#COVID19 #SANTE_MENTALE
✅ Chers membres, un témoignage vivant, transparent de Kathleen Wuyard, journaliste politique & société Liégeoise, sur son vécu du #Coronavirus et son impact sur le mental.
"Au dixième jour d’affilée passé dans un brouillard anxiogène, j’ai dû me rendre à l’évidence. il y avait un problème. Plus rien n’avait de goût, pas seulement les aliments, mais bien la vie en général... j’étais persuadée d’être en train de devenir folle".
"Des chercheurs américains ont compilé 65 études relatives aux conséquences psychologiques d’autres Coronavirus, les symptômes communs ont relevé différents troubles mentaux parmi lesquels une confusion mentale, une humeur dépressive, de l’anxiété, des troubles de la mémoire et de l’insomnie."
2. Essoufflement, fatigue, maux de tête, toux, crampes, perte de l’odorat
et du goût… Mais aussi anxiété, insomnie et dépression: si les symptômes
physiques de la COVID-19 sont connus (et scrutés) de tous, la maladie
a aussi un impact non négligeable, et pas suffisamment connu,
sur le mental. Notre journaliste, Kathleen, l’a appris à ses dépens
et raconte son expérience.
Texte: Kathleen Wuyard.
«De manière insidieuse, sans que je comprenne
bien ce qui se passait, j’ai commencé à lutter
contre une crise existentielle très difficile à vivre»
Tout a commencé un lundi. Logique:
les pires histoires commencent
toujours le lundi matin. Après un
week-end très productif, mais
malheureusement peu reposant, et
alors que le soleil des dernières
semaines avait fait place depuis
quelques jours à un temps plus froid
et humide, soudain, mon fiancé a
annoncé être en train de tomber
malade. Je l’avoue, un peu honteuse-
ment d’ailleurs au vu des événements
qui ont suivi, ma première réaction a
été de rire. C’est que Chéri a, face au
moindre rhume, une tendance au
drame qui fait passer les autres
hommes, pourtant déjà pas en reste,
pour des monstres de stoïcisme face
à la maladie. Et exposée de bon matin
au spectacle de mon compagnon de
télétravail planté devant son écran
avec le visage caché jusqu’aux yeux
par une écharpe, forcément, j’ai ri. Et
j’ai même posté une petite photo
gentiment moqueuse de son accou-
trement sur Instagram. Et puis le
thermomètre a indiqué qu’il frôlait
39°C de fièvre, et tout de suite, la
situation m’a semblé beaucoup
moins drôle. D’ailleurs, 48 heures plus
tard, ça n’a pas loupé (ou plutôt, le
karma ne m’a pas loupée) et c’est moi
qui ai commencé à ressentir crampes,
maux de tête et fièvre, au point de
devoir demander un jour off à la
rédac’ et d’en profiter pour découvrir
que les « sueurs froides » ne sont pas
qu’une expression, mais bien une
affliction ultra désagréable, durant
laquelle on a l’impression de bouillir
tout en étant recouvert d’une
pellicule de sueur glacée en prime.
Délice. Et pourtant (insouciance!
idiotie! ) je n’ai pas immédiatement
pensé au Coronavirus. Quand on est
tombés malades, le pic actuel
d’infections n’était pas encore atteint,
tout juste si les médias se bornaient à
continuer de répéter le même refrain
usé, « attention, la deuxième vague
arrive. » Tous deux persuadés d’avoir
un vilain refroidissement (« la crève »,
comme on dit à Liège), on a tout de
même téléphoné à mon papa, méde-
cin, qui nous a dit qu’un test n’était
pas obligatoire, vu qu’on ne présentait
aucun symptôme respiratoire, avant
de se raviser 24 heures plus tard et de
nous rédiger les papiers nécessaires.
Grand bien lui en a pris puisque nos
tests sont tous les deux revenus
positifs. Et si, assez rapidement, mon
homme a réussi à se défaire de la
plupart des symptômes de la maladie
(le pouvoir de son écharpe magique?)
pour moi, l’enfer a commencé après
mes 48 heures de sueurs froides.
