil de travail important pour les Algériens que ce soit sur leur lieu
de travail, à l’école ou même encore dans la rue. Dans ces conditions Abdallah
Mazouni (1974)49
déclarait :
«La seule question fondamentale est celle de l'arabisation. Elle a fait déjà de gros
progrès mais il reste énormément à faire. Cependant... il est choquant et nocif de
culpabiliser une fraction si élevée de notre peuple (celle des francisants) ...
L'ignorance ne se punit pas mais chacun est évidemment tenu, dans la mesure de ses
moyens, d'apprendre à lire et à écrire la langue nationale, et libre d'apprendre 50
langues étrangères ».
Cette langue (la langue française) tient aussi une position forte dans
l’enseignement universitaire technique et scientifique, elle continue d’être une langue
de travail et de communication dans différents secteurs (vie économique, monde de
l’industrie et du commerce, l’enseignement supérieur, laboratoires de médecine et de
pharmacie, médias, etc.) et elle a également une fonction importante dans le secteur
médiatique comme en témoigne l’essor de la presse francophone. Ce qui n'est pas
sans poser problème aux étudiants ayant reçu une formation scientifique en arabe au
cours de leur scolarité.
« Le français est resté dans de nombreuses universités, la langue de l’enseignement
et des techniques. C’est pourquoi, ce hiatus a entraîné un malaise chez les
apprenants car après douze ans de pratique de la langue arabe, de nombreux
bacheliers des filières scientifiques au niveau du secondaire sont confrontés, dès le
premier jour de leur rentrée universitaire, à un problème, celui de communiquer avec
le professeur, de suivre un cours magistral. En effet, ces étudiants assistent à des
49
Mazouni.A. « Positions et propositions sur les bilinguismes».El-Moudjahid Culturel, 28 juin 1974.
35
cours magistraux dispensés par un enseignant mais qui utilise une langue qui leur
semble tout à fait étrangère, alors qu’ils l’ont étudié ce pendant neuf ans ».50
50
RAHAL, Safia, La francophonie en Algérie : Mythe ou réalité ? en ligne http://www.initiatives.refe
r.org/Initiatives-2001/_notes/session6.htm consulté le 14/12/2020
36
Conclusion
Il est tout à fait objectif de reconnaitre, sans préjugés, que l'école française
implantée en Algérie a introduit un système d'enseignement moderne et formé un
grand nombre d'instituteurs. Néanmoins, en excluant la langue arabe, elle a été à
l'origine de la division linguistique des élites qui ont eu à gouverner le pays depuis
l'indépendance. Beaucoup plus qu'un simple différent sur le choix de la langue, deux
groupes aux références culturelles et idéologiques opposées s'affrontent. D’un côté,
les francophones qui défendent le projet d'une Algérie multiculturelle, riche de son
histoire, aspirent à un état moderne ouvert sur le monde et prônent le bilinguisme
comme moyen d'accéder à la modernité. D’un autre côté, les arabophones, nourris de
l'idéologie des ulémas, ne posent la question de la langue qu'en termes de
réappropriation naturelle conforme aux aspirations du peuple algérien et
revendiquent une nation arabo-islamique, conservatrice, qui rayonnerait au sein de la
grande nation arabe. L’apport de l’Algérie à la civilisation arabe est donc appelé à
être cultivé et renforcé, grâce d’abord à la place de la Langue arabe comme vecteur
d’enseignement, et aussi grâce aux efforts et moyens qui devront être investis dans le
domaine de la culture sous toutes ses formes. C'est ainsi que l'une des premières
décisions politiques du pays nouvellement indépendant a été de rendre l’arabe
obligatoire pour l’ensemble de la population scolarisée et d’attribuer officiellement à
la langue française le statut de langue étrangère1 (LE1)51
.
51
Statut qui lui donne le privilège par rapport aux autres langues étrangères admises dans le système
éducatif algérien., l’anglais est désigné comme deuxième langue étrangère(LE2).
37
Troisième partie : Le système éducatif algérien au
lendemain de l’indépendance
38
Cours N°5
Le système éducatif algérien
1. Contexte géographique
D’une superficie de 2 381 741 km², l’Algérie est à la fois le plus grand pays
d'Afrique, du monde arabe et du bassin méditerranéen et compte une population de
plus de 42 millions d’habitants selon les statistiques de janvier 2018. Plus de 54% de
la population est âgée de moins de 30 ans. La République algérienne démocratique et
populaire a recouvert son indépendance le 5 juillet 1962. Le pays est divisé en
quarante-huit wilayas, elles-mêmes subdivisées en daïras. Chaque daïra regroupe
plusieurs communes, qui constituent l’élément de base de l’organisation territoriale.
La langue nationale officielle est l’arabe, l’unique langue d’enseignement dans les
deux premières années de l’enseignement fondamental. Il faut rappeler qu’au cours
de la dernière décennie, l’Algérie a traversé une période de violence et d’insécurité
sans précédent. Il est certain que cela a occasionné des répercussions négatives sur
les résultats escomptés, d’une part, et empêché de réaliser certaines opérations
d’extension et de développement du système éducatif, d’autre part.
2. Le projet de programme pour la réalisation de la révolution
démocratique et populaire
Dès son accession à l’indépendance, les instances politiques du pays adoptent
une politique linguistique et éducative basée essentiellement sur l’arabisation et le
retour aux valeurs arabo-islamiques. Une commission a été chargée d'élaborer un
plan de réforme scolaire, qui publia son rapport à la fin de l'année 1964. Ainsi, sans
connaître de bouleversements notables, le système éducatif de l’Algérie
indépendante s’inscrivit déjà dans une perspective de choix. La rentrée de 1963 a été
marquée par le souci d'arabiser (voire d'algérianiser) l'enseignement. En conséquence
de la politique éducative héritée de la période coloniale et pour des raisons d'ordre
structurelle et conjoncturelle, un des plus grands défis dans le domaine du
développement social pour l’état algérien est la garantie de la construction d'une
société démocratique de droit qui contribue à la promotion et le développement des
39
ressources humaines pour la réduction des inégalités sociales ayant pour but la
prospérité et le progrès sur des bases acceptables.
3. Organisation du système éducatif (1962-1984)
L’école algérienne indépendante a ouvert ses portes en octobre 1962. Considérée
comme une phase préparatoire, cette période devait garantir le démarrage de l’école
algérienne. Il fallait prendre progressivement des initiatives pour asseoir un système
éducatif conforme aux grands axes de développement du pays. Les textes officiels
qui vont régir le système éducatif algérien vont alors être conçus dans une vision de
rupture avec l'école coloniale. La réflexion portait sur une réforme qui visait à
instaurer un système éducatif authentique débarrassé des séquelles d'un enseignement
trop longtemps resté à l'écart du mouvement de la transformation de la société
algérienne. Les fondateurs du jeune Etat s’activent alors à assurer une scolarisation
normale des enfants par la création de structures scolaires et leur implantation jusque
dans les zones déshéritées, l’adaptation des contenus hérités du système colonial,
l’arabisation progressive de l’enseignement et l’algérianisation des cadres de
l’éducation. La priorité stratégique souhaitée est la satisfaction des besoins de bases
d'apprentissages pour la vie, entre lesquelles les connaissances, les habiletés, les
valeurs et les attitudes permettent aux personnes de développer leurs capacités, de
vivre et de travailler avec dignité, de participer intégralement au développement et à
l'amélioration croissante de la qualité de vie. Cela ne s’est pas réalisé sans difficultés.
Dans notre pays, la question culturelle implique :
a) La restauration de la culture nationale et l’arabisation progressive de
l’enseignement sur une base scientifique. De toutes les tâches de la révolution,
celle-ci est la plus délicate, car elle requit des moyens culturels modernes et ne
peut s’accomplir dans la prescription sans risque de sacrifier des générations
entières :
b) La préservation du patrimoine national de culture populaire;
c) L’élargissement du système scolaire par l’accession de tous les niveaux de
l'enseignement ;
d) L'algérianisation des programmes par leur adaptation aux réalités du pays.
40
e) L'extension des méthodes d'éducation de masse et la mobilisation de toutes
les organisations nationales pour butter contre l'analphabétisme et apprendre à
tous les citoyens à lire et à écrire dans les délais les plus brefs. Sans une
scolarisation massive et intensive, sans la formation de cadres techniques
administratifs et enseignants, il sera difficile de prendre rapidement en main
tous les rouages de 1’économie nationale. Projet de programme (1962)52
En effet, le départ des personnels enseignants et administratifs européens a
créé un vide considérable, ce qui a incité les dirigeants à recruter dans le tas pour
parer à l’urgence du moment, des remplaçants très peu qualifiés qui ont bénéficié
d'une formation accélérée et peu approfondie. Le corps des enseignants des écoles
primaires était hiérarchisé et constitué d'un petit nombre d'instituteurs formés
pendant la période coloniale, et pour une grande majorité de « moniteurs » ou
« d'instructeurs » ou « d'instituteurs ». Les enseignants des lycées étaient
majoritairement des coopérants français, belges et russes pour les matières
dispensées en langue française et des égyptiens, syriens et irakiens pour les matières
dispensées en langue arabe.
Après l’indépendance, l'organisation et la gestion des niveaux primaire,
moyen et secondaire est du ressort du ministère de l’éducation nationale, la formation
professionnelle est confiée au ministère de la formation professionnelle.
3.1. L’enseignement primaire
D’une durée de six ans, il était sanctionné par un examen national (examen de
sixième) qui permettait l’accès à l’enseignement moyen. Son objectif principal était
de développer toutes les capacités de l’élève en lui apportant les éléments et les
instruments fondamentaux du savoir : expression orale et écrite, lecture,
mathématiques.
52
Projet de programme pour la réalisation de la révolution démocratique populaire, adopté à
l'unanimité par le Conseil National de la Révolution .Algérienne (C.N.R.A) à Tripoli en Juin 1962.
41
3.2. L’enseignement moyen
C’est une phase de quatre années d’étude qui assurait un enseignement général
de base dont le but était de fournir à l’élève un socle de compétences, d’éducation, de
culture et de qualification qui le préparait à poursuivre ses études secondaires ou de
s’intégrer dans la vie professionnelle. Cette phase était sanctionnée par le Brevet
d’Enseignement Général (BEG) jusqu’en 1971 puis le Brevet d’Enseignement
Moyen (BEM) jusqu’en 1983
3.3. L’enseignement secondaire
Il se déroule en trois ans et est sanctionné par le baccalauréat de l’enseignement
secondaire. Dès la première année secondaire, les élèves étaient orientés vers les
filières : lettres (L), sciences expérimentales (S), mathématiques (M), techniques
mathématiques (TM) et techniques de gestion (T’). Il a pour objet, jusqu’à ce jour,
outre la poursuite des objectifs généraux de l’école de base, le renforcement des
connaissances acquises, la spécialisation progressive dans les différents domaines en
rapport avec les aptitudes des élèves et les besoins de la société. De même qu’il
favorise soit l’insertion dans la vie professionnelle, soit la poursuite des études en
vue d’une formation supérieure.
3.4. Place de la langue française dans les différentes réformes
3.4.1. Période de 1963 à 1973
Tout en reconnaissant la langue française langue véhiculaire des techniques et des
pensées modernes, l’institution algérienne donne des directives consistant en
l’Algérianisation des programmes hérités du système colonial. Les anciens
programmes ont été reconduits mais expurgés des textes littéraires trop marqués
idéologiquement et culturellement. La pratique des cours de Français se résumait
essentiellement à l’analyse et à l’explication des textes littéraires ( Emile .Zola ,
Kateb Yacine ,Mohammad Dib , Mouloud Feraoun, etc.). Les performances
attendues des élèves se matérialisaient dans des commentaires, des comptes rendus,
des contractions de textes et des essais.
La langue française est restée langue d'enseignement jusqu'en 1971 en raison
de l'insuffisance notable du personnel enseignant et administratif formé en langue
42
arabe. L’enseignement/apprentissage de la langue française a pour objectif
l’installation de deux compétences : linguistique et communicative qui permettent de
doter l’apprenant d’une compétence langagière. Il ne suffit pas pour l’apprenant de
maîtriser les structures linguistiques, mais il doit savoir les employer de manière
appropriée dans différentes situations notamment dans les disciplines dispensées en
langue française (mathématiques, sciences naturelles, sciences physiques,
géographie). Il convient de préciser que pour les classes bilingues seules la langue et
la matière d’histoire étaient assurées en langue arabe. A cet effet, l’institution
éducative accordait une importance particulière à l’enseignement-apprentissage de la
langue française du fait de son statut de langue d’enseignement et de vecteur
d’enseignement des matières scientifiques et grâce auquel elle constitue un enjeu
principal de réussite ou d’échec à l’école.
3.4.2. Période de 1974 à 1975
Les finalités de l’enseignement du Français sont redéfinies. La langue française
revêt, désormais, le statut de « langue étrangère ». Ainsi, les objectifs généraux du
français seront redéfinis visant la maîtrise de la langue parlée et écrite, la
compréhension du discours oral et écrit en sont quelques exemples.
3.4.3. Période de 1976 à 1980
La Charte nationale élaborée en 1976 est soumise à référendum dans le but
« d'exprimer une expérience et de formuler une stratégie » 53
à partir « des
transformations fondamentales que l'Algérie a connues pendant la décennie
écoulée »54
: options d’Arabisation, de Démocratisation, de Culture scientifique et
technique.
L’éducation constitue l'axe central du développement humain. Elle exige des
politiques d'état stables, à long terme, avec le consensus de toute la société et accepté
par elle. L'éducation de base pour tous implique l'accès, la permanence, la qualité,
des apprentissages et la pleine participation et intégration de tous : filles, garçons,
adolescents, jeunes et adultes. C’est dans cette perspective que l’ordonnance n°76-35
du 16 avril 1976 portant organisation de l’éducation et de la formation est adoptée.
Cette ordonnance, premier texte réglementaire définissant la politique éducative, fixe
53
Charte nationale (1976 : 7), Introduction. Editions populaires de l'armée.
54
Ibid (1976 : 7).
