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MERCREDI 21 MARS 2018
74E ANNÉE– NO 22764
2,60 € – FRANCE MÉTROPOLITAINE
WWW.LEMONDE.FR ―
FONDATEUR : HUBERT BEUVE-MÉRY
DIRECTEUR : JÉRÔME FENOGLIO
Algérie 220 DA, Allemagne 3,30 €, Andorre 3,20 €, Autriche 3,30 €, Belgique 2,90 €, Cameroun 2 200 F CFA, Canada 5,40 $, Chypre 2,70 €, Côte d'Ivoire 2 200 F CFA, Danemark 34 KRD, Espagne 3,10 €, Gabon 2 200 F CFA, Grande-Bretagne 2,60 £, Grèce 3,20 €, Guadeloupe-Martinique 3,10 €, Guyane 3,20 €, Hongrie 1 050 HUF,
Irlande 3,10 €, Italie 3,10 €, Liban 6 500 LBP, Luxembourg 2,90 €, Malte 2,70 €, Maroc 19 DH, Pays-Bas 3,20 €, Portugal cont. 3,10 €, La Réunion 3,20 €, Sénégal 2 200 F CFA, Slovénie 3,20 €, Saint-Martin 3,20 €, Suisse 4,00 CHF, TOM Avion 500 XPF, Tunisie 3,20 DT, Afrique CFA autres 2 200 F CFA
LE REGARD DE PLANTU
Pourquoilesoiseauxdisparaissent
▶ Le CNRS et le Muséum
national d’histoire natu-
relle publient deux études
qui pointent la «dispari-
tion massive» des oiseaux
dans nos campagnes
▶ «En moyenne, leurs po-
pulations se sont réduites
d’un tiers en quinze ans»,
précisent les deux institu-
tions, qui évoquent une
«catastrophe écologique»
▶ Attribué par les cher-
cheurs à l’intensification
des pratiques agricoles, le
déclin s’est accéléré depuis
2008, et plus encore
ces deux dernières années
▶ Les scientifiques souli-
gnent aussi le recours
croissant aux néonicoti-
noïdes, qui détruisent les
insectes et raréfient ainsi
l’alimentation des oiseaux
▶ «On assiste à un effon-
drement de la biodiversité
sauvage», affirme Romain
Julliard, chercheur en bio-
logie de la conservation
PAGE 6
SARKOZY
PLACÉ EN
GARDE À VUE
Au siège du parti
Les Républicains,
en août2016.
GUILLAUME HERBAUT
INSTITUTE POUR «LE MONDE»
SCIENCE & MÉDECINE – SUPPLÉMENT LA DÉPRESSION, UNE SOUFFRANCE AU-DELÀ DE LA MALADIE
L’action du réseau social
a perdu 6,8% en Bourse
lundi 19mars, après les
révélations sur Cambridge
Analytica. Soit plus de
30milliards de dollars. Et,
aux Etats-Unis, plusieurs
responsables politiques
réclament que Mark Zuc-
kerberg, son PDG, s’expli-
que devant le Congrès
CAHIER ÉCO – PAGE 1
Etats-Unis
Crisehistorique
chezFacebook
Politique
Mélenchon obligé
de se rallier à
l’unité des gauches
PAGE 7
Voiture autonome
Uber suspend
ses essais après
un accident mortel
CAHIER ÉCO –PAGE 4
Brexit
Période de
transition: Londres
cède à Bruxelles
PAGE 3
SEPT ANS
D’ENFER SYRIEN
PAGE 21
1É D I T O R I A L
Audiovisuelpublic
Lesscénariosd’uneréforme
Le président l’a répété, il
faut réformer l’audiovisuel
public. D’ici à «la fin du pre-
mier trimestre 2018», a-t-il expli-
qué lors de ses vœux à la presse le
4janvier, l’exécutif produira un
«scénario de transformation».
Pour se guider, il s’appuie sur une
idée du candidat Macron: le
«rapprochement» entre France
Télévisions et Radio France. Dans
le premier volet d’une série sur
l’audiovisuel public, Le Monde
liste les scénarios qui s’offrent
aujourd’hui au gouvernement; et
les écueils qui accompagnent
chacun d’entre eux. «Seuls les ser-
vices publics peuvent contrer Net-
flix», juge Takis Candilis, patron
de la stratégie et des programmes
de France Télévisions depuis le
26février. Dans les prochains
jours, Le Monde plongera au
cœur de cinq modèles européens
de télés et radios publiques qui
pourraient être des sources d’ins-
piration.
CAHIER ÉCO – PAGES 2-3
Son dernier film,
«Mektoub, My Love»,
sur les écrans à partir de
mercredi 21mars, est une
célébration de la beauté
et de l’amour. Dans une
interview au «Monde»,
le réalisateur explique
l’avoir conçu comme
une réaction à une
époque «terrifiante»
PAGES 12-13
Cinéma
Kechiche,l’ode
àl’insouciance
ViolsdelaSambreUnesilonguetraque
Interpellé le 26février, Dino
Scala a été mis en examen
pour vingt viols et agressions
sexuelles commis dans le nord de
la France, dans le cadre d’une en-
quête ouverte en1996. La justice
belge a, elle, identifié huit affaires
qui pourraient lui être rattachées.
Le Monde a interrogé les enquê-
teurs, magistrats qui se sont suc-
cédé,ainsiqu’élusetvictimes,pour
raconter cette longue investiga-
tion, ses cahots et ses mises en
sommeil. Eparpillement des plain-
tes, manque de communication et
desdifférencesdeméthodedepart
et d’autre de la frontière: ce récit
permet de comprendre comment
ce dossier a tenu en échec la police
pendantvingt-deuxans.
PAGES 10-11
▶ L’ex-chef de l’Etat
s’est rendu mardi
20 mars dans les locaux
de la police judiciaire
de Nanterre
▶ Il y est entendu dans
le cadre de l’enquête
sur le possible finance-
ment par la Libye
de sa campagne
présidentielle de 2007
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INTERNATIONAL MERCREDI 21 MARS 2018
0123
Lesaffaireséclairéesdesprochesd’Orban
L’entouragedupremierministrehongroiss’enrichitsurledosd’uneUnioneuropéennequ’ildénonce
ENQUÊTE
szekszard (hongrie) -
envoyé spécial
L
es lampadaires de
Szekszard sont devenus
uneaffaired’Etat.Passeu-
lement«parcequ’ilsdiffu-
sentmallalumièreetqu’onn’yvoit
pas bien», comme le note le dé-
puté d’opposition Akos Hadhazy,
dans les rues sombres de cette pe-
tite ville du centre de la Hongrie.
Mais parce que, depuis quelques
mois, ils jettent une lumière crue
surlesaffairessulfureusesdel’en-
tourage de Viktor Orban, le pre-
mier ministre hongrois ultracon-
servateur actuellement en pleine
campagne pour obtenir sa réélec-
tion le 8 avril. Si l’homme fort de
Budapest dénonce sur tous les
tons «Bruxelles» et sa politique
d’immigration, il est nettement
plus discret sur les scandales qui
se multiplient autour de l’usage
douteux des fonds régionaux
européens par ses proches.
Parmi ces affaires, celle des lam-
padaires de Szekszard, et de
34 autres communes, semble la
plus gênante. Tout a commencé
en 2012, quand Akos Hadhazy, vé-
térinaire dans le civil, occupait
encore la fonction de simple con-
seiller municipal, alors membre
du Fidesz, le parti de M. Orban. En
plein milieu de l’été, il est subite-
ment convoqué pour un conseil
extraordinaire destiné à renouve-
ler les lampadaires de toute la
commune. «Le maire nous a an-
noncé qu’il fallait tout décider
dans les deux jours, sans en avoir
jamais parlé auparavant, alors
qu’il y en avait tout de même pour
3 millions d’euros. J’ai trouvé ça bi-
zarre», assure l’élu, qui avait pris
l’habitude d’enregistrer toutes les
réunions du groupe Fidesz. Pour
calmer les réticences, l’édile passe
alors un coup de fil en pleine réu-
nion à la directrice de ce qui est
encore une discrète société
d’éclairage, Elios Innovativ.
«Après cette discussion, il nous a
dit que ça ne coûterait rien à la
ville, grâce aux fonds européens.»
Danslafoulée,lesélusvotenten
faveur du lancement d’un appel
d’offres, qui sera remporté quel-
ques mois plus tard par… Elios.
Mais le vétérinaire de Szekszard
n’est pas au bout de ses surprises.
Il découvre que le gendre de
ViktorOrban,IstvanTiborcz,quia
épousé en 2013 sa fille aînée, Ra-
hel, siège au comité de direction
de la société. M. Tiborcz est entré
chezEliosàsacréation,en2009,à
23ans. Surgie de nulle part, cette
entreprise a connu en quelques
annéesunecroissancefulgurante
en installant, sur fonds euro-
péens, des lampadaires LED dans
une trentaine de municipalités
du pays, presque toutes contrô-
lées par le Fidesz.
«Plainte classée sans suite»
En2015 à Budapest, une journa-
liste du site d’investigation
Direkt36, Anita Varok, s’interroge
sur ce mystérieux succès. Elle
épluche tous les appels d’offres
remportésparElios,etfaitunein-
trigante découverte. «Pour beau-
coup d’entre eux, il n’y avait qu’un
candidat: Elios. Ces appels d’offres
demandaient tous une expérience
précédente dont seule cette société
disposait. Sauf dans le premier ap-
pel d’offres de lampadaires LED de
l’histoire du pays, justement rem-
porté en 2010 par Elios, à Hod-
mezovasarhely.»
Cette commune est le fief de
Janos Lazar. Très proche de Viktor
Orban, il est actuellement son
chef de cabinet. La journaliste dé-
couvre même qu’un des associés
d’IstvanTiborczdirigeenparallèle
une société de conseil qui aide les
municipalités à rédiger les appels
d’offres…Toutcelasouslasupervi-
sion des bureaux du premier mi-
nistre chargés de vérifier leur vali-
dité. Fort des révélations de
Direkt36 et de son enregistre-
ment, Akos Hadhazy dépose,
en 2015 une plainte auprès de la
police, après avoir quitté le Fidesz.
«Jepensaisqueceseraitunepreuve
indéniable. Je me suis trompé. Au
bout d’un an, la plainte a été clas-
sée sans suite.» Dans sa réponse
consultée par Le Monde, la police
hongroise affirme que tous les ap-
pels d’offres «ont été conformes à
la réglementation» et que l’enre-
gistrement ne contient rien «qui
ferait penser qu’il y avait un accord
préalable avec Elios pour limiter la
concurrence».
L’affaire aurait pu en rester là,
bien enfouie dans les classeurs
des enquêteurs hongrois. C’était
sans compter sur l’Office euro-
péen de lutte antifraude (OLAF),
quis’estentre-tempssaisidudos-
sier depuis Bruxelles, en raison
de l’utilisation de fonds euro-
péens dans ces marchés. Le résul-
tat de ses investigations, révélé
en janvier par le Wall Street Jour-
nal, a fait l’effet d’une bombe en
pleine campagne pour les législa-
tives.Dansleurrapportde140pa-
ges, consulté par Le Monde, les
enquêteurs européens confir-
ment point par point les investi-
gations de Direkt36 et mettent
nommément en cause Istvan Ti-
borcz.L’OLAFdénoncenonseule-
ment de «sérieuses irrégularités»
et des «conflits d’intérêts», mais
parle aussi d’un «schéma de
fraude organisée». L’office re-
commande le remboursement
de 43,7 millions d’euros par la
Hongrie et demande au parquet
derouvrirsonenquête.Dirigépar
un proche de Viktor Orban, ce-
lui-ci obtempère le 22 janvier,
tout en précisant bien que ce
n’est pas «l’OLAF qui détermine si
un crime a été commis ou non».
L’affaireEliosn’enestpasmoins
gênante pour le pouvoir. Une
vidéo moquant l’enrichissement
d’Istvan Tiborcz a été vue
800000 fois sur Facebook. Et le
25 février, lors d’une élection mu-
nicipale partielle justement orga-
nisée à Hodmezovasarhely, le
candidat du Fidesz a été battu à la
surprisegénéraleparunindépen-
dant soutenu par l’ensemble de
l’opposition, qui a fait campagne
contre la mainmise de Janos La-
zar sur la commune, dont Elios
ne serait qu’un des symptômes.
M. Lazar n’a pas souhaité répon-
dre à nos questions, et Istvan
Tiborcz, qui a revendu ses parts
dans Elios en 2015 pour un mon-
tant estimé par plusieurs journa-
listes d’investigation hongrois à
près de 10 millions d’euros, fuit
toute demande d’interview.
«Une attaque personnelle»
Mais à Szekszard, Istvan Horvath,
l’ex-maire enregistré à son insu
par Akos Hadhazy, devenu désor-
mais député, assure au Monde
que le «rapport de l’OLAF est
une attaque personnelle contre
Orban», dont le nom n’est pour-
tant pas mentionné dans le docu-
ment. Si son gendre a emporté le
marché des lampadaires, c’est
uniquement parce que «son offre
étaitlameilleuresurleplanécono-
mique», affirme l’élu. Dans le pre-
mier cercle de Viktor Orban, on se
fait encore plus clair: «Ce rapport
fait partie d’une campagne politi-
quedel’opposition,ilaétéécritpar
trois Hongrois», affirme Zoltan
Kovacs, porte-parole du chef du
gouvernement. Et de s’en prendre
à «Jean-Claude Juncker [le prési-
dent de la Commission euro-
péenne], qui a fait de la commis-
sion un organisme politique».
Premiers bénéficiaires de fonds
européensparhabitantdel’UE,les
Hongrois multiplient de facto les
rapports de l’OLAF. Une soixan-
taine en tout, alors que le gendre
deViktorOrbann’estpasleseulde
ses proches à s’être enrichi grâce
aux fonds européens. Le maire de
son village natal et ancien cama-
radedeclasse,LörincMeszaros,est
devenu le cinquième homme le
plus riche de Hongrie en 2017, à la
tête d’un empire qui va de la cons-
truction à la banque à l’hôtellerie
etsurtoutauxmédias.Selonlesite
d’investigation Atlatszo, 83 % des
appels d’offres remportés par ses
entreprises depuis 2010 ont été fi-
nancés par des fonds européens.
Sollicité, l’OLAF n’a pas souhaité
dire s’il enquêtait sur les activités
de M. Meszaros, qui n’a pas ré-
pondu à nos questions.
Direkt36 assure aussi que les
entreprises du père et des frères
de Viktor Orban apparaissent ré-
gulièrement comme sous-trai-
tants dans des chantiers financés
par l’UE. Pour Andras Petho, le di-
recteur de Direkt36, «Orban a
bâti un système basé sur les mar-
chés publics financés par l’UE
grâce auquel ses proches et ses
amis sont devenus riches. C’est as-
sez ironique de la part de quel-
qu’un qui attaque autant l’UE
A Szekszard (Hongrie).
Ci-dessus, le député
d’opposition hongrois
Akos Hadhazy, le 12mars.
A droite et ci-contre,
les éclairages d’Elios.
AKOS STILLER POUR «LE MONDE»
«Dans 36 % des
appels d’offres
hongrois, il n’y a
eu qu’un seul
candidat. C’est
inacceptable»
INGEBORG GRÄSSLE
eurodéputée allemande
dans ses discours.» A Bruxelles,
on ne cache pas son agacement.
«Dans 36 % des appels d’offres
hongrois, il n’y a eu qu’un seul
candidat. C’est inacceptable, la
moyenneeuropéenneestde17%»,
tonne Ingeborg Grässle, la prési-
dente de la Commission du con-
trôle budgétaire au Parlement
européen. Cette eurodéputée al-
lemande affiliée au Parti popu-
laire européen (PPE, conserva-
teur), comme Viktor Orban, a
conduit en septembre une mis-
sion d’enquête en Hongrie et ne
tait pas ses doutes sur la justice
de ce pays. «Ce serait bien qu’elle
s’y mette vraiment et qu’une vraie
enquête soit ouverte.»
Peu de pouvoirs d’enquête
Pour l’instant, la Commission
européenne se révèle pourtant as-
sezimpuissante,àlafoisenraison
d’une certaine réticence à mettre
en cause un membre du PPE, ma-
joritaire au niveau européen, et
faute de véritables pouvoirs d’en-
quête.«Lesrapportsdel’OLAFsont
presquesystématiquementcontes-
tés par Budapest, déplore un fonc-
tionnaire européen proche du
dossier. Or, dans les cas de fraude,
nous préférons attendre des déci-
sions de justice définitives avant de
récupérer les fonds dépensés.» La
Hongriearefusédefairepartiedu
projet de création d’un parquet
européen destiné à superviser les
enquêtessurlesfraudesauxfonds
européens. «Si le procureur hon-
grois ne décide pas d’ouvrir une en-
quête dans le dossier Elios, ce sera
toutefois difficile de ne rien faire»,
reconnaît ce fonctionnaire. En at-
tendant, Viktor Orban affirme, lui,
vivre toujours aussi modeste-
ment. Sa dernière déclaration de
patrimoine mentionne deux ap-
partements et un solde sur le
compte commun qu’il détient
avec sa femme de seulement
742000 forints. Soit 2384 euros. p
jean-baptiste chastand
100 km
ROUMANIECROATIE
SLOVAQUIE
UKR.
SERBIE
AUTRICHE
Budapest
Szekszard
HONGRIE
Hodmezovasarhely
0123
MERCREDI 21 MARS 2018 international | 3
EnOccident,réactions
officiellesglaciales
àlaréélectiondePoutine
Lescapitaleseuropéennesontsouligné
leursdivergencesavecleprésidentrusse
Il n’est pas question pour les
grandes capitales européen-
nes de féliciter, comme si de
rien n’était, Vladimir Poutine
poursaréélection.Sonquatrième
mandat à la tête de la Russie a été
salué par ses alliés, à commencer
par le Chinois Xi Jinping, le Véné-
zuélien Nicola Maduro, le Syrien
Bachar Al-Assad, l’Iranien Hassan
Rohani, et le Hongrois Viktor
Orban. Les réactions occidentales
sont en revanche pour le moins
réservées, voire glaciales, à l’aune
des tensions croissantes encore
attisées par la tentative d’empoi-
sonnement par du Novitchok, un
redoutable produit neurotoxi-
que, de l’agent double Sergueï
Skripal,66ans,et desafilleIoulia,
33ans, à Salisbury dans le sud de
l’Angleterre. Ni Londres ni
Washington n’avaient envoyé de
message quarante-huit heures
après le scrutin.
Emmanuel Macron est l’un des
rares dirigeants occidentaux à
avoir appelé le président russe.
Mais leur conversation, le
19 mars, a été pour le moins fran-
che, comme en témoigne le com-
muniqué de l’Elysée. «Au lende-
main de l’élection présidentielle et
au moment où Vladimir Poutine
s’apprête à exercer une nouvelle
fois les plus hautes fonctions exé-
cutives, le président de la Républi-
que a adressé à la Russie et au peu-
ple russe, au nom de la France, ses
vœux de succès pour la moderni-
sation politique, démocratique,
économique et sociale du pays»,
affirmeletexte.Lesmotssontsoi-
gneusement pesés et pas une
seule fois il n’est fait mention de
félicitations personnelles pour le
vainqueur.
«Nécessité d’un dialogue»
Les principaux points de conten-
tieux avec Moscou sont en outre
listés l’un après l’autre, tout en
rappelant la «nécessité d’un dia-
logue constructif». Emmanuel
Macron souligne son inquiétude
pour la situation en Syrie, à Afrin
comme dans la Ghouta orientale,
«appelant la Russie à faire ses
meilleurs efforts pour que cessent
les combats et les pertes civiles». Il
insiste aussi sur «le ferme atta-
chement de la France au plein ré-
tablissement de la souveraineté et
de l’intégrité territoriale de
l’Ukraine dans ses frontières inter-
nationalement reconnues». Il
demande aux autorités russes de
«faire toute la lumière sur les res-
ponsabilités dans l’inacceptable
attaquedeSalisbury».Onnepeut
être plus clair, alors même que
Paris avait, dans les premiers
jours, semblé hésiter à accuser di-
rectement Moscou.
La chancelière allemande, en
s’entretenant en fin de journée
avecVladimirPoutinepourleféli-
citer, a évoqué la nécessité de
«poursuivre le dialogue» dans le
but «de répondre aux défis bilaté-
raux et internationaux de manière
constructive et de trouver des solu-
tionsdurables».Ellesedoitdemé-
nager un allié social-démocrate
traditionnellement plus conci-
liant vis-à-vis de Moscou. Son
porte-paroleSteffenSeibertn’ena
pas moins reconnu «des différen-
ces d’opinion avec la Russie».
«Nous critiquons la politique de la
Russie par moments très claire-
ment et précisément, comme sur
l’Ukraine et la Syrie», a-t-il insisté.
Solidarité avec Londres
L’Union européenne a, pour sa
part, regretté une élection qui
s’est déroulée «dans un environ-
nement juridique et politique trop
contrôlé, marqué par une pres-
sion continue sur les voix criti-
ques». Les ministres des affaires
étrangères des 28 réunis à
Bruxelles le 19 mars ont en outre
rappelé leur «totale solidarité»
avec Londres face à l’attaque à
l’arme chimique commise sur
son territoire, sans pour autant
arriver à une position commune
pour dénoncer la responsabilité
de Moscou et a fortiori discuter
d’éventuelles sanctions. Comme
à l’accoutumée la Grèce, l’Italie et
Chypre s’y sont opposés.
«Les démentis de la Russie sont
de plus en plus absurdes», avait
lancé, à son arrivée, le ministre
des affaires étrangères britanni-
que Boris Johnson, relevant
«qu’un jour, les Russes assurent
qu’ils n’ont jamais produit [l’agent
innervant] Novitchok; un autre
jour, ils affirment qu’ils ont pro-
duit du Novitchok mais soutien-
nent que tous les stocks ont été dé-
truits; puis ils annoncent que cer-
tains stocks se sont mystérieuse-
ment échappés vers la Suède ou la
Slovaquie, en République tchèque
ou aux Etats-Unis, ou même au
Royaume-Uni». p
marc semo
LesEuropéenssontdiviséssurl’opportunité
denouvellessanctionscontrel’Iran
Poursauverl’accordnucléaire,contestéparTrump,Paris,LondresetBerlindurcissentleton
bruxelles - bureau européen
Les Européens «chantent à
plusieursvoix,maislamême
chanson». La formule de la
haute représentante Federica Mo-
gherini résume, de manière un
peuoptimiste,cequis’est,unefois
encore, déroulé lundi 19 mars, à
Bruxelles, lors d’une réunion des
ministres des affaires étrangères.
Confrontée au risque de voir Do-
nald Trump remettre en cause
l’accord international conclu à
Vienne,en2015,surleprogramme
nucléaire de l’Iran, l’UE entend
tout faire pour sauver ce texte
maissedivisesurlastratégiepour
– peut-être – y parvenir.
D’un côté, la France, le Royau-
me-Uni et l’Allemagne évoquent
dessanctionsàprendrecontreTé-
héran, pour son soutien au ré-
gime syrien et aux rebelles hou-
thistes du Yémen, qui sont en
guerre contre une coalition arabe
dirigéeparl’Arabiesaoudite.Paris,
LondresetBerlin,quitententvisi-
blement de convaincre Washing-
ton de leur fermeté, disent aussi
partager les inquiétudes améri-
caines quant au programme ira-
nien de missiles balistiques, con-
traire,seloneux,àlalettreetàl’es-
prit de l’accord de Vienne.
«Leur portée est plus longue,
plus précise, plus létale que
prévu»,affirmeundiplomate,qui
juge en outre «inquiétant» le
transfert de cet armement à «des
acteurs étatiques et non étati-
ques» de la région. «Nous ne de-
vons pas exclure la responsabilité
de l’Iran dans la prolifération des
missiles balistiques et dans son
rôletrèsdiscutableauProcheetau
Moyen-Orient», déclarait, lundi,
Jean-Yves Le Drian, qui se disait
«déterminé» à s’assurer que l’ac-
cord de Vienne était respecté. «Ce
doit être discuté pour parvenir à
une position commune», souli-
gnait le ministre français.
