L'étude Fractures françaises analysée par Gérard Courtois, Gilles Finchelstei...
Yellow border mountains photo travel magazine
1.
2. 3 Leader
Portrait
8
Loi contre le séparatisme
5
Explication de la Loi
Reportage
9
A l’Institut niçois En-nour : le mal-être des pratiquants
18 Reportage
Ecole privée Jeanne de France : « Il faut se battre pour la laïcité »
Interview
16
« Il faut une volonté d’appliquer les lois déjà existantes »
20
« Si j’étais encore député, je ne voterais pas pour cette loi »
« C’est la République qui ne veut pas de moi »
19
Reportage
« Notre gouvernement devient extrémiste »
Interview
Sommaire
A V R I L 2 0 2 1
Édito
4
Interview
10
Reportage
11
Les associations cultuelles musulmanes face au projet de loi
Décryptage
15
Décryptage de ce projet de loi
Interview
12
« On serait tenté de finir la phrase en disant ils n’ont pas qu’à rester chez eux »
Interview
« L’Islam est à 100% compatible avec la République »
« Ils font de la communication pas de la politique »
22
21 Décodage
séparatisme vs communautarisme
Portrait
24
« Dans la Torah, la loi du Prince est supérieure aux lois religieuses »
Melissa Carra
Rédacteur en chef
Noémie Julien
Thomas Huvé
Alexis Roux
Pedro Machado
2| SOMMAIRE
Reportage
23
La loi contre le séparatisme vue par la commaunuaté juive
4. 7| LOI SÉPARATISME
Le projet de loi se veut fort et
marquant pour la fin du quinquennat
du Président de la République. Pour
certains hommes politiques, l’objectif
est clair. Selon Jean-David Ciot « Le
Gouvernement cherche à récupérer un
électorat réactionnaire perdu ». Mais il
n’est pas le seul à s’inquiéter d’un tel
texte de loi. Le 9 mars dernier, les
trois Églises du Cristianisme se sont
réunies dans une tribune publiée
dans le Figaro. L’objectif : dénoncer ce
projet de loi, « Contraignants et
remplies de contrôles ».
été avorté. L’association Milî Gorus,
qui porte le projet, s'est vu être
qualifiée de « Missile turque » par
Gérald Darmanin.
Après une nouvelle « provocation » de
la part de Charlie Hebdo, le monde
musulman se révolte contre la
France. En Turquie le problème se
révèle colossal. Lors de la signature
de la charte des imams, une partie de
la branche turque refuse de signer.
Plus récemment, le projet de la
mosquée Eyyub Sultan qui devait être
subventionné à hauteur de 2,5
millions d’euros par la mairie de
Strasbourg, a
Une pluie de critiques
Les points fort du projet
Bien que le projet suscite de
nombreuses critiques, le fond
demeure intéressant. La loi
comprend de nombreux points
concernant les femmes. L’interdiction
des certificats de virginité, ou encore
lutter contre l’excision. La volonté
d’appliquer le
Le « problème » Turc
droit français en termes d’héritage
successoral est primordial pour les
femmes. Elles sont nombreuses à se
retrouver prises de court lorsque les
droits, liés à l’héritage, sont appliqués
dans le pays d’origine de leurs pères,
maris ou frères. Permettre un droit
de regard sur les financements des
lieux de cultes et des associations
dédiées, est une façon de se battre
contre les ingérences de pays
étrangers. Comme c’est le cas de la
Turquie.
Le malaise des fidèles
Melissa Carra et Noémie Julien
Quant à eux, les musulmans français
essayent tant bien que mal de
prouver que « l’Islam est à 100%
compatible avec la République ». Ils se
disent « fatigué d’une vision caricaturée
de leur religion ». C’est le cas de
Romaïssa Bitam. Ils sont nombreux à
se sentir exclus du débat public.
L’idée d’éradiquer le terrorisme est
un objectif commun. Mahmoud
Benzamia soutient fermement que
« l’islam et la France partage les mêmes
valeurs : liberté, égalité, fraternité ».
Le parti ambidextre du Gouvernement
a une nouvelle fois gratté du terrain à
sa droite en proposant une loi
renforçant la laïcité et les principes
républicains. L’islam se retrouve encore
au coeur du débat.
Premièrement, il convient de séparer
l’islam, qui est une religion ; de
l’islamisme radical, qui est une
idéologie. Mettons-nous tous d’accord.
Par islamisme radical nous pensons à
des pratiques sociales qui prétendent
se baser sur une vision simple et non
transformée de la religion musulmane.
Un modèle de société profondément
contradictoire avec le nôtre. Au cours
de cette enquête, les musulmans le
disent et le répètent : l’islam est
compatible avec la République. La
majorité des fidèles ne considèrent pas
leur religion au-dessus des lois.
Deuxièmement, ceux qui proposent
cette loi sont ceux qui sont le plus
souvent accusés d’être les plus
séparés des autres. Les amalgames à
répétition contre l’islam font avaler un
package sécuritaire. La nation
française, meurtrie par les attentats,
est prête à se raccrocher au premier
venu se vantant d’avoir la solution.
Une solution qui n’est évidemment
pas simple.
Troisièmement, ce projet est souvent
qualifié de “loi fourre-tout”. En fin de
compte, d’après les débats entre nos
députés et sénateurs, ce texte
rassemble tout ce qui dérange cette
élite. Entre l’interdiction du port du
voile, des conditions plus drastiques
pour obtenir les allocations familiales
ou encore la restriction de l’école à la
maison…
Liberté, Égalité… Séparatisme
En conclusion, on ne comprend pas
réellement l’objectif réel. Avoir un
droit de regard sur les institutions
cultuelles françaises se transforme en
un contrôle des cultes. Pourquoi
interdire le voile, mais laisser la kippa
tranquille ? Tant de questions sans
réponses.
5. Le Gouvernement souhaite
renforcer les principes de laïcité et
de neutralité. Un projet sensible et
controversé qui vise à lutter contre «
l'islamisme radical » selon Jean
Castex. Une déclaration qui à sollicité
de nombreuses critiques de La
France insoumise.
Mais l’exécutif marche sur des oeufs
cassés et craint d'être accusé de
stigmatiser les musulmans. Présenté
le jour du 115e anniversaire de la loi
de 1905 sur la laïcité dans un
contexte particulier après les vives
critiques et manifestations à
l’étranger autour des caricatures de
Mahomet. Le texte comprend une
cinquantaine d'articles destinés à
combler les lacunes du projet.
