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Le Soir Vendredi 9 décembre 2016
CULTURE
Michel Sardou,
70 ans en janvier,
remontera sur scène à partir
de l’été 2017 en France,
Belgique et Suisse
pour une série de concerts
baptisée « La Dernière
Danse ». © REPORTERS / BPRESSE
ENTRETIEN
I
l a 82 balais. Toujours la ba-
nane. Cet air de nounours
espiègle à la voix douce et
un peu hilare. Le sourire d’un
garnement qui ne se résout pas à
vieillir. Un capital sympathie
énorme auprès de ses contempo-
rains. Vingt-cinq écoles qui
portent son nom. Une réputa-
tion de saltimbanque un peu
paillard, un peu fêtard. Une pas-
sion pour le pinard, aussi, qu’il
entretient en cette fin d’année en
publiant un livre de circonstance
(Ma vie en vin, aux éditions Le
Cherche Midi).
Pierre Perret, qui se produit ce
vendredi soir au Forum de Liège,
est plus connu auprès des en-
fants de 7 à 77 ans pour ses fan-
taisies musicales (« La cage aux
oiseaux », « Les jolies colonies de
vacances », « Tonton Cristobal »,
« Vaisselle cassée », « Le zizi »…)
que pour ses chansons engagées.
Surprise : ces dernières n’ont pas
mal vieilli du tout. Et révèlent
que Perret fut souvent, sur ce
terrain sociétal, un pionnier.
Vous êtes associé dans la
culture populaire à des chan-
sons espiègles et grivoises. Or,
on oublie parfois que pas mal
de vos chansons ont abordé,
dès les années 70, de nom-
breux thèmes de société.
C’est vrai que « Lily », « La
bête est revenue », c’est telle-
ment aux antipodes des « Jo-
lies colonies de vacances » ou
du « Zizi ». L’éclectisme était
ma préoccupation principale.
Tout m’intéresse. Un jour, à
Radio France, ils se sont amu-
sés à faire un classement de
tous les chanteurs. Il y en a un
seul qui est resté en dehors, in-
classable, et c’était moi.
« Lily », c’est une chanson sur
les migrants. « 50 gosses dans
l’escalier », sur les banlieues.
On ne se doutait pas il y a 30
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figure de moderne en 2016 !
Il y a pas mal d’observateurs
qui s’accordent à dire que j’ai
été précurseur. Sur le racisme
avec « Lily », sur le sexe avec
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Dieu »… Mais ça a toujours de-
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j’essayais de mettre le doigt là
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« Lily » a été donnée comme
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la chanson. Qu’est-ce que cela
vous inspire ?
Le sujet du bac était : et si Lily
revenait aujourd’hui, quel se-
rait son discours ? Les gosses
ont bien flashé là-dessus. Ils
ont compris l’enjeu. Pendant
quatre ou cinq ans, cette idée
m’a trotté dans la tête. Et il y a
un peu plus de deux ans, je me
suis attaqué à la chanson. Je
viens de la finir, après une
quarantaine de versions. Elle
s’appelle « Les Emigrés » et elle
fera partie du prochain album
qui sortira dans un an. J’y
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tion aujourd’hui, près de qua-
rante ans après.
Comment ce rapport à l’immi-
gration a-t-il évolué selon
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Il a énormément changé. Et à
tous points de vue. La violence
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heureux doit payer en partant,
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sombrer. Ça n’a plus rien à voir
avec l’immigration, entre
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dis. A l’époque, les problèmes
venaient surtout en arrivant
alors que maintenant, d’abord
ils se font taper sur la gueule,
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L’horreur des émigrés est totale.
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retienne de vous ?
