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3 Leader
Portrait
8
Loi contre le séparatisme
5
Explication de la Loi
Reportage
9
A l’Institut niçois En-nour : le mal-être des pratiquants
18 Reportage
Ecole privée Jeanne de France : « Il faut se battre pour la laïcité »
Interview
16
« Il faut une volonté d’appliquer les lois déjà existantes »
20
« Si j’étais encore député, je ne voterais pas pour cette loi »
« C’est la République qui ne veut pas de moi »
19
Reportage
« Notre gouvernement devient extrémiste »
Interview
Sommaire
A V R I L 2 0 2 1
Édito
4
Interview
10
Reportage
11
Les associations cultuelles musulmanes face au projet de loi
Décryptage
15
Décryptage de ce projet de loi
Interview
12
« On serait tenté de finir la phrase en disant ils n’ont pas qu’à rester chez eux »
Interview
« L’Islam est à 100% compatible avec la République »
« Ils font de la communication pas de la politique »
22
21 Décodage
séparatisme vs communautarisme
Portrait
24
« Dans la Torah, la loi du Prince est supérieure aux lois religieuses »
Melissa Carra
Rédacteur en chef
Noémie Julien
Thomas Huvé
Alexis Roux
Pedro Machado
2| SOMMAIRE
Reportage
23
La loi contre le séparatisme vue par la commaunuaté juive
explique « Qu’il ne faut surtout pas
confondre communautarisme et
séparatisme religieux ». Les deux
définitions sont en réalité totalement
opposées.
Dans le sillage de la polémique, la
problématique suivante a bâti une
enquête : « Le projet de loi renforçant
le respect de la République et de la
lutte contre le séparatisme : un
malaise pour le français musulman ?
».
208 voix pour et 109 voix contre. Le Sénat a tranché. Renommé pour la troisième fois, le projet de loi « confortant le
respect de la République et de la lutte contre le séparatisme » a été voté lundi 12 avril en première lecture avec
modifications. Prochaine étape : sénateurs et députés vont tenter de trouver un accord sur un texte commun en
commission mixte paritaire. Voulu comme un marqueur du quinquennat, le président de la République, Emmanuel
Macron prévoit des mesures sur la neutralité du service public, le contrôle des associations, et une meilleure
transparence de l’ensemble des cultes et de leur financement.
Les prémices du projet de
loi
Le 2 octobre 2020, Emmanuel
Macron s’exprime dans la commune
des Mureaux pour présenter ce
projet de loi. L’objectif premier étant
de « lutter contre l’islamisme radical ».
Sans attendre les manifestants
répondent :
« Notre gouvernement devient
extrémiste, Macron destitution ». Deux
semaines plus tard l’assassinat de
Samuel Paty survenu le 16 octobre à
Conflont-Saint-Honorine suivit de
l’attentat de Nice le 29 octobre
offrent tout deux la légitimité dont
avait tant besoin ce texte de loi. Par la
suite, la réponse médiatique ne s’est
pas faite prier, un débat au cœur du
séparatisme entre Marine Le Pen et
Gérald Darmanin est organisé sur
France 2 , le 11 février. Sujet de
controverse, l’exercice de l’Islam pose
problème.
Le 3 octobre 2020, Gérald Darmanin
annonce que le projet destiné à lutter
contre le séparatisme change de
nom. Il devient « Projet de loi
renforçant la laïcité et les principes
républicains ». Mais le terme
séparatisme n’a plus quitté la bouche
des Français. Pour comprendre les
origines et la nécessité de cette loi, il
faut en comprendre les termes.
Jérémy Guedj
Œuvrer pour la laïcité
Deux lois au cœur du
débat
Vieilles de 120 et 115 ans, deux
anciennes lois sont réactualisées. La
loi de 1901 définit et encadre les
différents types d’associations à but
non lucratif. Selon cette dernière, une
association est par définition « Une
convention en vertu de laquelle deux
personnes au moins décident de
partager leurs connaissances et / ou
leur activité dans un but autre que le
partage des bénéfices ou la recherche
de profit ». Celle de 1905 promulgue «
La liberté de conscience ». Elle marque
l’avènement de la séparation des
Églises et de l'État. « La République ne
reconnaît, ne salarie ni ne subventionne
aucun culte ». La laïcité prend alors
tout son sens. C’est une valeur
fondatrice et indissociable de la
République. Ces deux préceptes
dépoussiérés créent un genre
nouveau : les associations mixtes.
Elles sont à la fois sous le régime de
1901 mais aussi sous celui de 1905.
Ces structures sont à portée
culturelle.
3| LEADER
L’importance des termes
employés
« Le corpus législatif est déjà suffisant
pour défendre et promouvoir les
principes républicains ». Mais pour
Marc Guidoni, ce n’est pas suffisant. «
Ce n’est pas important de réaffirmer la
laïcité, c’est capital ». Différents projets
centrés sur la laïcité voient le jour
progressivement. Marlène Schiappa
propose de mettre en place les « États
généraux de la laïcité ». Le programme
consiste à réunir des adolescents de
14 à 17 ans afin de les sensibiliser
aux questions de laïcité. En parallèle,
le 9 décembre est une journée
dédiée à la laïcité. Dans les écoles, les
élèves sont déjà sensibilisés sur cette
problématique.
Sur le principe de laïcité qu’aborde la
loi : Jean-Philippe Asso estime que
L'exécutif à l’assaut du séparatisme
© Charles Plateau /archives Reuters
Photo de l'intérieur du Sénat avec une vue générale de l'hémicycle
7| LOI SÉPARATISME
Le projet de loi se veut fort et
marquant pour la fin du quinquennat
du Président de la République. Pour
certains hommes politiques, l’objectif
est clair. Selon Jean-David Ciot « Le
Gouvernement cherche à récupérer un
électorat réactionnaire perdu ». Mais il
n’est pas le seul à s’inquiéter d’un tel
texte de loi. Le 9 mars dernier, les
trois Églises du Cristianisme se sont
réunies dans une tribune publiée
dans le Figaro. L’objectif : dénoncer ce
projet de loi, « Contraignants et
remplies de contrôles ».
été avorté. L’association Milî Gorus,
qui porte le projet, s'est vu être
qualifiée de « Missile turque » par
Gérald Darmanin.
Après une nouvelle « provocation » de
la part de Charlie Hebdo, le monde
musulman se révolte contre la
France. En Turquie le problème se
révèle colossal. Lors de la signature
de la charte des imams, une partie de
la branche turque refuse de signer.
Plus récemment, le projet de la
mosquée Eyyub Sultan qui devait être
subventionné à hauteur de 2,5
millions d’euros par la mairie de
Strasbourg, a
Une pluie de critiques
Les points fort du projet
Bien que le projet suscite de
nombreuses critiques, le fond
demeure intéressant. La loi
comprend de nombreux points
concernant les femmes. L’interdiction
des certificats de virginité, ou encore
lutter contre l’excision. La volonté
d’appliquer le
Le « problème » Turc
droit français en termes d’héritage
successoral est primordial pour les
femmes. Elles sont nombreuses à se
retrouver prises de court lorsque les
droits, liés à l’héritage, sont appliqués
dans le pays d’origine de leurs pères,
maris ou frères. Permettre un droit
de regard sur les financements des
lieux de cultes et des associations
dédiées, est une façon de se battre
contre les ingérences de pays
étrangers. Comme c’est le cas de la
Turquie.
Le malaise des fidèles
Melissa Carra et Noémie Julien
Quant à eux, les musulmans français
essayent tant bien que mal de
prouver que « l’Islam est à 100%
compatible avec la République ». Ils se
disent « fatigué d’une vision caricaturée
de leur religion ». C’est le cas de
Romaïssa Bitam. Ils sont nombreux à
se sentir exclus du débat public.
L’idée d’éradiquer le terrorisme est
un objectif commun. Mahmoud
Benzamia soutient fermement que
« l’islam et la France partage les mêmes
valeurs : liberté, égalité, fraternité ».
Le parti ambidextre du Gouvernement
a une nouvelle fois gratté du terrain à
sa droite en proposant une loi
renforçant la laïcité et les principes
républicains. L’islam se retrouve encore
au coeur du débat.
Premièrement, il convient de séparer
l’islam, qui est une religion ; de
l’islamisme radical, qui est une
idéologie. Mettons-nous tous d’accord.
Par islamisme radical nous pensons à
des pratiques sociales qui prétendent
se baser sur une vision simple et non
transformée de la religion musulmane.
Un modèle de société profondément
contradictoire avec le nôtre. Au cours
de cette enquête, les musulmans le
disent et le répètent : l’islam est
compatible avec la République. La
majorité des fidèles ne considèrent pas
leur religion au-dessus des lois.
Deuxièmement, ceux qui proposent
cette loi sont ceux qui sont le plus
souvent accusés d’être les plus
séparés des autres. Les amalgames à
répétition contre l’islam font avaler un
package sécuritaire. La nation
française, meurtrie par les attentats,
est prête à se raccrocher au premier
venu se vantant d’avoir la solution.
Une solution qui n’est évidemment
pas simple.
Troisièmement, ce projet est souvent
qualifié de “loi fourre-tout”. En fin de
compte, d’après les débats entre nos
députés et sénateurs, ce texte
rassemble tout ce qui dérange cette
élite. Entre l’interdiction du port du
voile, des conditions plus drastiques
pour obtenir les allocations familiales
ou encore la restriction de l’école à la
maison…
Liberté, Égalité… Séparatisme
En conclusion, on ne comprend pas
réellement l’objectif réel. Avoir un
droit de regard sur les institutions
cultuelles françaises se transforme en
un contrôle des cultes. Pourquoi
interdire le voile, mais laisser la kippa
tranquille ? Tant de questions sans
réponses.
Le Gouvernement souhaite
renforcer les principes de laïcité et
de neutralité. Un projet sensible et
controversé qui vise à lutter contre «
l'islamisme radical » selon Jean
Castex. Une déclaration qui à sollicité
de nombreuses critiques de La
France insoumise.
Mais l’exécutif marche sur des oeufs
cassés et craint d'être accusé de
stigmatiser les musulmans. Présenté
le jour du 115e anniversaire de la loi
de 1905 sur la laïcité dans un
contexte particulier après les vives
critiques et manifestations à
l’étranger autour des caricatures de
Mahomet. Le texte comprend une
cinquantaine d'articles destinés à
combler les lacunes du projet.
Ce texte doit répondre à l’une des
principales préoccupations des
Français. Les grandes lignes du
projet de loi ont été annoncées par
Emmanuel Macron début octobre.
D'un attentat à l'autre, jusqu'à la
décapitation du professeur Samuel
Paty qui a conforté l’exécutif dans
l’accélération du processus.
Le projet de loi vise à lutter contre le séparatisme et couvre de nombreuses thématiques : Contrôle des
cultes, engagement des associations en faveur de la laïcité, restriction de l'éducation à domicile. Retour
sur le projet de loi visant à renforcer les principes républicains.
Loi Séparatisme : ce qu’il faut savoir
La loi permettra également un plus
grand contrôle sur la fonctions et les
finances des associations. Les plus
controversées, comme le CCIF ou
Baraka City, ayant déjà été dissoutes.
Elle s’attaque aussi à la loi sur la haine
en ligne et crée un « délit de pression
séparatiste » afin de protéger les
fonctionnaires victimes de violences.
Une autre des mesures phares est
d'étendre l'obligation de neutralité
aux salariés des entreprises qui
délèguent aux services publics
(comme les transports publics).
Les sénateurs resserrent
la vis
Le Sénat adopte ce lundi 12 avril le
projet de loi renforçant la laïcité et les
principes républicains, en première
lecture. Majoritairement de droite,
l’hémicycle reçoit de vives critiques de
la gauche. Les points qui posent
problème sont les mesures
supplémentaires ajoutées par les
Sénateurs : port du voile, « renforcer la
neutralité ». L’objectif de la droite est
clair : durcir le projet de loi. Les
sénateurs jugent ce texte « inefficace
».
Cette première lecture exacerbe les
clivages entre d'une part, les
communistes, écologistes et
socialistes. Et de l'autre, face à
l’alliance de droite et le
rassemblement national. L’union des
gauches condamne ces nouvelles
mesures qui entretiennent une
« suspicion généralisée » ciblant « les
musulmans ».
Limiter le port du voile
Un amendement visant à interdire le
port de signes religieux pour les
accompagnateurs de sorties scolaires
a été adopté contre l’avis du ministre
de l’Intérieur Gérald Darmanin.
L’interdiction du burkini dans les
piscines et le port du voile des
mineurs ont été votés. Les sénateurs
ajoutent à cela l’interdiction du port
des signes religieux ostensibles lors
d’événements ou compétitions
sportives organisées par les
fédérations et les associations avec
« l’interdiction de toute forme de
propagande et prosélytisme religieux ».
5| LOI SÉPARATISME
"De mise en danger de la vie d'autrui par
diffusion d'informations relatives à la vie
privée, familiale ou professionnelle d'une
personne permettant de l'identifier ou de le
localiser" Délit puni de 3 ans
d'emprisonnement et de 45 000€ d'amende.
Création d'un pôle spécialisé dans la lutte anti-
haine en ligne.
Limiter l'instruction à domicile sauf "pour des
motifs très limités tenant à la situation de
l'enfant ou à celle de sa famille." Attribuer " à
chaque enfant d'âge scolaire un identifiant
national permettant aux autorités académiques
de s'assurer qu'aucun enfant n'est privé de son
droit à l'instruction" Mieux encadrer les écoles
hors contrat.
Transition sur 4 ans avec formation des imams
en France. Les dons étrangers dépassant les 10
000 € seront soumis à un régime déclaratif de
ressources.
Les motifs de dissolution d'une association sont
élargis et toute demande de subvention fera l'objet
d'un "engagement de l'association à respecter les
principes et valeurs de la République" avec, en cas
d'entorse, une restitution des aides.
Le projet de loi contre le séparatisme en 6 points
Renommé projet de loi "confortant les principes
républicains"
ÉTENDRE L'OBLIGATION DE
NEUTRALITÉ
Aux salariés des entreprises délégataires de
service public (agents RATP, salariés
d'Aéroports de Paris...)
CRÉATION D'UN NOUVEAU DÉLIT
LIBÉRER L'ISLAM DE FRANCE DES INFLUENCES
ÉTRANGERES
FAVORISER LA DISSOLUTION
D'ASSOCIATIONS
INSTRUCTION OBLIGATOIRE À L'ÉCOLE DÉS
3 ANS
MEILLEURE COMPRÉHENSION DE
L'ISLAM
Enseigner davantage la langue arabe et
développer des études islamiques de haut
niveau à l'université
Le 18 mars, la présidente du syndicat
étudiant UNEF, en justifiant l’organisation
des réunions non mixtes dans les
universités, pousse le Sénat à voter une
disposition empêchant une association
de présenter une liste communautaire
aux élections. Il y a aussi la possibilité de
dissoudre celles qui excluent des
personnes en raison de leur origine ou de
leur couleur de peau.
Restriction à l’université Une condition aux allocations
« croyez-vous qu’on peut éduquer des
parents en les punissant ? ».
Vivement contesté, un amendement
prévoyant la suspension de versement
d’allocations familiales aux parents d’un
élève qui persiste à ne pas se rendre à
l’école à été ajouté. En réponse,
l’écologiste Esther Benbassa déclare :
6| LOI SÉPARATISME
Conseil
d'État
Donne son accord à la
réforme envisagée par le
gouvernement mais avec
quelque réserves
Gérald
Darmanin
Avance sur un projet de loi
visant à renforcer la laïcité
et conforter les principes
républicains
Dévoile les grandes lignes de
ce projet lors d'un discours
aux Mureaux, évoquant la
construction "d'un Islam des
Lumières", progressiste et
libéral
Emmanuel
Macron
Samuel
Paty
Après l'assassinat d'un
enseignant, le
gouvernement annonce un
enrichissement des
dispositions du projet de loi
Annonce que le projet de loi
contre les séparatismes sera
présenté à la rentrée
Marlène
Schiappa
Le projet de loi est présenté
au conseil des minitres
Conseil
des
ministres
Le Sénat dominé par
l'opposition de droite a
adopté en première
lecture, lundi 12 avril, le
projet de loi sur le
"séparatisme" après l'avoir
nettement durci.
Sénat
Le projet de loi est adopté
en premiere lecture par
347 voix pour, 151 voix
contre et 65 abstensions
Assemblée
Nationale
Loi "séparatisme" :
Où en est-on ?
26 juillet 2020
2 octobre 2020
6 octobre 2020
16 octobre 2020
7 Décembre 2020
9 Décembre 2020
16 février 2021
12 avril 2021
7| LOI SÉPARATISME
« C’est la République qui ne
veut pas de moi »
Depuis plusieurs mois, le mot « musulman » ne quitte pas les plateaux des chaînes d’information en continu. Malgré
l’engouement qu’ils suscitent, ils ne sont pas tous exprimés. Un silence que brise Romaïssa Bitam, 20 ans d’origine franco-
algérienne. Musulmane pratiquante, elle soutient partiellement les objectifs du Gouvernement.
C’est dans le jardin Alexandre 1er à
Toulon que se trouve Romaïssa
Bitam, surnommé Roma ou Maïssa
par ses amis. Elle se tient debout
proche d’un long rebord blanc qui
laisse des traces blanches sur son
pantalon gris. Quelques mèches de
sa chevelure rouge s’envolent avec la
brise de l’air marin.
Romaïssa habite Toulon depuis
bientôt dix ans. Là-bas, on dit d’elle
que c’est une jeune femme qui a
toujours été adulte comme si elle
avait sauté l’adolescence. Issue d’une
fratrie de quatre enfants, il a fallu
grandir rapidement. Pour son père, il
n’y a pas de doute « C’est ma fille
préférée, j’en ai qu’une ». Dès son plus
jeune âge Roma apprend l’Islam avec
son père et sa grand-mère. « C’était
comme une seconde mère pour moi ».
Pour elle, rien n’est plus important
que sa relation avec Dieu, surtout
depuis le décès de Samira Bitam, sa
mamie. « J’étais dans la pire période de
ma vie ». Pour surmonter le deuil, elle
se rapproche de sa religion. Elle
passe de longs moments à lire le
Coran.
Melissa Carra
Le sourire aux lèvres, la jeune femme
répète pour la seconde fois qu’elle a
une place à trouver dans la société.
Les cheveux bordeaux, un visage
maquillé et le nez percé, elle suscite
quelques critiques parmi ses
connaissances musulmanes. « J’ai
envie de dire que j’ai le droit d’avoir les
cheveux rouges et un piercing, comme
j’ai le droit de porter le voile et de lire le
Coran tous les jours si ça me chante ».
Concernant les débats autour du
projet de loi qui agite les hommes
politiques, Roma s’étonne de
l’engouement, surtout en temps de
pandémie. « J’en ai marre de cette
vision caricaturée de ma religion ».