Ce texte doit répondre à l’une des
principales préoccupations des
Français. Les grandes lignes du
projet de loi ont été annoncées par
Emmanuel Macron début octobre.
D'un attentat à l'autre, jusqu'à la
décapitation du professeur Samuel
Paty qui a conforté l’exécutif dans
l’accélération du processus.
Le projet de loi vise à lutter contre le séparatisme et couvre de nombreuses thématiques : Contrôle des
cultes, engagement des associations en faveur de la laïcité, restriction de l'éducation à domicile. Retour
sur le projet de loi visant à renforcer les principes républicains.
Loi Séparatisme : ce qu’il faut savoir
La loi permettra également un plus
grand contrôle sur la fonctions et les
finances des associations. Les plus
controversées, comme le CCIF ou
Baraka City, ayant déjà été dissoutes.
Elle s’attaque aussi à la loi sur la haine
en ligne et crée un « délit de pression
séparatiste » afin de protéger les
fonctionnaires victimes de violences.
Une autre des mesures phares est
d'étendre l'obligation de neutralité
aux salariés des entreprises qui
délèguent aux services publics
(comme les transports publics).
Les sénateurs resserrent
la vis
Le Sénat adopte ce lundi 12 avril le
projet de loi renforçant la laïcité et les
principes républicains, en première
lecture. Majoritairement de droite,
l’hémicycle reçoit de vives critiques de
la gauche. Les points qui posent
problème sont les mesures
supplémentaires ajoutées par les
Sénateurs : port du voile, « renforcer la
neutralité ». L’objectif de la droite est
clair : durcir le projet de loi. Les
sénateurs jugent ce texte « inefficace
».
Cette première lecture exacerbe les
clivages entre d'une part, les
communistes, écologistes et
socialistes. Et de l'autre, face à
l’alliance de droite et le
rassemblement national. L’union des
gauches condamne ces nouvelles
mesures qui entretiennent une
« suspicion généralisée » ciblant « les
musulmans ».
Limiter le port du voile
Un amendement visant à interdire le
port de signes religieux pour les
accompagnateurs de sorties scolaires
a été adopté contre l’avis du ministre
de l’Intérieur Gérald Darmanin.
L’interdiction du burkini dans les
piscines et le port du voile des
mineurs ont été votés. Les sénateurs
ajoutent à cela l’interdiction du port
des signes religieux ostensibles lors
d’événements ou compétitions
sportives organisées par les
fédérations et les associations avec
« l’interdiction de toute forme de
propagande et prosélytisme religieux ».
5| LOI SÉPARATISME
6. "De mise en danger de la vie d'autrui par
diffusion d'informations relatives à la vie
privée, familiale ou professionnelle d'une
personne permettant de l'identifier ou de le
localiser" Délit puni de 3 ans
d'emprisonnement et de 45 000€ d'amende.
Création d'un pôle spécialisé dans la lutte anti-
haine en ligne.
Limiter l'instruction à domicile sauf "pour des
motifs très limités tenant à la situation de
l'enfant ou à celle de sa famille." Attribuer " à
chaque enfant d'âge scolaire un identifiant
national permettant aux autorités académiques
de s'assurer qu'aucun enfant n'est privé de son
droit à l'instruction" Mieux encadrer les écoles
hors contrat.
Transition sur 4 ans avec formation des imams
en France. Les dons étrangers dépassant les 10
000 € seront soumis à un régime déclaratif de
ressources.
Les motifs de dissolution d'une association sont
élargis et toute demande de subvention fera l'objet
d'un "engagement de l'association à respecter les
principes et valeurs de la République" avec, en cas
d'entorse, une restitution des aides.
Le projet de loi contre le séparatisme en 6 points
Renommé projet de loi "confortant les principes
républicains"
ÉTENDRE L'OBLIGATION DE
NEUTRALITÉ
Aux salariés des entreprises délégataires de
service public (agents RATP, salariés
d'Aéroports de Paris...)
CRÉATION D'UN NOUVEAU DÉLIT
LIBÉRER L'ISLAM DE FRANCE DES INFLUENCES
ÉTRANGERES
FAVORISER LA DISSOLUTION
D'ASSOCIATIONS
INSTRUCTION OBLIGATOIRE À L'ÉCOLE DÉS
3 ANS
MEILLEURE COMPRÉHENSION DE
L'ISLAM
Enseigner davantage la langue arabe et
développer des études islamiques de haut
niveau à l'université
Le 18 mars, la présidente du syndicat
étudiant UNEF, en justifiant l’organisation
des réunions non mixtes dans les
universités, pousse le Sénat à voter une
disposition empêchant une association
de présenter une liste communautaire
aux élections. Il y a aussi la possibilité de
dissoudre celles qui excluent des
personnes en raison de leur origine ou de
leur couleur de peau.
Restriction à l’université Une condition aux allocations
« croyez-vous qu’on peut éduquer des
parents en les punissant ? ».
Vivement contesté, un amendement
prévoyant la suspension de versement
d’allocations familiales aux parents d’un
élève qui persiste à ne pas se rendre à
l’école à été ajouté. En réponse,
l’écologiste Esther Benbassa déclare :
6| LOI SÉPARATISME
7. Conseil
d'État
Donne son accord à la
réforme envisagée par le
gouvernement mais avec
quelque réserves
Gérald
Darmanin
Avance sur un projet de loi
visant à renforcer la laïcité
et conforter les principes
républicains
Dévoile les grandes lignes de
ce projet lors d'un discours
aux Mureaux, évoquant la
construction "d'un Islam des
Lumières", progressiste et
libéral
Emmanuel
Macron
Samuel
Paty
Après l'assassinat d'un
enseignant, le
gouvernement annonce un
enrichissement des
dispositions du projet de loi
Annonce que le projet de loi
contre les séparatismes sera
présenté à la rentrée
Marlène
Schiappa
Le projet de loi est présenté
au conseil des minitres
Conseil
des
ministres
Le Sénat dominé par
l'opposition de droite a
adopté en première
lecture, lundi 12 avril, le
projet de loi sur le
"séparatisme" après l'avoir
nettement durci.
Sénat
Le projet de loi est adopté
en premiere lecture par
347 voix pour, 151 voix
contre et 65 abstensions
Assemblée
Nationale
Loi "séparatisme" :
Où en est-on ?
