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SEND
NUDES
MARION CAZAUX & Chloé Lavigne
©Eniluapski
SEND NUDESLe catalogue d’exposition
Exposition du 9 au 20 mars 2020 à la
Centrifugeuse & à l’UFR Lettres de l’UPPA
Par Marion Cazaux & Chloé Lavigne
SOMMAIRE
L’EXPOSITION
l’exposition ///
Le mot des commissaires ///
Le mot de l’historien.ne ///
LES ARTISTES
ENILUAPSKI ///
Magdalena Kiwak ///
Lisa Deprat ///
Cathou Tarot ///
Taïs ///
Marie Ployart ///
Jessica Rispal ///
Eli Marley ///
Marie LBB ///
Flavie Eidel ///
Clémence Rolland ///
Wilbert de Groot ///
Fille d’à côté ///
Muskmosa ///
LE projet participatif
Le projet participatif ///
P.4
P.6
P.12
P.18
P.20
P.22
P.24
P.26
P.28
P.30
P.31
P.32
P.34
P.36
P.37
P.38
P.40
P.42
Orlan, « Le Baiser de
l’artiste », 1977 (Paris)
L’EXPOSITION
	 La Journée Internationale de Lutte pour les Droits des Femmes, le 8
mars, apparaît être le moment propice pour mettre en perspective les question-
nements féministes auprès d’un public non-averti.
	 Les questions du statut de la femme et de la hiérarchie de genre trans-
cendent tous les domaines de la société, l’art compris. Dès la seconde partie du
XXème siècle, les femmes artistes se sont insurgées contre un modèle au sein
duquel elles étaient sous-représentées, et où il apparaissait nécessaire d’être dans
le sillage d’un homme pour espérer pénétrer le monde de l’art. En 1977 par
exemple, l’artiste française Orlan monnayait ses baisers lors d’une performance
au Grand Palais, vêtue d’une photographie grandeur nature de son buste nu fai-
sant également office de tirelire ; cette intervention interrogeait non seulement
la finalité de son statut de femme artiste, mais proposait également de mettre en
exergue la volonté de sortir de son rôle de spectatrice pour apparaître, enfin, sur
le devant de la scène.
	 Au sein de cette révolution sans précédent,
le corps a donc joué un rôle décisif ; autrefois réduit
au simple statut d’objet iconographique sans valeur,
systématiquement idéalisé et représenté sans par-
ticularité ni pilosité, il est devenu un médium ar-
tistique à part entière et une arme politique d’une
puissance incomparable. Comme Déborah de Ro-
bertis l’a exprimé en 2014 lors d’une performance
où elle exhibait ses parties génitales devant l’Ori-
gine du Monde de Gustave Courbet, il était temps
pour les femmes de sortir du cadre et de s’exposer
au monde entier.
	 Dans une société où le « Body Positive »
devient un argument Marketing dénué de sens et
où le « Revenge Porn » est responsable de plusieurs
centaines de suicides par an, ce combat et ces ques-
tionnements sont plus que jamais d’actualité.
4
La nudité, encore taboue et considérée comme une menace sur les plate-
formes de partage de photographies et de vidéos en ligne, apparaît également
comme l’un des sujets artistiques les plus explorés au monde. Photographes,
peintres, illustrateurs, chacun possède sa propre vision du nu, qu’il soit poétique,
érotique, politique, pornographique… De plus, malgré l’interdiction et la cen-
sure, la nudité s’expose de plus en plus sur les réseaux sociaux ; il convient donc
de s’interroger sur ce phénomène de mise en ligne et sur les raisons de sa crois-
sance, mais également de mettre en lumière le combat que mènent artistes et
modèles au sujet de la libre exposition de cette nudité.
	 À travers cette exposition, nous voulons donc offrir aux artistes femmes
et aux artistes issu.e.s des minorités de genre un espace d’expression libre, au sein
duquel leur démarche et leurs recherches sur le corps sont pleinement valorisées.
Nous voulons également mettre en avant une nudité libre, inclusive, assumée et
dépourvue de toute connotation sexuelle. Qu’il soit mince, gros, lisse, poilu, mu-
tilé, tatoué… Le corps mérite d’être regardé, mais il mérite surtout d’être célébré,
et ce dans toute sa diversité.
à propos
	 + Marion CAZAUX est doctorante en Histoire de l’Art Contemporain
à l’UPPA. Elle consacre son étude à l’auto-représentation queer dans la perfor-
mance depuis 1980.
	 + Chloé LAVIGNE, ancienne étudiante du Master Arts à l’UPPA, a
écrit un Mémoire intitulé « L’installation vidéo : un art de l’expérience ». Elle est
actuellement professeure vacataire en Art Actuel.
	 + Cette exposition est en partenariat avec l’Université de Pau et des Pays
de l’Adour, Art&Fac (association de la filière d’Histoire de l’Art et d’Aechéologie
de l’Université de Pau), Solidaires étudiant.e.s Pau Occitanie, syndicat de lutte, le
Crous Bordeaux et l’UPPA.
5
Déborah de Robertis
devant « L’origine du
Monde », 2014 (Paris)
« Combat du corps, combat de l’art » - Chloé Lavigne
	
	Depuis quelques années, et notamment depuis que j’ai découvert l’art
de la performance artistique au travers des actions de Tehching Hsieh, Marina
Abramovic et Orlan, ma fascination pour le corps dans l’art actuel est sans limite.
Je me plais, pendant des heures et des jours entiers, à lire des livres à ce sujet, à
découvrir de nouveaux artistes et à analyser l’évolution de la représentation du
corps dans l’histoire de l’art. Il faut dire que le sujet est d’une richesse inégalable
et inépuisable… C’est cet effacement de la frontière entre l’art et la vie et cette vo-
lonté générale d’ériger le corps au rang de sujet et de support qui me questionne
et me fascine.
	 Pendant des décennies, les corps représentés dans les oeuvres d’art de-
vaient arborer des proportions parfaites afin de correspondre à un idéal de beau-
té particulièrement strict. Ce n’est qu’à partir du 15ème siècle que certains artistes
commencent à explorer l’esthétique de l’imperfection, comme Quentin Metsys
avec sa célèbre et monstrueuse Duchesse ou Le Greco avec ses corps nerveux
et ascétiques. Fort heureusement, cette esthétique trouve son développement et
son épanouissement dans l’art d’aujourd’hui. En effet, la conception du corps
idéalisé est, depuis les années 50, rejetée au profit d’un physique qui correspond
davantage à la réalité.
	 Évidemment, tout cela est indéniablement lié aux mécanismes profonds
de notre société. Car, ce n’est pas nouveau : l’art reflète et pointe du doigt le
Marina Abramovic,
« Thomas Lips », 1975
(Innsbruck, autriche)
Tehching Hsieh, « One
Year Performance : The
year of the rope », 1982-83
Orlan, 7ème opération de
chirurgie esthétique intitu-
lée « Omniprésence », 1993 (NY)
6
LE MOT DES
COMMISSAIRES
monde dans lequel nous vivons. Au Moyen-Âge, alors que la société était concen-
trée autour de l’Église, les œuvres d’art avaient pour rôle d’éduquer les fidèles ; il
était nécessaire afin de faire le lien entre le monde terrestre et le monde céleste.
Les différentes missions confiées à l’art sont donc révélatrices de tout un système
sociétal souterrain. Aujourd’hui encore, l’art se fait le porte-parole des combats
de ce monde ; il dénonce souvent, et propose parfois des solutions.
	 Au cœur de cette société en pleine mutation, le corps, qui est déjà le sujet
et support favori de bon nombre d’artistes depuis les années 50, est au cœur de
ces nombreuses problématiques de société actuelles. Les comptes de Body-Po-
sitive fleurissent sur Instagram, la parole se libère sur de nombreux sujets tels
que le genre, la sexualité, le harcèlement de rue, les violences gynécologiques,
les menstruations… Autant de sujets qui touchent à la fois à l’identité et à l’in-
time, et qui étaient auparavant tabous. Sur les réseaux sociaux, nous assistons à
une volonté générale de mettre en lumière une réalité auparavant cachée. Les
utilisateurs sont également de plus en plus nombreux à utiliser ces plateformes
pour s’exposer, s’assumer, se libérer... Sur les réseaux sociaux donc, le corps se
dénude, se montre tel qu’il est ; la nudité est devenue une source de libération,
un objet de combat, tout en conservant un intérêt artistique et esthétique indé-
niable. Naturellement, l’engouement pour la publication de « nudes » a engendré
le durcissement de la censure sur les réseaux sociaux concernés. Malheureu-
sement, l’algorithme de ces plateformes ne permet pas de différencier les pu-
blications obscènes du contenu à visée militante et/ou artistique ; un corps nu,
quel qu’il soit, est considéré comme une menace. Heureusement, les internautes
s’insurgent, résistent et imposent leur art.
	 Les réseaux sociaux, aussi autoritaires soient-ils sur la question du nu,
ont malgré tout permis une explosion des possibilités artistiques en permettant
à chacun d’entre nous de faire entendre notre voix. De plus, même si la censure
freine considérablement l’expansion de certains créateurs, ces derniers se voient
tout de même offrir un espace de visibilité considérable. De véritables commu-
nautés se créent, des relations se nouent… N’est-ce pas d’abord comme cela que
les combats se gagnent ?
	 Merci à tous nos artistes et à tous les autres participants pour avoir accep-
té de faire partie de ce projet. Merci à Marion qui est à l’origine de cette idée, et
qui a pensé à moi pour l’accompagner dans cette aventure. Et, pour finir, merci
à mon corps, qui n’a pas été ménagé mais qui ne m’a jamais abandonnée. Au-
jourd’hui, je peux enfin te le dire : je t’aime.
Chloé Lavigne
7
« Le nu doit-il se justifier ? » - MArion Cazaux
	
	 Le nu a principalement été utilisé, tout au long de l’histoire de l’art, par
les artistes hommes avant d’être récupéré par les artistes femmes. Le nu évoque
majoritairement une ambiance et un discours érotique, suggestif, voire sexua-
lisant. De « L’Olympia » de Manet à « L’Origine du Monde » de Courbet, le
corps des femmes a toujours été source d’intérêt, voire de scandale. Au sein de
l’histoire de l’art occidentale, le nu féminin se devait se justifier par exemple par
la mythologie, la déité, la référence à l’Antique ou en encore l’orientalisme. Le
nu qui ne se justifiait pas devenait alors provoquant, indécent, hors des mœurs.
Nous pouvons citer les nus féminins de Manet, d’Egon Schiele, de Courbet ou
de Toulouse-Lautrec. Ils ont délivré leur vision du corps des femmes, à leur
guise. Mais lorsque les femmes ont réussi à s’emparer de la pratique artistique
professionnelle et qu’elles ont pu participer aux avant-gardes du XXème siècle,
elles ont renouvelé l’approche du nu. Certaines d’entre elles refusaient l’imagerie
fantasmée des corps nus féminins à la Ingres et souhaitaient se réapproprier leur
corps. Ce retournement de stigmate s’est fait par la photographie et la perfor-
mance principalement. Il s’agit également de noter que les théories et organisa-
tions féministes montaient en puissance à la même époque.
	 Le corps était au centre des préoccupations des féministes et de beau-
coup d’artistes femmes. Notamment dans « Interior Scroll », où le corps nu de
l’artiste Carolee Schneemann a un sens évident : politique, actif, quotidien. Cela
va à l’encontre de l’utilisation masculine du nu féminin qui le rendait passif, su-
blimant et souvent invraisemblable. On peut trouver la même idée chez Laura
Aguilar, artiste photographe. Elle se photographie dans la nature, nue, dans un
noir et blanc troublant : son corps tente de se fondre dans le décor en faisant écho
aux formes qu’elle y trouve. Du côté de Nan Goldin, on retrouve des nus quoti-
diens, spontanés, qui peuvent relever du sexualisant comme de l’anecdotique. Le
nu ne se justifie pas par la composition réfléchie d’une photographie, mais par la
capture d’un moment de vie, ce qui fait la spécificité de l’œuvre de Goldin. Mais,
est-ce que dans d’autres cas, le nu pourrait se présenter dans une photographie
sans avoir un sens particulier, sans amener un élément de narration ?
Carolee Schneemann,
« Interior Scroll », 1975
Laura Aguilar, « Un-
titled 107 », 2006
Nan Goldin, « Käthe in the
tub, West Berlin », 1984
8
Le nu dans la photographie féministe permet de ramener la critique sur
un vocabulaire masculin, elle permet de le parodier, de le tourner en dérision, de
le dénoncer. Veronika Bromová dans « Já stul / I, Table » (2000) reproduit un
salon masculin, sombre, plutôt vide à l’exception de cette table basse qui centre
notre regard et le discours. La plaque de verre n’est pas surplombée de pieds en
métal ou en bois, mais d’une femme nue. La vitre repose sur le haut de sa tête et
sur ses genoux, tandis qu’elle a les bras à terre, les cuisses écartées et les pieds en
pointe. La lumière est focalisée sur son visage, ses yeux restent fermés. Son corps
est intégré dans cet intérieur plutôt bourgeois, qui témoigne d’une certaine réus-
site économique du propriétaire : la femme étant le dernier atout de ce design.
Elle ne prend pas de place, reste disponible, et s’intègre sans troubler à l’ordre
décidé. Bromová utilise un nu signifiant, afin de dénoncer la place des femmes
dans la société, dans la cellule du couple et de la famille. Dans sa performance
« Zemzoo, Selfporformance » de 1998, Bromová met en scène son corps et dé-
nonce les diktats imposés aux corps des femmes. Elle se trouve au centre d’une
pièce entourée de miroirs, nous voyons, elle voit, son corps sous tous ses angles,
aucune partie n’est cachée par ce nu révélateur. Elle s’entoure alors de scotch en
serrant au maximum son corps, comme pour en arriver à sa forme minimale.
Mais à force de tendre la bande fixante, elle créée des bourrelets entre les zones
scotchées et celles laissées vierges. Rien ne va. Rien n’ira jamais. Ce ne sera ja-
mais assez. Nous pouvons interpréter sa performance comme cela, des femmes
essaient à tout prix de correspondre à l’idéal contemporain de la belle femme, de
la femme parfaite, mais quoi qu’elles fassent, il y aura toujours des critiques.