Pour elle, L’islam et la République
sont « Tout à fait compatibles ». Jamais
elle n’a fait passer une règle inscrite
dans la Sunna au détriment d’une loi
française. Dans la pratique de l’Islam,
la fraternité est un pilier, comme
dans les valeurs républicaines. Elle
est consciente de l’objectif de cette
loi. « Je soutiens l’idée de lutter contre le
terrorisme, mais il ne faut pas se
tromper entre le simple musulman
pratiquant et le terroriste ». Malgré
tout, elle reste inquiète. Avec un tel
projet de loi, elle se dit qu’à terme «
C’est la République qui ne veut pas de
moi ».
La jeune étudiante est pleine de
projets. À la rentrée, elle compte
poursuivre son cursus universitaire à
Nice. Du côté de sa vie religieuse, elle
commencera à porter le voile. « C’est
un nouveau départ pour moi ».
Malgré tout, elle appréhende
beaucoup le regard des autres « C’est
une ville que je ne connais pas ». Elle
craint aussi les critiques de la part de
ses proches. « Ceux qui ne
comprennent pas comment fonctionne
l’Islam, ne se renseignent pas vraiment.
Par conséquent, ils ne peuvent pas
entendre que je veuille porter le voile ».
Avec fierté, Maïssa raconte qu’elle n’a
jamais été poussée à porter le hijab.
Dans sa famille, les femmes qui ne
souhaitent pas le porter ne seront
jamais jugées. « Chacun à sa propre
relation avec Allah. Je crois que celui qui
juge serait encore plus dans le péché
que celle qui ne le porte pas ».
8| PORTRAIT
A l’Institut niçois En-nour : le mal-être
des fidèles
Souvent pointée du doigt, la communauté musulmane accuse le coup. Dans cette mosquée située dans la plaine du Var,
certains fidèles profitent de ce mois de Ramadan pour venir se recueillir. Pourtant ils l’assurent, vivre en France et pratiquer
l’Islam, c’est un poids à porter au quotidien.
« On s’inquiète pour nos mères, on a peur
qu’elles se fassent agresser à cause du
voile ». C’est ce que déclare Abdel
Daietti. Il accepte de s’exprimer,
contrairement à d’autres croyants, plus
difficiles à approcher, certainement
exaspérés par ce sentiment de rejet. Ils
finissent alors par se renfermer sur eux-
mêmes. Être musulman en France, c’est
synonyme d’un lot de contraintes et de
difficultés qu’il faut assumer. Le jeune
homme l’explique : « Par exemple, si l’on
porte le qamis (ndlr nom donné au
Ce sentiment d’inquiétude est-il
partagé par l’ensemble des
pratiquants ? L’imam de cet
établissement, Mahmoud Benzamia
répond : « On sent que c’est une
situation compliquée, de plus en plus de
fidèles ressentent ce mal-être ».
Le projet de loi contre le
séparatisme, le coup fatal
?
Au moment d’évoquer ce sujet,
l'incompréhension règne. Certaines
mesures de ce projet sont contestées
comme le contrôle renforcé sur
l’instruction à domicile. Plus que tout,
c'est le débat qui accompagne le texte
de loi qui pose problème. Les deux
pratiquants se sentent comme des
boucs-émissaires. « On a l’impression
que c’est toujours de notre faute, dès qu’il Alexis Roux et Pedro Machado
y a un problème de société, c’est les
musulmans ». Pire encore, la volonté
de certains élus d’interdire le port du
voile aux accompagnateurs scolaires.
Abdel Daietti s’y oppose. « Je ne
comprends pas pourquoi cela pose
problème, ce n’est pas porter un bout de
tissu sur la tête qui fait de vous un
terroriste ! » Son acolyte poursuit. « Le
problème c’est qu’on paie les pots
cassés des actes terroristes ». En tout
cas, cette situation préoccupante ne
semble pas près de se résoudre.
Lorsque Faouzi Tok est interrogé sur
son avenir, sa réponse est forte.
Quitter la France, il y songe : « Si je
fondais une famille, je sais que je
préférerais éduquer mes enfants ailleurs
pour être plus tranquille ».
9| REPORTAGE
« Honnêtement ce n’est pas facile à vivre
pour nous, on a peur de montrer qu’on
est musulmans ».
vêtement traditionnel porté par les
hommes musulmans) on se sent
constamment jugés. On doit supporter
le regard des gens ». C’est à ce
moment-là qu’il interpelle quelqu’un.
« Faouzi viens ! Tu vas nous dire
comment tu vis le fait d’être musulman
en France ». A peine sa prière
terminée, Faouzi Tok vient s’exprimer
et son sentiment est identique à celui
de son ami.
© Pedro Machado
Photo de Abdel Daietti et Faouzi Tok, de dos
devant la mosquée En-nour
© Alexis Roux
Photo de l'intérieur de la mosquée En-nour
Mahmoud Benzamia : « L’islam est à
100% compatible avec la République»
Autour du vaste débat sur le projet de loi confortant le respect des principes de la République, cet imam de l’institut En-
Nour à Nice, vient apporter sa vision des choses. Pour lui, ce texte ne touche pas la bonne cible.
A la fois recteur, imam et vice-
président du Comité d’Imams des
Alpes-Maritimes, ce natif d’Algérie
est devenu l’une des figures
majeures de l’Islam dans le
département. Profondément
attaché à la lutte contre le
radicalisme, cet ancien professeur
de technologie se sert de son rôle
pour combattre ceux qu’il appelle
les « fanatiques ».
Ce que je me demande c’est
pourquoi ces lois supplémentaires ?
Il en existe déjà afin de garantir le
principe de laïcité. D’autant plus
que l'Etat admet que la grande
majorité des musulmans sont
pacifiques, c’est une statistique. Les
musulmans ne sont pas pris en
otage par les fanatiques. Si cette loi
vise cette minorité, alors pourquoi
généraliser tous les musulmans.
Que pensez-vous de ce projet de
loi ?
C’est le risque majeur oui. Selon
moi cela va renforcer les préjugés
sur l’Islam et surtout les gens vont
croire que le problème de la
radicalisation vient des mosquées,
ce qui n’est pas le cas.
Ce texte peut-il renforcer
l’islamophobie ?
C’est une petite victoire, car ce
terme ne reflète absolument pas la
réalité. Cette petite minorité qui
crée les problèmes n’est pas un
phénomène de grande ampleur, il
s’agit de petits groupes que l’on ne
voit pas réellement et qui ne
représentent rien.
Est-ce une victoire pour vous
que le terme séparatisme ait
été supprimé de l’intitulé ?
Comme je l’ai dit précédemment, la
difficulté c’est que le radicalisme et le
terrorisme ne grandit pas dans les
mosquées. Ces gens ne sont pas
connectés à ces lieux. Le champ de
bataille devrait plutôt se déplacer
vers Internet, dans les quartiers, dans
les milieux du banditisme, car c’est là
que se développe cette pensée
Quelle serait selon vous la
manière la plus efficace pour
endiguer l’islamisme radical ?
Evidemment, nous ne voulons pas
que l’Etat s’immisce dans le culte.
C’est la même chose pour toutes les
religions, les Chrétiens et les Juifs
eux-aussi ne sont pas d’accord et
s’inquiètent. Ce sont des paroles et
des lois comme celles-là qui peuvent
remettre en cause le principe de
séparation des Eglises et de l’Etat.
Lorsqu’il a présenté le projet,
Emmanuel Macron a déclaré
vouloir « structurer l’islam », cela
vous inquiète-t-il ?
Comme je l’ai dit précédemment, la
difficulté c’est que le radicalisme et le
terrorisme ne grandit pas dans les
mosquées. Ces gens ne sont pas
connectés à ces lieux. Le champ de
bataille devrait plutôt se déplacer
vers Internet, dans les quartiers, dans
les milieux du banditisme, car c’est là
que se développe cette pensée.
Quelle serait selon la manière la
plus efficace pour endiguer
l’islamisme radical ?
Êtes-vous prêt, en tant qu’imam,
à mettre les règles de la
République devant celles de la
Sunnah ?
L’Islam est une religion très
malléable. La pratique n’est pas
stricte, bien sûr si quelqu’un veut la
pratiquer de manière très
rigoureuse, libre à lui, mais il y a
toujours des limites. Il existe des
facilités, par exemple quelqu’un qui
n’arrive pas à jeûner pendant le
Ramadan, il peut rompre. De la
même manière si quelqu’un ne peut
pas prier car il doit travailler, il
s’adapte, il ne va pas transgresser les
règles de son entreprise pour sa
religion. L’Islam correspond à la
République et partage les mêmes
valeurs : liberté, égalité, fraternité.
10| INTERVIEW
Mélissa Carra et Alexis Roux
À l’intérieur de l’association SPF Liberté
Égalité Paix dans le troisième
arrondissement de Marseille,
l’ambiance est calme, limite
apaisante. Une fois le thème du
projet de loi abordé, l'atmosphère
change radicalement. Pour le
responsable de l’établissement, Salim
Hacene Blidi
« C’est encore une loi de plus en rapport
avec l’islam rien de plus ». Le
responsable de la mosquée se
demande bien à quoi va servir cette
nouvelle loi. Pour lui, l’État a mal fait
les choses avec ce projet de loi. Il
ajoute d’un ton ferme « Ils devraient
venir dans les mosquées un peu partout
en France pour discuter avec nous,
plutôt que de rester sur Paris ». Dans sa
mosquée il ne parle pas politique
avec ses fidèles car il estime que ça
n’a pas sa place dans ce lieu. Il
préfère prêcher le bon
comportement et pousser ses fidèles
à s’intégrer. « Je leur répète souvent
qu’ici nous sommes en France, dans un
État laïc et pas dans un pays arabe. Il y
a donc des règles à respecter ».
11|REPORTAGE
avoue que « Ça fait des années qu’on
demande cette formation. Personnellement
je la trouve utile et c’est une bonne chose de
l’imposer ». Le but de cette formation
dédiée aux imams est de leur permettre
d’en apprendre plus sur la laïcité et les
principes républicains. Mais pas
seulement. L’histoire politique française
est aussi abordée. « Cette formation nous
permet aussi de rappeler dans nos prêches
qu’il faut respecter les lois françaises et ce
qu’est la laïcité ». Dans les faits, cet
apprentissage à destination des imams
existe depuis 1990. C’est à l’Institut des
Sciences Humaines que ça se passe.
L’imam de l’Institut Rattil l’a déjà faite. «
On nous apprend, comment répondre aux
questions des fidèles, expliquer ce qu’est la
laïcité ». De son côté, Abderrazak Hosni, à
la tête de l’organisme Cannesavoir,
s'inscrit à l’université de Nice. » Je veux
approfondir mes connaissances sur ce
projet de loi, pour pouvoir comprendre et
l'expliquer à mon tour ». Ces formations à
la faculté et l’intermédiaire du projet de
loi lui permettent de « Bien comprendre
la société française ». Mais les imams
niçois et marseillais se rejoignent sur un
point : « C’est juste une loi de plus, rien
d’autre ».
Les associations cultuelles
musulmanes face au projet de loi
Ce projet de loi s’attaque à de nombreux éléments qui constituent la pratique de la religion, dont le régime
des associations. Certaines associations cultuelles sont sous le couvert de la loi de 1901, alors que d’autres
sous celles de 1905. Parmi les associations cultuelles visées, les musulmanes se retrouvent au cœur de
nombreux débats.
« Ça fait des années qu’on
demande cette formation"
problème ce n’est pas la communauté
musulmane. « La radicalisation est
dans toutes les communautés ». Le
soucis principal c’est « Les sans-papiers,
les personnes livrées à elles-mêmes ».
Pour l’imam marseillais, impossible de
parler d’intégration avec eux. « Si
quelqu’un leur dit que la France n’aime
pas le prophète, ils sont capables du pire.
Ils sont perdus ». Pour appuyer ses
propos il aborde l’assassinat de
Samuel Paty « par un Tchétchène » et
l’attaque des deux journalistes à la
hache « par un Pakistanais ». Le recteur
de la mosquée poursuit. « J’avais lancé
un appel au Gouvernement, en leur
disant qu’il fallait reconduire les sans-
papiers chez eux. Après je ne suis pas
raciste, je suis Algérien, mais c’est sûr à
200% que l’État ne leur fera pas les
papiers ». Du côté de l’Institut Rattil, le
ton est plus calme. Pour Jalel Karmous
« Le problème commence à l’école ».
Selon ce dernier, si le Gouvernement
veut une mesure qui soit efficace
durablement, le mieux est de passer
par les écoles en : « Éduquant bien les
enfants sur ces questions qui font
débat ». Pour lui : « S’ils sont bien
éduqués de l’école jusqu’au lycée, les
générations suivantes n’auront pas de
problème ».
Noémie Julien
« Le problème commence
à l'école »
Du côté de Nice, le responsable de
l’Institut Rattil rejoint l’imam marseillais.
Pour Jalel Karmous « Ce projet de loi ne va
pas changer grand chose ». Néanmoins, il
a
Entre Marseille et Nice, l’ambiance n’est
pas la même. Pour Salim Ahcene Blidi le
« On serait tenté de finir la phrase par
: ils n’ont qu’à rester chez eux »
L’intitulé du projet de loi aborde directement les questions de laïcité. Marc Guidoni est un expert du sujet. Il
fait partie du Plan Valeurs de la République et Laïcité. Cet universitaire est intervenu auprès des sénateurs
sur ces questions-là.
Ce plan fait partie des mesures
décidées en 2015, par le comité
interministérielle égalité citoyenneté
après les attentats de Charlie Hebdo.
Une cinquantaine de mesures ont été
prises, dont cette idée de former à la
laïcité les acteurs de terrain, qui sont
en contact avec la population. Ça
comprend les agents de la fonction
publique et les acteurs du monde
associatif. L’idée était de créer pour
l’ensemble de ces personnes une
culture commune de la laïcité,
comme un vecteur de diffusion des
valeurs de la République. S’il y peut y
avoir un slogan ce serait « mieux on
applique la laïcité, mieux on permet
aux personnes de vivre selon les
valeurs de la République ».
Cette loi constate qu’un certain nombre
de personnes en France vivent les uns à
côté des autres, et ont envie de se
retrouver par petits groupes, par
communauté. Ils veulent vivre et
partager des choses avec des
Ce projet de loi va-t-il
permettre de réellement
réaffirmer la laïcité ?
Ce n’est pas important de la
réaffirmer, c’est capital. Si on ne la
réaffirme pas sans cesse, et si on ne
donne pas aux gens le goût de ces
fondations, le projet républicain ne
pourra pas être compris et ne
suscitera aucun intérêt. Et ce projet
sert à bâtir ensemble un monde plus
juste.
Le précepte permet-il de
lutter efficacement contre
les atteintes à la laïcité ?
12| INTERVIEW
personnes qu’ils décrivent et
reconnaissent comme leurs
semblables. Or, le projet de la
République c’est que du moment où
l’on croit profondément que les droits
de l’Homme, l’idée française de la
liberté vaut la peine d’être mise en
œuvre, à ce moment-là, nous
sommes Français. La force du
message c’est ça.
Ce projet de loi est là pour dire à ces
personnes « vous faites fausse route,
on ne dit pas que vous avez tort sur
le fond. Ce sont vos croyances et la
République s’interdit de les juger.
Mais par contre ces croyances, ces
convictions, tout ce qui vous anime,
ça ne doit pas vous interdire de
contribuer au projet Républicain, et
ça ne vous donne pas le droit de dire
que cette dernière n’est pas bien ».
L'Église catholique a-t-
elle raison de penser
que ce projet de loi n’est
pas en faveur de la
laïcité?
Le fait que soit sans cesse réaffirmer la
liberté de croire ou non, et la liberté de
manifester ses opinions, sont de réels
avantages. La meilleure démonstration
de cette compréhension, ce sont les
écoles catholiques sous contrat. Mais ils
préfèrent le mode actuel très libre,
plutôt que celui du projet de loi qui les
restreint un peu.
Qu’est-ce que le plan
valeurs de la République
et laïcité ?
Ils ont le droit de dire que la
République c’est nul, mais on serait
tenté de finir la phrase en disant « ils
n’ont pas qu’à rester chez eux ». Et
l’enjeu est là : la vie républicaine vaut
la peine d’être vécue.
Ce projet ne risque-t-il
pas de se transformer en
un contrôle des religions
?
Ce projet de loi porte une tentation
concordataire, qui laisse penser que les
religions ne fonctionnent que si l’État les
contrôle. Il y a quand même une volonté
d’organiser, de manière nouvelle, toutes
les religions présentent en France. Avec
comme objectif d’organiser l’islam et de
comprendre comment il fonctionne.
L’Assemblée Nationale a
voté un article interdisant
les certificats qui attestent
de la virginité, pensez-
vous que c’est une des
seules dérives ?
13|INTERVIEW
Je ne dis pas que ça n’existe pas, mais
je n’y crois pas. C’est un montage
intellectuel pervers. Maintenant, je
peux vous témoigner que le racisme
anti-maghrébin est monumental.
Aujourd’hui, les gens disent
musulmans au lieu de dire arabe.
Donc du racisme il y en a, mais ce
n’est pas de l’islamophobie au sens
où le problème ne vient pas des
musulmans. La confusion entre la «
musulmanie » et le Maghreb, est
nette sur les bords de la
Méditerranée. Avec la peur qu’ont
installée les attentats dans le cœur
des gens, le musulman incarne cet
autre dont on a peur. Quand vous
vous baladez dans la rue, les gens qui
sont autour de vous, vous ne savez
pas s’ils sont musulmans.
Les diversités culturelles
présentent en France
sont-elles en danger ?
Sauf si on considère que l’interdiction
faite à des médecins de signer des
certificats de virginité porte atteinte à
une expression culturelle, je ne pense
pas. Il y a d’autres enjeux. Par exemple,
ils ont voulu interdire aux personnes
mineures de porter des signes religieux.
L’objectif est d’éviter aux familles de
mettre la pression aux jeunes filles de
porter le voile. La réalité, c’est qu’ils
n’ont pas vu venir les scouts
catholiques. Sur leurs uniformes ils ont
une croix. Or, le premier mouvement de
jeunesse en France ce sont les scouts
équipe de France. Donc si on interdit
aux mineurs de porter des signes
religieux, les scouts ne peuvent plus
avoir leur petit insigne. C’est là que ça
nous échappe.
La liberté de culte, et
notamment de l'islam est-
elle menacée ?
Si ce projet de loi renforce la laïcité,
il renforce la liberté de culte. Le «
problème » avec les pratiques
culturelles musulmanes, c’est qu’on
s’aperçoit que certaines d’entre
elles, les minoritaires, font débat. Le
culte musulman ne se détache pas
de la vie en général.
C’est dans le cadre de ce débat que
les parlementaires veulent interdire
aux médecins de signer ce type de
certificat, avec même une sanction
pénale pour ceux qui les établissent.