26 juillet 2020
2 octobre 2020
6 octobre 2020
16 octobre 2020
7 Décembre 2020
9 Décembre 2020
16 février 2021
12 avril 2021
7| LOI SÉPARATISME
8. « C’est la République qui ne
veut pas de moi »
Depuis plusieurs mois, le mot « musulman » ne quitte pas les plateaux des chaînes d’information en continu. Malgré
l’engouement qu’ils suscitent, ils ne sont pas tous exprimés. Un silence que brise Romaïssa Bitam, 20 ans d’origine franco-
algérienne. Musulmane pratiquante, elle soutient partiellement les objectifs du Gouvernement.
C’est dans le jardin Alexandre 1er à
Toulon que se trouve Romaïssa
Bitam, surnommé Roma ou Maïssa
par ses amis. Elle se tient debout
proche d’un long rebord blanc qui
laisse des traces blanches sur son
pantalon gris. Quelques mèches de
sa chevelure rouge s’envolent avec la
brise de l’air marin.
Romaïssa habite Toulon depuis
bientôt dix ans. Là-bas, on dit d’elle
que c’est une jeune femme qui a
toujours été adulte comme si elle
avait sauté l’adolescence. Issue d’une
fratrie de quatre enfants, il a fallu
grandir rapidement. Pour son père, il
n’y a pas de doute « C’est ma fille
préférée, j’en ai qu’une ». Dès son plus
jeune âge Roma apprend l’Islam avec
son père et sa grand-mère. « C’était
comme une seconde mère pour moi ».
Pour elle, rien n’est plus important
que sa relation avec Dieu, surtout
depuis le décès de Samira Bitam, sa
mamie. « J’étais dans la pire période de
ma vie ». Pour surmonter le deuil, elle
se rapproche de sa religion. Elle
passe de longs moments à lire le
Coran.
Melissa Carra
Le sourire aux lèvres, la jeune femme
répète pour la seconde fois qu’elle a
une place à trouver dans la société.
Les cheveux bordeaux, un visage
maquillé et le nez percé, elle suscite
quelques critiques parmi ses
connaissances musulmanes. « J’ai
envie de dire que j’ai le droit d’avoir les
cheveux rouges et un piercing, comme
j’ai le droit de porter le voile et de lire le
Coran tous les jours si ça me chante ».
Concernant les débats autour du
projet de loi qui agite les hommes
politiques, Roma s’étonne de
l’engouement, surtout en temps de
pandémie. « J’en ai marre de cette
vision caricaturée de ma religion ».
Pour elle, L’islam et la République
sont « Tout à fait compatibles ». Jamais
elle n’a fait passer une règle inscrite
dans la Sunna au détriment d’une loi
française. Dans la pratique de l’Islam,
la fraternité est un pilier, comme
dans les valeurs républicaines. Elle
est consciente de l’objectif de cette
loi. « Je soutiens l’idée de lutter contre le
terrorisme, mais il ne faut pas se
tromper entre le simple musulman
pratiquant et le terroriste ». Malgré
tout, elle reste inquiète. Avec un tel
projet de loi, elle se dit qu’à terme «
C’est la République qui ne veut pas de
moi ».
La jeune étudiante est pleine de
projets. À la rentrée, elle compte
poursuivre son cursus universitaire à
Nice. Du côté de sa vie religieuse, elle
commencera à porter le voile. « C’est
un nouveau départ pour moi ».
Malgré tout, elle appréhende
beaucoup le regard des autres « C’est
une ville que je ne connais pas ». Elle
craint aussi les critiques de la part de
ses proches. « Ceux qui ne
comprennent pas comment fonctionne
l’Islam, ne se renseignent pas vraiment.
Par conséquent, ils ne peuvent pas
entendre que je veuille porter le voile ».
Avec fierté, Maïssa raconte qu’elle n’a
jamais été poussée à porter le hijab.
Dans sa famille, les femmes qui ne
souhaitent pas le porter ne seront
jamais jugées. « Chacun à sa propre
relation avec Allah. Je crois que celui qui
juge serait encore plus dans le péché
que celle qui ne le porte pas ».
8| PORTRAIT
10. Mahmoud Benzamia : « L’islam est à
100% compatible avec la République»
Autour du vaste débat sur le projet de loi confortant le respect des principes de la République, cet imam de l’institut En-
Nour à Nice, vient apporter sa vision des choses. Pour lui, ce texte ne touche pas la bonne cible.
A la fois recteur, imam et vice-
président du Comité d’Imams des
Alpes-Maritimes, ce natif d’Algérie
est devenu l’une des figures
majeures de l’Islam dans le
département. Profondément
attaché à la lutte contre le
radicalisme, cet ancien professeur
de technologie se sert de son rôle
pour combattre ceux qu’il appelle
les « fanatiques ».
Ce que je me demande c’est
pourquoi ces lois supplémentaires ?
Il en existe déjà afin de garantir le
principe de laïcité. D’autant plus
que l'Etat admet que la grande
majorité des musulmans sont
pacifiques, c’est une statistique. Les
musulmans ne sont pas pris en
otage par les fanatiques. Si cette loi
vise cette minorité, alors pourquoi
généraliser tous les musulmans.
Que pensez-vous de ce projet de
loi ?
C’est le risque majeur oui. Selon
moi cela va renforcer les préjugés
sur l’Islam et surtout les gens vont
croire que le problème de la
radicalisation vient des mosquées,
ce qui n’est pas le cas.
Ce texte peut-il renforcer
l’islamophobie ?
C’est une petite victoire, car ce
terme ne reflète absolument pas la
réalité. Cette petite minorité qui
crée les problèmes n’est pas un
phénomène de grande ampleur, il
s’agit de petits groupes que l’on ne
voit pas réellement et qui ne
représentent rien.
Est-ce une victoire pour vous
que le terme séparatisme ait
été supprimé de l’intitulé ?
Comme je l’ai dit précédemment, la
difficulté c’est que le radicalisme et le
terrorisme ne grandit pas dans les
mosquées. Ces gens ne sont pas
connectés à ces lieux. Le champ de
bataille devrait plutôt se déplacer
vers Internet, dans les quartiers, dans
les milieux du banditisme, car c’est là
que se développe cette pensée
Quelle serait selon vous la
manière la plus efficace pour
endiguer l’islamisme radical ?
Evidemment, nous ne voulons pas
que l’Etat s’immisce dans le culte.
C’est la même chose pour toutes les
religions, les Chrétiens et les Juifs
eux-aussi ne sont pas d’accord et
s’inquiètent. Ce sont des paroles et
des lois comme celles-là qui peuvent
remettre en cause le principe de
séparation des Eglises et de l’Etat.