43
les repères et les bases de l’organisation de l’enseignement en Algérie et précise les
missions, les finalités et les objectifs du système éducatif. Ce texte constitue le cadre
réglementaire aux axes de développement qui s’appuient sur:
- l’authenticité de la conscience et de la culture nationale du peuple algérien,
- le développement de ses valeurs spirituelles, de ses traditions et de ses choix
fondamentaux,
- l’éducation de la nation par la généralisation de l’enseignement,
- la lutte contre l’ignorance,
- la consécration des principes d’arabisation, de démocratisation et de l’option
scientifique et technique
- la garantie du droit à l’enseignement, de sa gratuité et de son caractère obligatoire
tout en permettant la formation à tous les citoyens sans condition d’âge ni de niveau
social.
« Le système éducatif a pour mission dans le cadre des valeurs arabo-islamiques et
de la conscience socialiste :
- Le développement de la personnalité des enfants et des citoyens et leur préparation
à la vie active
- l’acquisition des connaissances générales scientifiques et techniques
- la réponse aux aspirations populaires de justice et de progrès
- l'éveil des consciences à l'amour de la patrie »55
« Tout algérien a droit à l'éducation et à la formation. Ce droit est assuré par la
généralisation de l'enseignement fondamental. Un décret précisera les modalités
d'application des dispositions du présent article. »56
De fait, l’école algérienne, en vue de la construction d’un système éducatif
qui soit en adéquation avec les besoins de l’économie du pays, se donne pour mission
de participer à la socialisation et à l’éducation de citoyens et de citoyennes modernes,
ouverts, critiques, participatifs, conscients de leurs droits et respectueux de leurs
devoirs et responsabilités.
55
Ordonnance n°76-35 du 16 avril 1976 (Article 1)
56
Ibid: (article 4)
44
L’organisation du système éducatif est ainsi annoncée dans l’ordonnance :
Art.17 : Le système éducatif est constitué des niveaux d'enseignement
suivants :
- l'enseignement préparatoire,
- l'enseignement fondamental,
- l'enseignement secondaire,
- l'enseignement supérieur,
Chacun de ces enseignements est assuré dans des établissements
appropriés.
3.4.3.1. L’enseignement préparatoire
Cet enseignement, destiné aux enfants âgés de 4 et 5 ans, est dispensé dans des
établissements publics placés sous tutelle pédagogique du ministre de l’éducation
nationale. Ces classes préparatoires sont ouvertes dans certaines 57
écoles
maternelles, dans des jardins d’enfants ou dans des classes enfantines. D’une durée
de deux ans, l’enseignement préparatoire consiste à préparer les enfants à l’entrée à
l’école et a pour objectif d’aider ces derniers à acquérir leur autonomie, des attitudes
et des compétences qui leur permettront de construire les apprentissages
fondamentaux.
3.4.3.2. L’enseignement fondamental
L’enseignement fondamental, d’une durée de 9 ans, a pour mission d’assurer
une éducation de base commune à tous les élèves. Il se charge de leur dispenser une
formation dans les différentes disciplines leur permettant le développement naturel
de la personnalité et d’acquérir les techniques d’analyse, de raisonnement et de
compréhension du monde.
« En ce qui concerne la scolarisation des enfants nés après
l’Indépendance, la responsabilité de l’Etat sera pleine et entière.
L’objectif consiste à passer […] à une nouvelle étape, qualitative,
celle-là. Il s’agira de prolonger davantage la durée de l’instruction
57
Cet enseignement n’est pas généralisé dans toutes les écoles et ne revêt pas de caractère obligatoire.
45
publique de base grâce à l’extension, puis à la généralisation de
« l’école fondamentale de 9 ans » ».58
.
L’enseignement fondamental a été concrétisé par le décret n°76-71 du 16
avril 1976 portant organisation et fonctionnement de l’école fondamentale laquelle a
été mise en place progressivement dans des établissements pilotes répartis sur
l’ensemble des wilayas du pays à partir de la rentrée scolaire 1977. Sa
généralisation59
n’a vu le jour qu’à la rentrée scolaire 1985.
L’objectif était la réorganisation de l'ancien système (système hérité du
colonialisme français) en fusionnant le cycle primaire et moyen pour donner lieu à un
enseignement général, commun et obligatoire à tous les enfants algériens. Le projet
d’une réforme scolaire avec la mise en œuvre d’une école dite fondamentale, pour
une durée de neuf ans a été concrétisé par un décret n°76-71 du 01 avril 1976 portant
organisation et fonctionnement de l’école fondamentale. Cette école, une des
transformations fondamentales qu’a connues l’Algérie de 1985 à 2004, constitue la
partie essentielle et la base du système éducatif algérien. Dans la Charte nationale de
1976 on retrouve précisée la lutte contre l’analphabétisme et la scolarisation des
enfants et des adultes. Le but de l'école fondamentale n'est pas seulement de
prolonger la scolarisation obligatoire, mais aussi d'amener la refonte des programmes
et méthodes d'enseignement.
L’école fondamentale est structurée en trois paliers de trois années chacun : deux
paliers dans l’ancien primaire et un palier au collège.
- Le premier palier de six à neuf ans : de la 1ère
à la 3ème
année fondamentale.
- Le second palier de neuf à douze ans : de la 4ème
à la 6ème
année
fondamentale ;
- Le troisième palier de douze à quinze ans : de la 7ème
à la 9ème
année
fondamentale.
58
Charte nationale (1976 : 69). Titre : La lutte contre l’analphabétisme et la scolarisation des enfants
et des adultes.
59
Il est utile de signaler que l’ancien régime continuait de fonctionner jusqu’en 1984. La
généralisation de l’école fondamentale et sa mise en vigueur réelle ne s’est faite qu’en 1985, c’est-
à-dire au terme du 4ème
plan quadriennal de développement économique et social.
46
Au terme de ce cursus de neuf ans, les élèves obtiennent un diplôme : le
Brevet d'Enseignement Fondamental (BEF) et sont par la suite orientés soit vers
l'enseignement général secondaire, soit vers l'enseignement professionnel ou
l'insertion dans la vie active.
Tableau comparatif des deux systèmes
L’ancien régime Encadrement
L’école
fondamentale
Encadrement
Enseignement
primaire
1ère
année primaire
2ème
année primaire
3ème
année primaire
4ème
année primaire
5ème
année primaire
6ème
année primaire
Instituteurs
Instructeurs
Moniteurs
Enseignement
fondamental
(1èr
et 2ème
paliers)
1ère
année fondamentale
2ème
année fondamentale
3ème
année fondamentale
4ème
année fondamentale
5ème
année fondamentale
6ème
année fondamentale
Maitres de
l’école
fondamentale
(MEF)
Enseignement
moyen
1ère
année moyenne
2ème
année
moyenne
3ème
année
moyenne
4ème
année
moyenne
Professeur de
l’enseignement
moyen (PEM)
Enseignement
fondamental
(3ème
palier)
7ème année fondamentale
8ème année fondamentale
9ème année fondamentale
Professeur de
l’enseigneme
nt
fondamental
(PEF)
47
Tableau récapitulatif des trois paliers60
60
Document ministériel émanant de la Direction de l’Organisation et de l’Animation pédagogique : La
réforme scolaire. Objectifs de l'enseignement : Identification des contenus et des méthodes
pédagogiques, Avril 1974, p.21.
Structure de l'école fondamentale
Age Cycle Caractéristiques psycho-physiologiques
6 ans
à
9 ans
Cycle de base
ou
1er
degré
- Développement de la psychomotricité.
Maîtrise du schéma corporel.
- Intelligence pratique et intuitive.
Curiosité. Socialisation.
9 ans
à
12/13 ans
Cycle d'éveil
ou
2ème
degré
- Période pré-pubertaire. Poussée
pondérale.
- Eveil de la pensée abstraite. Réversibilité
de la pensée. Eveil du sens moral.
- Esprit de groupe.
12/13 ans
à
15/16 ans
Cycle terminal
d'orientation
ou
3ème
degré
- Période pubertaire.
- Aptitude au raisonnement. Formation
d'une éthique personnelle.
- Désir d'intervenir sur le monde, de
concrétiser le savoir acquis. Eveil des
motivations professionnelles.
Politiques linguistiques
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Politiques linguistiques

  • 1. The people’s Democratic Republic of Algeria ‫العلمي‬ ‫البحث‬ ‫و‬ ‫العالي‬ ‫التعليم‬ ‫وزارة‬ Ministery of Higher Education an Scientific Research ‫الجامعي‬ ‫المركز‬ – ‫أحمد‬ ‫صالحي‬ - ‫النعامة‬ University Center –Salhi Ahmed – Nâama – Institut des Lettres et des Langues Département des langues étrangères Filière de langue française A A Au u ut t te e eu u ur r r D D Dr r r H H Ha a ab b bi iib b b E E EL L LM M ME E ES S ST T TA A AR R RI I I M M Ma a ai iit t tr r re e e d d de e e C C Co o on n nf f fé é ér r re e en n nc c ce e es s s c c cl lla a as s ss s se e e ̋̋̋ A A A’ ’’’ ’’ C C Ce e en n nt t tr r re e e U U Un n ni iiv v ve e er r rs s si iit t ta a ai iir r re e e – – – S S Sa a al llh h hi ii A A Ah h hm m me e ed d d – – – N N Nâ â âa a am m ma a a Année Universitaire 2021/2022 Polycopié de cours destiné aux étudiants de 2ème graduation (Master 1 & 2) en didactique des langues étrangères - Langue française- Politiques linguistiques
  • 3. 1 Avant-propos La situation linguistique du pays qui se caractérisait par un bilinguisme (arabe/français) bien ancré dans l'histoire, a été ponctuée par différentes pratiques d'enseignement selon les périodes historiques, et, fait marquant dans cette histoire, par la généralisation d'une politique d'arabisation à partir des années soixante dix. C'est pourquoi il paraît nécessaire de s'interroger à nouveau sur l'évolution et la mise en œuvre de ces pratiques. Le français tel que pratiqué dans le système éducatif algérien revêt aujourd'hui, du moins officiellement, le statut de langue étrangère (FLE). Son enseignement ne peut, bien entendu, se concevoir indépendamment de l'évolution méthodologique de l'enseignement des langues étrangères, évolution vécue quasiment à l'échelle universelle. L’implantation du français en Algérie procède de l’histoire du pays, mais pas en tant que langue maternelle. Son statut dépend de critères socioculturels et socio- économiques influencés par la politique engagée par l’Etat. En effet l’arabisation, comme élément unificateur postcolonial, impose de définir des choix de société, et dans ce contexte, la place de la langue française est l’objet d’un lourd débat: Quel statut lui conférer ? Quelle influence lui concéder ? Quel investissement lui réserver dans la société algérienne moderne ? Telles sont les données liminaires qui bâtissent la polémique. Force est de reconnaitre que l'école française a introduit en Algérie un système d'enseignement moderne et a formé un grand nombre d'instituteurs. Cependant, en excluant la langue arabe, elle est à l'origine de la division linguistique des élites qui ont eu à gouverner le pays dès l'indépendance. Plus qu'un simple différent sur le choix de la langue, deux groupes aux références culturelles et idéologiques opposées s'affrontent. Les francophones défendent ainsi le projet d'une Algérie multiculturelle, riche de son histoire. Ils aspirent à un état moderne, ouvert sur le monde et prônent le bilinguisme comme moyen d'accéder à la modernité. Les arabophones revendiquent une nation arabo-musulmane. Dès l'indépendance du pays en juillet 1962, et plus particulièrement dès la première rentrée scolaire (septembre 1963), l'une des premières préoccupations pédagogiques au sein du système éducatif a été de poser les jalons d'une méthode spécifique d'enseignement de la langue française. Il fallait « algérianiser » l'enseignement. Des instructions officielles ont été reconduites dans le système éducatif algérien au lendemain de l'indépendance. Sans
  • 4. 2 autre critère de choix que la contrainte d'une situation imposée, et dans laquelle on ne pouvait envisager de rupture immédiate avec le système éducatif hérité de la période coloniale. La question de pertinence et d’efficacité ne pouvait être évoquée dans la mesure où il fallait répondre à des urgences, définies comme objectifs prioritaires : d’une part alphabétiser et permettre l'accès à tous à l'enseignement, et d'autre part éduquer et transmettre des connaissances. C’est ainsi que les enseignants ont dû reconduire des méthodes et des pratiques d’apprentissage déjà en vigueur dans l’Algérie coloniale. Les seuls réaménagements immédiats seront apportés aux programmes d’histoire et de géographie. Si nous voulons analyser les premières méthodes conçues et élaborées à partir de l’indépendance, nous ne pouvons faire l’impasse sur un rappel très rapide des méthodes pratiquées dans le système éducatif qui prévalait en Algérie avant 1962 et ce, pour deux raisons : la première c’est que malgré la rupture qu’a représenté l’accession à l’indépendance du pays, il ne pouvait y avoir de changement radical dans les méthodes pratiquées dans les écoles. En effet, les structures en place, les personnels existants – du moins ceux qui étaient restés à leur poste – et les enseignants nouvellement recrutés devaient accueillir dès la rentrée scolaire suivante des milliers d’élèves dont certains en cours de cursus. La seconde raison tient à l’absence de programmes et manuels spécifiquement algériens dans la mesure où, en dépit des déclarations et des recommandations des dirigeants du mouvement pour l’indépendance à propos des objectifs et orientations de l’école algérienne, et ce dès les premières années du déclenchement de la guerre de libération1 , il n’était pas possible de concevoir un tout nouveau programme en raison des priorités du moment et des délais impartis pour la rentrée scolaire prévue en octobre 1962. Plus de cinquante ans après son indépendance, l’Algérie montre combien cette question demeure d’actualité aujourd’hui. Dans ce pays, où, depuis son origine, la polyglossie constitue un caractère socioculturel avéré (berbère-arabe), la langue française est un enjeu fondamental qui concerne ses choix de développement, ses choix éducatifs, ses choix culturels. La langue française s’est moulée dans le panorama algérien socioculturel, socio-économique, professionnel. Il est alors concevable qu’elle puisse, de nos jours, s’approcher en tant qu’idiome composant la polyglossie 1 Orientations contenues dans la plateforme du congrès de la Soummam tenu le 20 août 1956 et qui jette les bases d’une « Algérie nouvelle ».