Mais ce problème rejoint d’autres
pratiques similaires. Comme l’aspect
scolaire. Depuis 2020, l’âge de début
de scolarisation obligatoire est de 3
ans. Avant, la suspicion adressée à
certaines communautés était de
mettre in extremis leurs enfants de 6
ans à l’école. Cela permet donc à
l’enfant une fois à l’école d’être solide
et camper sur ces positions pour ne
pas être sensible au discours tenu
par l’école de la République. Donc
cette instruction obligatoire dès 3 ans
impose aux familles d’apporter la
preuve que leurs enfants suivent une
instruction, même s’ils sont scolarisés
à la maison.
Certains musulmans ont-
ils raison de penser que ce
texte renforce
l'islamophobie ?
La grande majorité des musulmans
qui vivent en France, n'a aucun lien
avec les fanatiques. Ce projet de loi
sanctionne des comportements
aujourd’hui considérés comme des
dérives. Est-ce que ça les protège ou
est-ce que ça les met en danger ?
C’est une vraie question. Ça les
protège un peu contre eux-mêmes,
des tentations symboliques.Mais ça
peut les mettre en danger face à des
personnes qui ont des discours qui
échappent aux radars du contrôle et
qui vont les chercher sur d’autres
sujets. Comme en disant
Pensez-vous que le projet
protège les musulmans
face à l’islamisme radical
?
« regardes, tu vois ça fait des années
qu’on te le dit que cette République
elle est mauvaise pour des gens
comme nous. Et tu vois bien qu’avec
des lois comme celle-là, c’est vraiment
nous la cible. Nous tous. On dit que
c’est contre les fondamentalistes mais
tu vois bien que c’est contre des
choses qui sont marquées au fond de
notre cœur depuis la nuit des temps.
Et c’est ça qu’on veut t’empêcher de
vivre ».
Noémie Julien et Melissa Carra
QU'EST-CE
QUE LA
LAÏCITÉ?
« La République assure la liberté
de conscience » et « le libre
exercice des cultes sous les
seuls restrictions édictées (…)
dans l’intérêts de l’ordre public
». « La République ne reconnait,
ne salarie ni ne subventionne
aucun culte ».
La loi de 1905
Jean-David Ciot
« C’est de laisser à nos
concitoyens la liberté de
croire ou de ne pas croire en
une religion.»
Conception et organisation de
la société fondée sur la
séparation de l'Église et de
l'État et qui exclut les
Églises de l'exercice de tout
pouvoir politique ou
administratif, et, en
particulier, de l'organisation
de l'enseignement.
Larousse
« Elle s'applique en fonction
de la loi de 1905.Cette norme
républicaine permet à chaque
citoyens de choisir sa
religion.»
Marc Rosmini
Ce n’est pas une opinion parmi
d’autres, mais la liberté d’en
avoir une. Elle n’est pas une
conviction, mais le principe qui
les autorise toutes, sous réserve
du respect de l’ordre public.
Plan Valeurs de la
République et laïcité
« C'est un condensé qui permet de
vivre ensemble. Ce n’est pas une
valeur, et ça ne l’a jamais été et
ça ne doit pas l’être. C’est l’un
des piliers juridiques de la
République française.»
rebuild
Marc Guidoni
« C'est une norme dans la loi
qui permet concrètement la
liberté, l’égalité et la
fraternité. Les normes
incarnent les principes
républicains.»
Jean-Philippe Asso
14| INTERVIEW
Quelles sont les raisons qui poussent le
Gouvernement à proposer cette loi ?
Comprenez-vous que certains
musulmans pense que ce projet de loi
ne servira pas à grand chose ?
Il est donc important de réguler
ces mêmes associations ?
Sur le plan des musulmans, et notamment de la posture
des imams, il y a toute une partie de la loi qui concerne
justement l’organisation des cultes en France.
Ce que réalise la loi de 1905, c’est la privatisation des
cultes qui étaient organisés par l’Etat. À aucun moment
le culte musulman, qui est déjà connu car c’est celui des
colonies, ne s’intègre dans cette loi. Donc en pratique, ce
culte s’est organisé autour de communauté culturelle,
au moment des grandes vagues de migration. Des
personnes se sont donc réunies dans des villes autour
de l’islam certes, mais autour de la culture du pays
d’origine, comme les Turcs ou les Algériens. Et ils ont
organisé des associations qui relèvent de leurs cultures
Le principe de cette loi, c’est quand même de lutter
contre la radicalisation. Il y a des comportements qui
sont identifiés dans les circuits de la République comme
étant en rupture. C’est un comportement qui laisse
penser qu’une personne est sensible à des idéologies
qui ont comme ambition de détruire notre pays. On est
sur la théorie de l’escalade : il y a des petits
comportements puis des gros, jusqu’à parfois l’acte
terroriste. Dans ce cadre, la loi a deux objectifs.
Renforcer le contrôle des lieux où des personnes
diffusent une parole qui est susceptible de servir de
champ de décor à ces idéologies. Empêcher que ces
mêmes personnes pensent que le cadre républicain
n’est pas compatible avec telle ou telle pratique. On en
revient donc à la laïcité, qui équivaut à vivre ensemble
sous les mêmes lois. Donc on va utiliser cette loi dans ce
qu’elle sait faire : interdire des comportements nuisibles
à la société. Si ces mêmes comportements vous
paraissent normaux, c’est que vous n’êtes pas fait pour
vivre dans notre société.
Si vous discutez aujourd’hui avec les responsables des
réseaux associatifs, ils vous diront que tout ce que la loi
propose est déjà en place. Dans cette optique, la loi
n’apporte pas grand-chose. Mais elle modifie le code de
la sécurité intérieure, pour éviter quelques dérives
précises, qui relèvent pratiquement plus du terrorisme
que de l’atteinte à la laïcité.
s ont associé à ces activités associatives et culturelles, la
dimension du culte de manière « accessoire ». Donc à
l'origine, elles sont régies par la loi de 1901, qui relève
de la liberté associative. À aucun moment ces
associations ne sont prévues pour gérer et administrer
des lieux de culte, et encore moins à les gérer sur le
plan des relations avec la République. On a donc
aujourd’hui dans la galaxie musulmane, des associations
qui sont faites pour réunir des gens autour de cette
religion, sous le couvert de bibliothèque ou
d’associations sportives.
Noémie Julien et Melissa Carra
Décryptage de ce projet de loi
Un projet de loi est un processus complexe à mettre en place. Entre les
différentes lectures et son contenu, difficile de s’y retrouver. Avec l’aide de Nizar
Ben Ayed, avocat au barreau de Nice, un décryptage juridique s’impose.
Ce qu’il faut retenir pour comprendre
ce projet de loi c’est que la loi de
1905 régit la séparation entre l’Église
et l’État. Donc, il n’y a plus de
financement public. En échange les
cultes gèrent leurs biens et leurs
financements eux-mêmes. Certaines
choses vont changer : les écoles hors
contrat devront obtenir une
autorisation du ministère de
l’Éducation pour pouvoir continuer
d’enseigner.
Contrairement à certains bruits de
couloir, le projet de loi “confortant le
respect de la République et de la lutte
contre le séparatisme” ne remet pas
en cause la loi de 1905 et ses
principes. Il vise essentiellement à
réactualiser le régime d’organisation
des cultes. Tout comme il vient
réformer l’organisation des
associations, dans le but de les
différentes. Une qui régit les
associations et l’autre qui sépare
l’Église de l’État. Il faut aussi
s’attaquer à l’un des grands fléaux
de notre époque : l’argent.
Le projet prévoit une fermeture
des associations via un retrait de
leur autorisation, et des sanctions
des personnes responsables, si un
détournement de fonds est avéré.
15|DÉCRYPTAGE
Au contraire, c’est le droit de l’État
français de permettre aux enfants
d’aller dans des associations sans
être confronté à des personnes
radicalisées. Il ne faut donc pas
penser que la division est
souhaitée, c’est même tout le
contraire.
Noémie Julien et Alexis Roux
Ce que beaucoup de personnes
oublient c’est que la différence est
une richesse. Maître Nizar Ben
Ayed se présente comme un
immigré tunisien, il insiste sur
l’importance d’avoir un mélange
de cultures. Le Royaume-Uni en
est l’exemple parfait. Ils
respectent toutes les croyances et
obédiences sans émettre de
distinctions. La France doit
prendre exemple.
Photo de Nizar Ben Ayed, avocat au bureau de Nice,
dans son bureau. © Noémie Julien
protéger des personnes
malveillantes. Il s’attaque aux
associations pour deux raisons.
Ces dernières sont sous le régime
de deux lois différentes. Dans un
certain nombre de cas, il est utilisé
d’une mauvaise façon voire
détourné de son but.
Il s’attaque aux associations pour
deux raisons. Ces dernières sont
sous le régime de deux lois
« Il faut une volonté d’appliquer les
lois déjà existantes »
Photo de l’abbé Jean-Philippe Asso, délégué diocésain aux relations avec les religions juives et musulmanes
© Riposte Catholique
Le projet de loi touche tous les cultes présents sur le territoire français. Jean-Philippe Asso est responsable
diocésain des relations avec les ministres du culte musulman et juif. Sa mission est de faire prospérer la
bonne entente entre ces trois religions au sein des Alpes-Maritimes.
Avec évidemment un regard sur les
associations. Il ne faut pas que la
liberté d’association de 1901 soit
considérablement détournée pour
faire des structures cultuelles
déguisées. Cependant, à travers la
loi de 1901, les cultes exercent
leurs activités sociales et caritatives.
Actuellement, l’État, à travers les préfets,
a tout à fait la capacité de contrôler les
associations. Il y a déjà des contrôles
financiers. Lorsqu’il y a des délits qui
sont déjà caractérisés dans les lois
républicaines, comme l’incitation à la
haine raciale ou de la discrimination,
tout cela peut être sanctionné. Cela
fournit des motifs pour dissoudre ou
suspendre le fonctionnement des
associations.
Il y a deux points de vue sur ce projet de
loi. Une entreprise profondément
républicaine, de lutte contre les
séparatismes, est nécessaire. Mais que
cela se traduise par ce projet de loi
précisément, j’en doute.
Pensez-vous que ce projet
de loi est nécessaire ?
Selon vous, ce
renforcement de la laïcité
serait une manière
détournée de contrôler
indirectement les religions
?
Sur le principe de la laïcité, je suis
favorable. La République ne reconnaît ni
ne subventionne aucun culte. L’État
garantit l’exercice de la liberté des
cultes. J’estime que le corpus législatif
est déjà suffisant pour défendre et
promouvoir les principes républicains.
Aller plus loin risquerait d’être une
entrave à la liberté de cultes.
16| INTERVIEW
Un contrôle des
associations cultuelles est
souhaité, est-ce selon vous
une manière d’organiser le
culte ?
Ce projet de loi n’apporte
donc rien selon vous ?
Elle n’apporte pas grand-chose, si ce
n’est des choses légitimes. C’est-à-dire
renforcer la lutte contre la polygamie,
l’excision, les mariages forcés. C’est tout
à fait positif. Mais cela pourrait être
dans le cadre des dispositions déjà
prévues par la loi de 1905.
En tant que responsable
des relations avec les
autres religions, est-ce
que vous en discutez
avec les imams et les
rabbins ?
Nous n’en avons pas discuté
localement. Il faut noter
notamment les positions du grand
rabbin de France Haïm Korsia, qui
est plus favorable dans la
généralité que les Églises
chrétiennes. Mais il note lui aussi
des points de réserve.
En tant que responsable
des relations avec les
autres religions, est-ce
que vous en discutez avec
les imams et les rabbins ?
Nous n’en avons pas discuté
localement. Il faut noter notamment
les positions du grand rabbin de
France Haïm Korsia, qui est plus
favorable dans la généralité que les
Églises chrétiennes. Mais il note lui
aussi des points de réserve.
Et je le dis très clairement, si une
personne étrangère qui se dit
catholique, juive, protestante,
musulmane, qu’importe, à des
comportements et des discours
contraires aux principes républicains, il
faut l'expulser tout de suite.
Ce projet de loi, il ne réaffirme rien.
C’est une batterie d’encadrement.
Autrement dit, les principes
républicains et la laïcité, sont déjà
affirmés dans la Constitution et dans
la loi de 1905. Qu’on les réaffirme sur
des délits, oui. Mais pourquoi bâtir
une autre loi.
Êtes-vous favorable à ce
que contient ce projet de
loi ? Comme la formation
des imams sur les
questions de laïcité ?
Le culte chrétien et le culte juif ont des
instances de formation très claires et
communes. L’islam c’est plus difficile.
Pour le moment il n’y a pas de formation
des imams qui soit repérable de
manière homogène. Par défaut aussi de
moyen : les imams sont des personnes
bénévoles. Il me semble que c’est un
enjeu important que dans cette
formation des ministres du culte, il soit
vérifiable par l’État, qu’il y ait une
composante des connaissances de la
laïcité et des lois, je dis oui. Que l’État
lui-même mette en place des formations
de ministres de culte, je dis non. Ce
serait une ingérence.
L’un des objectifs est
d’essayer d’encadrer les
imams, pour que ce ne
soit plus des puissances
étrangères qui les
envoient en France, qu’en
pensez-vous ?
Il s’agit de veiller à ce que le culte ne soit
pas piloté par des États étrangers.
Quand une personne exerce la direction
du culte dans notre pays, il faut bien
qu’il y ait des contrôles.
17|INTERVIEW
Pensez-vous qu’il est
important de réaffirmer
la laïcité de nos jours ?
La laïcité est une norme dans la loi. Les
normes incarnent les principes
républicains. Aujourd’hui la laïcité est à
promouvoir. Il faut plus de laïcité dans le
cadre de la lettre et de l’esprit de la loi
de 1905.
Avec l’ambiance instaurée
par les différents
attentats, pensez-vous que
vivre dans la fraternité est
toujours possible ?
La fraternité est un idéal. Dans
l’humanité, elle ne sera jamais
accomplie : de la violence il y en aura
toujours tout comme de l’injustice. En
revanche, la fraternité est à l’œuvre
aujourd’hui.
Pensez-vous que ce projet
de loi peut menacer ou au
contraire renforcer la
liberté de culte ?
Nous avons peur que ce projet de loi ne
vienne limiter la liberté de culte. Au lieu
de l’affirmer, on avance les contraintes
de l'organisation du culte. Ce qui
renverse l’objet et la lettre de la loi de
1905.
Réaffirmer la laïcité ce
n’est pas aussi réaffirmer
les principes qui s’y
rattachent ?
Comment vous percevez
le fait que le débat autour
de ce projet de loi
s’attache plus à la religion
musulmane, qu'au
catholique ou la juive ?
Ce projet de loi s’adresse à tous les
cultes. Cependant, je cite l’exposé des
motifs, qui a un paragraphe entier sur
l’islam. « Un entrisme
communautarisme insidieux mais
puissant gangrène lentement les
fondements de notre société dans
certains territoires. Cet entrisme est
pour l’essentiel d’inspiration islamiste
». Dans l’exposé des motifs, le
principal problème est de fait
l’islamisme radical et politique. Je
pense qu’il ne doit pas y avoir une loi
qui fasse de distinction entre les
religions.
Selon vous, l’islamophobie
existe-t-elle ?
Au sein de l’État et de ses structures
non. Mais il y a de l’islamophobie
comme il y a de l’antisémitisme, ou de
l’anti-christianisme. Les responsables
du culte musulman savent qu’il n’y a
pas d’islamophobie en France. Je
pense qu’il y a peut-être un sentiment
de focalisation sur eux mais qui n’est
pas justifié. C’est pour ça qu’il faut
lutter contre toute forme de
discrimination au nom même des
principes républicains d’égalité et de
fraternité dans la liberté.
Noémie Julien
Ecole privée Jeanne de France : « Il
faut se battre pour la laïcité »
Inquiète par ce projet de loi, la confession catholique monte au créneau. Pourtant, au sein de l’école primaire
Jeanne de France, on ne déplore pas l’arrivée de ce texte. Reportage dans cet établissement au travers de son
directeur, Jean-Paul Matricon.
« Cette loi est nécessaire. » Le ton est donné par Jean-Paul
Matricon. Un avis pourtant de plus en plus rare au sein des
communautés religieuses. Pourquoi ce texte ? Pour lui, les
raisons sont simples et évidentes. D’un air confiant et sûr
de lui, il s’explique : « Cette décision est tout à fait logique de
la part de l’Etat. Il faut se battre contre toute forme d’intégrisme
et l’Islamisme radical en est un. » Dans cette école, on estime
que cette réforme est juste. Ce qui n’est pas forcément le
cas ailleurs. Souvent il est reproché à ce projet de loi contre
le séparatisme de ne pas viser la bonne cible. On accuse
alors l'État de s’attaquer aux pratiquants plutôt qu’aux
extrémistes. Mais le directeur de cette école maternelle et
primaire vient calmer cette idée. « En tant qu’établissement
privé sous-contrat nous ne risquons rien vis-à-vis de cette loi.
C’est d’ailleurs la même chose pour les autres écoles privées,
qu’elles soient de confession musulmane, juive ou chrétienne.
Les autres directeurs n’ont pas à s’inquiéter. »
C’est là tout l’enjeu et toute la complexité d’un tel texte.
Comment garder le bon équilibre ? Pour Jean-Paul
Matricon, la balance est pour l’instant bien équilibrée,
même s’il émet quelques réserves. « L’État doit se charger
de régler la laïcité et non la religion. Le culte c’est personnel,
et cela doit le rester ». La laïcité, une notion à laquelle cet
homme est profondément attaché. Pour justifier cela, il
prend l’exemple de sa vie personnelle. « Je suis directeur
d’un établissement catholique et mes petits-enfants sont de
confession musulmane. Comme quoi les différentes religions
peuvent cohabiter, j’en suis l’exemple parfait ». Une
cohabitation qui n’est pourtant pas si simple à mettre en
place. Pour cela il faut plusieurs paramètres que nous
rappelle cet ancien universitaire : « L’État doit garantir la
laïcité, c’est le garant de notre République. Tandis que de
leur côté les communautés religieuses doivent s’entendre
entre-elles ».
Pedro Machado et Alexis Roux
Bâtiment de l’école maternelle et élémentaire Institut Jeanne de France.
Une loi qui doit respecter la laïcité
18|REPORTAGE
On fait cette loi pour les mauvaises
raisons. Il y a un problème islamiste en
France, alors les gouvernants se sentent
obligés de faire une loi. Le vrai problème
c’est l’acceptation de cette religion. Mais
cela reste utile car on a besoin de
clarifier les financements et
l’organisation des lieux de culte.
a loi religieuse, lorsqu’on se revendique
comme un citoyen français. Il faut aussi
rendre les financements transparents,
car il y a des détournements. Cela
permettra à aux personnes de pratiquer
leurs religions de façon décente.