UN BROUILLARD MENTAL
IMPÉNÉTRABLE
J’ai honte de l’écrire, mais sur le coup,
j’étais même relativement ravie. Je
mets ça sur le compte de la fièvre qui
me faisait un peu délirer. Mais quand
15
VÉCU
flair.be
3. «Non,
le problème
ne venait pas
de moi ou de
ma vie, mais
bien de cette
saleté de virus»
je me suis pesée après 2 jours passés
à transpirer à grosses gouttes au lit
sans presque rien avaler, et que j’ai vu
que la balance annonçait moins
2 kilos, pour peu, c’est presque si je
n’ai pas bondi de joie. Odieux, oui.
Plus triste encore: l’extase passagère
provoquée par la lecture de mon
poids allait être mon dernier moment
de bonheur avant longtemps. De
manière insidieuse, sans que je
comprenne bien ce qui se passait, j’ai
commencé à lutter contre une crise
existentielle très difficile à vivre. Alors
que j’exerce le job de mes rêves, que
je m’apprête à me marier avec la
version la plus réaliste d’un Prince
Charmant en dehors des contes
Disney et qu’on vit ensemble dans un
super duplex, depuis lequel on
planifie mille aventures, d’un coup,
tout m’a semblé nul et insoutenable.
Ma vie était nulle, nulle, nulle et un
refrain me tournait en boucle en tête:
« tout plaquer pour aller habiter à
Berlin, tout de suite. »
Le premier jour, j’ai réagi comme un
beauf de base et je me suis dit:
« Tiens, je sens que je vais bientôt être
réglée ». Sauf que: a) l’arrivée de
l’armée rouge n’a qu’une influence
minimale sur mon humeur, merci la
pilule minidosée; et b) non seulement
le sentiment ne s’est pas
atténué au gré du cycle, mais en plus
il n’a fait qu’empirer. Au dixième jour
d’affilée passé dans un brouillard
anxiogène, j’ai dû me rendre à
l’évidence: il y avait un problème. Plus
rien n’avait de goût, pas seulement
les aliments (merci la perte de goût et
d’odorat), mais bien la vie en général.
Moi qui suis une lectrice compulsive,
je n’arrivais pas à lire plus d’une page,
aucune activité ne m’apportait de
plaisir, tout me semblait pénible,
compliqué et inutile. C’est là que je
me suis rappelé une conversation
avec ma pote Élo l’été dernier, et cette
phrase, alors qu’elle me racontait la
convalescence de son père, atteint
par la première vague de Coronavirus:
« Le plus difficile, ça a été vers le
huitième jour, tout à coup il n’avait
plus goût à rien ». Soudain, j’ai arrêté
de remplir la valise mentale que je
préparais pour ma fuite à Berlin, et j’ai
décidé plutôt, quitte à être journaliste,
d’effectuer quelques recherches. Et si
ce mal-être était lié non pas au fait
que ma vie est nulle, nulle, nulle (elle
ne l’est pas, en vrai!), mais bien à un
des effets secondaires de la Covid-19?
LA COVID-19,
LA DÉPRESSION ET MOI
Spoiler, mais bon je l’avais indiqué dès
le titre donc je doute de l’effet de
surprise: la réponse est « oui ». S’il est
encore trop tôt pour avoir une idée de
l’impact psychologique à long terme
de la Covid-19 sur les personnes
atteintes, des chercheurs américains
ont compilé 65 études relatives aux
conséquences psychologiques
d’autres Coronavirus, le SRAS, par
exemple. Verdict de cette analyse
d’envergure, publiée par The Lancet
et relayée par la RTBF: des études qui
ont évalué les symptômes communs
aux patients souffrant du SRAS et du
MERS ont relevé différents troubles
mentaux, parmi lesquels une
confusion mentale (28 %), une
humeur dépressive (32 %), de l’anxiété
(35 %), des troubles de la mémoire
(34 %) et de l’insomnie (42 %). Un
constat inquiétant, qui a poussé le
Dr Jonathan Rogers, chercheur à
l’University College London et co-
auteur de l’étude du Lancet, à mettre
ses confrères en garde: «Bien qu’il y
ait peu de preuves suggérant que les
maladies mentales courantes au-delà
du délire de courte durée soient une
caractéristique de l’infection par
Covid-19, les cliniciens devraient
surveiller la possibilité que des
16 flair.be
4. Des troubles mentaux tels que la dépression, l’anxiété
et le stress post-traumatique pourraient apparaître
dans les semaines et mois suivant la guérison
troubles mentaux courants tels que la
dépression, l’anxiété, la fatigue et le
stress post-traumatique puissent
apparaître dans les semaines et les
mois suivant la guérison d’une
infection grave, comme cela a été
observé avec le SRAS et le MERS. »
Et comme je l’ai appris à mes dépens.