  • 5. 3 algérienne, en tant qu’objet d’une appropriation linguistique se projetant comme un lent processus en cours.
  • 6. 4 COURS N°1 : Cours introductif La politique linguistique : éléments de définition 1. Qu’est-ce qu’une politique linguistique? La question des politiques linguistiques et éducatives renvoie généralement aux choix, aux objectifs ainsi qu’aux orientations d’un état en matière de langue(s) et exprime, de ce fait, la légitimité sociale Boyer2 . .Rousseau3 définit la politique linguistique comme : « toute forme de décision prise par un État, par un gouvernement ou par un acteur social reconnu ou faisant autorité, destinée à orienter l’utilisation d’une ou de plusieurs langues sur un « territoire » (réel ou virtuel) donné ou à en régler l’usage. » - La politique linguistique est le plus souvent formulée dans des textes officiels. - La politique linguistique découle tout simplement des pratiques linguistiques existantes. 2. Politique linguistique, planification et aménagement linguistiques Pour Calvet4 , la politique linguistique est la « détermination des grands choix en matière de relations entre langues et société » et sa « mise en pratique » est la planification ». L’aménagement linguistique consiste, d’une manière très générale, en l’application d’une politique linguistique. Calvet 5 précise : « La politique linguistique est l’ensemble des choix conscients effectués dans le domaine des rapports entre langue et vie sociale, et plus particulièrement entre langue et vie nationale, et la planification linguistique comme la recherche et la mise en œuvre des moyens nécessaires à l’application d’une politique linguistique». Le terme 2 Boyer, H. (2010) « Les politiques linguistiques » In Mots. Les langages du politique. p5.. https://doi.org/10.4000/mots.19891 consulté le 08 août 2021 3 ROUSSEAU, L.-J. (2005) .« Élaboration et mise en œuvre des politiques linguistique » p1 https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-02424020/document consulté le 09-08-2021 4 CALVET L.-J. (1996), Les politiques linguistiques, Paris, PUF.p3 5 CALVET L.-J., (1987),. La guerre des langues et les politiques linguistiques, Paris, Payot. pp154- 155
  • 7. 5 ‘’aménagement linguistique ‘’ a été proposé dans les années soixante dix (70) par le linguiste québécois Jean-Claude Corbeil, en remplacement du vocable « planification linguistique » traduction de l’expression « language planning ».connue depuis 1959. de fait, l'aménagement linguistique consiste à mener une action sur les langues par une instance de pouvoir. L’aménagement linguistique consiste donc à mettre en œuvre des stratégies et des moyens en vue d’atteindre les objectifs d’une politique linguistique prédéfinie. Robillard 6 propose « quatre niveaux principaux : pour la réalisation de cette opération : - l'évaluation de la situation (identification des problèmes au début, estimation du degré d'efficacité des mesures mises en œuvre à divers stades, jusqu'à l'évaluation finale), - la politique (formulation d'objectifs, d'une stratégie pour atteindre ceux-ci), - la planification (programmation dans le temps , prévision, gestion des ressources, - les actions (opérations concrètes faisant partie de l'intervention sur la langue ou situation linguistique).». 3. Les composantes d’une politique linguistique Une politique linguistique comprend l’ensemble des principes, législations, programmes et mesures en vue d’aménager les langues au pays , leur reconnaissance comme langues officielles, langues nationales, etc., et à leur usage respectif dans différents champs (administration publique, commerce, affaires, travail, enseignement) Elle sert à rehausser le statut de certaines langues comme, pour l’Algérie, - La langue amazighe rehaussée au statut de langue officielle du pays enseignée ; - La précision des statuts des langues étrangères, Français, Anglais, etc. 6 ROBILLARD, Didier de, (1997), articles « Action linguistique » p.p36-38 In MOREAU, Marie- Louise (éd.), Sociolinguistique, concepts de base, Sprimont (B), Mardaga.
  • 8. 6 Première partie : L’histoire de l’enseignement de langue française à travers les différents systèmes d’instructions
  • 9. 7 COURS N°2 Données historiques La langue française est implantée en Algérie depuis 1833, et a vu l’application en Algérie de la loi Jules FERRY promulguée en 1882, impliquant l’obligation, la gratuité et la laïcité de l’enseignement avec l’idéologie explicite que l’enseignement du français serait un moyen de « civiliser les Arabes » alors considérés comme une race inférieure. En novembre 1885, le conseil supérieur de l’Algérie souligne, dans un vœu signé par les dix sept des dix huit délégués des conseils généraux, la nécessité d’initier les indigènes à la civilisation 7 et d’ouvrir chez eux des écoles où on leur enseigne les élément de l’instruction publique française. Léon8 L'idéologie de l'époque attestait la légitimité dans la prétendue « supériorité de la race française » sur la « race indigène ». Jules FERRY (1832-1893), l’un des fondateurs de l'éducation moderne française, avait déclaré à ce sujet, le 28 juillet 1885, lors d'un débat à la Chambre des députés: « Messieurs, il y a un second point, un second ordre d’idées que je dois également aborder [...] : c’est le côté humanitaire et civilisateur de la question. [...] Messieurs, il faut parler plus haut et plus vrai ! Il faut dire ouvertement qu’en effet les races supérieures ont un droit vis-à-vis des races inférieures. [...] Je répète qu’il y a pour les races supérieures un droit, parce qu’il y a un devoir pour elles. Elles ont le devoir de civiliser les races inférieures. [...] » 9 7 C’est nous qui soulignons. 8 Léon. A. (1991). Colonisation, enseignement et éducation, Etude historique et comparative. Paris : L’Harmattan. P162 9 Données historiques et conséquences linguistiques. Article en ligne. http:// www .tlfq .ulaval. ca/axl /afrique/algerie-2histoire.htm Consulté le 12/07/2020.
  • 10. 8 La thèse de Ferry n’avait pas seulement des adhérents ; George Clemenceau (1841-1929) déclarait à la tribune de la Chambre des députés, le 30 juillet 1885 en opposition farouche à Jules Ferry sur les devoirs prétendus des races supérieures envers les races inférieures, « Je ne comprends pas que nous n'ayons pas été unanimes à nous lever d'un bond pour protester violemment contre vos paroles. Non, il n'y a pas de droits des nations dites supérieures sur les nations dites inférieures. N'essayons pas de revêtir la violence du nom hypocrite de civilisation. La conquête que vous préconisez, c'est l'abus pur et simple de la force, ce n'est pas le droit, c'en est la négation. ».10 Cette même idéologie admettait la désignation des différentes couches sociales de « races » en Algérie : Français, Européens et indigènes selon des catégories racialistes (le« racialisme » est, selon Gilbert Meynier , une dénomination du racisme théorisé et institutionnalisé.)11 . Les autochtones sont dédaigneusement nommés « indigènes » pour signifier leur infériorité et leur statut d'assujettis. En ouvrant l’école publique française, Jules Ferry a contribué à l’établissement d’une école laïque, gratuite et obligatoire, résultat d’un long processus évolutif social. Le principe de laïcité devait être la conséquence de la neutralité de l'Etat français à qui revenait la responsabilité de mettre son enseignement au service de tous sans heurter les consciences religieuses ou idéologiques. La loi Ferry a sensiblement modifié le paysage scolaire qui prévalait jusqu’alors en Algérie. L’instruction était auparavant dispensée dans les écoles coraniques qui, privilégiant le domaine de la religion, avaient pour but essentiel l'enseignement de l'écriture et de la grammaire arabes afin de faciliter l'étude du Coran. Le nouveau système d’enseignement mis en en place par l’administration coloniale a provoqué la crainte chez les algériens de perdre leur identité arabo-musulmane et les a poussés à refuser de scolariser leurs enfants. Le nouveau système a été décrit en termes d’affrontements, conduisant à juxtaposer deux cultures dissemblables, occidentale et orientale, favorisant la première et inhibant la seconde. Il était admis par les différents décrets en la matière, qu'il ne devait pas y avoir de séparation entre 10 LE COUR GRANDMAISON,O L'assimilation : un mythe républicain ? http:/ /www.senat .fr/ga/ga 105/ga105_mono.html consulté le 12/07/2020 11 Meynier,G (2010). « L’historiographie française de l’Algérie et les Algériens en système colonial » Intervention à Alger le 22 octobre 2010 à l'invitation d'El Watan. P3. Article en ligne http://www.algeria-watch.org/pdf/pdf_fr/meynier_historiographie_francaise.pdf consulté le 12/08/2020
  • 11. 9 l'enseignement primaire européen et l'enseignement primaire indigène, que les enfants musulmans sont admis au même titre que les élèves français « aux conditions fixées par les lois et règlements, dans les écoles primaires publiques de tout degré »12 et qu'inversement « aucune école spécialement destinée aux indigènes n'est fermée aux élèves français ou étrangers qui désirent la fréquenter ».13 Le décret du 18 Octobre 1892 insiste sur la neutralité religieuse absolue de l'école : « La liberté de conscience des élèves est formellement garantie, ils ne peuvent être astreints à aucune pratique incompatible avec leur religion. »14 Ce n’est que plus tard, après avoir ressenti le besoin et la nécessité d’apprendre, que la demande de scolarisation des enfants devint pressante et significative pour les Algériens. L’instruction porte alors en eux le secret de la résurrection et leur permet ainsi de recouvrer ainsi leur liberté et leur indépendance. On ne manque pas de noter l’opposition massive des européens à l’enseignement du français aux indigènes. Ce désaccord ostensiblement remarqué traduit une prise de conscience très politique chez les dominants comme chez les dominés; l’usage du français est pour les uns l’outil et le symbole de leur domination politique et pour les autres le moyen de s’instruire, de s’émanciper, d’accéder à la promotion sociale et d’obtenir quelques droits. Cela suscitait l’inquiétude des colons qui considéraient l’instruction des algériens comme étant un péril pour la société coloniale algérienne et leurs intérêts personnels. C’est dans cette optique qu’ont été créés deux systèmes d’enseignement, fondés sur la séparation ethnique et religieuse et sur l’inégalité devant l’instruction : l’enseignement européen mis en place pour répondre à la politique coloniale et aux besoins des populations européennes vivant en Algérie et l’enseignement musulman destiné à la population autochtone. Sous couvert de rationalité, ce sont en réalité les dominants qui imposent, de façon déguisée, leurs préférences et placent ainsi les dominés en situation d’infériorité. Cette ségrégation devant l’instruction a été sans doute à l’origine du choix de la politique linguistique opéré à l’indépendance. En partant du fait que les langues expriment l’identité, sont le témoin de l’histoire et parce qu’elles sont le produit des pratiques sociales, il nous paraît 12 http://encyclopedie-afn.org/index.php/ALGERIE_-_ENSEIGNEMENT_-_1830_-_1946_- _Partie_III Article en ligne consulté le 20/07/2020 13 Ibid 14 Ibid
  • 12. 10 nécessaire de présenter un bref aperçu historique des deux systèmes d’enseignement afin de mieux cerner l’évolution de l'enseignement de la langue française dans l'Algérie indépendante et d’expliquer les enjeux identitaires et les valeurs symboliques très présents dans la problématique de l’enseignement/apprentissage des langues. En évoquant brièvement les circonstances historiques de la présence du français dans ce pays, nous apporterons des éléments de réponse aux questionnements de cette étude sur les situations didactiques. Nous montrerons comment la coexistence de plusieurs systèmes d’instruction a entrainé l’émergence de deux élites aux orientations linguistique, politique et culturelle situées aux antipodes les unes des autres et a pesé sur le choix de la politique linguistique du pays. Qui sommes-nous quand on choisit de parler ou d’apprendre telle ou telle langue dans telle ou telle situation ? Notre identité change- t-elle quand on change de langue ? Les débats conflictuels sur le choix des langues pour les enfants conduisent les dirigeants et les parents à classer ces langues dans un ordre selon leur importance internationale, leur fonctionnalité, selon les institutions scolaires et les acteurs habilités à intervenir dans le processus d’apprentissage. Un choix qui s’avère d’une grande complexité et tient compte des contraintes sociales, identitaires, scolaires et même économiques. En parlant des langues, Philippe Blanchet explique : Toute langue a deux fonctions essentielles, une fonction communicative qui contribue à relier les personnes et les communautés, une fonction existentielle qui contribue à les différencier. Et ces fonctions sont toutes deux indissociables. Dès que l’on communique dans une langue, on ne communique pas dans une autre, et donc on se différencie de ceux qui ne la comprennent pas en même temps qu’on crée une connivence avec ceux qui la comprennent ! Une langue constitue de la sorte l’un des éléments majeurs d’une identité culturelle spécifique […].15 15 Blanchet. Ph. « Langues, identités culturelles et développement : Quelle dynamique pour les peuples émergents », Conférence présentée à l’occasion du cinquantenaire de présence africaine 1998, cité par Sandrine Airoldi in « multiculturalisme, multilinguisme et milieu urbain » sous la direction de Catherine Paulin. Presses universitaires de Franche Comté. 2005 (P9-20).
  • 13. 11 COURS N°3 Systèmes d’instruction 1. Le système d’instruction européen Cet enseignement, calqué sur celui de la métropole, s’adresse uniquement aux enfants d’origine européenne et est dispensé entièrement en langue française. Les lois sur l'enseignement laïque, gratuit et obligatoire sont appliquées et les écoles communales ouvertes aux enfants de toutes confessions. Les cursus scolaires, les programmes, les horaires de classe obéissent aux mêmes instructions officielles en vigueur dans la métropole. L’administration française devait garantir toutes les commodités de la vie métropolitaine afin d’encourager les européens à rester en Algérie. Les enfants juifs algériens, naturalisés après le décret Crémieux16 , sont également concernés par ce type d’enseignement dont l’objectif, en plus de sa visée assimilationniste, est de créer un groupe unifié, ayant les mêmes repères identitaires, culturels, qui se différencie de la grande majorité formée par les communautés musulmanes. Cet enseignement s’aligne les dispositions décrétées en France métropolitaine en rapport avec les cursus scolaires, les instructions officielles, les programmes, les horaires et les examens et concours. 2. Le système d’instruction musulman Le terme “musulman“, en référence au statut juridique personnel de droit local (loi musulmane), était employé pour désigner les algériens suivant leur confession religieuse, les distinguant des français et des juifs algériens naturalisés suite au décret Crémieux qui, à des fins assimilationnistes, déclare les juifs des départements algériens citoyens français jouissant de tous les droits réglés par la loi française. Le décret consacre en Algérie la rupture entre les colonisés et les colonisateurs, qui 16 Décret N°136, Le gouvernement de la défense nationale décrète :« Les israélites indigènes des départements de l'Algérie sont déclarés citoyens français ; en conséquence, leur statut réel et leur statut personnel seront, à compter de la promulgation du présent décret, réglés par la loi française, tous droits acquis jusqu'à ce jour restant inviolables. Toute disposition législative, tout sénatus- consulte, décret, règlement ou ordonnance contraires, sont abolis. » Fait à Tours, le 24 0ctobre 1870. http://fr.wikipedia.org/wiki/D%C3%A9cret_Cr%C3%A9mieux consulté le 25/05/2020.