Il y a quelques mois, après les
événements sanglants et dra-
matiques qu’on a connus en
France, un de vos confrères m’a
dit : « Pierre Perret, cette
France-là, cette France des
tristes événements, ce n’est pas
votre France à vous. Pourquoi
ne l’écrivez-vous pas ? » Il
avait raison. Eh bien, j’ai pris
mon stylo, je suis allé à ma
table. J’ai écrit pendant une de-
mi-heure ma France à moi. On
l’a posté sur Facebook. Le len-
demain, il y avait dix millions
de vues. Et sur ces dix millions-
là, il y en a peut-être un qui a
dit : ce texte est très beau mais
maintenant il faut en faire une
chanson. Je l’ai commencée il y
a un an et je viens de la termi-
ner il y a quinze jours. Elle sera
aux côtés des « Emigrés » dans
le prochain album. ■
Propos recueillis par
NICOLAS CROUSSE
Pierre Perret : « L’horreur
des émigrés est totale »
CHANSON L’auteur et chanteur se produit ce soir au Forum de Liège
A 82 ans, l’auteur du
« Zizi » garde la banane.
Ses chansons sociales
créées il y a 30 ou
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« C’était en 1956. En 24 heures à peine, je suis devenu chanteur. Un truc de ouf ! » © SYLVAIN PIRAUX
C ’était en 1956. Pierre Perret n’était
encore qu’un têtard de 22 ans. Rien
ne le prédestinait à la chanson. Un jour,
nous raconte-t-il depuis l’hôtel Amigo,
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A l’épo-que, une copine à lui, Françoise
Marin, se met en tête de faire de la chan-
son. Elle ne veut que des chansons origi-
nales. Problè-me : où les trouver ? « La
solution, c’est toi, Pierrot, lui fait-elle. T’es
un poète, t’es musicien, tu dois savoir
faire des chansons. »
Le jeune Perret se lance timidement…
avec les encouragements de Brassens et
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envoie Françoise à une audition aux Trois
Baudets, devant Jacques Canetti, alors
faiseur de pluie et de beau temps sur la
chanson française. Une cinquantaine de
personnes font la queue pour l’audition.
Rares sont celles qui vont au bout de leur
chanson. Puis, vient le tour de Françoise
Marin… qui va jusqu’au bout de sa chan-
son. « Du premier rang, j’entends : “Ma-
demoiselle, est-ce que vous avez une autre
chanson ?” Oui, Monsieur”, fait Fran-
çoise, qui se lance sur une deuxième chan-
son. “Mademoiselle, avez-vous d’autres
chansons ?” Oui”, fait Françoise. “Eh bien
chantez-nous tout !” » A la fin de l’audi-
tion, Canetti demande : “C’est vous qui
avez écrit ces chansons ?”“ Non”, dit-elle,
“c’est un jeune auteur… il est dans la salle,
mais il est timide”. Canetti lui demande
de me faire venir. » Perret lui remet alors
une lettre de recommandation, écrite par
Brassens. « Durant la conversation, il y
avait un mec dans le hall, à côté de Canet-
ti. Il vient vers moi et me dit : “c’est toi,
petit, qui as écrit ces chansons pour la pe-
tite ? Eh bien, il faut que tu continues.” Je
lui dis “merci Monsieur !” Il me dit : “Ar-
rête de m’appeler Monsieur. Moi, c’est
Vian… Boris pour les dames”. »
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Canetti envoie Françoise Marin et son
auteur-guitariste jouer à la Colombe.
Puppchen, apprenant que Françoise Ma-
rin ne touche là-bas qu’un modeste ca-
chet, demande à Perret : « Mais pourquoi
tu ne chantes pas, toi ? Ça vous ferait
deux cachets ! » Perret répond : « Mais
moi, je ne suis pas chanteur ! » Puppchen
rétorque : « Mais Georges non plus ! Lui,
il chante ses chansons parce que personne
ne veut les chanter ! »
Quelques jours plus tard, Perret se met
à gribouiller des textes. Françoise Marin
le signale au patron de la Colombe, Mi-
chel Valette. « Un samedi, devant 60 per-
sonnes et après que Boby Lapointe et Fer-
rat ont chanté, Valette annonce : “Mes-
dames, Messieurs, le garçon qui a accom-
pagné Françoise Marin est un cachottier.