Le débat doit impérativement
s’élargir, et ne pas se focaliser sur les
musulmans. Il existe différents
problèmes liés à ce projet de loi. Dès
1905, l’Islam ne fait pas partie du
Concordat, donc il est soumis à cette
loi par extension. Il y a également les
vestiges du passé colonial.
« Si j’étais encore député, je ne
voterais pas pour cette loi »
Au cours de son mandat, Emmanuel Macron a fait des déçus. Parmi eux, le maire du Puy-Sainte-Réparade,
Jean-David Ciot. Cet élu du Parti socialiste avait voulu se rallier à l’actuel Président en 2017. Mais trois ans plus
tard, il n’est plus tout à fait en accord avec le projet macroniste, notamment le dernier projet de loi.
Que pensez-vous du
projet de loi renforçant la
laïcité et les principes
républicains ?
Quel est le problème avec
ce projet de loi ?
Le Gouvernement recule. Ils réaffirment
les principes de la de 1905, sans lutter
contre le terrorisme. On a déjà un
arsenal pour. Ce projet de loi répond à
un problème conjoncturel et non pas à
un problème structurel, c’est du
populisme.
Le précepte est-il
réellement nécessaire
pour améliorer et
contrôler la situation
actuelle ?
Il y a une vraie nécessité de rappeler la
suprématie de la loi de la République
sur
Avez-vous le sentiment
que le gouvernement
d’Emmanuel Macron
répond aux nombreux
débats publics avec des
propositions de loi ?
J’ai ce sentiment avec cette loi
particulièrement. Emmanuel Macron
refait ce qu’on reprochait à Nicolas
Sarkozy : des lois de circonstances. Faire
cela abîme l’image de la politique, de la
fonction.
Êtes-vous en accord avec
le contenu de ce projet de
loi ?
Si j’étais encore député, je ne voterais
pas pour cette loi. Je suis d’accord avec
la transparence des financements, le
rappel des valeurs républicaines et tout
ce qui se lie à la laïcité. Avec le débat qui
en découle, ils laissent penser qu’ils vont
empêcher la pratique du culte
musulman. C’est impossible car la
liberté du culte est dans notre
Constitution.
Quels sont les problèmes
avec ce projet de loi ?
Cela révèle-t-il un
problème en France ?
Notre pays et notre Gouvernement
fabriquent des lois rigides. Ils fixent
des limites et non pas nos libertés. Il
faut surtout se demander si les
symboles ostentatoires de religion
empêchent les citoyens de participer
au débat public. Dans le collège du
Puy, si un professeur porte une croix
ou un autre signe, est-ce-que ça
l’empêche de bien enseigner à ses
élèves ? Non.
Pensez-vous
qu’Emmanuel Macron
opère un virage à droite, à
l’horizon 2022 ?
En 2017 lors de la présidentielle,
Emmanuel Macron avait un discours
très alléchant. Il se disait de droite et
de gauche. Avec ce discours, il avait
une volonté de rassemblement, pour
faire bouger les lignes de la politique.
Mais ce « slogan » s’est vite
transformé en ni de droite ni de
gauche. Je ne crois pas aux minorités
éclairées qui débarquent et guident la
population. Ça n’existe pas.
Noémie Julien
19|INTERVIEW
« Notre gouvernement devient
extrémiste »
Le Gouvernement fait face à un vent de contestation, qui dure depuis déjà plusieurs semaines. En cause
l’article 24 porté par la loi sécurité globale. Mais ce samedi 12 décembre, elle n’est pas la seule à être au cœur
du mouvement. Le groupe d’une cinquantaine de personnes a également manifesté contre le projet de loi
renforçant la laïcité et les principes républicains.
La place de l’Opéra à Toulon est
noire de monde. Une cinquantaine
de manifestants se mêlent les uns
aux autres dans un brouhaha
presque harmonieux. Entre les
différentes banderoles et les
discours, difficile de ne pas être pris
en plein cœur du mouvement.
D’ailleurs beaucoup de syndicats,
partis politiques et associations sont
présents. Attac, Génération S, Europe
Écologie Les Verts, LFI, CGT, même les
Gilets Jaunes de Bandol et Toulon. Tous
sont de la partie pour « Défendre leurs
droits ».
Parmi la foule, Stéphane Magnoni,
instituteur de 45 ans, l’annonce très
clairement : il sera présent tous les
samedis tant que ces deux projets de
lois ne seront pas supprimés. Pour
lui, la loi dite des séparatismes est
une entrave à la laïcité. « Je pense
qu’en 2020, c’est très grave que ce
genre de loi soit en débat. J’ai désormais
du mal à comprendre le pays des droits
de l’Homme ». Il n’est pas le seul à
penser de cette manière. Comme
c’est le cas du membre de la CGT
Magali Gérard qui s’immisce dans la
discussion.
Pour cette dernière, il est clair que
« L’islamophobie est de plus en plus
présente dans notre pays ». Un constat
difficile, mais justifié selon elle par le
dernier projet de loi du
Gouvernement. Après chaque prise
de parole, une flopée
d’applaudissements fuse dans la
foule. Un gilet jaune de Bandol prend
alors la parole.
Pour Jérémy Bonabelle, les
motivations de nos gouvernants sont
claires. « C’est avant tout un prétexte
pour intervenir sur la législation du
culte musulman dans la République ».
« Lorsqu’un gouvernement
va mal, il trouve un bouc
émissaire »
Un air est chantonné derrière les
différents discours. Il est presque
patriotique. « Même si Macron ne veut
pas, on est là ! Macron destitution ! ».
Un petit groupe de manifestants
hurle même « Où sont les jeunes ? ».
Juste après, c’est au tour de Thomas
Brayard, la trentaine, de s’exprimer. Il
ne fait partie d’aucun groupe mais
son avis est bien tranché : il veut voir
« La destitution de Gouvernement ».
Ému, il avoue que pour lui sa liberté
n’est plus. La voix enrouée, il
poursuit « Je fais partie de la
génération sacrifiée, celle qui a connu
la misère ». Certains ricanent, preuve
que les avis divergent. Les prises de
paroles s’enchaînent jusqu’aux
environs de 13h. Heure à laquelle
Géraldine Brillant prend la parole et
annonce les prochaines dates de
manifestations.
Elle avance « Tant que nous n’aurons
pas la sensation d’être entendu, nous
serons là, sur cette place. Et ce autant
de temps qu’il faudra ».
La foule applaudit avant de
s’éparpiller dans les rues adjacentes.
Un petit groupe persiste. En son
centre, Hervé Fechino, membre de la
CGT. Ce dernier affirme que le projet
de loi dit des séparatismes est un
véritable malaise pour le Français
musulman. « Le Gouvernement ne sait
plus différencier la foi et la pratique
d’une religion, de la radicalisation ».
Son collègue Nicolas Grilheres rejoint
son propos. « Il n’y a rien de nouveau.
Lorsqu’un gouvernement va mal, il
trouve un bouc émissaire. Aujourd'hui
en France, ce sont les musulmans ». Un
avis qu’un grand nombre de
personnes encore présentes
partagent.
Melissa Carra
Photos des manifestants à Toulon le samedi 12
décembre 2020, sur la place de l'Opéra.
© Mélissa Carra
20| REPORTAGE
Décodage : séparatisme vs
communautarisme
Le séparatisme tel qu’il est employé
depuis quelques mois n’est pas le
même que lors des guerres de religion.
Mais il ne faut pas confondre
communautarisme et séparatisme
religieux. Les deux sont liés mais
opposés. Le premier est un groupe de
personnes exilé mais relié par une
même origine, sans dimension politique.
Alors que le second en possède une.
Ces deux termes concernent tout de
même essentiellement des minorités.
Dans le cas des musulmans, c’est avant
tout la religion des colonisés. Il faut
attendre les années 1920 pour que
certains s’exilent sur le territoire
français. Ils sont alors une véritable
minorité. La loi de 1905 avait pour but
d’en finir avec la domination de l’Église
sur les autres religions. Aux yeux de la
loi, elles sont devenues égalitaires.
Socialement, c’est autre chose. À
l’époque, l’Église était encore très
majoritaire et présente dans la société.
Actuellement, ce ne sont pas les
politiques qui sont responsables du
problème. Certains partis ont fait leurs
terreaux sur une instrumentalisation de
ces communautés. Mais ce n’est pas
une généralité à étendre sur toute la
classe politique. Le problème en France,
c’est
qu’il n’y a plus d’unité. Le pays se
désagrège. L’historien Jean-François
Sirinelli parle même du « syndrome de
la banquise ». Les pans qui fondent
notre pays se détachent
progressivement. La nation n’a plus
d’intérêt pour un grand nombre de
personnes.
Contrairement à ce que certains
pensent, ce projet de loi ne révèle pas
un racisme endémique enfoui en
France. Il est important de rappeler que
ce n’est pas un pays raciste, loin de là.
Oui, il y a des racistes, c’est certain, mais
ce n’est pas une généralité. Le
problème, c’est le rapport à l’autre.
Beaucoup de Français ont du mal à
accepter la différence. En revanche, il
est vrai que ce projet de loi attire les
projecteurs.
Malgré tout, ce n’est pas cette loi qui va
réellement changer les choses. La loi de
1905 est encore valable. Il suffit de la lire
pour qu’elle s’applique correctement. Il
ne faut pas se forcer à faire des lois
sans interruption, comme pour
répondre à un problème. Mais il ne faut
pas nier le problème. Si elle n’est pas
assortie de mesures concrètes, elle ne
luttera pas réellement contre les
séparatismes. Depuis son apparition, sa
substance a radicalement changé. Elle
polarise inutilement le débat public.
Mais c’est à nouveau une occasion de
parler de l’islam. Ceux qui en parlent
sur la scène nationale en parlent très
mal. Ils ne savent pas faire la
différence entre l’islamisme et l’islam.
Pour les Français musulmans, le
problème n’est pas un souci de fond,
car les grands points du projet de loi
sont justifiés, mais la forme n’est pas
bonne.
Noémie Julien et Melissa Carra
Le débat public s’agite depuis des mois autour de deux termes : séparatisme et communautarisme. Pour bien
comprendre ces expressions, il faut remonter dans le temps. Jérémy Guedj, auteur du livre « Les réalités du
communautarisme religieux », déchiffre les problématiques du débat.
21|DÉCODAGE
Jérémy Guedj lors de l'entretien via Zoom le 19 avril
© Noémie Julien
« Ils font de la communication pas de
la politique »
À la tête de la mairie de Marseille, se trouve Benoît Paya, porté par le Printemps marseillais. À l’origine de ce
mouvement ralliant les différentes gauches marseillaises : Marc Rosmini, philosophe. Un de ses domaines de
prédilection est la philosophie politique.
Le problème c’est de savoir s’il y a
urgence ou pas. Depuis quelques
années, les hommes politiques ont
tendance à répondre aux événements
avec des lois. Il y a là une volonté de
rassurer l’électorat. Mais on prend le
risque d’avoir des lois précipitées. La loi
fait office de réponse pour la société, ils
font de la communication pas de la
politique.
Du point de vue de la
philosophie politique,
est-ce une bonne
stratégie pour Emmanuel
Macron ?
projet de loi, il y a une véritable
dimension électoraliste. Le
Gouvernement n’a pas eu grand-
chose à se mettre sous la dent. Alors
il planche sur une laïcité identitaire.
Suite aux récents
évènements, présenter
ce projet de loi n’est-il
pas trop précipité ?
Comment l’exécutif peut-
il renforcer la laïcité ?
La laïcité n’est compréhensible que si
la vie en société suppose de lier la vie
spirituelle. Quand on participe à la
société, on éloigne nos intérêts
religieux, pour ne penser qu’aux
intérêts des citoyens. Mais
actuellement beaucoup de
personnes sont dépolitiser. Pour eux,
il n’y a pas de réels liens entre ce
qu’ils pensent et les lois. Il faut
sensibiliser les jeunes à la vie
politique.
L’exécutif a-t-il raison de
vouloir renforcer son
droit de regard dans le
domaine cultuel ?
Au sens strict de la loi de 1905, l’Etat
n’a pas à se mêler de l’organisation
interne du culte. L’État français aurait
plutôt intérêt à élever le niveau
d’intégration des personnes
immigrées. En donnant plus de
moyens et de visibilité à un islam dit
des lumières. Il faut se donner plus
de moyens dans la compréhension
des
textes religieux. Souvent les
personnes à tendance islamique ont
une mauvaise lecture des textes
sacrés.
Emmanuel Macron a été élu en
faisant croire qu’on pouvait être ni de
droite ni de gauche, mais l’histoire
montre que c’est impossible. La seule
chose qu’il peut faire maintenant,
c’est de séduire l’électorat de droite.
D’abord avec son gouvernement :
beaucoup de ministres en sont issus
comme le ministre de l'Intérieur.
Comment analysez-vous
que cette loi stigmatise
plus la religion
musulmane que les
autres religions ?
Il est clair qu’on ne peut pas nier la
réalité des attentats en France. Ils ont
commis au nom de l’Islam. Avec ce
Le débat sur ce projet de
loi se concentre
essentiellement autour
de la communauté
musulmane, est-ce que ça
ne révèle pas un
problème plus profond
dans notre pays ?
Le passé colonial n’est pas totalement
digéré des deux côtés. L’Islam
représente une religion de colonisés.
De nos jours, c’est la religion
dominante dans les quartiers
pauvres. C’est aussi la plus récente en
France. Les musulmans sont victimes
d’une histoire coloniale et en face les
personnes considèrent qu’ils ne sont
pas complètement leurs égaux. Ces
mêmes personnes sont dérangées
par le port du voile mais pas
d’entendre les cloches sonnées, pour
eux c’est une tradition.
Noémie Julien
22|INTERVIEW
Quel traitement médiatique
pour cette loi ?
La loi contre le séparatisme vue par
la communauté juive
(ndlr : Conseil représentatif des
institutions juives de France).
Le message semble simple, oui il faut
s’attaquer aux radicaux, mais ce n’est
pas pour autant qu’il faut toucher à la
liberté de culte. C’est aussi ce que
pense Séverine Vial : « Il faut quand
même que ce texte garde certaines
limites, il ne faut pas nuire à la laïcité ».
Nathaniel Zarka lui est plus
farouchement opposé à certaines
potentielles mesures du texte
comme la restriction du port du voile
qu’il :
« Ne comprend pas ».
Alexis Roux
Dès sa présentation par le chef de l’Etat
aux Mureaux le 2 octobre, cette loi subit
de larges controverses. À peine le temps
d’analyser le contenu du futur texte, que
le débat bifurque autour de questions
bien plus larges. Le principe de laïcité et
la pratique du culte musulman en France
deviennent les principaux sujets. Des
sujets certes en lien étroit avec cette loi,
mais on ne peut pas nier que ce projet
soit, avant toute chose, un prétexte pour
traiter ces vastes thèmes. La preuve en
est lors du débat de Gérald Darmanin
face à Marine Le Pen organisé sur
France 2 le 11 février. Le projet de loi
contre le séparatisme est au cœur de
cette confrontation. Mais rapidement, la
discussion s’élargit sur de plus vastes
horizons. D’un questionnement autour
d’une loi on se retrouve avec une
controverse sur l’exercice de L’Islam
dans le pays.
Contrairement aux deux autres religions monothéistes, la communauté juive est restée silencieuse face à
cette loi. Entre acceptation et inquiétude : regard sur la position de certains croyants.
« Selon moi, cette loi devrait déjà être
présente depuis plusieurs années », le
message est clair. C’est celui de
Séverine Vial, responsable de la
librairie rattachée à l’association
Habad Loubavitch de Nice. Un
sentiment qui semble plus ou moins
partagé par les autres croyants. Pour
cause, les juifs sont restés plutôt
silencieux durant ce processus
législatif, en oppositionaux
musulmans et aux chrétiens partis
en croisade contre ce projet de loi.
Mais comme pour
l'ensemble des religions, les
représentants du judaïsme se sont
fait entendre face à la commission
chargée d’analyser le texte à
l’Assemblée nationale. Un avis
unanime, tous craignent des
restrictions dans la pratique
religieuse, c’est ce que déclare le
grand rabbin de France, qui craint
des « dégâts collatéraux ». Pourtant,
hors de cette rencontre il n’existe
pas de prise de position dans les
instances, ni de la part des
consistoires, ni de la part du CRIF
23| REPORTAGE
Photo prise dans une Betrabbad (ndlr : aassociation juive dédiée à la prière en dehors de la synagogue) du 16ème arrondissement de Paris
© Nathaniel Zarka
« Dans la Torah, la loi du Prince est
supérieure aux lois religieuses »
Il est évident qu’un projet de loi comme celui-ci concerne toutes les religions présentes en France. Chacune d‘elles
apportent son lot de rites et de devoirs que chaque pratiquant se doit de suivre ou non à la lettre. Comme c’est le cas de
Nathaniel Zarka, 20 ans et pour qui la pratique des enseignements inscrits dans la Torah est sacrée. Immersion dans son
petit monde.
Noémie Julien
mais parfois il se fait traiter de sale
juif et d’assassin ». Pour la famille
Zarka, il y a un anti-sionisme
déguisé par de l'antisémitisme en
France. « C’est comme les
musulmans qu’on assimile aux
terroristes, pour nous c’est avec les
pratiques d’Israël ». L’amalgame
est partout. Bien qu’il ait la
double nationalité française et
israélienne, il ne comprend pas
pourquoi cette haine existe
envers son pays et contre sa
religion. Certes, il est juif mais « Ce
n’est pas pour autant que je ne
cautionne les agissements d’Israël ».
Il se frotte la barbe avant
d’aborder de nouveau le projet
de loi. « C’est débile » souffle-t-il.
Dans la religion juive, les femmes
portent aussi le voile « Même si
c’est un foulard, c’est la même
signification ». Pour les
musulmanes, le voile permet aux
femmes de se rapprocher de
Dieu. Pour les juives c’est une
façon de préserver leur beauté,
qui passe par les cheveux, et de
la réserver à Dieu et à leurs
maris. « Je ne comprends pas
pourquoi le voile suscite autant de
débats, hormis l’intégrale, je n’en ai
pas peur » affirme-t-il pour clore le
débat.
C’est sur un air de « Lomir Ale in
Eynem » que Nathaniel Zarka se
présente. La musique annonce le ton.