  • 14. 12 viennent d'Europe et auxquels s'assimilent désormais les juifs. La nécessité de créer un système scolaire propre aux musulmans est apparue après leur première insurrection en 1845-1846, afin d’absorber le mouvement insurrectionnel et de ramener la paix. Le Duc d’Aumale argumente que « L’ouverture d’une école au milieu des indigènes vaut autant qu’un bataillon pour la pacification du pays. » (Ageron 2005 : 319). Destiné aux Arabes et aux Berbères, cet enseignement est dispensé en arabe et en français dans trois types d’écoles : les écoles arabes- françaises ; les médersas et les écoles coraniques ; et les écoles indigènes. Plutôt que de veiller à l’instruction et à l’épanouissement intellectuel des musulmans, il avait pour objectif d’exercer un contrôle sur eux. Depuis sa mise en place, jusqu’à sa suppression, ce système a subi plusieurs réformes. Si, pendant le second Empire, il a connu une relative évolution, la troisième République l’a réduit, voire anéanti. 3.1. Les écoles arabes-françaises (1850-1865) Ces écoles dont l’objectif était de former une génération de transition tout en conservant aux élèves leurs coutumes religieuses, leur nourriture et tous les usages consacrés dans la religion musulmane, dispensaient aux algériens un enseignement élémentaire de base : la lecture, l’écriture, le calcul, la grammaire, quelques notions d’histoire et géographie (tout ceci en français) et la lecture et l’écriture arabes. Deux catégories d’enseignants assuraient l’encadrement des élèves : le maître adjoint arabe (maître-indigène ou moniteur) chargé d’enseigner le Coran, limité à son aspect linguistique ; l'autre enseignant, français, enseignait les matières de base mais devait les traduire en arabe, en ayant recours au maître adjoint comme interprète. Les maîtres-indigènes étaient diplômés du brevet des études de l’Ecole Normale d’Alger et les moniteurs, devant essentiellement assurer l’enseignement du coran, avaient seulement un certificat d’études primaires. Ces écoles devaient être installées dans les régions complètement pacifiées et formaient particulièrement des cadis17 et des muphtis 18 . Dans les autres régions, l’administration essayait de rénover 17 Le cadi (juge) est un magistrat qui remplie des fonctions civiles, judiciaires et religieuses. Il s’occupe des problèmes de la vie quotidienne (différents entre personnes physiques et/ou morales, mariages, divorces, héritages, etc) 18 Le muphti ou mufti est un spécialiste de la loi islamique (la Chariâ) qui donne des fatwas (avis qui s“accordent avec les préceptes de l’Islam). Il est considéré comme l’agent intermédiaire entre l’administration (actuellement le ministère des affaires religieuses) et les imams de mosquées.
  • 15. 13 l'enseignement coranique. L’enseignement dans ces écoles qui s’inscrivait dans une politique globale de la colonisation, ne pouvait avoir comme objectif l’instruction et l’émancipation des dominés. Cela irait, comme nous l’avons précisé plus haut, à l’encontre des intérêts des colons qui considèrent l’instruction des Algériens comme mettant en péril leur domination. Des mesures étaient prises par l’administration coloniale relatives à l’extension de l’obligation aux enfants musulmans et la fermeture des collèges arabes-français en référence à aux dispositions du décret du 23 octobre 1871 et leur intégration aux lycées européens. La suppression des écoles arabes-françaises a mis fin à l’enseignement public bilingue. Le taux de scolarisation des Algériens a considérablement baissé. 3.2. Les medersas et les écoles coraniques (1850-1960) Inspirées des fondations lancées dans l’Orient Musulman (XIème – XIIème siècles) pour éduquer les enfants issus des milieux pauvres, les medersas ont été prospères jusqu’à l’arrivée des turcs (1515). Depuis le XVIe siècle et durant trois siècles environ (jusqu'en 1830), l'Algérie était une province de l'Empire Ottoman (venu en 1515 au secours des populations arabo-berbères victimes de la reconquête espagnole). Elle fut gouvernée par un Dey (Dey : titre des régents d’Alger sous l’empire ottoman 1671-1830), ses Beys (Bey : titre Turc désignant un chef de clan, haut fonctionnaire du souverain) et ses Janissaires (Janissaire : Soldat d’élite de l’armée ottomane). Au cours de l'occupation turque, l'Algérie bénéficia d’une grande autonomie, sous l’autorité d’un pouvoir militaire exercé par le Dey et contrôlé par la milice des Janissaires turcs. La présence turque en Algérie n’était pas le fait d'une présence de type coloniale, donc sans apport massif de populations étrangères. Les seuls Turcs présents en Algérie étaient ceux qui faisaient partie de la caste dirigeante ainsi que les militaires. Cette communauté restait distincte et isolée des populations arabo-berbères. Les turcs vivaient comme des étrangers. Ceci n’a, par ailleurs, pas empêché le rapprochement des communautés turque et arabo-berbère. Encore aujourd'hui, de nombreux Algériens ont des origines turques et ont conservé leurs patronymes.
  • 16. 14 Le système d’instruction musulman est restructuré par les français autour du rétablissement des anciennes19 médersas (pluriel de médersa), terme utilisé par l’administration française (de son origine arabe « madrasa » ayant pour pluriel « madaris »). Étymologiquement, en arabe le mot médersa désigne école", mais il ne pouvait, à l’époque, nommer qu’une école musulmane. Dans le but d’adapter l’enseignement aux centres d’intérêts des algériens très attachés à leurs coutumes et qui souhaitaient que le droit musulman, et non pas le droit français continue à leur être appliqué en ce qui concerne le statut des personnes, les successions et les immeubles, le décret du 30 septembre 1850 permit la création de trois médersas en Algérie : à Médéa, à Constantine et à Tlemcen. Ces établissements, établis sous le contrôle de l’autorité française pour répondre à ses besoins en personnel indigène devaient opposer une concurrence aux zaouïas dirigées par des personnalités religieuses comme l’explique Kateb: « Ces écoles qui font une utile concurrence aux zaouïas que dirigent les marabouts, sont placées sous la surveillance des officiers généraux commandants.» 20 Une zaouïa (étymologiquement: mot arabe signifiant angle, coin) est un établissement religieux à caractère soufiste qui regroupe les adeptes d’une confrérie musulmane selon une méthode ou voie (de l’arabe : Tariqua) particulière. Elle comprend des locaux pour la lecture du Coran, la prière, l'enseignement religieux et général. Elle accueille des voyageurs et des étudiants venus, pour certaines, de toute l'Afrique recevoir l’enseignement du coran et de l‘Islam et peut ainsi servir d'auberge. Elle peut être un lieu de culte qui donne lieu à des pèlerinages qu'on appelle el moussem˝ (la saison) où les adeptes viennent se réunir pour réciter leurs liturgies. La medersa est un établissement religieux à but éducatif qui comprend des espaces pour les études, une salle de prière et une salle d’ablutions. La méthode appliquée dans l’instruction, sous étroite surveillance des maîtres de la mosquée, est de type mnémotechnique21 basée essentiellement sur la restitution (dictée, lecture à haute voix, récitation, questions et réponses). L’enseignement littéraire et 19 Il s’agit des médersas des souverains de la Berbérie (XIIème – XIVème siècles) 20 Kateb. K. 2006. Ecole, population et société. L'Harmattan, . p40 21 L’absence de tout document imprimé qualifiait ce type d’enseignement de « pauvre enseignement avec de pauvres moyens » et rendait non seulement impossible la diffusion des connaissances, mais même la fixation de celles qui avaient été acquises.
  • 17. 15 théologique est dispensé par des moniteurs connus sous le nom de « moudarrissin » (pluriel arabe de « Moudarris»). Des rudiments de la langue française, des mathématiques, de l’histoire et de la géographie furent inscrits au programme d’enseignement afin de permettre aux fonctionnaires musulmans formés dans les médersas d’entretenir des rapports avec les autorités françaises. « Un décret en date du 27 juillet 1883 affecte à chacune des médersas un professeur de français comme adjoint aux trois professeurs de matières musulmanes.[…] Par un décret du 23 juillet 1895 l’enseignement des études arabes et des études françaises fut considérablement renforcé dans les médersas. Ce décret fut promulgué par le ministre de l’instruction publique, Emile COMBES, en réponse à la nécessité de hisser les médersas au niveau de l’enseignement supérieur, seul capable de permettre au droit et à la théologie musulmane d’être enseignés d’une manière profitable. Les médersas devinrent ainsi de véritables écoles d’études supérieures musulmanes »22 Ces établissements ont connu plusieurs réformes qui ont favorisé leur évolution pour les élever à la parité avec les lycées d’enseignement secondaire. Dès l’année 1951, les médersas sont transformées en lycées d’enseignement franco musulman. Les études restent étalées sur six ans pour préparer et conduire au baccalauréat tout en conservant une part importante à l’étude de la langue arabe. La voie de l’enseignement supérieur s’ouvre ainsi aux médersiens. Les médersas ont fusionné avec les lycées dès l’année1960. 3.3. Les écoles indigènes Ce type d’enseignement de par son caractère simple et élémentaire, n’avait pour autre objectif que d’amener les élèves algériens à résoudre les questions qui se présentent fréquemment dans leur vie quotidienne et dans leurs relations d'affaires avec les colons. Il fallait donc apprendre, aux algériens, les rudiments de la langue française en vue de mieux les dominer, de les asservir aux tâches économiques et de les soumettre à l’exploitation des colons en tant que main d’œuvre bon marché. La mission primordiale du système éducatif reposant sur l’autoritarisme, s’avère être la formation d’auxiliaires, subalternes à l’administration coloniale. L’école donc va former des travailleurs de champs et d’ateliers, non pas des fonctionnaires pour les 22 Janier, C. Les Medersas algériennes. Article en ligne http://www.atdm 34 .net/image s/stories/ souvenirs/Janier_medersas.pdf p15. consulté le 15/05/2020
  • 18. 16 emplois publics. Cette démarche que d’aucuns qualifient d’œuvre d’exploitation et d’asservissement plutôt qu’une œuvre scolaire, a été l’un des aspects fondamentaux de la ségrégation scolaire. Le décret du 13 février 1883 instaure et organise « l’enseignement des indigènes ». Il prévoit la création de trois sortes d’écoles dites spéciales : les écoles principales dans les centres urbains; les écoles préparatoires ou de section dans les douars et les écoles enfantines pour garçons et filles de 6 à 12 ans. Un décret daté du 9 novembre 1887 réglemente l’enseignement des indigènes et redéfinit l’école principale, l’école ordinaire, l’école enfantine (confiée aux institutrices et monitrices françaises). Ce décret prévoit la formation des maîtres qui se destinent à cet enseignement « par des cours normaux destinés à l’étude de l’arabe et du berbère, des mœurs et de l’hygiène »23 . Un troisième décret en date du 18 octobre 1892, reprenant ceux de 1883 et 1887, définit les buts et les méthodes dans l’enseignement indigène, rappelle qu’il n’y a pas de séparation des écoles absolue entre l’enseignement primaire destiné aux indigènes et l’enseignement primaire ordinaire et insiste sur la neutralité religieuse « la liberté de conscience des élèves est formellement garantie, ils ne peuvent être astreints à aucune pratique incompatible avec leur religion » (le décret)24 . Les enfants indigènes devaient ainsi être admis au même titre que les européens « aux conditions fixées par les lois et règlements dans les écoles publiques de tout degré » (le décret)25 Le contenu d’enseignement, dispensé entièrement en langue française et offrant quelques heures de langue arabe à titre facultatif, se basait pour l’essentiel sur les programmes calqué du modèle métropolitain mais adapté au milieu et aux fins attendues. « L’enseignement se donne pour but unique de former des élèves aimant le travail et pourvus de connaissances les plus indispensables : de les rapprocher de nous par initiation à notre langue, aux formes essentielles de notre pensée, aux méthodes qui ont assuré notre progrès matériel en vue d’améliorer de génération en génération leur mode d’existence et d’assurer leur mieux-être dans le cadre de la tradition. »26 23 1870-1914 : les étapes de l’Enseignement en Algérie. article en ligne,http://www.algerie-ecole- 1830-1962.fr/generale/Lesetapesdelenseignement2emepartiede18701914.pdf consulté le 16/05/2021 24 Ibid 25 Ibid 26 Ibid
  • 19. 17 Les instituteurs ne pouvaient pas aspirer à un enseignement de luxe, scientifique et complet; ils se limitaient à l'essentiel proposant un enseignement avant tout pratique permettant d’acquérir la langue française usuelle qui établira entre les élèves et l’instituteur un moyen de communication commode et d’assurer une place importante aux travaux d'atelier destinés à développer la sûreté de l'œil et l’habileté de la main. C’est donc un enseignement professionnel, sans l’être ouvertement, qui vise à « rendre » les enfants à leurs parents le vite possible en les dotant de quelques savoir-faire notamment ce qui se rapporte aux pratiques agricole et industrielle. Il était ainsi question d’apprendre aux algériens les rudiments de la langue française en vue de mieux les dominer, de les asservir aux tâches économiques et de les soumettre à l’exploitation des colons en tant que main d’œuvre bon marché. Cette démarche que d’aucuns qualifient d’œuvre d’exploitation et d’asservissement plutôt qu’une œuvre scolaire, a été l’un des aspects fondamentaux de la ségrégation scolaire.