«Affreuses erreurs»
Celle-ci est loin d’être trouvée. Un
régime de sanctions européen-
nes contre l’Iran est toujours en
vigueur, mais son renforcement
–ceseraitlepremierdepuis2015–
suppose une unanimité des
Vingt-Huit. La signature de l’ac-
cord sur le nucléaire –approuvé
par la France, le Royaume-Uni,
l’Allemagne, la Chine, la Russie et
les Etats-Unis, alors dirigés par
Barack Obama– avait entraîné la
levée des sanctions économi-
ques. M.Trump a donné aux si-
gnataires européens jusqu’au
12mai pour «réparer les affreuses
erreurs»decedocument,fautede
quoi il refusera, dit-il, de prolon-
ger l’assouplissement des sanc-
tions américaines contre la Répu-
blique islamique.
Bruxelles prend très au sérieux
cette menace qui, affirme
Mme Mogherini, comporte un en-
jeu sécuritaire majeur «pour l’Eu-
ropeetlemonde».AuxEtats-Unis,
Bob Corker, président républicain
de la commission sénatoriale des
affaires étrangères, a indiqué ré-
cemment qu’il ne croyait pas à la
prolongation de l’accord. «Je
pense que le président en sortira
sansdoute,àmoinsquenoshomo-
logues européens ne proposent un
autre cadre. Et je n’ai pas l’impres-
sion que ce soit leur intention», a-
t-il déclaré sur la chaîne CBS.
C’est pour tenter d’infléchir des
jugements de ce type que Paris,
Londres et Berlin ont déposé un
document évoquant de nouvelles
sanctions, dévoilé par l’agence
Reuters, mais dont l’existence
n’est pas confirmée par les chan-
celleries,soucieuses,àcestade,de
ne pas provoquer d’autres divi-
sionsdanslecampeuropéen.Cer-
tains pays – dont l’Italie – rejet-
tent, en effet, l’hypothèse de nou-
velles mesures coercitives. Ils
sont soucieux du développement
de leurs relations commerciales,
d’autant, soulignent-ils que l’Iran
n’a pas vraiment bénéficié du
programme d’investissements
qui lui était promis et que ses ex-
portations de pétrole vers l’Eu-
rope n’ont atteint que les trois
quarts de leur niveau d’avant les
sanctions.
Leprojet élaboréparlaFranceet
ses partenaires n’a pas été évoqué
par Mme Mogherini. Il n’y a «pas
de position officielle de l’Union sur
de nouvelles sanctions», a-t-elle
insisté. Elle est très attachée à l’ac-
cord qu’elle a négocié, et sou-
cieuse de maintenir le contact
avec la diplomatie iranienne, qui
rejettel’idéed’unenégociationde
son programme balistique, pré-
senté comme purement défensif.
Téhéran se montre désormais
aussi très critique à l’égard de
M. Le Drian, qui s’est rendu en
Iran au début du mois. «Nous es-
périons qu’après sa récente visite
et ses négociations, [M. Le Drian]
comprendrait les réalités de la po-
litiquededéfenseiranienne»,adé-
claré Bahram Qasemi, porte-pa-
role du ministère des affaires
étrangères. p
jean-pierre stroobants
Brexit:LondresetBruxellesse
mettentd’accordsurlatransition
Legouvernementbritanniqueamultipliélesconcessionspourgarder
certainsdroitsaulendemainduretraitofficieldel’UE,finmars2019
londres - correspondant
bruxelles -bureau européen
L
a pression des milieux
d’affaires britanniques
était trop forte: lundi
19mars,legouvernement
de Theresa May a accepté les con-
ditions posées par Bruxelles pour
préciser la période de transition
qu’il réclamait, dans la foulée du
Brexit. Une période durant la-
quelle le Royaume-Uni pourra
continuer à négocier sa «relation
future» avec l’Union européenne
(UE), sans perdre brutalement
tous les avantages d’un Etat
membre.
Latransitionnedevradurerque
vingtetunmois,du30mars2019,
lendemain du Brexit, jusqu’au
31décembre2020, comme le ré-
clamaient les Européens. Et pas
jusqu’en mars2021, comme l’a
d’abord souhaité Mme May. Autre
concession, bien plus consé-
quente: Londres a accepté que les
citoyens de l’UE venant s’installer
au Royaume-Uni durant la pé-
riode de transition puissent bé-
néficier du même droit de séjour
que ceux arrivés dans le pays
avant le Brexit.
Londres a par ailleurs renoncé
au«droitdeveto»réclamésurles
lois que l’UE adopterait durant
cette période de transition: le
pays pourra, jusqu’au 31 décem-
bre2020, continuer d’accéder
sans entraves au marché inté-
rieur européen, en contribuant
au budget communautaire, mais
il n’aura plus du tout voix au cha-
pitre:niministresinvitésaux réu-
nions bruxelloises ni députés
européens.
Londres pourra aussi entrer en
négociation avec des pays tiers, en
vue de conclure des accords com-
merciaux, mais pas question que
cesaccordsentrentenvigueurdu-
rant la période de transition.
Bruxelles a cependant échoué,
pour l’instant, à imposer une
«clause guillotine», amputant le
Royaume-Uni de certains de ses
droits d’accès au marché intérieur
durantlatransitionsilepaysnese
conformait pas aux lois de l’UE ou
aux décisions de la Cour de justice
deLuxembourg,laplushautejuri-
diction européenne.
Provocation
Sur l’épineuse question irlandaise,
Londres a aussi significativement
reculé, acceptant que, en l’absence
d’une solution britannique pour
éviter le retour d’une «frontière
dure» entre la République d’Ir-
landeetl’IrlandeduNord,ceserait
lapropositionmisesurlatablepar
lesEuropéensquis’imposerait.Or,
cette dernière a tout d’une provo-
cationpourlegouvernementMay,
qui dépend, pour sa fragile majo-
rité parlementaire, d’une alliance
de circonstance avec le petit parti
unioniste nord-irlandais DUP.
Comme Londres souhaite quit-
ter à terme l’union douanière,
Bruxelles a proposé que le con-
trôle des marchandises, devenu
nécessaire, entre l’UE à vingt-sept
et le Royaume-Uni, ne s’effectue
pasàlafrontièreentrel’Irlandedu
Nord et la République d’Irlande,
qui doit rester virtuelle afin de
préserver les «accords de paix de
1998» (ayant mis fin à trente ans
de guerre civile en Irlande du
Nord).Cecontrôleauraitlieudans
les ports britanniques: une ma-
nière de réunifier l’île d’Irlande
par le commerce.
MichelBarnier,lenégociateuren
chef de l’UE, s’est félicité, lundi,
d’avoir pu franchir avec son ho-
mologue britannique, David Da-
vis, une étape «décisive» des dis-
cussions avec Londres. «Nous
avons fait ces derniers jours une
partieessentielleducheminversun
départ ordonné» du Royaume-
Uni, a ajouté le Français. De fait, la
perspective d’un «non-accord»
entre Londres et l’UE s’éloigne,
même si M.Barnier a précisé,
lundi, que la transition ne sera dé-
finitivement acquise que quand
les parties se seront mises d’ac-
cord sur tous les autres points du
divorce, au plus tard en octobre de
cette année.
Mais, en cédant du terrain sur la
souveraineté britannique en
échange du maintien temporaire
du libre accès au marché unique
européen, Theresa May a déclen-
ché des réactions hostiles au sein
de sa propre famille politique.
Pendant près de deux ans supplé-
mentaires, «rien ne va changer et
je pense que c’est un problème que
le gouvernement va devoir affron-
ter car beaucoup de députés sont
très mal à l’aise à ce sujet», a dé-
claré Iain Duncan Smith, ancien
ministre conservateur euro-
phobe. Quant à Nigel Farage, ex-
leader du Parti pour l’indépen-
dance du Royaume-Uni (UKIP;
extrême droite), il a appelé une
fois de plus à la démission de
«Theresa [May] la conciliatrice».
En écho, à gauche, le député
travailliste proeuropéen Chuka
Umunna,areprochéàlaPremière
ministre d’avoir «capitulé».
La concession sur les droits de
pêche, qui continueront d’être
fixés par l’UE et non par le Parle-
ment national comme promis par
les brexiters, est celle qui suscite le
plus de protestations. Douglas
Ross, député conservateur d’une
circonscription côtière, a affirmé
qu’«il serait plus facile de boire un
bock de vomi froid que de vendre
[l’accord] comme un succès».
«Régimes d’équivalences»
ABruxelles,lesnégociateursvont
maintenant pouvoir se concen-
trer sur la «relation future» que
les Européens envisagent déjà
comme un accord de libre-
échange. Les Britanniques ont ac-
ceptécecanevas,maisilsmilitent
pour qu’il intègre un accord sur
lesservicesfinanciers:ilsveulent
préserver le précieux «passe-
port»dontdisposelaCitydeLon-
dres pour vendre sans entraves
ses services sur le marché inté-
rieur européen.
Or, selon nos informations, sur
ce point, les Vingt-Sept devraient
approuver lors du Conseil euro-
péendu23marsdes«lignesdené-
gociation» très dures: ils ne sont
prêts à accorder que des «régimes
d’équivalences» à la place finan-
cière britannique, c’est-à-dire à lui
ménager certes des accès assez
complets à leurs places continen-
tales, mais révocables à tout mo-
ment par la Commission. Ces régi-
mes ne seront pas négociables:
Bruxelles décidera toute seule de
leur contenu mais tiendra évi-
demment compte des intérêts de
la City, dont le rôle restera impor-
tant pour le continent. p
philippe bernard
et cécile ducourtieux
Londres
a renoncé au
«droit de veto»
réclamé sur
les lois que l’UE
adopterait durant
la transition
L’Iran rejette
l’idée d’une
négociation de
son programme
balistique,
présenté comme
défensif
NORVÈGE
Démission de la
ministre de la justice
La ministre norvégienne de
la justice, Sylvi Listhaug, a
annoncé sa démission,
mardi 20mars, peu avant le
vote programmé d’une mo-
tion de défiance par le Parle-
ment. Sa décision devrait
empêcher la chute du gou-
vernement de droite minori-
taire. La ministre avait pro-
voqué une crise politique, le
9mars, quand elle avait ac-
cusé le Parti travailliste d’op-
position de «penser que les
droits des terroristes sont plus
importants que la sécurité de
la nation». – (Reuters.)
CORÉE DU SUD
Séoul et Washington
réduisent leurs
manœuvres militaires
La Corée du Sud et les Etats-
Unis ont annoncé, mardi
20mars, que leurs exercices
militaires conjoints annuels,
déjà reportés à cause des Jeux
olympiques, reprendront le
1er avril mais en étant raccour-
cis d’un mois. Ces
manœuvres à grande échelle
impliquent le déploiement
de dizaines de milliers de
troupes au sol. Des discus-
sions sont en cours en vue
d’un sommet entre les deux
Corées, qui serait suivi par
une rencontre entre le prési-
dent américain, Donald
Trump, et le dirigeant nord-
coréen, Kim Jong-un. – (AFP.)
IRAK
New Delhi confirme
la mort de 39 Indiens
enlevés par l’EI
La ministre indienne des af-
faires étrangères, Sushma
Swaraj, a confirmé, mardi
20mars, que les corps de
39 ressortissants, découverts
dans un charnier à Badouch,
près de Mossoul, en Irak,
avaient été identifiés. Ces
ouvriers issus de familles
pauvres travaillaient pour
une entreprise du bâtiment
lorsqu’ils avaient été kidnap-
pés en juin2014 par l’organi-
sation Etat islamique. Les
autorités indiennes disent
n’avoir jamais reçu de de-
mande de rançon ou été en
contact direct avec les ravis-
seurs. – (Reuters.)
4| international MERCREDI 21 MARS 2018
0123
Comment
laChinetraque
lesOuïgours
d’Europe
Pékinexercedemultiples
pressionssurlesmembresde
cettecommunautévivantenexil
pékin - correspondant
A
Paris, Berlin ou Is-
tanbul, les Ouïgours
de l’étranger, qu’ils
aientdéjàadoptélana-
tionalité du pays hôte ou qu’ils
soienttoujoursressortissantschi-
nois,sontlacibled’unecampagne
d’intimidation d’une ampleur
inédite. Six d’entre eux, vus ou
jointsparLeMonde,onttémoigné
de pressions d’agents chinois
pour les pousser à espionner
d’autres membres de la commu-
nauté en exil, cesser de manifes-
ter, fournir des documents per-
sonnels et, pour certains, rentrer
en Chine. Avec une redoutable
arme: des menaces systémati-
ques de détention de leurs fa-
milles au Xinjiang.
Un Ouïgour de nationalité fran-
çaise et vivant près de Paris a ainsi
reçu récemment un appel vidéo
desamère,aupays.L’airangoissé,
levantleregardcommepourcher-
cher l’approbation d’un tiers en
contrechamp avant de parler, elle
aimplorésonfilsdelui«laisserun
peu d’air pour respirer» en ne se
rendantplusàdesmanifestations,
en France, de la communauté
ouïgoure en exil. «Mon chéri, ar-
rête, écoute la police chinoise», di-
sait-elle. Craignant qu’elle ne soit
arrêtée, il a renoncé à ces rassem-
blements qui appellent au res-
pect des droits de l’homme.
Mais les agents chinois, eux,
n’ont pas cessé leurs pressions.
Un homme, en particulier, qu’il
n’a pourtant jamais rencontré,
mais qui, chaque jour, lui envoie
des messages par une application
de messagerie depuis la Chine: il
demande ce qu’il a fait de sa jour-
née en France, s’il se rend bien à
son travail dont il connaît tous les
détails, s’il a des informations sur
les activités d’autres membres de
la communauté. Une fois, à l’ap-
proche d’une manifestation, il l’a
prévenu: «On va chercher ta mère
dans la semaine.»
«Lancer le filet très loin»
Les 10,5 millions de Ouïgours,
turcophones et musulmans, sont
soumis depuis 2016 à des mesu-
res de surveillance physique et
électronique d’une portée sans
précédent dans la région auto-
nome du Xinjiang, aux confins
de l’Asie centrale. Des rafles à
grande échelle ont envoyé des
centaines de milliers d’individus
en prison ou dans des centres
d’«éducation politique», sou-
vent au motif d’avoir séjourné à
l’étranger, ou bien d’y avoir de la
famille. «Les Ouïgours à l’étran-
ger ressentent une profonde an-
xiété, ils ne peuvent pas contacter
leurs familles et vivent dans l’an-
goisse que leurs proches aient été
emprisonnés», dit le linguiste Ab-
duweli Ayup, réfugié en Turquie.
EnFrance,lesdemandesd’infor-
mations se sont faites plus dé-
taillées depuis l’été 2017: une
Française d’origine ouïgoure con-
fie avoir été contactée par sa mère
restée au Xinjiang qui, sur ordre
de la police locale, lui demandait
desscansdesoncontratdetravail,
du bail de son appartement, des
documents prouvant sa nationa-
lité française, mais aussi de tous
ses diplômes ou encore de son
certificat de mariage. A part cet
échange, elle ne contacte plus ses
proches, sur ordre de sa mère:
«Elle m’a dit: “Tu es intelligente, tu
comprendras, ne m’appelle plus, ni
plus personne de la famille”.»
«La police politique chinoise a
pourbutderamasserlemaximum
d’informations, ce qui lui donne
des moyens de contrôle. Ils appel-
lent ça: lancer le filet très loin pour
attraper le plus de poissons», dit
une autre Ouïgoure française. Les
autorités chinoises veulent, entre
autres, déterminer qui a gardé la
nationalité chinoise ou pris la ci-
toyenneté française. Pékin pour-
rait alors contraindre ses ressor-
tissants à rentrer en Chine en fai-
sant pression sur leurs parents.
Les dangers d’un tel retour
épouvantent tout le monde. «J’ai
peur d’aller directement en prison
et d’être torturé si je rentre. Les
autorités chinoises sont persua-
déesquelamentalitédesOuïgours
sortis du pays a été contaminée»,
dit un Ouïgour encore chinois ré-
sidant en France. Il a pourtant
toujours gardé ses distances avec
les militants de la cause en Eu-
rope. «Mais plus personne n’est
hors du radar», déplore-t-il.
«Frérot, ne nous oublie pas»
Batur (le prénom a été modifié),
un étudiant ouïgour d’une tren-
taine d’années installé à Berlin, a
vu la situation se tendre après
l’arrivée en 2016 d’un nouveau
secrétaire général du Parti com-
muniste à la tête du Xinjiang,
Chen Quanguo, fort de son suc-
cès dans la «sécurisation» du Ti-
bet, où il officia précédemment.
Batur commença à cette époque
à être contacté sur WeChat ou
Skype par deux agents en Chine.
«Au début, ils me demandaient
comment allaient mes études, si
j’avais des amis ouïgours. Et puis
ils disaient: “N’oublie pas qu’on
connaît ta famille.” Au bout de
trois mois, ils sont devenus beau-
coup plus pressants. J’ai fini par
dire de ne plus appeler, que je les
dénoncerais aux autorités alle-
mandes», dit-il.
A cette époque, la sœur de Ba-
tur, rentrée au Xinjiang en 2015
après quatre ans d’études en Tur-
quie, lui avait fait part de son in-
quiétude, car les personnes reve-
nues de Turquie se faisaient in-
terroger.Ill’avaitrassurée.«Mais
tout à coup, en mars 2017, ils ont
confisqué tous les passeports,
dont celui de ma sœur. Le 29 avril,
son dernier message dit: “Frérot,
ne nous oublie pas”», dit-il.
Batur appelle sa mère, qui lui re-
proche de «faire des choses pas
bien» – comprendre, participer à
des manifestations de la commu-
nauté ouïgoure en exil – et lui in-
terdit de la rappeler. En mai 2017,
sesamisetparentslebloquentsur
leur messagerie. Seul un ami vi-
vant en Chine intérieure le con-
tacte pour dire qu’à son passage
dans son village, il a vu sa maison
déserte et bouclée. Sa sœur, a-t-il
appris,avaitétécondamnéeàhuit
ans de prison. Son frère, qui a déjà
faitdeuxansdeprison,avaitaussi
denouveauétéarrêté.Ilnesaitpas
oùsetrouvesamère,craintqu’elle
soit en centre d’«éducation».
A Berlin, Batur et ses amis
ouïgours n’ont plus qu’un sujet
quandilsseretrouvent:lesortdes
leurs au Xinjiang. «Ceux qui vien-
nent comme moi du sud du Xin-
jiangontengénéralunmembrede
leur famille en centre de rééduca-
tion, et un en prison. Dans le nord
du Xinjiang, les gens restent inter-
nés six mois puis ressortent, dit-il.
Dans le sud, on n’a plus de nouvel-
lesunefoisqu’ilssontencentre.» p
brice pedroletti
et harold thibault (à paris)
DanslaGhoutaorientalesouslesbombes,
tenirlejournaldumartyredescivils
Aupérildeleurvie,desmilitantssyriensdocumententlesexactionsdansl’enclaverebelle
beyrouth - correspondance
Le danger fait partie de leur
quotidien. Mais avec l’of-
fensive des forces proré-
gime pour reprendre le contrôle
de la Ghouta orientale, dans la
banlieue de Damas, l’équipe du
Centre de documentation des
violationsenSyrieopèreplusque
jamais sur le fil du rasoir à
Douma, la localité principale de
l’enclave rebelle.
L’avenir de Douma est l’un des
enjeux de la campagne militaire
en cours et l’objet de tractation
entre belligérants. Si l’armée sy-
rienne et les milices alliées en-
trent dans Douma, les quatre
membres de l’équipe seront con-
traints de partir, au risque d’être
arrêtés. Leur organisation, em-
blématique de l’engagement de
la société civile en zone d’opposi-
tion, est trop connue. Son travail
est très respecté par ceux qui en-
quêtent sur les violences en Sy-
rie. Mais son décompte depuis
2011 des exactions du régime,
ainsi que des factions de l’oppo-
sition, dérange.
Il est possible qu’une forme
d’autonomie soit négociée pour
Douma, avec le maintien démili-
tarisé de Jaïch Al-Islam, le puis-
sant groupe islamiste qui do-
mine la ville, décrit comme «plus
pragmatique» que les autres in-
surgés locaux par les observa-
teurs proches du pouvoir syrien.
Mais même dans ce cas, les dé-
fenseurs des droits de l’homme
pourraient n’avoir d’autre choix
que de s’exiler. Ailleurs en Syrie,
lorsque des accords de «réconci-
liation» ont été scellés, les acti-
vistes de l’opposition ont le plus
souvent dû partir.
Thaer Hijazi, le directeur du bu-
reaudeDouma,30ans,préfèrene
pas s’attarder sur ces scénarios. Il
vit dans le présent, et dans l’ur-
gence. «On porte la voix des
gens»,dit-il.Alorsqued’autresac-
teurs de la société civile de la
Ghouta orientale ont suspendu
leurs activités à cause des bom-
bardements et du chaos, l’équipe
travaille sans répit.
Comme les autres habitants, les
militants se sont retranchés dans
un abri en sous-sol, depuis le
18 février, date du début de l’of-
fensive aérienne des forces loya-
listes. Par précaution, il a fallu en-
voyer ce qu’il restait d’archives
électroniques aux collègues réfu-
giés à l’étranger. Il s’agit mainte-
nant de documenter les événe-
ments en cours. Une gageure,
alors que l’étau se resserre. De-
puis le 11 mars, l’enclave rebelle a
été divisée en trois poches par les
forces prorégime. «Il est devenu
impossible de se déplacer d’un sec-
teur à l’autre», commente Thaer
Hijazi. Jour après jour, les com-
municationsdeviennentplusdif-
ficiles. Il n’empêche: le bureau
continue de réunir et d’identifier
vidéos et témoignages.
Enlèvement
Dans les locaux de Douma,
aucune archive papier n’a été
conservée, par prudence. Au fil
des ans, le bureau a été touché
par des frappes aériennes du ré-
gime à plusieurs reprises. Il a
aussi été attaqué par Jaïch Al-Is-
lam, hostile aux voix dissiden-
tes. Au printemps 2017, le groupe
armé d’inspiration salafiste avait
arrêté ou intimidé des membres
delasociétécivile.Lecentreavait
fermé quelques jours. C’est aussi
à cette faction qu’est imputé l’en-
lèvement en 2013 de Razan Zai-
touneh, cofondatrice du Centre
de documentation des viola-
tions, et de trois de ses collègues;
cette icône de la révolte de 2011
avaitfuidanslaGhoutaorientale
pour échapper à la traque des
services de sécurité à Damas.
Thaer Hijazi, passé par les bancs
de la faculté de droit avant le con-
flit, a appris à composer avec les
multiples menaces des deux
camps. «Le danger auquel nous
faisons face existe aussi pour les
autres habitants de Douma», in-
siste-t-il, refusant de placer les
militants sur un piédestal. A
Douma, les organisations issues
de la société civile, en position
d’infériorité dans un contexte de
guerre où ceux qui portent les ar-
mes dominent, sont toutefois
parvenues à s’organiser pour
faire office de vigie et fournir des
services à la population.
Dans ces jours de peur et de fé-
brilité,lesrumeursajoutentàl’an-
goisse. Rien ne perce des négocia-
tions en cours. Les tractations se
déroulent entre acteurs militaires
et les civils n’ont pas voix au cha-
pitre. Thaer Hijazi et ses coéqui-
piers savent qu’ils écrivent, en di-
rect, une partie de la mémoire de
la Ghouta orientale. Mais leur ob-
jectif va plus loin, comme l’indi-
que Mona Zeineddine, exilée en
Europe et chargée de plaidoyer
pour le Centre de documentation
des violations: «Le plus impor-
tant, pour nous, est de collecter ces
données pour l’avenir, afin de ser-
vir les efforts de justice.» p
laure stephan
Dans les locaux
de Douma,
aucune archive
papier n’a été
conservée,
par prudence
Manifestation de soutien
aux Ouïgours devant la mission
permanente de la Chine
aux Nations unies, le 15mars,
à New York. SETH WENIG/AP
A Berlin, «Batur»
est contacté par
deux agents
depuis la Chine.
