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ELODIE PERRODIL, À NEW YORK
J
ason Trigg est un génie de l’infor-
matique, diplômé du Massachu-
settsInstituteofTechnology(MIT).
Il aurait pu faire une carrière dans
la Silicon Valley ou dans un grand
laboratoire universitaire. A 25 ans,
il a choisi Wall Street, où il déve-
loppe des programmes pour une
sociétédecourtage.Pourquoicechoix?Pour
l’argent bien sûr. Mais au lieu d’utiliser son
salaireàsixchiffrespourvivrelagrandevie,
le programmeur verse 50% de ses revenus à
descausescharitables,uneproportionbien
plus élevée que les 10% généralement oc-
troyés aux Etats-Unis. Son ONG de choix est
«AgainstMalariaFoundation»,uneassocia-
tionbritanniqueconsidéréecommeunedes
plus performantes dans la lutte contre la
pandémie. Avec 2.500 dollars, Against Ma-
laria Foundation sauve une vie. Pour Jason
Triggs,lecalculestsimple:plusilgagned’ar-
gent,plusyalesmoyensd’investirdansune
bonne cause.
Jason Trigg fait partie d’une jeune géné-
rationdephilanthropesquin’attendentpas
la fin de leur carrière pour changer le
monde. Si Bill Gates avait atteint l’âge mûr
quand il a décidé de consacrer une grosse
partie de sa fortune aux moins chanceux,
Mark Zuckerberg (Facebook), Pierre Omi-
dyar (eBay) et Jeff Bezos (Amazon), s’y met-
tent bien plus tôt.
La richesserajeunit,et avecellelesrègles
delagénérosité.Cesphilanthropes2.0refu-
sent de donner aveuglément à des orga-
nismes de charité peu compétents et peu
transparents.Ilsveulentdébarrasserl’indus-
triedelacharité,unmastodontede200mil-
liards de dollars aux Etats-Unis, du gaspil-
lageetdesabus,pourlarendreplusrespon-
sable.
Jusqu’il y a peu, le critère majeur pour
évaluer l’efficacité d’une association carita-
tive était d’examiner la proportion de son
budget consacré aux frais administratifs.
Plus ils étaient élevés, moins l’organisme
était pris au sérieux. Au delà de cet indica-
teur, il existait peu de données concernant
l’usage effectif des donations.
«La manière la plus e⇠icace
d’améliorer le monde»
Souvent issus de la finance et de la IT, les
nouveauxphilanthropesrepensentleurma-
nière de donner, en y appliquant les règles
de l’entrepreneuriat. Ils réfléchissent en
termesd’efficacité,d’impactetderetoursur
investissement, contrairement à des dons
impulsifs qui seraient basés sur l’émotion.
On parle désormais d’altruisme efficace.
Même s’il n’en revendique pas la pater-
nité, le philosophe et professeur d’éthique
de Princeton Peter Singer a été l’un des pro-
moteurs de l’altruisme efficace, auquel il
consacre son dernier ouvrage, «The Most
Good You Can Do», sorti le 7 avril aux Etats-
Unis.Qu’est-cequel’altruismeefficace?«Une
philosophieetunmouvementsocialbasésurla
raisonetsurlespreuvespourtrouverlamanière
la plus efficace d’améliorer le monde», lit-on
dans son introduction.
Selon Peter Singer, deux tiers des dons
sont actuellement motivés par l’émotion.
L’altruisme efficace place la raison au cœur
de la générosité. «Je ne veux pas donner la
fausse impression que l’émotion ne joue aucun
rôle,carsouvent,lesgenssontintéressésparles
causesquileursontproches.Ilsvontdonneràla
lutte contre le cancer si quelqu’un dans leur fa-
milleesttouchéouestmortdecettemaladie.Ce
qui est important, c’est qu’ils utilisent leur rai-
sonnement pour donner leur argent au mieux.
Par exemple, ils peuvent se demander ce qui est
le plus efficace: un don à la recherche contre le
cancer,quiestdéjà fortementsoutenue,oubien
à la recherche contre des maladies tropicales
rares,moinsbien financée,etoùcetargentpeut
donc avoir plus d’effet?»