  • 20. 18 Deuxième partie : La question d’identité
  • 21. 19 Cours N°4 La question d’identité 1. Les fondamentaux de l’identité Nous pouvons manifestement dire que toute communauté cherche à affirmer son identité religieuse et culturelle, à la préserver, à la protéger et à défendre les caractères propres et fondamentaux qui la constituent. Elle dispense alors, une éducation et un enseignement qui assurent sa continuité et sa perpétuité. Dans le cas de l’Algérie, il était naturel de se réapproprier une identité déniée pendant près d’un siècle et demi par l’occupant. Le besoin de distinction identitaire pousse ainsi à imposer un choix de la langue à apprendre et à pratiquer. La langue contribue à la construction de l’identité culturelle ; elle est donc nécessaire pour l’élaboration d’une identité collective et garantit la cohésion sociale d’une communauté favorisant l’intégration sociale et forgeant la symbolique identitaire. En ce sens, Danièle HOUPERT reprend les propos de MONTESQUIEU : « Si je savais quelque chose qui me fût utile et qui fût préjudiciable à ma famille, je le rejetterais de mon esprit. Si je savais quelque chose qui fût utile à ma famille, et qui ne le fût pas à ma patrie, je chercherais à l’oublier. Si je savais quelque chose qui fût utile à ma patrie et qui fût préjudiciable à l’Europe et au genre humain, je le regarderais comme un crime »27 . Mais, il n’empêche que le rapport de la langue à l’identité est complexe, car il ne s’agit pas seulement de la langue mais aussi de son usage. Les rapports entre groupes parlant une langue commune génèrent souvent des phénomènes identitaires reposant sur la conscience d’appartenir à une même communauté linguistique. Ces identités portées par la langue sont directement liées aux faits politiques et sociaux. 27 HOUPERT,D. « Langue(s), identités culturelle et citoyenneté ». p4 Article en ligne http :// pedagogie2.ac-reunion.fr/langages/lcr2004/1erdegre/analyses/cr_houpert.pdf consulté le 10/05/2021
  • 22. 20 2. Enjeux identitaires de l’apprentissage des langues en Algérie L’histoire d’un pays, d’une société est un élément clé de la construction des aspects fondamentaux qui caractérisent son identité. L’Algérie, n’échappe pas à la règle. L’histoire, la mémoire et la définition de l’identité nationale y apparaissent en effet comme les composantes indissociables d’un triptyque. « Le poids du passé apparait d’autant plus contraignant qu’il a fait l’objet d’appropriation coloniale et de réappropriations nationales inversées. » Manceron28 . En parlant du poids du passé, il ne s’agit pas de se focaliser sur le passé colonial de l’Algérie mais de faire également allusion à la culture ancestrale des algériens et leur lien culturel avec les différentes présences et dominations (carthaginoises, romaines, vandales royaumes berbères et présence ottomane). L’Algérie est marquée par son hétérogénéité sociolinguistique et socio culturelle : les enseignes, la presse, les médias, la publicité, la littérature s’expriment en deux langues principales, l’arabe et le français, alors que l’arabe dialectal (l’algérien) et le tamazight29 sont les langues principalement parlées dans la rue et dans les foyers. Le français demeure la principale langue étrangère pratiquée dans le pays. Ce qui caractérise sa situation est le fait qu’elle soit utilisée comme langue support dans l’enseignement et comme langue de communication scientifique et économique. L'Algérie se caractérise par une diversité linguistique héritée de son histoire. Dès son indépendance, le pays est dirigé par une élite qui jouera un rôle immense dans le devenir linguistique de la population. La situation linguistique se caractérise par la coexistence de plusieurs langues qui sont l’arabe classique dit également littéraire, moderne ou encore standard, l’arabe algérien (dialectal), le tamazight et le français qui ne cesse de subir des changements. Selon les ambitions et l'éthique du pouvoir en place, la portée idéologique est différemment exploitée. Le processus de développement du moment a conduit à des transformations fondamentales prônant 28 MANCERON, G. et AISSANI, F. (1996). Algérie: comprendre la crise. Editions Complexe. P39 29 Le Tamazight ou langue berbère sous ses différentes variantes ( le kabyle, le chaoui, le mozabite, le targui et d’autres variantes du Sud de l’Algérie telles les chlouhs de Bousemghoun ( wilaya d’El Bayadh) et Ain Safra (wilaya de Nâama) est langue maternelle d'un grand nombre d'Algériens. La population amazighe est présente, sous ses diverses composantes dans tout le pays et principalement dans la grande Kabylie ( région de Tizi-Ouzou) et la petite Kabylie (région de Bejaïa), dans les Aurès où l'on parle chaoui et dans le Sud algérien, avec ses composantes mozabite (région de Ghardaïa) et touarègue, où le targui est confiné à la communication tribale et intra-groupe.
  • 23. 21 les options d’arabisation, de démocratisation, de culture scientifique et technique. L’arabisation, la démocratisation et l'islamité sont les options retenues par 1er Congrès du FLN (Front de libération national) le 16 avril 1964. Ces options ont été traduites en termes opératoires et élargies aux préoccupations relatives aux principes fondateurs de la nation algérienne. Cependant, les objectifs clairement affichés par le pouvoir en place sont de se délivrer de la présence étrangère pour procéder à une véritable algérianisation de l’école considérée comme le lieu d’enjeux qui dépassent de loin le linguistique. La langue arabe devient ainsi la langue de l’Etat et celle de l’école. L’article 3 de la Constitution de 1962 stipule : «L'arabe est la langue nationale et officielle.». La politique suivie dans l’enseignement constitue la colonne vertébrale de la politique linguistique en Algérie, mais elle concerne tout aussi bien l’administration et l’environnement. Après une période assez mouvementée sous Ahmed Benbella (1962-1965), l’arabisation va connaitre trois moments avec Houari Boumediene (1965-1978). Cette période est marquée par les noms de Taleb Ibrahimi (1965-1970), Abdelhamid Mehri (1970- 1977) et Mostefa Lacheraf (1977-1979). La période présidée par Chadli Bendjedid (1979-1992) a connu des remous liés à la crise politique et économique traversée par le pays. Dès son accession à l’indépendance en juillet 1962, l’état algérien est sous le contrôle de dirigeants socialistes du FLN qui mettent en œuvre une politique linguistique et culturelle basée essentiellement sur l’arabisation et le retour aux valeurs arabo-islamiques pour donner un contenu à la libération nationale. Cette réforme, mise progressivement en œuvre par le gouvernement algérien, répond à une triple motivation : La langue arabe représente la face culturelle de l'indépendance, elle est langue de l'islam et langue de la nation arabe .Ahmed Taleb Ibrahimi (1973 : 16), l’un des concepteurs de la politique éducative algérienne, cité par Abdenour Arezki, nous livre sa pensée : « Il ne nous vient pas à l’idée de nier l’apport de la culture française qui nous a appris ne serait-ce que la méthode et le "discours sur la méthode». Mais il y a le revers de la médaille, ce que nous appelons les séquelles impalpables de la colonisation. En empruntant la langue du colonisateur, nous empruntons aussi, et de
  • 24. 22 façon inconsciente, sa démarche intellectuelle, voire son échelle de valeurs. Et seul un retour à la culture nationale peut faire disparaître ces séquelles. » 30 Le chapitre I de la Charte nationale portant comme titre « L’Islam et la révolution socialiste » stipule que : Le peuple algérien est un peuple musulman. L’Islam est la religion de l’Etat. Partie intégrante de notre personnalité historique, l’Islam se révéla comme l’un de ses remparts les plus puissants contre toutes les entreprises de dépersonnalisation. 31 Le parti socialiste algérien qui contrôle le pouvoir depuis l'indépendance, ainsi que les différents gouvernements qui se sont succédé, ont tous favorisé l'arabisation et l'islamisation de la société algérienne. Les diverses constitutions successives depuis 1963 sont constantes sur ce plan: l'islam est la religion de l'État et l'arabe, sa langue nationale et officielle. La constitution nationale dans ses articles 2 et 3 stipule : Art.2 : L’islam est la religion de l’Etat Art.3 : L’arabe est la langue nationale et officielle. L’Etat œuvre à généraliser l’utilisation de la langue nationale au plan officiel.» (Constitution de 1976, 2002) Il est bien entendu que la notion d'islamité est intimement liée à la langue arabe. L'arabe classique est la langue du Coran et de la révélation divine. C'est la langue qui lie l'Algérie aux mondes arabe et musulman, et ainsi l'une des constituantes de la personnalité algérienne, conformément à l'objectif « suprême » du maître réformisme religieux Abdelhamid Ben Badis 32 . Cet objectif est fondé sur les principes développés dans son œuvre, à savoir entre autres la sauvegarde de la personnalité d'une Algérie unie et en symbiose, dans ses spécificités ethniques, religieuses et culturelles indivisées et indivisibles et porté par le triptyque suivant: « L'Algérie est notre patrie, l'Islam est notre religion et l'arabe est notre langue ». 30 Abdenour .A . « La planification linguistique en Algérie où l’effet de boomerang sur les représentations sociolinguistiques » in Revue; Le français en Afrique, n° 25,CNRS,UMR 6039, Nice, 2010. http://www.unice.fr/ILF-CNRS/ofcaf/25/Arezki%20Abdenour%20.pdf cons le 25/05/2020 31 Charte nationale (1976 : 21). Titre premier : L’Islam et la révolution socialiste. 32 A. Ben Badis (1889-1940). Président de l'Association des Oulémas (ulémas) musulmans algériens, figure emblématique du mouvement réformiste musulman en Algérie qui s’est développé pendant l’entre deux guerres. En compagnie d'un groupe d'anciens élèves et de compagnons, loyaux fidèles, disciples formés dans leur majorité à Tunis ou au Moyen-Orient, il dénonce la mainmise de l'administration coloniale sur le culte musulman.
  • 25. 23 La langue arabe classique est désormais imposée comme seule langue officielle et nationale. Son application s’est étendue aux domaines politique et culturel pour devenir synonyme de ressourcement, de retour à l’authenticité et de récupération de l’identité arabe. Dès la promulgation des premiers textes officiels, le pouvoir a réhabilité l’identité du peuple algérien sous ses deux composantes linguistique et religieuse. Son rôle de culture nationale consistera, en premier lieu, à rendre à la langue arabe, expression même des valeurs culturelles de notre pays, sa dignité et son efficacité en tant que langue de civilisation. « L’Algérie entretient avec la langue arabe un lien particulier qui tient à ses rapports anciens avec l’Islam mais aussi à la façon spécifique par laquelle elle est entrée dans le monde moderne par le biais d’une colonisation qui fut d’abord une annexion c'est-à-dire la négation de son identité propre ».Bistolfi33 Dès les premières heures de la constitution de l’Etat algérien, le français, langue de colonisation pendant 132 ans, est cité de façon systématique dans les textes officiels : la Constitution, la Charte nationale34 et le Cadre de Référence du système éducatif, mais il est mentionné uniquement en tant qu’héritage colonial et/ou langue étrangère « privilégiée ». «Le discours idéologique dominant a stigmatisé le français comme langue du colonisateur et d’aliénation culturelle, mais paradoxalement il n’a pas engendré une attitude de rejet de cette langue par les Algériens. L’alphabétisation en arabe classique était plus portée par une idéologie culturelle et identitaire que par une logique de formation, liée à un projet de développement social et économique. Ce rôle semble être réservé aux langues étrangères, au français notamment, perçu comme langue de la promotion sociale, de la technologie et de l’ouverture à d’autres cultures et civilisations. »35 33 BISTOLFI, R. (2003). Les langues de la Méditerranée, Editions L’Harmattan. p141 34 Source suprême de la politique de la Nation et des lois de l'Etat 35 Abdenour .A . (2010). « La planification linguistique en Algérie où l’effet de boomerang sur les représentations sociolinguistiques » p166. in Revue; Le français en Afrique, n° 25,CNRS,UMR 6039, Nice,. http://www.unice.fr/ILF-CNRS/ofcaf/25/Arezki%20Abdenour%20.pdf cons le 25/05/2020
  • 26. 24 3. L’arabisation et son impact sur l’enseignement de la langue française Le terme arabisation connait différentes acceptions : linguistique, historique et politique. Dans le domaine de la linguistique, il signifie « une opération morphologique et phonétique qui permet d’adapter un terme étranger qu’on inclut dans la langue, après l’avoir aligné sur un des paradigmes propres à cette langue. »36 . L’arabisation est donc une transposition d’un mot étranger afin de donner à la langue arabe la possibilité d'exercer avec efficacité et aisance toutes les fonctions que réclame la civilisation mondiale moderne. D’un point de vue historique, c’est l’arrivée des Arabes au VIIème siècle en vue de l’islamisation de l’Afrique du Nord, originellement berbère, qui enclenche le processus d’arabisation. Ce processus, freiné par les occupations espagnoles, turques et françaises qu’avait connues par l’Algérie, est relancé par le mouvement des ulémas dès 1931 afin de lutter contre la politique d’assimilation. D’un point de vue politique, l’arabisation est synonyme de réhabilitation de l’identité nationale, de ressourcement, de retour à l’authenticité et de récupération de l’identité arabe. « L'arabisation (at-Taârib), en tant que concept et projet de société, est un terme relativement récent. Elle ne s'est jamais inscrite, nous venons de le voir, comme un passage obligé de l'islamisation, contrairement à certaines affirmations. En revanche, elle porte en elle le symbole de la décolonisation culturelle eu égard à la francophonisation, voire la "francisation" effective ou supposée des sociétés maghrébines sous la domination coloniale. D'où les débats passionnés et passionnels qui en découlent, face à un fait accompli historique dont les enjeux éducatifs et leurs implications politiques et sociales dépassent le cadre pédagogique. » A. Moatassim 37 La langue arabe devait opérer une double substitution: elle devait se substituer au français, pour prendre la place de la langue de l'aliénation culturelle et restaurer la personnalité nationale. Elle devait aussi se substituer aux dialectes, pour remplacer la multiplicité dialectale par une langue unique, à même d'assurer l'unité des citoyens 36 Ghoual. H..(2002) « La politique d'arabisation face à la situation bilingue et diglossique de l'Algérie». thèse de doctorat . P117 37 Moatassime, A. (1996) : « Islam, arabisation et francophonie. Une interface possible à l’interrogation « Algérie-France-Islam» ? , Confluences Méditerranées, 69-85