Derrière lui, des dizaines de livres
écrits en hébreu habillent les murs de
sa chambre parisienne. Son prénom
signifie « Dieu m’a donné », mais aux
yeux de la religion il s’appelle Nissim
ce qui signifie « Miracle ». Ces deux
prénoms ne sont jamais utilisés
ensemble. « À la synagogue on
m’appelle Nissim, alors qu’à l’école on
m’appelle Nathaniel », dit-il avec les
yeux pétillants. Pour lui, la religion
guide sa vie. « Cela fait longtemps que
je n’ai pas mangé dans un restaurant
qui n’était pas casher ». Les règles
inscrites dans la Torah sont
essentielles pour lui, même s’il ne les
connaît pas toutes. « Il y en a des
milliers, mais je respecte les
fondamentales, c’est évident ». Par
exemple, il n’a jamais loupé un seul
Sabbat, et il n’a jamais mangé de lait
en même temps que de la viande. « Si
je bois du lait, je dois attendre 1h pour
pouvoir manger n’importe quelle viande
ensuite ». Mais ce n’est pas sa famille
qui le pousse vers la religion. « J’avais
« Ils veulent interdire le port du voile, je
ne comprends pas pourquoi ».
Nathaniel sort tous les jours
accompagné de sa kippa « Parfois je la
cache sous une casquette ou sous ma
capuche ». En fonction de l’endroit, il
n’est jamais sûr de tomber sur des
personnes bienveillantes vis-à-vis de
son signe religieux. Sa mère décrit
bien la situation. « Mon fils sort avec sa
kippa sans problème jusqu’à la
synagogue,
vraiment envie de la comprendre ».
Depuis bientôt deux ans, en plus de
sa classe préparatoire d’ingénieur, il
étudie le Talmud - compilations
d’enseignements entre différents
rabbins de -2000 avant Jésus-Christ à
l’an zéro - de 6h à 8h du matin. La
religion juive occupe une place
centrale dans sa vie.
Malgré toutes les obligations que
comporte son texte sacré, il se
soumet comme tout Français aux
mêmes obligations. « Dans la Torah il
est écrit que la loi du Prince est
supérieure aux lois religieuses ». Il
remet ses bouclettes noires en place
et il poursuit. « Les lois françaises
s’appliquent à tous de la même façon,
ce n’est pas parce que je suis juif que j’ai
une dérogation ». Sa vie de tous les
jours et sa vie religieuse se
complètent.
Quant au projet de loi porté par le
Gouvernement, son regard change. Il
marque une pause avant de
répondre. Le jeune homme n’arrête
pas de se toucher le nez. Il se lance
enfin. « Si c’est pour lutter contre la
radicalisation, je suis totalement
d’accord ». Malgré tout, les nouvelles
restrictions imposées par le Sénat
l’interpellent.
24|PORTRAIT
Extrait du Talmud © Nathaniel Zarka
© Noémie Julien
Photo de Nathaniel Zarka le 10 avril 2021

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  • 1.
  • 2. 3 Leader Portrait 8 Loi contre le séparatisme 5 Explication de la Loi Reportage 9 A l’Institut niçois En-nour : le mal-être des pratiquants 18 Reportage Ecole privée Jeanne de France : « Il faut se battre pour la laïcité » Interview 16 « Il faut une volonté d’appliquer les lois déjà existantes » 20 « Si j’étais encore député, je ne voterais pas pour cette loi » « C’est la République qui ne veut pas de moi » 19 Reportage « Notre gouvernement devient extrémiste » Interview Sommaire A V R I L 2 0 2 1 Édito 4 Interview 10 Reportage 11 Les associations cultuelles musulmanes face au projet de loi Décryptage 15 Décryptage de ce projet de loi Interview 12 « On serait tenté de finir la phrase en disant ils n’ont pas qu’à rester chez eux » Interview « L’Islam est à 100% compatible avec la République » « Ils font de la communication pas de la politique » 22 21 Décodage séparatisme vs communautarisme Portrait 24 « Dans la Torah, la loi du Prince est supérieure aux lois religieuses » Melissa Carra Rédacteur en chef Noémie Julien Thomas Huvé Alexis Roux Pedro Machado 2| SOMMAIRE Reportage 23 La loi contre le séparatisme vue par la commaunuaté juive
  • 3. explique « Qu’il ne faut surtout pas confondre communautarisme et séparatisme religieux ». Les deux définitions sont en réalité totalement opposées. Dans le sillage de la polémique, la problématique suivante a bâti une enquête : « Le projet de loi renforçant le respect de la République et de la lutte contre le séparatisme : un malaise pour le français musulman ? ». 208 voix pour et 109 voix contre. Le Sénat a tranché. Renommé pour la troisième fois, le projet de loi « confortant le respect de la République et de la lutte contre le séparatisme » a été voté lundi 12 avril en première lecture avec modifications. Prochaine étape : sénateurs et députés vont tenter de trouver un accord sur un texte commun en commission mixte paritaire. Voulu comme un marqueur du quinquennat, le président de la République, Emmanuel Macron prévoit des mesures sur la neutralité du service public, le contrôle des associations, et une meilleure transparence de l’ensemble des cultes et de leur financement. Les prémices du projet de loi Le 2 octobre 2020, Emmanuel Macron s’exprime dans la commune des Mureaux pour présenter ce projet de loi. L’objectif premier étant de « lutter contre l’islamisme radical ». Sans attendre les manifestants répondent : « Notre gouvernement devient extrémiste, Macron destitution ». Deux semaines plus tard l’assassinat de Samuel Paty survenu le 16 octobre à Conflont-Saint-Honorine suivit de l’attentat de Nice le 29 octobre offrent tout deux la légitimité dont avait tant besoin ce texte de loi. Par la suite, la réponse médiatique ne s’est pas faite prier, un débat au cœur du séparatisme entre Marine Le Pen et Gérald Darmanin est organisé sur France 2 , le 11 février. Sujet de controverse, l’exercice de l’Islam pose problème. Le 3 octobre 2020, Gérald Darmanin annonce que le projet destiné à lutter contre le séparatisme change de nom. Il devient « Projet de loi renforçant la laïcité et les principes républicains ». Mais le terme séparatisme n’a plus quitté la bouche des Français. Pour comprendre les origines et la nécessité de cette loi, il faut en comprendre les termes. Jérémy Guedj Œuvrer pour la laïcité Deux lois au cœur du débat Vieilles de 120 et 115 ans, deux anciennes lois sont réactualisées. La loi de 1901 définit et encadre les différents types d’associations à but non lucratif. Selon cette dernière, une association est par définition « Une convention en vertu de laquelle deux personnes au moins décident de partager leurs connaissances et / ou leur activité dans un but autre que le partage des bénéfices ou la recherche de profit ». Celle de 1905 promulgue « La liberté de conscience ». Elle marque l’avènement de la séparation des Églises et de l'État. « La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte ». La laïcité prend alors tout son sens. C’est une valeur fondatrice et indissociable de la République. Ces deux préceptes dépoussiérés créent un genre nouveau : les associations mixtes. Elles sont à la fois sous le régime de 1901 mais aussi sous celui de 1905. Ces structures sont à portée culturelle. 3| LEADER L’importance des termes employés « Le corpus législatif est déjà suffisant pour défendre et promouvoir les principes républicains ». Mais pour Marc Guidoni, ce n’est pas suffisant. « Ce n’est pas important de réaffirmer la laïcité, c’est capital ». Différents projets centrés sur la laïcité voient le jour progressivement. Marlène Schiappa propose de mettre en place les « États généraux de la laïcité ». Le programme consiste à réunir des adolescents de 14 à 17 ans afin de les sensibiliser aux questions de laïcité. En parallèle, le 9 décembre est une journée dédiée à la laïcité. Dans les écoles, les élèves sont déjà sensibilisés sur cette problématique. Sur le principe de laïcité qu’aborde la loi : Jean-Philippe Asso estime que L'exécutif à l’assaut du séparatisme © Charles Plateau /archives Reuters Photo de l'intérieur du Sénat avec une vue générale de l'hémicycle
  • 4. 7| LOI SÉPARATISME Le projet de loi se veut fort et marquant pour la fin du quinquennat du Président de la République. Pour certains hommes politiques, l’objectif est clair. Selon Jean-David Ciot « Le Gouvernement cherche à récupérer un électorat réactionnaire perdu ». Mais il n’est pas le seul à s’inquiéter d’un tel texte de loi. Le 9 mars dernier, les trois Églises du Cristianisme se sont réunies dans une tribune publiée dans le Figaro. L’objectif : dénoncer ce projet de loi, « Contraignants et remplies de contrôles ». été avorté. L’association Milî Gorus, qui porte le projet, s'est vu être qualifiée de « Missile turque » par Gérald Darmanin. Après une nouvelle « provocation » de la part de Charlie Hebdo, le monde musulman se révolte contre la France. En Turquie le problème se révèle colossal. Lors de la signature de la charte des imams, une partie de la branche turque refuse de signer. Plus récemment, le projet de la mosquée Eyyub Sultan qui devait être subventionné à hauteur de 2,5 millions d’euros par la mairie de Strasbourg, a Une pluie de critiques Les points fort du projet Bien que le projet suscite de nombreuses critiques, le fond demeure intéressant. La loi comprend de nombreux points concernant les femmes. L’interdiction des certificats de virginité, ou encore lutter contre l’excision. La volonté d’appliquer le Le « problème » Turc droit français en termes d’héritage successoral est primordial pour les femmes. Elles sont nombreuses à se retrouver prises de court lorsque les droits, liés à l’héritage, sont appliqués dans le pays d’origine de leurs pères, maris ou frères. Permettre un droit de regard sur les financements des lieux de cultes et des associations dédiées, est une façon de se battre contre les ingérences de pays étrangers. Comme c’est le cas de la Turquie. Le malaise des fidèles Melissa Carra et Noémie Julien Quant à eux, les musulmans français essayent tant bien que mal de prouver que « l’Islam est à 100% compatible avec la République ». Ils se disent « fatigué d’une vision caricaturée de leur religion ». C’est le cas de Romaïssa Bitam. Ils sont nombreux à se sentir exclus du débat public. L’idée d’éradiquer le terrorisme est un objectif commun. Mahmoud Benzamia soutient fermement que « l’islam et la France partage les mêmes valeurs : liberté, égalité, fraternité ». Le parti ambidextre du Gouvernement a une nouvelle fois gratté du terrain à sa droite en proposant une loi renforçant la laïcité et les principes républicains. L’islam se retrouve encore au coeur du débat. Premièrement, il convient de séparer l’islam, qui est une religion ; de l’islamisme radical, qui est une idéologie. Mettons-nous tous d’accord. Par islamisme radical nous pensons à des pratiques sociales qui prétendent se baser sur une vision simple et non transformée de la religion musulmane. Un modèle de société profondément contradictoire avec le nôtre. Au cours de cette enquête, les musulmans le disent et le répètent : l’islam est compatible avec la République. La majorité des fidèles ne considèrent pas leur religion au-dessus des lois. Deuxièmement, ceux qui proposent cette loi sont ceux qui sont le plus souvent accusés d’être les plus séparés des autres. Les amalgames à répétition contre l’islam font avaler un package sécuritaire. La nation française, meurtrie par les attentats, est prête à se raccrocher au premier venu se vantant d’avoir la solution. Une solution qui n’est évidemment pas simple. Troisièmement, ce projet est souvent qualifié de “loi fourre-tout”. En fin de compte, d’après les débats entre nos députés et sénateurs, ce texte rassemble tout ce qui dérange cette élite. Entre l’interdiction du port du voile, des conditions plus drastiques pour obtenir les allocations familiales ou encore la restriction de l’école à la maison… Liberté, Égalité… Séparatisme En conclusion, on ne comprend pas réellement l’objectif réel. Avoir un droit de regard sur les institutions cultuelles françaises se transforme en un contrôle des cultes. Pourquoi interdire le voile, mais laisser la kippa tranquille ? Tant de questions sans réponses.
  • 5. Le Gouvernement souhaite renforcer les principes de laïcité et de neutralité. Un projet sensible et controversé qui vise à lutter contre « l'islamisme radical » selon Jean Castex. Une déclaration qui à sollicité de nombreuses critiques de La France insoumise. Mais l’exécutif marche sur des oeufs cassés et craint d'être accusé de stigmatiser les musulmans. Présenté le jour du 115e anniversaire de la loi de 1905 sur la laïcité dans un contexte particulier après les vives critiques et manifestations à l’étranger autour des caricatures de Mahomet. Le texte comprend une cinquantaine d'articles destinés à combler les lacunes du projet. Ce texte doit répondre à l’une des principales préoccupations des Français. Les grandes lignes du projet de loi ont été annoncées par Emmanuel Macron début octobre. D'un attentat à l'autre, jusqu'à la décapitation du professeur Samuel Paty qui a conforté l’exécutif dans l’accélération du processus. Le projet de loi vise à lutter contre le séparatisme et couvre de nombreuses thématiques : Contrôle des cultes, engagement des associations en faveur de la laïcité, restriction de l'éducation à domicile. Retour sur le projet de loi visant à renforcer les principes républicains. Loi Séparatisme : ce qu’il faut savoir La loi permettra également un plus grand contrôle sur la fonctions et les finances des associations. Les plus controversées, comme le CCIF ou Baraka City, ayant déjà été dissoutes. Elle s’attaque aussi à la loi sur la haine en ligne et crée un « délit de pression séparatiste » afin de protéger les fonctionnaires victimes de violences. Une autre des mesures phares est d'étendre l'obligation de neutralité aux salariés des entreprises qui délèguent aux services publics (comme les transports publics). Les sénateurs resserrent la vis Le Sénat adopte ce lundi 12 avril le projet de loi renforçant la laïcité et les principes républicains, en première lecture. Majoritairement de droite, l’hémicycle reçoit de vives critiques de la gauche. Les points qui posent problème sont les mesures supplémentaires ajoutées par les Sénateurs : port du voile, « renforcer la neutralité ». L’objectif de la droite est clair : durcir le projet de loi. Les sénateurs jugent ce texte « inefficace ». Cette première lecture exacerbe les clivages entre d'une part, les communistes, écologistes et socialistes. Et de l'autre, face à l’alliance de droite et le rassemblement national. L’union des gauches condamne ces nouvelles mesures qui entretiennent une « suspicion généralisée » ciblant « les musulmans ». Limiter le port du voile Un amendement visant à interdire le port de signes religieux pour les accompagnateurs de sorties scolaires a été adopté contre l’avis du ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin. L’interdiction du burkini dans les piscines et le port du voile des mineurs ont été votés. Les sénateurs ajoutent à cela l’interdiction du port des signes religieux ostensibles lors d’événements ou compétitions sportives organisées par les fédérations et les associations avec « l’interdiction de toute forme de propagande et prosélytisme religieux ». 5| LOI SÉPARATISME
  • 6. "De mise en danger de la vie d'autrui par diffusion d'informations relatives à la vie privée, familiale ou professionnelle d'une personne permettant de l'identifier ou de le localiser" Délit puni de 3 ans d'emprisonnement et de 45 000€ d'amende. Création d'un pôle spécialisé dans la lutte anti- haine en ligne. Limiter l'instruction à domicile sauf "pour des motifs très limités tenant à la situation de l'enfant ou à celle de sa famille." Attribuer " à chaque enfant d'âge scolaire un identifiant national permettant aux autorités académiques de s'assurer qu'aucun enfant n'est privé de son droit à l'instruction" Mieux encadrer les écoles hors contrat. Transition sur 4 ans avec formation des imams en France. Les dons étrangers dépassant les 10 000 € seront soumis à un régime déclaratif de ressources. Les motifs de dissolution d'une association sont élargis et toute demande de subvention fera l'objet d'un "engagement de l'association à respecter les principes et valeurs de la République" avec, en cas d'entorse, une restitution des aides. Le projet de loi contre le séparatisme en 6 points Renommé projet de loi "confortant les principes républicains" ÉTENDRE L'OBLIGATION DE NEUTRALITÉ Aux salariés des entreprises délégataires de service public (agents RATP, salariés d'Aéroports de Paris...) CRÉATION D'UN NOUVEAU DÉLIT LIBÉRER L'ISLAM DE FRANCE DES INFLUENCES ÉTRANGERES FAVORISER LA DISSOLUTION D'ASSOCIATIONS INSTRUCTION OBLIGATOIRE À L'ÉCOLE DÉS 3 ANS MEILLEURE COMPRÉHENSION DE L'ISLAM Enseigner davantage la langue arabe et développer des études islamiques de haut niveau à l'université Le 18 mars, la présidente du syndicat étudiant UNEF, en justifiant l’organisation des réunions non mixtes dans les universités, pousse le Sénat à voter une disposition empêchant une association de présenter une liste communautaire aux élections. Il y a aussi la possibilité de dissoudre celles qui excluent des personnes en raison de leur origine ou de leur couleur de peau. Restriction à l’université Une condition aux allocations « croyez-vous qu’on peut éduquer des parents en les punissant ? ». Vivement contesté, un amendement prévoyant la suspension de versement d’allocations familiales aux parents d’un élève qui persiste à ne pas se rendre à l’école à été ajouté. En réponse, l’écologiste Esther Benbassa déclare : 6| LOI SÉPARATISME
  • 7. Conseil d'État Donne son accord à la réforme envisagée par le gouvernement mais avec quelque réserves Gérald Darmanin Avance sur un projet de loi visant à renforcer la laïcité et conforter les principes républicains Dévoile les grandes lignes de ce projet lors d'un discours aux Mureaux, évoquant la construction "d'un Islam des Lumières", progressiste et libéral Emmanuel Macron Samuel Paty Après l'assassinat d'un enseignant, le gouvernement annonce un enrichissement des dispositions du projet de loi Annonce que le projet de loi contre les séparatismes sera présenté à la rentrée Marlène Schiappa Le projet de loi est présenté au conseil des minitres Conseil des ministres Le Sénat dominé par l'opposition de droite a adopté en première lecture, lundi 12 avril, le projet de loi sur le "séparatisme" après l'avoir nettement durci. Sénat Le projet de loi est adopté en premiere lecture par 347 voix pour, 151 voix contre et 65 abstensions Assemblée Nationale Loi "séparatisme" : Où en est-on ? 26 juillet 2020 2 octobre 2020 6 octobre 2020 16 octobre 2020 7 Décembre 2020 9 Décembre 2020 16 février 2021 12 avril 2021 7| LOI SÉPARATISME