Veronika Bromová, « Zemzoo », 1998
9
Ce qui compte avec ces artistes femmes et féministes, c’est de reprendre
le contrôle de leur corps, de nous prouver que nous pouvons aussi le faire. Nous
avons assisté à une vague de « photographies thérapeutiques », majoritairement
du nu féminin, dans ce que nous pourrons appeler la jeune photographie fémi-
niste française. Le principe est de permettre à des femmes de ré-accepter leur
corps, de le voir par l’intermédiaire d’un œil bienveillant qui leur permettrait
d’engager un nouveau travail sur soi. Au centre cette (ré)acceptation de soi nous
trouvons les éléments que le patriarcat a érigé en horreur : graisse, vergetures, ci-
catrices, nez tordu, des proportions qui ne sont pas en 8, etc. Nous trouvons alors
là deux sortes d’écoles dans la photographie thérapeutiques : les photographes
qui vont englober ces éléments dans un décor, une ambiance, une photographie
générale de telle sorte à ce que le modèle accepte son aspect, même les éléments
décriés. Et de l’autre côté, nous avons les photographes qui choisissent d’appuyer
sur les détails « négatifs », qui réalisent des gros plans dessus, oubliant tout ce qui
les entourent, mais qui arrivent presque à les humaniser, à leur donner une autre
forme, une autre importance qu’ils n’ont eu jusque-là. Si on les cachait avant, il
s’agit ici de les regarder bien en face, en gros plan.
	 L’utilisation répétée du nu en photographie pourrait amener à sa propre
banalisation, et cela a ses avantages : nul besoin de sacraliser le corps des femmes.
Mais cela comporte aussi beaucoup de questionnements autour du vocabulaire
de la photographie féministe : l’usage du nu permettait de provoquer, de stopper
le public pour qu’il soit plus attentif au discours. La volonté politique derrière
l’usage du nu dans la photographie féministe est souvent d’accepter le nu quoti-
dien, celui de la « vraie vie », non retouchée, non fantasmée, non esthétisée.
	 La question est de savoir si nous avons assez de distance envers notre
éducation, notre intériorisation du patriarcat, pour adopter une nouvelle esthé-
tique, une nouvelle mise en scène du corps nu féminin qui n’entrerait pas dans
une acceptabilité patriarcale mais dans une émancipation féminine. Pour clari-
fier, nous avons reçu une éducation qui nous inculque ce qui est beau, ce qui
ne l’est pas, les jugements de beauté sur les femmes sont incessants, encore plus
visibles depuis l’explosion des réseaux sociaux. Il faut alors réussir à déconstruire,
ou plutôt enclencher un processus de déconstruction, de l’idéalisation physique
de la femme. Ne reproduisons-nous pas ce qu’on nous a enseigné ? Cela est
valable pour la photographe comme pour la modèle. Évidemment, toute photo-
graphie n’a pas vocation à révolutionner l’histoire de l’art ni l’imagerie féministe,
mais on peut s’interroger sur l’appartenance revendiquée des photographes au
féminisme. Il s’agit parfois de mettre en avant nos poils, nos menstruations, nos
10
cicatrices, nos malformations, comme un sujet artificiel, en y rajoutant des élé-
ments extérieurs (paillettes, vermicelles de couleurs, fleurs, laine, etc). Cacher
leur caractère naturel revient à dire trop souvent : ils ne peuvent être beaux qu’en
les modifiant.
	 Dans une autre sphère de la jeune photographie contemporaine dite «
politique/féministe/queer », des photographes cherchent exclusivement des per-
sonnes ayant un physique sortant de la norme, alors même que le leur, le phy-
sique du ou de la photographe demeure normatif.
	 Ce qui ressort de ces demandes, souvent récurrentes et insistantes, c’est
un vocabulaire mal employé, car la situation n’est pas vécue, n’est pas connue.
Nous pouvons penser ce phénomène comme une volonté de créer du subversif
pour du subversif, d’être celui ou celle qui ira le plus loin, une sorte de course
aux corps « anormaux », et finalement, le goût amer d’un sentiment de fantasme
de ces corporalités jugées déviantes. Nous pourrions aller jusqu’à penser que les
photographes sont alors dans une démarche de création d’un cabinet de curiosité
instagrammable, qui leur donnerait une place spéciale dans le paysage des jeunes
photographes et le sentiment d’être le ou la plus ouvert.e d’esprit de la scène.
	 Nous noterons tout de même que plusieurs tabous corporels demeurent
dans l’oubli, sans qu’on ne les franchisse vraiment, comme le corps vieillissant,
l’érotisation des corps ridés et marqués par le temps.
	 Nous en revenons à notre question de départ : le nu doit-il se justifier ?
Pour résumer, les interrogations sont :
	 Est-ce que la banalisation du corps nu est une bonne chose (artistique-
ment, socialement et politiquement) ? Est-ce que cette dernière n’enlèvera pas
un élément de langage de la photographie féministe ? Le nu a-t-il toujours un rôle
narratif, et le nu fait-il œuvre ?
	 Bien évidemment, nous ne donnerons ici aucune réponse ; nous avons
tenté de lancer des pistes de réflexion sur un sujet encore bien plus large et bien
plus complexe à appréhender et analyser dans sa globalité. La volonté de ce texte
est de questionner les photographes, les modèles et le public sur l’utilité, la jus-
tification ou la non-justification du nu féminin dans une œuvre, et notre propre
approche d’une œuvre affichant un nu féminin.
Marion Cazaux
Mhkzo.com
11
« Nudité et Photographie : une histoire intimement
liée » - Pauline Grazioli
	
	 « Pouvions-nous faire le choix d’un sujet plus beau, plus émouvant que
le nu ? » (Marcel Natkin, Le nu en photographie, 1937, Paris, Ed. Tiranty, p.10)
	 Il est question de nudité en photographie dès la création de celle-ci au
XIXème siècle. L’invention de ce procédé de reproduction technique a boule-
versé l’approche du corps par les artistes, et a plus généralement donné à voir la
nudité sous un angle plus vrai que nature. Il est clair que dès le début de l’utilisa-
tion de la photographie (et dès le daguerréotype), produire du nu est indéfectible
d’une forme de fascination pour le corps humain nu. Albert Londe ou encore
Paul Richer photographient les patient.e.s de la Saplétrière totalement nu.e.s à
partir de 1882. Comme on le voit dans « Démarche pathologique. Tabélique
avec arthopathie », il s’agit de séries de photos permettant de découper un mou-
vement pour observer avec précision l’influence d’une maladie sur le corps. Ici,
la nudité est simplement pratique : elle garantit une meilleure appréhension du
corps et de l’expression des pathologies sur celui-ci. Il est en effet nécessaire de
posséder une retranscription exacte du corps humain et de toutes les maladies
qui peuvent l’altérer.
	 La photographie permet en somme une cartographie du corps humain
dans son entièreté et avec une exactitude jamais atteinte auparavant. L’approche
artistique du corps nu s’est accompagnée de plusieurs réflexions autour de l’utili-
sation de ces clichés. Des études d’après nature, inspirées des académies qui sont
nécessaires à l’apprentissage des artistes peintres/sculpteurs depuis le XVIIIème
siècle, sont utilisées par les artistes comme modèle. La photographie remplace
parfois le modèle vivant. Il s’agit de créer des images types pour que les artistes
réutilisent ces motifs sans ressentir le besoin de faire intervenir un.e modèle en
chair et en os.
12
LE MOT DE
L’HISTORIEN.NE
On peut notamment citer Gustave Courbet qui utilise à plusieurs re-
prises des modèles types photographiques pour réaliser ses œuvres. Pour son
tableau « Les Baigneuses » (1835, huile sur toile, Musée Fabre, Montpellier), il
utilise « L’Étude d’après nature, nu, n°1935 » (1853) de Julien Vallou de Ville-
neuve. Cette étude lui permet de réaliser le grand nu central et plantureux de son
œuvre. Comme dans le tableau, on retrouve le modèle de dos, le dos légèrement
courbé et la jambe droite pliée. Contrairement au tableau, elle n’est pas la main
levée mais la photographie donne à voir les courbes du corps et surtout les mou-
vements du bassin et des jambes qui seront réemployées par Courbet.
	 Des revues font aussi office de ressources des plus variées à destination
des artistes. La publication de revues et d’albums photos tels que « Le Nu Acadé-
mique » ou « Mes Modèles » crée un nouvel intérêt pour le nu photographique.
Les femmes représentées sont indolentes et représentées avec sensualité. Le re-
gard qui se portent sur elles change. En effet, ces revues sont restreintes au public
majeur. Les revues de ce type laissent apparaître donc le potentiel érotique de
la nudité en photographie en mettant en scène des femmes aliénées, érotisées
et surtout objectifiée avant tout pour le plaisir du public masculin. Si les clichés
de nu sont traités avec noblesse, les modèles sont-elles des « femmes de petites
vertus » (d’après Émile Bayard, directeur de la revue « Le Nu Académique ») et
considérées avec dégoût.
	
	 Dès le début, l’ambiguïté du nu en photographie est tangible. Se dé-
veloppent alors des studios entièrement consacrés à la création de ces images
pornographiques, vendus clandestinement sous la forme de cartes postales et
résistant à la censure étatique et sa répression des outrages aux bonnes mœurs.
Avec cette fascination pour la nudité s’accompagne le développement d’un male
gaze. Le regard et la mise en image du corps nu est réalisée par un homme, en di-
rection d’un homme. En cela, la production d’images érotiques saphiques a pour
seul but la satisfaction des fantasmes masculins. Pour Émile Bernard, « le nu, qui
est le fond nécessaire des arts du dessin, de la sculpture et de la peinture, serait,
en photographie, inavouable » car le lien entre approche purement artistique/
plastique et érotisme est infiniment fin.
	 Le XXème siècle ne fait pas exception à cet entre-deux. Durant cette
période, la nécessité de faire du nu en photographie est deux ordres : dans un
premier temps, il est nécessaire de faire du nu en photo pour acquérir une forme
de légitimité artistique - comme il en était de même lors de l’apprentissage des
artistes - et dans un second temps, il est intéressant de faire du nu pour des ques-
tions purement financières. Les revues démarrées au siècle précédent montrent à
13
quel point il existe un marché - noir, certes - pour la photographie et notamment
la photographie érotique.
	 Le travail de Man Ray est encore fortement marqué par l’érotisme du
corps. Il publie par exemple une série de photos pornographiques sur le thème
des saisons, et surtout des positions sexuelles dans la publication 1929. À côté, il
produit des œuvres ingénieuses, explorant les possibilités techniques de la pho-
tographie et les possibilités esthétiques des contrastes lumineux comme dans son
œuvre « Retour à la raison » (1923).
	 Il faut aussi prendre en compte le fait que la photographie de nu se dé-
veloppe à mesure de l’évolution de la société face à la nudité.
	 Le XXème siècle est bien plus tolérant : la nudité est usuelle ; c’est le
début du naturisme, de la libération des corps féminins. En cela le début du
XXème marque aussi la possibilité d’une réappropriation de ce milieu par les
femmes. Elle est déjà visible dans les autoportraits nus de la photographe améri-
caine Anne W. Brigman. Dans son autoportrait « Soul of the Blasted Pine » (vers
1907), le corps de l’artiste se fond dans l’écorce d’un arbre et s’étend en hauteur.
Il prend la place du tronc et s’intègre ainsi à la nature.
	 Les femmes participent aussi à ce marché noir de la nudité érotique.
Gisèle Freund aurait produit des photographies de nu érotiques, vendues elles
aussi sur le marché noir. Dora Maar, quant à elle, réalise des séries entières pour
des publications spécialisées.
	 Une photographie prise vers 1934 montre un modèle féminin non-iden-
tité en déshabillé. Elle est allongée lascivement sur une chaise, légèrement cam-
brée, et regarde droit l’objectif. Attendant lascivement la venue de quelqu’un (un
homme, peut-être ?), entourée d’objets qui la renvoient matériellement à son
genre. La pose lascive, et cette jambe à demi relevée, qui cache tout de même son
sexe, est un appel à la curiosité. Une telle image n’est pas si éloignée de ce que
des artistes hommes comme Manet, Courbet ou Ingres donnent à voir.
Man Ray, Extrait du
« Retour à la raison », 1923
Anne W. Brigman, « Soul of
the Blasted Pine », vers 1907
14
Ici, l’image est néanmoins contrôlée par une femme, qui projette sur une autre,
les fantasmes et les idéaux attendus par le regard masculin. Si les cartes postales
ne servaient pas un but artistique et esthétique, les photographes du XXème vont
donner à l’érotisme tout son penchant artistique.
	 L’érotique est esthétique entre les mains d’un Man Ray ou d’une Dora
Maar. Des photographes comme André Kertész vont, quant à eux, se dédouaner
de cette érotique latente pour explorer les distorsions esthétiques possibles sur
le corps. Chez lui, les corps nus sont déforcés, distordus et en cela fascinants. Il
mêle ici recherche technique et recherche esthétique.
	 Le nu est un nouveau terrain de jeu pour les artistes. Ils explorent tout à la
fois les limites visuelles et techniques de l’appareil photographique. Ils s’éloignent
de la réalité, ils éloignent le nu de la réalité. Il faut savoir qu’il existe peu de nus
masculins. Les artistes y préfèrent les courbes féminines, notamment en France.
	 Laure Albin Guillot est l’une des rares photographes (tout genre confon-
du) à se frotter à ce sujet. Elle réalise notamment une série de photos autour
du poème « Narcisse » écrit par Paul Éluard. Elle photographie donc un jeune
homme entièrement nu et c’est par le truchement des contrastes de lumière
qu’elle auto-censure ses clichés.
André Kertész
15
Peu de photographies montrent les parties génitales des modèles, no-
tamment masculins. Il s’agit de suggérer plus que de montrer, alors même qu’au
XIXème siècle, le fantasme de la monstration totale est à son apogée, comme le
prouve la série sur le thème du « retroussé » d’Auguste Belloc dans les années
1850, qui réalise le fantasme de Courbet de photographier une vulve ou « l’ori-
gine du monde ».
	 La question du nu en photographie est donc éminemment complexe :
elle circule donc dès le début de la pratique entre un domaine de pure explo-
ration esthétique et un lieu de projection de fantasmes. La fin du XXème siècle
et le début du XXIème appuient sur ces deux directions. Le développement du
cinéma et de la pornographie assurent une approche beaucoup plus libéré du nu,
comme de la sexualité. Les œuvres de Robert Mapplethorpe en sont la preuve.
Le photographe américain prend plaisir à montrer la sensualité des corps mascu-
lins, sans pour autant censurer comme l’aurait fait Laure Albin Guillot.
	 Le nu devient un domaine de revendications : de soi, comme pour
Francesca Woodman qui explore les limites de son corps et de son identité de
femme, d’une appartenance à une communauté, comme Peter Hujar qui montre
l’envers du décor de la communauté LGBTQI+ bouleversée par la crise du
SIDA. Le nu évolue au fil des revendications politiques. Ren Hang célèbre la
nudité malgré la censure. Pierre Molinier explore les limites de son corps en
LaureAlbinGuillot,«étudedenu»,1939 Robert Mapplethorpe, « Thomas », 1986
16
photo, tout comme Ana Mendieta qui filme et photographie ses performances.