  • 27. 25 autour de l'État. Elle devint une priorité absolue pour le pouvoir en place. En d’autres termes, il s’agissait, après l’indépendance de signer l’appartenance de l’Algérie à la sphère géopolitique arabe. L’arabisation devait être alors le résultat des efforts consentis par les dirigeants arabes, en faveur du panarabisme qui ouvrirait les pays arabes à l’idéologie arabe internationale et permettrait la construction d’un ensemble arabe et islamique. Une nation arabo-islamique, conservatrice, qui rayonnerait au sein de la grande nation arabe, la « Oumma » (Nation en arabe). Cet espoir du monde arabe qui pourrait contester la légitimité de ces mêmes Etats, trop envahis par l’idéologie occidentale. 4. Un choix identitaire Les options fondamentales relatives à l’école algérienne et donc à l’ensemble du système éducatif ont été ordonnées dans un premier temps par le Projet38 de Programme pour la Réalisation de la Révolution Démocratique et Populaire, projet (émanant du parti unique algérien, le FLN adopté à l'unanimité par le CNRA à Tripoli en juin 1962 : « La culture algérienne sera nationale, révolutionnaire et scientifique. Son rôle de culture nationale consistera en premier lieu à rendre à la langue arabe, expression même des valeurs culturelles de notre pays, sa dignité et son efficacité en tant que langue de civilisation [….]. Elle combattra ainsi le cosmopolitisme culturel et l'imprégnation occidentale qui ont contribué à inculquer à beaucoup d'Algériens le mépris de leur langue et de leurs valeurs nationales ».39 L’enseignement/apprentissage des langues étrangères est tributaire des statuts qui leur sont réservés dans les pays où elles sont enseignées. Les politiques linguistiques ne tiennent pas souvent compte des réalités linguistiques mais sont plutôt marquées par des considérations idéologiques et influencées par les conflits géopolitiques. L’usage du français en Algérie s’est largement étendu après l’indépendance. Mais, en raison de la politique d’arabisation, la politique linguistique mise en œuvre par les instances officielles du pays depuis son accession à l’indépendance (juillet 38 Projet de Programme du parti FLN pour la Réalisation de la Révolution Démocratique et Populaire adopté à l'unanimité par le C. N. R. A.(Comité National de la Révolution Algérienne) à Tripoli en juin 1962 http://www.el-mouradia.dz/arabe/symbole/textes/tripoli.htm consulté le 13juin 2021 39 Ibid
  • 28. 26 1962)40 , a été basée essentiellement sur l’arabisation et le retour aux valeurs arabo- islamiques. Les politiques engagées en Algérie devant assurer le choix d’options nationales responsables ont été l’enjeu d’affrontements politiques. Ce qui aurait pu permettre de construire une personnalité algérienne est devenu l’enjeu de divisions et de haines. Certains ont confondu course au profit et démocratisation. Une grande partie des Algériens résistent toujours à la politique d’arabisation autoritaire et refusent de changer leurs pratiques linguistiques. Deux groupes aux références culturelles et idéologiques opposées s'affrontent. Les francophones défendent ainsi le projet d'une Algérie multiculturelle, riche de son histoire. Ils aspirent à un état moderne, ouvert sur le monde et prônent le bilinguisme comme moyen d'accéder à la modernité. Les arabophones, nourris de l'idéologie des ulémas, revendiquent une nation arabo-islamique. L’accession à la promotion sociale et au savoir passait par la langue arabe au lieu de la langue utilisée par les francophones dits « parti de la France » (cette expression est une traduction de l’arabe « Hizb Fransa »). « Le discours idéologique dominant a stigmatisé le français comme langue du colonisateur et d’aliénation culturelle, mais paradoxalement il n’a pas engendré une attitude de rejet de cette langue par les Algériens. L’alphabétisation en arabe classique était plus portée par une idéologie culturelle et identitaire que par une logique de formation, liée à un projet de développement social et économique. Ce rôle semble être réservé aux langues étrangères, au français notamment, perçu comme langue de la promotion sociale, de la technologie et de l’ouverture à d’autres cultures et civilisations. »41 Dès l’année 1968, des textes officiels émanant du pouvoir exécutif et politique obligent les hauts fonctionnaires de l’état à connaître et maîtriser l'arabe classique et précisent que désormais, tout recrutement de fonctionnaires devra correspondre à cette exigence, alors que ceux qui sont déjà recrutés devront acquérir cette connaissance. Les arabisants en profite pour prendre le contrôle de certains 40 Cette date marque pour l’Algérie l’accession à son indépendance politique après plus de trois siècles de présences et de dominations étrangères 41 Abdenour .A (2010).. « La planification linguistique en Algérie où l’effet de boomerang sur les représentations sociolinguistiques » p166. in Revue; Le français en Afrique, n° 25,CNRS,UMR 6039, Nice,http://www.unice.fr/ILF-CNRS/ofcaf/25/Arezki%20Abdenour%20.pdf cons le 25/05/2020
  • 29. 27 leviers de la société. Nous ne manquons pas de signaler que la politique d’arabisation a servi de base aux mouvements intégristes qui revendiquaient l’arabité et l’islamité et pour qui parler en français (langue du colonialisme) signifiait se mettre au-dessus du peuple et réveiller des hostilités. C’était donc risquer des tensions dans les relations sociales. Trois constantes de la nation (thawabit el oumma) sur lesquelles se fonde l’identité algérienne sont reprises en toute circonstance : l’arabe, l’islam et la patrie algérienne. Ce triptyque sera remplacé par l’arabe, l’islam et l’amazighité. Un Haut- Commissariat à l'amazighité auprès de la présidence de la République est créé par le décret du 28 mai 1995. Ce nouvel organisme instauré par le président de la république, le 7 juin 1995, fut chargé notamment de prendre diverses initiatives et de formuler des propositions en matière d'enseignement de la langue berbère. En effet, en avril 2002, le Parlement algérien a adopté, une modification constitutionnelle instituant la langue berbère comme langue nationale. La langue arabe conserve son statut de langue officielle. Il nous semble nécessaire de signaler la distinction établie par Cuq entre une langue nationale et une langue officielle. « Quand elle n’est pas officielle, une langue nationale véhicule des valeurs nationales, d’ordre culturel. Les langues nationales africaines ont généralement fait l’objet d’une reconnaissance officielle (par décrets relatifs à leur transcription et à leur orthographe par exemple), sans avoir le caractère de langues officielles (statut réservé au français en Afrique francophone). Toutes les langues africaines n’ont pas encore le statut de langues nationales et très peu sont enseignées à l’école.» 42 Une langue officielle est, toujours selon Cuq, une : « langue adoptée par un Etat (ou un groupe d’Etats), généralement au nom de sa constitution, une langue officielle est une langue institutionnelle : administration, justice, éducation, secteurs législatif et commercial, etc. Un même Etat peut se doter de deux langues officielles (c’est le cas du Cameroun par exemple où le français et 42 CUQ J. P. (2003). Dictionnaire de didactique du français langue étrangère et seconde Paris, clé international. P152
  • 30. 28 l’anglais sont langues officielles). En Afrique, le français demeure langue officielle (mais non nationale) dans seize Etats » .43 Le cadre de Référence du Système Educatif cité dans le plan d'action44 de mise en œuvre de la Réforme du système éducatif (Octobre 2003) se fait l’écho des nouvelles valeurs politique : « Le système éducatif algérien doit promouvoir des valeurs en rapport avec l’Islamité, l’Arabité et l’Amazighité en tant que trame historique de l’évolution démographique, culturelle, religieuse et politique de notre société. » Ce discours s’inspire des options fondamentales énoncées dans la Charte nationale et dans la Constitution. Il résume également l’ensemble des rapports entretenus entre les domaines politique et économique et les enjeux linguistiques que l’école algérienne se doit d’assumer et dont elle se définit comme l’élément essentiel autour duquel ils gravitent. Pour beaucoup d'Algériens, l'arabe algérien, le berbère, l'arabe classique et le français font partie de leur patrimoine culturel. Gilbert Granguillaume45 aborde la question des langues telle qu’elle se présente en Algérie en explicitant les enjeux symboliques, culturels, sociaux et politiques qui lui sont liés. « […] prendre en compte le rôle des langues parlées (l’arabe algérien et le berbère) en tant que références fondamentales et non à les mépriser et les bannir. De cette politique linguistique aurait émergé peu à peu, à l’échelle nationale, la conscience d’une identité algérienne respectée dans sa diversité et tirant profit ; une identité algérienne nationale se démarquant à la fois du modèle occidental et du modèle moyen oriental par sa histoire propre, ses traditions, ses langues et ses aspirations.» L’arabisation est prise en charge à travers la promotion de la langue arabe en tant que langue d’enseignement, de culture, de communication et de travail. Son application s’est étendue aux domaines politique et culturel pour devenir synonyme de ressourcement, de retour à l’authenticité et de récupération de l’identité arabe. Si 43 Ibid 44 Le plan d’action retenu par le Conseil des ministres en date du 30 avril 2002, expose les grandes lignes de la refonte de l'école algérienne qui a désormais pour mission essentielle l'instruction, la socialisation, la qualification, la préparation à l'exercice de la citoyenneté et l'ouverture sur le monde. 45 GRANDGUILLAUME, G. (2003). « Les enjeux de la question des langues »,p158. in Les langues de la Méditerranée, Bistolfi, R. (Dir.), Les cahiers de Confluences, Paris, l’Harmattan, 2003, p 141- 165
  • 31. 29 l'on se réfère aux textes officiels relatifs aux options fondamentales du pays, et plus particulièrement à la politique linguistique, la « réappropriation » de la langue arabe reste le fondement de la politique linguistique du pays. C'est ainsi que l'une des premières décisions politiques du pays nouvellement indépendant a été de rendre l’arabe obligatoire pour l’ensemble de la population scolarisée. Pour ce faire, le processus d'arabisation a été mis en œuvre. C’est au début des années soixante-dix, avec l'avènement de « l’école fondamentale » ou école de neuf ans, mise en application dès 1976 que la langue arabe est passée de langue enseignée à langue d'enseignement. Les textes officiels précédents et ceux en vigueur précisent que le développement de l'enseignement constitue l'une des priorités absolues du pays. Le but est d'assurer d'une part la promotion sociale et culturelle du peuple, et d'autre part de donner au pays les cadres dont il a besoin dans tous les secteurs afin de pallier les insuffisances. 5. L’arabisation et le système éducatif Pour ce qui concerne l'éducation nationale, l'objectif prioritaire reste la construction de la personnalité autonome du système éducatif algérien dont l’objectif premier est de contribuer à perpétuer l’image de la Nation algérienne et à être solidement amarré à ses ancrages géographique, historique, humain et culturel. L’école, espace privilégié de développement chez le jeune algérien de l’amour de sa patrie et de l’attachement à son héritage culturel plusieurs fois millénaire, a pour mission essentielle de faire prendre conscience aux élèves de leur appartenance à une identité historique collective, commune et unique, consacrée officiellement par la nationalité algérienne. C’est dans cette perspective fondatrice de l’identité nationale que l’institution officielle veille à la formation d’une conscience nationale qui prend sa source dans les principes fondateurs de la nation algérienne : Islamité, Arabité, Amazighité. L’école devient à juste titre le lieu de connaissance et le creuset où se forge le respect du patrimoine historique, géographique, religieux, linguistique et culturel et de l’ensemble des symboles qui l’expriment tels que les langues nationales, l’emblème et l’hymne nationaux. L’école doit, à cet effet, enraciner chez
  • 32. 30 les enfants le sentiment patriotique et promouvoir et développer l’attachement et la fidélité à l’Algérie, à l’unité nationale et à l’intégrité territoriale. « L'école algérienne a pour vocation de former un citoyen doté de repères nationaux incontestables, profondément attaché aux valeurs du peuple algérien, capable de comprendre le monde qui l'entoure, de s'y adapter et d'agir sur lui et en mesure de s'ouvrir sur la civilisation universelle.»46 L’école étant le lieu par excellence de la diffusion des idéologies, la réhabilitation de l’identité nationale devait commencer par cette institution. « C’est à l’école que se joue le devenir politique du pays, car l’investissement effectué maintenant ne sera rentabilisé que dans une ou deux décennies et, selon ce que l’on aura investi, on récoltera une jeunesse formée, ouverte et motivée pour construire un avenir démocratique ou une jeunesse désenchantée, révoltée et disponible pour n’importe quelle aventure. » Mahiou47 Cet objectif était déjà annoncé dans la Charte de Tripoli en juin 1962 puis développée par la Charte d'Alger promulguée en avril 1964 et précisée par la Proclamation du 19 juin 1965, date de la destitution du premier Président de la République algérienne Ahmed Ben Bella et de la prise de pouvoir du Conseil de la Révolution présidé par Houari Boumediene, historiquement appelé : « Redressement Révolutionnaire». C'est à partir de cette date que l'arabisation devient une option politique clairement énoncée et qu'elle est théoriquement haussée au niveau des principaux objectifs de la Révolution, représentant avec l'enseignement l'une de ses dimensions culturelles. La restitution à part entière de la place et du rôle de la langue nationale dans la vie de la nation est considérée désormais comme une base indispensable de la souveraineté permettant aux enfants algériens de s'enraciner dans leur langue écrite de culture, à savoir l'arabe classique, bien que les langues étrangères doivent conserver une fonction complémentaire. Sans langue arabe la personnalité algérienne ne serait pas complète et l'on ne pourrait réédifier une civilisation arabo-islamique digne de ce qu'ont fait les 46 Loi d’orientation sur l’éducation N° 08-04 du 23 Janvier 2008. Article 2. 47 Mahiou, A. Où va l’Algérie? (2001). Institut de recherches et d’études sur les mondes arabes et musulmans, Karthala. P34