Lorsqu’il a présenté le projet,
Emmanuel Macron a déclaré
vouloir « structurer l’islam », cela
vous inquiète-t-il ?
Comme je l’ai dit précédemment, la
difficulté c’est que le radicalisme et le
terrorisme ne grandit pas dans les
mosquées. Ces gens ne sont pas
connectés à ces lieux. Le champ de
bataille devrait plutôt se déplacer
vers Internet, dans les quartiers, dans
les milieux du banditisme, car c’est là
que se développe cette pensée.
Quelle serait selon la manière la
plus efficace pour endiguer
l’islamisme radical ?
Êtes-vous prêt, en tant qu’imam,
à mettre les règles de la
République devant celles de la
Sunnah ?
L’Islam est une religion très
malléable. La pratique n’est pas
stricte, bien sûr si quelqu’un veut la
pratiquer de manière très
rigoureuse, libre à lui, mais il y a
toujours des limites. Il existe des
facilités, par exemple quelqu’un qui
n’arrive pas à jeûner pendant le
Ramadan, il peut rompre. De la
même manière si quelqu’un ne peut
pas prier car il doit travailler, il
s’adapte, il ne va pas transgresser les
règles de son entreprise pour sa
religion. L’Islam correspond à la
République et partage les mêmes
valeurs : liberté, égalité, fraternité.
10| INTERVIEW
Mélissa Carra et Alexis Roux
11. À l’intérieur de l’association SPF Liberté
Égalité Paix dans le troisième
arrondissement de Marseille,
l’ambiance est calme, limite
apaisante. Une fois le thème du
projet de loi abordé, l'atmosphère
change radicalement. Pour le
responsable de l’établissement, Salim
Hacene Blidi
« C’est encore une loi de plus en rapport
avec l’islam rien de plus ». Le
responsable de la mosquée se
demande bien à quoi va servir cette
nouvelle loi. Pour lui, l’État a mal fait
les choses avec ce projet de loi. Il
ajoute d’un ton ferme « Ils devraient
venir dans les mosquées un peu partout
en France pour discuter avec nous,
plutôt que de rester sur Paris ». Dans sa
mosquée il ne parle pas politique
avec ses fidèles car il estime que ça
n’a pas sa place dans ce lieu. Il
préfère prêcher le bon
comportement et pousser ses fidèles
à s’intégrer. « Je leur répète souvent
qu’ici nous sommes en France, dans un
État laïc et pas dans un pays arabe. Il y
a donc des règles à respecter ».
11|REPORTAGE
avoue que « Ça fait des années qu’on
demande cette formation. Personnellement
je la trouve utile et c’est une bonne chose de
l’imposer ». Le but de cette formation
dédiée aux imams est de leur permettre
d’en apprendre plus sur la laïcité et les
principes républicains. Mais pas
seulement. L’histoire politique française
est aussi abordée. « Cette formation nous
permet aussi de rappeler dans nos prêches
qu’il faut respecter les lois françaises et ce
qu’est la laïcité ». Dans les faits, cet
apprentissage à destination des imams
existe depuis 1990. C’est à l’Institut des
Sciences Humaines que ça se passe.
L’imam de l’Institut Rattil l’a déjà faite. «
On nous apprend, comment répondre aux
questions des fidèles, expliquer ce qu’est la
laïcité ». De son côté, Abderrazak Hosni, à
la tête de l’organisme Cannesavoir,
s'inscrit à l’université de Nice. » Je veux
approfondir mes connaissances sur ce
projet de loi, pour pouvoir comprendre et
l'expliquer à mon tour ». Ces formations à
la faculté et l’intermédiaire du projet de
loi lui permettent de « Bien comprendre
la société française ». Mais les imams
niçois et marseillais se rejoignent sur un
point : « C’est juste une loi de plus, rien
d’autre ».
Les associations cultuelles
musulmanes face au projet de loi
Ce projet de loi s’attaque à de nombreux éléments qui constituent la pratique de la religion, dont le régime
des associations. Certaines associations cultuelles sont sous le couvert de la loi de 1901, alors que d’autres
sous celles de 1905. Parmi les associations cultuelles visées, les musulmanes se retrouvent au cœur de
nombreux débats.
« Ça fait des années qu’on
demande cette formation"
problème ce n’est pas la communauté
musulmane. « La radicalisation est
dans toutes les communautés ». Le
soucis principal c’est « Les sans-papiers,
les personnes livrées à elles-mêmes ».
Pour l’imam marseillais, impossible de
parler d’intégration avec eux. « Si
quelqu’un leur dit que la France n’aime
pas le prophète, ils sont capables du pire.
Ils sont perdus ». Pour appuyer ses
propos il aborde l’assassinat de
Samuel Paty « par un Tchétchène » et
l’attaque des deux journalistes à la
hache « par un Pakistanais ». Le recteur
de la mosquée poursuit. « J’avais lancé
un appel au Gouvernement, en leur
disant qu’il fallait reconduire les sans-
papiers chez eux. Après je ne suis pas
raciste, je suis Algérien, mais c’est sûr à
200% que l’État ne leur fera pas les
papiers ». Du côté de l’Institut Rattil, le
ton est plus calme. Pour Jalel Karmous
« Le problème commence à l’école ».
Selon ce dernier, si le Gouvernement
veut une mesure qui soit efficace
durablement, le mieux est de passer
par les écoles en : « Éduquant bien les
enfants sur ces questions qui font
débat ». Pour lui : « S’ils sont bien
éduqués de l’école jusqu’au lycée, les
générations suivantes n’auront pas de
problème ».
Noémie Julien
« Le problème commence
à l'école »
Du côté de Nice, le responsable de
l’Institut Rattil rejoint l’imam marseillais.
Pour Jalel Karmous « Ce projet de loi ne va
pas changer grand chose ». Néanmoins, il
a
Entre Marseille et Nice, l’ambiance n’est
pas la même. Pour Salim Ahcene Blidi le
12. « On serait tenté de finir la phrase par
: ils n’ont qu’à rester chez eux »
L’intitulé du projet de loi aborde directement les questions de laïcité. Marc Guidoni est un expert du sujet. Il
fait partie du Plan Valeurs de la République et Laïcité. Cet universitaire est intervenu auprès des sénateurs
sur ces questions-là.
Ce plan fait partie des mesures
décidées en 2015, par le comité
interministérielle égalité citoyenneté
après les attentats de Charlie Hebdo.