  • 8. « C’est la République qui ne veut pas de moi » Depuis plusieurs mois, le mot « musulman » ne quitte pas les plateaux des chaînes d’information en continu. Malgré l’engouement qu’ils suscitent, ils ne sont pas tous exprimés. Un silence que brise Romaïssa Bitam, 20 ans d’origine franco- algérienne. Musulmane pratiquante, elle soutient partiellement les objectifs du Gouvernement. C’est dans le jardin Alexandre 1er à Toulon que se trouve Romaïssa Bitam, surnommé Roma ou Maïssa par ses amis. Elle se tient debout proche d’un long rebord blanc qui laisse des traces blanches sur son pantalon gris. Quelques mèches de sa chevelure rouge s’envolent avec la brise de l’air marin. Romaïssa habite Toulon depuis bientôt dix ans. Là-bas, on dit d’elle que c’est une jeune femme qui a toujours été adulte comme si elle avait sauté l’adolescence. Issue d’une fratrie de quatre enfants, il a fallu grandir rapidement. Pour son père, il n’y a pas de doute « C’est ma fille préférée, j’en ai qu’une ». Dès son plus jeune âge Roma apprend l’Islam avec son père et sa grand-mère. « C’était comme une seconde mère pour moi ». Pour elle, rien n’est plus important que sa relation avec Dieu, surtout depuis le décès de Samira Bitam, sa mamie. « J’étais dans la pire période de ma vie ». Pour surmonter le deuil, elle se rapproche de sa religion. Elle passe de longs moments à lire le Coran. Melissa Carra Le sourire aux lèvres, la jeune femme répète pour la seconde fois qu’elle a une place à trouver dans la société. Les cheveux bordeaux, un visage maquillé et le nez percé, elle suscite quelques critiques parmi ses connaissances musulmanes. « J’ai envie de dire que j’ai le droit d’avoir les cheveux rouges et un piercing, comme j’ai le droit de porter le voile et de lire le Coran tous les jours si ça me chante ». Concernant les débats autour du projet de loi qui agite les hommes politiques, Roma s’étonne de l’engouement, surtout en temps de pandémie. « J’en ai marre de cette vision caricaturée de ma religion ». Pour elle, L’islam et la République sont « Tout à fait compatibles ». Jamais elle n’a fait passer une règle inscrite dans la Sunna au détriment d’une loi française. Dans la pratique de l’Islam, la fraternité est un pilier, comme dans les valeurs républicaines. Elle est consciente de l’objectif de cette loi. « Je soutiens l’idée de lutter contre le terrorisme, mais il ne faut pas se tromper entre le simple musulman pratiquant et le terroriste ». Malgré tout, elle reste inquiète. Avec un tel projet de loi, elle se dit qu’à terme « C’est la République qui ne veut pas de moi ». La jeune étudiante est pleine de projets. À la rentrée, elle compte poursuivre son cursus universitaire à Nice. Du côté de sa vie religieuse, elle commencera à porter le voile. « C’est un nouveau départ pour moi ». Malgré tout, elle appréhende beaucoup le regard des autres « C’est une ville que je ne connais pas ». Elle craint aussi les critiques de la part de ses proches. « Ceux qui ne comprennent pas comment fonctionne l’Islam, ne se renseignent pas vraiment. Par conséquent, ils ne peuvent pas entendre que je veuille porter le voile ». Avec fierté, Maïssa raconte qu’elle n’a jamais été poussée à porter le hijab. Dans sa famille, les femmes qui ne souhaitent pas le porter ne seront jamais jugées. « Chacun à sa propre relation avec Allah. Je crois que celui qui juge serait encore plus dans le péché que celle qui ne le porte pas ». 8| PORTRAIT
  • 9. A l’Institut niçois En-nour : le mal-être des fidèles Souvent pointée du doigt, la communauté musulmane accuse le coup. Dans cette mosquée située dans la plaine du Var, certains fidèles profitent de ce mois de Ramadan pour venir se recueillir. Pourtant ils l’assurent, vivre en France et pratiquer l’Islam, c’est un poids à porter au quotidien. « On s’inquiète pour nos mères, on a peur qu’elles se fassent agresser à cause du voile ». C’est ce que déclare Abdel Daietti. Il accepte de s’exprimer, contrairement à d’autres croyants, plus difficiles à approcher, certainement exaspérés par ce sentiment de rejet. Ils finissent alors par se renfermer sur eux- mêmes. Être musulman en France, c’est synonyme d’un lot de contraintes et de difficultés qu’il faut assumer. Le jeune homme l’explique : « Par exemple, si l’on porte le qamis (ndlr nom donné au Ce sentiment d’inquiétude est-il partagé par l’ensemble des pratiquants ? L’imam de cet établissement, Mahmoud Benzamia répond : « On sent que c’est une situation compliquée, de plus en plus de fidèles ressentent ce mal-être ». Le projet de loi contre le séparatisme, le coup fatal ? Au moment d’évoquer ce sujet, l'incompréhension règne. Certaines mesures de ce projet sont contestées comme le contrôle renforcé sur l’instruction à domicile. Plus que tout, c'est le débat qui accompagne le texte de loi qui pose problème. Les deux pratiquants se sentent comme des boucs-émissaires. « On a l’impression que c’est toujours de notre faute, dès qu’il Alexis Roux et Pedro Machado y a un problème de société, c’est les musulmans ». Pire encore, la volonté de certains élus d’interdire le port du voile aux accompagnateurs scolaires. Abdel Daietti s’y oppose. « Je ne comprends pas pourquoi cela pose problème, ce n’est pas porter un bout de tissu sur la tête qui fait de vous un terroriste ! » Son acolyte poursuit. « Le problème c’est qu’on paie les pots cassés des actes terroristes ». En tout cas, cette situation préoccupante ne semble pas près de se résoudre. Lorsque Faouzi Tok est interrogé sur son avenir, sa réponse est forte. Quitter la France, il y songe : « Si je fondais une famille, je sais que je préférerais éduquer mes enfants ailleurs pour être plus tranquille ». 9| REPORTAGE « Honnêtement ce n’est pas facile à vivre pour nous, on a peur de montrer qu’on est musulmans ». vêtement traditionnel porté par les hommes musulmans) on se sent constamment jugés. On doit supporter le regard des gens ». C’est à ce moment-là qu’il interpelle quelqu’un. « Faouzi viens ! Tu vas nous dire comment tu vis le fait d’être musulman en France ». A peine sa prière terminée, Faouzi Tok vient s’exprimer et son sentiment est identique à celui de son ami. © Pedro Machado Photo de Abdel Daietti et Faouzi Tok, de dos devant la mosquée En-nour © Alexis Roux Photo de l'intérieur de la mosquée En-nour
  • 10. Mahmoud Benzamia : « L’islam est à 100% compatible avec la République» Autour du vaste débat sur le projet de loi confortant le respect des principes de la République, cet imam de l’institut En- Nour à Nice, vient apporter sa vision des choses. Pour lui, ce texte ne touche pas la bonne cible. A la fois recteur, imam et vice- président du Comité d’Imams des Alpes-Maritimes, ce natif d’Algérie est devenu l’une des figures majeures de l’Islam dans le département. Profondément attaché à la lutte contre le radicalisme, cet ancien professeur de technologie se sert de son rôle pour combattre ceux qu’il appelle les « fanatiques ». Ce que je me demande c’est pourquoi ces lois supplémentaires ? Il en existe déjà afin de garantir le principe de laïcité. D’autant plus que l'Etat admet que la grande majorité des musulmans sont pacifiques, c’est une statistique. Les musulmans ne sont pas pris en otage par les fanatiques. Si cette loi vise cette minorité, alors pourquoi généraliser tous les musulmans. Que pensez-vous de ce projet de loi ? C’est le risque majeur oui. Selon moi cela va renforcer les préjugés sur l’Islam et surtout les gens vont croire que le problème de la radicalisation vient des mosquées, ce qui n’est pas le cas. Ce texte peut-il renforcer l’islamophobie ? C’est une petite victoire, car ce terme ne reflète absolument pas la réalité. Cette petite minorité qui crée les problèmes n’est pas un phénomène de grande ampleur, il s’agit de petits groupes que l’on ne voit pas réellement et qui ne représentent rien. Est-ce une victoire pour vous que le terme séparatisme ait été supprimé de l’intitulé ? Comme je l’ai dit précédemment, la difficulté c’est que le radicalisme et le terrorisme ne grandit pas dans les mosquées. Ces gens ne sont pas connectés à ces lieux. Le champ de bataille devrait plutôt se déplacer vers Internet, dans les quartiers, dans les milieux du banditisme, car c’est là que se développe cette pensée Quelle serait selon vous la manière la plus efficace pour endiguer l’islamisme radical ? Evidemment, nous ne voulons pas que l’Etat s’immisce dans le culte. C’est la même chose pour toutes les religions, les Chrétiens et les Juifs eux-aussi ne sont pas d’accord et s’inquiètent. Ce sont des paroles et des lois comme celles-là qui peuvent remettre en cause le principe de séparation des Eglises et de l’Etat. Lorsqu’il a présenté le projet, Emmanuel Macron a déclaré vouloir « structurer l’islam », cela vous inquiète-t-il ? Comme je l’ai dit précédemment, la difficulté c’est que le radicalisme et le terrorisme ne grandit pas dans les mosquées. Ces gens ne sont pas connectés à ces lieux. Le champ de bataille devrait plutôt se déplacer vers Internet, dans les quartiers, dans les milieux du banditisme, car c’est là que se développe cette pensée. Quelle serait selon la manière la plus efficace pour endiguer l’islamisme radical ? Êtes-vous prêt, en tant qu’imam, à mettre les règles de la République devant celles de la Sunnah ? L’Islam est une religion très malléable. La pratique n’est pas stricte, bien sûr si quelqu’un veut la pratiquer de manière très rigoureuse, libre à lui, mais il y a toujours des limites. Il existe des facilités, par exemple quelqu’un qui n’arrive pas à jeûner pendant le Ramadan, il peut rompre. De la même manière si quelqu’un ne peut pas prier car il doit travailler, il s’adapte, il ne va pas transgresser les règles de son entreprise pour sa religion. L’Islam correspond à la République et partage les mêmes valeurs : liberté, égalité, fraternité. 10| INTERVIEW Mélissa Carra et Alexis Roux
  • 11. À l’intérieur de l’association SPF Liberté Égalité Paix dans le troisième arrondissement de Marseille, l’ambiance est calme, limite apaisante. Une fois le thème du projet de loi abordé, l'atmosphère change radicalement. Pour le responsable de l’établissement, Salim Hacene Blidi « C’est encore une loi de plus en rapport avec l’islam rien de plus ». Le responsable de la mosquée se demande bien à quoi va servir cette nouvelle loi. Pour lui, l’État a mal fait les choses avec ce projet de loi. Il ajoute d’un ton ferme « Ils devraient venir dans les mosquées un peu partout en France pour discuter avec nous, plutôt que de rester sur Paris ». Dans sa mosquée il ne parle pas politique avec ses fidèles car il estime que ça n’a pas sa place dans ce lieu. Il préfère prêcher le bon comportement et pousser ses fidèles à s’intégrer. « Je leur répète souvent qu’ici nous sommes en France, dans un État laïc et pas dans un pays arabe. Il y a donc des règles à respecter ». 11|REPORTAGE avoue que « Ça fait des années qu’on demande cette formation. Personnellement je la trouve utile et c’est une bonne chose de l’imposer ». Le but de cette formation dédiée aux imams est de leur permettre d’en apprendre plus sur la laïcité et les principes républicains. Mais pas seulement. L’histoire politique française est aussi abordée. « Cette formation nous permet aussi de rappeler dans nos prêches qu’il faut respecter les lois françaises et ce qu’est la laïcité ». Dans les faits, cet apprentissage à destination des imams existe depuis 1990. C’est à l’Institut des Sciences Humaines que ça se passe. L’imam de l’Institut Rattil l’a déjà faite. « On nous apprend, comment répondre aux questions des fidèles, expliquer ce qu’est la laïcité ». De son côté, Abderrazak Hosni, à la tête de l’organisme Cannesavoir, s'inscrit à l’université de Nice. » Je veux approfondir mes connaissances sur ce projet de loi, pour pouvoir comprendre et l'expliquer à mon tour ». Ces formations à la faculté et l’intermédiaire du projet de loi lui permettent de « Bien comprendre la société française ». Mais les imams niçois et marseillais se rejoignent sur un point : « C’est juste une loi de plus, rien d’autre ». Les associations cultuelles musulmanes face au projet de loi Ce projet de loi s’attaque à de nombreux éléments qui constituent la pratique de la religion, dont le régime des associations. Certaines associations cultuelles sont sous le couvert de la loi de 1901, alors que d’autres sous celles de 1905. Parmi les associations cultuelles visées, les musulmanes se retrouvent au cœur de nombreux débats. « Ça fait des années qu’on demande cette formation" problème ce n’est pas la communauté musulmane. « La radicalisation est dans toutes les communautés ». Le soucis principal c’est « Les sans-papiers, les personnes livrées à elles-mêmes ». Pour l’imam marseillais, impossible de parler d’intégration avec eux. « Si quelqu’un leur dit que la France n’aime pas le prophète, ils sont capables du pire. Ils sont perdus ». Pour appuyer ses propos il aborde l’assassinat de Samuel Paty « par un Tchétchène » et l’attaque des deux journalistes à la hache « par un Pakistanais ». Le recteur de la mosquée poursuit. « J’avais lancé un appel au Gouvernement, en leur disant qu’il fallait reconduire les sans- papiers chez eux. Après je ne suis pas raciste, je suis Algérien, mais c’est sûr à 200% que l’État ne leur fera pas les papiers ». Du côté de l’Institut Rattil, le ton est plus calme. Pour Jalel Karmous « Le problème commence à l’école ». Selon ce dernier, si le Gouvernement veut une mesure qui soit efficace durablement, le mieux est de passer par les écoles en : « Éduquant bien les enfants sur ces questions qui font débat ». Pour lui : « S’ils sont bien éduqués de l’école jusqu’au lycée, les générations suivantes n’auront pas de problème ». Noémie Julien « Le problème commence à l'école » Du côté de Nice, le responsable de l’Institut Rattil rejoint l’imam marseillais. Pour Jalel Karmous « Ce projet de loi ne va pas changer grand chose ». Néanmoins, il a Entre Marseille et Nice, l’ambiance n’est pas la même. Pour Salim Ahcene Blidi le
  • 12. « On serait tenté de finir la phrase par : ils n’ont qu’à rester chez eux » L’intitulé du projet de loi aborde directement les questions de laïcité. Marc Guidoni est un expert du sujet. Il fait partie du Plan Valeurs de la République et Laïcité. Cet universitaire est intervenu auprès des sénateurs sur ces questions-là. Ce plan fait partie des mesures décidées en 2015, par le comité interministérielle égalité citoyenneté après les attentats de Charlie Hebdo. Une cinquantaine de mesures ont été prises, dont cette idée de former à la laïcité les acteurs de terrain, qui sont en contact avec la population. Ça comprend les agents de la fonction publique et les acteurs du monde associatif. L’idée était de créer pour l’ensemble de ces personnes une culture commune de la laïcité, comme un vecteur de diffusion des valeurs de la République. S’il y peut y avoir un slogan ce serait « mieux on applique la laïcité, mieux on permet aux personnes de vivre selon les valeurs de la République ». Cette loi constate qu’un certain nombre de personnes en France vivent les uns à côté des autres, et ont envie de se retrouver par petits groupes, par communauté. Ils veulent vivre et partager des choses avec des Ce projet de loi va-t-il permettre de réellement réaffirmer la laïcité ? Ce n’est pas important de la réaffirmer, c’est capital. Si on ne la réaffirme pas sans cesse, et si on ne donne pas aux gens le goût de ces fondations, le projet républicain ne pourra pas être compris et ne suscitera aucun intérêt. Et ce projet sert à bâtir ensemble un monde plus juste. Le précepte permet-il de lutter efficacement contre les atteintes à la laïcité ? 12| INTERVIEW personnes qu’ils décrivent et reconnaissent comme leurs semblables. Or, le projet de la République c’est que du moment où l’on croit profondément que les droits de l’Homme, l’idée française de la liberté vaut la peine d’être mise en œuvre, à ce moment-là, nous sommes Français. La force du message c’est ça. Ce projet de loi est là pour dire à ces personnes « vous faites fausse route, on ne dit pas que vous avez tort sur le fond. Ce sont vos croyances et la République s’interdit de les juger. Mais par contre ces croyances, ces convictions, tout ce qui vous anime, ça ne doit pas vous interdire de contribuer au projet Républicain, et ça ne vous donne pas le droit de dire que cette dernière n’est pas bien ». L'Église catholique a-t- elle raison de penser que ce projet de loi n’est pas en faveur de la laïcité? Le fait que soit sans cesse réaffirmer la liberté de croire ou non, et la liberté de manifester ses opinions, sont de réels avantages. La meilleure démonstration de cette compréhension, ce sont les écoles catholiques sous contrat. Mais ils préfèrent le mode actuel très libre, plutôt que celui du projet de loi qui les restreint un peu. Qu’est-ce que le plan valeurs de la République et laïcité ? Ils ont le droit de dire que la République c’est nul, mais on serait tenté de finir la phrase en disant « ils n’ont pas qu’à rester chez eux ». Et l’enjeu est là : la vie républicaine vaut la peine d’être vécue. Ce projet ne risque-t-il pas de se transformer en un contrôle des religions ? Ce projet de loi porte une tentation concordataire, qui laisse penser que les religions ne fonctionnent que si l’État les contrôle. Il y a quand même une volonté d’organiser, de manière nouvelle, toutes les religions présentent en France. Avec comme objectif d’organiser l’islam et de comprendre comment il fonctionne. L’Assemblée Nationale a voté un article interdisant les certificats qui attestent de la virginité, pensez- vous que c’est une des seules dérives ?