La plateforme GiveWell (givewell.org),
quiétablitunpalmarèsdesmeilleuresONG
en fonction de critères objectifs, vérifiables
etmesurables,estsouventcitéecommelavi-
trine de l’altruisme efficace. Ce n’est sans
doute pas un hasard si cet organisme a été
créé en 2007 par deux analystes de Bridge-
water, un Hedge fund du Connecticut. Les
deuxemployésdeBridgewater,HoldenKar-
nofsky et Elie Hassenfeld, cherchaient un
moyen de distribuer une partie de leurs re-
venus à des organismes de charité. Or ils
n’étaient pas convaincus par les études et la
documentation mis à leur disposition. Ils
ontdéveloppéunmodèle,encollaboration
avecleMIT,quiconsisteàappliquercertains
desprincipesdel’investissement(effetdele-
vier,retoursurinvestissement)audomaine
de la charité. Après réflexion, ils ont décidé
de quitter leurs responsabilités et leurs bo-
nus de Bridgewater pour se consacrer à
tempspleinàGiveWell,etcepourunsalaire
de 65.000 dollars par an.
La di⇠iculté de mesurer
D’autres associations, comme Giving What
We Can et The Life You Can Save se basent
suruneméthodologiesimilaire.Ladifficulté
résidedanslacapacitédemesurerl’efficacité
d’une ONG sur le terrain. Parmi les critères
principauxdel’altruismeefficace,ontrouve
l’impact,soitlacapacitédetoucheruneim-
portantepopulation,lecoûtetlarentabilité
du projet, ainsi que la transparence finan-
cière de l’organisation. «Les ONG les plus fa-
cilesàévaluersontcellesquitravaillentdansun
seuldomaine,commelaluttecontrelamalaria,
contre les parasites intestinaux ou dans la dis-
tribution directe de fonds à des familles pau-
vres»,poursuitPeterSinger.«Nouspouvonsen
mesurer les effets: combien de vies ont été sau-
vées,combiend’enfantssontrestésàl’écolegrâce
à ces efforts, quels progrès ont fait ces familles
enmatièredesantéetdenutrition?Cesaspects
sont quantifiables et nous avons les outils pour
les mesurer.»
Un autre exemple des ponts entre la fi-
nanceetlaphilanthropieestceluidelafon-
dation Epic, lancée en début d’année à New
York par le français Alexandre Mars. Après
avoir vendu ses compagnies spécialisées
dans la téléphonie mobile à Publicis et
Blackberry,ceserialentrepreneurde40ans
se consacre à plein temps à sa passion de
toujours: aider la jeunesse défavorisée, par-
toutdanslemonde.Ilmetsesqualitésdebu-
sinessman au service de sa fondation, dans
lequelilainvestipersonnellementdeuxmil-
lionsdedollars.«Beaucoupdegensnedonnent
pas car ils ne savent pas à qui donner, ni com-
mentdonner,nicequ’on faitvraimentavecleur
argent», souligne Alexandre Mars. Epic se
charge de l’étape délicate du choix, en ser-
vantdepasserelleentrelesphilanthropeset
les ONG. «Nous agissons à la manière d’un in-
vestisseur en capital-risque, qui va voir 1.000
start-up pour en sélectionner 10 ou 20 au bout
ducompte.Nousnegardonsquelesmeilleures.
Cequenousvoulons,c’estlaconfiancedesgens
auprès desquels nous allons lever de l’argent»,
poursuit ce «business angel» d’un nouveau
genre. Trois critères de sélection ont été re-
tenus: impact, qualité du management et
étatdesfinances.Epicvaensuiteexploiterle
potentiel du «big data», des données acces-
sibles grâce aux nouvelles technologies,
pouranalyserl’impactdesdons.«Enutilisant
des GPS, des webcams, des capteurs, on peut
rendrevisuelundonetcomprendreimmédiate-
mentsonimpact.Aujourd’hui,onn’amêmeplus
besoin d’ordinateurs pour cela, les téléphones
mobiles sont partout et les tablettes suffisent».