«Ils disaient:
“N’oublie pas
qu’on connaît
ta famille”»
Quatreexplosions
sèmentl’effroiàAustin
Lapoliceaméricaineneparvientpas
àidentifierl’auteurdecetteséried’attaques
washington – correspondant
Pas d’indices, pas de motifs:
le mystère reste entier à
Austin (Texas), théâtre de-
puis le 2 mars d’une série d’explo-
sions qui ont tué à ce jour deux
personnes. La première bombe a
été déposée devant le domicile
d’Anthony Stephan House, un
Afro-Américain de 39ans em-
ployé dans le bâtiment. Il est mort
sur le coup. Dix jours plus tard,
l’explosion d’un paquet piégé si-
milaire tue un lycéen noir de
17ans, Draylen Mason, qui con-
naissait la première victime.
Le même jour, un autre engin
blesse grièvement, dans un autre
quartier de la ville, une habitante
d’origine hispanique, sans lien de
parenté cette fois-ci avec les deux
premièresciblesvisées.Lapistede
crimesmotivésparlahaineraciale
commence à prendre corps.
Elleaétéremiseencausediman-
che18marsparunequatrièmeex-
plosion, qui a blessé deux jeunes
hommes blancs de 22 et 23ans.
Leur identité n’a pas été dévoilée.
Contrairement aux premières ex-
plosions, il ne s’agit pas d’un colis
piégé. Les victimes ont manifeste-
ment actionné la mise à feu de la
bombe en marchant sur un dé-
clencheur installé dans une rue.
«Au regard de ce changement de
méthode vers un dispositif plus
élaboré, le ou les suspects auxquels
nousavonsaffaireontunniveaude
sophistication peut-être plus élevé
que nous ne le pensions», a com-
menté le chef de la police d’Austin,
Brian Manley. Ce dernier est con-
vaincu d’être confronté à une
seule et même équipe, compte
tenu des similitudes repérées sur
les quatre bombes.
Plusieurs centaines d’appels
Une récompense de 115000 dol-
lars a été offerte dans l’espoir
d’obtenir des informations. Plus
de 350 agents de la police fédérale
ont été déployés dans la région
pour aider la police locale, qui a
reçu par ailleurs plusieurs centai-
nes d’appels à propos de colis ju-
gés suspects.
Cette psychose n’est pas sans
rappeler celle créée par Theodore
John Kaczynski, alias «Unabom-
ber», qui avait multiplié les atta-
ques de ce type pendant près de
vingt ans, de 1978 à 1995. Ce mili-
tant néo-luddite – opposé au pro-
grès technologique – vivait retiré
dans une cabane dans le Mon-
tana. Il avait été démasqué lors-
qu’il était parvenu à faire publier
à force de chantage un long ma-
nifeste par la presse américaine.
Il a plaidé coupable en 1998 et a
été condamné à la prison à per-
pétuité. p
gilles paris
0123
MERCREDI 21 MARS 2018 international | 5
«MBS»enmissiondeséductionauxEtats-Unis
Leprincehéritiersaoudienespèreaméliorerl’imageduroyaumeparunelonguevisitechezsonalliéaméricain
washington -correspondant
L
es meilleures relations
du monde n’empêchent
pas les désagréments.
Mohammed Ben Salman
Al Saoud devrait en faire l’expé-
rienceaucoursdesestroissemai-
nes de tournée à travers les Etats-
Unis. Le prince héritier saoudien
devait commencer par la Maison
Blanche, mardi 20mars, où
Donald Trump prévoyait de lui
réserver un accueil chaleureux.
Ce dernier garde en effet un ex-
cellent souvenir de Ryad, la capi-
talesaoudienne,etlieudesonpre-
mier déplacement à l’étranger en
tant que président. Des contrats
d’armement mirifiques avaient
alors été annoncés, sans que l’on
sache aujourd’hui ce qui s’est con-
crétisé. De son côté, le prince héri-
tierasunouerunerelationétroite
avec le gendre du président, Jared
Kushner. Sa visite «pave la voie
vers une prochaine intronisation»
à la place de son père, estime
Joseph Bahout, du Carnegie En-
dowment for International Peace,
un think tank de Washington.
Donald Trump et Mohammed
Ben Salman partagent la même
détestation de l’Iran, la puissance
régionale qui obsède le royaume
saoudien. Le président des Etats-
Unisl’areditle13marsàl’occasion
d’un déplacement dans une base
des Marines en Californie. «Par-
tout où on va au Moyen-Orient,
c’est l’Iran, l’Iran, l’Iran. Derrière
chaque problème, on trouve
l’Iran», a-t-il assuré. Le ministre
saoudien des affaires étrangères,
Adel Al-Joubeir, a opposé lundi à
Washington«deuxvisionsantago-
nistes» dans la région, celle de «la
lumière», portée par Riyad, et celle
«des ténèbres» poussée selon lui
par Téhéran. Sur la chaîne de télé-
vision CBS, le prince héritier – éga-
lement désigné par l’acronyme
«MBS», a comparé les ambitions
territoriales prêtées au Guide su-
prême iranien Ali Khamenei à cel-
les d’Adolf Hitler.
Stopper le soutien américain
Maiscetteconcordancedevuesne
masque pas des différends. La
guerre conduite au Yémen depuis
2015 par Mohammed Ben Salman
pour contrer une insurrection ju-
gée téléguidée par Téhéran, ne
cesse d’alarmer Washington. En
réaction à cet enlisement et à la
crisehumanitaireinouïequecette
intervention a générée, deux pro-
jets de loi circulent actuellement
au Sénat pour limiter, ou même
totalement stopper le soutien
américain à son allié saoudien.
La querelle qui oppose au Qatar
les Emirats arabes unis et l’Arabie
saoudite est, par ailleurs, perçue
comme inutile par l’administra-
tionaméricaine.Cettedernièrees-
père pouvoir convoquer, d’ici à
l’été, un sommet permettant de
mettre en scène une réconcilia-
tion entre les pays de la rive arabe
du Golfe face à l’Iran. Ces deux su-
jets devaient être abordés mardi,
sans garantie de résultats. Simon
Henderson, du Washington Insti-
tute for Near East Policy, un think
tank de Washington, écarte toute
concession sur le Yémen de la part
d’unMBSquin’envisage,selonlui,
«rien d’autre qu’une victoire»,
pourtant de plus en plus illusoire.
BernardHaykel,unspécialistede
l’Arabie saoudite qui enseigne à
Princeton, n’est guère plus opti-
mistesurleconflitquiparalyseces
monarchies pétrolières et gaziè-
res.«LacassureavecleQatarestsé-
rieuse et il faudra du temps pour la
résorber», estime-t-il. Après MBS,
la Maison Blanche devrait ac-
cueillir le prince héritier d’Abou
Dhabi, Mohammed Ben Zayed Al-
Nahyane,ainsiquel’émirduQatar,
Tamim Ben Hamad Al-Thani.
Les ambitions de Riyad à propos
du nucléaire civil ne suscitent pas
non plus l’enthousiasme de
Washington, qui ne souhaite pas
quelesSaoudienspuissentmaîtri-
ser un jour l’ensemble de la filière,
y compris l’enrichissement. De
passage dans la capitale fédérale
débutmars,lepremierministreis-
raélien Benyamin Nétanyahou a
signifiéégalementsonopposition
en dépit de convergences grandis-
santes avec Riyad.
Après sa visite à Donald Trump,
MBS devra séduire les investis-
seursaméricains.Ilabesoind’eux,
en effet, pour accélérer la transi-
tion d’un pays qui repose unique-
ment sur une rente pétrolière in-
suffisante actuellement pour
équilibrer les finances publiques
compte tenu des prix du baril.
Concentration de pouvoirs
L’impétueux prince héritier aura
fort à faire pour corriger l’image
désastreuse laissée par l’opéra-
tion menée au nom de la lutte
contre la corruption qui s’est tra-
duite, en novembre2017, par l’ar-
restation de dizaines de person-
nalités saoudiennes. Retenues
dans un hôtel de luxe de Riyad
convertienprison,ellesontétéen
grande majorité libérées après
versement de véritables rançons.
MBS pourra mettre en avant les
transformations sociales pour les-
quelles il milite, la création d’une
industrie du loisir, ou la liberté de
conduire donnée aux femmes. Il
n’est pas sûr qu’elles suffisent à
gommer l’effet négatif créé par
une concentration de pouvoirs
sans précédent depuis la création
du royaume et par la mise au pas
de toute forme d’opposition.
Reflet des incertitudes que cette
verticale du pouvoir imposée à
marche forcée entraîne, le Wall
Street Journal a assuré lundi que
l’introduction en Bourse d’une
partie du capital de la puissante
compagnie pétrolière saou-
dienne Aramco pourrait se faire
sur le marché saoudien, et non
sur une grande place occidentale
comme New York ou Londres.
Cette décision serait motivée par
des considérations juridiques, se-
lon le quotidien, les structures de
l’Aramco étant pour l’instant in-
compatibles avec les exigences
d’une telle cotation.
Lahaussedesprixdupétroleest
également avancée par le Wall
Street Journal pour expliquer le
choix du marché saoudien. Le
royaume a besoin de la manne de
2000milliards de dollars (1620
milliards d’euros) que l’opération
pourrait dégager pour traduire
dans les faits la modernisation
envisagée par le prince héritier
dans un projet ambitieux.
Dans un article qui sera publié
en avril par la revue Foreign Af-
fairs, F. Gregory Gause, de la Texas
A&MUniversity,reconnaîtàMo-
hammed Ben Salman «la volonté
évidente de secouer le système».
Mais il ajoute que son hégémonie
prive désormais le royaume des
freins qui lui ont permis pendant
des décennies de surmonter avec
succès de nombreuses crises ré-
gionales. Il n’est pas le seul, aux
Etats-Unis, à s’interroger sur les
capacités du prince héritier à ga-
gner son pari. p
gilles paris
La guerre menée
au Yémen pour
contrer une
insurrection
jugée téléguidée
par Téhéran ne
cesse d’alarmer
Washington
Donald Trump et
Mohammed Ben
Salman partagent
la même
détestation
de l’Iran
LE PROFIL
Mohammed Ben Salman
Nommé ministre de la défense
en 2015 par son père, le roi
Salman, Mohammed Ben
Salman, dit «MBS», a été
promis au trône saoudien
en juin2017 quand le souverain
a déposé le prince héritier
Mohammed Ben Nayef. Agé de
32ans, partisan de l’ouverture de
la société et de l’économie, mais
aussi d’une diplomatie coup de
poing, MBS a plongé le royaume
dans deux crises internationales
en envoyant, en mars2015,
l’aviation saoudienne à l’assaut
des rebelles houthistes du
Yémen, puis en décrétant,
en juin2017, un embargo
diplomatico-économique
contre le petit émirat du Qatar.
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Le plaisir
de conduire
6| planète MERCREDI 21 MARS 2018
0123
L
e printemps risque fort
d’être silencieux. Le Mu-
séum national d’histoire
naturelle (MNHN) et le
Centre national de la recherche
scientifique (CNRS) publient,
mardi 20 mars, les résultats prin-
cipaux de deux réseaux de suivi
des oiseaux sur le territoire fran-
çais et évoquent un phénomène
de «disparition massive», «pro-
chedelacatastropheécologique».
«Les oiseaux des campagnes fran-
çaises disparaissent à une vitesse
vertigineuse, précisent les deux
institutions dans un communi-
qué commun. En moyenne, leurs
populations se sont réduites d’un
tiers en quinze ans.»
Attribuéparleschercheursàl’in-
tensification des pratiques agrico-
les de ces vingt-cinq dernières an-
nées, le déclin observé est plus
particulièrement marqué depuis
2008-2009, «une période qui cor-
respond, entre autres, à la fin des
jachères imposées par la politique
agricole commune [européenne],
à la flambée des cours du blé, à la
reprise du suramendement au ni-
tratepermettantd’avoirdublésur-
protéiné et à la généralisation des
néonicotinoïdes», ces fameux in-
secticidesneurotoxiques,trèsper-
sistants, notamment impliqués
dans le déclin des abeilles, et la ra-
réfaction des insectes en général.
Plus inquiétant, les chercheurs
observentquelerythmededispa-
rition des oiseaux s’est intensifié
ces deux dernières années.
«Quelques rescapés»
Le constat est d’autant plus so-
lide qu’il est issu de deux réseaux
de surveillance distincts, indé-
pendants et relevant de deux mé-
thodologies différentes. Le pre-
mier, le programme STOC (Suivi
temporel des oiseaux communs)
est un réseau de sciences partici-
patives porté par le Muséum
national d’histoire naturelle. Il
rassemble les observations d’or-
nithologues professionnels et
amateurs sur l’ensemble du terri-
toire et dans différents habitats
(ville, forêt, campagne). Le se-
cond s’articule autour de
160 points de mesure de 10 hec-
tares,suivissansinterruptionde-
puis 1994 dans la «zone-atelier»
du CNRS Plaine et val de Sèvre, où
des scientifiques procèdent à des
comptages réguliers.
«Lesrésultatsdecesdeuxréseaux
coïncidentlargementetnotentune
chute marquée des espèces spécia-
listes des plaines agricoles, comme
l’alouette», constate l’écologue
Vincent Bretagnolle, chercheur au
Centre d’études biologiques de
Chizé, dans les Deux-Sèvres (CNRS
etuniversitédeLaRochelle).Cequi
esttrèsinquiétantestque,surnotre
zone d’étude, des espèces non spé-
cialistes des écosystèmes agricoles,
comme le pinson, la tourterelle, le
merle ou le pigeon ramier, décli-
nent également.»
Sur la zone-atelier du CNRS
– 450 km2 de plaine agricole étu-
diés par des agronomes et des
écologues depuis plus de vingt
ans –, la perdrix est désormais
virtuellement éteinte. «On note
de 80 % à 90 % de déclin depuis le
milieu des années 1990, mais les
derniers spécimens que l’on ren-
contre sont issus des lâchers
d’automne, organisés par les chas-
seurs, et ils ne sont que quelques
rescapés», précise M. Bretagnolle.
Pour le chercheur français, «on
constate une accélération du dé-
clin à la fin des années 2000, que
l’on peut associer, mais seulement
de manière corrélative et empiri-
que,àl’augmentationdurecoursà
certains néonicotinoïdes, en parti-
culier sur le blé, qui correspond à
un effondrement accru de popula-
tions d’insectes déjà déclinantes».
Al’automne2017,deschercheurs
allemands et britanniques con-
duits par Caspar Hallmann (uni-
versité Radboud, Pays-Bas) ont,
pour la première fois, mis un chif-
fresurledéclinmassifdesinverté-
brés depuis le début des années
1990: selon leurs travaux, publiés
dans la revue PloS One, le nombre
d’insectesvolantsadéclinéde75%
à 80 % sur le territoire allemand.
Des mesures encore non pu-
bliées, réalisées en France dans la
zone-atelier Plaine et val de Sèvre,
sont cohérentes avec ces chiffres.
Elles indiquent que le carabe, le
coléoptère le plus commun de ce
type d’écosystème, a perdu près
de 85 % de ses populations au
cours des vingt-trois dernières
années,surlazoneétudiéeparles
chercheurs du CNRS.
«Tendance lourde»
«Or de nombreuses espèces
d’oiseaux granivores passent par
un stade insectivore au début de
leur vie, explique Christian Pac-
teau, référent pour la biodiversité
à la Ligue de protection des
oiseaux (LPO). La disparition des
invertébrés provoque donc natu-
rellement un problème alimen-
taire profond pour de nombreuses
espèces d’oiseaux et ce problème
demeure invisible: on va accumu-
ler de petites pertes, nid par nid,
qui font que les populations ne
sont pas remplacées.»
La disparition en cours des
oiseaux des champs n’est que la
part observable de dégradations
plus profondes de l’environne-
ment. «Il y a moins d’insectes,
mais il y a aussi moins de plantes
sauvages et donc moins de grai-
nes, qui sont une ressource nutri-
tive majeure pour de nombreuses
espèces, relève Frédéric Jiguet,
professeur de biologie de la con-
servation au Muséum et coordi-
nateur du réseau d’observation
STOC. Que les oiseaux se portent
malindiquequec’estl’ensemblede
la chaîne trophique [chaîne ali-
mentaire] qui se porte mal. Et cela
inclut la microfaune des sols, c’est-
à-direcequilesrendvivantsetper-
met les activités agricoles.»
La situation française n’est pas
différente de celle rencontrée
ailleurs en Europe. «On est dans
la continuité d’une tendance
lourde qui touche l’ensemble des
pays de l’Union européenne»,
note M. Jiguet.
Est-elle réversible? «Trois pays,
les Pays-Bas, la Suède et le Royau-
me-Uni, ont mis en œuvre des po-
litiques nationales volontaristes
pour inverser cette tendance
lourde, en aménageant à la
marge le modèle agricole domi-
nant, explique Vincent Breta-
gnolle. Aucun de ces trois pays
n’est parvenu à inverser la ten-
dance: pour obtenir un effet tan-
gible, il faut changer les pratiques
sur des surfaces considérables. Si-
non,leseffetssontimperceptibles.
Ce n’est pas un problème d’agri-
culteurs, mais de modèle agri-
cole: si on veut enrayer le déclin
de la biodiversité dans les campa-
gnes, il faut en changer, avec les
agriculteurs.» p
stéphane foucart
Une perdrix rouge dans la plaine de la Crau (Bouches-du-Rhône). MCPHOTO/PICTURE ALLIANCE/BLICKWINKEL/MAXPPP
La raréfaction
est plus marquée
depuis
2008-2009, avec,
entre autres, la
fin des jachères
imposées
et la flambée
des cours du blé
En15ans,30%desoiseauxdeschampsontdisparu
LedéclincatastrophiqueobservéenFranceparleschercheursestlargementdûauxpratiquesagricoles
«Onassisteàuneffondrementdelabiodiversitésauvage»
PourlebiologisteRomainJulliard,l’érosionfrappetousleséchelons:insectes,dontpapillonsetpollinisateurs,floreadventiceetoiseaux
ENTRETIEN
Romain Julliard est cher-
cheur en biologie de la
conservation au Muséum
national d’histoire naturelle. Il
s’alarme du déclin des «espèces
communes de nos campagnes».
Que pensez-vous des chiffres
sur le déclin des oiseaux?
On sait depuis longtemps que
les oiseaux déclinent en milieu
agricole, mais on pensait que l’es-
sentiel de ce phénomène datait
des années 1980, avec l’intensifi-
cation des pratiques agricoles et
l’usagedepesticidestelsleDDT,et
qu’on avait atteint une sorte de
plateau dans les années 2000. Il
est extrêmement alarmant de
constater que non seulement
cette érosion se poursuit, mais
également qu’elle s’amplifie.
Nous sommes confrontés à un
effondrement qui concerne
aujourd’huitousleséchelonsdela
biodiversité sauvage dans ces pay-
sages agricoles: les insectes, dont
les papillons et les pollinisateurs,
la flore adventice [non voulue par
les agriculteurs et souvent considé-
rée comme mauvaise herbe] et les
oiseaux. Et ce, alors que nous
n’avons jamais autant consacré
d’argent et d’investissement pour
prendre des normes environne-
mentalesousoutenirl’agriculture
biologique. C’est sidérant.
Quel est l’impact d’une telle
érosion de ces vertébrés?
Lesoiseauxsontdesespècesre-
lativement résilientes, en raison
de leurs larges aires géographi-
ques, d’une certaine longévité et
d’une alimentation diversifiée.
Ils arrivent en bout de chaîne.
Lorsqu’ils déclinent, cela indique
que toutes les autres espèces en
font de même.
Au-delà, c’est une valeur patri-
moniale que nous sommes en
train de perdre: nous avons fa-
çonné depuis des milliers d’an-
nées des paysages dans lesquels
on entend des oiseaux chanter.
En dépendent une forme de bien-
être, de qualité de vie, en plus du
tourisme. Alouettes, perdrix, li-
nottes: autant de noms familiers
d’une biodiversité ordinaire qui
va bientôt nous manquer.
On parle de sixième extinction
de masse à l’échelle planétaire…
Le déclin des oiseaux s’inscrit
dans une tendance globale à l’ac-
célération de l’érosion de la biodi-
versité. Il y a la disparition des es-
pèces, qui a lieu à un rythme cent
à mille fois plus rapide que par le
passé, mais il est très inquiétant
demesurerégalementlereculdes
populations (en nombre d’indivi-
dus) et de constater qu’il touche
les espèces communes de nos
campagnes. L’ampleur de ce phé-
nomène nous avait échappé.
Si rien ne change, on peut crain-
dre des disparitions d’espèces
dans les prochaines décennies,
comme l’outarde canepetière, l’un
des oiseaux les plus menacés des
plaines cultivées de France: il a
perdu 95 % de ses effectifs en cin-
quante ans et il ne subsiste plus
quedansunepetitepochedansles
Deux-Sèvres – malgré l’instaura-
tion de zones de protection et de
plans de restauration.
Comment peut-on limiter
ce phénomène?
Il s’agit tout d’abord de réduire
l’intensification de l’agriculture.
Ensuite, nous devons trouver des
mécanismes pour rémunérer les
efforts des agriculteurs pour
maintenir la biodiversité et les
paysages – par exemple, une cer-
tification des cultures qui se-
raient favorables à la faune et à la
flore. Ils savent comment le faire
mais ils doivent y trouver un in-
térêt économique.
Aujourd’hui, les politiques de
conservation de la biodiversité ne
sont pas suffisamment efficaces:
on subventionne la réalisation,
plus que les résultats. C’est par
exemple le cas lorsqu’on rem-
bourse les agriculteurs qui ont
planté des haies. On ne tient pas
compte des espèces choisies – les
haies viennent de pépiniéristes,
plutôt que de prendre des arbres
quipoussentspontanémentdans
la parcelle –, du lieu où elles doi-
ventêtreplantées,nidecomment
les gérer par la suite. Nous devons
allerversunchangementdepara-
digme: incorporer la biodiversité
sauvage dans le modèle économi-
que des exploitations agricoles. p
propos recueillis
par audrey garric
en détruisant lespopulationsd’insectes,
les insecticides néonicotinoïdes ont un im-
pact sur les ressources alimentaires de
nombreusesespècesd’oiseaux.Maisilsont
également un impact direct sur les oiseaux
des champs, qui peuvent s’empoisonner en
consommant des semences traitées aux
«néonics» – c’est-à-dire enrobées de la
substance toxique avant d’être semées.
Dans le cadre du programme de phyto-
pharmacovigilance piloté par l’Agence na-
tionale de sécurité sanitaire de l’alimenta-
tion, de l’environnement et du travail (An-
ses), des chercheurs conduits par Florian
Millot et Elisabeth Bro (Office national de la
chasse et de la faune sauvage, ONCFS) ont
passé en revue 101 foyers de mortalité
d’oiseaux sauvages, totalisant plus de
730animauxmorts.Danscesincidentsrap-
portés entre 1995 et 2014 par le réseau de
surveillance des mortalités de la faune, les
analyses ont révélé l’implication de l’imida-
clopride–lenéonicotinoïdelepluscourant.
Dans70%descas,lesauteursjugentprobable
leliendecausalitéaveclamortdesanimaux.
Troubles comportementaux
Au total, onze espèces d’oiseaux sont con-
cernées, les principales étant la perdrix
grise, le pigeon biset et le pigeon ramier.
«Cesrésultatsdeterrainmontrentquedans
les conditions réelles d’utilisation de l’imi-
daclopride en traitement de semences, les
oiseaux sauvages granivores sont régulière-
ment exposés à cette substance, détaille
l’ONCFS dans un communiqué. Les effets
provoqués par ces expositions peuvent en-
traîner des mortalités directes par intoxica-
tion et indirectes, par exemple en induisant
des troubles comportementaux et donc une
plus grande vulnérabilité aux prédateurs.»
Les auteurs concluent que des cas d’em-
poisonnement d’oiseaux à l’imidaclo-
pride ayant été régulièrement constatés
au fil des ans, il est possible que ces inci-
dents ne soient pas le fait d’une mauvaise
utilisation de cette technologie – lors du
semis, des semences enrobées n’ayant pas
été enfouies dans le sol demeurent en sur-
face, où elles peuvent être consommées
par des animaux. En outre, le réseau de
surveillance utilisé par les chercheurs
étant «opportuniste» (aucune recherche
active et systématique n’est opérée), l’am-
pleur de ces empoisonnements demeure
une question ouverte. p
s.fo.