Une cinquantaine de mesures ont été
prises, dont cette idée de former à la
laïcité les acteurs de terrain, qui sont
en contact avec la population. Ça
comprend les agents de la fonction
publique et les acteurs du monde
associatif. L’idée était de créer pour
l’ensemble de ces personnes une
culture commune de la laïcité,
comme un vecteur de diffusion des
valeurs de la République. S’il y peut y
avoir un slogan ce serait « mieux on
applique la laïcité, mieux on permet
aux personnes de vivre selon les
valeurs de la République ».
Cette loi constate qu’un certain nombre
de personnes en France vivent les uns à
côté des autres, et ont envie de se
retrouver par petits groupes, par
communauté. Ils veulent vivre et
partager des choses avec des
Ce projet de loi va-t-il
permettre de réellement
réaffirmer la laïcité ?
Ce n’est pas important de la
réaffirmer, c’est capital. Si on ne la
réaffirme pas sans cesse, et si on ne
donne pas aux gens le goût de ces
fondations, le projet républicain ne
pourra pas être compris et ne
suscitera aucun intérêt. Et ce projet
sert à bâtir ensemble un monde plus
juste.
Le précepte permet-il de
lutter efficacement contre
les atteintes à la laïcité ?
12| INTERVIEW
personnes qu’ils décrivent et
reconnaissent comme leurs
semblables. Or, le projet de la
République c’est que du moment où
l’on croit profondément que les droits
de l’Homme, l’idée française de la
liberté vaut la peine d’être mise en
œuvre, à ce moment-là, nous
sommes Français. La force du
message c’est ça.
Ce projet de loi est là pour dire à ces
personnes « vous faites fausse route,
on ne dit pas que vous avez tort sur
le fond. Ce sont vos croyances et la
République s’interdit de les juger.
Mais par contre ces croyances, ces
convictions, tout ce qui vous anime,
ça ne doit pas vous interdire de
contribuer au projet Républicain, et
ça ne vous donne pas le droit de dire
que cette dernière n’est pas bien ».
L'Église catholique a-t-
elle raison de penser
que ce projet de loi n’est
pas en faveur de la
laïcité?
Le fait que soit sans cesse réaffirmer la
liberté de croire ou non, et la liberté de
manifester ses opinions, sont de réels
avantages. La meilleure démonstration
de cette compréhension, ce sont les
écoles catholiques sous contrat. Mais ils
préfèrent le mode actuel très libre,
plutôt que celui du projet de loi qui les
restreint un peu.
Qu’est-ce que le plan
valeurs de la République
et laïcité ?
Ils ont le droit de dire que la
République c’est nul, mais on serait
tenté de finir la phrase en disant « ils
n’ont pas qu’à rester chez eux ». Et
l’enjeu est là : la vie républicaine vaut
la peine d’être vécue.
Ce projet ne risque-t-il
pas de se transformer en
un contrôle des religions
?
Ce projet de loi porte une tentation
concordataire, qui laisse penser que les
religions ne fonctionnent que si l’État les
contrôle. Il y a quand même une volonté
d’organiser, de manière nouvelle, toutes
les religions présentent en France. Avec
comme objectif d’organiser l’islam et de
comprendre comment il fonctionne.
L’Assemblée Nationale a
voté un article interdisant
les certificats qui attestent
de la virginité, pensez-
vous que c’est une des
seules dérives ?
13. 13|INTERVIEW
Je ne dis pas que ça n’existe pas, mais
je n’y crois pas. C’est un montage
intellectuel pervers. Maintenant, je
peux vous témoigner que le racisme
anti-maghrébin est monumental.
Aujourd’hui, les gens disent
musulmans au lieu de dire arabe.
Donc du racisme il y en a, mais ce
n’est pas de l’islamophobie au sens
où le problème ne vient pas des
musulmans. La confusion entre la «
musulmanie » et le Maghreb, est
nette sur les bords de la
Méditerranée. Avec la peur qu’ont
installée les attentats dans le cœur
des gens, le musulman incarne cet
autre dont on a peur. Quand vous
vous baladez dans la rue, les gens qui
sont autour de vous, vous ne savez
pas s’ils sont musulmans.
Les diversités culturelles
présentent en France
sont-elles en danger ?
Sauf si on considère que l’interdiction
faite à des médecins de signer des
certificats de virginité porte atteinte à
une expression culturelle, je ne pense
pas. Il y a d’autres enjeux. Par exemple,
ils ont voulu interdire aux personnes
mineures de porter des signes religieux.
L’objectif est d’éviter aux familles de
mettre la pression aux jeunes filles de
porter le voile. La réalité, c’est qu’ils
n’ont pas vu venir les scouts
catholiques. Sur leurs uniformes ils ont
une croix. Or, le premier mouvement de
jeunesse en France ce sont les scouts
équipe de France. Donc si on interdit
aux mineurs de porter des signes
religieux, les scouts ne peuvent plus
avoir leur petit insigne. C’est là que ça
nous échappe.
La liberté de culte, et
notamment de l'islam est-
elle menacée ?
Si ce projet de loi renforce la laïcité,
il renforce la liberté de culte. Le «
problème » avec les pratiques
culturelles musulmanes, c’est qu’on
s’aperçoit que certaines d’entre
elles, les minoritaires, font débat. Le
culte musulman ne se détache pas
de la vie en général.
C’est dans le cadre de ce débat que
les parlementaires veulent interdire
aux médecins de signer ce type de
certificat, avec même une sanction
pénale pour ceux qui les établissent.
Mais ce problème rejoint d’autres
pratiques similaires. Comme l’aspect
scolaire. Depuis 2020, l’âge de début
de scolarisation obligatoire est de 3
ans. Avant, la suspicion adressée à
certaines communautés était de
mettre in extremis leurs enfants de 6
ans à l’école. Cela permet donc à
l’enfant une fois à l’école d’être solide
et camper sur ces positions pour ne
pas être sensible au discours tenu
par l’école de la République. Donc
cette instruction obligatoire dès 3 ans
impose aux familles d’apporter la
preuve que leurs enfants suivent une
instruction, même s’ils sont scolarisés
à la maison.
Certains musulmans ont-
ils raison de penser que ce
texte renforce
l'islamophobie ?
La grande majorité des musulmans
qui vivent en France, n'a aucun lien
avec les fanatiques. Ce projet de loi
sanctionne des comportements
aujourd’hui considérés comme des
dérives. Est-ce que ça les protège ou
est-ce que ça les met en danger ?