  • 33. 31 anciens, apte à permettre de participer positivement à la modernité de la civilisation universelle. Les ordonnances se succèdent et viennent tour à tour imposer à tous les fonctionnaires algériens et assimilés la connaissance de la langue nationale. Mêmes si ces mesures n’avaient qu’une valeur symbolique, elles signifiaient cependant que les cadres de l'Etat ne pouvaient plus ignorer la langue nationale. La politique d’arabisation suivie dans l’enseignement constitue la colonne vertébrale de la politique linguistique en Algérie, mais elle concerne tout aussi bien l’administration et l’environnement. Après une période assez mouvementée durant la période d’Ahmed Benbella (1962-1965), l’arabisation va connaitre trois moments sous Houari Boumediene (1965-1978). Cette période est marquée par les noms de Taleb Ibrahimi (1965-1970), Abdelhamid Mehri (1970- 1977) et Mostefa Lacheraf (1977-1979). La période présidée par Chadli Bendjedid (1979-1992) a connu des remous liés à la crise politique et économique traversée par le pays. « Portée par la faveur populaire, l’arabisation réalise de jour en jour des progrès considérables en Algérie et permet à de larges secteurs, notamment parmi la jeunesse, de se révéler dans leur pratique de la langue nationale. Il s’agit là, objectivement, d’un acquis d’une grande portée et qui n’est, au demeurant, que très légitime ». Charte nationale (1976 : 65). Titre trois : La langue nationale Il s’agissait non seulement d’une arabisation mais encore et surtout d’une algérianisation progressive des cadres et des programmes. Cependant, l’Algérie manquant de cadres enseignants arabophones, l’arabisation ne pouvait donc pas se faire de manière immédiate, car elle nécessitait des moyens culturels et modernes et ne pouvait s’accomplir dans la précipitation. Afin de pallier le manque de cadres arabophones, l’État a fait venir des enseignants, pour la plupart, égyptiens, syriens et irakiens afin de lancer le processus qui a duré près de vingt ans. Francisants et arabisants ne pouvaient se passer les uns des autres, chaque ministère fut obligé d’installer une équipe d'interprétariat chargée des traductions écrites et verbales en langue arabe de documents, correspondances, textes officiels, projets de textes à caractère législatif et projets de textes réglementaires. Ce travail
  • 34. 32 de traduction impliquait une lourde charge et d'une certaine façon, il représentait aussi un large transfert des modèles français, au moment même de l'arabisation. La loi n° 91-05 du 16 janvier 1991 portant généralisation de l'utilisation de la langue arabe entre en vigueur sous la pression des nouveaux partis politiques prônant le retour aux valeurs et constantes nationales, à savoir l'Arabité et l'Islamité. La langue française ne constitue plus l'outil de communication privilégié dans les institutions et organismes publics. Cette loi stipule dans l'article 2 que : « La langue arabe est une composante de la personnalité nationale authentique et une constante de la nation. Son usage traduit un aspect de souveraineté. Son utilisation est d'ordre public ». Les articles 5 et 6 de la loi no 91-05 du 16 janvier 1991 sont très clairs à ce sujet: Article 5 1) Tous les documents officiels, les rapports, et les procès-verbaux des administrations publiques, des institutions, des entreprises et des associations sont rédigés en langue arabe. 2) L’utilisation de toute langue étrangère dans les délibérations et débats des réunions officielles est interdite. Article 6 1) Les actes sont rédigés exclusivement en langue arabe. 2) L’enregistrement et la publicité d’un acte sont interdits si cet acte est rédigé dans une langue autre que la langue arabe D'autre part, dans l'article 18 de cette même loi, les législateurs imposent l'utilisation de la langue arabe comme langue d'expression exclusive pour les interventions, les déclarations, les conférences et pour tout document officiel. Dans l'article 37, l'arabe est décrété langue d'enseignement obligatoire au sein des établissements et instituts de l'enseignement supérieur. Cette loi fixe comme date butoir l'échéance du 5 juillet 1997 pour une arabisation de toutes les disciplines. Le 17 décembre 1996, le Conseil national de transition (CNT), l’assemblée législative algérienne désignée, votait à l’unanimité une loi sur la « généralisation de l’utilisation de la langue arabe ». Elle stipule notamment qu’à la date du 5 juillet 1998 (et en l’an 2000 pour l’enseignement supérieur)
  • 35. 33 « Les administrations publiques, les institutions, les entreprises et les associations, quelle que soit leur nature, sont tenues d’utiliser la seule langue arabe dans l’ensemble de leurs activités telles que la communication, la gestion administrative, financière, technique et artistique ». Et de préciser : « L’utilisation de toute langue étrangère dans les délibérations et débats des réunions officielles est interdite. » En revanche, l’enseignement des langues étrangères, dont le français, est souvent rattaché à la documentation et à la connaissance des civilisations étrangères. Les conséquences de cette orientation sur l’enseignement du français furent indéniablement le refus de la reconnaissance du bilinguisme. Dans le contexte algérien, la notion de bilingue a longtemps été associée à classes bilingues. Elle a émergé dans le milieu éducatif algérien, au lendemain de la mise en place de la politique d’arabisation. Le terme bilingue se réfère essentiellement aux classes qui ne sont pas arabisées. Elles sont donc bilingues, ce qui signifie qu’elles dispensent l’enseignement de certaines matières comme les sciences, les mathématiques et la physique en français. Cette notion disparait du champ éducatif, à la suite du parachèvement du processus de l’arabisation. Depuis lors, le sens de ce concept demeure imprécis ou entouré de flou, car aucune instance éducative ou universitaire ne le prend en charge, à l’exception du module de sociolinguistique. Nous pouvons néanmoins postuler que dans les représentations sociales ordinaires, le vocable bilingue désigne une personne francophone ou ayant une formation en français en opposition à arabophone qui a fait un cursus scolaire en arabe, « Est bilingue la personne qui se sert régulièrement de deux langues dans la vie de tous les jours et non qui possède une maîtrise semblable (et parfaite) des deux langues ». Grosjean48 . Ainsi la langue française acquiert le statut de langue étrangère enseignée dès la 4ème année du primaire, puis lors de la réforme du système éducatif, son enseignement a été introduit en 3ème année du cycle primaire dès la rentrée scolaire 2006-2007. Le français devient matière enseignée pendant 10 ans et l'arabe seule langue d'enseignement. 48 Grosjean, F. (1982). Life with two languages: an introduction to bilingualism. Cambridge, London: Harvard University press.
  • 36. 34 Ce bilinguisme non assumé a renforcé l’écart qui existait déjà entre les arabophones et les francophones car ces derniers étaient les seuls à pouvoir prétendre l’accès aux études prestigieuses dispensées en langue française et garantissant l’ascension sociale. En cela, ce bilinguisme a exclu les étudiants issus des sections arabisées qui ne pouvaient poursuivre leurs études que dans les filières les préparant aux métiers de fonctionnaires dans des administrations dont la vocation première n’était que la prestation de services et de maîtres d’écoles. C’est pourquoi certaines voix se sont élevées qualifiant l’arabisation de précipitée et d’improvisée. En effet, le français est un outil de travail important pour les Algériens que ce soit sur leur lieu de travail, à l’école ou même encore dans la rue. Dans ces conditions Abdallah Mazouni (1974)49 déclarait : «La seule question fondamentale est celle de l'arabisation. Elle a fait déjà de gros progrès mais il reste énormément à faire. Cependant... il est choquant et nocif de culpabiliser une fraction si élevée de notre peuple (celle des francisants) ... L'ignorance ne se punit pas mais chacun est évidemment tenu, dans la mesure de ses moyens, d'apprendre à lire et à écrire la langue nationale, et libre d'apprendre 50 langues étrangères ». Cette langue (la langue française) tient aussi une position forte dans l’enseignement universitaire technique et scientifique, elle continue d’être une langue de travail et de communication dans différents secteurs (vie économique, monde de l’industrie et du commerce, l’enseignement supérieur, laboratoires de médecine et de pharmacie, médias, etc.) et elle a également une fonction importante dans le secteur médiatique comme en témoigne l’essor de la presse francophone. Ce qui n'est pas sans poser problème aux étudiants ayant reçu une formation scientifique en arabe au cours de leur scolarité. « Le français est resté dans de nombreuses universités, la langue de l’enseignement et des techniques. C’est pourquoi, ce hiatus a entraîné un malaise chez les apprenants car après douze ans de pratique de la langue arabe, de nombreux bacheliers des filières scientifiques au niveau du secondaire sont confrontés, dès le premier jour de leur rentrée universitaire, à un problème, celui de communiquer avec le professeur, de suivre un cours magistral. En effet, ces étudiants assistent à des 49 Mazouni.A. « Positions et propositions sur les bilinguismes».El-Moudjahid Culturel, 28 juin 1974.
  • 37. 35 cours magistraux dispensés par un enseignant mais qui utilise une langue qui leur semble tout à fait étrangère, alors qu’ils l’ont étudié ce pendant neuf ans ».50 50 RAHAL, Safia, La francophonie en Algérie : Mythe ou réalité ? en ligne http://www.initiatives.refe r.org/Initiatives-2001/_notes/session6.htm consulté le 14/12/2020
  • 38. 36 Conclusion Il est tout à fait objectif de reconnaitre, sans préjugés, que l'école française implantée en Algérie a introduit un système d'enseignement moderne et formé un grand nombre d'instituteurs. Néanmoins, en excluant la langue arabe, elle a été à l'origine de la division linguistique des élites qui ont eu à gouverner le pays depuis l'indépendance. Beaucoup plus qu'un simple différent sur le choix de la langue, deux groupes aux références culturelles et idéologiques opposées s'affrontent. D’un côté, les francophones qui défendent le projet d'une Algérie multiculturelle, riche de son histoire, aspirent à un état moderne ouvert sur le monde et prônent le bilinguisme comme moyen d'accéder à la modernité. D’un autre côté, les arabophones, nourris de l'idéologie des ulémas, ne posent la question de la langue qu'en termes de réappropriation naturelle conforme aux aspirations du peuple algérien et revendiquent une nation arabo-islamique, conservatrice, qui rayonnerait au sein de la grande nation arabe. L’apport de l’Algérie à la civilisation arabe est donc appelé à être cultivé et renforcé, grâce d’abord à la place de la Langue arabe comme vecteur d’enseignement, et aussi grâce aux efforts et moyens qui devront être investis dans le domaine de la culture sous toutes ses formes. C'est ainsi que l'une des premières décisions politiques du pays nouvellement indépendant a été de rendre l’arabe obligatoire pour l’ensemble de la population scolarisée et d’attribuer officiellement à la langue française le statut de langue étrangère1 (LE1)51 . 51 Statut qui lui donne le privilège par rapport aux autres langues étrangères admises dans le système éducatif algérien., l’anglais est désigné comme deuxième langue étrangère(LE2).
  • 39. 37 Troisième partie : Le système éducatif algérien au lendemain de l’indépendance
  • 40. 38 Cours N°5 Le système éducatif algérien 1. Contexte géographique D’une superficie de 2 381 741 km², l’Algérie est à la fois le plus grand pays d'Afrique, du monde arabe et du bassin méditerranéen et compte une population de plus de 42 millions d’habitants selon les statistiques de janvier 2018. Plus de 54% de la population est âgée de moins de 30 ans. La République algérienne démocratique et populaire a recouvert son indépendance le 5 juillet 1962. Le pays est divisé en quarante-huit wilayas, elles-mêmes subdivisées en daïras. Chaque daïra regroupe plusieurs communes, qui constituent l’élément de base de l’organisation territoriale. La langue nationale officielle est l’arabe, l’unique langue d’enseignement dans les deux premières années de l’enseignement fondamental. Il faut rappeler qu’au cours de la dernière décennie, l’Algérie a traversé une période de violence et d’insécurité sans précédent. Il est certain que cela a occasionné des répercussions négatives sur les résultats escomptés, d’une part, et empêché de réaliser certaines opérations d’extension et de développement du système éducatif, d’autre part. 2. Le projet de programme pour la réalisation de la révolution démocratique et populaire Dès son accession à l’indépendance, les instances politiques du pays adoptent une politique linguistique et éducative basée essentiellement sur l’arabisation et le retour aux valeurs arabo-islamiques. Une commission a été chargée d'élaborer un plan de réforme scolaire, qui publia son rapport à la fin de l'année 1964. Ainsi, sans connaître de bouleversements notables, le système éducatif de l’Algérie indépendante s’inscrivit déjà dans une perspective de choix. La rentrée de 1963 a été marquée par le souci d'arabiser (voire d'algérianiser) l'enseignement. En conséquence de la politique éducative héritée de la période coloniale et pour des raisons d'ordre structurelle et conjoncturelle, un des plus grands défis dans le domaine du développement social pour l’état algérien est la garantie de la construction d'une société démocratique de droit qui contribue à la promotion et le développement des
  • 41. 39 ressources humaines pour la réduction des inégalités sociales ayant pour but la prospérité et le progrès sur des bases acceptables. 3. Organisation du système éducatif (1962-1984) L’école algérienne indépendante a ouvert ses portes en octobre 1962. Considérée comme une phase préparatoire, cette période devait garantir le démarrage de l’école algérienne. Il fallait prendre progressivement des initiatives pour asseoir un système éducatif conforme aux grands axes de développement du pays. Les textes officiels qui vont régir le système éducatif algérien vont alors être conçus dans une vision de rupture avec l'école coloniale. La réflexion portait sur une réforme qui visait à instaurer un système éducatif authentique débarrassé des séquelles d'un enseignement trop longtemps resté à l'écart du mouvement de la transformation de la société algérienne. Les fondateurs du jeune Etat s’activent alors à assurer une scolarisation normale des enfants par la création de structures scolaires et leur implantation jusque dans les zones déshéritées, l’adaptation des contenus hérités du système colonial, l’arabisation progressive de l’enseignement et l’algérianisation des cadres de l’éducation. La priorité stratégique souhaitée est la satisfaction des besoins de bases d'apprentissages pour la vie, entre lesquelles les connaissances, les habiletés, les valeurs et les attitudes permettent aux personnes de développer leurs capacités, de vivre et de travailler avec dignité, de participer intégralement au développement et à l'amélioration croissante de la qualité de vie. Cela ne s’est pas réalisé sans difficultés. Dans notre pays, la question culturelle implique : a) La restauration de la culture nationale et l’arabisation progressive de l’enseignement sur une base scientifique. De toutes les tâches de la révolution, celle-ci est la plus délicate, car elle requit des moyens culturels modernes et ne peut s’accomplir dans la prescription sans risque de sacrifier des générations entières : b) La préservation du patrimoine national de culture populaire; c) L’élargissement du système scolaire par l’accession de tous les niveaux de l'enseignement ; d) L'algérianisation des programmes par leur adaptation aux réalités du pays.
