2. ALe génie est avant tout une aptitude rare et singulière dont certains êtres sont dotés.
Par métonymie, le mot désigne également la personne douée de cette aptitude.
Aux origines du mot français génie, deux racines latines dont les sens se sont
croisés :
• Le mot genius, dont découle le sens de génie comme inspiration puis don inné ;
• Le mot ingenium, qui a donné le sens de génie comme activité technique
inventive.
La cohabitation de ces deux acceptions intimement liées entre elles permet de
comprendre que c’est par la réalisation d’une œuvre (“agir en génie”) que s’effectue
le passage entre le génie potentiel, non encore réalisé (“avoir du génie”) et le génie
reconnu, identifié comme tel par la communauté des hommes (“être un génie”).
Préambule
Avoir du génie > Agir en génie > Etre un génie
3. G
Le génie, un processus de création en 3 étapes
Inspiration. Être doté d’une inspiration inépuisable
et de qualités exceptionnelles.
Transformation. Être hors norme qui
imprime sa marque dans l’univers.
Restitution. L’œuvre de génie comme source
d’inspiration unique pour l’humanité.
7. UUnique, inimitable, l’être de génie ne peut être égalé. Supérieur au commun des
mortels, fréquemment habité d’un sentiment d’élection, de toute-puissance, voire de
transcendance, il aspire à l’absolu, à la perfection.
Inspiration. L’idée de génie > Traits distinctifs
Le génie est singulier
“Depuis la Révolution française se développe une
vicieuse tendance crétinisatrice qui tend à faire
considérer par tout un chacun, que les génies (mis à
part leur œuvre) sont des êtres humains semblables en
tout au restant du commun des mortels. Ceci est faux.
Et ceci est faux pour moi qui suis, à notre époque le
génie de la spiritualité la plus vaste, un véritable génie
moderne, ceci est encore plus faux pour les génies qui
incarnèrent le sommet de la Renaissance, tel Raphaël,
génie quasi divin. Le livre que voici prouvera que la vie
quotidienne d’un génie, son sommeil, sa digestion, ses
extases, ses ongles, ses rhumes, son sang, sa vie et
sa mort sont essentiellement différents de ceux du
reste de l’humanité. ” Salvador Dali, Journal d’un génie.
8. GLe génie est doué d’une prédisposition pour une discipline, un art qu’il étreint
passionnément et auquel il s’adonne avec exclusivité. C’est pourquoi il éprouve la
nécessité vitale d’y consacrer son existence. Sa curiosité insatiable et son exigence
extrême le conduisent à vouloir maîtriser chaque jour davantage son domaine de
prédilection.
Inspiration. L’idée de génie > Traits distinctifs
Le génie est prédisposé
“Quand je me sens bien et que je suis de
bonne humeur […], les pensées me
viennent en foule et le plus aisément du
monde. D’où et comment m’arrivent-
elles ? Je n’en sais rien, je n’y suis pour
rien.” Mozart.
9. GLe génie, c’est celui qui sait “plonger au fond du gouffre pour trouver du nouveau”
(Charles Baudelaire). Loin de se laisser circonscrire par les règles établies, qu’elles
soient sociales, formelles, esthétiques ou conceptuelles, le génie invente. Il ne se
contente pas d’innover mais s’élance au-delà de ce qui existe, dans une quête
perpétuelle d’autre chose.
Inspiration. L’idée de génie > Traits distinctifs
Le génie est hors norme
Le peintre Paul
Klee radicalise encore
cette idée : “Le génie,
c’est l’erreur dans le
système.”
12. La divinité protectrice désignée par le nom Genius a fini par se confondre avec
l’individu qu’elle protégeait, jusqu’à la douer parfois d’une forme d’intelligence
supérieure aux autres. D’abord aptitude, le génie a ainsi pu être utilisé pour qualifier
l’état même de l’individu.
Mais avoir du génie ou être un génie ne constitue pas une fin en soi : tant qu’il n’a
pas actualisé ses facultés dans des actions significatives, le génie n’en est pas un.
Tout se passe comme si le génie devait être identifié comme tel pour exister, c’est-à-
dire se manifester aux autres par des réalisations tangibles.