Il écrit des chansons pour lui, et il ne le
sait pas encore mais il va nous les chan-
ter.” Je n’avais jamais chanté de ma vie
une seule fois. Je dis : “Pas question !” »
Il finit par chanter. « Quatre ou cinq
titres… et je fais le triomphe de ma vie. »
Un ponte de la chanson le fait venir à sa
table. « “Vous chantez depuis combien de
temps ?” Je regarde ma montre : “Depuis
20 minutes”. Le mec, Emile Hebey, me
dit : “Je suis le manager de Gilbert Bé-
caud, de Gloria Lasso et de Charles Tre-
net. Voulez-vous être le quatrième ?” » Le
lendemain, Pierre Perret signait un
contrat… chez Barclay. « Le contrat le
plus fabuleux dont on aurait pu rêver. Et
24 heures plus tôt, j’avais jamais chanté
de ma vie. » ■
N.Ce.
naissance « Et voilà comment je suis devenu chanteur… »
« Sur les sujets de société,
au fond, j’ai bossé
comme un chercheur.
Je me documentais... »
Né en 1934 à Castelsarra-
sin, Pierre Perret, fils de
bistrotier, est depuis le
début des années 60 un
chanteur populaire, tirant
sa célébrité de chansons
humoristiques et joyeuse-
ment subversives (« Les
jolies colonies de va-
cances », « Le zizi »…).
Quelques-unes de ses
chansons engagées (« Li-
ly », « La bête est reve-
nue »…) rappellent sa
fibre sociale. Il est l’auteur
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  • 1. 21 Le Soir Vendredi 9 décembre 2016 CULTURE Michel Sardou, 70 ans en janvier, remontera sur scène à partir de l’été 2017 en France, Belgique et Suisse pour une série de concerts baptisée « La Dernière Danse ». © REPORTERS / BPRESSE ENTRETIEN I l a 82 balais. Toujours la ba- nane. Cet air de nounours espiègle à la voix douce et un peu hilare. Le sourire d’un garnement qui ne se résout pas à vieillir. Un capital sympathie énorme auprès de ses contempo- rains. Vingt-cinq écoles qui portent son nom. Une réputa- tion de saltimbanque un peu paillard, un peu fêtard. Une pas- sion pour le pinard, aussi, qu’il entretient en cette fin d’année en publiant un livre de circonstance (Ma vie en vin, aux éditions Le Cherche Midi). Pierre Perret, qui se produit ce vendredi soir au Forum de Liège, est plus connu auprès des en- fants de 7 à 77 ans pour ses fan- taisies musicales (« La cage aux oiseaux », « Les jolies colonies de vacances », « Tonton Cristobal », « Vaisselle cassée », « Le zizi »…) que pour ses chansons engagées. Surprise : ces dernières n’ont pas mal vieilli du tout. Et révèlent que Perret fut souvent, sur ce terrain sociétal, un pionnier. Vous êtes associé dans la culture populaire à des chan- sons espiègles et grivoises. Or, on oublie parfois que pas mal de vos chansons ont abordé, dès les années 70, de nom- breux thèmes de société. C’est vrai que « Lily », « La bête est revenue », c’est telle- ment aux antipodes des « Jo- lies colonies de vacances » ou du « Zizi ». L’éclectisme était ma préoccupation principale. Tout m’intéresse. Un jour, à Radio France, ils se sont amu- sés à faire un classement de tous les chanteurs. Il y en a un seul qui est resté en dehors, in- classable, et c’était moi. « Lily », c’est une chanson sur les migrants. « 50 gosses dans l’escalier », sur les banlieues. On ne se doutait pas il y a 30 ou 40 ans que vous feriez figure de moderne en 2016 ! Il y a pas mal d’observateurs qui s’accordent à dire que j’ai été précurseur. Sur le racisme avec « Lily », sur le sexe avec « Le zizi », l’extrême droite avec « La bête est revenue », l’intégrisme avec « Au nom de Dieu »… Mais