La fin du XXème siècle mêle l’utilisation du corps par les artistes comme un
lieu d’exploration et de questionnements artistiques aux diverses utilisations des
clichés de nu et de ses problématiques depuis leur création.
Peter Hujar, « Recli-
ning Nude on Couch », 1978
Francesca Woodman, « From Space
2 », Providence, Rhode Island 1976
Ren Hang
Pierre Molinier, « La Rose
blanche », vers 1965-67
Anna Men-
dieta, « Un-
titled (Glass
On Body im-
prints) », 1972
17
18
ENILUAPSKI
« Je frottai tant pour nettoyer que j’en-
levai la peau. Et mon âme, comme un visage
écorché, à vif, n’avait plus forme humaine. »
(Claude Cahun, « Aveux non avenus », p.16, 1930)
19
« Sensitive Surface est un projet en deux temps. La première partie, en noir et blanc,
repose sur une reconsidération du corps par le ou la modèle. En un sens, il s’agit de
voir son corps d’une manière différente, qui nous est personnelle et débarrassée de
toute attente sociale. Apprendre à percevoir son corps, lui donner une image, une
forme, et finalement l’embrasser dans toute sa complexité.
La deuxième partie, en couleur elle, se concentre sur les traces de la vie et du
temps du la peau. Ces marques qui sont porteuses d’une histoire sont révélées par
la peinture phosphorescente au lieu d’être cachées comme le souhaiterait la société.
Sensitive Surface est un projet qui permet de se confronter à soi, et seulement à soi,
à travers une prise de conscience de son propre corps. »
Eniluapski - @Eniluapski
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Magdalena Kiwak est une artiste espagnole, née en 1987 en Pologne et résidant à
Paris. Architecte de formation et passionnée de photographie depuis l’adolescence,
elle l’appréhende aujourd’hui comme un objet et explore son potentiel de matéria-
lité, toucher et tridimensionnalité en croisant les moyens de la photographie et de
la couture.
À partir d’images de nus d’elle-même et de personnes plus proches, son travail est
une collection d’expériences abstraites sur la lumière, le mouvement et la texture,
contrastant la forme humaine et le monde naturel avec délicatesse et douceur.
De nombreuses similitudes apparaissent entre la peau et la photographie : les deux
surfaces, toutes deux fragiles, toutes deux pleines de secrets… « Un jour, j’ai décidé
de coudre les deux avec mon fil. »
Magdalena Kiwak - @emekiwak.photographe
MAGDALENA
KIWAK
Campos de Castilla
Reposo entre las rocas 2
Segovia, 2019
Campos de Castilla
Reposo entre las rocas 3
Segovia, 2019
21
Composicion
Campos de Castilla 2
Segovia, 2019
Campos de Castilla
Costuras Atardecer 1
Segovia, 2019
Campos de Castilla
Costuras Atardecer 2
Segovia, 2019
22
« Tout a commencé par des autoportraits. J’avais besoin d’exprimer mes peines, de
me confronter à ce que je pouvais détester de mon corps ; j’étais une adolescente
réservée, isolée et la photographie me permettait de m’exprimer autrement qu’à
voix haute, parce que parler n’a jamais été ma spécialité.
Cinq ans plus tard, j’ai écouté, rencontré et finalement photographié des femmes
qui voulaient des souvenirs, des traces, des photos d’elles brutes ; elles voulaient
toutes se confronter à leur image et elles savaient que, par la photographie, elles
pouvaient se libérer et s’exprimer comme j’ai pu moi-même le faire avec mes au-
toportraits.
La photographie de nu féminin permet de s’ouvrir, et de représenter les femmes
qui ont conscience ou non de leurs corps. Aujourd’hui, la représentation et la ba-
nalisation de la nudité est importante, voire même essentielle. Quand je lis des
hommes écrire que les femmes que je photographie sont « malades », qu’elles «
ne prennent pas soin d’elles », quand je vois comment ils parlent de mes modèles
grosses, ou quand ils signalent en masse mon compte Instagram parce qu’ils ne sup-
portent pas de voir des femmes disposer de leurs corps comme elles le souhaitent...
Je me dis alors qu’il est important de continuer à nous montrer ; c’est important de
montrer que l’on existe. »
Lisa Deprat - @lesdetailsdelisa
LISADEPRAT
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CATHOU TAROT
« J’ai pris ces photos après la douche pour mon partage Instagram de selfies nus
pendant les règles (soit la période du mois où mes douleurs chroniques sont le
moins vives). J’ai été charmée par le jeu des plis et des poils. Ordinaire et en même
temps improbable, parce qu’on n’est pas habitué.e à regarder les corps gros : est-ce
un bourrelet ou un cul, une aisselle ou une vulve ?
Avant de les partager, j’ai rédigé un texte intitulé « Je m’exprime à travers la nudité
en tant que grosse » (p.15), afin de rendre ma démarche plus explicite. C’est avant
tout le regard mince (Thin Gaze), masculin et hétéro que j’espère contrebalancer.
En invitant à regarder mon corps de mon point de vue, je veux créer des alternatives
aux représentations hégémoniques des gros.ses et amener la.e spectatrice.eur à se
regarder sous un autre angle. »
Cathou Tarot - @Cathoutarot
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Je m’exprime à travers la nudité en tant que grosse parce que...
Ça me permet d’observer et d’aimer mon corps à travers mon propre regard, sans forcément
le sexualiser, sans chercher la beauté à tout prix. Mais avec douceur. D’ailleurs, les séances
photos ont bousculé mon rapport à moi-même. On apprend très tôt à détester nos corps. Le
désapprendre, c’est déjà résister (même si c’est modestement) à cette haine et à ce système.
Je m’exprime à travers la nudité en tant que grosse parce que...
Je veux que tu voies mon corps à travers mon regard. Pas les corps gros du JT, pas ceux des
magazines, dont la tête n’entre pas dans le cadre, de préférence dans une artère commer-
ciale ou avec un paquet de chips. Je veux que tu aies la possibilité de désapprendre aussi ce
regard-là. J’espère qu’en voyant le corps gros autrement, dans un contexte où il n’est pas pré-
senté comme ce qui te dégoûte et que tu dois fuir coûte que coûte, tu passes en revue certains
de tes clichés. J’espère que tu t’habitues à penser autrement. J’espère que tu désapprends la
grossophobie qu’on intègre tou.te.s.
Je m’exprime à travers la nudité en tant que grosse parce que...
J’espère te donner des pistes pour regarder différemment. Toi-même. Et ton entourage. Et les
inconnus. Et les gros.ses sans tête à la télé. J’espère que tu accèdes à un peu de la complexité
des vécus-gros - comme tous les vécus en fait. J’espère que tu résistes à ce système grosso-
phobe. Tu sais, ça n’a l’air de rien comme ça, mais quand des personnes grosses m’écrivent
que mes images les aident à changer leur perception d’elles-mêmes, je sais que ça compte. Je
sais que je dois poursuivre. J’espère te donner le courage et l’envie de participer au change-
ment.
Je m’exprime à travers la nudité en tant que grosse parce que...
Je veux participer au partage de représentations grosses qui extraient le corps de la quête de
légitimité à travers la beauté. Je ne veux plus qu’on est deux choix : soit on est hypersexuali-
sé.e.s, soit on est l’antithèse du sexy. Bon, ceci dit, je ne peux pas te cacher que je trouve mes
photos canon. Je veux aussi qu’on diffuse nos images, nous les gros et puis toi là. Je veux
qu’elles inspirent les artistes à créer des représentations plus complexes. J’affiche par exemple
mes bourrelets au ventre comme un rappel : les images de grosses en circulation représentent
généralement des grosses acceptables, tu sais, celles qui ont la taille fine et le ventre plat ? Je
veux que ça change. Je veux que tu voies les textures, les couleurs, les boutons, les cicatrices.
Je veux que tu voies la réalité d’un corps gros et que celui-ci t’incite à en chercher d’autres.
Je veux que tu t’habitues à tous les différents endroits où le gras s’exprime, tombe, rebondit,
s’accumule, pétille, façonne, évolue, se met en mouvement. Je veux surtout que tu considères
que c’est jamais pareil d’un individu à l’autre.
Je m’exprime à travers la nudité en tant que grosse parce que...
Je veux que tu penses à mes angles vus comme « disgracieux » quand tu te mets en quête d’un
angle « parfait » pour prendre un selfie. Et quand tu choisiras un filtre pour l’« améliorer ».
Je veux que tu penses à ces reliefs, à ces textures comme une option. Je veux que d’autres
approches existent pour toi.
Enfin, Je m’exprime à travers la nudité en tant que grosse parce
que...
Je veux pas que tu te sentes seul.e. Tout comme les représentations de gros.ses ont brisé mon
isolement et ma haine de moi, je veux que tu saches qu’on est là.
TAÏS
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« Pourquoi le nu ? Parce que je voulais travailler les corps, les rendre différents.
Les sortir de leur espace de confort, les déformer. Qu’est-ce que l’on peut faire
pour rendre un corps, même normé, étrange, bizarre et jusqu’où l’on peut aller.
Je me suis retrouvé.e aussi à devoir rendre anonyme mon copain.e dès le départ
pour des raisons personnelles. Elle est mon modèle le plus récurent. Ça m’a donc
forcé.e à voir et expérimenter la photo d’une autre manière, ne pas faire de portraits
classiques. Il n’y a qu’une seule photo où l’on voit un visage dans celles exposées et
je pense qu’à l’avenir, je ne montrerai plus de visages. Pour sortir l’humain, ne voir
qu’un corps, comme un objet posé là ou alors qui veuille s’extraire de sa propre
enveloppe charnelle. C’est une contradiction avec mon projet sur les personnes
trans en couple homo : où il y a volontairement des visages, où les personnes sont
habillées, où elles ne sont plus fantasmées, fétichisées, où leur humanité et amour
comptent. »
Taïs - @Bullejaune_
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MARIE PLOYART
« Le nu occupe une grande part de mon travail : j’essaye d’interroger le regard de
l’autre sur la nudité - un regard très souvent sexualisant - et de travailler sur la réap-
propriation de notre corps et de son image, au travers de photographies brutes et
peu retouchées.
Pour donner un pied de nez à la sexualisation systématique du corps, je me plais à
associer la nudité à la banalité, à l’ineptie, à l’incongru, voire parfois à la répulsion.
Pour démontrer qu’un corps n’est rien d’autre qu’un corps, et que c’est le regard
qui le modèle.
L’anonymat me permet de sortir de l’identification au modèle. Il devient plus diffi-
cile de ressentir de l’attirance pour un corps inconnu, d’autant plus si ce dernier est
dans une situation peu attrayante… »
Marie Ployart - @Marietrayolp
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JESSICA RISPAL
« Autodidacte, je travaille depuis 1998 sur le corps et les sexualités.
Mes obsessions : le fétiche, la représentation du corps, la censure se retrouvent
dans mes images qui abordent l’intime de manière dérangeante, pudique, crue,
poétique, drôle, mystérieuse. »
Jessica Rispal - @Jessica_Rispal
Photographe, directrice artistique, éditrice
www.jessicarispal.me
www.lebateau.org
www.lescrocselectriques.com
31
ELI MARLEY
« À travers ces photos, je souhaite provoquer des émotions, quelles qu’elles soient.
Pour moi, ce qui est merveilleux dans l’art photographique, c’est de pouvoir avoir
plusieurs regards, s’affranchir des jugements, passer au-dessus des codes, et sim-
plement ressentir. Pourquoi des corps nus ? Parce que c’est dans le plus simple
appareil que l’on voit l’âme d’une personne.
C’est toujours déstabilisant de
se mettre à nu devant une in-
connue, et encore plus devant
son objectif. On est alors plus
timide, moins à l’aise, et pour-
tant nos gestes révèlent qui nous
sommes. Chaque personne que
je prends en photo est une his-
toire, un moment… Des rires,
parfois même des pleurs. Il y
a les cicatrices, les envies ina-
vouées, les peurs... Mais sur-
tout des aventures de vies. Je
vis toutes ces émotions avec ces
modèles et les photos sont un té-
moignage de ces partages. »
Eli Marley - @Eli.marley
MARIE LBB
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« Globalement, je ne fais que ce qui m’amuse. Mes limites sont ce qui m’ennuie.
Je shoote avec toute personne disponible avec laquelle le feeling passe bien.
J’aime les doubles expositions, parce que j’aime le hasard, et que je déteste par
dessus tout être obligée de tout maîtriser.
Je ne fais que de l’argentique parce que la photographie numérique ne laisse aucune
place au hasard.
Ce qui me plaît par dessus tout, c’est la phase de tirage des photos à l’agrandisseur,
parce qu’elle permet de réaliser si une image vaut la peine d’être concrétisée ou
non. C’est cette phase qui rend le tout réel.
Généralement, si les gens sont nus sur mes photos, c’est parce qu’ils avaient envie
de l’être. Je ne tire pas de satisfaction particulière à faire du nu. Mais je crois que
les femmes ont de plus en plus envie d’être nues, comme elles l’entendent, si elles
le souhaitent, et je suis heureuse de pouvoir les aider à immortaliser cette liberté un
peu autrement. »
Marie LBB - @36poses.eu
FLAVIE EIDEL
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« Il est important pour moi, en tant que femme queer, de prendre de la place dans
le monde de l’art et de créer des oeuvres accessibles à tou.te.s. Je souhaite, à mon
échelle, le rendre moins élitiste, et plus attrayant pour celleux qu’il intimide bien
trop souvent.
Mon autre motivation principale est très certainement de proposer une représen-
tation positive aux personnes qui manquent de visibilité, dans une société aux oeil-
lères encore bien trop présentes. Pour ce faire, mon travail tourne autour de la
mise en lumière de leur force, au travers de mises en scènes douces, scintillantes et
oniriques.