Les pesticides néonicotinoïdes ne tuent pas que les insectes
0123
MERCREDI 21 MARS 2018
FRANCE | 7
Mélenchonsoumisàl’unitédesgauches
Avantlajournéedemobilisationdu22mars,unfrontcommunaétéimpulséparOlivierBesancenot
P
arfois les plus vieux ada-
ges sont ceux qui réson-
nent le mieux avec l’ac-
tualité.«Marcherséparé-
ment, frapper ensemble»: ce slo-
gan qui incarne la stratégie de
front unique, souvent utilisé par
lesmilitantsseréclamantdeLéon
Trotski, colle parfaitement à l’ini-
tiative d’Olivier Besancenot, por-
te-paroleduNouveauPartiantica-
pitaliste (NPA), d’appeler à un ras-
semblement des forces de gauche
pour la journée de mobilisation
des fonctionnaires et des chemi-
nots du 22 mars.
L’ancien candidat à la présiden-
tielle en 2002 et 2007 a impulsé
un «front commun» à gauche. Le
but: faire plier le gouvernement
en montrant que l’unité syndicale
se traduit par une unité politique.
«C’est une bataille sociale impor-
tante, on est tous concernés. Il y a
une pression sur toutes les organi-
sations, cela nous dépasse. Ce se-
rait incompréhensible de ne rien
faire. On cherche à donner un ca-
dreàl’unité»,noteM.Besancenot.
L’appel de M. Besancenot a reçu
des réponses positives des princi-
paux acteurs de la gauche. Une
«déclarationunitaire»réunissant
un spectre très large d’organisa-
tions – d’Alternative libertaire à
Nouvelle Donne, en passant par
Europe Ecologie-Les Vers, le Parti
communistefrançais(PCF),Géné-
ration.s, le NPA, les députés de La
France insoumise (LFI), etc. – a été
diffusé lundi. Une tribune est en
préparation et une conférence de
presse devrait avoir lieu jeudi ma-
tin, réunissant, entre autres,
Pierre Laurent, secrétaire natio-
nalduPCF,BenoîtHamon,Olivier
Besancenot et… un cadre de LFI.
«On n’est pas sûrs de la participa-
tion de Jean-Luc Mélenchon», no-
te-t-on au NPA.
L’union s’arrêtera en revanche
aux portes du Parti socialiste, qui
n’a pas été convié. «On ne leur a
pasproposé,c’estvrai.C’estunparti
qui a beaucoup privatisé lorsqu’il
était au gouvernement. Ce que l’on
veut, c’est montrer l’unité à gauche
du PS», explique Sandra Simplon,
membre de la direction du NPA.
Olivier Faure, le nouveau premier
secrétaire du PS, défilera donc
sans les autres leaders de la gau-
che, jeudi à Paris.
L’initiative de M. Besancenot est
maligne a plus d’un titre. Cela lui
permet d’abord de remettre en
avantsonorganisation,leNPA,qui
est en perte de vitesse. Depuis
quelques semaines, le commu-
niste révolutionnaire ne ménage
passeseffortsetcourtdeplateaux
télé en studio radio pour appeler à
lamobilisation.Ensuite,enpropo-
santl’unité,ilobligechacundeses
homologues à le suivre, car une
défection serait incompréhensi-
ble aux yeux du «peuple de gau-
che». C’est le cas de M. Mélenchon
qui se retrouve coincé.
Recomposition des alliances
Le député des Bouches-du-Rhône
le répète sans cesse: pour lui et
les «insoumis», le retour aux
«cartels» des gauches est une er-
reur stratégique car c’est une
forme de mobilisation qu’ils esti-
ment dépassée. La France insou-
mise raisonne à l’inverse. Elle
veut être hégémonique à gauche,
créer les conditions de dépasse-
ment des anciennes structures
«en fédérant le peuple» autour de
son projet politique. C’est ce qui
les a poussés, en septembre, lors
des mobilisations contre la ré-
forme du code du travail, à orga-
niser leur «marche contre le coup
d’Etat social», se brouillant à la
fois avec les autres organisations
politiques de gauche et avec des
syndicats qui furent échaudés
par la manière de faire de Jean-
Luc Mélenchon.
Mais cela ne s’est pas avéré
payant. La réforme est passée et
M. Mélenchon a même concédé
«le point» de cette première man-
cheàEmmanuelMacron.Sixmois
plus tard, M. Mélenchon n’est pas
en position de force pour imposer
ses vues. Il a donc été contraint
d’accepter, avec réticence, l’initia-
tive de M. Besancenot. Le groupe
parlementaire de La France insou-
mise a ainsi affirmé que ses dépu-
tés «s’associeront à toutes les ini-
tiatives d’union pour fortifier la
lutte qui s’engage».
De son côté, Jean-Luc Mélen-
chon,aécritsursonblogqu’il«ap-
puiepersonnellementtouteslesini-
tiatives visant à regrouper des for-
ces pour cette bataille». Le service
minimum. Si certains cadres «in-
soumis», comme Clémentine
Autainsesonttoutdesuiteditsin-
téressés par la démarche unitaire,
d’autres goûtent peu cette ma-
nière de leur forcer la main.
«Oui, Besancenot nous oblige à
fairel’unité.Maisçanecomptepas,
ça, ce sont des gamineries. Ils veu-
lentunephotoavectoutlemonde?
Ilsl’auront.Etaprès?Fairedesmee-
tings à la Bellevilloise avec vingt-
cinq orateurs, ça va changer les
choses? Besancenot est dans
l’union de la gauche, après avoir
fait exploser le NPA sur une ligne
sectaire. Et là, il répète tout ce que
dit Hamon», fulmine un député
LFI avant de conclure: «Ce qui
compte, c’est la mobilisation so-
ciale, pas ça.»
Pour La France insoumise, cette
unité temporaire de la gauche, re-
lèveraitpresqued’uneconjuration
des autres formations pour «cas-
ser la dynamique de Jean-Luc Mé-
lenchon». C’est vrai que les autres
organisations politiques se sont
vite engouffrées dans la brèche
ouverte par M. Besancenot, met-
tant la pression sur LFI. Pierre Lau-
rent a immédiatement répondu
favorablement, affirmant qu’il
souhaitait une «expression com-
mune des différents dirigeants».
Benoît Hamon, dans un entretien
auJournaldudimanchedu18mars
a appelé M. Mélenchon à «aban-
donner sa stratégie solitaire»: «Il y
a une unité syndicale, il doit y avoir
une unité politique.» Guillaume
Balas,brasdroitdeM. Hamonrap-
pelle que leur jeune mouvement
«a toujours dit oui à l’unité. C’est
uneconstante.Onestravideceque
dit Olivier Besancenot».
Avecsonécole,LFIrêvedegagnerla«batailleculturelle»
Lederniercourssurlenucléaireaétésuivipar17000personnes,selonlemouvementquiaorganiséunevotationcitoyennesurlesujet
Dans un immeuble du 10e
arrondissement de Paris,
Martine Billard, co-ani-
matrice du livret «planification
écologique»duprogrammeprési-
dentieldeJean-LucMélenchon,est
venuedémontrer,danslecadrede
l’«écoledeformationinsoumise»,
qu’il est possible de sortir du nu-
cléaireen2050,propositiondéfen-
due par La France insoumise (LFI).
Face à elle, trois élèves seule-
ment. La faute à un mail d’inscrip-
tion qui n’a pas été envoyé aux
personnes résidant en Ile-de-
France, justifient les organisa-
teurs.Lestroisauditeurs,chacunà
un coin de la salle, écoutent avec
attention tout en prenant des no-
tes. Martine Billard, badge antinu-
cléaireépingléàsaveste,restecon-
centrée sur la caméra.
L’affluence en classe n’est pas au
rendez-vous mais la démonstra-
tion est retransmise sur la chaîne
YouTubedumouvement,levérita-
ble auditoire de cette leçon. Pen-
dant une heure, Martine Billard
contredit d’abord les arguments
du camp opposé: «On dit que le
nucléaire est important pour notre
autonomie énergétique mais nous
importons de l’uranium du Ka-
zakhstan!» L’ex-députée des Verts
(2002à2009),puisduPartidegau-
che (jusqu’à la fin de son mandat
en 2012) conclut son discours avec
lapropositioninsoumise:lasortie
totale du nucléaire en 2050. Elle
propose notamment, pour y arri-
ver, «la sobriété énergétique»,
c’est-à-dire consommer moins.
«Martine Billard m’a convaincu,
mais pour tout dire je l’étais déjà
avant», confie Virgile Thiévenaz,
24ans, militant à LFI depuis un
peu plus d’un an. Ce doctorant en
physique, est ravi d’avoir assisté à
la présentation. De quoi «récupé-
rer des arguments», pour la cam-
pagne sur la sortie du nucléaire.
Ce deuxième cours proposé par
LFI dans le cadre de son «école de
formation insoumise», lancée en
février, précédait la votation ci-
toyenne organisée par le mouve-
ment du 11 du 18 mars. Une réus-
site puisque 315000 personnes
ont participé à ce scrutin, selon le
mouvement. Au terme de cette
consultation organisée sur Inter-
net et dans 2 000 lieux physiques,
lesélecteursontapprouvélasortie
dunucléaire,avec93,13%desvoix.
Ecole avant tout virtuelle
Tous réseaux confondus – Face-
book, Twitter et YouTube – «ils
sont 17000 personnes à suivre le
cours, avance Thomas Guénolé,
coresponsable de l’école. 3000 de
moins seulement qu’en février».
Une école avant tout virtuelle,
donc.Unefaçondeproposeràtout
le monde, «insoumis» ou non, un
cours gratuit. Après sa présenta-
tion, Mme Billiard répondra aux
questions posées par les internau-
tes sur le chat YouTube.
En réalité, ce dispositif permet,
sansengagerdefraisimportants,à
LFI de sensibiliser un grand nom-
bre de personnes aux thémati-
ques défendues par le mouve-
ment.Cetteétape«d’éducationpo-
pulaire» est essentielle dans la
«bataille culturelle» que les «in-
soumis» entendent mener pour
conquérir le pouvoir. Ainsi, lors
d’une réunion devant les collabo-
rateurs parlementaires de LFI, le
14 février, Jean-Luc Mélenchon dé-
clarait: «L’hégémonie culturelle se
gagnera par la production d’un
imaginaire collectif, s’incarnant
par des mots et des personnages
dans leur manière d’être.»
«Avec ces cours, tout militant
pourra avoir une parole, une ana-
lyse»,faitvaloirThomasGuénolé.
Officiellement, l’objectif est de
casser la structure horizontale. Le
coresponsable de l’école explique
vouloir dépasser l’opposition en-
treles«colsblancs»(lesresponsa-
bles des partis) qui exposent les
principes, et les «cols bleus» (les
militants) qui répètent la doxa du
parti et jouent les petits soldats,
collant des affiches et distribuant
des tracts.
Manon Le Bretton, coresponsa-
ble de l’école venue présenter la
séance, se défend toutefois de ne
mettre en place qu’un organe de
formation des «insoumis»: «On
veutaussitoucherunpluslargepu-
blic en proposant le cours à tout le
monde. Certains vont s’intéresser
authèmetraitésansforcémentêtre
militants.» L’école devient alors
un outil pour toucher un plus
large public. «Nous sommes dans
le souci constant d’élargir la base»,
ajoute-t-elle.
Parmilestroisélèvesayantparti-
cipé au cours sur le nucléaire, fi-
gure l’archétype des personnes vi-
sées. Présent ce jour-là, un étu-
diant en master de droit ne s’inté-
resse au mouvement que «depuis
quelques mois». Il n’a pas encore
eu le «déclic» et n’est pas prêt à
prendre sa carte pour le mouve-
ment. S’il est venu, c’est surtout
pour parler nucléaire. «Je m’inter-
roge sur les modalités de sortie,
parceque75%denotreénergiepro-
vient des centrales. Je ne pense pas
que nous devons arrêter du jour au
lendemain. La France risquerait un
déclassement», s’inquiète-t-il.
Les thèmes des séances de
l’«école insoumise» ont été, en
partie, choisis lors de la conven-
tion du mouvement à Clermont-
Ferrand, en novembre 2017. Vien-
nent s’ajouter des sujets d’actua-
lité jugés incontournables. «Le
31 mars, nous aborderons l’analyse
du système médiatique de LFI, car
nous estimons que son traitement
par les médias est défaillant»,
glisse Thomas Guénolé. L’école
abordera ensuite la pauvreté, le
21 avril, tout en continuant à met-
treenlignedestutorielsplusprati-
ques pour apprendre à organiser
une manifestation, une «nuit des
écoles» ou même à écrire une
chanson «insoumise». p
élisa centis
Olivier
Besancenot,
lors d’une
manifestation
contre la réforme
du code du travail,
à Paris, en
septembre 2017.
SADAK SOUICI/LE PICTORIUM
« Ils veulent
une photo avec
tout le monde ?
Il l’auront. Et
après? », fulmine
un député LFI
Au-delà de l’unité politique
autour de la mobilisation du
22 mars, ce qui se joue à moyen
termeestlarecompositiondesal-
liances à gauche, notamment
pour les élections européennes
de 2019. Le jeu est encore très
ouvert et incertain. Beaucoup
craignent, avec la multiplication
deslistes,unedispersiondesvoix
et cherchent des partenaires ou
font monter les enchères.
Les Verts et La France insou-
mise, veulent partir seuls quand
Benoît Hamon tente de convain-
cre des partenaires de le rejoindre
dans sa liste avec Diem25, le mou-
vement de Yanis Varoufakis, an-
cien ministre grec des finances.
Les communistes, eux, n’ont pas
encore pris de décision. Le com-
bat pour l’unité à gauche est donc
loin d’être fini. Et il pourrait se ré-
sumer à un trait d’esprit de
Woody Allen: «Je ne ferai jamais
partie d’un club qui m’accepterait
pour membre.» p
abel mestre
8| france MERCREDI 21 MARS 2018
0123
Assurance-chômage:
lessyndicats,entre
scepticismeetprudence
Laministredutravailleuradévoilé,lundi,
sesintentionssurlecontrôledeschômeurs
Les syndicats sont d’humeur
sombreaprèsavoirpriscon-
naissance des derniers arbi-
trages du gouvernement sur la ré-
forme de l’assurance-chômage.
Reçus, lundi 19 mars, au ministère
du travail, en compagnie des orga-
nisationspatronales,ilsontétéin-
formésdesintentionsdel’exécutif
sur deux aspects très sensibles du
dossier: le contrôle des deman-
deurs d’emploi et la gouvernance
de l’Unédic – l’association pari-
taire qui gère le régime.
Premier sujet nourrissant les
craintes: la modification de
l’échelle des sanctions applicables
auxchômeurs,dontlesgrandesli-
gnes avaient été révélées dans Le
Monde du 17 mars. Ceux qui ne re-
cherchent pas activement un
poste seront plus sévèrement pu-
nis qu’aujourd’hui – avec une ra-
diationd’unmois,pourlepremier
manquement. A l’inverse, les per-
sonnes qui ne se rendent pas à un
rendez-vous chez Pôle emploi sor-
tiront des listings pour des durées
moins longues (quinze jours pour
le premier «loupé»).
Autre confirmation: la mise en
place d’un journal de bord que le
demandeur d’emploi devra rem-
plir chaque mois pour mention-
ner les démarches accomplies en
vue de retrouver un poste. Le dis-
positif sera expérimenté dans
deuxrégionsen2019etgénéralisé
s’il s’avère probant. Enfin, la no-
tion d’offre raisonnable d’emploi
(ORE) est maintenue, mais sous
une version nouvelle: elle fera
l’objet d’une discussion entre le
chômeur et son conseiller Pôle
emploi,quiélaborerontainsi«une
feuille de route (…) plus individuali-
sée qu’à présent», selon la formule
de la ministre du travail, Muriel
Pénicaud, dans un entretien au
quotidien L’Opinion.
La création du journal de bord
n’équivaut certes pas au «contrôle
journalier que voulait Gattaz, mais
c’est [tout de même] un contrôle
mensuel»,afustigéDenisGravouil
(CGT). Pour lui, la révision du ba-
rème des sanctions constitue un
«durcissement généralisé». Elle va
dans le sens d’un «vrai renforce-
ment (…) malgré quelques adapta-
tions à la marge», a regretté Mi-
chel Beaugas (FO). Yvan Ricordeau
(CFDT) s’est montré plus mesuré,
estimant«nepasavoirunpaysage
clairdecequivasepasser»,notam-
ment sur «l’équilibre» entre l’ac-
compagnement des chômeurs et
les vérifications à leur encontre
pour s’assurer qu’ils sont bel et
bien en quête d’une activité.
«Juge et partie»
Jean-François Foucard (CFE-CGC) a
exprimé un avis tout autre puis-
que, à ses yeux, les sanctions se-
ront allégées – les maxima attei-
gnant quatre mois de radiation,
contre six à l’heure actuelle,
d’après lui. La «nouveauté», a-t-il
poursuivi, est le transfert à Pôle
emploi des pouvoirs du préfet (ré-
duction ou suppression de l’allo-
cation): «On peut avoir un embal-
lement [de décisions défavorables
auxchômeurs]»,a-t-illâché.«Pôle
emploi va être juge et partie», s’est
agacé M. Gravouil.
L’autre point épineux abordé
lundi porte sur le pilotage de
l’Unédic – actuellement entre les
mains des organisations syndica-
les et patronales. Désormais, cel-
les-ci seront soumises à un ca-
drage financier très strict avant
chaque négociation de conven-
tion, fixant les conditions d’in-
demnisation. Et elles seront égale-
ment susceptibles d’avoir des ob-
jectifs à atteindre pour faire évo-
luer les règles du régime. «C’est à
l’épreuve des faits qu’on saura si les
partenaires sociaux ont de la vraie
marge pour négocier ou si c’est le
gouvernement qui décide de tout, a
déclaré M. Ricordeau. Dans le pre-
mier cas, la CFDT en sera; dans le
second, elle n’en sera pas.» «On est
très cadrés, voire très encadrés», a
ironisé M. Foucard. «C’est une éta-
tisation qui ne dit pas son nom»,
renchérit M.Beaugas. p
sarah belouezzane
et bertrand bissuel
Vélib’,Streeteo,piétonnisation…
Hidalgofédèrelesoppositions
LeConseildeParisdevraitêtreémailléparnombredereproches
T
urbulences passagères
ou dépression durable?
Lors du Conseil de Paris
qui s’ouvre mardi
20 mars, Anne Hidalgo devait es-
suyer les attaques de l’opposition
et les critiques d’une partie de sa
majorité sur deux gros chantiers
desonmandat:l’offrenouvellede
vélos en libre-service et le con-
trôle du stationnement payant
confié au secteur privé. «Il y aura
un avant et un après premier tri-
mestre 2018», reconnaît Bruno
Julliard, premier adjoint (PS) de la
maire de la capitale, conscient de
lasituation:«Mêmesinosdifficul-
tés sont à relativiser, l’ampleur de
lacriseestréelledèslorsquelesPa-
risiens la perçoivent comme telle.»
Dans les deux cas, les défaillan-
ces relèvent des prestataires choi-
sis. Le consortium Smovengo
aurait dû déployer d’ici à fin mars
àParisetdansplusd’unecinquan-
tainedecommunes1400stations
devélosenlibre-servicedont30%
équipés d’un moteur électrique.
Mais la livraison a pris trois mois
de retard. En Conseil de Paris, l’op-
positiondevraitimputer«lefiasco
de Vélib’ 2», selon ses termes, à la
Ville de Paris. «La mairie a condi-
tionné de bout en bout le choix du
prestataire», soutient Eric Azière,
le patron du groupe UDI-MoDem.
L’entourage d’Anne Hidalgo rap-
pelle pourtant que le marché a été
piloté en grande partie par le syn-
dicat mixte Vélib’ Autolib’ Métro-
pole (SVAM), qui compte 68 com-
munes. Au sein duquel Paris est
certes majoritaire, mais pas seul
décisionnaire. La commission
d’appel d’offres du SVAM qui a
choisi en mars 2017 Smovengo
étaitcomposéededeuxélusdePa-
ris et de quatre élus des autres col-
lectivitésconcernées.Smovengoa
été choisi à l’unanimité face à
JCDecaux, prestataire sortant.
«Fébrilité»
Alors que Mme Hidalgo incrimine
«des marchés publics en France
mal conçus» pour expliquer les
aléas du contrat avec Smovengo,
Jean-Baptiste de Froment, pre-
miervice-présidentdugroupeLR,
réfute cet argument et suggère
que Paris aurait la possibilité de
prévoirdesgarde-fouspluseffica-
ces dans ses appels d’offres pour
éviter une rupture de service
public lors du passage de relais.
Pour rattraper le retard, lié no-
tamment à la complexité plus
grande que prévu de l’électrifica-
tion des stations, la Ville a depuis
peu délégué des ingénieurs de ses
services afin de mieux coordon-
ner les différents acteurs qui in-
terviennent sur le chantier. «Si
Smovengo avait tiré la sonnette
d’alarme plus tôt sur les difficultés
rencontrées, nous aurions pu lui
prêter main-forte plus rapide-
ment», regrette l’Hôtel de Ville.
Autre prestataire défaillant,
Streeteo. L’entreprise qui assure
depuis janvier le contrôle du
stationnement payant dans la
plupart des arrondissements pa-
risiens a été reconnue responsa-
ble par la Ville de deux types d’ir-
régularités. Censés contrôler les
voitureseninfraction,certainsde
ses agents se sont contentés d’en-
registrer,enrestantdansleursbu-
reaux,desnumérosd’immatricu-
lation pour atteindre le quota de
contrôles exigés. Et des employés
de Streeteo n’étaient pas asser-
mentés alors que la loi l’exige.
En Conseil de Paris, la droite,
l’UDI-Modem ainsi que le groupe
des «progressistes et indépen-
dants», composé de transfuges de
LR, devraient demander la résilia-
tion du marché avec Streeteo.
MembresdelamajoritédeMmeHi-
dalgo, les élus communistes de-
vraient exiger la même chose.
«Les ratés de Streeteo sont une res-
ponsabilitécollectivedelamairede
Paris, des socialistes et des Verts»,
déplore Nicolas Bonnet-Oulaldj, le
patron du groupe Front de gauche
au Conseil de Paris, hostile par
principe «à la privatisation» du
contrôledustationnementàParis.
Au-delà de ces deux dossiers, les
reversjuridiquesdesdernièresse-
maines, dont l’annulation par le
tribunal administratif de la pié-
tonnisation des berges de la rive
droite de la Seine, permettent à
l’opposition de remettre en cause
plus largement le pilotage politi-
que de la Mairie. «Je me demande
si la clé de commande de tous ces
ratés n’est pas la fébrilité de
Mme Hidalgo, qui multiplie les
projets à marche forcée», déclare
Eric Azière.
Dispositif de riposte
Ces derniers temps, les critiques
n’émanent plus seulement des
rangs des seuls adversaires politi-
ques de la maire de Paris. «Cette
suite de revers techniques et juridi-
ques laisse à penser qu’il n’y a plus
de patron ou de patronne à Paris,
glisse un bon connaisseur des
arcanes de la Ville, proche de
Bertrand Delanoë. A un moment,
quand une image se brise comme
un miroir, il est difficile de recoller
les morceaux. On peut considérer
que ce n’est pas juste, mais c’est
commeça.»Coïncidencedecalen-
drier, une petite centaine des ex-
collaborateurs de l’ancien maire
de la capitale lui a donné rendez-
vous, mardi, comme chaque an-
née, au printemps pour une réu-
nion «amicale», selon l’un d’eux.
Face à ces difficultés, Mme Hi-
dalgoaréagi,lundi,enannonçant
avoir commandé «une étude sur
la gratuité des transports en com-
mun» pour tous. Pour renforcer
son dispositif de riposte, elle a
également recruté l’ex-directrice
de la publicité d’Air France Caro-
line Fontaine, qui dirigera la com-
munication de la ville. Et ses pro-
ches veulent encore croire que
l’image de la maire de Paris n’est
pas durablement abîmée. «Elle a
les ressorts et l’énergie nécessaires
pour renouer le fil d’un récit muni-
cipal positif, assure un de ses ad-
joints. Il faut que l’entêtement que
certainsluireprochentsoitdenou-
veau perçu comme du courage et
la marque d’une volonté.» p
béatrice jérôme
Les critiques
n’émanent plus
uniquement des
rangs des seuls
adversaires de
la maire de Paris
La maire de Paris,
Anne Hidalgo, dans l’usine
d’Arcade Cycles, à La Roche-sur-Yon,
le 19 décembre 2017. LOIC VENANCE/AFP
NOUVELLE-CALÉDONIE
Le référendum
sur l’indépendance
aura lieu le 4novembre
Le Congrès de la Nouvelle-
Calédonie a fixé la date du ré-
férendum sur l’indépendance
au dimanche4novembre2018.