Cerise sur le gâteau: tous les services d’Epic
sont entièrement gratuits et accessibles à
tous, en «open source», «comme ça tout le
monde est win-win», précise encore Alexan-
dre Mars.
L’impératif moral
Pour certains critiques, l’approche de l’al-
truisme efficace est froide et calculatrice.
MaispourleprofesseurSinger,faireunere-
cherche préalable au don est un impératif
moral,pourêtresûrquelesdonsproduisent
les meilleurs résultats. «Dans l’économie cou-
rante, seules les compagnies les mieux gérées
survivent. Ce n’est pas vrai dans le secteur de la
charité,carlaplupartdesdonateursnesontpas
desaltruistesefficaces.Certainsorganismessont
moinsresponsablesqued’autres.L’altruismeef-
ficace essaie de changer la donne. Le public ac-
ceptetrèsbienceconceptquandils’agitdebiens
de consommation. Si vous voulez acheter une
voiture ou une machine à laver, personne ne va
s’étonner si vous consultez des sites internet
comparatifs pour les consommateurs.» Et de
conclure:«Pourquoinepas fairelamêmechose
avec les organismes de charité?»
«The Most Good You Can Do: How E)ec-
tive Altruism Is Changing Ideas About Li-
ving Ethically», Peter Singer, Yale Univer-
sity Press (7 avril 2015), 232 pages.
48 L’ECHO SAMEDI 9 MAI 2015
Apropos
Philanthropie
L’argentfait
lebonheur
des autres
Et sigagnerdel’argentetle
donnerreposaientsurlemême
principe?C’estl’idéederrière
l’altruismeefficace,qui
appliquelestechniquesde
l’entrepriseàlaphilanthropie.
De haut en bas: Mark Zuckerberg (Facebook),Jeff Bezos(Amazon)
et Pierre Omidyar (eBay).© REUTERS - BLOOMBERG
Lesnouveaux
philanthropes
appliquent les
règlesde
l’entrepreneuriat.
Ilsréfléchissent en
termesd’efficacité,
d’impact et de
retour sur
investissement,
contrairement aux
donsimpulsifs
baséssur l’émotion.
SFONTENOY@HOTMAIL.COM - 726349-001

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  • 1. ELODIE PERRODIL, À NEW YORK J ason Trigg est un génie de l’infor- matique, diplômé du Massachu- settsInstituteofTechnology(MIT). Il aurait pu faire une carrière dans la Silicon Valley ou dans un grand laboratoire universitaire. A 25 ans, il a choisi Wall Street, où il déve- loppe des programmes pour une sociétédecourtage.Pourquoicechoix?Pour l’argent bien sûr. Mais au lieu d’utiliser son salaireàsixchiffrespourvivrelagrandevie, le programmeur verse 50% de ses revenus à descausescharitables,uneproportionbien plus élevée que les 10% généralement oc- troyés aux Etats-Unis. Son ONG de choix est «AgainstMalariaFoundation»,uneassocia- tionbritanniqueconsidéréecommeunedes plus performantes dans la lutte contre la pandémie. Avec 2.500 dollars, Against Ma- laria Foundation sauve une vie. Pour Jason Triggs,lecalculestsimple:plusilgagned’ar- gent,plusyalesmoyensd’investirdansune bonne cause. Jason Trigg fait partie d’une jeune géné- rationdephilanthropesquin’attendentpas la fin de leur carrière pour changer le monde. Si Bill Gates avait atteint l’âge mûr quand il a décidé de consacrer une grosse partie de sa fortune aux moins chanceux, Mark Zuckerberg (Facebook), Pierre Omi- dyar (eBay) et Jeff Bezos (Amazon), s’y met- tent bien plus tôt. La richesserajeunit,et avecellelesrègles delagénérosité.Cesphilanthropes2.0refu- sent de donner aveuglément à des orga- nismes de charité peu compétents et peu transparents.Ilsveulentdébarrasserl’indus- triedelacharité,unmastodontede200mil- liards de dollars aux Etats-Unis, du gaspil- lageetdesabus,pourlarendreplusrespon- sable. Jusqu’il y a peu, le critère majeur pour évaluer l’efficacité d’une association