Pour moi, il est évident que la confiance en soi passe souvent par le fait de voir
quelqu’un.e qui nous ressemble s’aimer et être aimé.e, afin que l’on comprenne
que cela pourrait être nous, et qu’on y a tout autant le droit que n’importe qui
d’autre. »
Flavie Eidel - @flavieeidel
« Butterfly », avec Lilly Rose
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« Genderless Periods », avec Sydney
Martin & Nude Nora
« Make Me Dream », avec
Dariela Flores
CLÉMENCE ROLLAND
« VERGETURES - Diptyque de nos peaux
en mouvement »
Dans cette série photographique, l’artiste fait le choix d’expo-
ser ces gravures des fluctuations du corps que sont les verge-
tures. Sans souligner particulièrement ces marques du temps,
les images transmettent par leur simplicité la beauté du corps
féminin à l’état brut. »
Clémence Rolland -
@tempetesousuncrane
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WILBERT DE GROOT
« Le premier corps nu que j’ai photographié était celui de ma meilleure
amie du lycée, lorsque l’on avait dix-huit ans. Plus tard, elle est devenue
ma petite-amie et, ensuite, ma femme. Au fur et à mesure que l’on gran-
dit ensemble, elle continue de définir ma vision de la beauté et de l’intimité. »
Wilbert de Groot (1969), Designer Graphique et photographe, vit et travaille actuel-
lemet aux Pays-Bas.
Wilbert de Groot - @In.skin.we.trust
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FILLE D’À CÔTÉ
« Cinéphilosophe de comptoir, croqueuse d’hommes et de femmes au crayon de
bois, photographe en carton et chroniqueuse de trottoir, La Fille d’à Côté a 32 dents
et des cheveux blancs. Dans la vie, elle avance comme les films, comme des trains
dans la nuit et elle aime bien faire des photos parce qu’elle a une très mauvaise mé-
moire et des yeux flous. »
Fille d’à côté - @filledacote
« Sorcière des jardins »
Modèle : Métaux Lourds (@metauxlourds)
« Aïga ou l’eau froide », co-photographe : Maud Kijko
(@maudkijko). Modèle : Fille d’à côté
« Nudevember », co-photographe : MD (@macdye_)
Modèles : June (@june_in_the_sky), Zvod (@zvod_)
& Fille d’à côté
« Sous l’eau »
Modèle : Axxenne
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MUSKMOSA
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« J’ai toujours abordé la question du corps avec abstraction. Le mien déjà, car il y a
cette sentence dans mon ressenti depuis enfant : “Si je ne le vois pas, il n’existe
pas”. En le découvrant ces dernières années, je me suis rendu compte que je me le
cachais à moi même par pure dysphorie. Quid de celui des autres ? Vous remar-
querez que le seul modèle ici est Taïs, l’un.e des autres artistes de cette exposition.
Peut-être notre lien est assez fort, iel est la seule personne, jusqu’à présent, que j’ai
prise totalement nue. J’ai pourtant fait un projet sur l’intime pour lequel certain.es
modèles étaient dénudé.es, et d’autres non. Mais, en réalité, c’est une autre forme
d’intimité que je me suis senti de capter la plupart du temps ; l’intime n’est pas for-
cément lié au nu, et le nu n’est pas forcément lié à l’intime.
À côté de ça, j’ai toujours fortement apprécié l’abstraction, dans chacun des arts que
j’ai pu pratiquer, que ce soit le théâtre, la sculpture, les arts plastiques en général,
le body-painting... Et oui, encore le corps : il revient pas mal dans ma vie pour une
personne qui en est si intimidée, si peu proche.
Je ne sexualise pas mes nus, car je ne sexualise pas les corps. Je ne l’ai jamais réel-
lement fait dans ma vie, et je pense que cela se ressent dans mes photos. Je traite
les corps comme une entité dans une pièce, sur laquelle la lumière se pose et selon
lequel le “décor” se place. Je peux capter mes images sous tous les angles possibles,
au point de les rendre potentiellement vides de sens ou, au contraire remplies de
force jusqu’à toucher lea spectateur.ice. Voilà, je me suis un peu mis à nu à mon
tour. Merci à mon modèle, mes modèles, et merci pour le lieu d’exposition. »
Muskmosa - @Muskmosa
41
LE PROJET
PARTICIPATIF
	 Dès la naissance du projet, il nous a paru naturel de faire participer le
public en lui laissant l’opportunité de s’exprimer à son tour. En effet, nous nous
intéressons non seulement aux œuvres centrées autour de la nudité, mais égale-
ment au phénomène de mise en ligne de ces images. Nous avons donc lancé, sur
les réseaux sociaux, un appel aux Nudes La consigne était la suivante :
	 « Envoyez-nous vos meilleurs NUDES. Votre proposition de-
vra être constituée d’une à trois photographies (pouvant consti-
tuer une série ou être indépendantes), accompagnées d’un court
texte résumant la démarche entreprise. Nous garantissons l’ano-
nymat de toutes les personnes voulant participer à ce projet. »
	 Merci à tous les participant.e.s, merci de votre confiance, merci de vous
aimer, de vous célébrer, de vous assumer, et surtout d’exprimer votre liberté.
42
« J’aime bien détacher le corps humain
de la vision érotique et pornographique.
En effet je pense que le corps est trop
sexualisé. Je le voit comme beauté et art
plutôt que comme source d’érotisme a
première vue.
Pour ce qui est du nude artistique, j’ai
choisit de me montrer sous un aspect
plutôt doux, sans chercher a montrer
quoi que ce soit de direct (comme mon
sexe par exemple). J’ai vraiment voulu
quelque chose de plaisant a regarder,
sans crée une quelconque source d’éro-
tisme ou d’appel à la sexualité. » L.
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« Webcam en place, je prends la pose.
Eclairage blafard, je crée mes propres couleurs.
J’aime le regard fier
j’aime les plis les marques les textures de ma peau
j’aime les mots que j’ai écrit sans réfléchir en pensant à son corps.
Je me sens forte, belle, sensuelle, fière : je me sens moi en puissance.
Je l’aime et surtout
Je m’aime. » E.
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« Ce que je pense des nudeS : Je pense que c’est un moyen de se mettre en scène,
touchant à la fois à l’intime et au « superficiel ». L’idée de se mettre en scène est souvent
considéré comme une sorte d’égocentrisme « typiquement féminin ». Je ne suis pas d’accord
avec cela, mais il est en même temps difficile de défaire le nude de cette connotation négative
; l’idée de se mettre en avant, de penser que son corps est digne d’être mis en lumière ainsi...
En même temps, je pense que c’est le patriarcat qui veut exercer un contrôle sur nos corps,
et nous empêcher de les apprécier nous-même. Il faut être belle, mais ne pas se trouver belle.
Ce qui est intéressant, c’est que je me sens toujours à la fois un peu « subversive », car le nu est
souvent perçu comme vulgaire, et, aussi, malheureusement toujours un peu en danger : « Et si
quelqu’un de mal intentionné tombait dessus ? ».
Pourquoi se prendre en photo soi-même nue : Cela permet de contrôler
l’image de son corps et de se la réapproprier. Cela me donne de la force et de la confiance.
C’est un moyen de s’amuser avec son corps en cherchant des angles, des poses, en jouant avec
la lumière... C’est un moment où l’on apprivoise son corps nu, alors que l’on ne prend pas
nécessairement le temps de l’observer dans un contexte qui n’est pas nécessairement érotique.
Cela « dédramatise » la nudité et le rapport à soi.
Pourquoi le rendre public : Rendre mes nudes publics est pour moi un acte mi-
litant féministe. Premièrement, cela me permet d’avoir le contrôle de où, quand et comment
ces nudes sont diffusés. Je peux, pour une fois, contrôler une image de moi perçue comme
sexualisée, contrairement aux regards des hommes dans la rue que je ne peux pas contrôler,
que je ne peux pas stopper lorsque j’aimerais être tranquille et ne pas être regardée. Là, c’est
moi qui décide que l’on me regarde. De plus, je ne corresponds pas aux standards de beauté
sexistes : je suis grosse et poilue (j’ai décidé d’arrêter de m’épiler car cela me prenait beau-
coup de temps, d’énergie et d’argent, en moyenne 15.000€ dans la vie d’une femme, et j’ai un
partenaire suffisamment mature pour s’en foutre). Je suis donc heureuse de pouvoir proposer
une autre vision du corps de la femme. De pouvoir peut-être montrer à celleux qui verront
cette exposition que les poils, c’est normal. Que l’on peut être sexy et sûre de soi avec des
bourrelets. Que se faire du mal pour respecter des codes arbitraires ne nous rend pas belles,
c’est plutôt le fait d’apprendre à aimer son propre corps qui nous donne ce pouvoir.
Mon rapport au corps : J’ai détesté mon corps très jeune, dès l’âge de 8 ans, lorsque
l’on m’a fait comprendre que je n’étais pas assez mince, assez gracieuse et que j’avais déjà trop
de poils pour être « une belle petite fille ». J’ai vite été la fille intelligente, gentille, drôle, cou-
rageuse, passionnée... Mais rarement belle. L’adolescence a évidemment été horrible. J’étais
anorexique, j’étais plus mince au lycée que je ne l’avais jamais été (et que je ne le serai proba-
blement jamais), et pourtant je me détestais toujours. J’ai eu des relations sexuelles, sérieuses
ou non, j’étais visiblement désirée, et pourtant je me trouvais toujours hideuse. À l’époque,
avant le moindre rapport sexuel ou bien même avant une soirée où il y avait la moindre pos-
sibilité que je m’envoie en l’air, je passais 4h dans ma salle de bain à enlever minutieusement
chaque poil de mon corps, à l’exfolier, l’hydrater, l’huiler... C’est quand j’ai eu une relation
longue avec une fille que j’ai découvert que ce n’était pas important, que je la désirais aussi le
dimanche matin, pas épilée, pas lavée, les cheveux sales... J’ai commencé à m’accepter, à ne
plus voir mon corps uniquement comme un poids à traîner, à cacher, à arranger, à soigner...
Depuis mes 20 ans (j’en ai 25), bien que je n’ai été en relation qu’avec des hommes, j’ai
poursuivi ce travail sur moi-même. Bien sûr, il y a toujours des jours où je ne supporte pas de
me croiser dans le miroir et où j’enfile des couches de vêtements informes pour oublier mon
corps, mais ils se font de plus en plus rares. J’apprends à faire des choses avec : des photos,
danser, boxer... J’ai compris que cette haine de moi-même ne venait pas de moi mais de l’ex-
térieur, et qu’elle n’était profitable qu’au « patriarcapitalisme » (les régimes, les épilations, les
vêtements amincissants, les magazines féminins...) contre lequel j’essaye de lutter dans tous les
aspects de ma vie. Pour une femme, s’aimer soi-même est déjà un acte de résistance.
Mon rapport à la publication dudit corps : De l’angoisse, de l’impatience,
de la fierté, de la puissance. » M.
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« Ces photos, je les ai prises pour deux raisons : plaire à l’autre, et me
plaire.
C’est un petit plaisir de laisser l’autre me découvrir autrement, portant
chaînes et soumission en étendard quand, dans le quotidien, je suis
plutôt l’inverse.
Mais sans oser poser entièrement nu.e par peur que cela sorte, comme
ici en gardant mes sous-vêtements.
Ces photos sont là par besoin de captiver, de garder l’attention, mais
en essayant de ne pas me mettre en danger. » M.
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« Mes nudes ont deux valeurs : je les prends et les envoie aux amoureux parce que
ça leur plaît, et que j’ai envie de leur plaire. Ce sont de jolies photos, où je me vois
jolie... C’est donc important en terme de self-appreciation, de revalorisation de
mon corps, cela me permet de me l’approprier : c’est de l’empowerment ! Et puis
c’est mon corps, alors je fais ce que je veux avec !
L’idée, c’est aussi de montrer un corps moins normé que ce que l’on nous pro-
pose éternellement : j’ai des poils, du gras... C’est moi, c’est « non négociable »,
et en plus on est plein à être comme ça ! Donc si ça peut donner de la confiance
à d’autres... » L.
« J’ai commencé à faire des nudes lors de ma première relation de couple, pour mon
copain de l’époque. Après que cette relation se soit finie, j’ai gardé l’habitude de
prendre des nudes, dans un objectif de séduction pour mes partenaires. Je possède
aujourd’hui un album de plusieurs centaines de photos, mais je n’en envoie que très
peu aux hommes que je fréquente. Mes nudes m’appartiennent, mon rapport a chan-
gé. Ils me servent de « booster d’égo » quand je suis dans une période de dépréciation
de moi même. Ils me servent aussi à voir mon évolution physique, mes atouts corpo-
rels, me rassurer sur mon potentiel séduction, voir que je suis sexy... J’en envoie à mes
partenaires afin de faire monter la température avant que l’on se voit, pour les per-
turber quand je sais qu’ils ne sont pas dans un lieu adapté à ce visionnage... J’aime les
réactions qui en découlent, mon égo est reboosté et je me sens belle et désirable. » M.
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« Pour moi, le nude est un outil d’acceptation de mon corps. La publica-
tion de mes nudes, c’est l’aboutissement de ce travail ; je ne les publie pas
sur les réseaux sociaux pour avoir des retours positifs ou négatifs, mais pour
me prouver a moi même que je n’ai pas honte d’avoir le corps que j’ai. En
revanche, quand j’envoie un nude à un homme, c’est dans l’objectif qu’il
l’apprécie et qu’il le revendique.
Pendant longtemps, j’ai souffert du regard des autres, particulièrement celui
de mes proches ; les réseaux comme Twitter m’ont permis d’entrevoir une
autre réalité, avec des corps de femmes différents de ceux représentés dans
les médias « Mainstream ». C’est cette nouvelle représentation qui a modifié
mon regard sur mon propre corps et qui m’a donné ce sentiment de légiti-
mité quant au fait de m’exposer à mon tour. Quand on ne voit que des corps
de femmes blanches aux yeux clairs et minces, qui sont symétriques, propor-
tionnés, à la peau et aux cheveux lisses, alors que l’on est soi-même métisse,
en « surpoid », avec une peau marquée, des cheveux frisés, de la cellulite et
des yeux noirs, on n’a pas vraiment envie de se montrer. On se cache, on se
camoufle, on a honte et on souffre en silence. Alors oui, toutes ces femmes
aux corps abîmés qui se sont dévoilées sur Internet m’ont donné confiance.
C’est ainsi que je me suis affichée à poil sur Twitter, et que j’ai posé mon gros
derrière en photo de profil ! J’ai d’ailleurs remarqué que, quand j’ai un nude
en PP, les débats avec les hommes sont différents : ils se couchent plus facile-
ment et débarquent rapidement « clôturer » le débat en DM.
En bref, je fais des nudes pour toujours mieux m’affirmer, parce que désor-
mais j’aime mon corps, j’en prends soin et j’ai envie de le montrer... Alors je
le montre ! » E.
50
SEND NUDESLe catalogue d’exposition
Commissariat : Marion Cazaux & Chloé Lavigne
Graphisme : Chloé Lavigne
Sur une idée originale de : Marion Cazaux
NOUS CONTACTER :
Marion Cazaux - mhkzo@outlook.fr - www.mhkzo.com
Chloé Lavigne : chloelavignepro@gmail.com
51
« La nudité, encore taboue et considérée
comme une menace sur les plateformes de
partage de photographies et de vidéos en
ligne, apparaît également comme l’un des su-
jets artistiques les plus explorés au monde.