  • 13. 13|INTERVIEW Je ne dis pas que ça n’existe pas, mais je n’y crois pas. C’est un montage intellectuel pervers. Maintenant, je peux vous témoigner que le racisme anti-maghrébin est monumental. Aujourd’hui, les gens disent musulmans au lieu de dire arabe. Donc du racisme il y en a, mais ce n’est pas de l’islamophobie au sens où le problème ne vient pas des musulmans. La confusion entre la « musulmanie » et le Maghreb, est nette sur les bords de la Méditerranée. Avec la peur qu’ont installée les attentats dans le cœur des gens, le musulman incarne cet autre dont on a peur. Quand vous vous baladez dans la rue, les gens qui sont autour de vous, vous ne savez pas s’ils sont musulmans. Les diversités culturelles présentent en France sont-elles en danger ? Sauf si on considère que l’interdiction faite à des médecins de signer des certificats de virginité porte atteinte à une expression culturelle, je ne pense pas. Il y a d’autres enjeux. Par exemple, ils ont voulu interdire aux personnes mineures de porter des signes religieux. L’objectif est d’éviter aux familles de mettre la pression aux jeunes filles de porter le voile. La réalité, c’est qu’ils n’ont pas vu venir les scouts catholiques. Sur leurs uniformes ils ont une croix. Or, le premier mouvement de jeunesse en France ce sont les scouts équipe de France. Donc si on interdit aux mineurs de porter des signes religieux, les scouts ne peuvent plus avoir leur petit insigne. C’est là que ça nous échappe. La liberté de culte, et notamment de l'islam est- elle menacée ? Si ce projet de loi renforce la laïcité, il renforce la liberté de culte. Le « problème » avec les pratiques culturelles musulmanes, c’est qu’on s’aperçoit que certaines d’entre elles, les minoritaires, font débat. Le culte musulman ne se détache pas de la vie en général. C’est dans le cadre de ce débat que les parlementaires veulent interdire aux médecins de signer ce type de certificat, avec même une sanction pénale pour ceux qui les établissent. Mais ce problème rejoint d’autres pratiques similaires. Comme l’aspect scolaire. Depuis 2020, l’âge de début de scolarisation obligatoire est de 3 ans. Avant, la suspicion adressée à certaines communautés était de mettre in extremis leurs enfants de 6 ans à l’école. Cela permet donc à l’enfant une fois à l’école d’être solide et camper sur ces positions pour ne pas être sensible au discours tenu par l’école de la République. Donc cette instruction obligatoire dès 3 ans impose aux familles d’apporter la preuve que leurs enfants suivent une instruction, même s’ils sont scolarisés à la maison. Certains musulmans ont- ils raison de penser que ce texte renforce l'islamophobie ? La grande majorité des musulmans qui vivent en France, n'a aucun lien avec les fanatiques. Ce projet de loi sanctionne des comportements aujourd’hui considérés comme des dérives. Est-ce que ça les protège ou est-ce que ça les met en danger ? C’est une vraie question. Ça les protège un peu contre eux-mêmes, des tentations symboliques.Mais ça peut les mettre en danger face à des personnes qui ont des discours qui échappent aux radars du contrôle et qui vont les chercher sur d’autres sujets. Comme en disant Pensez-vous que le projet protège les musulmans face à l’islamisme radical ? « regardes, tu vois ça fait des années qu’on te le dit que cette République elle est mauvaise pour des gens comme nous. Et tu vois bien qu’avec des lois comme celle-là, c’est vraiment nous la cible. Nous tous. On dit que c’est contre les fondamentalistes mais tu vois bien que c’est contre des choses qui sont marquées au fond de notre cœur depuis la nuit des temps. Et c’est ça qu’on veut t’empêcher de vivre ». Noémie Julien et Melissa Carra QU'EST-CE QUE LA LAÏCITÉ? « La République assure la liberté de conscience » et « le libre exercice des cultes sous les seuls restrictions édictées (…) dans l’intérêts de l’ordre public ». « La République ne reconnait, ne salarie ni ne subventionne aucun culte ». La loi de 1905 Jean-David Ciot « C’est de laisser à nos concitoyens la liberté de croire ou de ne pas croire en une religion.» Conception et organisation de la société fondée sur la séparation de l'Église et de l'État et qui exclut les Églises de l'exercice de tout pouvoir politique ou administratif, et, en particulier, de l'organisation de l'enseignement. Larousse « Elle s'applique en fonction de la loi de 1905.Cette norme républicaine permet à chaque citoyens de choisir sa religion.» Marc Rosmini Ce n’est pas une opinion parmi d’autres, mais la liberté d’en avoir une. Elle n’est pas une conviction, mais le principe qui les autorise toutes, sous réserve du respect de l’ordre public. Plan Valeurs de la République et laïcité « C'est un condensé qui permet de vivre ensemble. Ce n’est pas une valeur, et ça ne l’a jamais été et ça ne doit pas l’être. C’est l’un des piliers juridiques de la République française.» rebuild Marc Guidoni « C'est une norme dans la loi qui permet concrètement la liberté, l’égalité et la fraternité. Les normes incarnent les principes républicains.» Jean-Philippe Asso
  • 14. 14| INTERVIEW Quelles sont les raisons qui poussent le Gouvernement à proposer cette loi ? Comprenez-vous que certains musulmans pense que ce projet de loi ne servira pas à grand chose ? Il est donc important de réguler ces mêmes associations ? Sur le plan des musulmans, et notamment de la posture des imams, il y a toute une partie de la loi qui concerne justement l’organisation des cultes en France. Ce que réalise la loi de 1905, c’est la privatisation des cultes qui étaient organisés par l’Etat. À aucun moment le culte musulman, qui est déjà connu car c’est celui des colonies, ne s’intègre dans cette loi. Donc en pratique, ce culte s’est organisé autour de communauté culturelle, au moment des grandes vagues de migration. Des personnes se sont donc réunies dans des villes autour de l’islam certes, mais autour de la culture du pays d’origine, comme les Turcs ou les Algériens. Et ils ont organisé des associations qui relèvent de leurs cultures Le principe de cette loi, c’est quand même de lutter contre la radicalisation. Il y a des comportements qui sont identifiés dans les circuits de la République comme étant en rupture. C’est un comportement qui laisse penser qu’une personne est sensible à des idéologies qui ont comme ambition de détruire notre pays. On est sur la théorie de l’escalade : il y a des petits comportements puis des gros, jusqu’à parfois l’acte terroriste. Dans ce cadre, la loi a deux objectifs. Renforcer le contrôle des lieux où des personnes diffusent une parole qui est susceptible de servir de champ de décor à ces idéologies. Empêcher que ces mêmes personnes pensent que le cadre républicain n’est pas compatible avec telle ou telle pratique. On en revient donc à la laïcité, qui équivaut à vivre ensemble sous les mêmes lois. Donc on va utiliser cette loi dans ce qu’elle sait faire : interdire des comportements nuisibles à la société. Si ces mêmes comportements vous paraissent normaux, c’est que vous n’êtes pas fait pour vivre dans notre société. Si vous discutez aujourd’hui avec les responsables des réseaux associatifs, ils vous diront que tout ce que la loi propose est déjà en place. Dans cette optique, la loi n’apporte pas grand-chose. Mais elle modifie le code de la sécurité intérieure, pour éviter quelques dérives précises, qui relèvent pratiquement plus du terrorisme que de l’atteinte à la laïcité. s ont associé à ces activités associatives et culturelles, la dimension du culte de manière « accessoire ». Donc à l'origine, elles sont régies par la loi de 1901, qui relève de la liberté associative. À aucun moment ces associations ne sont prévues pour gérer et administrer des lieux de culte, et encore moins à les gérer sur le plan des relations avec la République. On a donc aujourd’hui dans la galaxie musulmane, des associations qui sont faites pour réunir des gens autour de cette religion, sous le couvert de bibliothèque ou d’associations sportives. Noémie Julien et Melissa Carra
  • 15. Décryptage de ce projet de loi Un projet de loi est un processus complexe à mettre en place. Entre les différentes lectures et son contenu, difficile de s’y retrouver. Avec l’aide de Nizar Ben Ayed, avocat au barreau de Nice, un décryptage juridique s’impose. Ce qu’il faut retenir pour comprendre ce projet de loi c’est que la loi de 1905 régit la séparation entre l’Église et l’État. Donc, il n’y a plus de financement public. En échange les cultes gèrent leurs biens et leurs financements eux-mêmes. Certaines choses vont changer : les écoles hors contrat devront obtenir une autorisation du ministère de l’Éducation pour pouvoir continuer d’enseigner. Contrairement à certains bruits de couloir, le projet de loi “confortant le respect de la République et de la lutte contre le séparatisme” ne remet pas en cause la loi de 1905 et ses principes. Il vise essentiellement à réactualiser le régime d’organisation des cultes. Tout comme il vient réformer l’organisation des associations, dans le but de les différentes. Une qui régit les associations et l’autre qui sépare l’Église de l’État. Il faut aussi s’attaquer à l’un des grands fléaux de notre époque : l’argent. Le projet prévoit une fermeture des associations via un retrait de leur autorisation, et des sanctions des personnes responsables, si un détournement de fonds est avéré. 15|DÉCRYPTAGE Au contraire, c’est le droit de l’État français de permettre aux enfants d’aller dans des associations sans être confronté à des personnes radicalisées. Il ne faut donc pas penser que la division est souhaitée, c’est même tout le contraire. Noémie Julien et Alexis Roux Ce que beaucoup de personnes oublient c’est que la différence est une richesse. Maître Nizar Ben Ayed se présente comme un immigré tunisien, il insiste sur l’importance d’avoir un mélange de cultures. Le Royaume-Uni en est l’exemple parfait. Ils respectent toutes les croyances et obédiences sans émettre de distinctions. La France doit prendre exemple. Photo de Nizar Ben Ayed, avocat au bureau de Nice, dans son bureau. © Noémie Julien protéger des personnes malveillantes. Il s’attaque aux associations pour deux raisons. Ces dernières sont sous le régime de deux lois différentes. Dans un certain nombre de cas, il est utilisé d’une mauvaise façon voire détourné de son but. Il s’attaque aux associations pour deux raisons. Ces dernières sont sous le régime de deux lois
  • 16. « Il faut une volonté d’appliquer les lois déjà existantes » Photo de l’abbé Jean-Philippe Asso, délégué diocésain aux relations avec les religions juives et musulmanes © Riposte Catholique Le projet de loi touche tous les cultes présents sur le territoire français. Jean-Philippe Asso est responsable diocésain des relations avec les ministres du culte musulman et juif. Sa mission est de faire prospérer la bonne entente entre ces trois religions au sein des Alpes-Maritimes. Avec évidemment un regard sur les associations. Il ne faut pas que la liberté d’association de 1901 soit considérablement détournée pour faire des structures cultuelles déguisées. Cependant, à travers la loi de 1901, les cultes exercent leurs activités sociales et caritatives. Actuellement, l’État, à travers les préfets, a tout à fait la capacité de contrôler les associations. Il y a déjà des contrôles financiers. Lorsqu’il y a des délits qui sont déjà caractérisés dans les lois républicaines, comme l’incitation à la haine raciale ou de la discrimination, tout cela peut être sanctionné. Cela fournit des motifs pour dissoudre ou suspendre le fonctionnement des associations. Il y a deux points de vue sur ce projet de loi. Une entreprise profondément républicaine, de lutte contre les séparatismes, est nécessaire. Mais que cela se traduise par ce projet de loi précisément, j’en doute. Pensez-vous que ce projet de loi est nécessaire ? Selon vous, ce renforcement de la laïcité serait une manière détournée de contrôler indirectement les religions ? Sur le principe de la laïcité, je suis favorable. La République ne reconnaît ni ne subventionne aucun culte. L’État garantit l’exercice de la liberté des cultes. J’estime que le corpus législatif est déjà suffisant pour défendre et promouvoir les principes républicains. Aller plus loin risquerait d’être une entrave à la liberté de cultes. 16| INTERVIEW Un contrôle des associations cultuelles est souhaité, est-ce selon vous une manière d’organiser le culte ? Ce projet de loi n’apporte donc rien selon vous ? Elle n’apporte pas grand-chose, si ce n’est des choses légitimes. C’est-à-dire renforcer la lutte contre la polygamie, l’excision, les mariages forcés. C’est tout à fait positif. Mais cela pourrait être dans le cadre des dispositions déjà prévues par la loi de 1905. En tant que responsable des relations avec les autres religions, est-ce que vous en discutez avec les imams et les rabbins ? Nous n’en avons pas discuté localement. Il faut noter notamment les positions du grand rabbin de France Haïm Korsia, qui est plus favorable dans la généralité que les Églises chrétiennes. Mais il note lui aussi des points de réserve.
  • 17. En tant que responsable des relations avec les autres religions, est-ce que vous en discutez avec les imams et les rabbins ? Nous n’en avons pas discuté localement. Il faut noter notamment les positions du grand rabbin de France Haïm Korsia, qui est plus favorable dans la généralité que les Églises chrétiennes. Mais il note lui aussi des points de réserve. Et je le dis très clairement, si une personne étrangère qui se dit catholique, juive, protestante, musulmane, qu’importe, à des comportements et des discours contraires aux principes républicains, il faut l'expulser tout de suite. Ce projet de loi, il ne réaffirme rien. C’est une batterie d’encadrement. Autrement dit, les principes républicains et la laïcité, sont déjà affirmés dans la Constitution et dans la loi de 1905. Qu’on les réaffirme sur des délits, oui. Mais pourquoi bâtir une autre loi. Êtes-vous favorable à ce que contient ce projet de loi ? Comme la formation des imams sur les questions de laïcité ? Le culte chrétien et le culte juif ont des instances de formation très claires et communes. L’islam c’est plus difficile. Pour le moment il n’y a pas de formation des imams qui soit repérable de manière homogène. Par défaut aussi de moyen : les imams sont des personnes bénévoles. Il me semble que c’est un enjeu important que dans cette formation des ministres du culte, il soit vérifiable par l’État, qu’il y ait une composante des connaissances de la laïcité et des lois, je dis oui. Que l’État lui-même mette en place des formations de ministres de culte, je dis non. Ce serait une ingérence. L’un des objectifs est d’essayer d’encadrer les imams, pour que ce ne soit plus des puissances étrangères qui les envoient en France, qu’en pensez-vous ? Il s’agit de veiller à ce que le culte ne soit pas piloté par des États étrangers. Quand une personne exerce la direction du culte dans notre pays, il faut bien qu’il y ait des contrôles. 17|INTERVIEW Pensez-vous qu’il est important de réaffirmer la laïcité de nos jours ? La laïcité est une norme dans la loi. Les normes incarnent les principes républicains. Aujourd’hui la laïcité est à promouvoir. Il faut plus de laïcité dans le cadre de la lettre et de l’esprit de la loi de 1905. Avec l’ambiance instaurée par les différents attentats, pensez-vous que vivre dans la fraternité est toujours possible ? La fraternité est un idéal. Dans l’humanité, elle ne sera jamais accomplie : de la violence il y en aura toujours tout comme de l’injustice. En revanche, la fraternité est à l’œuvre aujourd’hui. Pensez-vous que ce projet de loi peut menacer ou au contraire renforcer la liberté de culte ? Nous avons peur que ce projet de loi ne vienne limiter la liberté de culte. Au lieu de l’affirmer, on avance les contraintes de l'organisation du culte. Ce qui renverse l’objet et la lettre de la loi de 1905. Réaffirmer la laïcité ce n’est pas aussi réaffirmer les principes qui s’y rattachent ? Comment vous percevez le fait que le débat autour de ce projet de loi s’attache plus à la religion musulmane, qu'au catholique ou la juive ? Ce projet de loi s’adresse à tous les cultes. Cependant, je cite l’exposé des motifs, qui a un paragraphe entier sur l’islam. « Un entrisme communautarisme insidieux mais puissant gangrène lentement les fondements de notre société dans certains territoires. Cet entrisme est pour l’essentiel d’inspiration islamiste ». Dans l’exposé des motifs, le principal problème est de fait l’islamisme radical et politique. Je pense qu’il ne doit pas y avoir une loi qui fasse de distinction entre les religions. Selon vous, l’islamophobie existe-t-elle ? Au sein de l’État et de ses structures non. Mais il y a de l’islamophobie comme il y a de l’antisémitisme, ou de l’anti-christianisme. Les responsables du culte musulman savent qu’il n’y a pas d’islamophobie en France. Je pense qu’il y a peut-être un sentiment de focalisation sur eux mais qui n’est pas justifié. C’est pour ça qu’il faut lutter contre toute forme de discrimination au nom même des principes républicains d’égalité et de fraternité dans la liberté. Noémie Julien
  • 18. Ecole privée Jeanne de France : « Il faut se battre pour la laïcité » Inquiète par ce projet de loi, la confession catholique monte au créneau. Pourtant, au sein de l’école primaire Jeanne de France, on ne déplore pas l’arrivée de ce texte. Reportage dans cet établissement au travers de son directeur, Jean-Paul Matricon. « Cette loi est nécessaire. » Le ton est donné par Jean-Paul Matricon. Un avis pourtant de plus en plus rare au sein des communautés religieuses. Pourquoi ce texte ? Pour lui, les raisons sont simples et évidentes. D’un air confiant et sûr de lui, il s’explique : « Cette décision est tout à fait logique de la part de l’Etat. Il faut se battre contre toute forme d’intégrisme et l’Islamisme radical en est un. » Dans cette école, on estime que cette réforme est juste. Ce qui n’est pas forcément le cas ailleurs. Souvent il est reproché à ce projet de loi contre le séparatisme de ne pas viser la bonne cible. On accuse alors l'État de s’attaquer aux pratiquants plutôt qu’aux extrémistes. Mais le directeur de cette école maternelle et primaire vient calmer cette idée. « En tant qu’établissement privé sous-contrat nous ne risquons rien vis-à-vis de cette loi. C’est d’ailleurs la même chose pour les autres écoles privées, qu’elles soient de confession musulmane, juive ou chrétienne. Les autres directeurs n’ont pas à s’inquiéter. » C’est là tout l’enjeu et toute la complexité d’un tel texte. Comment garder le bon équilibre ? Pour Jean-Paul Matricon, la balance est pour l’instant bien équilibrée, même s’il émet quelques réserves. « L’État doit se charger de régler la laïcité et non la religion. Le culte c’est personnel, et cela doit le rester ». La laïcité, une notion à laquelle cet homme est profondément attaché. Pour justifier cela, il prend l’exemple de sa vie personnelle. « Je suis directeur d’un établissement catholique et mes petits-enfants sont de confession musulmane. Comme quoi les différentes religions peuvent cohabiter, j’en suis l’exemple parfait ». Une cohabitation qui n’est pourtant pas si simple à mettre en place. Pour cela il faut plusieurs paramètres que nous rappelle cet ancien universitaire : « L’État doit garantir la laïcité, c’est le garant de notre République. Tandis que de leur côté les communautés religieuses doivent s’entendre entre-elles ». Pedro Machado et Alexis Roux Bâtiment de l’école maternelle et élémentaire Institut Jeanne de France. Une loi qui doit respecter la laïcité 18|REPORTAGE