C’est une vraie question. Ça les
protège un peu contre eux-mêmes,
des tentations symboliques.Mais ça
peut les mettre en danger face à des
personnes qui ont des discours qui
échappent aux radars du contrôle et
qui vont les chercher sur d’autres
sujets. Comme en disant
Pensez-vous que le projet
protège les musulmans
face à l’islamisme radical
?
« regardes, tu vois ça fait des années
qu’on te le dit que cette République
elle est mauvaise pour des gens
comme nous. Et tu vois bien qu’avec
des lois comme celle-là, c’est vraiment
nous la cible. Nous tous. On dit que
c’est contre les fondamentalistes mais
tu vois bien que c’est contre des
choses qui sont marquées au fond de
notre cœur depuis la nuit des temps.
Et c’est ça qu’on veut t’empêcher de
vivre ».
Noémie Julien et Melissa Carra
QU'EST-CE
QUE LA
LAÏCITÉ?
« La République assure la liberté
de conscience » et « le libre
exercice des cultes sous les
seuls restrictions édictées (…)
dans l’intérêts de l’ordre public
». « La République ne reconnait,
ne salarie ni ne subventionne
aucun culte ».
La loi de 1905
Jean-David Ciot
« C’est de laisser à nos
concitoyens la liberté de
croire ou de ne pas croire en
une religion.»
Conception et organisation de
la société fondée sur la
séparation de l'Église et de
l'État et qui exclut les
Églises de l'exercice de tout
pouvoir politique ou
administratif, et, en
particulier, de l'organisation
de l'enseignement.
Larousse
« Elle s'applique en fonction
de la loi de 1905.Cette norme
républicaine permet à chaque
citoyens de choisir sa
religion.»
Marc Rosmini
Ce n’est pas une opinion parmi
d’autres, mais la liberté d’en
avoir une. Elle n’est pas une
conviction, mais le principe qui
les autorise toutes, sous réserve
du respect de l’ordre public.
Plan Valeurs de la
République et laïcité
« C'est un condensé qui permet de
vivre ensemble. Ce n’est pas une
valeur, et ça ne l’a jamais été et
ça ne doit pas l’être. C’est l’un
des piliers juridiques de la
République française.»
rebuild
Marc Guidoni
« C'est une norme dans la loi
qui permet concrètement la
liberté, l’égalité et la
fraternité. Les normes
incarnent les principes
républicains.»
Jean-Philippe Asso
14. 14| INTERVIEW
Quelles sont les raisons qui poussent le
Gouvernement à proposer cette loi ?
Comprenez-vous que certains
musulmans pense que ce projet de loi
ne servira pas à grand chose ?
Il est donc important de réguler
ces mêmes associations ?
Sur le plan des musulmans, et notamment de la posture
des imams, il y a toute une partie de la loi qui concerne
justement l’organisation des cultes en France.
Ce que réalise la loi de 1905, c’est la privatisation des
cultes qui étaient organisés par l’Etat. À aucun moment
le culte musulman, qui est déjà connu car c’est celui des
colonies, ne s’intègre dans cette loi. Donc en pratique, ce
culte s’est organisé autour de communauté culturelle,
au moment des grandes vagues de migration. Des
personnes se sont donc réunies dans des villes autour
de l’islam certes, mais autour de la culture du pays
d’origine, comme les Turcs ou les Algériens. Et ils ont
organisé des associations qui relèvent de leurs cultures
Le principe de cette loi, c’est quand même de lutter
contre la radicalisation. Il y a des comportements qui
sont identifiés dans les circuits de la République comme
étant en rupture. C’est un comportement qui laisse
penser qu’une personne est sensible à des idéologies
qui ont comme ambition de détruire notre pays. On est
sur la théorie de l’escalade : il y a des petits
comportements puis des gros, jusqu’à parfois l’acte
terroriste. Dans ce cadre, la loi a deux objectifs.
Renforcer le contrôle des lieux où des personnes
diffusent une parole qui est susceptible de servir de
champ de décor à ces idéologies. Empêcher que ces
mêmes personnes pensent que le cadre républicain
n’est pas compatible avec telle ou telle pratique. On en
revient donc à la laïcité, qui équivaut à vivre ensemble
sous les mêmes lois. Donc on va utiliser cette loi dans ce
qu’elle sait faire : interdire des comportements nuisibles
à la société. Si ces mêmes comportements vous
paraissent normaux, c’est que vous n’êtes pas fait pour
vivre dans notre société.
Si vous discutez aujourd’hui avec les responsables des
réseaux associatifs, ils vous diront que tout ce que la loi
propose est déjà en place. Dans cette optique, la loi
n’apporte pas grand-chose. Mais elle modifie le code de
la sécurité intérieure, pour éviter quelques dérives
précises, qui relèvent pratiquement plus du terrorisme
que de l’atteinte à la laïcité.
s ont associé à ces activités associatives et culturelles, la
dimension du culte de manière « accessoire ». Donc à
l'origine, elles sont régies par la loi de 1901, qui relève
de la liberté associative. À aucun moment ces
associations ne sont prévues pour gérer et administrer
des lieux de culte, et encore moins à les gérer sur le
plan des relations avec la République. On a donc
aujourd’hui dans la galaxie musulmane, des associations
qui sont faites pour réunir des gens autour de cette
religion, sous le couvert de bibliothèque ou
d’associations sportives.
Noémie Julien et Melissa Carra
17. En tant que responsable
des relations avec les
autres religions, est-ce
que vous en discutez avec
les imams et les rabbins ?
Nous n’en avons pas discuté
localement. Il faut noter notamment
les positions du grand rabbin de
France Haïm Korsia, qui est plus
favorable dans la généralité que les
Églises chrétiennes. Mais il note lui
aussi des points de réserve.
Et je le dis très clairement, si une
personne étrangère qui se dit
catholique, juive, protestante,
musulmane, qu’importe, à des
comportements et des discours
contraires aux principes républicains, il
faut l'expulser tout de suite.
Ce projet de loi, il ne réaffirme rien.
C’est une batterie d’encadrement.
Autrement dit, les principes
républicains et la laïcité, sont déjà
affirmés dans la Constitution et dans
la loi de 1905. Qu’on les réaffirme sur
des délits, oui. Mais pourquoi bâtir
une autre loi.
Êtes-vous favorable à ce
que contient ce projet de
loi ? Comme la formation
des imams sur les
questions de laïcité ?
Le culte chrétien et le culte juif ont des
instances de formation très claires et
communes. L’islam c’est plus difficile.