Photographes, peintres, illustrateurs, cha-
cun possède sa propre vision du nu, qu’il
soit poétique, érotique, politique, pornogra-
phique… De plus, malgré l’interdiction et la
censure, la nudité s’expose de plus en plus
sur les réseaux sociaux ; il convient donc
de s’interroger sur ce phénomène de mise en
ligne et sur les raisons de sa croissance,
mais également de mettre en lumière le com-
bat que mènent artistes et modèles au sujet
de la libre exposition de cette nudité. »
SEND NUDESLe catalogue d’exposition
Prix libre à partir de 5€

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"Send N*ds" le catalogue d'exposition

  • 1. SEND NUDES MARION CAZAUX & Chloé Lavigne ©Eniluapski
  • 2. SEND NUDESLe catalogue d’exposition Exposition du 9 au 20 mars 2020 à la Centrifugeuse & à l’UFR Lettres de l’UPPA Par Marion Cazaux & Chloé Lavigne
  • 3. SOMMAIRE L’EXPOSITION l’exposition /// Le mot des commissaires /// Le mot de l’historien.ne /// LES ARTISTES ENILUAPSKI /// Magdalena Kiwak /// Lisa Deprat /// Cathou Tarot /// Taïs /// Marie Ployart /// Jessica Rispal /// Eli Marley /// Marie LBB /// Flavie Eidel /// Clémence Rolland /// Wilbert de Groot /// Fille d’à côté /// Muskmosa /// LE projet participatif Le projet participatif /// P.4 P.6 P.12 P.18 P.20 P.22 P.24 P.26 P.28 P.30 P.31 P.32 P.34 P.36 P.37 P.38 P.40 P.42
  • 4. Orlan, « Le Baiser de l’artiste », 1977 (Paris) L’EXPOSITION La Journée Internationale de Lutte pour les Droits des Femmes, le 8 mars, apparaît être le moment propice pour mettre en perspective les question- nements féministes auprès d’un public non-averti. Les questions du statut de la femme et de la hiérarchie de genre trans- cendent tous les domaines de la société, l’art compris. Dès la seconde partie du XXème siècle, les femmes artistes se sont insurgées contre un modèle au sein duquel elles étaient sous-représentées, et où il apparaissait nécessaire d’être dans le sillage d’un homme pour espérer pénétrer le monde de l’art. En 1977 par exemple, l’artiste française Orlan monnayait ses baisers lors d’une performance au Grand Palais, vêtue d’une photographie grandeur nature de son buste nu fai- sant également office de tirelire ; cette intervention interrogeait non seulement la finalité de son statut de femme artiste, mais proposait également de mettre en exergue la volonté de sortir de son rôle de spectatrice pour apparaître, enfin, sur le devant de la scène. Au sein de cette révolution sans précédent, le corps a donc joué un rôle décisif ; autrefois réduit au simple statut d’objet iconographique sans valeur, systématiquement idéalisé et représenté sans par- ticularité ni pilosité, il est devenu un médium ar- tistique à part entière et une arme politique d’une puissance incomparable. Comme Déborah de Ro- bertis l’a exprimé en 2014 lors d’une performance où elle exhibait ses parties génitales devant l’Ori- gine du Monde de Gustave Courbet, il était temps pour les femmes de sortir du cadre et de s’exposer au monde entier. Dans une société où le « Body Positive » devient un argument Marketing dénué de sens et où le « Revenge Porn » est responsable de plusieurs centaines de suicides par an, ce combat et ces ques- tionnements sont plus que jamais d’actualité. 4
  • 5. La nudité, encore taboue et considérée comme une menace sur les plate- formes de partage de photographies et de vidéos en ligne, apparaît également comme l’un des sujets artistiques les plus explorés au monde. Photographes, peintres, illustrateurs, chacun possède sa propre vision du nu, qu’il soit poétique, érotique, politique, pornographique… De plus, malgré l’interdiction et la cen- sure, la nudité s’expose de plus en plus sur les réseaux sociaux ; il convient donc de s’interroger sur ce phénomène de mise en ligne et sur les raisons de sa crois- sance, mais également de mettre en lumière le combat que mènent artistes et modèles au sujet de la libre exposition de cette nudité. À travers cette exposition, nous voulons donc offrir aux artistes femmes et aux artistes issu.e.s des minorités de genre un espace d’expression libre, au sein duquel leur démarche et leurs recherches sur le corps sont pleinement valorisées. Nous voulons également mettre en avant une nudité libre, inclusive, assumée et dépourvue de toute connotation sexuelle. Qu’il soit mince, gros, lisse, poilu, mu- tilé, tatoué… Le corps mérite d’être regardé, mais il mérite surtout d’être célébré, et ce dans toute sa diversité. à propos + Marion CAZAUX est doctorante en Histoire de l’Art Contemporain à l’UPPA. Elle consacre son étude à l’auto-représentation queer dans la perfor- mance depuis 1980. + Chloé LAVIGNE, ancienne étudiante du Master Arts à l’UPPA, a écrit un Mémoire intitulé « L’installation vidéo : un art de l’expérience ». Elle est actuellement professeure vacataire en Art Actuel. + Cette exposition est en partenariat avec l’Université de Pau et des Pays de l’Adour, Art&Fac (association de la filière d’Histoire de l’Art et d’Aechéologie de l’Université de Pau), Solidaires étudiant.e.s Pau Occitanie, syndicat de lutte, le Crous Bordeaux et l’UPPA. 5 Déborah de Robertis devant « L’origine du Monde », 2014 (Paris)
  • 6. « Combat du corps, combat de l’art » - Chloé Lavigne Depuis quelques années, et notamment depuis que j’ai découvert l’art de la performance artistique au travers des actions de Tehching Hsieh, Marina Abramovic et Orlan, ma fascination pour le corps dans l’art actuel est sans limite. Je me plais, pendant des heures et des jours entiers, à lire des livres à ce sujet, à découvrir de nouveaux artistes et à analyser l’évolution de la représentation du corps dans l’histoire de l’art. Il faut dire que le sujet est d’une richesse inégalable et inépuisable… C’est cet effacement de la frontière entre l’art et la vie et cette vo- lonté générale d’ériger le corps au rang de sujet et de support qui me questionne et me fascine. Pendant des décennies, les corps représentés dans les oeuvres d’art de- vaient arborer des proportions parfaites afin de correspondre à un idéal de beau- té particulièrement strict. Ce n’est qu’à partir du 15ème siècle que certains artistes commencent à explorer l’esthétique de l’imperfection, comme Quentin Metsys avec sa célèbre et monstrueuse Duchesse ou Le Greco avec ses corps nerveux et ascétiques. Fort heureusement, cette esthétique trouve son développement et son épanouissement dans l’art d’aujourd’hui. En effet, la conception du corps idéalisé est, depuis les années 50, rejetée au profit d’un physique qui correspond davantage à la réalité. Évidemment, tout cela est indéniablement lié aux mécanismes profonds de notre société. Car, ce n’est pas nouveau : l’art reflète et pointe du doigt le Marina Abramovic, « Thomas Lips », 1975 (Innsbruck, autriche) Tehching Hsieh, « One Year Performance : The year of the rope », 1982-83 Orlan, 7ème opération de chirurgie esthétique intitu- lée « Omniprésence », 1993 (NY) 6 LE MOT DES COMMISSAIRES
  • 7. monde dans lequel nous vivons. Au Moyen-Âge, alors que la société était concen- trée autour de l’Église, les œuvres d’art avaient pour rôle d’éduquer les fidèles ; il était nécessaire afin de faire le lien entre le monde terrestre et le monde céleste. Les différentes missions confiées à l’art sont donc révélatrices de tout un système sociétal souterrain. Aujourd’hui encore, l’art se fait le porte-parole des combats de ce monde ; il dénonce souvent, et propose parfois des solutions. Au cœur de cette société en pleine mutation, le corps, qui est déjà le sujet et support favori de bon nombre d’artistes depuis les années 50, est au cœur de ces nombreuses problématiques de société actuelles. Les comptes de Body-Po- sitive fleurissent sur Instagram, la parole se libère sur de nombreux sujets tels que le genre, la sexualité, le harcèlement de rue, les violences gynécologiques, les menstruations… Autant de sujets qui touchent à la fois à l’identité et à l’in- time, et qui étaient auparavant tabous. Sur les réseaux sociaux, nous assistons à une volonté générale de mettre en lumière une réalité auparavant cachée. Les utilisateurs sont également de plus en plus nombreux à utiliser ces plateformes pour s’exposer, s’assumer, se libérer... Sur les réseaux sociaux donc, le corps se dénude, se montre tel qu’il est ; la nudité est devenue une source de libération, un objet de combat, tout en conservant un intérêt artistique et esthétique indé- niable. Naturellement, l’engouement pour la publication de « nudes » a engendré le durcissement de la censure sur les réseaux sociaux concernés. Malheureu- sement, l’algorithme de ces plateformes ne permet pas de différencier les pu- blications obscènes du contenu à visée militante et/ou artistique ; un corps nu, quel qu’il soit, est considéré comme une menace. Heureusement, les internautes s’insurgent, résistent et imposent leur art. Les réseaux sociaux, aussi autoritaires soient-ils sur la question du nu, ont malgré tout permis une explosion des possibilités artistiques en permettant à chacun d’entre nous de faire entendre notre voix. De plus, même si la censure freine considérablement l’expansion de certains créateurs, ces derniers se voient tout de même offrir un espace de visibilité considérable. De véritables commu- nautés se créent, des relations se nouent… N’est-ce pas d’abord comme cela que les combats se gagnent ? Merci à tous nos artistes et à tous les autres participants pour avoir accep- té de faire partie de ce projet. Merci à Marion qui est à l’origine de cette idée, et qui a pensé à moi pour l’accompagner dans cette aventure. Et, pour finir, merci à mon corps, qui n’a pas été ménagé mais qui ne m’a jamais abandonnée. Au- jourd’hui, je peux enfin te le dire : je t’aime. Chloé Lavigne 7
  • 8. « Le nu doit-il se justifier ? » - MArion Cazaux Le nu a principalement été utilisé, tout au long de l’histoire de l’art, par les artistes hommes avant d’être récupéré par les artistes femmes. Le nu évoque majoritairement une ambiance et un discours érotique, suggestif, voire sexua- lisant. De « L’Olympia » de Manet à « L’Origine du Monde » de Courbet, le corps des femmes a toujours été source d’intérêt, voire de scandale. Au sein de l’histoire de l’art occidentale, le nu féminin se devait se justifier par exemple par la mythologie, la déité, la référence à l’Antique ou en encore l’orientalisme. Le nu qui ne se justifiait pas devenait alors provoquant, indécent, hors des mœurs. Nous pouvons citer les nus féminins de Manet, d’Egon Schiele, de Courbet ou de Toulouse-Lautrec. Ils ont délivré leur vision du corps des femmes, à leur guise. Mais lorsque les femmes ont réussi à s’emparer de la pratique artistique professionnelle et qu’elles ont pu participer aux avant-gardes du XXème siècle, elles ont renouvelé l’approche du nu. Certaines d’entre elles refusaient l’imagerie fantasmée des corps nus féminins à la Ingres et souhaitaient se réapproprier leur corps. Ce retournement de stigmate s’est fait par la photographie et la perfor- mance principalement. Il s’agit également de noter que les théories et organisa- tions féministes montaient en puissance à la même époque. Le corps était au centre des préoccupations des féministes et de beau- coup d’artistes femmes. Notamment dans « Interior Scroll », où le corps nu de l’artiste Carolee Schneemann a un sens évident : politique, actif, quotidien. Cela va à l’encontre de l’utilisation masculine du nu féminin qui le rendait passif, su- blimant et souvent invraisemblable. On peut trouver la même idée chez Laura Aguilar, artiste photographe. Elle se photographie dans la nature, nue, dans un noir et blanc troublant : son corps tente de se fondre dans le décor en faisant écho aux formes qu’elle y trouve. Du côté de Nan Goldin, on retrouve des nus quoti- diens, spontanés, qui peuvent relever du sexualisant comme de l’anecdotique. Le nu ne se justifie pas par la composition réfléchie d’une photographie, mais par la capture d’un moment de vie, ce qui fait la spécificité de l’œuvre de Goldin. Mais, est-ce que dans d’autres cas, le nu pourrait se présenter dans une photographie sans avoir un sens particulier, sans amener un élément de narration ? Carolee Schneemann, « Interior Scroll », 1975 Laura Aguilar, « Un- titled 107 », 2006 Nan Goldin, « Käthe in the tub, West Berlin », 1984 8
  • 9. Le nu dans la photographie féministe permet de ramener la critique sur un vocabulaire masculin, elle permet de le parodier, de le tourner en dérision, de le dénoncer. Veronika Bromová dans « Já stul / I, Table » (2000) reproduit un salon masculin, sombre, plutôt vide à l’exception de cette table basse qui centre notre regard et le discours. La plaque de verre n’est pas surplombée de pieds en métal ou en bois, mais d’une femme nue. La vitre repose sur le haut de sa tête et sur ses genoux, tandis qu’elle a les bras à terre, les cuisses écartées et les pieds en pointe. La lumière est focalisée sur son visage, ses yeux restent fermés. Son corps est intégré dans cet intérieur plutôt bourgeois, qui témoigne d’une certaine réus- site économique du propriétaire : la femme étant le dernier atout de ce design. Elle ne prend pas de place, reste disponible, et s’intègre sans troubler à l’ordre décidé. Bromová utilise un nu signifiant, afin de dénoncer la place des femmes dans la société, dans la cellule du couple et de la famille. Dans sa performance « Zemzoo, Selfporformance » de 1998, Bromová met en scène son corps et dé- nonce les diktats imposés aux corps des femmes. Elle se trouve au centre d’une pièce entourée de miroirs, nous voyons, elle voit, son corps sous tous ses angles, aucune partie n’est cachée par ce nu révélateur. Elle s’entoure alors de scotch en serrant au maximum son corps, comme pour en arriver à sa forme minimale. Mais à force de tendre la bande fixante, elle créée des bourrelets entre les zones scotchées et celles laissées vierges. Rien ne va. Rien n’ira jamais. Ce ne sera ja- mais assez. Nous pouvons interpréter sa performance comme cela, des femmes essaient à tout prix de correspondre à l’idéal contemporain de la belle femme, de la femme parfaite, mais quoi qu’elles fassent, il y aura toujours des critiques. Veronika Bromová, « Zemzoo », 1998 9
  • 10. Ce qui compte avec ces artistes femmes et féministes, c’est de reprendre le contrôle de leur corps, de nous prouver que nous pouvons aussi le faire. Nous avons assisté à une vague de « photographies thérapeutiques », majoritairement du nu féminin, dans ce que nous pourrons appeler la jeune photographie fémi- niste française. Le principe est de permettre à des femmes de ré-accepter leur corps, de le voir par l’intermédiaire d’un œil bienveillant qui leur permettrait d’engager un nouveau travail sur soi. Au centre cette (ré)acceptation de soi nous trouvons les éléments que le patriarcat a érigé en horreur : graisse, vergetures, ci- catrices, nez tordu, des proportions qui ne sont pas en 8, etc. Nous trouvons alors là deux sortes d’écoles dans la photographie thérapeutiques : les photographes qui vont englober ces éléments dans un décor, une ambiance, une photographie générale de telle sorte à ce que le modèle accepte son aspect, même les éléments décriés. Et de l’autre côté, nous avons les photographes qui choisissent d’appuyer sur les détails « négatifs », qui réalisent des gros plans dessus, oubliant tout ce qui les entourent, mais qui arrivent presque à les humaniser, à leur donner une autre forme, une autre importance qu’ils n’ont eu jusque-là. Si on les cachait avant, il s’agit ici de les regarder bien en face, en gros plan. L’utilisation répétée du nu en photographie pourrait amener à sa propre banalisation, et cela a ses avantages : nul besoin de sacraliser le corps des femmes. Mais cela comporte aussi beaucoup de questionnements autour du vocabulaire de la photographie féministe : l’usage du nu permettait de provoquer, de stopper le public pour qu’il soit plus attentif au discours. La volonté politique derrière l’usage du nu dans la photographie féministe est souvent d’accepter le nu quoti- dien, celui de la « vraie vie », non retouchée, non fantasmée, non esthétisée. La question est de savoir si nous avons assez de distance envers notre éducation, notre intériorisation du patriarcat, pour adopter une nouvelle esthé- tique, une nouvelle mise en scène du corps nu féminin qui n’entrerait pas dans une acceptabilité patriarcale mais dans une émancipation féminine. Pour clari- fier, nous avons reçu une éducation qui nous inculque ce qui est beau, ce qui ne l’est pas, les jugements de beauté sur les femmes sont incessants, encore plus visibles depuis l’explosion des réseaux sociaux. Il faut alors réussir à déconstruire, ou plutôt enclencher un processus de déconstruction, de l’idéalisation physique de la femme. Ne reproduisons-nous pas ce qu’on nous a enseigné ? Cela est valable pour la photographe comme pour la modèle. Évidemment, toute photo- graphie n’a pas vocation à révolutionner l’histoire de l’art ni l’imagerie féministe, mais on peut s’interroger sur l’appartenance revendiquée des photographes au féminisme. Il s’agit parfois de mettre en avant nos poils, nos menstruations, nos 10