Avant de réaliser que le trouble
mental que je traversais et mon
diagnostic Covid-positif étaient liés,
j’en étais arrivée au point d’écouter en
boucle des chansons tristes (mention
spéciale si elles étaient en prime
associées à un souvenir triste) avec les
yeux brillants de larmes, et à pleurer
en silence en réponse à la phrase la
plus anodine. Au bout d’un moment,
mon homme s’est sagement abstenu
de me demander ce que j’avais envie
de manger puisque cette simple
question suscitait une crise de larmes
accompagnée d’un « Je ne veux rien
manger puisque je n’ai plus goût à
rien, je veux simplement tout plaquer
et partir loin d’ici, tout m’oppresse. »
Grosse ambiance. Pour peu, dans mes
rares moments de clarté mentale, et
étant d’ordinaire d’un naturel rieur à
mille lieues de l’épave en laquelle je
m’étais transformée, j’étais persuadée
d’être en train de devenir folle. Ayant
la chance d’avoir un frère psychiatre,
j’ai décidé de lui passer un petit coup
de fil pour en avoir le cœur net.
« Mais évidemment que c’est lié, tout
le monde sait que le Coronavirus est
associé à des symptômes psycholo-
giques », m’a-t-il répliqué, et sa
réponse, abrupte au possible, a eu le
mérite de me faire rire tant elle
manquait totalement d’empathie.
Mais aussi de me donner une arme
avec laquelle lutter contre les idées
noires qui m’oppressaient: non, le
problème ne venait pas de moi ou de
ma vie, mais bien de cette saleté de
virus. Armée de ce nouveau savoir, j’ai
commencé à réfuter mentalement la
moindre pensée sombre qui m’assail-
lait, en mode « je refuse d’y penser, ce
n’est pas vrai, c’est le Corona qui
parle. » Ma pote Jules a eu cette
phrase salvatrice, qui s’est ajoutée à
mon arsenal de lutte: « Mes pensées
ne sont pas des faits.» Et pour se faire
pardonner sa première réponse
quelque peu sèche (mais aussi parce
que c’est le meilleur frère du monde),
mon frère m’a envoyé une flopée
d’articles scientifiques sur le sujet, qui
m’ont permis, si pas de vraiment
comprendre comment un virus
respiratoire pouvait avoir pris mon
cerveau en otage, de me rappeler que
ce que je traversais était, certes, ultra
pénible, mais temporaire, et que
j’étais loin d’être la seule dans le cas.
Aujourd’hui, à J+20, mon mental
compense clairement pour
l’annulation de la Foire de Liège en
jouant aux montagne russes. Certains
jours, je me sens « comme avant », et
je me surprends avec plaisir à éclater
de rire, et d’autres, tout m’est pénible
et je me convaincs que je ne
redeviendrai jamais entièrement
moi-même et que j’aurai toujours ce
nuage noir honni au-dessus de la
tête. Compliqué, donc, mais je refuse
fermement de devenir une statistique
et si le Coronavirus croit pouvoir me
coloniser la tête aussi facilement, il se
trompe. Parce que j’ai la tête dure,
mais aussi et surtout parce que je suis
excellemment bien entourée, entre
mon fiancé exceptionnel, d’un
soutien sans faille, mes parents
prévenants, mes amis adorables et
mon frère aka mon psychiatre
personnel. Mais aussi parce que j’ai la
chance de savoir ce qui m’arrive et
que le comprendre est essentiel pour
pouvoir lutter. En espérant que cet
article puisse donner à d’autres les
mêmes armes: t’es gentil Covid, mais
tu prends tes cliques et tes claques et
tu te tailles de nos têtes. Et de nos
poumons aussi, tant que tu y es,
merci.
17flair.be
VÉCU