Pour le moment il n’y a pas de formation
des imams qui soit repérable de
manière homogène. Par défaut aussi de
moyen : les imams sont des personnes
bénévoles. Il me semble que c’est un
enjeu important que dans cette
formation des ministres du culte, il soit
vérifiable par l’État, qu’il y ait une
composante des connaissances de la
laïcité et des lois, je dis oui. Que l’État
lui-même mette en place des formations
de ministres de culte, je dis non. Ce
serait une ingérence.
L’un des objectifs est
d’essayer d’encadrer les
imams, pour que ce ne
soit plus des puissances
étrangères qui les
envoient en France, qu’en
pensez-vous ?
Il s’agit de veiller à ce que le culte ne soit
pas piloté par des États étrangers.
Quand une personne exerce la direction
du culte dans notre pays, il faut bien
qu’il y ait des contrôles.
17|INTERVIEW
Pensez-vous qu’il est
important de réaffirmer
la laïcité de nos jours ?
La laïcité est une norme dans la loi. Les
normes incarnent les principes
républicains. Aujourd’hui la laïcité est à
promouvoir. Il faut plus de laïcité dans le
cadre de la lettre et de l’esprit de la loi
de 1905.
Avec l’ambiance instaurée
par les différents
attentats, pensez-vous que
vivre dans la fraternité est
toujours possible ?
La fraternité est un idéal. Dans
l’humanité, elle ne sera jamais
accomplie : de la violence il y en aura
toujours tout comme de l’injustice. En
revanche, la fraternité est à l’œuvre
aujourd’hui.
Pensez-vous que ce projet
de loi peut menacer ou au
contraire renforcer la
liberté de culte ?
Nous avons peur que ce projet de loi ne
vienne limiter la liberté de culte. Au lieu
de l’affirmer, on avance les contraintes
de l'organisation du culte. Ce qui
renverse l’objet et la lettre de la loi de
1905.
Réaffirmer la laïcité ce
n’est pas aussi réaffirmer
les principes qui s’y
rattachent ?
Comment vous percevez
le fait que le débat autour
de ce projet de loi
s’attache plus à la religion
musulmane, qu'au
catholique ou la juive ?
Ce projet de loi s’adresse à tous les
cultes. Cependant, je cite l’exposé des
motifs, qui a un paragraphe entier sur
l’islam. « Un entrisme
communautarisme insidieux mais
puissant gangrène lentement les
fondements de notre société dans
certains territoires. Cet entrisme est
pour l’essentiel d’inspiration islamiste
». Dans l’exposé des motifs, le
principal problème est de fait
l’islamisme radical et politique. Je
pense qu’il ne doit pas y avoir une loi
qui fasse de distinction entre les
religions.
Selon vous, l’islamophobie
existe-t-elle ?
Au sein de l’État et de ses structures
non. Mais il y a de l’islamophobie
comme il y a de l’antisémitisme, ou de
l’anti-christianisme. Les responsables
du culte musulman savent qu’il n’y a
pas d’islamophobie en France. Je
pense qu’il y a peut-être un sentiment
de focalisation sur eux mais qui n’est
pas justifié. C’est pour ça qu’il faut
lutter contre toute forme de
discrimination au nom même des
principes républicains d’égalité et de
fraternité dans la liberté.
Noémie Julien
18. Ecole privée Jeanne de France : « Il
faut se battre pour la laïcité »
Inquiète par ce projet de loi, la confession catholique monte au créneau. Pourtant, au sein de l’école primaire
Jeanne de France, on ne déplore pas l’arrivée de ce texte. Reportage dans cet établissement au travers de son
directeur, Jean-Paul Matricon.
« Cette loi est nécessaire. » Le ton est donné par Jean-Paul
Matricon. Un avis pourtant de plus en plus rare au sein des
communautés religieuses. Pourquoi ce texte ? Pour lui, les
raisons sont simples et évidentes. D’un air confiant et sûr
de lui, il s’explique : « Cette décision est tout à fait logique de
la part de l’Etat. Il faut se battre contre toute forme d’intégrisme
et l’Islamisme radical en est un. » Dans cette école, on estime
que cette réforme est juste. Ce qui n’est pas forcément le
cas ailleurs. Souvent il est reproché à ce projet de loi contre
le séparatisme de ne pas viser la bonne cible. On accuse
alors l'État de s’attaquer aux pratiquants plutôt qu’aux
extrémistes. Mais le directeur de cette école maternelle et
primaire vient calmer cette idée. « En tant qu’établissement
privé sous-contrat nous ne risquons rien vis-à-vis de cette loi.
C’est d’ailleurs la même chose pour les autres écoles privées,
qu’elles soient de confession musulmane, juive ou chrétienne.
Les autres directeurs n’ont pas à s’inquiéter. »
C’est là tout l’enjeu et toute la complexité d’un tel texte.
Comment garder le bon équilibre ? Pour Jean-Paul
Matricon, la balance est pour l’instant bien équilibrée,
même s’il émet quelques réserves. « L’État doit se charger
de régler la laïcité et non la religion. Le culte c’est personnel,
et cela doit le rester ». La laïcité, une notion à laquelle cet
homme est profondément attaché. Pour justifier cela, il
prend l’exemple de sa vie personnelle. « Je suis directeur
d’un établissement catholique et mes petits-enfants sont de
confession musulmane. Comme quoi les différentes religions
peuvent cohabiter, j’en suis l’exemple parfait ». Une
cohabitation qui n’est pourtant pas si simple à mettre en
place. Pour cela il faut plusieurs paramètres que nous
rappelle cet ancien universitaire : « L’État doit garantir la
laïcité, c’est le garant de notre République. Tandis que de
leur côté les communautés religieuses doivent s’entendre
entre-elles ».
Pedro Machado et Alexis Roux
Bâtiment de l’école maternelle et élémentaire Institut Jeanne de France.
Une loi qui doit respecter la laïcité
18|REPORTAGE
19. On fait cette loi pour les mauvaises
raisons. Il y a un problème islamiste en
France, alors les gouvernants se sentent
obligés de faire une loi. Le vrai problème
c’est l’acceptation de cette religion. Mais
cela reste utile car on a besoin de
clarifier les financements et
l’organisation des lieux de culte.
a loi religieuse, lorsqu’on se revendique
comme un citoyen français. Il faut aussi
rendre les financements transparents,
car il y a des détournements. Cela
permettra à aux personnes de pratiquer
leurs religions de façon décente.
Le débat doit impérativement
s’élargir, et ne pas se focaliser sur les
musulmans. Il existe différents
problèmes liés à ce projet de loi. Dès
1905, l’Islam ne fait pas partie du
Concordat, donc il est soumis à cette
loi par extension. Il y a également les
vestiges du passé colonial.