  • 11. cicatrices, nos malformations, comme un sujet artificiel, en y rajoutant des élé- ments extérieurs (paillettes, vermicelles de couleurs, fleurs, laine, etc). Cacher leur caractère naturel revient à dire trop souvent : ils ne peuvent être beaux qu’en les modifiant. Dans une autre sphère de la jeune photographie contemporaine dite « politique/féministe/queer », des photographes cherchent exclusivement des per- sonnes ayant un physique sortant de la norme, alors même que le leur, le phy- sique du ou de la photographe demeure normatif. Ce qui ressort de ces demandes, souvent récurrentes et insistantes, c’est un vocabulaire mal employé, car la situation n’est pas vécue, n’est pas connue. Nous pouvons penser ce phénomène comme une volonté de créer du subversif pour du subversif, d’être celui ou celle qui ira le plus loin, une sorte de course aux corps « anormaux », et finalement, le goût amer d’un sentiment de fantasme de ces corporalités jugées déviantes. Nous pourrions aller jusqu’à penser que les photographes sont alors dans une démarche de création d’un cabinet de curiosité instagrammable, qui leur donnerait une place spéciale dans le paysage des jeunes photographes et le sentiment d’être le ou la plus ouvert.e d’esprit de la scène. Nous noterons tout de même que plusieurs tabous corporels demeurent dans l’oubli, sans qu’on ne les franchisse vraiment, comme le corps vieillissant, l’érotisation des corps ridés et marqués par le temps. Nous en revenons à notre question de départ : le nu doit-il se justifier ? Pour résumer, les interrogations sont : Est-ce que la banalisation du corps nu est une bonne chose (artistique- ment, socialement et politiquement) ? Est-ce que cette dernière n’enlèvera pas un élément de langage de la photographie féministe ? Le nu a-t-il toujours un rôle narratif, et le nu fait-il œuvre ? Bien évidemment, nous ne donnerons ici aucune réponse ; nous avons tenté de lancer des pistes de réflexion sur un sujet encore bien plus large et bien plus complexe à appréhender et analyser dans sa globalité. La volonté de ce texte est de questionner les photographes, les modèles et le public sur l’utilité, la jus- tification ou la non-justification du nu féminin dans une œuvre, et notre propre approche d’une œuvre affichant un nu féminin. Marion Cazaux Mhkzo.com 11
  • 12. « Nudité et Photographie : une histoire intimement liée » - Pauline Grazioli « Pouvions-nous faire le choix d’un sujet plus beau, plus émouvant que le nu ? » (Marcel Natkin, Le nu en photographie, 1937, Paris, Ed. Tiranty, p.10) Il est question de nudité en photographie dès la création de celle-ci au XIXème siècle. L’invention de ce procédé de reproduction technique a boule- versé l’approche du corps par les artistes, et a plus généralement donné à voir la nudité sous un angle plus vrai que nature. Il est clair que dès le début de l’utilisa- tion de la photographie (et dès le daguerréotype), produire du nu est indéfectible d’une forme de fascination pour le corps humain nu. Albert Londe ou encore Paul Richer photographient les patient.e.s de la Saplétrière totalement nu.e.s à partir de 1882. Comme on le voit dans « Démarche pathologique. Tabélique avec arthopathie », il s’agit de séries de photos permettant de découper un mou- vement pour observer avec précision l’influence d’une maladie sur le corps. Ici, la nudité est simplement pratique : elle garantit une meilleure appréhension du corps et de l’expression des pathologies sur celui-ci. Il est en effet nécessaire de posséder une retranscription exacte du corps humain et de toutes les maladies qui peuvent l’altérer. La photographie permet en somme une cartographie du corps humain dans son entièreté et avec une exactitude jamais atteinte auparavant. L’approche artistique du corps nu s’est accompagnée de plusieurs réflexions autour de l’utili- sation de ces clichés. Des études d’après nature, inspirées des académies qui sont nécessaires à l’apprentissage des artistes peintres/sculpteurs depuis le XVIIIème siècle, sont utilisées par les artistes comme modèle. La photographie remplace parfois le modèle vivant. Il s’agit de créer des images types pour que les artistes réutilisent ces motifs sans ressentir le besoin de faire intervenir un.e modèle en chair et en os. 12 LE MOT DE L’HISTORIEN.NE
  • 13. On peut notamment citer Gustave Courbet qui utilise à plusieurs re- prises des modèles types photographiques pour réaliser ses œuvres. Pour son tableau « Les Baigneuses » (1835, huile sur toile, Musée Fabre, Montpellier), il utilise « L’Étude d’après nature, nu, n°1935 » (1853) de Julien Vallou de Ville- neuve. Cette étude lui permet de réaliser le grand nu central et plantureux de son œuvre. Comme dans le tableau, on retrouve le modèle de dos, le dos légèrement courbé et la jambe droite pliée. Contrairement au tableau, elle n’est pas la main levée mais la photographie donne à voir les courbes du corps et surtout les mou- vements du bassin et des jambes qui seront réemployées par Courbet. Des revues font aussi office de ressources des plus variées à destination des artistes. La publication de revues et d’albums photos tels que « Le Nu Acadé- mique » ou « Mes Modèles » crée un nouvel intérêt pour le nu photographique. Les femmes représentées sont indolentes et représentées avec sensualité. Le re- gard qui se portent sur elles change. En effet, ces revues sont restreintes au public majeur. Les revues de ce type laissent apparaître donc le potentiel érotique de la nudité en photographie en mettant en scène des femmes aliénées, érotisées et surtout objectifiée avant tout pour le plaisir du public masculin. Si les clichés de nu sont traités avec noblesse, les modèles sont-elles des « femmes de petites vertus » (d’après Émile Bayard, directeur de la revue « Le Nu Académique ») et considérées avec dégoût. Dès le début, l’ambiguïté du nu en photographie est tangible. Se dé- veloppent alors des studios entièrement consacrés à la création de ces images pornographiques, vendus clandestinement sous la forme de cartes postales et résistant à la censure étatique et sa répression des outrages aux bonnes mœurs. Avec cette fascination pour la nudité s’accompagne le développement d’un male gaze. Le regard et la mise en image du corps nu est réalisée par un homme, en di- rection d’un homme. En cela, la production d’images érotiques saphiques a pour seul but la satisfaction des fantasmes masculins. Pour Émile Bernard, « le nu, qui est le fond nécessaire des arts du dessin, de la sculpture et de la peinture, serait, en photographie, inavouable » car le lien entre approche purement artistique/ plastique et érotisme est infiniment fin. Le XXème siècle ne fait pas exception à cet entre-deux. Durant cette période, la nécessité de faire du nu en photographie est deux ordres : dans un premier temps, il est nécessaire de faire du nu en photo pour acquérir une forme de légitimité artistique - comme il en était de même lors de l’apprentissage des artistes - et dans un second temps, il est intéressant de faire du nu pour des ques- tions purement financières. Les revues démarrées au siècle précédent montrent à 13
  • 14. quel point il existe un marché - noir, certes - pour la photographie et notamment la photographie érotique. Le travail de Man Ray est encore fortement marqué par l’érotisme du corps. Il publie par exemple une série de photos pornographiques sur le thème des saisons, et surtout des positions sexuelles dans la publication 1929. À côté, il produit des œuvres ingénieuses, explorant les possibilités techniques de la pho- tographie et les possibilités esthétiques des contrastes lumineux comme dans son œuvre « Retour à la raison » (1923). Il faut aussi prendre en compte le fait que la photographie de nu se dé- veloppe à mesure de l’évolution de la société face à la nudité. Le XXème siècle est bien plus tolérant : la nudité est usuelle ; c’est le début du naturisme, de la libération des corps féminins. En cela le début du XXème marque aussi la possibilité d’une réappropriation de ce milieu par les femmes. Elle est déjà visible dans les autoportraits nus de la photographe améri- caine Anne W. Brigman. Dans son autoportrait « Soul of the Blasted Pine » (vers 1907), le corps de l’artiste se fond dans l’écorce d’un arbre et s’étend en hauteur. Il prend la place du tronc et s’intègre ainsi à la nature. Les femmes participent aussi à ce marché noir de la nudité érotique. Gisèle Freund aurait produit des photographies de nu érotiques, vendues elles aussi sur le marché noir. Dora Maar, quant à elle, réalise des séries entières pour des publications spécialisées. Une photographie prise vers 1934 montre un modèle féminin non-iden- tité en déshabillé. Elle est allongée lascivement sur une chaise, légèrement cam- brée, et regarde droit l’objectif. Attendant lascivement la venue de quelqu’un (un homme, peut-être ?), entourée d’objets qui la renvoient matériellement à son genre. La pose lascive, et cette jambe à demi relevée, qui cache tout de même son sexe, est un appel à la curiosité. Une telle image n’est pas si éloignée de ce que des artistes hommes comme Manet, Courbet ou Ingres donnent à voir. Man Ray, Extrait du « Retour à la raison », 1923 Anne W. Brigman, « Soul of the Blasted Pine », vers 1907 14
  • 15. Ici, l’image est néanmoins contrôlée par une femme, qui projette sur une autre, les fantasmes et les idéaux attendus par le regard masculin. Si les cartes postales ne servaient pas un but artistique et esthétique, les photographes du XXème vont donner à l’érotisme tout son penchant artistique. L’érotique est esthétique entre les mains d’un Man Ray ou d’une Dora Maar. Des photographes comme André Kertész vont, quant à eux, se dédouaner de cette érotique latente pour explorer les distorsions esthétiques possibles sur le corps. Chez lui, les corps nus sont déforcés, distordus et en cela fascinants. Il mêle ici recherche technique et recherche esthétique. Le nu est un nouveau terrain de jeu pour les artistes. Ils explorent tout à la fois les limites visuelles et techniques de l’appareil photographique. Ils s’éloignent de la réalité, ils éloignent le nu de la réalité. Il faut savoir qu’il existe peu de nus masculins. Les artistes y préfèrent les courbes féminines, notamment en France. Laure Albin Guillot est l’une des rares photographes (tout genre confon- du) à se frotter à ce sujet. Elle réalise notamment une série de photos autour du poème « Narcisse » écrit par Paul Éluard. Elle photographie donc un jeune homme entièrement nu et c’est par le truchement des contrastes de lumière qu’elle auto-censure ses clichés. André Kertész 15
  • 16. Peu de photographies montrent les parties génitales des modèles, no- tamment masculins. Il s’agit de suggérer plus que de montrer, alors même qu’au XIXème siècle, le fantasme de la monstration totale est à son apogée, comme le prouve la série sur le thème du « retroussé » d’Auguste Belloc dans les années 1850, qui réalise le fantasme de Courbet de photographier une vulve ou « l’ori- gine du monde ». La question du nu en photographie est donc éminemment complexe : elle circule donc dès le début de la pratique entre un domaine de pure explo- ration esthétique et un lieu de projection de fantasmes. La fin du XXème siècle et le début du XXIème appuient sur ces deux directions. Le développement du cinéma et de la pornographie assurent une approche beaucoup plus libéré du nu, comme de la sexualité. Les œuvres de Robert Mapplethorpe en sont la preuve. Le photographe américain prend plaisir à montrer la sensualité des corps mascu- lins, sans pour autant censurer comme l’aurait fait Laure Albin Guillot. Le nu devient un domaine de revendications : de soi, comme pour Francesca Woodman qui explore les limites de son corps et de son identité de femme, d’une appartenance à une communauté, comme Peter Hujar qui montre l’envers du décor de la communauté LGBTQI+ bouleversée par la crise du SIDA. Le nu évolue au fil des revendications politiques. Ren Hang célèbre la nudité malgré la censure. Pierre Molinier explore les limites de son corps en LaureAlbinGuillot,«étudedenu»,1939 Robert Mapplethorpe, « Thomas », 1986 16
  • 17. photo, tout comme Ana Mendieta qui filme et photographie ses performances. La fin du XXème siècle mêle l’utilisation du corps par les artistes comme un lieu d’exploration et de questionnements artistiques aux diverses utilisations des clichés de nu et de ses problématiques depuis leur création. Peter Hujar, « Recli- ning Nude on Couch », 1978 Francesca Woodman, « From Space 2 », Providence, Rhode Island 1976 Ren Hang Pierre Molinier, « La Rose blanche », vers 1965-67 Anna Men- dieta, « Un- titled (Glass On Body im- prints) », 1972 17
  • 18. 18 ENILUAPSKI « Je frottai tant pour nettoyer que j’en- levai la peau. Et mon âme, comme un visage écorché, à vif, n’avait plus forme humaine. » (Claude Cahun, « Aveux non avenus », p.16, 1930)
  • 19. 19 « Sensitive Surface est un projet en deux temps. La première partie, en noir et blanc, repose sur une reconsidération du corps par le ou la modèle. En un sens, il s’agit de voir son corps d’une manière différente, qui nous est personnelle et débarrassée de toute attente sociale. Apprendre à percevoir son corps, lui donner une image, une forme, et finalement l’embrasser dans toute sa complexité. La deuxième partie, en couleur elle, se concentre sur les traces de la vie et du temps du la peau. Ces marques qui sont porteuses d’une histoire sont révélées par la peinture phosphorescente au lieu d’être cachées comme le souhaiterait la société. Sensitive Surface est un projet qui permet de se confronter à soi, et seulement à soi, à travers une prise de conscience de son propre corps. » Eniluapski - @Eniluapski
  • 20. 20 Magdalena Kiwak est une artiste espagnole, née en 1987 en Pologne et résidant à Paris. Architecte de formation et passionnée de photographie depuis l’adolescence, elle l’appréhende aujourd’hui comme un objet et explore son potentiel de matéria- lité, toucher et tridimensionnalité en croisant les moyens de la photographie et de la couture. À partir d’images de nus d’elle-même et de personnes plus proches, son travail est une collection d’expériences abstraites sur la lumière, le mouvement et la texture, contrastant la forme humaine et le monde naturel avec délicatesse et douceur. De nombreuses similitudes apparaissent entre la peau et la photographie : les deux surfaces, toutes deux fragiles, toutes deux pleines de secrets… « Un jour, j’ai décidé de coudre les deux avec mon fil. » Magdalena Kiwak - @emekiwak.photographe MAGDALENA KIWAK Campos de Castilla Reposo entre las rocas 2 Segovia, 2019 Campos de Castilla Reposo entre las rocas 3 Segovia, 2019