Le texte n’a pas été adopté
à l’unanimité malgré son «ca-
ractère historique» souligné
par plusieurs élus. Face aux
38 voix favorables, 14 élus issus
de la droite non indépendan-
tiste s’y sont opposés, dénon-
çant «la repentance coloniale»
contenue selon eux dans
l’exposé des motifs. – (AFP.)
DROITE
LR vend son siège
à Paris mais
ne déménagera pas
Le parti Les Républicains va
vendre son siège de 5500 mè-
tres carrés de la rue de Vaugi-
rard, dans le 15e arrondisse-
ment de Paris, mais
continuera de l’occuper
comme locataire, selon une
information du Figaro. Une
vente sans déménagement,
qui permettra de faire tomber
sa dette de 55millions d’euros
«autour de 10millions
d’euros» d’ici cinq ans,
selon le trésorier du parti,
Daniel Fasquelle. Satisfait
de cette solution d’entre-deux,
Laurent Wauquiez estime que
l’affaire n’a rien à voir avec «le
symbole catastrophique» de la
vente de Solférino par le Parti
socialiste qui sera, lui, obligé
de déménager.
FO dénonce
«la surprise du chef»
Michel Beaugas (FO) a dénoncé,
lundi 19 mars, le fait que les
140millions d’euros prévus pour
l’assurance-chômage des tra-
vailleurs indépendants seront fi-
nancés non pas par la hausse de
la CSG, comme indiqué initiale-
ment, mais par les ressources de
l’Unédic, qui agrégeront désor-
mais de la CSG et des cotisations
patronales. C’est «la surprise du
chef», a lancé M. Beaugas. Au
ministère du travail, on fait re-
marquer qu’«il est hasardeux de
dire que les cotisations des em-
ployeurs vont payer pour les in-
dépendants», sous-entendant
par là que la CSG payée par les
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  • 1. MERCREDI 21 MARS 2018 74E ANNÉE– NO 22764 2,60 € – FRANCE MÉTROPOLITAINE WWW.LEMONDE.FR ― FONDATEUR : HUBERT BEUVE-MÉRY DIRECTEUR : JÉRÔME FENOGLIO Algérie 220 DA, Allemagne 3,30 €, Andorre 3,20 €, Autriche 3,30 €, Belgique 2,90 €, Cameroun 2 200 F CFA, Canada 5,40 $, Chypre 2,70 €, Côte d'Ivoire 2 200 F CFA, Danemark 34 KRD, Espagne 3,10 €, Gabon 2 200 F CFA, Grande-Bretagne 2,60 £, Grèce 3,20 €, Guadeloupe-Martinique 3,10 €, Guyane 3,20 €, Hongrie 1 050 HUF, Irlande 3,10 €, Italie 3,10 €, Liban 6 500 LBP, Luxembourg 2,90 €, Malte 2,70 €, Maroc 19 DH, Pays-Bas 3,20 €, Portugal cont. 3,10 €, La Réunion 3,20 €, Sénégal 2 200 F CFA, Slovénie 3,20 €, Saint-Martin 3,20 €, Suisse 4,00 CHF, TOM Avion 500 XPF, Tunisie 3,20 DT, Afrique CFA autres 2 200 F CFA LE REGARD DE PLANTU Pourquoilesoiseauxdisparaissent ▶ Le CNRS et le Muséum national d’histoire natu- relle publient deux études qui pointent la «dispari- tion massive» des oiseaux dans nos campagnes ▶ «En moyenne, leurs po- pulations se sont réduites d’un tiers en quinze ans», précisent les deux institu- tions, qui évoquent une «catastrophe écologique» ▶ Attribué par les cher- cheurs à l’intensification des pratiques agricoles, le déclin s’est accéléré depuis 2008, et plus encore ces deux dernières années ▶ Les scientifiques souli- gnent aussi le recours croissant aux néonicoti- noïdes, qui détruisent les insectes et raréfient ainsi l’alimentation des oiseaux ▶ «On assiste à un effon- drement de la biodiversité sauvage», affirme Romain Julliard, chercheur en bio- logie de la conservation PAGE 6 SARKOZY PLACÉ EN GARDE À VUE Au siège du parti Les Républicains, en août2016. GUILLAUME HERBAUT INSTITUTE POUR «LE MONDE» SCIENCE & MÉDECINE – SUPPLÉMENT LA DÉPRESSION, UNE SOUFFRANCE AU-DELÀ DE LA MALADIE L’action du réseau social a perdu 6,8% en Bourse lundi 19mars, après les révélations sur Cambridge Analytica. Soit plus de 30milliards de dollars. Et, aux Etats-Unis, plusieurs responsables politiques réclament que Mark Zuc- kerberg, son PDG, s’expli- que devant le Congrès CAHIER ÉCO – PAGE 1 Etats-Unis Crisehistorique chezFacebook Politique Mélenchon obligé de se rallier à l’unité des gauches PAGE 7 Voiture autonome Uber suspend ses essais après un accident mortel CAHIER ÉCO –PAGE 4 Brexit Période de transition: Londres cède à Bruxelles PAGE 3 SEPT ANS D’ENFER SYRIEN PAGE 21 1É D I T O R I A L Audiovisuelpublic Lesscénariosd’uneréforme Le président l’a répété, il faut réformer l’audiovisuel public. D’ici à «la fin du pre- mier trimestre 2018», a-t-il expli- qué lors de ses vœux à la presse le 4janvier, l’exécutif produira un «scénario de transformation». Pour se guider, il s’appuie sur une idée du candidat Macron: le «rapprochement» entre France Télévisions et Radio France. Dans le premier volet d’une série sur l’audiovisuel public, Le Monde liste les scénarios qui s’offrent aujourd’hui au gouvernement; et les écueils qui accompagnent chacun d’entre eux. «Seuls les ser- vices publics peuvent contrer Net- flix», juge Takis Candilis, patron de la stratégie et des programmes de France Télévisions depuis le 26février. Dans les prochains jours, Le Monde plongera au cœur de cinq modèles européens de télés et radios publiques qui pourraient être des sources d’ins- piration. CAHIER ÉCO – PAGES 2-3 Son dernier film, «Mektoub, My Love», sur les écrans à partir de mercredi 21mars, est une célébration de la beauté et de l’amour. Dans une interview au «Monde», le réalisateur explique l’avoir conçu comme une réaction à une époque «terrifiante» PAGES 12-13 Cinéma Kechiche,l’ode àl’insouciance ViolsdelaSambreUnesilonguetraque Interpellé le 26février, Dino Scala a été mis en examen pour vingt viols et agressions sexuelles commis dans le nord de la France, dans le cadre d’une en- quête ouverte en1996. La justice belge a, elle, identifié huit affaires qui pourraient lui être rattachées. Le Monde a interrogé les enquê- teurs, magistrats qui se sont suc- cédé,ainsiqu’élusetvictimes,pour raconter cette longue investiga- tion, ses cahots et ses mises en sommeil. Eparpillement des plain- tes, manque de communication et desdifférencesdeméthodedepart et d’autre de la frontière: ce récit permet de comprendre comment ce dossier a tenu en échec la police pendantvingt-deuxans. PAGES 10-11 ▶ L’ex-chef de l’Etat s’est rendu mardi 20 mars dans les locaux de la police judiciaire de Nanterre ▶ Il y est entendu dans le cadre de l’enquête sur le possible finance- ment par la Libye de sa campagne présidentielle de 2007 PAGE 11 CANAPÉS,LITERIE,MOBILIER : 3 000 M2 D’ENVIES ! PARIS15e •7J/7•M°BOUCICAUT•P.GRATUIT Canapés : 63 rue de la Convention,01 45 77 80 40 Literie,armoireslits, dressingCelio,SteineretLeolux, mobiliercontemporain:toutesnosadressessurwww.topper.fr Chanel 3 places L230-P90-H85cm Biblos 3 places L230-P90 H85 cm Barcelone 3 places L230-P95-H95cm Structure bois de sapin, hêtre et panneaux. Suspension sangles. Assise et dossier densité 30kg/m3 . Le prix inclut l’écoparticipation. Tissu 100% polyester. Prix hors livraison. Canapé tissu 100% cocon ! La perfection italienne au prix unique de 2390€ Offre valable sur les grands canapés Biblos, Barcelone ou Chanel (L230). Nombreux coloris au choix. Existent en plusieurs dimensions.
  • 2. 2| INTERNATIONAL MERCREDI 21 MARS 2018 0123 Lesaffaireséclairéesdesprochesd’Orban L’entouragedupremierministrehongroiss’enrichitsurledosd’uneUnioneuropéennequ’ildénonce ENQUÊTE szekszard (hongrie) - envoyé spécial L es lampadaires de Szekszard sont devenus uneaffaired’Etat.Passeu- lement«parcequ’ilsdiffu- sentmallalumièreetqu’onn’yvoit pas bien», comme le note le dé- puté d’opposition Akos Hadhazy, dans les rues sombres de cette pe- tite ville du centre de la Hongrie. Mais parce que, depuis quelques mois, ils jettent une lumière crue surlesaffairessulfureusesdel’en- tourage de Viktor Orban, le pre- mier ministre hongrois ultracon- servateur actuellement en pleine campagne pour obtenir sa réélec- tion le 8 avril. Si l’homme fort de Budapest dénonce sur tous les tons «Bruxelles» et sa politique d’immigration, il est nettement plus discret sur les scandales qui se multiplient autour de l’usage douteux des fonds régionaux européens par ses proches. Parmi ces affaires, celle des lam- padaires de Szekszard, et de 34 autres communes, semble la plus gênante. Tout a commencé en 2012, quand Akos Hadhazy, vé- térinaire dans le civil, occupait encore la fonction de simple con- seiller municipal, alors membre du Fidesz, le parti de M. Orban. En plein milieu de l’été, il est subite- ment convoqué pour un conseil extraordinaire destiné à renouve- ler les lampadaires de toute la commune. «Le maire nous a an- noncé qu’il fallait tout décider dans les deux jours, sans en avoir jamais parlé auparavant, alors qu’il y en avait tout de même pour 3 millions d’euros. J’ai trouvé ça bi- zarre», assure l’élu, qui avait pris l’habitude d’enregistrer toutes les réunions du groupe Fidesz. Pour calmer les réticences, l’édile passe alors un coup de fil en pleine réu- nion à la directrice de ce qui est encore une discrète société d’éclairage, Elios Innovativ. «Après cette discussion, il nous a dit que ça ne coûterait rien à la ville, grâce aux fonds européens.» Danslafoulée,lesélusvotenten faveur du lancement d’un appel d’offres, qui sera remporté quel- ques mois plus tard par… Elios. Mais le vétérinaire de Szekszard n’est pas au bout de ses surprises. Il découvre que le gendre de ViktorOrban,IstvanTiborcz,quia épousé en 2013 sa fille aînée, Ra- hel, siège au comité de direction de la société. M. Tiborcz est entré chezEliosàsacréation,en2009,à 23ans. Surgie de nulle part, cette entreprise a connu en quelques annéesunecroissancefulgurante en installant, sur fonds euro- péens, des lampadaires LED dans une trentaine de municipalités du pays, presque toutes contrô- lées par le Fidesz. «Plainte classée sans suite» En2015 à Budapest, une journa- liste du site d’investigation Direkt36, Anita Varok, s’interroge sur ce mystérieux succès. Elle épluche tous les appels d’offres remportésparElios,etfaitunein- trigante découverte. «Pour beau- coup d’entre eux, il n’y avait qu’un candidat: Elios. Ces appels d’offres demandaient tous une expérience précédente dont seule cette société disposait. Sauf dans le premier ap- pel d’offres de lampadaires LED de l’histoire du pays, justement rem- porté en 2010 par Elios, à Hod- mezovasarhely.» Cette commune est le fief de Janos Lazar. Très proche de Viktor Orban, il est actuellement son chef de cabinet. La journaliste dé- couvre même qu’un des associés d’IstvanTiborczdirigeenparallèle une société de conseil qui aide les municipalités à rédiger les appels d’offres…Toutcelasouslasupervi- sion des bureaux du premier mi- nistre chargés de vérifier leur vali- dité. Fort des révélations de Direkt36 et de son enregistre- ment, Akos Hadhazy dépose, en 2015 une plainte auprès de la police, après avoir quitté le Fidesz. «Jepensaisqueceseraitunepreuve indéniable. Je me suis trompé. Au bout d’un an, la plainte a été clas- sée sans suite.» Dans sa réponse consultée par Le Monde, la police hongroise affirme que tous les ap- pels d’offres «ont été conformes à la réglementation» et que l’enre- gistrement ne contient rien «qui ferait penser qu’il y avait un accord préalable avec Elios pour limiter la concurrence». L’affaire aurait pu en rester là, bien enfouie dans les classeurs des enquêteurs hongrois. C’était sans compter sur l’Office euro- péen de lutte antifraude (OLAF), quis’estentre-tempssaisidudos- sier depuis Bruxelles, en raison de l’utilisation de fonds euro- péens dans ces marchés. Le résul- tat de ses investigations, révélé en janvier par le Wall Street Jour- nal, a fait l’effet d’une bombe en pleine campagne pour les législa- tives.Dansleurrapportde140pa- ges, consulté par Le Monde, les enquêteurs européens confir- ment point par point les investi- gations de Direkt36 et mettent nommément en cause Istvan Ti- borcz.L’OLAFdénoncenonseule- ment de «sérieuses irrégularités» et des «conflits d’intérêts», mais parle aussi d’un «schéma de fraude organisée». L’office re- commande le remboursement de 43,7 millions d’euros par la Hongrie et demande au parquet derouvrirsonenquête.Dirigépar un proche de Viktor Orban, ce- lui-ci obtempère le 22 janvier, tout en précisant bien que ce n’est pas «l’OLAF qui détermine si un crime a été commis ou non». L’affaireEliosn’enestpasmoins gênante pour le pouvoir. Une vidéo moquant l’enrichissement d’Istvan Tiborcz a été vue 800000 fois sur Facebook. Et le 25 février, lors d’une élection mu- nicipale partielle justement orga- nisée à Hodmezovasarhely, le candidat du Fidesz a été battu à la surprisegénéraleparunindépen- dant soutenu par l’ensemble de l’opposition, qui a fait campagne contre la mainmise de Janos La- zar sur la commune, dont Elios ne serait qu’un des symptômes. M. Lazar n’a pas souhaité répon- dre à nos questions, et Istvan Tiborcz, qui a revendu ses parts dans Elios en 2015 pour un mon- tant estimé par plusieurs journa- listes d’investigation hongrois à près de 10 millions d’euros, fuit toute demande d’interview. «Une attaque personnelle» Mais à Szekszard, Istvan Horvath, l’ex-maire enregistré à son insu par Akos Hadhazy, devenu désor- mais député, assure au Monde que le «rapport de l’OLAF est une attaque personnelle contre Orban», dont le nom n’est pour- tant pas mentionné dans le docu- ment. Si son gendre a emporté le marché des lampadaires, c’est uniquement parce que «son offre étaitlameilleuresurleplanécono- mique», affirme l’élu. Dans le pre- mier cercle de Viktor Orban, on se fait encore plus clair: «Ce rapport fait partie d’une campagne politi- quedel’opposition,ilaétéécritpar trois Hongrois», affirme Zoltan Kovacs, porte-parole du chef du gouvernement. Et de s’en prendre à «Jean-Claude Juncker [le prési- dent de la Commission euro- péenne], qui a fait de la commis- sion un organisme politique». Premiers bénéficiaires de fonds européensparhabitantdel’UE,les Hongrois multiplient de facto les rapports de l’OLAF. Une soixan- taine en tout, alors que le gendre deViktorOrbann’estpasleseulde ses proches à s’être enrichi grâce aux fonds européens. Le maire de son village natal et ancien cama- radedeclasse,LörincMeszaros,est devenu le cinquième homme le plus riche de Hongrie en 2017, à la tête d’un empire qui va de la cons- truction à la banque à l’hôtellerie etsurtoutauxmédias.Selonlesite d’investigation Atlatszo, 83 % des appels d’offres remportés par ses entreprises depuis 2010 ont été fi- nancés par des fonds européens. Sollicité, l’OLAF n’a pas souhaité dire s’il enquêtait sur les activités de M. Meszaros, qui n’a pas ré- pondu à nos questions. Direkt36 assure aussi que les entreprises du père et des frères de Viktor Orban apparaissent ré- gulièrement comme sous-trai- tants dans des chantiers financés par l’UE. Pour Andras Petho, le di- recteur de Direkt36, «Orban a bâti un système basé sur les mar- chés publics financés par l’UE grâce auquel ses proches et ses amis sont devenus riches. C’est as- sez ironique de la part de quel- qu’un qui attaque autant l’UE A Szekszard (Hongrie). Ci-dessus, le député d’opposition hongrois Akos Hadhazy, le 12mars. A droite et ci-contre, les éclairages d’Elios. AKOS STILLER POUR «LE MONDE» «Dans 36 % des appels d’offres hongrois, il n’y a eu qu’un seul candidat. C’est inacceptable» INGEBORG GRÄSSLE eurodéputée allemande dans ses discours.» A Bruxelles, on ne cache pas son agacement. «Dans 36 % des appels d’offres hongrois, il n’y a eu qu’un seul candidat. C’est inacceptable, la moyenneeuropéenneestde17%», tonne Ingeborg Grässle, la prési- dente de la Commission du con- trôle budgétaire au Parlement européen. Cette eurodéputée al- lemande affiliée au Parti popu- laire européen (PPE, conserva- teur), comme Viktor Orban, a conduit en septembre une mis- sion d’enquête en Hongrie et ne tait pas ses doutes sur la justice de ce pays. «Ce serait bien qu’elle s’y mette vraiment et qu’une vraie enquête soit ouverte.» Peu de pouvoirs d’enquête Pour l’instant, la Commission européenne se révèle pourtant as- sezimpuissante,àlafoisenraison d’une certaine réticence à mettre en cause un membre du PPE, ma- joritaire au niveau européen, et faute de véritables pouvoirs d’en- quête.«Lesrapportsdel’OLAFsont presquesystématiquementcontes- tés par Budapest, déplore un fonc- tionnaire européen proche du dossier. Or, dans les cas de fraude, nous préférons attendre des déci- sions de justice définitives avant de récupérer les fonds dépensés.» La Hongriearefusédefairepartiedu projet de création d’un parquet européen destiné à superviser les enquêtessurlesfraudesauxfonds européens. «Si le procureur hon- grois ne décide pas d’ouvrir une en- quête dans le dossier Elios, ce sera toutefois difficile de ne rien faire», reconnaît ce fonctionnaire. En at- tendant, Viktor Orban affirme, lui, vivre toujours aussi modeste- ment. Sa dernière déclaration de patrimoine mentionne deux ap- partements et un solde sur le compte commun qu’il détient avec sa femme de seulement 742000 forints. Soit 2384 euros. p jean-baptiste chastand 100 km ROUMANIECROATIE SLOVAQUIE UKR. SERBIE AUTRICHE Budapest Szekszard HONGRIE Hodmezovasarhely
  • 3. 0123 MERCREDI 21 MARS 2018 international | 3 EnOccident,réactions officiellesglaciales àlaréélectiondePoutine Lescapitaleseuropéennesontsouligné leursdivergencesavecleprésidentrusse Il n’est pas question pour les grandes capitales européen- nes de féliciter, comme si de rien n’était, Vladimir Poutine poursaréélection.Sonquatrième mandat à la tête de la Russie a été salué par ses alliés, à commencer par le Chinois Xi Jinping, le Véné- zuélien Nicola Maduro, le Syrien Bachar Al-Assad, l’Iranien Hassan Rohani, et le Hongrois Viktor Orban. Les réactions occidentales sont en revanche pour le moins réservées, voire glaciales, à l’aune des tensions croissantes encore attisées par la tentative d’empoi- sonnement par du Novitchok, un redoutable produit neurotoxi- que, de l’agent double Sergueï Skripal,66ans,et desafilleIoulia, 33ans, à Salisbury dans le sud de l’Angleterre. Ni Londres ni Washington n’avaient envoyé de message quarante-huit heures après le scrutin. Emmanuel Macron est l’un des rares dirigeants occidentaux à avoir appelé le président russe. Mais leur conversation, le 19 mars, a été pour le moins fran- che, comme en témoigne le com- muniqué de l’Elysée. «Au lende- main de l’élection présidentielle et au moment où Vladimir Poutine s’apprête à exercer une nouvelle fois les plus hautes fonctions exé- cutives, le président de la Républi- que a adressé à la Russie et au peu- ple russe, au nom de la France, ses vœux de succès pour la moderni- sation politique, démocratique, économique et sociale du pays», affirmeletexte.Lesmotssontsoi- gneusement pesés et pas une seule fois il n’est fait mention de félicitations personnelles pour le vainqueur. «Nécessité d’un dialogue» Les principaux points de conten- tieux avec Moscou sont en outre listés l’un après l’autre, tout en rappelant la «nécessité d’un dia- logue constructif». Emmanuel Macron souligne son inquiétude pour la situation en Syrie, à Afrin comme dans la Ghouta orientale, «appelant la Russie à faire ses meilleurs efforts pour que cessent les combats et les pertes civiles». Il insiste aussi sur «le ferme atta- chement de la France au plein ré- tablissement de la souveraineté et de l’intégrité territoriale de l’Ukraine dans ses frontières inter- nationalement reconnues». Il demande aux autorités russes de «faire toute la lumière sur les res- ponsabilités dans l’inacceptable attaquedeSalisbury».Onnepeut être plus clair, alors même que Paris avait, dans les premiers jours, semblé hésiter à accuser di- rectement Moscou. La chancelière allemande, en s’entretenant en fin de journée avecVladimirPoutinepourleféli- citer, a évoqué la nécessité de «poursuivre le dialogue» dans le but «de répondre aux défis bilaté- raux et internationaux de manière constructive et de trouver des solu- tionsdurables».Ellesedoitdemé- nager un allié social-démocrate traditionnellement plus conci- liant vis-à-vis de Moscou. Son porte-paroleSteffenSeibertn’ena pas moins reconnu «des différen- ces d’opinion avec la Russie». «Nous critiquons la politique de la Russie par moments très claire- ment et précisément, comme sur l’Ukraine et la Syrie», a-t-il insisté. Solidarité avec Londres L’Union européenne a, pour sa part, regretté une élection qui s’est déroulée «dans un environ- nement juridique et politique trop contrôlé, marqué par une pres- sion continue sur les voix criti- ques». Les ministres des affaires étrangères des 28 réunis à Bruxelles le 19 mars ont en outre rappelé leur «totale solidarité» avec Londres face à l’attaque à l’arme chimique commise sur son territoire, sans pour autant arriver à une position commune pour dénoncer la responsabilité de Moscou et a fortiori discuter d’éventuelles sanctions. Comme à l’accoutumée la Grèce, l’Italie et Chypre s’y sont opposés. «Les démentis de la Russie sont de plus en plus absurdes», avait lancé, à son arrivée, le ministre des affaires étrangères britanni- que Boris Johnson, relevant «qu’un jour, les Russes assurent qu’ils n’ont jamais produit [l’agent innervant] Novitchok; un autre jour, ils affirment qu’ils ont pro- duit du Novitchok mais soutien- nent que tous les stocks ont été dé- truits; puis ils annoncent que cer- tains stocks se sont mystérieuse- ment échappés vers la Suède ou la Slovaquie, en République tchèque ou aux Etats-Unis, ou même au Royaume-Uni». p marc semo LesEuropéenssontdiviséssurl’opportunité denouvellessanctionscontrel’Iran Poursauverl’accordnucléaire,contestéparTrump,Paris,LondresetBerlindurcissentleton bruxelles - bureau européen Les Européens «chantent à plusieursvoix,maislamême chanson». La formule de la haute représentante Federica Mo- gherini résume, de manière un peuoptimiste,cequis’est,unefois encore, déroulé lundi 19 mars, à Bruxelles, lors d’une réunion des ministres des affaires étrangères. Confrontée au risque de voir Do- nald Trump remettre en cause l’accord international conclu à Vienne,en2015,surleprogramme nucléaire de l’Iran, l’UE entend tout faire pour sauver ce texte maissedivisesurlastratégiepour – peut-être – y parvenir. D’un côté, la France, le Royau- me-Uni et l’Allemagne évoquent dessanctionsàprendrecontreTé- héran, pour son soutien au ré- gime syrien et aux rebelles hou- thistes du Yémen, qui sont en guerre contre une coalition arabe dirigéeparl’Arabiesaoudite.Paris, LondresetBerlin,quitententvisi- blement de convaincre Washing- ton de leur fermeté, disent aussi partager les inquiétudes améri- caines quant au programme ira- nien de missiles balistiques, con- traire,seloneux,àlalettreetàl’es- prit de l’accord de Vienne. «Leur portée est plus longue, plus précise, plus létale que prévu»,affirmeundiplomate,qui juge en outre «inquiétant» le transfert de cet armement à «des acteurs étatiques et non étati- ques» de la région. «Nous ne de- vons pas exclure la responsabilité de l’Iran dans la prolifération des missiles balistiques et dans son rôletrèsdiscutableauProcheetau Moyen-Orient», déclarait, lundi, Jean-Yves Le Drian, qui se disait «déterminé» à s’assurer que l’ac- cord de Vienne était respecté. «Ce doit