« Si j’étais encore député, je ne
voterais pas pour cette loi »
Au cours de son mandat, Emmanuel Macron a fait des déçus. Parmi eux, le maire du Puy-Sainte-Réparade,
Jean-David Ciot. Cet élu du Parti socialiste avait voulu se rallier à l’actuel Président en 2017. Mais trois ans plus
tard, il n’est plus tout à fait en accord avec le projet macroniste, notamment le dernier projet de loi.
Que pensez-vous du
projet de loi renforçant la
laïcité et les principes
républicains ?
Quel est le problème avec
ce projet de loi ?
Le Gouvernement recule. Ils réaffirment
les principes de la de 1905, sans lutter
contre le terrorisme. On a déjà un
arsenal pour. Ce projet de loi répond à
un problème conjoncturel et non pas à
un problème structurel, c’est du
populisme.
Le précepte est-il
réellement nécessaire
pour améliorer et
contrôler la situation
actuelle ?
Il y a une vraie nécessité de rappeler la
suprématie de la loi de la République
sur
Avez-vous le sentiment
que le gouvernement
d’Emmanuel Macron
répond aux nombreux
débats publics avec des
propositions de loi ?
J’ai ce sentiment avec cette loi
particulièrement. Emmanuel Macron
refait ce qu’on reprochait à Nicolas
Sarkozy : des lois de circonstances. Faire
cela abîme l’image de la politique, de la
fonction.
Êtes-vous en accord avec
le contenu de ce projet de
loi ?
Si j’étais encore député, je ne voterais
pas pour cette loi. Je suis d’accord avec
la transparence des financements, le
rappel des valeurs républicaines et tout
ce qui se lie à la laïcité. Avec le débat qui
en découle, ils laissent penser qu’ils vont
empêcher la pratique du culte
musulman. C’est impossible car la
liberté du culte est dans notre
Constitution.
Quels sont les problèmes
avec ce projet de loi ?
Cela révèle-t-il un
problème en France ?
Notre pays et notre Gouvernement
fabriquent des lois rigides. Ils fixent
des limites et non pas nos libertés. Il
faut surtout se demander si les
symboles ostentatoires de religion
empêchent les citoyens de participer
au débat public. Dans le collège du
Puy, si un professeur porte une croix
ou un autre signe, est-ce-que ça
l’empêche de bien enseigner à ses
élèves ? Non.
Pensez-vous
qu’Emmanuel Macron
opère un virage à droite, à
l’horizon 2022 ?
En 2017 lors de la présidentielle,
Emmanuel Macron avait un discours
très alléchant. Il se disait de droite et
de gauche. Avec ce discours, il avait
une volonté de rassemblement, pour
faire bouger les lignes de la politique.
Mais ce « slogan » s’est vite
transformé en ni de droite ni de
gauche. Je ne crois pas aux minorités
éclairées qui débarquent et guident la
population. Ça n’existe pas.
Noémie Julien
19|INTERVIEW
22. « Ils font de la communication pas de
la politique »
À la tête de la mairie de Marseille, se trouve Benoît Paya, porté par le Printemps marseillais. À l’origine de ce
mouvement ralliant les différentes gauches marseillaises : Marc Rosmini, philosophe. Un de ses domaines de
prédilection est la philosophie politique.
Le problème c’est de savoir s’il y a
urgence ou pas. Depuis quelques
années, les hommes politiques ont
tendance à répondre aux événements
avec des lois. Il y a là une volonté de
rassurer l’électorat. Mais on prend le
risque d’avoir des lois précipitées. La loi
fait office de réponse pour la société, ils
font de la communication pas de la
politique.
Du point de vue de la
philosophie politique,
est-ce une bonne
stratégie pour Emmanuel
Macron ?
projet de loi, il y a une véritable
dimension électoraliste. Le
Gouvernement n’a pas eu grand-
chose à se mettre sous la dent. Alors
il planche sur une laïcité identitaire.
Suite aux récents
évènements, présenter
ce projet de loi n’est-il
pas trop précipité ?
Comment l’exécutif peut-
il renforcer la laïcité ?
La laïcité n’est compréhensible que si
la vie en société suppose de lier la vie
spirituelle. Quand on participe à la
société, on éloigne nos intérêts
religieux, pour ne penser qu’aux
intérêts des citoyens. Mais
actuellement beaucoup de
personnes sont dépolitiser. Pour eux,
il n’y a pas de réels liens entre ce
qu’ils pensent et les lois. Il faut
sensibiliser les jeunes à la vie
politique.
L’exécutif a-t-il raison de
vouloir renforcer son
droit de regard dans le
domaine cultuel ?
Au sens strict de la loi de 1905, l’Etat
n’a pas à se mêler de l’organisation
interne du culte. L’État français aurait
plutôt intérêt à élever le niveau
d’intégration des personnes
immigrées. En donnant plus de
moyens et de visibilité à un islam dit
des lumières. Il faut se donner plus
de moyens dans la compréhension
des
textes religieux. Souvent les
personnes à tendance islamique ont
une mauvaise lecture des textes
sacrés.
Emmanuel Macron a été élu en
faisant croire qu’on pouvait être ni de
droite ni de gauche, mais l’histoire
montre que c’est impossible. La seule
chose qu’il peut faire maintenant,
c’est de séduire l’électorat de droite.
D’abord avec son gouvernement :
beaucoup de ministres en sont issus
comme le ministre de l'Intérieur.
Comment analysez-vous
que cette loi stigmatise
plus la religion
musulmane que les
autres religions ?
Il est clair qu’on ne peut pas nier la
réalité des attentats en France. Ils ont
commis au nom de l’Islam. Avec ce
Le débat sur ce projet de
loi se concentre
essentiellement autour
de la communauté
musulmane, est-ce que ça
ne révèle pas un
problème plus profond
dans notre pays ?
Le passé colonial n’est pas totalement
digéré des deux côtés. L’Islam
représente une religion de colonisés.
De nos jours, c’est la religion
dominante dans les quartiers
pauvres. C’est aussi la plus récente en
France. Les musulmans sont victimes
d’une histoire coloniale et en face les
personnes considèrent qu’ils ne sont
pas complètement leurs égaux. Ces
mêmes personnes sont dérangées
par le port du voile mais pas
d’entendre les cloches sonnées, pour
eux c’est une tradition.
Noémie Julien
22|INTERVIEW