  • 21. 21 Composicion Campos de Castilla 2 Segovia, 2019 Campos de Castilla Costuras Atardecer 1 Segovia, 2019 Campos de Castilla Costuras Atardecer 2 Segovia, 2019
  • 22. 22 « Tout a commencé par des autoportraits. J’avais besoin d’exprimer mes peines, de me confronter à ce que je pouvais détester de mon corps ; j’étais une adolescente réservée, isolée et la photographie me permettait de m’exprimer autrement qu’à voix haute, parce que parler n’a jamais été ma spécialité. Cinq ans plus tard, j’ai écouté, rencontré et finalement photographié des femmes qui voulaient des souvenirs, des traces, des photos d’elles brutes ; elles voulaient toutes se confronter à leur image et elles savaient que, par la photographie, elles pouvaient se libérer et s’exprimer comme j’ai pu moi-même le faire avec mes au- toportraits. La photographie de nu féminin permet de s’ouvrir, et de représenter les femmes qui ont conscience ou non de leurs corps. Aujourd’hui, la représentation et la ba- nalisation de la nudité est importante, voire même essentielle. Quand je lis des hommes écrire que les femmes que je photographie sont « malades », qu’elles « ne prennent pas soin d’elles », quand je vois comment ils parlent de mes modèles grosses, ou quand ils signalent en masse mon compte Instagram parce qu’ils ne sup- portent pas de voir des femmes disposer de leurs corps comme elles le souhaitent... Je me dis alors qu’il est important de continuer à nous montrer ; c’est important de montrer que l’on existe. » Lisa Deprat - @lesdetailsdelisa LISADEPRAT
  • 23. 23
  • 24. 24 CATHOU TAROT « J’ai pris ces photos après la douche pour mon partage Instagram de selfies nus pendant les règles (soit la période du mois où mes douleurs chroniques sont le moins vives). J’ai été charmée par le jeu des plis et des poils. Ordinaire et en même temps improbable, parce qu’on n’est pas habitué.e à regarder les corps gros : est-ce un bourrelet ou un cul, une aisselle ou une vulve ? Avant de les partager, j’ai rédigé un texte intitulé « Je m’exprime à travers la nudité en tant que grosse » (p.15), afin de rendre ma démarche plus explicite. C’est avant tout le regard mince (Thin Gaze), masculin et hétéro que j’espère contrebalancer. En invitant à regarder mon corps de mon point de vue, je veux créer des alternatives aux représentations hégémoniques des gros.ses et amener la.e spectatrice.eur à se regarder sous un autre angle. » Cathou Tarot - @Cathoutarot
  • 25. 25 Je m’exprime à travers la nudité en tant que grosse parce que... Ça me permet d’observer et d’aimer mon corps à travers mon propre regard, sans forcément le sexualiser, sans chercher la beauté à tout prix. Mais avec douceur. D’ailleurs, les séances photos ont bousculé mon rapport à moi-même. On apprend très tôt à détester nos corps. Le désapprendre, c’est déjà résister (même si c’est modestement) à cette haine et à ce système. Je m’exprime à travers la nudité en tant que grosse parce que... Je veux que tu voies mon corps à travers mon regard. Pas les corps gros du JT, pas ceux des magazines, dont la tête n’entre pas dans le cadre, de préférence dans une artère commer- ciale ou avec un paquet de chips. Je veux que tu aies la possibilité de désapprendre aussi ce regard-là. J’espère qu’en voyant le corps gros autrement, dans un contexte où il n’est pas pré- senté comme ce qui te dégoûte et que tu dois fuir coûte que coûte, tu passes en revue certains de tes clichés. J’espère que tu t’habitues à penser autrement. J’espère que tu désapprends la grossophobie qu’on intègre tou.te.s. Je m’exprime à travers la nudité en tant que grosse parce que... J’espère te donner des pistes pour regarder différemment. Toi-même. Et ton entourage. Et les inconnus. Et les gros.ses sans tête à la télé. J’espère que tu accèdes à un peu de la complexité des vécus-gros - comme tous les vécus en fait. J’espère que tu résistes à ce système grosso- phobe. Tu sais, ça n’a l’air de rien comme ça, mais quand des personnes grosses m’écrivent que mes images les aident à changer leur perception d’elles-mêmes, je sais que ça compte. Je sais que je dois poursuivre. J’espère te donner le courage et l’envie de participer au change- ment. Je m’exprime à travers la nudité en tant que grosse parce que... Je veux participer au partage de représentations grosses qui extraient le corps de la quête de légitimité à travers la beauté. Je ne veux plus qu’on est deux choix : soit on est hypersexuali- sé.e.s, soit on est l’antithèse du sexy. Bon, ceci dit, je ne peux pas te cacher que je trouve mes photos canon. Je veux aussi qu’on diffuse nos images, nous les gros et puis toi là. Je veux qu’elles inspirent les artistes à créer des représentations plus complexes. J’affiche par exemple mes bourrelets au ventre comme un rappel : les images de grosses en circulation représentent généralement des grosses acceptables, tu sais, celles qui ont la taille fine et le ventre plat ? Je veux que ça change. Je veux que tu voies les textures, les couleurs, les boutons, les cicatrices. Je veux que tu voies la réalité d’un corps gros et que celui-ci t’incite à en chercher d’autres. Je veux que tu t’habitues à tous les différents endroits où le gras s’exprime, tombe, rebondit, s’accumule, pétille, façonne, évolue, se met en mouvement. Je veux surtout que tu considères que c’est jamais pareil d’un individu à l’autre. Je m’exprime à travers la nudité en tant que grosse parce que... Je veux que tu penses à mes angles vus comme « disgracieux » quand tu te mets en quête d’un angle « parfait » pour prendre un selfie. Et quand tu choisiras un filtre pour l’« améliorer ». Je veux que tu penses à ces reliefs, à ces textures comme une option. Je veux que d’autres approches existent pour toi. Enfin, Je m’exprime à travers la nudité en tant que grosse parce que... Je veux pas que tu te sentes seul.e. Tout comme les représentations de gros.ses ont brisé mon isolement et ma haine de moi, je veux que tu saches qu’on est là.
  • 27. « Pourquoi le nu ? Parce que je voulais travailler les corps, les rendre différents. Les sortir de leur espace de confort, les déformer. Qu’est-ce que l’on peut faire pour rendre un corps, même normé, étrange, bizarre et jusqu’où l’on peut aller. Je me suis retrouvé.e aussi à devoir rendre anonyme mon copain.e dès le départ pour des raisons personnelles. Elle est mon modèle le plus récurent. Ça m’a donc forcé.e à voir et expérimenter la photo d’une autre manière, ne pas faire de portraits classiques. Il n’y a qu’une seule photo où l’on voit un visage dans celles exposées et je pense qu’à l’avenir, je ne montrerai plus de visages. Pour sortir l’humain, ne voir qu’un corps, comme un objet posé là ou alors qui veuille s’extraire de sa propre enveloppe charnelle. C’est une contradiction avec mon projet sur les personnes trans en couple homo : où il y a volontairement des visages, où les personnes sont habillées, où elles ne sont plus fantasmées, fétichisées, où leur humanité et amour comptent. » Taïs - @Bullejaune_ 27
  • 28. 28 MARIE PLOYART « Le nu occupe une grande part de mon travail : j’essaye d’interroger le regard de l’autre sur la nudité - un regard très souvent sexualisant - et de travailler sur la réap- propriation de notre corps et de son image, au travers de photographies brutes et peu retouchées. Pour donner un pied de nez à la sexualisation systématique du corps, je me plais à associer la nudité à la banalité, à l’ineptie, à l’incongru, voire parfois à la répulsion. Pour démontrer qu’un corps n’est rien d’autre qu’un corps, et que c’est le regard qui le modèle. L’anonymat me permet de sortir de l’identification au modèle. Il devient plus diffi- cile de ressentir de l’attirance pour un corps inconnu, d’autant plus si ce dernier est dans une situation peu attrayante… » Marie Ployart - @Marietrayolp
  • 29. 29
  • 30. 30 JESSICA RISPAL « Autodidacte, je travaille depuis 1998 sur le corps et les sexualités. Mes obsessions : le fétiche, la représentation du corps, la censure se retrouvent dans mes images qui abordent l’intime de manière dérangeante, pudique, crue, poétique, drôle, mystérieuse. » Jessica Rispal - @Jessica_Rispal Photographe, directrice artistique, éditrice www.jessicarispal.me www.lebateau.org www.lescrocselectriques.com
  • 31. 31 ELI MARLEY « À travers ces photos, je souhaite provoquer des émotions, quelles qu’elles soient. Pour moi, ce qui est merveilleux dans l’art photographique, c’est de pouvoir avoir plusieurs regards, s’affranchir des jugements, passer au-dessus des codes, et sim- plement ressentir. Pourquoi des corps nus ? Parce que c’est dans le plus simple appareil que l’on voit l’âme d’une personne. C’est toujours déstabilisant de se mettre à nu devant une in- connue, et encore plus devant son objectif. On est alors plus timide, moins à l’aise, et pour- tant nos gestes révèlent qui nous sommes. Chaque personne que je prends en photo est une his- toire, un moment… Des rires, parfois même des pleurs. Il y a les cicatrices, les envies ina- vouées, les peurs... Mais sur- tout des aventures de vies. Je vis toutes ces émotions avec ces modèles et les photos sont un té- moignage de ces partages. » Eli Marley - @Eli.marley
  • 33. 33 « Globalement, je ne fais que ce qui m’amuse. Mes limites sont ce qui m’ennuie. Je shoote avec toute personne disponible avec laquelle le feeling passe bien. J’aime les doubles expositions, parce que j’aime le hasard, et que je déteste par dessus tout être obligée de tout maîtriser. Je ne fais que de l’argentique parce que la photographie numérique ne laisse aucune place au hasard. Ce qui me plaît par dessus tout, c’est la phase de tirage des photos à l’agrandisseur, parce qu’elle permet de réaliser si une image vaut la peine d’être concrétisée ou non. C’est cette phase qui rend le tout réel. Généralement, si les gens sont nus sur mes photos, c’est parce qu’ils avaient envie de l’être. Je ne tire pas de satisfaction particulière à faire du nu. Mais je crois que les femmes ont de plus en plus envie d’être nues, comme elles l’entendent, si elles le souhaitent, et je suis heureuse de pouvoir les aider à immortaliser cette liberté un peu autrement. » Marie LBB - @36poses.eu
  • 34. FLAVIE EIDEL 34 « Il est important pour moi, en tant que femme queer, de prendre de la place dans le monde de l’art et de créer des oeuvres accessibles à tou.te.s. Je souhaite, à mon échelle, le rendre moins élitiste, et plus attrayant pour celleux qu’il intimide bien trop souvent. Mon autre motivation principale est très certainement de proposer une représen- tation positive aux personnes qui manquent de visibilité, dans une société aux oeil- lères encore bien trop présentes. Pour ce faire, mon travail tourne autour de la mise en lumière de leur force, au travers de mises en scènes douces, scintillantes et oniriques. Pour moi, il est évident que la confiance en soi passe souvent par le fait de voir quelqu’un.e qui nous ressemble s’aimer et être aimé.e, afin que l’on comprenne que cela pourrait être nous, et qu’on y a tout autant le droit que n’importe qui d’autre. » Flavie Eidel - @flavieeidel « Butterfly », avec Lilly Rose
  • 35. 35 « Genderless Periods », avec Sydney Martin & Nude Nora « Make Me Dream », avec Dariela Flores
  • 36. CLÉMENCE ROLLAND « VERGETURES - Diptyque de nos peaux en mouvement » Dans cette série photographique, l’artiste fait le choix d’expo- ser ces gravures des fluctuations du corps que sont les verge- tures. Sans souligner particulièrement ces marques du temps, les images transmettent par leur simplicité la beauté du corps féminin à l’état brut. » Clémence Rolland - @tempetesousuncrane 36
  • 37. 37 WILBERT DE GROOT « Le premier corps nu que j’ai photographié était celui de ma meilleure amie du lycée, lorsque l’on avait dix-huit ans. Plus tard, elle est devenue ma petite-amie et, ensuite, ma femme. Au fur et à mesure que l’on gran- dit ensemble, elle continue de définir ma vision de la beauté et de l’intimité. » Wilbert de Groot (1969), Designer Graphique et photographe, vit et travaille actuel- lemet aux Pays-Bas. Wilbert de Groot - @In.skin.we.trust
  • 38. 38 FILLE D’À CÔTÉ « Cinéphilosophe de comptoir, croqueuse d’hommes et de femmes au crayon de bois, photographe en carton et chroniqueuse de trottoir, La Fille d’à Côté a 32 dents et des cheveux blancs. Dans la vie, elle avance comme les films, comme des trains dans la nuit et elle aime bien faire des photos parce qu’elle a une très mauvaise mé- moire et des yeux flous. » Fille d’à côté - @filledacote
  • 39. « Sorcière des jardins » Modèle : Métaux Lourds (@metauxlourds) « Aïga ou l’eau froide », co-photographe : Maud Kijko (@maudkijko). Modèle : Fille d’à côté « Nudevember », co-photographe : MD (@macdye_) Modèles : June (@june_in_the_sky), Zvod (@zvod_) & Fille d’à côté « Sous l’eau » Modèle : Axxenne 39
  • 41. « J’ai toujours abordé la question du corps avec abstraction. Le mien déjà, car il y a cette sentence dans mon ressenti depuis enfant : “Si je ne le vois pas, il n’existe pas”. En le découvrant ces dernières années, je me suis rendu compte que je me le cachais à moi même par pure dysphorie. Quid de celui des autres ? Vous remar- querez que le seul modèle ici est Taïs, l’un.e des autres artistes de cette exposition. Peut-être notre lien est assez fort, iel est la seule personne, jusqu’à présent, que j’ai prise totalement nue. J’ai pourtant fait un projet sur l’intime pour lequel certain.es modèles étaient dénudé.es, et d’autres non. Mais, en réalité, c’est une autre forme d’intimité que je me suis senti de capter la plupart du temps ; l’intime n’est pas for- cément lié au nu, et le nu n’est pas forcément lié à l’intime. À côté de ça, j’ai toujours fortement apprécié l’abstraction, dans chacun des arts que j’ai pu pratiquer, que ce soit le théâtre, la sculpture, les arts plastiques en général, le body-painting... Et oui, encore le corps : il revient pas mal dans ma vie pour une personne qui en est si intimidée, si peu proche. Je ne sexualise pas mes nus, car je ne sexualise pas les corps. Je ne l’ai jamais réel- lement fait dans ma vie, et je pense que cela se ressent dans mes photos. Je traite les corps comme une entité dans une pièce, sur laquelle la lumière se pose et selon lequel le “décor” se place. Je peux capter mes images sous tous les angles possibles, au point de les rendre potentiellement vides de sens ou, au contraire remplies de force jusqu’à toucher lea spectateur.ice. Voilà, je me suis un peu mis à nu à mon tour. Merci à mon modèle, mes modèles, et merci pour le lieu d’exposition. » Muskmosa - @Muskmosa 41
  • 42. LE PROJET PARTICIPATIF Dès la naissance du projet, il nous a paru naturel de faire participer le public en lui laissant l’opportunité de s’exprimer à son tour. En effet, nous nous intéressons non seulement aux œuvres centrées autour de la nudité, mais égale- ment au phénomène de mise en ligne de ces images. Nous avons donc lancé, sur les réseaux sociaux, un appel aux Nudes La consigne était la suivante : « Envoyez-nous vos meilleurs NUDES. Votre proposition de- vra être constituée d’une à trois photographies (pouvant consti- tuer une série ou être indépendantes), accompagnées d’un court texte résumant la démarche entreprise. Nous garantissons l’ano- nymat de toutes les personnes voulant participer à ce projet. » Merci à tous les participant.e.s, merci de votre confiance, merci de vous aimer, de vous célébrer, de vous assumer, et surtout d’exprimer votre liberté. 42 « J’aime bien détacher le corps humain de la vision érotique et pornographique. En effet je pense que le corps est trop sexualisé. Je le voit comme beauté et art plutôt que comme source d’érotisme a première vue. Pour ce qui est du nude artistique, j’ai choisit de me montrer sous un aspect plutôt doux, sans chercher a montrer quoi que ce soit de direct (comme mon sexe par exemple). J’ai vraiment voulu quelque chose de plaisant a regarder, sans crée une quelconque source d’éro- tisme ou d’appel à la sexualité. » L.