ça a toujours de- mandé beaucoup de travail. Sur ces différents thèmes, j’ai bossé au fond comme un cher- cheur. Je me documentais. Et j’essayais de mettre le doigt là où ça faisait mal. « Lily » a été donnée comme sujet du bac pour les 30 ans de la chanson. Qu’est-ce que cela vous inspire ? Le sujet du bac était : et si Lily revenait aujourd’hui, quel se- rait son discours ? Les gosses ont bien flashé là-dessus. Ils ont compris l’enjeu. Pendant quatre ou cinq ans, cette idée m’a trotté dans la tête. Et il y a un peu plus de deux ans, je me suis attaqué à la chanson. Je viens de la finir, après une quarantaine de versions. Elle s’appelle « Les Emigrés » et elle fera partie du prochain album qui sortira dans un an. J’y évoque le regard de l’immigra- tion aujourd’hui, près de qua- rante ans après. Comment ce rapport à l’immi- gration a-t-il évolué selon vous ? Il a énormément changé. Et à tous points de vue. La violence et les conditions de l’exil, tout est si différent. Chaque mal- heureux doit payer en partant, et ne sait pas au moment de partir en mer s’il va ou non sombrer. Ça n’a plus rien à voir avec l’immigration, entre guillemets « tranquille », de ja- dis. A l’époque, les problèmes venaient surtout en arrivant alors que maintenant, d’abord ils se font taper sur la gueule, bombarder, après ils prennent un bateau qui prend l’eau… L’horreur des émigrés est totale. Qu’aimeriez-vous que l’on retienne de vous ? Il y a quelques mois, après les événements sanglants et dra- matiques qu’on a connus en France, un de vos confrères m’a dit : « Pierre Perret, cette France-là, cette France des tristes événements, ce n’est pas votre France à vous. Pourquoi ne l’écrivez-vous pas ? » Il avait raison. Eh bien, j’ai pris mon stylo, je suis allé à ma table. J’ai écrit pendant une de- mi-heure ma France à moi. On l’a posté sur Facebook. Le len- demain, il y avait dix millions de vues. Et sur ces dix millions- là, il y en a peut-être un qui a dit : ce texte est très beau mais maintenant il faut en faire une chanson. Je l’ai commencée il y a un an et je viens de la termi- ner il y a quinze jours. Elle sera aux côtés des « Emigrés » dans le prochain album. ■ Propos recueillis par NICOLAS CROUSSE Pierre Perret : « L’horreur des émigrés est totale » CHANSON L’auteur et chanteur se produit ce soir au Forum de Liège A 82 ans, l’auteur du « Zizi » garde la banane. Ses chansons sociales créées il y a 30 ou 40 ans parlent toujours étonnamment bien de notre époque. « C’était en 1956. En 24 heures à peine, je suis devenu chanteur. Un truc de ouf ! » © SYLVAIN PIRAUX C ’était en 1956. Pierre Perret n’était encore qu’un têtard de 22 ans. Rien ne le prédestinait à la chanson. Un jour, nous raconte-t-il depuis l’hôtel Amigo, son destin a basculé en quelques heures. A l’épo-que, une copine à lui, Françoise Marin, se met en tête de faire de la chan- son. Elle ne veut que des chansons origi- nales. Problè-me : où les trouver ? « La solution, c’est toi, Pierrot, lui fait-elle. T’es un poète, t’es musicien, tu dois savoir faire des chansons. » Le jeune Perret se lance timidement… avec les encouragements de Brassens et de Puppchen, compagne de Georges, qui envoie Françoise à une audition aux Trois Baudets, devant Jacques Canetti, alors faiseur de pluie et de beau temps sur la chanson française. Une cinquantaine de personnes font la queue pour l’audition. 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