être discuté pour parvenir à une position commune», souli- gnait le ministre français. «Affreuses erreurs» Celle-ci est loin d’être trouvée. Un régime de sanctions européen- nes contre l’Iran est toujours en vigueur, mais son renforcement –ceseraitlepremierdepuis2015– suppose une unanimité des Vingt-Huit. La signature de l’ac- cord sur le nucléaire –approuvé par la France, le Royaume-Uni, l’Allemagne, la Chine, la Russie et les Etats-Unis, alors dirigés par Barack Obama– avait entraîné la levée des sanctions économi- ques. M.Trump a donné aux si- gnataires européens jusqu’au 12mai pour «réparer les affreuses erreurs»decedocument,fautede quoi il refusera, dit-il, de prolon- ger l’assouplissement des sanc- tions américaines contre la Répu- blique islamique. Bruxelles prend très au sérieux cette menace qui, affirme Mme Mogherini, comporte un en- jeu sécuritaire majeur «pour l’Eu- ropeetlemonde».AuxEtats-Unis, Bob Corker, président républicain de la commission sénatoriale des affaires étrangères, a indiqué ré- cemment qu’il ne croyait pas à la prolongation de l’accord. «Je pense que le président en sortira sansdoute,àmoinsquenoshomo- logues européens ne proposent un autre cadre. Et je n’ai pas l’impres- sion que ce soit leur intention», a- t-il déclaré sur la chaîne CBS. C’est pour tenter d’infléchir des jugements de ce type que Paris, Londres et Berlin ont déposé un document évoquant de nouvelles sanctions, dévoilé par l’agence Reuters, mais dont l’existence n’est pas confirmée par les chan- celleries,soucieuses,àcestade,de ne pas provoquer d’autres divi- sionsdanslecampeuropéen.Cer- tains pays – dont l’Italie – rejet- tent, en effet, l’hypothèse de nou- velles mesures coercitives. Ils sont soucieux du développement de leurs relations commerciales, d’autant, soulignent-ils que l’Iran n’a pas vraiment bénéficié du programme d’investissements qui lui était promis et que ses ex- portations de pétrole vers l’Eu- rope n’ont atteint que les trois quarts de leur niveau d’avant les sanctions. Leprojet élaboréparlaFranceet ses partenaires n’a pas été évoqué par Mme Mogherini. Il n’y a «pas de position officielle de l’Union sur de nouvelles sanctions», a-t-elle insisté. Elle est très attachée à l’ac- cord qu’elle a négocié, et sou- cieuse de maintenir le contact avec la diplomatie iranienne, qui rejettel’idéed’unenégociationde son programme balistique, pré- senté comme purement défensif. Téhéran se montre désormais aussi très critique à l’égard de M. Le Drian, qui s’est rendu en Iran au début du mois. «Nous es- périons qu’après sa récente visite et ses négociations, [M. Le Drian] comprendrait les réalités de la po- litiquededéfenseiranienne»,adé- claré Bahram Qasemi, porte-pa- role du ministère des affaires étrangères. p jean-pierre stroobants Brexit:LondresetBruxellesse mettentd’accordsurlatransition Legouvernementbritanniqueamultipliélesconcessionspourgarder certainsdroitsaulendemainduretraitofficieldel’UE,finmars2019 londres - correspondant bruxelles -bureau européen L a pression des milieux d’affaires britanniques était trop forte: lundi 19mars,legouvernement de Theresa May a accepté les con- ditions posées par Bruxelles pour préciser la période de transition qu’il réclamait, dans la foulée du Brexit. Une période durant la- quelle le Royaume-Uni pourra continuer à négocier sa «relation future» avec l’Union européenne (UE), sans perdre brutalement tous les avantages d’un Etat membre. Latransitionnedevradurerque vingtetunmois,du30mars2019, lendemain du Brexit, jusqu’au 31décembre2020, comme le ré- clamaient les Européens. Et pas jusqu’en mars2021, comme l’a d’abord souhaité Mme May. Autre concession, bien plus consé- quente: Londres a accepté que les citoyens de l’UE venant s’installer au Royaume-Uni durant la pé- riode de transition puissent bé- néficier du même droit de séjour que ceux arrivés dans le pays avant le Brexit. Londres a par ailleurs renoncé au«droitdeveto»réclamésurles lois que l’UE adopterait durant cette période de transition: le pays pourra, jusqu’au 31 décem- bre2020, continuer d’accéder sans entraves au marché inté- rieur européen, en contribuant au budget communautaire, mais il n’aura plus du tout voix au cha- pitre:niministresinvitésaux réu- nions bruxelloises ni députés européens. Londres pourra aussi entrer en négociation avec des pays tiers, en vue de conclure des accords com- merciaux, mais pas question que cesaccordsentrentenvigueurdu- rant la période de transition. Bruxelles a cependant échoué, pour l’instant, à imposer une «clause guillotine», amputant le Royaume-Uni de certains de ses droits d’accès au marché intérieur durantlatransitionsilepaysnese conformait pas aux lois de l’UE ou aux décisions de la Cour de justice deLuxembourg,laplushautejuri- diction européenne. Provocation Sur l’épineuse question irlandaise, Londres a aussi significativement reculé, acceptant que, en l’absence d’une solution britannique pour éviter le retour d’une «frontière dure» entre la République d’Ir- landeetl’IrlandeduNord,ceserait lapropositionmisesurlatablepar lesEuropéensquis’imposerait.Or, cette dernière a tout d’une provo- cationpourlegouvernementMay, qui dépend, pour sa fragile majo- rité parlementaire, d’une alliance de circonstance avec le petit parti unioniste nord-irlandais DUP. Comme Londres souhaite quit- ter à terme l’union douanière, Bruxelles a proposé que le con- trôle des marchandises, devenu nécessaire, entre l’UE à vingt-sept et le Royaume-Uni, ne s’effectue pasàlafrontièreentrel’Irlandedu Nord et la République d’Irlande, qui doit rester virtuelle afin de préserver les «accords de paix de 1998» (ayant mis fin à trente ans de guerre civile en Irlande du Nord).Cecontrôleauraitlieudans les ports britanniques: une ma- nière de réunifier l’île d’Irlande par le commerce. MichelBarnier,lenégociateuren chef de l’UE, s’est félicité, lundi, d’avoir pu franchir avec son ho- mologue britannique, David Da- vis, une étape «décisive» des dis- cussions avec Londres. «Nous avons fait ces derniers jours une partieessentielleducheminversun départ ordonné» du Royaume- Uni, a ajouté le Français. De fait, la perspective d’un «non-accord» entre Londres et l’UE s’éloigne, même si M.Barnier a précisé, lundi, que la transition ne sera dé- finitivement acquise que quand les parties se seront mises d’ac- cord sur tous les autres points du divorce, au plus tard en octobre de cette année. Mais, en cédant du terrain sur la souveraineté britannique en échange du maintien temporaire du libre accès au marché unique européen, Theresa May a déclen- ché des réactions hostiles au sein de sa propre famille politique. Pendant près de deux ans supplé- mentaires, «rien ne va changer et je pense que c’est un problème que le gouvernement va devoir affron- ter car beaucoup de députés sont très mal à l’aise à ce sujet», a dé- claré Iain Duncan Smith, ancien ministre conservateur euro- phobe. Quant à Nigel Farage, ex- leader du Parti pour l’indépen- dance du Royaume-Uni (UKIP; extrême droite), il a appelé une fois de plus à la démission de «Theresa [May] la conciliatrice». En écho, à gauche, le député travailliste proeuropéen Chuka Umunna,areprochéàlaPremière ministre d’avoir «capitulé». La concession sur les droits de pêche, qui continueront d’être fixés par l’UE et non par le Parle- ment national comme promis par les brexiters, est celle qui suscite le plus de protestations. Douglas Ross, député conservateur d’une circonscription côtière, a affirmé qu’«il serait plus facile de boire un bock de vomi froid que de vendre [l’accord] comme un succès». «Régimes d’équivalences» ABruxelles,lesnégociateursvont maintenant pouvoir se concen- trer sur la «relation future» que les Européens envisagent déjà comme un accord de libre- échange. Les Britanniques ont ac- ceptécecanevas,maisilsmilitent pour qu’il intègre un accord sur lesservicesfinanciers:ilsveulent préserver le précieux «passe- port»dontdisposelaCitydeLon- dres pour vendre sans entraves ses services sur le marché inté- rieur européen. Or, selon nos informations, sur ce point, les Vingt-Sept devraient approuver lors du Conseil euro- péendu23marsdes«lignesdené- gociation» très dures: ils ne sont prêts à accorder que des «régimes d’équivalences» à la place finan- cière britannique, c’est-à-dire à lui ménager certes des accès assez complets à leurs places continen- tales, mais révocables à tout mo- ment par la Commission. Ces régi- mes ne seront pas négociables: Bruxelles décidera toute seule de leur contenu mais tiendra évi- demment compte des intérêts de la City, dont le rôle restera impor- tant pour le continent. p philippe bernard et cécile ducourtieux Londres a renoncé au «droit de veto» réclamé sur les lois que l’UE adopterait durant la transition L’Iran rejette l’idée d’une négociation de son programme balistique, présenté comme défensif NORVÈGE Démission de la ministre de la justice La ministre norvégienne de la justice, Sylvi Listhaug, a annoncé sa démission, mardi 20mars, peu avant le vote programmé d’une mo- tion de défiance par le Parle- ment. Sa décision devrait empêcher la chute du gou- vernement de droite minori- taire. La ministre avait pro- voqué une crise politique, le 9mars, quand elle avait ac- cusé le Parti travailliste d’op- position de «penser que les droits des terroristes sont plus importants que la sécurité de la nation». – (Reuters.) CORÉE DU SUD Séoul et Washington réduisent leurs manœuvres militaires La Corée du Sud et les Etats- Unis ont annoncé, mardi 20mars, que leurs exercices militaires conjoints annuels, déjà reportés à cause des Jeux olympiques, reprendront le 1er avril mais en étant raccour- cis d’un mois. Ces manœuvres à grande échelle impliquent le déploiement de dizaines de milliers de troupes au sol. Des discus- sions sont en cours en vue d’un sommet entre les deux Corées, qui serait suivi par une rencontre entre le prési- dent américain, Donald Trump, et le dirigeant nord- coréen, Kim Jong-un. – (AFP.) IRAK New Delhi confirme la mort de 39 Indiens enlevés par l’EI La ministre indienne des af- faires étrangères, Sushma Swaraj, a confirmé, mardi 20mars, que les corps de 39 ressortissants, découverts dans un charnier à Badouch, près de Mossoul, en Irak, avaient été identifiés. Ces ouvriers issus de familles pauvres travaillaient pour une entreprise du bâtiment lorsqu’ils avaient été kidnap- pés en juin2014 par l’organi- sation Etat islamique. Les autorités indiennes disent n’avoir jamais reçu de de- mande de rançon ou été en contact direct avec les ravis- seurs. – (Reuters.)
  • 4. 4| international MERCREDI 21 MARS 2018 0123 Comment laChinetraque lesOuïgours d’Europe Pékinexercedemultiples pressionssurlesmembresde cettecommunautévivantenexil pékin - correspondant A Paris, Berlin ou Is- tanbul, les Ouïgours de l’étranger, qu’ils aientdéjàadoptélana- tionalité du pays hôte ou qu’ils soienttoujoursressortissantschi- nois,sontlacibled’unecampagne d’intimidation d’une ampleur inédite. Six d’entre eux, vus ou jointsparLeMonde,onttémoigné de pressions d’agents chinois pour les pousser à espionner d’autres membres de la commu- nauté en exil, cesser de manifes- ter, fournir des documents per- sonnels et, pour certains, rentrer en Chine. Avec une redoutable arme: des menaces systémati- ques de détention de leurs fa- milles au Xinjiang. Un Ouïgour de nationalité fran- çaise et vivant près de Paris a ainsi reçu récemment un appel vidéo desamère,aupays.L’airangoissé, levantleregardcommepourcher- cher l’approbation d’un tiers en contrechamp avant de parler, elle aimplorésonfilsdelui«laisserun peu d’air pour respirer» en ne se rendantplusàdesmanifestations, en France, de la communauté ouïgoure en exil. «Mon chéri, ar- rête, écoute la police chinoise», di- sait-elle. Craignant qu’elle ne soit arrêtée, il a renoncé à ces rassem- blements qui appellent au res- pect des droits de l’homme. Mais les agents chinois, eux, n’ont pas cessé leurs pressions. Un homme, en particulier, qu’il n’a pourtant jamais rencontré, mais qui, chaque jour, lui envoie des messages par une application de messagerie depuis la Chine: il demande ce qu’il a fait de sa jour- née en France, s’il se rend bien à son travail dont il connaît tous les détails, s’il a des informations sur les activités d’autres membres de la communauté. Une fois, à l’ap- proche d’une manifestation, il l’a prévenu: «On va chercher ta mère dans la semaine.» «Lancer le filet très loin» Les 10,5 millions de Ouïgours, turcophones et musulmans, sont soumis depuis 2016 à des mesu- res de surveillance physique et électronique d’une portée sans précédent dans la région auto- nome du Xinjiang, aux confins de l’Asie centrale. Des rafles à grande échelle ont envoyé des centaines de milliers d’individus en prison ou dans des centres d’«éducation politique», sou- vent au motif d’avoir séjourné à l’étranger, ou bien d’y avoir de la famille. «Les Ouïgours à l’étran- ger ressentent une profonde an- xiété, ils ne peuvent pas contacter leurs familles et vivent dans l’an- goisse que leurs proches aient été emprisonnés», dit le linguiste Ab- duweli Ayup, réfugié en Turquie. EnFrance,lesdemandesd’infor- mations se sont faites plus dé- taillées depuis l’été 2017: une Française d’origine ouïgoure con- fie avoir été contactée par sa mère restée au Xinjiang qui, sur ordre de la police locale, lui demandait desscansdesoncontratdetravail, du bail de son appartement, des documents prouvant sa nationa- lité française, mais aussi de tous ses diplômes ou encore de son certificat de mariage. A part cet échange, elle ne contacte plus ses proches, sur ordre de sa mère: «Elle m’a dit: “Tu es intelligente, tu comprendras, ne m’appelle plus, ni plus personne de la famille”.» «La police politique chinoise a pourbutderamasserlemaximum d’informations, ce qui lui donne des moyens de contrôle. Ils appel- lent ça: lancer le filet très loin pour attraper le plus de poissons», dit une autre Ouïgoure française. Les autorités chinoises veulent, entre autres, déterminer qui a gardé la nationalité chinoise ou pris la ci- toyenneté française. Pékin pour- rait alors contraindre ses ressor- tissants à rentrer en Chine en fai- sant pression sur leurs parents. Les dangers d’un tel retour épouvantent tout le monde. «J’ai peur d’aller directement en prison et d’être torturé si je rentre. Les autorités chinoises sont persua- déesquelamentalitédesOuïgours sortis du pays a été contaminée», dit un Ouïgour encore chinois ré- sidant en France. Il a pourtant toujours gardé ses distances avec les militants de la cause en Eu- rope. «Mais plus personne n’est hors du radar», déplore-t-il. «Frérot, ne nous oublie pas» Batur (le prénom a été modifié), un étudiant ouïgour d’une tren- taine d’années installé à Berlin, a vu la situation se tendre après l’arrivée en 2016 d’un nouveau secrétaire général du Parti com- muniste à la tête du Xinjiang, Chen Quanguo, fort de son suc- cès dans la «sécurisation» du Ti- bet, où il officia précédemment. Batur commença à cette époque à être contacté sur WeChat ou Skype par deux agents en Chine. «Au début, ils me demandaient comment allaient mes études, si j’avais des amis ouïgours. Et puis ils disaient: “N’oublie pas qu’on connaît ta famille.” Au bout de trois mois, ils sont devenus beau- coup plus pressants. J’ai fini par dire de ne plus appeler, que je les dénoncerais aux autorités alle- mandes», dit-il. A cette époque, la sœur de Ba- tur, rentrée au Xinjiang en 2015 après quatre ans d’études en Tur- quie, lui avait fait part de son in- quiétude, car les personnes reve- nues de Turquie se faisaient in- terroger.Ill’avaitrassurée.«Mais tout à coup, en mars 2017, ils ont confisqué tous les passeports, dont celui de ma sœur. Le 29 avril, son dernier message dit: “Frérot, ne nous oublie pas”», dit-il. Batur appelle sa mère, qui lui re- proche de «faire des choses pas bien» – comprendre, participer à des manifestations de la commu- nauté ouïgoure en exil – et lui in- terdit de la rappeler. En mai 2017, sesamisetparentslebloquentsur leur messagerie. Seul un ami vi- vant en Chine intérieure le con- tacte pour dire qu’à son passage dans son village, il a vu sa maison déserte et bouclée. Sa sœur, a-t-il appris,avaitétécondamnéeàhuit ans de prison. Son frère, qui a déjà faitdeuxansdeprison,avaitaussi denouveauétéarrêté.Ilnesaitpas oùsetrouvesamère,craintqu’elle soit en centre d’«éducation». A Berlin, Batur et ses amis ouïgours n’ont plus qu’un sujet quandilsseretrouvent:lesortdes leurs au Xinjiang. «Ceux qui vien- nent comme moi du sud du Xin- jiangontengénéralunmembrede leur famille en centre de rééduca- tion, et un en prison. Dans le nord du Xinjiang, les gens restent inter- nés six mois puis ressortent, dit-il. Dans le sud, on n’a plus de nouvel- lesunefoisqu’ilssontencentre.» p brice pedroletti et harold thibault (à paris) DanslaGhoutaorientalesouslesbombes, tenirlejournaldumartyredescivils Aupérildeleurvie,desmilitantssyriensdocumententlesexactionsdansl’enclaverebelle beyrouth - correspondance Le danger fait partie de leur quotidien. Mais avec l’of- fensive des forces proré- gime pour reprendre le contrôle de la Ghouta orientale, dans la banlieue de Damas, l’équipe du Centre de documentation des violationsenSyrieopèreplusque jamais sur le fil du rasoir à Douma, la localité principale de l’enclave rebelle. L’avenir de Douma est l’un des enjeux de la campagne militaire en cours et l’objet de tractation entre belligérants. Si l’armée sy- rienne et les milices alliées en- trent dans Douma, les quatre membres de l’équipe seront con- traints de partir, au risque d’être arrêtés. Leur organisation, em- blématique de l’engagement de la société civile en zone d’opposi- tion, est trop connue. Son travail est très respecté par ceux qui en- quêtent sur les violences en Sy- rie. Mais son décompte depuis 2011 des exactions du régime, ainsi que des factions de l’oppo- sition, dérange. Il est possible qu’une forme d’autonomie soit négociée pour Douma, avec le maintien démili- tarisé de Jaïch Al-Islam, le puis- sant groupe islamiste qui do- mine la ville, décrit comme «plus pragmatique» que les autres in- surgés locaux par les observa- teurs proches du pouvoir syrien. Mais même dans ce cas, les dé- fenseurs des droits de l’homme pourraient n’avoir d’autre choix que de s’exiler. Ailleurs en Syrie, lorsque des accords de «réconci- liation» ont été scellés, les acti- vistes de l’opposition ont le plus souvent dû partir. Thaer Hijazi, le directeur du bu- reaudeDouma,30ans,préfèrene pas s’attarder sur ces scénarios. Il vit dans le présent, et dans l’ur- gence. «On porte la voix des gens»,dit-il.Alorsqued’autresac- teurs de la société civile de la Ghouta orientale ont suspendu leurs activités à cause des bom- bardements et du chaos, l’équipe travaille sans répit. Comme les autres habitants, les militants se sont retranchés dans un abri en sous-sol, depuis le 18 février, date du début de l’of- fensive aérienne des forces loya- listes. Par précaution, il a fallu en- voyer ce qu’il restait d’archives électroniques aux collègues réfu- giés à l’étranger. Il s’agit mainte- nant de documenter les événe- ments en cours. Une gageure, alors que l’étau se resserre. De- puis le 11 mars, l’enclave rebelle a été divisée en trois poches par les forces prorégime. «Il est devenu impossible de se déplacer d’un sec- teur à l’autre», commente Thaer Hijazi. Jour après jour, les com- municationsdeviennentplusdif- ficiles. Il n’empêche: le bureau continue de réunir et d’identifier vidéos et témoignages. Enlèvement Dans les locaux de Douma, aucune archive papier n’a été conservée, par prudence. Au fil des ans, le bureau a été touché par des frappes aériennes du ré- gime à plusieurs reprises. Il a aussi été attaqué par Jaïch Al-Is- lam, hostile aux voix dissiden- tes. Au printemps 2017, le groupe armé d’inspiration salafiste avait arrêté ou intimidé des membres delasociétécivile.Lecentreavait fermé quelques jours. C’est aussi à cette faction qu’est imputé l’en- lèvement en 2013 de Razan Zai- touneh, cofondatrice du Centre de documentation des viola- tions, et de trois de ses collègues; cette icône de la révolte de 2011 avaitfuidanslaGhoutaorientale pour échapper à la traque des services de sécurité à Damas. Thaer Hijazi, passé par les bancs de la faculté de droit avant le con- flit, a appris à composer avec les multiples menaces des deux camps. «Le danger auquel nous faisons face existe aussi pour les autres habitants de Douma», in- siste-t-il, refusant de placer les militants sur un piédestal. A Douma, les organisations issues de la société civile, en position d’infériorité dans un contexte de guerre où ceux qui portent les ar- mes dominent, sont toutefois parvenues à s’organiser pour faire office de vigie et fournir des services à la population. Dans ces jours de peur et de fé- brilité,lesrumeursajoutentàl’an- goisse. Rien ne perce des négocia- tions en cours. Les tractations se déroulent entre acteurs militaires et les civils n’ont pas voix au cha- pitre. Thaer Hijazi et ses coéqui- piers savent qu’ils écrivent, en di- rect, une partie de la mémoire de la Ghouta orientale. Mais leur ob- jectif va plus loin, comme l’indi- que Mona Zeineddine, exilée en Europe et chargée de plaidoyer pour le Centre de documentation des violations: «Le plus impor- tant, pour nous, est de collecter ces données pour l’avenir, afin de ser- vir les efforts de justice.» p laure stephan Dans les locaux de Douma, aucune archive papier n’a été conservée, par prudence Manifestation de soutien aux Ouïgours devant la mission permanente de la Chine aux Nations unies, le 15mars, à New York. SETH WENIG/AP A Berlin, «Batur» est contacté par deux agents depuis la Chine. «Ils disaient: “N’oublie pas qu’on connaît ta famille”» Quatreexplosions sèmentl’effroiàAustin Lapoliceaméricaineneparvientpas àidentifierl’auteurdecetteséried’attaques washington – correspondant Pas d’indices, pas de motifs: le mystère reste entier à Austin (Texas), théâtre de- puis le 2 mars d’une série d’explo- sions qui ont tué à ce jour deux personnes. La première bombe a été déposée devant le domicile d’Anthony Stephan House, un Afro-Américain de 39ans em- ployé dans le bâtiment. Il est mort sur le coup. Dix jours plus tard, l’explosion d’un paquet piégé si- milaire tue un lycéen noir de 17ans, Draylen Mason, qui con- naissait la première victime. Le même jour, un autre engin blesse grièvement, dans un autre quartier de la ville, une habitante d’origine hispanique, sans lien de parenté cette fois-ci avec les deux premièresciblesvisées.Lapistede crimesmotivésparlahaineraciale commence à prendre corps. Elleaétéremiseencausediman- che18marsparunequatrièmeex- plosion, qui a blessé deux jeunes hommes blancs de 22 et 23ans. Leur identité n’a pas été dévoilée. Contrairement aux premières ex- plosions, il ne s’agit pas d’un colis piégé. Les victimes ont manifeste- ment actionné la mise à feu de la bombe en marchant sur un dé- clencheur installé dans une rue. «Au regard de ce changement de méthode vers un dispositif plus élaboré, le ou les suspects auxquels nousavonsaffaireontunniveaude sophistication peut-être plus élevé que nous ne le pensions», a com- menté le chef de la police d’Austin, Brian Manley. Ce dernier est con- vaincu d’être confronté à une seule et même équipe, compte tenu des similitudes repérées sur les quatre bombes. Plusieurs centaines d’appels Une récompense de 115000 dol- lars a été offerte dans l’espoir d’obtenir des informations. Plus de 350 agents de la police fédérale ont été déployés dans la région pour aider la police locale, qui a reçu par ailleurs plusieurs centai- nes d’appels à propos de colis ju- gés suspects. Cette psychose n’est pas sans rappeler celle créée par Theodore John Kaczynski, alias «Unabom- ber», qui avait multiplié les atta- ques de ce type pendant près de vingt ans, de 1978 à 1995. Ce mili- tant néo-luddite – opposé au pro- grès technologique – vivait retiré dans une cabane dans le Mon- tana. Il avait été démasqué lors- qu’il était parvenu à faire publier à force de chantage un long ma- nifeste par la presse américaine. Il a plaidé coupable en 1998 et a été condamné à la prison à per- pétuité. p gilles paris