Génie : un potentiel à révéler
16. QQu’il soit artistique, militaire, civil ou scientifique, le génie crée, invente, donne
naissance. Il rend tangible une idée abstraite, assemble, compose, métamorphose
l’existant en quelque chose qui n’existe pas encore. Son inspiration, ses intuitions
sont ainsi mises en œuvre, actualisées dans un geste. Pour ce faire, il convoque
son expertise, ajuste sa vision stratégique, mobilise son esprit de synthèse. Le
jugement du génie permet en effet de rejeter, de choisir, de combiner, d’arranger.
On sait d’après les carnets de Beethoven qu’il a composé ses mélodies les plus
célèbres peu à peu, qu’il les a en quelque sorte triées d’ébauches multiples. Il faut
ainsi à la création une conscience artisanale, une discipline stricte et une attention
particulière à l’œuvre en train de se faire.
Transformation. L’acte de génie > Agir en génie
Le génie engendre
Thomas A. Edison, qui a inventé l’idée la plus inspirante
dans le monde, aimait à dire que “le génie est fait d’un
pour cent d’inspiration et de quatre-vingt-dix-neuf pour
cent de transpiration." Après lui, comme après tout
génie, l’humanité n’a plus été tout à fait la même.
17. EL’esprit visionnaire du génie se nourrit d’une curiosité illimitée et du désir
d’accompagner l’humanité sur les chemins du progrès. Il révèle aux hommes leurs
besoins et comble leurs aspirations à venir. Par sa prescience, il devra avoir
transformé nos façons de voir, de penser, de comprendre, de sentir.
Transformation. L’acte de génie > Agir en génie
Le génie anticipe
Napoléon filera la métaphore cosmique pour évoquer cette
fonction : “Les hommes de génie sont des météores
destinés à brûler pour éclairer leur siècle”.
18. MMalgré sa singularité, le génie ne naît pas dans le vide ; il apparaît dans une culture,
une civilisation qui le nourrit, et qu’il va fertiliser à son tour grâce à ses dons
particuliers.
Il apparaît donc comme un chaînon, un pivot entre le passé d’une civilisation qui l’a
façonné, et le futur à l’élaboration duquel il participe. Son œuvre d’art peut ainsi
servir d’exemple à un autre génie, l’éveillant au sentiment de sa propre originalité.
Elle peut plus simplement permettre au commun des mortels de faire l’expérience
éphémère du génie.
Le génie se réduit finalement souvent à une œuvre collective dans laquelle son
créateur disparaît. Il entre ainsi dans le patrimoine de l’humanité.
Transformation. L’acte de génie > Agir en génie
Le génie transmet
“L’homme de génie est celui qui
m’en donne”. Paul Valéry.
20. Cette conception d’un génie collectif questionne évidemment la postérité de l’œuvre
réalisée. Loin d’appartenir à son créateur, celle-ci lui échappe, devenant un élément
constitutif d’une culture. Le philosophe Schopenhauer va plus loin, affirmant à
propos du génie que “son cerveau ne lui appartient pas, il appartient au monde”.
Une chose reste sûre : le génie se mesure essentiellement à l’aune de ses
réalisations. Sa première qualité est d’être un créateur ; réussir sa vie de génie
implique nécessairement qu’il réussisse ce pourquoi il existe, son œuvre. C’est ainsi
que de potentiel, le génie devient effectif aux yeux du monde.
De l’action à l’œuvre
22. UUnique en son genre, l’œuvre de génie ne saurait reproduire des procédés connus
et obéir à des règles établies. Elle est porteuse de formes nouvelles, souvent
révolutionnaires.
L’œuvre de génie ne laisse pas indifférent : elle provoque des réactions intenses. Au
premier abord, elle déconcerte, dérange, scandalise ou enthousiasme ; on ne la
comprend pas. Irréductible, elle interroge sans nécessairement séduire. Par la
suite, elle s’impose souvent, forte de l’intelligence et de la puissance qu’elle
déploie. Légion sont les génies dont les découvertes et créations n’ont pas été
reconnues à leur juste valeur de leur vivant. Considérés comme maudits, ils entrent
aisément dans la légende : Van Gogh, Baudelaire, Dostoïevski, Wagner, Galilée…
La facilité inouïe, la légèreté des compositions de Mozart éclipse les œuvres de son
rival talentueux mais laborieux Salieri. C’est sur ce contraste qu’est construit le film
Amadeus, mettant ainsi en exergue cette manifestation naturelle, étrangement
fluide et spontanée que peut constituer l’œuvre de génie.