carita- tive était d’examiner la proportion de son budget consacré aux frais administratifs. Plus ils étaient élevés, moins l’organisme était pris au sérieux. Au delà de cet indica- teur, il existait peu de données concernant l’usage effectif des donations. «La manière la plus e⇠icace d’améliorer le monde» Souvent issus de la finance et de la IT, les nouveauxphilanthropesrepensentleurma- nière de donner, en y appliquant les règles de l’entrepreneuriat. Ils réfléchissent en termesd’efficacité,d’impactetderetoursur investissement, contrairement à des dons impulsifs qui seraient basés sur l’émotion. On parle désormais d’altruisme efficace. Même s’il n’en revendique pas la pater- nité, le philosophe et professeur d’éthique de Princeton Peter Singer a été l’un des pro- moteurs de l’altruisme efficace, auquel il consacre son dernier ouvrage, «The Most Good You Can Do», sorti le 7 avril aux Etats- Unis.Qu’est-cequel’altruismeefficace?«Une philosophieetunmouvementsocialbasésurla raisonetsurlespreuvespourtrouverlamanière la plus efficace d’améliorer le monde», lit-on dans son introduction. Selon Peter Singer, deux tiers des dons sont actuellement motivés par l’émotion. L’altruisme efficace place la raison au cœur de la générosité. «Je ne veux pas donner la fausse impression que l’émotion ne joue aucun rôle,carsouvent,lesgenssontintéressésparles causesquileursontproches.Ilsvontdonneràla lutte contre le cancer si quelqu’un dans leur fa- milleesttouchéouestmortdecettemaladie.Ce qui est important, c’est qu’ils utilisent leur rai- sonnement pour donner leur argent au mieux. Par exemple, ils peuvent se demander ce qui est le plus efficace: un don à la recherche contre le cancer,quiestdéjà fortementsoutenue,oubien à la recherche contre des maladies tropicales rares,moinsbien financée,etoùcetargentpeut donc avoir plus d’effet?» La plateforme GiveWell (givewell.org), quiétablitunpalmarèsdesmeilleuresONG en fonction de critères objectifs, vérifiables etmesurables,estsouventcitéecommelavi- trine de l’altruisme efficace. Ce n’est sans doute pas un hasard si cet organisme a été créé en 2007 par deux analystes de Bridge- water, un Hedge fund du Connecticut. Les deuxemployésdeBridgewater,HoldenKar- nofsky et Elie Hassenfeld, cherchaient un moyen de distribuer une partie de leurs re- venus à des organismes de charité. Or ils n’étaient pas convaincus par les études et la documentation mis à leur disposition. Ils ontdéveloppéunmodèle,encollaboration avecleMIT,quiconsisteàappliquercertains desprincipesdel’investissement(effetdele- vier,retoursurinvestissement)audomaine de la charité. Après réflexion, ils ont décidé de quitter leurs responsabilités et leurs bo- nus de Bridgewater pour se consacrer à tempspleinàGiveWell,etcepourunsalaire de 65.000 dollars par an. La di⇠iculté de mesurer D’autres associations, comme Giving What We Can et The Life You Can Save se basent suruneméthodologiesimilaire.Ladifficulté résidedanslacapacitédemesurerl’efficacité d’une ONG sur le terrain. Parmi les critères principauxdel’altruismeefficace,ontrouve l’impact,soitlacapacitédetoucheruneim- portantepopulation,lecoûtetlarentabilité du projet, ainsi que la transparence finan- cière de l’organisation. «Les ONG les plus fa- cilesàévaluersontcellesquitravaillentdansun seuldomaine,commelaluttecontrelamalaria, contre les parasites intestinaux ou dans la dis- tribution directe de fonds à des familles pau- vres»,poursuitPeterSinger.