  • 5. 0123 MERCREDI 21 MARS 2018 international | 5 «MBS»enmissiondeséductionauxEtats-Unis Leprincehéritiersaoudienespèreaméliorerl’imageduroyaumeparunelonguevisitechezsonalliéaméricain washington -correspondant L es meilleures relations du monde n’empêchent pas les désagréments. Mohammed Ben Salman Al Saoud devrait en faire l’expé- rienceaucoursdesestroissemai- nes de tournée à travers les Etats- Unis. Le prince héritier saoudien devait commencer par la Maison Blanche, mardi 20mars, où Donald Trump prévoyait de lui réserver un accueil chaleureux. Ce dernier garde en effet un ex- cellent souvenir de Ryad, la capi- talesaoudienne,etlieudesonpre- mier déplacement à l’étranger en tant que président. Des contrats d’armement mirifiques avaient alors été annoncés, sans que l’on sache aujourd’hui ce qui s’est con- crétisé. De son côté, le prince héri- tierasunouerunerelationétroite avec le gendre du président, Jared Kushner. Sa visite «pave la voie vers une prochaine intronisation» à la place de son père, estime Joseph Bahout, du Carnegie En- dowment for International Peace, un think tank de Washington. Donald Trump et Mohammed Ben Salman partagent la même détestation de l’Iran, la puissance régionale qui obsède le royaume saoudien. Le président des Etats- Unisl’areditle13marsàl’occasion d’un déplacement dans une base des Marines en Californie. «Par- tout où on va au Moyen-Orient, c’est l’Iran, l’Iran, l’Iran. Derrière chaque problème, on trouve l’Iran», a-t-il assuré. Le ministre saoudien des affaires étrangères, Adel Al-Joubeir, a opposé lundi à Washington«deuxvisionsantago- nistes» dans la région, celle de «la lumière», portée par Riyad, et celle «des ténèbres» poussée selon lui par Téhéran. Sur la chaîne de télé- vision CBS, le prince héritier – éga- lement désigné par l’acronyme «MBS», a comparé les ambitions territoriales prêtées au Guide su- prême iranien Ali Khamenei à cel- les d’Adolf Hitler. Stopper le soutien américain Maiscetteconcordancedevuesne masque pas des différends. La guerre conduite au Yémen depuis 2015 par Mohammed Ben Salman pour contrer une insurrection ju- gée téléguidée par Téhéran, ne cesse d’alarmer Washington. En réaction à cet enlisement et à la crisehumanitaireinouïequecette intervention a générée, deux pro- jets de loi circulent actuellement au Sénat pour limiter, ou même totalement stopper le soutien américain à son allié saoudien. La querelle qui oppose au Qatar les Emirats arabes unis et l’Arabie saoudite est, par ailleurs, perçue comme inutile par l’administra- tionaméricaine.Cettedernièrees- père pouvoir convoquer, d’ici à l’été, un sommet permettant de mettre en scène une réconcilia- tion entre les pays de la rive arabe du Golfe face à l’Iran. Ces deux su- jets devaient être abordés mardi, sans garantie de résultats. Simon Henderson, du Washington Insti- tute for Near East Policy, un think tank de Washington, écarte toute concession sur le Yémen de la part d’unMBSquin’envisage,selonlui, «rien d’autre qu’une victoire», pourtant de plus en plus illusoire. BernardHaykel,unspécialistede l’Arabie saoudite qui enseigne à Princeton, n’est guère plus opti- mistesurleconflitquiparalyseces monarchies pétrolières et gaziè- res.«LacassureavecleQatarestsé- rieuse et il faudra du temps pour la résorber», estime-t-il. Après MBS, la Maison Blanche devrait ac- cueillir le prince héritier d’Abou Dhabi, Mohammed Ben Zayed Al- Nahyane,ainsiquel’émirduQatar, Tamim Ben Hamad Al-Thani. Les ambitions de Riyad à propos du nucléaire civil ne suscitent pas non plus l’enthousiasme de Washington, qui ne souhaite pas quelesSaoudienspuissentmaîtri- ser un jour l’ensemble de la filière, y compris l’enrichissement. De passage dans la capitale fédérale débutmars,lepremierministreis- raélien Benyamin Nétanyahou a signifiéégalementsonopposition en dépit de convergences grandis- santes avec Riyad. Après sa visite à Donald Trump, MBS devra séduire les investis- seursaméricains.Ilabesoind’eux, en effet, pour accélérer la transi- tion d’un pays qui repose unique- ment sur une rente pétrolière in- suffisante actuellement pour équilibrer les finances publiques compte tenu des prix du baril. Concentration de pouvoirs L’impétueux prince héritier aura fort à faire pour corriger l’image désastreuse laissée par l’opéra- tion menée au nom de la lutte contre la corruption qui s’est tra- duite, en novembre2017, par l’ar- restation de dizaines de person- nalités saoudiennes. Retenues dans un hôtel de luxe de Riyad convertienprison,ellesontétéen grande majorité libérées après versement de véritables rançons. MBS pourra mettre en avant les transformations sociales pour les- quelles il milite, la création d’une industrie du loisir, ou la liberté de conduire donnée aux femmes. Il n’est pas sûr qu’elles suffisent à gommer l’effet négatif créé par une concentration de pouvoirs sans précédent depuis la création du royaume et par la mise au pas de toute forme d’opposition. Reflet des incertitudes que cette verticale du pouvoir imposée à marche forcée entraîne, le Wall Street Journal a assuré lundi que l’introduction en Bourse d’une partie du capital de la puissante compagnie pétrolière saou- dienne Aramco pourrait se faire sur le marché saoudien, et non sur une grande place occidentale comme New York ou Londres. Cette décision serait motivée par des considérations juridiques, se- lon le quotidien, les structures de l’Aramco étant pour l’instant in- compatibles avec les exigences d’une telle cotation. Lahaussedesprixdupétroleest également avancée par le Wall Street Journal pour expliquer le choix du marché saoudien. Le royaume a besoin de la manne de 2000milliards de dollars (1620 milliards d’euros) que l’opération pourrait dégager pour traduire dans les faits la modernisation envisagée par le prince héritier dans un projet ambitieux. Dans un article qui sera publié en avril par la revue Foreign Af- fairs, F. Gregory Gause, de la Texas A&MUniversity,reconnaîtàMo- hammed Ben Salman «la volonté évidente de secouer le système». Mais il ajoute que son hégémonie prive désormais le royaume des freins qui lui ont permis pendant des décennies de surmonter avec succès de nombreuses crises ré- gionales. Il n’est pas le seul, aux Etats-Unis, à s’interroger sur les capacités du prince héritier à ga- gner son pari. p gilles paris La guerre menée au Yémen pour contrer une insurrection jugée téléguidée par Téhéran ne cesse d’alarmer Washington Donald Trump et Mohammed Ben Salman partagent la même détestation de l’Iran LE PROFIL Mohammed Ben Salman Nommé ministre de la défense en 2015 par son père, le roi Salman, Mohammed Ben Salman, dit «MBS», a été promis au trône saoudien en juin2017 quand le souverain a déposé le prince héritier Mohammed Ben Nayef. Agé de 32ans, partisan de l’ouverture de la société et de l’économie, mais aussi d’une diplomatie coup de poing, MBS a plongé le royaume dans deux crises internationales en envoyant, en mars2015, l’aviation saoudienne à l’assaut des rebelles houthistes du Yémen, puis en décrétant, en juin2017, un embargo diplomatico-économique contre le petit émirat du Qatar. BMW SPEED DATES. DES OFFRES EXCEPTIONNELLES SUR LES VOITURES DE DIRECTION DU RÉSEAU BMW DU 10 AU 31 MARS. LA FAÇON LA PLUS RAPIDE D’ACCÉDER AU PLAISIR DE CONDUIRE. Exemple d’offre Date d’immatriculation Kilométrage Prix Catalogue Neuf Prix BMW Speed Dates Soit : BMW 118i cinq portes UrbanChic 12/2017 1 103 36 904 € 29 892 € - 7 012 € BMW 218i Gran Tourer Luxury 07/2017 6 029 47 284 € 35 300 € - 11 984 € BMW 320d xDrive Touring M Sport 06/2017 3 560 61 004 € 47 023 € - 13 981 € Offre valable jusqu’au 31 mars 2018 dans la limite des voitures de direction disponibles dans les concessions BMW participantes. Voir conditions sur www.bmwspeeddates.fr. BMW France, S.A. au capital de 2 805 000 € - 722 000 965 RCS Versailles - 3 avenue Ampère, 78180 Montigny-le-Bretonneux. Speed Dates = Les rencontres rapides. Le plaisir de conduire
  • 6. 6| planète MERCREDI 21 MARS 2018 0123 L e printemps risque fort d’être silencieux. Le Mu- séum national d’histoire naturelle (MNHN) et le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) publient, mardi 20 mars, les résultats prin- cipaux de deux réseaux de suivi des oiseaux sur le territoire fran- çais et évoquent un phénomène de «disparition massive», «pro- chedelacatastropheécologique». «Les oiseaux des campagnes fran- çaises disparaissent à une vitesse vertigineuse, précisent les deux institutions dans un communi- qué commun. En moyenne, leurs populations se sont réduites d’un tiers en quinze ans.» Attribuéparleschercheursàl’in- tensification des pratiques agrico- les de ces vingt-cinq dernières an- nées, le déclin observé est plus particulièrement marqué depuis 2008-2009, «une période qui cor- respond, entre autres, à la fin des jachères imposées par la politique agricole commune [européenne], à la flambée des cours du blé, à la reprise du suramendement au ni- tratepermettantd’avoirdublésur- protéiné et à la généralisation des néonicotinoïdes», ces fameux in- secticidesneurotoxiques,trèsper- sistants, notamment impliqués dans le déclin des abeilles, et la ra- réfaction des insectes en général. Plus inquiétant, les chercheurs observentquelerythmededispa- rition des oiseaux s’est intensifié ces deux dernières années. «Quelques rescapés» Le constat est d’autant plus so- lide qu’il est issu de deux réseaux de surveillance distincts, indé- pendants et relevant de deux mé- thodologies différentes. Le pre- mier, le programme STOC (Suivi temporel des oiseaux communs) est un réseau de sciences partici- patives porté par le Muséum national d’histoire naturelle. Il rassemble les observations d’or- nithologues professionnels et amateurs sur l’ensemble du terri- toire et dans différents habitats (ville, forêt, campagne). Le se- cond s’articule autour de 160 points de mesure de 10 hec- tares,suivissansinterruptionde- puis 1994 dans la «zone-atelier» du CNRS Plaine et val de Sèvre, où des scientifiques procèdent à des comptages réguliers. «Lesrésultatsdecesdeuxréseaux coïncidentlargementetnotentune chute marquée des espèces spécia- listes des plaines agricoles, comme l’alouette», constate l’écologue Vincent Bretagnolle, chercheur au Centre d’études biologiques de Chizé, dans les Deux-Sèvres (CNRS etuniversitédeLaRochelle).Cequi esttrèsinquiétantestque,surnotre zone d’étude, des espèces non spé- cialistes des écosystèmes agricoles, comme le pinson, la tourterelle, le merle ou le pigeon ramier, décli- nent également.» Sur la zone-atelier du CNRS – 450 km2 de plaine agricole étu- diés par des agronomes et des écologues depuis plus de vingt ans –, la perdrix est désormais virtuellement éteinte. «On note de 80 % à 90 % de déclin depuis le milieu des années 1990, mais les derniers spécimens que l’on ren- contre sont issus des lâchers d’automne, organisés par les chas- seurs, et ils ne sont que quelques rescapés», précise M. Bretagnolle. Pour le chercheur français, «on constate une accélération du dé- clin à la fin des années 2000, que l’on peut associer, mais seulement de manière corrélative et empiri- que,àl’augmentationdurecoursà certains néonicotinoïdes, en parti- culier sur le blé, qui correspond à un effondrement accru de popula- tions d’insectes déjà déclinantes». Al’automne2017,deschercheurs allemands et britanniques con- duits par Caspar Hallmann (uni- versité Radboud, Pays-Bas) ont, pour la première fois, mis un chif- fresurledéclinmassifdesinverté- brés depuis le début des années 1990: selon leurs travaux, publiés dans la revue PloS One, le nombre d’insectesvolantsadéclinéde75% à 80 % sur le territoire allemand. Des mesures encore non pu- bliées, réalisées en France dans la zone-atelier Plaine et val de Sèvre, sont cohérentes avec ces chiffres. Elles indiquent que le carabe, le coléoptère le plus commun de ce type d’écosystème, a perdu près de 85 % de ses populations au cours des vingt-trois dernières années,surlazoneétudiéeparles chercheurs du CNRS. «Tendance lourde» «Or de nombreuses espèces d’oiseaux granivores passent par un stade insectivore au début de leur vie, explique Christian Pac- teau, référent pour la biodiversité à la Ligue de protection des oiseaux (LPO). La disparition des invertébrés provoque donc natu- rellement un problème alimen- taire profond pour de nombreuses espèces d’oiseaux et ce problème demeure invisible: on va accumu- ler de petites pertes, nid par nid, qui font que les populations ne sont pas remplacées.» La disparition en cours des oiseaux des champs n’est que la part observable de dégradations plus profondes de l’environne- ment. «Il y a moins d’insectes, mais il y a aussi moins de plantes sauvages et donc moins de grai- nes, qui sont une ressource nutri- tive majeure pour de nombreuses espèces, relève Frédéric Jiguet, professeur de biologie de la con- servation au Muséum et coordi- nateur du réseau d’observation STOC. Que les oiseaux se portent malindiquequec’estl’ensemblede la chaîne trophique [chaîne ali- mentaire] qui se porte mal. Et cela inclut la microfaune des sols, c’est- à-direcequilesrendvivantsetper- met les activités agricoles.» La situation française n’est pas différente de celle rencontrée ailleurs en Europe. «On est dans la continuité d’une tendance lourde qui touche l’ensemble des pays de l’Union européenne», note M. Jiguet. Est-elle réversible? «Trois pays, les Pays-Bas, la Suède et le Royau- me-Uni, ont mis en œuvre des po- litiques nationales volontaristes pour inverser cette tendance lourde, en aménageant à la marge le modèle agricole domi- nant, explique Vincent Breta- gnolle. Aucun de ces trois pays n’est parvenu à inverser la ten- dance: pour obtenir un effet tan- gible, il faut changer les pratiques sur des surfaces considérables. Si- non,leseffetssontimperceptibles. Ce n’est pas un problème d’agri- culteurs, mais de modèle agri- cole: si on veut enrayer le déclin de la biodiversité dans les campa- gnes, il faut en changer, avec les agriculteurs.» p stéphane foucart Une perdrix rouge dans la plaine de la Crau (Bouches-du-Rhône). MCPHOTO/PICTURE ALLIANCE/BLICKWINKEL/MAXPPP La raréfaction est plus marquée depuis 2008-2009, avec, entre autres, la fin des jachères imposées et la flambée des cours du blé En15ans,30%desoiseauxdeschampsontdisparu LedéclincatastrophiqueobservéenFranceparleschercheursestlargementdûauxpratiquesagricoles «Onassisteàuneffondrementdelabiodiversitésauvage» PourlebiologisteRomainJulliard,l’érosionfrappetousleséchelons:insectes,dontpapillonsetpollinisateurs,floreadventiceetoiseaux ENTRETIEN Romain Julliard est cher- cheur en biologie de la conservation au Muséum national d’histoire naturelle. Il s’alarme du déclin des «espèces communes de nos campagnes». Que pensez-vous des chiffres sur le déclin des oiseaux? On sait depuis longtemps que les oiseaux déclinent en milieu agricole, mais on pensait que l’es- sentiel de ce phénomène datait des années 1980, avec l’intensifi- cation des pratiques agricoles et l’usagedepesticidestelsleDDT,et qu’on avait atteint une sorte de plateau dans les années 2000. Il est extrêmement alarmant de constater que non seulement cette érosion se poursuit, mais également qu’elle s’amplifie. Nous sommes confrontés à un effondrement qui concerne aujourd’huitousleséchelonsdela biodiversité sauvage dans ces pay- sages agricoles: les insectes, dont les papillons et les pollinisateurs, la flore adventice [non voulue par les agriculteurs et souvent considé- rée comme mauvaise herbe] et les oiseaux. Et ce, alors que nous n’avons jamais autant consacré d’argent et d’investissement pour prendre des normes environne- mentalesousoutenirl’agriculture biologique. C’est sidérant. Quel est l’impact d’une telle érosion de ces vertébrés? Lesoiseauxsontdesespècesre- lativement résilientes, en raison de leurs larges aires géographi- ques, d’une certaine longévité et d’une alimentation diversifiée. Ils arrivent en bout de chaîne. Lorsqu’ils déclinent, cela indique que toutes les autres espèces en font de même. Au-delà, c’est une valeur patri- moniale que nous sommes en train de perdre: nous avons fa- çonné depuis des milliers d’an- nées des paysages dans lesquels on entend des oiseaux chanter. En dépendent une forme de bien- être, de qualité de vie, en plus du tourisme. Alouettes, perdrix, li- nottes: autant de noms familiers d’une biodiversité ordinaire qui va bientôt nous manquer. On parle de sixième extinction de masse à l’échelle planétaire… Le déclin des oiseaux s’inscrit dans une tendance globale à l’ac- célération de l’érosion de la biodi- versité. Il y a la disparition des es- pèces, qui a lieu à un rythme cent à mille fois plus rapide que par le passé, mais il est très inquiétant demesurerégalementlereculdes populations (en nombre d’indivi- dus) et de constater qu’il touche les espèces communes de nos campagnes. L’ampleur de ce phé- nomène nous avait échappé. Si rien ne change, on peut crain- dre des disparitions d’espèces dans les prochaines décennies, comme l’outarde canepetière, l’un des oiseaux les plus menacés des plaines cultivées de France: il a perdu 95 % de ses effectifs en cin- quante ans et il ne subsiste plus quedansunepetitepochedansles Deux-Sèvres – malgré l’instaura- tion de zones de protection et de plans de restauration. Comment peut-on limiter ce phénomène? Il s’agit tout d’abord de réduire l’intensification de l’agriculture. Ensuite, nous devons trouver des mécanismes pour rémunérer les efforts des agriculteurs pour maintenir la biodiversité et les paysages – par exemple, une cer- tification des cultures qui se- raient favorables à la faune et à la flore. Ils savent comment le faire mais ils doivent y trouver un in- térêt économique. Aujourd’hui, les politiques de conservation de la biodiversité ne sont pas suffisamment efficaces: on subventionne la réalisation, plus que les résultats. C’est par exemple le cas lorsqu’on rem- bourse les agriculteurs qui ont planté des haies. On ne tient pas compte des espèces choisies – les haies viennent de pépiniéristes, plutôt que de prendre des arbres quipoussentspontanémentdans la parcelle –, du lieu où elles doi- ventêtreplantées,nidecomment les gérer par la suite. Nous devons allerversunchangementdepara- digme: incorporer la biodiversité sauvage dans le modèle économi- que des exploitations agricoles. p propos recueillis par audrey garric en détruisant lespopulationsd’insectes, les insecticides néonicotinoïdes ont un im- pact sur les ressources alimentaires de nombreusesespècesd’oiseaux.Maisilsont également un impact direct sur les oiseaux des champs, qui peuvent s’empoisonner en consommant des semences traitées aux «néonics» – c’est-à-dire enrobées de la substance toxique avant d’être semées. Dans le cadre du programme de phyto- pharmacovigilance piloté par l’Agence na- tionale de sécurité sanitaire de l’alimenta- tion, de l’environnement et du travail (An- ses), des chercheurs conduits par Florian Millot et Elisabeth Bro (Office national de la chasse et de la faune sauvage, ONCFS) ont passé en revue 101 foyers de mortalité d’oiseaux sauvages, totalisant plus de 730animauxmorts.Danscesincidentsrap- portés entre 1995 et 2014 par le réseau de surveillance des mortalités de la faune, les analyses ont révélé l’implication de l’imida- clopride–lenéonicotinoïdelepluscourant. Dans70%descas,lesauteursjugentprobable leliendecausalitéaveclamortdesanimaux. Troubles comportementaux Au total, onze espèces d’oiseaux sont con- cernées, les principales étant la perdrix grise, le pigeon biset et le pigeon ramier. «Cesrésultatsdeterrainmontrentquedans les conditions réelles d’utilisation de l’imi- daclopride en traitement de semences, les oiseaux sauvages granivores sont régulière- ment exposés à cette substance, détaille l’ONCFS dans un communiqué. Les effets provoqués par ces expositions peuvent en- traîner des mortalités directes par intoxica- tion et indirectes, par exemple en induisant des troubles comportementaux et donc une plus grande vulnérabilité aux prédateurs.» Les auteurs concluent que des cas d’em- poisonnement d’oiseaux à l’imidaclo- pride ayant été régulièrement constatés au fil des ans, il est possible que ces inci- dents ne soient pas le fait d’une mauvaise utilisation de cette technologie – lors du semis, des semences enrobées n’ayant pas été enfouies dans le sol demeurent en sur- face, où elles peuvent être consommées par des animaux. En outre, le réseau de surveillance utilisé par les chercheurs étant «opportuniste» (aucune recherche active et systématique n’est opérée), l’am- pleur de ces empoisonnements demeure une question ouverte. p s.fo. Les pesticides néonicotinoïdes ne tuent pas que les insectes