  • 42. 40 e) L'extension des méthodes d'éducation de masse et la mobilisation de toutes les organisations nationales pour butter contre l'analphabétisme et apprendre à tous les citoyens à lire et à écrire dans les délais les plus brefs. Sans une scolarisation massive et intensive, sans la formation de cadres techniques administratifs et enseignants, il sera difficile de prendre rapidement en main tous les rouages de 1’économie nationale. Projet de programme (1962)52 En effet, le départ des personnels enseignants et administratifs européens a créé un vide considérable, ce qui a incité les dirigeants à recruter dans le tas pour parer à l’urgence du moment, des remplaçants très peu qualifiés qui ont bénéficié d'une formation accélérée et peu approfondie. Le corps des enseignants des écoles primaires était hiérarchisé et constitué d'un petit nombre d'instituteurs formés pendant la période coloniale, et pour une grande majorité de « moniteurs » ou « d'instructeurs » ou « d'instituteurs ». Les enseignants des lycées étaient majoritairement des coopérants français, belges et russes pour les matières dispensées en langue française et des égyptiens, syriens et irakiens pour les matières dispensées en langue arabe. Après l’indépendance, l'organisation et la gestion des niveaux primaire, moyen et secondaire est du ressort du ministère de l’éducation nationale, la formation professionnelle est confiée au ministère de la formation professionnelle. 3.1. L’enseignement primaire D’une durée de six ans, il était sanctionné par un examen national (examen de sixième) qui permettait l’accès à l’enseignement moyen. Son objectif principal était de développer toutes les capacités de l’élève en lui apportant les éléments et les instruments fondamentaux du savoir : expression orale et écrite, lecture, mathématiques. 52 Projet de programme pour la réalisation de la révolution démocratique populaire, adopté à l'unanimité par le Conseil National de la Révolution .Algérienne (C.N.R.A) à Tripoli en Juin 1962.
  • 43. 41 3.2. L’enseignement moyen C’est une phase de quatre années d’étude qui assurait un enseignement général de base dont le but était de fournir à l’élève un socle de compétences, d’éducation, de culture et de qualification qui le préparait à poursuivre ses études secondaires ou de s’intégrer dans la vie professionnelle. Cette phase était sanctionnée par le Brevet d’Enseignement Général (BEG) jusqu’en 1971 puis le Brevet d’Enseignement Moyen (BEM) jusqu’en 1983 3.3. L’enseignement secondaire Il se déroule en trois ans et est sanctionné par le baccalauréat de l’enseignement secondaire. Dès la première année secondaire, les élèves étaient orientés vers les filières : lettres (L), sciences expérimentales (S), mathématiques (M), techniques mathématiques (TM) et techniques de gestion (T’). Il a pour objet, jusqu’à ce jour, outre la poursuite des objectifs généraux de l’école de base, le renforcement des connaissances acquises, la spécialisation progressive dans les différents domaines en rapport avec les aptitudes des élèves et les besoins de la société. De même qu’il favorise soit l’insertion dans la vie professionnelle, soit la poursuite des études en vue d’une formation supérieure. 3.4. Place de la langue française dans les différentes réformes 3.4.1. Période de 1963 à 1973 Tout en reconnaissant la langue française langue véhiculaire des techniques et des pensées modernes, l’institution algérienne donne des directives consistant en l’Algérianisation des programmes hérités du système colonial. Les anciens programmes ont été reconduits mais expurgés des textes littéraires trop marqués idéologiquement et culturellement. La pratique des cours de Français se résumait essentiellement à l’analyse et à l’explication des textes littéraires ( Emile .Zola , Kateb Yacine ,Mohammad Dib , Mouloud Feraoun, etc.). Les performances attendues des élèves se matérialisaient dans des commentaires, des comptes rendus, des contractions de textes et des essais. La langue française est restée langue d'enseignement jusqu'en 1971 en raison de l'insuffisance notable du personnel enseignant et administratif formé en langue
  • 44. 42 arabe. L’enseignement/apprentissage de la langue française a pour objectif l’installation de deux compétences : linguistique et communicative qui permettent de doter l’apprenant d’une compétence langagière. Il ne suffit pas pour l’apprenant de maîtriser les structures linguistiques, mais il doit savoir les employer de manière appropriée dans différentes situations notamment dans les disciplines dispensées en langue française (mathématiques, sciences naturelles, sciences physiques, géographie). Il convient de préciser que pour les classes bilingues seules la langue et la matière d’histoire étaient assurées en langue arabe. A cet effet, l’institution éducative accordait une importance particulière à l’enseignement-apprentissage de la langue française du fait de son statut de langue d’enseignement et de vecteur d’enseignement des matières scientifiques et grâce auquel elle constitue un enjeu principal de réussite ou d’échec à l’école. 3.4.2. Période de 1974 à 1975 Les finalités de l’enseignement du Français sont redéfinies. La langue française revêt, désormais, le statut de « langue étrangère ». Ainsi, les objectifs généraux du français seront redéfinis visant la maîtrise de la langue parlée et écrite, la compréhension du discours oral et écrit en sont quelques exemples. 3.4.3. Période de 1976 à 1980 La Charte nationale élaborée en 1976 est soumise à référendum dans le but « d'exprimer une expérience et de formuler une stratégie » 53 à partir « des transformations fondamentales que l'Algérie a connues pendant la décennie écoulée »54 : options d’Arabisation, de Démocratisation, de Culture scientifique et technique. L’éducation constitue l'axe central du développement humain. Elle exige des politiques d'état stables, à long terme, avec le consensus de toute la société et accepté par elle. L'éducation de base pour tous implique l'accès, la permanence, la qualité, des apprentissages et la pleine participation et intégration de tous : filles, garçons, adolescents, jeunes et adultes. C’est dans cette perspective que l’ordonnance n°76-35 du 16 avril 1976 portant organisation de l’éducation et de la formation est adoptée. Cette ordonnance, premier texte réglementaire définissant la politique éducative, fixe 53 Charte nationale (1976 : 7), Introduction. Editions populaires de l'armée. 54 Ibid (1976 : 7).
  • 45. 43 les repères et les bases de l’organisation de l’enseignement en Algérie et précise les missions, les finalités et les objectifs du système éducatif. Ce texte constitue le cadre réglementaire aux axes de développement qui s’appuient sur: - l’authenticité de la conscience et de la culture nationale du peuple algérien, - le développement de ses valeurs spirituelles, de ses traditions et de ses choix fondamentaux, - l’éducation de la nation par la généralisation de l’enseignement, - la lutte contre l’ignorance, - la consécration des principes d’arabisation, de démocratisation et de l’option scientifique et technique - la garantie du droit à l’enseignement, de sa gratuité et de son caractère obligatoire tout en permettant la formation à tous les citoyens sans condition d’âge ni de niveau social. « Le système éducatif a pour mission dans le cadre des valeurs arabo-islamiques et de la conscience socialiste : - Le développement de la personnalité des enfants et des citoyens et leur préparation à la vie active - l’acquisition des connaissances générales scientifiques et techniques - la réponse aux aspirations populaires de justice et de progrès - l'éveil des consciences à l'amour de la patrie »55 « Tout algérien a droit à l'éducation et à la formation. Ce droit est assuré par la généralisation de l'enseignement fondamental. Un décret précisera les modalités d'application des dispositions du présent article. »56 De fait, l’école algérienne, en vue de la construction d’un système éducatif qui soit en adéquation avec les besoins de l’économie du pays, se donne pour mission de participer à la socialisation et à l’éducation de citoyens et de citoyennes modernes, ouverts, critiques, participatifs, conscients de leurs droits et respectueux de leurs devoirs et responsabilités. 55 Ordonnance n°76-35 du 16 avril 1976 (Article 1) 56 Ibid: (article 4)
  • 46. 44 L’organisation du système éducatif est ainsi annoncée dans l’ordonnance : Art.17 : Le système éducatif est constitué des niveaux d'enseignement suivants : - l'enseignement préparatoire, - l'enseignement fondamental, - l'enseignement secondaire, - l'enseignement supérieur, Chacun de ces enseignements est assuré dans des établissements appropriés. 3.4.3.1. L’enseignement préparatoire Cet enseignement, destiné aux enfants âgés de 4 et 5 ans, est dispensé dans des établissements publics placés sous tutelle pédagogique du ministre de l’éducation nationale. Ces classes préparatoires sont ouvertes dans certaines 57 écoles maternelles, dans des jardins d’enfants ou dans des classes enfantines. D’une durée de deux ans, l’enseignement préparatoire consiste à préparer les enfants à l’entrée à l’école et a pour objectif d’aider ces derniers à acquérir leur autonomie, des attitudes et des compétences qui leur permettront de construire les apprentissages fondamentaux. 3.4.3.2. L’enseignement fondamental L’enseignement fondamental, d’une durée de 9 ans, a pour mission d’assurer une éducation de base commune à tous les élèves. Il se charge de leur dispenser une formation dans les différentes disciplines leur permettant le développement naturel de la personnalité et d’acquérir les techniques d’analyse, de raisonnement et de compréhension du monde. « En ce qui concerne la scolarisation des enfants nés après l’Indépendance, la responsabilité de l’Etat sera pleine et entière. L’objectif consiste à passer […] à une nouvelle étape, qualitative, celle-là. Il s’agira de prolonger davantage la durée de l’instruction 57 Cet enseignement n’est pas généralisé dans toutes les écoles et ne revêt pas de caractère obligatoire.
  • 47. 45 publique de base grâce à l’extension, puis à la généralisation de « l’école fondamentale de 9 ans » ».58 . L’enseignement fondamental a été concrétisé par le décret n°76-71 du 16 avril 1976 portant organisation et fonctionnement de l’école fondamentale laquelle a été mise en place progressivement dans des établissements pilotes répartis sur l’ensemble des wilayas du pays à partir de la rentrée scolaire 1977. Sa généralisation59 n’a vu le jour qu’à la rentrée scolaire 1985. L’objectif était la réorganisation de l'ancien système (système hérité du colonialisme français) en fusionnant le cycle primaire et moyen pour donner lieu à un enseignement général, commun et obligatoire à tous les enfants algériens. Le projet d’une réforme scolaire avec la mise en œuvre d’une école dite fondamentale, pour une durée de neuf ans a été concrétisé par un décret n°76-71 du 01 avril 1976 portant organisation et fonctionnement de l’école fondamentale. Cette école, une des transformations fondamentales qu’a connues l’Algérie de 1985 à 2004, constitue la partie essentielle et la base du système éducatif algérien. Dans la Charte nationale de 1976 on retrouve précisée la lutte contre l’analphabétisme et la scolarisation des enfants et des adultes. Le but de l'école fondamentale n'est pas seulement de prolonger la scolarisation obligatoire, mais aussi d'amener la refonte des programmes et méthodes d'enseignement. L’école fondamentale est structurée en trois paliers de trois années chacun : deux paliers dans l’ancien primaire et un palier au collège. - Le premier palier de six à neuf ans : de la 1ère à la 3ème année fondamentale. - Le second palier de neuf à douze ans : de la 4ème à la 6ème année fondamentale ; - Le troisième palier de douze à quinze ans : de la 7ème à la 9ème année fondamentale. 58 Charte nationale (1976 : 69). Titre : La lutte contre l’analphabétisme et la scolarisation des enfants et des adultes. 59 Il est utile de signaler que l’ancien régime continuait de fonctionner jusqu’en 1984. La généralisation de l’école fondamentale et sa mise en vigueur réelle ne s’est faite qu’en 1985, c’est- à-dire au terme du 4ème plan quadriennal de développement économique et social.
  • 48. 46 Au terme de ce cursus de neuf ans, les élèves obtiennent un diplôme : le Brevet d'Enseignement Fondamental (BEF) et sont par la suite orientés soit vers l'enseignement général secondaire, soit vers l'enseignement professionnel ou l'insertion dans la vie active. Tableau comparatif des deux systèmes L’ancien régime Encadrement L’école fondamentale Encadrement Enseignement primaire 1ère année primaire 2ème année primaire 3ème année primaire 4ème année primaire 5ème année primaire 6ème année primaire Instituteurs Instructeurs Moniteurs Enseignement fondamental (1èr et 2ème paliers) 1ère année fondamentale 2ème année fondamentale 3ème année fondamentale 4ème année fondamentale 5ème année fondamentale 6ème année fondamentale Maitres de l’école fondamentale (MEF) Enseignement moyen 1ère année moyenne 2ème année moyenne 3ème année moyenne 4ème année moyenne Professeur de l’enseignement moyen (PEM) Enseignement fondamental (3ème palier) 7ème année fondamentale 8ème année fondamentale 9ème année fondamentale Professeur de l’enseigneme nt fondamental (PEF)
  • 49. 47 Tableau récapitulatif des trois paliers60 60 Document ministériel émanant de la Direction de l’Organisation et de l’Animation pédagogique : La réforme scolaire. Objectifs de l'enseignement : Identification des contenus et des méthodes pédagogiques, Avril 1974, p.21. Structure de l'école fondamentale Age Cycle Caractéristiques psycho-physiologiques 6 ans à 9 ans Cycle de base ou 1er degré - Développement de la psychomotricité. Maîtrise du schéma corporel. - Intelligence pratique et intuitive. Curiosité. Socialisation. 9 ans à 12/13 ans Cycle d'éveil ou 2ème degré - Période pré-pubertaire. Poussée pondérale. - Eveil de la pensée abstraite. Réversibilité de la pensée. Eveil du sens moral. - Esprit de groupe. 12/13 ans à 15/16 ans Cycle terminal d'orientation ou 3ème degré - Période pubertaire. - Aptitude au raisonnement. Formation d'une éthique personnelle. - Désir d'intervenir sur le monde, de concrétiser le savoir acquis. Eveil des motivations professionnelles.