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Gaziantep-Lecho2
- 1. L’ECHO SAMEDI 30 JANVIER 2016 49
Réfugiés
Petite Syrie
Pour faire face à la demande, la chambre
de commerce vient de recruter un agent
capable de répondre en arabe aux entre-
preneurs syriens qui ouvrent des com-
merces ou des usines en ville. Elle se fait
aussi l’intermédiaire entre ceux-ci et les
autorités gouvernementales, faisant re-
monter leurs problèmes jusqu’au bureau
du président Erdogan. L’octroi de permis
de travail aux réfugiés était l’une de ses re-
vendications, pour lutter contre l’emploi
illégal des migrants, véritable fléau en Tur-
quie. En plein centre de Gaziantep, un
quartier entier a été rebaptisé «Petite Sy-
rie». Ici, la plupart des commerces sont te-
nus par des Syriens. Comme ce proprié-
taire d’un supermarché du nord du pays,
arrivé il y a seulement trois mois. «J’ai vu
des gens perdre leurs bras et leurs jambes, bai-
gnant dans leur sang. Ce sont les bombes de la
coalition qui m’ont fait partir. La vie sous
l’État islamique, c’était encore possible, mais
avec les bombes en plus, ce n’était plus tena-
ble», regrette-t-il. Dans son local encore nu,
il installe les étagères de sa prochaine épi-
cerie. Son loyer est bien plus élevé que ce
qu’il n’était en Syrie, mais il n’a pas le
choix. Le prix des locations a doublé, voire
triplé, depuis l’arrivée en masse des Syriens
à Gaziantep. Dans une pâtisserie orientale
voisine, le manager syrien a dû ajuster les
prix à la hausse. Il emploie uniquement du
personnel syrien, au noir. Les autorités
turques viennent seulement d’annoncer
l’autorisation du travail pour les réfugiés, à
condition que l’employeur limite à 10% de
sa main-d’œuvre le nombre d’employés sy-
riens. Une règle qui vise à protéger l’em-
ploi des Turcs, en position de faiblesse par
rapport aux migrants qui acceptent des sa-
laires bien inférieurs aux leurs. Cette loi
vise aussi à éviter que les enfants de réfu-
giés soient obligés de travailler, comme le
jeune Qoussaï, âgé de 13 ans, originaire de
la minorité turkmène d’Alep. «Ce garçon est
un don de Dieu», se félicite Beki Yildiz, le
barbier qui l’a engagé, alors que l’enfant
n’a pas l’âge légal pour travailler. Débrouil-
lard et curieux, Qoussaï a abandonné
l’école pour devenir apprenti. Il avoue qu’il
a oublié l’alphabet arabe. «Mais tout le
monde ne doit pas étudier, il faut aussi de
bons barbiers», rétorque-t-il avec aplomb.
5.000 logements et
reconstruction après la guerre
En périphérie de Gaziantep, un important
projet immobilier est sur le point de voir le
jour. Iconova est un complexe de sept im-
meubles d’habitation, de 27 à 43 étages, les
plus hauts et les plus luxueux de la ville. La
taille des 570 appartements varie entre
200 mJ et plus de 500 mJ, pour accueillir
de larges familles.
Piscine, sauna, cinéma, minigolf, tout
est prévu. Le projet est supervisé par Halit
Acar, 28 ans, diplômé de l’université de
Sussex, en Grande-Bretagne, représentant
de la nouvelle génération de businessmen
du sud-est anatolien. «Nous voulons qu’Ico-
nova deviennent un symbole de la prospérité
de notre ville», affirme le jeune entrepre-
neur devant la maquette à l’architecture
moderne du projet.
Il refuse de communiquer son coût,
«très élevé», selon lui. Mais rien n’est trop
beau à ses yeux. «Gaziantep s’accroît car tout
ce que nous gagnons, nous l’investissons. C’est
la culture de la région.»
De son côté, la mairie a annoncé la
construction de 50.000 logements supplé-
mentaires, qui devront notamment servir
à loger les réfugiés. «Gaziantep a toujours
été un pôle d’immigration, car notre centre in-
dustriel attire des gens de tout l’est de la Tur-
quie. La construction est un secteur important
pour nous. Avec ou sans les Syriens, notre éco-
nomie est dynamique», résume Baran Uça-
ner.
Quant à faire de Gaziantep un modèle
d’intégration, il est encore trop tôt pour le
dire, avoue-t-il. «Je ne vois pas de résultats
concrets qui permettent de l’affirmer. L’avenir
nous le dira.»
Un facteur important pourrait rappro-
cher entrepreneurs turcs et syriens de Ga-
ziantep dans le futur: la reconstruction de
la Syrie, après la guerre. Ils seraient déjà
nombreux à s’en frotter les mains. «Bien
sûr, toute la Turquie bénéficiera de la recons-
truction», souligne Gökhan Karaçetin, de la
Berd, «mais Gaziantep pourrait se tailler la
part du lion».
En périphérie de Gaziantep, un important projet immobilier est sur le point de voir le jour. Iconova est
un complexe de sept immeubles d’habitation, de 27 à 43 étages, les plus hauts et les plus luxueux de la
ville. De son côté, la mairie a annoncé la construction de 50.000 logements supplémentaires, qui de-
vront notamment servir à loger les réfugiés. © JODI HILTON
«Gaziantep
s’accroît,
car tout ce
que nous
gagnons,
nous
l’investis-
sons. C’est
la culture de
la région.»
HALIT HACAR,
PROMOTEUR
IMMOBILIER
ETUDE D’IMPACT
QU’APPORTENT
LES RÉFUGIÉS?
Quel est l’impact de 2,5 millions de ré-
fugiés syriens sur l’économie turque?
Un rapport du centre pour les migra-
tions de l’Université Hacettepe
(HUGO) d’Ankara s’est penché sur le
cas de Gaziantep, centre régional à
forte croissance. «Gaziantep est la
ville la plus affectée par la crise, aussi
bien positivement que négativement»,
explique le rapport, daté du 3 janvier
2016. «D’un côté, on note un renou-
veau économique ainsi qu’une hausse
des exportations et de l’emploi. De
l’autre, on observe une augmentation
de l’inflation causée par la hausse du
logement.» Le potentiel économique
des réfugiés est prometteur, mais
bloqué par l’absence de régulations
appropriées au niveau national.
«Parmi les villes turques à forte crois-
sance, Gaziantep peut employer les
réfugiés dans l’agriculture, le textile, la
construction et le secteur manufactu-
rier.» L’étude propose à l’Etat une ap-
proche «intégrée», dirigeant, par
exemple, les migrants vers les régions
en pénurie de main-d’œuvre. S.F.
SFONTENOY@HOTMAIL.COM - 964278-001