  • 7. 0123 MERCREDI 21 MARS 2018 FRANCE | 7 Mélenchonsoumisàl’unitédesgauches Avantlajournéedemobilisationdu22mars,unfrontcommunaétéimpulséparOlivierBesancenot P arfois les plus vieux ada- ges sont ceux qui réson- nent le mieux avec l’ac- tualité.«Marcherséparé- ment, frapper ensemble»: ce slo- gan qui incarne la stratégie de front unique, souvent utilisé par lesmilitantsseréclamantdeLéon Trotski, colle parfaitement à l’ini- tiative d’Olivier Besancenot, por- te-paroleduNouveauPartiantica- pitaliste (NPA), d’appeler à un ras- semblement des forces de gauche pour la journée de mobilisation des fonctionnaires et des chemi- nots du 22 mars. L’ancien candidat à la présiden- tielle en 2002 et 2007 a impulsé un «front commun» à gauche. Le but: faire plier le gouvernement en montrant que l’unité syndicale se traduit par une unité politique. «C’est une bataille sociale impor- tante, on est tous concernés. Il y a une pression sur toutes les organi- sations, cela nous dépasse. Ce se- rait incompréhensible de ne rien faire. On cherche à donner un ca- dreàl’unité»,noteM.Besancenot. L’appel de M. Besancenot a reçu des réponses positives des princi- paux acteurs de la gauche. Une «déclarationunitaire»réunissant un spectre très large d’organisa- tions – d’Alternative libertaire à Nouvelle Donne, en passant par Europe Ecologie-Les Vers, le Parti communistefrançais(PCF),Géné- ration.s, le NPA, les députés de La France insoumise (LFI), etc. – a été diffusé lundi. Une tribune est en préparation et une conférence de presse devrait avoir lieu jeudi ma- tin, réunissant, entre autres, Pierre Laurent, secrétaire natio- nalduPCF,BenoîtHamon,Olivier Besancenot et… un cadre de LFI. «On n’est pas sûrs de la participa- tion de Jean-Luc Mélenchon», no- te-t-on au NPA. L’union s’arrêtera en revanche aux portes du Parti socialiste, qui n’a pas été convié. «On ne leur a pasproposé,c’estvrai.C’estunparti qui a beaucoup privatisé lorsqu’il était au gouvernement. Ce que l’on veut, c’est montrer l’unité à gauche du PS», explique Sandra Simplon, membre de la direction du NPA. Olivier Faure, le nouveau premier secrétaire du PS, défilera donc sans les autres leaders de la gau- che, jeudi à Paris. L’initiative de M. Besancenot est maligne a plus d’un titre. Cela lui permet d’abord de remettre en avantsonorganisation,leNPA,qui est en perte de vitesse. Depuis quelques semaines, le commu- niste révolutionnaire ne ménage passeseffortsetcourtdeplateaux télé en studio radio pour appeler à lamobilisation.Ensuite,enpropo- santl’unité,ilobligechacundeses homologues à le suivre, car une défection serait incompréhensi- ble aux yeux du «peuple de gau- che». C’est le cas de M. Mélenchon qui se retrouve coincé. Recomposition des alliances Le député des Bouches-du-Rhône le répète sans cesse: pour lui et les «insoumis», le retour aux «cartels» des gauches est une er- reur stratégique car c’est une forme de mobilisation qu’ils esti- ment dépassée. La France insou- mise raisonne à l’inverse. Elle veut être hégémonique à gauche, créer les conditions de dépasse- ment des anciennes structures «en fédérant le peuple» autour de son projet politique. C’est ce qui les a poussés, en septembre, lors des mobilisations contre la ré- forme du code du travail, à orga- niser leur «marche contre le coup d’Etat social», se brouillant à la fois avec les autres organisations politiques de gauche et avec des syndicats qui furent échaudés par la manière de faire de Jean- Luc Mélenchon. Mais cela ne s’est pas avéré payant. La réforme est passée et M. Mélenchon a même concédé «le point» de cette première man- cheàEmmanuelMacron.Sixmois plus tard, M. Mélenchon n’est pas en position de force pour imposer ses vues. Il a donc été contraint d’accepter, avec réticence, l’initia- tive de M. Besancenot. Le groupe parlementaire de La France insou- mise a ainsi affirmé que ses dépu- tés «s’associeront à toutes les ini- tiatives d’union pour fortifier la lutte qui s’engage». De son côté, Jean-Luc Mélen- chon,aécritsursonblogqu’il«ap- puiepersonnellementtouteslesini- tiatives visant à regrouper des for- ces pour cette bataille». Le service minimum. Si certains cadres «in- soumis», comme Clémentine Autainsesonttoutdesuiteditsin- téressés par la démarche unitaire, d’autres goûtent peu cette ma- nière de leur forcer la main. «Oui, Besancenot nous oblige à fairel’unité.Maisçanecomptepas, ça, ce sont des gamineries. Ils veu- lentunephotoavectoutlemonde? Ilsl’auront.Etaprès?Fairedesmee- tings à la Bellevilloise avec vingt- cinq orateurs, ça va changer les choses? Besancenot est dans l’union de la gauche, après avoir fait exploser le NPA sur une ligne sectaire. Et là, il répète tout ce que dit Hamon», fulmine un député LFI avant de conclure: «Ce qui compte, c’est la mobilisation so- ciale, pas ça.» Pour La France insoumise, cette unité temporaire de la gauche, re- lèveraitpresqued’uneconjuration des autres formations pour «cas- ser la dynamique de Jean-Luc Mé- lenchon». C’est vrai que les autres organisations politiques se sont vite engouffrées dans la brèche ouverte par M. Besancenot, met- tant la pression sur LFI. Pierre Lau- rent a immédiatement répondu favorablement, affirmant qu’il souhaitait une «expression com- mune des différents dirigeants». Benoît Hamon, dans un entretien auJournaldudimanchedu18mars a appelé M. Mélenchon à «aban- donner sa stratégie solitaire»: «Il y a une unité syndicale, il doit y avoir une unité politique.» Guillaume Balas,brasdroitdeM. Hamonrap- pelle que leur jeune mouvement «a toujours dit oui à l’unité. C’est uneconstante.Onestravideceque dit Olivier Besancenot». Avecsonécole,LFIrêvedegagnerla«batailleculturelle» Lederniercourssurlenucléaireaétésuivipar17000personnes,selonlemouvementquiaorganiséunevotationcitoyennesurlesujet Dans un immeuble du 10e arrondissement de Paris, Martine Billard, co-ani- matrice du livret «planification écologique»duprogrammeprési- dentieldeJean-LucMélenchon,est venuedémontrer,danslecadrede l’«écoledeformationinsoumise», qu’il est possible de sortir du nu- cléaireen2050,propositiondéfen- due par La France insoumise (LFI). Face à elle, trois élèves seule- ment. La faute à un mail d’inscrip- tion qui n’a pas été envoyé aux personnes résidant en Ile-de- France, justifient les organisa- teurs.Lestroisauditeurs,chacunà un coin de la salle, écoutent avec attention tout en prenant des no- tes. Martine Billard, badge antinu- cléaireépingléàsaveste,restecon- centrée sur la caméra. L’affluence en classe n’est pas au rendez-vous mais la démonstra- tion est retransmise sur la chaîne YouTubedumouvement,levérita- ble auditoire de cette leçon. Pen- dant une heure, Martine Billard contredit d’abord les arguments du camp opposé: «On dit que le nucléaire est important pour notre autonomie énergétique mais nous importons de l’uranium du Ka- zakhstan!» L’ex-députée des Verts (2002à2009),puisduPartidegau- che (jusqu’à la fin de son mandat en 2012) conclut son discours avec lapropositioninsoumise:lasortie totale du nucléaire en 2050. Elle propose notamment, pour y arri- ver, «la sobriété énergétique», c’est-à-dire consommer moins. «Martine Billard m’a convaincu, mais pour tout dire je l’étais déjà avant», confie Virgile Thiévenaz, 24ans, militant à LFI depuis un peu plus d’un an. Ce doctorant en physique, est ravi d’avoir assisté à la présentation. De quoi «récupé- rer des arguments», pour la cam- pagne sur la sortie du nucléaire. Ce deuxième cours proposé par LFI dans le cadre de son «école de formation insoumise», lancée en février, précédait la votation ci- toyenne organisée par le mouve- ment du 11 du 18 mars. Une réus- site puisque 315000 personnes ont participé à ce scrutin, selon le mouvement. Au terme de cette consultation organisée sur Inter- net et dans 2 000 lieux physiques, lesélecteursontapprouvélasortie dunucléaire,avec93,13%desvoix. Ecole avant tout virtuelle Tous réseaux confondus – Face- book, Twitter et YouTube – «ils sont 17000 personnes à suivre le cours, avance Thomas Guénolé, coresponsable de l’école. 3000 de moins seulement qu’en février». Une école avant tout virtuelle, donc.Unefaçondeproposeràtout le monde, «insoumis» ou non, un cours gratuit. Après sa présenta- tion, Mme Billiard répondra aux questions posées par les internau- tes sur le chat YouTube. En réalité, ce dispositif permet, sansengagerdefraisimportants,à LFI de sensibiliser un grand nom- bre de personnes aux thémati- ques défendues par le mouve- ment.Cetteétape«d’éducationpo- pulaire» est essentielle dans la «bataille culturelle» que les «in- soumis» entendent mener pour conquérir le pouvoir. Ainsi, lors d’une réunion devant les collabo- rateurs parlementaires de LFI, le 14 février, Jean-Luc Mélenchon dé- clarait: «L’hégémonie culturelle se gagnera par la production d’un imaginaire collectif, s’incarnant par des mots et des personnages dans leur manière d’être.» «Avec ces cours, tout militant pourra avoir une parole, une ana- lyse»,faitvaloirThomasGuénolé. Officiellement, l’objectif est de casser la structure horizontale. Le coresponsable de l’école explique vouloir dépasser l’opposition en- treles«colsblancs»(lesresponsa- bles des partis) qui exposent les principes, et les «cols bleus» (les militants) qui répètent la doxa du parti et jouent les petits soldats, collant des affiches et distribuant des tracts. Manon Le Bretton, coresponsa- ble de l’école venue présenter la séance, se défend toutefois de ne mettre en place qu’un organe de formation des «insoumis»: «On veutaussitoucherunpluslargepu- blic en proposant le cours à tout le monde. Certains vont s’intéresser authèmetraitésansforcémentêtre militants.» L’école devient alors un outil pour toucher un plus large public. «Nous sommes dans le souci constant d’élargir la base», ajoute-t-elle. Parmilestroisélèvesayantparti- cipé au cours sur le nucléaire, fi- gure l’archétype des personnes vi- sées. Présent ce jour-là, un étu- diant en master de droit ne s’inté- resse au mouvement que «depuis quelques mois». Il n’a pas encore eu le «déclic» et n’est pas prêt à prendre sa carte pour le mouve- ment. S’il est venu, c’est surtout pour parler nucléaire. «Je m’inter- roge sur les modalités de sortie, parceque75%denotreénergiepro- vient des centrales. Je ne pense pas que nous devons arrêter du jour au lendemain. La France risquerait un déclassement», s’inquiète-t-il. Les thèmes des séances de l’«école insoumise» ont été, en partie, choisis lors de la conven- tion du mouvement à Clermont- Ferrand, en novembre 2017. Vien- nent s’ajouter des sujets d’actua- lité jugés incontournables. «Le 31 mars, nous aborderons l’analyse du système médiatique de LFI, car nous estimons que son traitement par les médias est défaillant», glisse Thomas Guénolé. L’école abordera ensuite la pauvreté, le 21 avril, tout en continuant à met- treenlignedestutorielsplusprati- ques pour apprendre à organiser une manifestation, une «nuit des écoles» ou même à écrire une chanson «insoumise». p élisa centis Olivier Besancenot, lors d’une manifestation contre la réforme du code du travail, à Paris, en septembre 2017. SADAK SOUICI/LE PICTORIUM « Ils veulent une photo avec tout le monde ? Il l’auront. Et après? », fulmine un député LFI Au-delà de l’unité politique autour de la mobilisation du 22 mars, ce qui se joue à moyen termeestlarecompositiondesal- liances à gauche, notamment pour les élections européennes de 2019. Le jeu est encore très ouvert et incertain. Beaucoup craignent, avec la multiplication deslistes,unedispersiondesvoix et cherchent des partenaires ou font monter les enchères. Les Verts et La France insou- mise, veulent partir seuls quand Benoît Hamon tente de convain- cre des partenaires de le rejoindre dans sa liste avec Diem25, le mou- vement de Yanis Varoufakis, an- cien ministre grec des finances. Les communistes, eux, n’ont pas encore pris de décision. Le com- bat pour l’unité à gauche est donc loin d’être fini. Et il pourrait se ré- sumer à un trait d’esprit de Woody Allen: «Je ne ferai jamais partie d’un club qui m’accepterait pour membre.» p abel mestre
  • 8. 8| france MERCREDI 21 MARS 2018 0123 Assurance-chômage: lessyndicats,entre scepticismeetprudence Laministredutravailleuradévoilé,lundi, sesintentionssurlecontrôledeschômeurs Les syndicats sont d’humeur sombreaprèsavoirpriscon- naissance des derniers arbi- trages du gouvernement sur la ré- forme de l’assurance-chômage. Reçus, lundi 19 mars, au ministère du travail, en compagnie des orga- nisationspatronales,ilsontétéin- formésdesintentionsdel’exécutif sur deux aspects très sensibles du dossier: le contrôle des deman- deurs d’emploi et la gouvernance de l’Unédic – l’association pari- taire qui gère le régime. Premier sujet nourrissant les craintes: la modification de l’échelle des sanctions applicables auxchômeurs,dontlesgrandesli- gnes avaient été révélées dans Le Monde du 17 mars. Ceux qui ne re- cherchent pas activement un poste seront plus sévèrement pu- nis qu’aujourd’hui – avec une ra- diationd’unmois,pourlepremier manquement. A l’inverse, les per- sonnes qui ne se rendent pas à un rendez-vous chez Pôle emploi sor- tiront des listings pour des durées moins longues (quinze jours pour le premier «loupé»). Autre confirmation: la mise en place d’un journal de bord que le demandeur d’emploi devra rem- plir chaque mois pour mention- ner les démarches accomplies en vue de retrouver un poste. Le dis- positif sera expérimenté dans deuxrégionsen2019etgénéralisé s’il s’avère probant. Enfin, la no- tion d’offre raisonnable d’emploi (ORE) est maintenue, mais sous une version nouvelle: elle fera l’objet d’une discussion entre le chômeur et son conseiller Pôle emploi,quiélaborerontainsi«une feuille de route (…) plus individuali- sée qu’à présent», selon la formule de la ministre du travail, Muriel Pénicaud, dans un entretien au quotidien L’Opinion. La création du journal de bord n’équivaut certes pas au «contrôle journalier que voulait Gattaz, mais c’est [tout de même] un contrôle mensuel»,afustigéDenisGravouil (CGT). Pour lui, la révision du ba- rème des sanctions constitue un «durcissement généralisé». Elle va dans le sens d’un «vrai renforce- ment (…) malgré quelques adapta- tions à la marge», a regretté Mi- chel Beaugas (FO). Yvan Ricordeau (CFDT) s’est montré plus mesuré, estimant«nepasavoirunpaysage clairdecequivasepasser»,notam- ment sur «l’équilibre» entre l’ac- compagnement des chômeurs et les vérifications à leur encontre pour s’assurer qu’ils sont bel et bien en quête d’une activité. «Juge et partie» Jean-François Foucard (CFE-CGC) a exprimé un avis tout autre puis- que, à ses yeux, les sanctions se- ront allégées – les maxima attei- gnant quatre mois de radiation, contre six à l’heure actuelle, d’après lui. La «nouveauté», a-t-il poursuivi, est le transfert à Pôle emploi des pouvoirs du préfet (ré- duction ou suppression de l’allo- cation): «On peut avoir un embal- lement [de décisions défavorables auxchômeurs]»,a-t-illâché.«Pôle emploi va être juge et partie», s’est agacé M. Gravouil. L’autre point épineux abordé lundi porte sur le pilotage de l’Unédic – actuellement entre les mains des organisations syndica- les et patronales. Désormais, cel- les-ci seront soumises à un ca- drage financier très strict avant chaque négociation de conven- tion, fixant les conditions d’in- demnisation. Et elles seront égale- ment susceptibles d’avoir des ob- jectifs à atteindre pour faire évo- luer les règles du régime. «C’est à l’épreuve des faits qu’on saura si les partenaires sociaux ont de la vraie marge pour négocier ou si c’est le gouvernement qui décide de tout, a déclaré M. Ricordeau. Dans le pre- mier cas, la CFDT en sera; dans le second, elle n’en sera pas.» «On est très cadrés, voire très encadrés», a ironisé M. Foucard. «C’est une éta- tisation qui ne dit pas son nom», renchérit M.Beaugas. p sarah belouezzane et bertrand bissuel Vélib’,Streeteo,piétonnisation… Hidalgofédèrelesoppositions LeConseildeParisdevraitêtreémailléparnombredereproches T urbulences passagères ou dépression durable? Lors du Conseil de Paris qui s’ouvre mardi 20 mars, Anne Hidalgo devait es- suyer les attaques de l’opposition et les critiques d’une partie de sa majorité sur deux gros chantiers desonmandat:l’offrenouvellede vélos en libre-service et le con- trôle du stationnement payant confié au secteur privé. «Il y aura un avant et un après premier tri- mestre 2018», reconnaît Bruno Julliard, premier adjoint (PS) de la maire de la capitale, conscient de lasituation:«Mêmesinosdifficul- tés sont à relativiser, l’ampleur de lacriseestréelledèslorsquelesPa- risiens la perçoivent comme telle.» Dans les deux cas, les défaillan- ces relèvent des prestataires choi- sis. Le consortium Smovengo aurait dû déployer d’ici à fin mars àParisetdansplusd’unecinquan- tainedecommunes1400stations devélosenlibre-servicedont30% équipés d’un moteur électrique. Mais la livraison a pris trois mois de retard. En Conseil de Paris, l’op- positiondevraitimputer«lefiasco de Vélib’ 2», selon ses termes, à la Ville de Paris. «La mairie a condi- tionné de bout en bout le choix du prestataire», soutient Eric Azière, le patron du groupe UDI-MoDem. L’entourage d’Anne Hidalgo rap- pelle pourtant que le marché a été piloté en grande partie par le syn- dicat mixte Vélib’ Autolib’ Métro- pole (SVAM), qui compte 68 com- munes. Au sein duquel Paris est certes majoritaire, mais pas seul décisionnaire. La commission d’appel d’offres du SVAM qui a choisi en mars 2017 Smovengo étaitcomposéededeuxélusdePa- ris et de quatre élus des autres col- lectivitésconcernées.Smovengoa été choisi à l’unanimité face à JCDecaux, prestataire sortant. «Fébrilité» Alors que Mme Hidalgo incrimine «des marchés publics en France mal conçus» pour expliquer les aléas du contrat avec Smovengo, Jean-Baptiste de Froment, pre- miervice-présidentdugroupeLR, réfute cet argument et suggère que Paris aurait la possibilité de prévoirdesgarde-fouspluseffica- ces dans ses appels d’offres pour éviter une rupture de service public lors du passage de relais. Pour rattraper le retard, lié no- tamment à la complexité plus grande que prévu de l’électrifica- tion des stations, la Ville a depuis peu délégué des ingénieurs de ses services afin de mieux coordon- ner les différents acteurs qui in- terviennent sur le chantier. «Si Smovengo avait tiré la sonnette d’alarme plus tôt sur les difficultés rencontrées, nous aurions pu lui prêter main-forte plus rapide- ment», regrette l’Hôtel de Ville. Autre prestataire défaillant, Streeteo. L’entreprise qui assure depuis janvier le contrôle du stationnement payant dans la plupart des arrondissements pa- risiens a été reconnue responsa- ble par la Ville de deux types d’ir- régularités. Censés contrôler les voitureseninfraction,certainsde ses agents se sont contentés d’en- registrer,enrestantdansleursbu- reaux,desnumérosd’immatricu- lation pour atteindre le quota de contrôles exigés. Et des employés de Streeteo n’étaient pas asser- mentés alors que la loi l’exige. En Conseil de Paris, la droite, l’UDI-Modem ainsi que le groupe des «progressistes et indépen- dants», composé de transfuges de LR, devraient demander la résilia- tion du marché avec Streeteo. MembresdelamajoritédeMmeHi- dalgo, les élus communistes de- vraient exiger la même chose. «Les ratés de Streeteo sont une res- ponsabilitécollectivedelamairede Paris, des socialistes et des Verts», déplore Nicolas Bonnet-Oulaldj, le patron du groupe Front de gauche au Conseil de Paris, hostile par principe «à la privatisation» du contrôledustationnementàParis. Au-delà de ces deux dossiers, les reversjuridiquesdesdernièresse- maines, dont l’annulation par le tribunal administratif de la pié- tonnisation des berges de la rive droite de la Seine, permettent à l’opposition de remettre en cause plus largement le pilotage politi- que de la Mairie. «Je me demande si la clé de commande de tous ces ratés n’est pas la fébrilité de Mme Hidalgo, qui multiplie les projets à marche forcée», déclare Eric Azière. Dispositif de riposte Ces derniers temps, les critiques n’émanent plus seulement des rangs des seuls adversaires politi- ques de la maire de Paris. «Cette suite de revers techniques et juridi- ques laisse à penser qu’il n’y a plus de patron ou de patronne à Paris, glisse un bon connaisseur des arcanes de la Ville, proche de Bertrand Delanoë. A un moment, quand une image se brise comme un miroir, il est difficile de recoller les morceaux. On peut considérer que ce n’est pas juste, mais c’est commeça.»Coïncidencedecalen- drier, une petite centaine des ex- collaborateurs de l’ancien maire de la capitale lui a donné rendez- vous, mardi, comme chaque an- née, au printemps pour une réu- nion «amicale», selon l’un d’eux. Face à ces difficultés, Mme Hi- dalgoaréagi,lundi,enannonçant avoir commandé «une étude sur la gratuité des transports en com- mun» pour tous. Pour renforcer son dispositif de riposte, elle a également recruté l’ex-directrice de la publicité d’Air France Caro- line Fontaine, qui dirigera la com- munication de la ville. Et ses pro- ches veulent encore croire que l’image de la maire de Paris n’est pas durablement abîmée. «Elle a les ressorts et l’énergie nécessaires pour renouer le fil d’un récit muni- cipal positif, assure un de ses ad- joints. Il faut que l’entêtement que certainsluireprochentsoitdenou- veau perçu comme du courage et la marque d’une volonté.» p béatrice jérôme Les critiques n’émanent plus uniquement des rangs des seuls adversaires de la maire de Paris La maire de Paris, Anne Hidalgo, dans l’usine d’Arcade Cycles, à La Roche-sur-Yon, le 19 décembre 2017. LOIC VENANCE/AFP NOUVELLE-CALÉDONIE Le référendum sur l’indépendance aura lieu le 4novembre Le Congrès de la Nouvelle- Calédonie a fixé la date du ré- férendum sur l’indépendance au dimanche4novembre2018. Le texte n’a pas été adopté à l’unanimité malgré son «ca- ractère historique» souligné par plusieurs élus. Face aux 38 voix favorables, 14 élus issus de la droite non indépendan- tiste s’y sont opposés, dénon- çant «la repentance coloniale» contenue selon eux dans l’exposé des motifs. – (AFP.) DROITE LR vend son siège à Paris mais ne déménagera pas Le parti Les Républicains va vendre son siège de 5500 mè- tres carrés de la rue de Vaugi- rard, dans le 15e arrondisse- ment de Paris, mais continuera de l’occuper comme locataire, selon une information du Figaro. Une vente sans déménagement, qui permettra de faire tomber sa dette de 55millions d’euros «autour de 10millions d’euros» d’ici cinq ans, selon le trésorier du parti, Daniel Fasquelle. Satisfait de cette solution d’entre-deux, Laurent Wauquiez estime que l’affaire n’a rien à voir avec «le symbole catastrophique» de la vente de Solférino par le Parti socialiste qui sera, lui, obligé de déménager. FO dénonce «la surprise du chef» Michel Beaugas (FO) a dénoncé, lundi 19 mars, le fait que les 140millions d’euros prévus pour l’assurance-chômage des tra- vailleurs indépendants seront fi- nancés non pas par la hausse de la CSG, comme indiqué initiale- ment, mais par les ressources de l’Unédic, qui agrégeront désor- mais de la CSG et des cotisations patronales. C’est «la surprise du chef», a lancé M. Beaugas. Au ministère du travail, on fait re- marquer qu’«il est hasardeux de dire que les cotisations des em- ployeurs vont payer pour les in- dépendants», sous-entendant par là que la CSG payée par les indépendants couvrira large- ment les besoins. Vous aider à toujours profiter de la vie Avec 96 associations départementales et 2 200 actions partout en France, France Alzheimer vous aide au quotidien et soutient la recherche. Retrouvez-nous sur www.francealzheimer.org Vous aider à toujours profiter de la vie Av rance, France Alzheimer vous aide au quotidien et soutient la recherche. 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