  • 19. On fait cette loi pour les mauvaises raisons. Il y a un problème islamiste en France, alors les gouvernants se sentent obligés de faire une loi. Le vrai problème c’est l’acceptation de cette religion. Mais cela reste utile car on a besoin de clarifier les financements et l’organisation des lieux de culte. a loi religieuse, lorsqu’on se revendique comme un citoyen français. Il faut aussi rendre les financements transparents, car il y a des détournements. Cela permettra à aux personnes de pratiquer leurs religions de façon décente. Le débat doit impérativement s’élargir, et ne pas se focaliser sur les musulmans. Il existe différents problèmes liés à ce projet de loi. Dès 1905, l’Islam ne fait pas partie du Concordat, donc il est soumis à cette loi par extension. Il y a également les vestiges du passé colonial. « Si j’étais encore député, je ne voterais pas pour cette loi » Au cours de son mandat, Emmanuel Macron a fait des déçus. Parmi eux, le maire du Puy-Sainte-Réparade, Jean-David Ciot. Cet élu du Parti socialiste avait voulu se rallier à l’actuel Président en 2017. Mais trois ans plus tard, il n’est plus tout à fait en accord avec le projet macroniste, notamment le dernier projet de loi. Que pensez-vous du projet de loi renforçant la laïcité et les principes républicains ? Quel est le problème avec ce projet de loi ? Le Gouvernement recule. Ils réaffirment les principes de la de 1905, sans lutter contre le terrorisme. On a déjà un arsenal pour. Ce projet de loi répond à un problème conjoncturel et non pas à un problème structurel, c’est du populisme. Le précepte est-il réellement nécessaire pour améliorer et contrôler la situation actuelle ? Il y a une vraie nécessité de rappeler la suprématie de la loi de la République sur Avez-vous le sentiment que le gouvernement d’Emmanuel Macron répond aux nombreux débats publics avec des propositions de loi ? J’ai ce sentiment avec cette loi particulièrement. Emmanuel Macron refait ce qu’on reprochait à Nicolas Sarkozy : des lois de circonstances. Faire cela abîme l’image de la politique, de la fonction. Êtes-vous en accord avec le contenu de ce projet de loi ? Si j’étais encore député, je ne voterais pas pour cette loi. Je suis d’accord avec la transparence des financements, le rappel des valeurs républicaines et tout ce qui se lie à la laïcité. Avec le débat qui en découle, ils laissent penser qu’ils vont empêcher la pratique du culte musulman. C’est impossible car la liberté du culte est dans notre Constitution. Quels sont les problèmes avec ce projet de loi ? Cela révèle-t-il un problème en France ? Notre pays et notre Gouvernement fabriquent des lois rigides. Ils fixent des limites et non pas nos libertés. Il faut surtout se demander si les symboles ostentatoires de religion empêchent les citoyens de participer au débat public. Dans le collège du Puy, si un professeur porte une croix ou un autre signe, est-ce-que ça l’empêche de bien enseigner à ses élèves ? Non. Pensez-vous qu’Emmanuel Macron opère un virage à droite, à l’horizon 2022 ? En 2017 lors de la présidentielle, Emmanuel Macron avait un discours très alléchant. Il se disait de droite et de gauche. Avec ce discours, il avait une volonté de rassemblement, pour faire bouger les lignes de la politique. Mais ce « slogan » s’est vite transformé en ni de droite ni de gauche. Je ne crois pas aux minorités éclairées qui débarquent et guident la population. Ça n’existe pas. Noémie Julien 19|INTERVIEW
  • 20. « Notre gouvernement devient extrémiste » Le Gouvernement fait face à un vent de contestation, qui dure depuis déjà plusieurs semaines. En cause l’article 24 porté par la loi sécurité globale. Mais ce samedi 12 décembre, elle n’est pas la seule à être au cœur du mouvement. Le groupe d’une cinquantaine de personnes a également manifesté contre le projet de loi renforçant la laïcité et les principes républicains. La place de l’Opéra à Toulon est noire de monde. Une cinquantaine de manifestants se mêlent les uns aux autres dans un brouhaha presque harmonieux. Entre les différentes banderoles et les discours, difficile de ne pas être pris en plein cœur du mouvement. D’ailleurs beaucoup de syndicats, partis politiques et associations sont présents. Attac, Génération S, Europe Écologie Les Verts, LFI, CGT, même les Gilets Jaunes de Bandol et Toulon. Tous sont de la partie pour « Défendre leurs droits ». Parmi la foule, Stéphane Magnoni, instituteur de 45 ans, l’annonce très clairement : il sera présent tous les samedis tant que ces deux projets de lois ne seront pas supprimés. Pour lui, la loi dite des séparatismes est une entrave à la laïcité. « Je pense qu’en 2020, c’est très grave que ce genre de loi soit en débat. J’ai désormais du mal à comprendre le pays des droits de l’Homme ». Il n’est pas le seul à penser de cette manière. Comme c’est le cas du membre de la CGT Magali Gérard qui s’immisce dans la discussion. Pour cette dernière, il est clair que « L’islamophobie est de plus en plus présente dans notre pays ». Un constat difficile, mais justifié selon elle par le dernier projet de loi du Gouvernement. Après chaque prise de parole, une flopée d’applaudissements fuse dans la foule. Un gilet jaune de Bandol prend alors la parole. Pour Jérémy Bonabelle, les motivations de nos gouvernants sont claires. « C’est avant tout un prétexte pour intervenir sur la législation du culte musulman dans la République ». « Lorsqu’un gouvernement va mal, il trouve un bouc émissaire » Un air est chantonné derrière les différents discours. Il est presque patriotique. « Même si Macron ne veut pas, on est là ! Macron destitution ! ». Un petit groupe de manifestants hurle même « Où sont les jeunes ? ». Juste après, c’est au tour de Thomas Brayard, la trentaine, de s’exprimer. Il ne fait partie d’aucun groupe mais son avis est bien tranché : il veut voir « La destitution de Gouvernement ». Ému, il avoue que pour lui sa liberté n’est plus. La voix enrouée, il poursuit « Je fais partie de la génération sacrifiée, celle qui a connu la misère ». Certains ricanent, preuve que les avis divergent. Les prises de paroles s’enchaînent jusqu’aux environs de 13h. Heure à laquelle Géraldine Brillant prend la parole et annonce les prochaines dates de manifestations. Elle avance « Tant que nous n’aurons pas la sensation d’être entendu, nous serons là, sur cette place. Et ce autant de temps qu’il faudra ». La foule applaudit avant de s’éparpiller dans les rues adjacentes. Un petit groupe persiste. En son centre, Hervé Fechino, membre de la CGT. Ce dernier affirme que le projet de loi dit des séparatismes est un véritable malaise pour le Français musulman. « Le Gouvernement ne sait plus différencier la foi et la pratique d’une religion, de la radicalisation ». Son collègue Nicolas Grilheres rejoint son propos. « Il n’y a rien de nouveau. Lorsqu’un gouvernement va mal, il trouve un bouc émissaire. Aujourd'hui en France, ce sont les musulmans ». Un avis qu’un grand nombre de personnes encore présentes partagent. Melissa Carra Photos des manifestants à Toulon le samedi 12 décembre 2020, sur la place de l'Opéra. © Mélissa Carra 20| REPORTAGE
  • 21. Décodage : séparatisme vs communautarisme Le séparatisme tel qu’il est employé depuis quelques mois n’est pas le même que lors des guerres de religion. Mais il ne faut pas confondre communautarisme et séparatisme religieux. Les deux sont liés mais opposés. Le premier est un groupe de personnes exilé mais relié par une même origine, sans dimension politique. Alors que le second en possède une. Ces deux termes concernent tout de même essentiellement des minorités. Dans le cas des musulmans, c’est avant tout la religion des colonisés. Il faut attendre les années 1920 pour que certains s’exilent sur le territoire français. Ils sont alors une véritable minorité. La loi de 1905 avait pour but d’en finir avec la domination de l’Église sur les autres religions. Aux yeux de la loi, elles sont devenues égalitaires. Socialement, c’est autre chose. À l’époque, l’Église était encore très majoritaire et présente dans la société. Actuellement, ce ne sont pas les politiques qui sont responsables du problème. Certains partis ont fait leurs terreaux sur une instrumentalisation de ces communautés. Mais ce n’est pas une généralité à étendre sur toute la classe politique. Le problème en France, c’est qu’il n’y a plus d’unité. Le pays se désagrège. L’historien Jean-François Sirinelli parle même du « syndrome de la banquise ». Les pans qui fondent notre pays se détachent progressivement. La nation n’a plus d’intérêt pour un grand nombre de personnes. Contrairement à ce que certains pensent, ce projet de loi ne révèle pas un racisme endémique enfoui en France. Il est important de rappeler que ce n’est pas un pays raciste, loin de là. Oui, il y a des racistes, c’est certain, mais ce n’est pas une généralité. Le problème, c’est le rapport à l’autre. Beaucoup de Français ont du mal à accepter la différence. En revanche, il est vrai que ce projet de loi attire les projecteurs. Malgré tout, ce n’est pas cette loi qui va réellement changer les choses. La loi de 1905 est encore valable. Il suffit de la lire pour qu’elle s’applique correctement. Il ne faut pas se forcer à faire des lois sans interruption, comme pour répondre à un problème. Mais il ne faut pas nier le problème. Si elle n’est pas assortie de mesures concrètes, elle ne luttera pas réellement contre les séparatismes. Depuis son apparition, sa substance a radicalement changé. Elle polarise inutilement le débat public. Mais c’est à nouveau une occasion de parler de l’islam. Ceux qui en parlent sur la scène nationale en parlent très mal. Ils ne savent pas faire la différence entre l’islamisme et l’islam. Pour les Français musulmans, le problème n’est pas un souci de fond, car les grands points du projet de loi sont justifiés, mais la forme n’est pas bonne. Noémie Julien et Melissa Carra Le débat public s’agite depuis des mois autour de deux termes : séparatisme et communautarisme. Pour bien comprendre ces expressions, il faut remonter dans le temps. Jérémy Guedj, auteur du livre « Les réalités du communautarisme religieux », déchiffre les problématiques du débat. 21|DÉCODAGE Jérémy Guedj lors de l'entretien via Zoom le 19 avril © Noémie Julien
  • 22. « Ils font de la communication pas de la politique » À la tête de la mairie de Marseille, se trouve Benoît Paya, porté par le Printemps marseillais. À l’origine de ce mouvement ralliant les différentes gauches marseillaises : Marc Rosmini, philosophe. Un de ses domaines de prédilection est la philosophie politique. Le problème c’est de savoir s’il y a urgence ou pas. Depuis quelques années, les hommes politiques ont tendance à répondre aux événements avec des lois. Il y a là une volonté de rassurer l’électorat. Mais on prend le risque d’avoir des lois précipitées. La loi fait office de réponse pour la société, ils font de la communication pas de la politique. Du point de vue de la philosophie politique, est-ce une bonne stratégie pour Emmanuel Macron ? projet de loi, il y a une véritable dimension électoraliste. Le Gouvernement n’a pas eu grand- chose à se mettre sous la dent. Alors il planche sur une laïcité identitaire. Suite aux récents évènements, présenter ce projet de loi n’est-il pas trop précipité ? Comment l’exécutif peut- il renforcer la laïcité ? La laïcité n’est compréhensible que si la vie en société suppose de lier la vie spirituelle. Quand on participe à la société, on éloigne nos intérêts religieux, pour ne penser qu’aux intérêts des citoyens. Mais actuellement beaucoup de personnes sont dépolitiser. Pour eux, il n’y a pas de réels liens entre ce qu’ils pensent et les lois. Il faut sensibiliser les jeunes à la vie politique. L’exécutif a-t-il raison de vouloir renforcer son droit de regard dans le domaine cultuel ? Au sens strict de la loi de 1905, l’Etat n’a pas à se mêler de l’organisation interne du culte. L’État français aurait plutôt intérêt à élever le niveau d’intégration des personnes immigrées. En donnant plus de moyens et de visibilité à un islam dit des lumières. Il faut se donner plus de moyens dans la compréhension des textes religieux. Souvent les personnes à tendance islamique ont une mauvaise lecture des textes sacrés. Emmanuel Macron a été élu en faisant croire qu’on pouvait être ni de droite ni de gauche, mais l’histoire montre que c’est impossible. La seule chose qu’il peut faire maintenant, c’est de séduire l’électorat de droite. D’abord avec son gouvernement : beaucoup de ministres en sont issus comme le ministre de l'Intérieur. Comment analysez-vous que cette loi stigmatise plus la religion musulmane que les autres religions ? Il est clair qu’on ne peut pas nier la réalité des attentats en France. Ils ont commis au nom de l’Islam. Avec ce Le débat sur ce projet de loi se concentre essentiellement autour de la communauté musulmane, est-ce que ça ne révèle pas un problème plus profond dans notre pays ? Le passé colonial n’est pas totalement digéré des deux côtés. L’Islam représente une religion de colonisés. De nos jours, c’est la religion dominante dans les quartiers pauvres. C’est aussi la plus récente en France. Les musulmans sont victimes d’une histoire coloniale et en face les personnes considèrent qu’ils ne sont pas complètement leurs égaux. Ces mêmes personnes sont dérangées par le port du voile mais pas d’entendre les cloches sonnées, pour eux c’est une tradition. Noémie Julien 22|INTERVIEW
  • 23. Quel traitement médiatique pour cette loi ? La loi contre le séparatisme vue par la communauté juive (ndlr : Conseil représentatif des institutions juives de France). Le message semble simple, oui il faut s’attaquer aux radicaux, mais ce n’est pas pour autant qu’il faut toucher à la liberté de culte. C’est aussi ce que pense Séverine Vial : « Il faut quand même que ce texte garde certaines limites, il ne faut pas nuire à la laïcité ». Nathaniel Zarka lui est plus farouchement opposé à certaines potentielles mesures du texte comme la restriction du port du voile qu’il : « Ne comprend pas ». Alexis Roux Dès sa présentation par le chef de l’Etat aux Mureaux le 2 octobre, cette loi subit de larges controverses. À peine le temps d’analyser le contenu du futur texte, que le débat bifurque autour de questions bien plus larges. Le principe de laïcité et la pratique du culte musulman en France deviennent les principaux sujets. Des sujets certes en lien étroit avec cette loi, mais on ne peut pas nier que ce projet soit, avant toute chose, un prétexte pour traiter ces vastes thèmes. La preuve en est lors du débat de Gérald Darmanin face à Marine Le Pen organisé sur France 2 le 11 février. Le projet de loi contre le séparatisme est au cœur de cette confrontation. Mais rapidement, la discussion s’élargit sur de plus vastes horizons. D’un questionnement autour d’une loi on se retrouve avec une controverse sur l’exercice de L’Islam dans le pays. Contrairement aux deux autres religions monothéistes, la communauté juive est restée silencieuse face à cette loi. Entre acceptation et inquiétude : regard sur la position de certains croyants. « Selon moi, cette loi devrait déjà être présente depuis plusieurs années », le message est clair. C’est celui de Séverine Vial, responsable de la librairie rattachée à l’association Habad Loubavitch de Nice. Un sentiment qui semble plus ou moins partagé par les autres croyants. Pour cause, les juifs sont restés plutôt silencieux durant ce processus législatif, en oppositionaux musulmans et aux chrétiens partis en croisade contre ce projet de loi. Mais comme pour l'ensemble des religions, les représentants du judaïsme se sont fait entendre face à la commission chargée d’analyser le texte à l’Assemblée nationale. Un avis unanime, tous craignent des restrictions dans la pratique religieuse, c’est ce que déclare le grand rabbin de France, qui craint des « dégâts collatéraux ». Pourtant, hors de cette rencontre il n’existe pas de prise de position dans les instances, ni de la part des consistoires, ni de la part du CRIF 23| REPORTAGE Photo prise dans une Betrabbad (ndlr : aassociation juive dédiée à la prière en dehors de la synagogue) du 16ème arrondissement de Paris © Nathaniel Zarka
  • 24. « Dans la Torah, la loi du Prince est supérieure aux lois religieuses » Il est évident qu’un projet de loi comme celui-ci concerne toutes les religions présentes en France. Chacune d‘elles apportent son lot de rites et de devoirs que chaque pratiquant se doit de suivre ou non à la lettre. Comme c’est le cas de Nathaniel Zarka, 20 ans et pour qui la pratique des enseignements inscrits dans la Torah est sacrée. Immersion dans son petit monde. Noémie Julien mais parfois il se fait traiter de sale juif et d’assassin ». Pour la famille Zarka, il y a un anti-sionisme déguisé par de l'antisémitisme en France. « C’est comme les musulmans qu’on assimile aux terroristes, pour nous c’est avec les pratiques d’Israël ». L’amalgame est partout. Bien qu’il ait la double nationalité française et israélienne, il ne comprend pas pourquoi cette haine existe envers son pays et contre sa religion. Certes, il est juif mais « Ce n’est pas pour autant que je ne cautionne les agissements d’Israël ». Il se frotte la barbe avant d’aborder de nouveau le projet de loi. « C’est débile » souffle-t-il. Dans la religion juive, les femmes portent aussi le voile « Même si c’est un foulard, c’est la même signification ». Pour les musulmanes, le voile permet aux femmes de se rapprocher de Dieu. Pour les juives c’est une façon de préserver leur beauté, qui passe par les cheveux, et de la réserver à Dieu et à leurs maris. « Je ne comprends pas pourquoi le voile suscite autant de débats, hormis l’intégrale, je n’en ai pas peur » affirme-t-il pour clore le débat. C’est sur un air de « Lomir Ale in Eynem » que Nathaniel Zarka se présente. La musique annonce le ton. Derrière lui, des dizaines de livres écrits en hébreu habillent les murs de sa chambre parisienne. Son prénom signifie « Dieu m’a donné », mais aux yeux de la religion il s’appelle Nissim ce qui signifie « Miracle ». Ces deux prénoms ne sont jamais utilisés ensemble. « À la synagogue on m’appelle Nissim, alors qu’à l’école on m’appelle Nathaniel », dit-il avec les yeux pétillants. Pour lui, la religion guide sa vie. « Cela fait longtemps que je n’ai pas mangé dans un restaurant qui n’était pas casher ». Les règles inscrites dans la Torah sont essentielles pour lui, même s’il ne les connaît pas toutes. « Il y en a des milliers, mais je respecte les fondamentales, c’est évident ». Par exemple, il n’a jamais loupé un seul Sabbat, et il n’a jamais mangé de lait en même temps que de la viande. « Si je bois du lait, je dois attendre 1h pour pouvoir manger n’importe quelle viande ensuite ». Mais ce n’est pas sa famille qui le pousse vers la religion. « J’avais « Ils veulent interdire le port du voile, je ne comprends pas pourquoi ». Nathaniel sort tous les jours accompagné de sa kippa « Parfois je la cache sous une casquette ou sous ma capuche ». En fonction de l’endroit, il n’est jamais sûr de tomber sur des personnes bienveillantes vis-à-vis de son signe religieux. Sa mère décrit bien la situation. « Mon fils sort avec sa kippa sans problème jusqu’à la synagogue, vraiment envie de la comprendre ». Depuis bientôt deux ans, en plus de sa classe préparatoire d’ingénieur, il étudie le Talmud - compilations d’enseignements entre différents rabbins de -2000 avant Jésus-Christ à l’an zéro - de 6h à 8h du matin. La religion juive occupe une place centrale dans sa vie. Malgré toutes les obligations que comporte son texte sacré, il se soumet comme tout Français aux mêmes obligations. « Dans la Torah il est écrit que la loi du Prince est supérieure aux lois religieuses ». Il remet ses bouclettes noires en place et il poursuit. « Les lois françaises s’appliquent à tous de la même façon, ce n’est pas parce que je suis juif que j’ai une dérogation ». Sa vie de tous les jours et sa vie religieuse se complètent. Quant au projet de loi porté par le Gouvernement, son regard change. Il marque une pause avant de répondre. Le jeune homme n’arrête pas de se toucher le nez. Il se lance enfin. « Si c’est pour lutter contre la radicalisation, je suis totalement d’accord ». Malgré tout, les nouvelles restrictions imposées par le Sénat l’interpellent. 24|PORTRAIT Extrait du Talmud © Nathaniel Zarka © Noémie Julien Photo de Nathaniel Zarka le 10 avril 2021