L’œuvre de génie crée une rupture
Restitution. L’œuvre de génie > Originalité
23. CLe créateur de génie considère généralement son œuvre comme l’aboutissement de
son destin, ce vers quoi tend sa volonté. Sa supériorité rayonne sur ses réalisations
qui en arrivent à le surprendre, voire à le dominer, comme si une puissance
extérieur avait agi à sa place. La nature, la vie même semblent dicter au génie
une nouvelle forme qui fera école.
Par son œuvre, le génie rend tangible une idée abstraite (réminiscences du monde
des Idées platonicien). Il assemble, compose, métamorphose l’existant. Et c’est cet
“infini représenté comme fini” qui devient beauté (Schelling). Le génie de
l’artiste consiste à donner corps à ses idées esthétiques, rejoignant ici Kant dans sa
conviction qu’une œuvre d’art possède une âme.
Qu’elle soit connue du vivant de son auteur ou reconnue après sa mort, l’œuvre de
génie est produite pour la communauté des humains. Par son étendue et sa
profondeur, l’œuvre de génie consacrée devient une référence à l’aune de
laquelle on mesure les autres productions, une fierté dont une nation peut se
prévaloir.
Restitution. L’œuvre de génie > Exemplarité
L’œuvre de génie fait référence
24. UEn utilisant des matériaux fournis par la nature, le génie va au-delà de la matière,
au-delà du sensible, pour appréhender un espace-temps qui n’existe pas vraiment
et qu’il s’évertue à construire. La dimension immatérielle de son œuvre rappelle que
le génie est un individu qui s’abstrait des contingences matérielles et quotidiennes
(Schopenhauer).
Pour Goethe, l’œuvre de génie relève d’une énergie créatrice qui agit de
génération en génération et ne semble pas vouloir se tarir. “Qu’est-ce en effet
que le génie, sinon cette force productive d’où naissent des actions qui peuvent se
montrer à la face de Dieu et de la nature et qui, par cela même, ont suite et durée ?”
L’œuvre du génie marque durablement l’humanité de son empreinte.
Parce qu’elle s’affranchit des préoccupations humaines, l’œuvre du génie pourrait
bien amener les hommes à se tourner vers un ailleurs, dans un mouvement
d’élévation qui relève de l’expérience métaphysique. Elle possède alors une
dimension sacrée qui place le génie du côté du démiurge, dans une ambition
prométhéenne renouvelée.
L’œuvre de génie marque l’humanité
Restitution. L’œuvre de génie > Postérité
25. R
Le rayonnement de l’œuvre de génie
Inspiration : stimulation pour l’imaginaire.
Détournement : valorisation de l’excellence.
Représentation : reconnaissance d’une filiation.
27. Esprit de synthèse et/ou d’innovation, curiosité inépuisable, ténacité, passion,
réussite, anticonformisme… le génie est définissable jusqu’à un certain point. Une
part échappera en effet toujours à la catégorisation rationnelle et objective.
C’est sans doute ce mystère qui préexiste au génie et à son œuvre unique. C’est
sans doute également pour cette raison que le génie est souvent inextricablement
lié à la création artistique, dans une quête dont le résultat n’est jamais prévisible.
Définir le génie relèverait ainsi davantage du ressenti que de la connaissance, de
l’intuition que de la certitude. Opter pour le génie aujourd’hui serait alors peut-être
un moyen de réinjecter dans notre société utilitaire une dimension spirituelle et
aléatoire… celle qui paradoxalement - et depuis toujours - constitue l’humanité.
Conclusion
La part mystérieuse du génie
28. De manière générale, le génie fait percevoir des réalités, des sentiments qui
échappent à la raison. Les pensées qu’il fait naître sont difficiles à exprimer et ne se
laissent pas enfermer dans des concepts sclérosants ou desséchés.
L’âme du génie pourrait bien être cette capacité à incarner des idées esthétiques, un
idéal donnant à s’élever.
Prendre de la hauteur, construire du sens, voire une transcendance est une
nécessité pour l’individu contemporain.
Conclusion
La quête spirituelle du génie
« Le génie est le talent doté d’idéaux. » Somerset Maugham