  • 43. 43 « Webcam en place, je prends la pose. Eclairage blafard, je crée mes propres couleurs. J’aime le regard fier j’aime les plis les marques les textures de ma peau j’aime les mots que j’ai écrit sans réfléchir en pensant à son corps. Je me sens forte, belle, sensuelle, fière : je me sens moi en puissance. Je l’aime et surtout Je m’aime. » E.
  • 44. 44
  • 45. 45 « Ce que je pense des nudeS : Je pense que c’est un moyen de se mettre en scène, touchant à la fois à l’intime et au « superficiel ». L’idée de se mettre en scène est souvent considéré comme une sorte d’égocentrisme « typiquement féminin ». Je ne suis pas d’accord avec cela, mais il est en même temps difficile de défaire le nude de cette connotation négative ; l’idée de se mettre en avant, de penser que son corps est digne d’être mis en lumière ainsi... En même temps, je pense que c’est le patriarcat qui veut exercer un contrôle sur nos corps, et nous empêcher de les apprécier nous-même. Il faut être belle, mais ne pas se trouver belle. Ce qui est intéressant, c’est que je me sens toujours à la fois un peu « subversive », car le nu est souvent perçu comme vulgaire, et, aussi, malheureusement toujours un peu en danger : « Et si quelqu’un de mal intentionné tombait dessus ? ». Pourquoi se prendre en photo soi-même nue : Cela permet de contrôler l’image de son corps et de se la réapproprier. Cela me donne de la force et de la confiance. C’est un moyen de s’amuser avec son corps en cherchant des angles, des poses, en jouant avec la lumière... C’est un moment où l’on apprivoise son corps nu, alors que l’on ne prend pas nécessairement le temps de l’observer dans un contexte qui n’est pas nécessairement érotique. Cela « dédramatise » la nudité et le rapport à soi. Pourquoi le rendre public : Rendre mes nudes publics est pour moi un acte mi- litant féministe. Premièrement, cela me permet d’avoir le contrôle de où, quand et comment ces nudes sont diffusés. Je peux, pour une fois, contrôler une image de moi perçue comme sexualisée, contrairement aux regards des hommes dans la rue que je ne peux pas contrôler, que je ne peux pas stopper lorsque j’aimerais être tranquille et ne pas être regardée. Là, c’est moi qui décide que l’on me regarde. De plus, je ne corresponds pas aux standards de beauté sexistes : je suis grosse et poilue (j’ai décidé d’arrêter de m’épiler car cela me prenait beau- coup de temps, d’énergie et d’argent, en moyenne 15.000€ dans la vie d’une femme, et j’ai un partenaire suffisamment mature pour s’en foutre). Je suis donc heureuse de pouvoir proposer une autre vision du corps de la femme. De pouvoir peut-être montrer à celleux qui verront cette exposition que les poils, c’est normal. Que l’on peut être sexy et sûre de soi avec des bourrelets. Que se faire du mal pour respecter des codes arbitraires ne nous rend pas belles, c’est plutôt le fait d’apprendre à aimer son propre corps qui nous donne ce pouvoir. Mon rapport au corps : J’ai détesté mon corps très jeune, dès l’âge de 8 ans, lorsque l’on m’a fait comprendre que je n’étais pas assez mince, assez gracieuse et que j’avais déjà trop de poils pour être « une belle petite fille ». J’ai vite été la fille intelligente, gentille, drôle, cou- rageuse, passionnée... Mais rarement belle. L’adolescence a évidemment été horrible. J’étais anorexique, j’étais plus mince au lycée que je ne l’avais jamais été (et que je ne le serai proba- blement jamais), et pourtant je me détestais toujours. J’ai eu des relations sexuelles, sérieuses ou non, j’étais visiblement désirée, et pourtant je me trouvais toujours hideuse. À l’époque, avant le moindre rapport sexuel ou bien même avant une soirée où il y avait la moindre pos- sibilité que je m’envoie en l’air, je passais 4h dans ma salle de bain à enlever minutieusement chaque poil de mon corps, à l’exfolier, l’hydrater, l’huiler... C’est quand j’ai eu une relation longue avec une fille que j’ai découvert que ce n’était pas important, que je la désirais aussi le dimanche matin, pas épilée, pas lavée, les cheveux sales... J’ai commencé à m’accepter, à ne plus voir mon corps uniquement comme un poids à traîner, à cacher, à arranger, à soigner... Depuis mes 20 ans (j’en ai 25), bien que je n’ai été en relation qu’avec des hommes, j’ai poursuivi ce travail sur moi-même. Bien sûr, il y a toujours des jours où je ne supporte pas de me croiser dans le miroir et où j’enfile des couches de vêtements informes pour oublier mon corps, mais ils se font de plus en plus rares. J’apprends à faire des choses avec : des photos, danser, boxer... J’ai compris que cette haine de moi-même ne venait pas de moi mais de l’ex- térieur, et qu’elle n’était profitable qu’au « patriarcapitalisme » (les régimes, les épilations, les vêtements amincissants, les magazines féminins...) contre lequel j’essaye de lutter dans tous les aspects de ma vie. Pour une femme, s’aimer soi-même est déjà un acte de résistance. Mon rapport à la publication dudit corps : De l’angoisse, de l’impatience, de la fierté, de la puissance. » M.
  • 46. 46 « Ces photos, je les ai prises pour deux raisons : plaire à l’autre, et me plaire. C’est un petit plaisir de laisser l’autre me découvrir autrement, portant chaînes et soumission en étendard quand, dans le quotidien, je suis plutôt l’inverse. Mais sans oser poser entièrement nu.e par peur que cela sorte, comme ici en gardant mes sous-vêtements. Ces photos sont là par besoin de captiver, de garder l’attention, mais en essayant de ne pas me mettre en danger. » M.
  • 47. 47 « Mes nudes ont deux valeurs : je les prends et les envoie aux amoureux parce que ça leur plaît, et que j’ai envie de leur plaire. Ce sont de jolies photos, où je me vois jolie... C’est donc important en terme de self-appreciation, de revalorisation de mon corps, cela me permet de me l’approprier : c’est de l’empowerment ! Et puis c’est mon corps, alors je fais ce que je veux avec ! L’idée, c’est aussi de montrer un corps moins normé que ce que l’on nous pro- pose éternellement : j’ai des poils, du gras... C’est moi, c’est « non négociable », et en plus on est plein à être comme ça ! Donc si ça peut donner de la confiance à d’autres... » L.
  • 48. « J’ai commencé à faire des nudes lors de ma première relation de couple, pour mon copain de l’époque. Après que cette relation se soit finie, j’ai gardé l’habitude de prendre des nudes, dans un objectif de séduction pour mes partenaires. Je possède aujourd’hui un album de plusieurs centaines de photos, mais je n’en envoie que très peu aux hommes que je fréquente. Mes nudes m’appartiennent, mon rapport a chan- gé. Ils me servent de « booster d’égo » quand je suis dans une période de dépréciation de moi même. Ils me servent aussi à voir mon évolution physique, mes atouts corpo- rels, me rassurer sur mon potentiel séduction, voir que je suis sexy... J’en envoie à mes partenaires afin de faire monter la température avant que l’on se voit, pour les per- turber quand je sais qu’ils ne sont pas dans un lieu adapté à ce visionnage... J’aime les réactions qui en découlent, mon égo est reboosté et je me sens belle et désirable. » M. 48
  • 49. 49 « Pour moi, le nude est un outil d’acceptation de mon corps. La publica- tion de mes nudes, c’est l’aboutissement de ce travail ; je ne les publie pas sur les réseaux sociaux pour avoir des retours positifs ou négatifs, mais pour me prouver a moi même que je n’ai pas honte d’avoir le corps que j’ai. En revanche, quand j’envoie un nude à un homme, c’est dans l’objectif qu’il l’apprécie et qu’il le revendique. Pendant longtemps, j’ai souffert du regard des autres, particulièrement celui de mes proches ; les réseaux comme Twitter m’ont permis d’entrevoir une autre réalité, avec des corps de femmes différents de ceux représentés dans les médias « Mainstream ». C’est cette nouvelle représentation qui a modifié mon regard sur mon propre corps et qui m’a donné ce sentiment de légiti- mité quant au fait de m’exposer à mon tour. Quand on ne voit que des corps de femmes blanches aux yeux clairs et minces, qui sont symétriques, propor- tionnés, à la peau et aux cheveux lisses, alors que l’on est soi-même métisse, en « surpoid », avec une peau marquée, des cheveux frisés, de la cellulite et des yeux noirs, on n’a pas vraiment envie de se montrer. On se cache, on se camoufle, on a honte et on souffre en silence. Alors oui, toutes ces femmes aux corps abîmés qui se sont dévoilées sur Internet m’ont donné confiance. C’est ainsi que je me suis affichée à poil sur Twitter, et que j’ai posé mon gros derrière en photo de profil ! J’ai d’ailleurs remarqué que, quand j’ai un nude en PP, les débats avec les hommes sont différents : ils se couchent plus facile- ment et débarquent rapidement « clôturer » le débat en DM. En bref, je fais des nudes pour toujours mieux m’affirmer, parce que désor- mais j’aime mon corps, j’en prends soin et j’ai envie de le montrer... Alors je le montre ! » E.
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  • 51. SEND NUDESLe catalogue d’exposition Commissariat : Marion Cazaux & Chloé Lavigne Graphisme : Chloé Lavigne Sur une idée originale de : Marion Cazaux NOUS CONTACTER : Marion Cazaux - mhkzo@outlook.fr - www.mhkzo.com Chloé Lavigne : chloelavignepro@gmail.com 51
  • 52. « La nudité, encore taboue et considérée comme une menace sur les plateformes de partage de photographies et de vidéos en ligne, apparaît également comme l’un des su- jets artistiques les plus explorés au monde. Photographes, peintres, illustrateurs, cha- cun possède sa propre vision du nu, qu’il soit poétique, érotique, politique, pornogra- phique… De plus, malgré l’interdiction et la censure, la nudité s’expose de plus en plus sur les réseaux sociaux ; il convient donc de s’interroger sur ce phénomène de mise en ligne et sur les raisons de sa croissance, mais également de mettre en lumière le com- bat que mènent artistes et modèles au sujet de la libre exposition de cette nudité. » SEND NUDESLe catalogue d’exposition Prix libre à partir de 5€