«Nouspouvonsen mesurer les effets: combien de vies ont été sau- vées,combiend’enfantssontrestésàl’écolegrâce à ces efforts, quels progrès ont fait ces familles enmatièredesantéetdenutrition?Cesaspects sont quantifiables et nous avons les outils pour les mesurer.» Un autre exemple des ponts entre la fi- nanceetlaphilanthropieestceluidelafon- dation Epic, lancée en début d’année à New York par le français Alexandre Mars. Après avoir vendu ses compagnies spécialisées dans la téléphonie mobile à Publicis et Blackberry,ceserialentrepreneurde40ans se consacre à plein temps à sa passion de toujours: aider la jeunesse défavorisée, par- toutdanslemonde.Ilmetsesqualitésdebu- sinessman au service de sa fondation, dans lequelilainvestipersonnellementdeuxmil- lionsdedollars.«Beaucoupdegensnedonnent pas car ils ne savent pas à qui donner, ni com- mentdonner,nicequ’on faitvraimentavecleur argent», souligne Alexandre Mars. Epic se charge de l’étape délicate du choix, en ser- vantdepasserelleentrelesphilanthropeset les ONG. «Nous agissons à la manière d’un in- vestisseur en capital-risque, qui va voir 1.000 start-up pour en sélectionner 10 ou 20 au bout ducompte.Nousnegardonsquelesmeilleures. Cequenousvoulons,c’estlaconfiancedesgens auprès desquels nous allons lever de l’argent», poursuit ce «business angel» d’un nouveau genre. Trois critères de sélection ont été re- tenus: impact, qualité du management et étatdesfinances.Epicvaensuiteexploiterle potentiel du «big data», des données acces- sibles grâce aux nouvelles technologies, pouranalyserl’impactdesdons.«Enutilisant des GPS, des webcams, des capteurs, on peut rendrevisuelundonetcomprendreimmédiate- mentsonimpact.Aujourd’hui,onn’amêmeplus besoin d’ordinateurs pour cela, les téléphones mobiles sont partout et les tablettes suffisent». Cerise sur le gâteau: tous les services d’Epic sont entièrement gratuits et accessibles à tous, en «open source», «comme ça tout le monde est win-win», précise encore Alexan- dre Mars. L’impératif moral Pour certains critiques, l’approche de l’al- truisme efficace est froide et calculatrice. MaispourleprofesseurSinger,faireunere- cherche préalable au don est un impératif moral,pourêtresûrquelesdonsproduisent les meilleurs résultats. «Dans l’économie cou- rante, seules les compagnies les mieux gérées survivent. Ce n’est pas vrai dans le secteur de la charité,carlaplupartdesdonateursnesontpas desaltruistesefficaces.Certainsorganismessont moinsresponsablesqued’autres.L’altruismeef- ficace essaie de changer la donne. Le public ac- ceptetrèsbienceconceptquandils’agitdebiens de consommation. Si vous voulez acheter une voiture ou une machine à laver, personne ne va s’étonner si vous consultez des sites internet comparatifs pour les consommateurs.» Et de conclure:«Pourquoinepas fairelamêmechose avec les organismes de charité?» «The Most Good You Can Do: How E)ec- tive Altruism Is Changing Ideas About Li- ving Ethically», Peter Singer, Yale Univer- sity Press (7 avril 2015), 232 pages. 48 L’ECHO SAMEDI 9 MAI 2015 Apropos Philanthropie L’argentfait lebonheur des autres Et sigagnerdel’argentetle donnerreposaientsurlemême principe?C’estl’idéederrière l’altruismeefficace,qui appliquelestechniquesde l’entrepriseàlaphilanthropie. De haut en bas: Mark Zuckerberg (Facebook),Jeff Bezos(Amazon) et Pierre Omidyar (eBay).© REUTERS - BLOOMBERG Lesnouveaux philanthropes appliquent les règlesde l’entrepreneuriat. Ilsréfléchissent en termesd’efficacité, d’impact et de retour sur investissement, contrairement aux donsimpulsifs baséssur l’émotion. SFONTENOY@HOTMAIL.COM - 726349-001