SlideShare une entreprise Scribd logo
1  sur  165
Télécharger pour lire hors ligne
Université de Montpellier
Centre du Droit de l’Entreprise
Année : 2016
Mémoire soutenu par M. Édouard BRUC
Titre :
Directeurs de mémoire :
Guillaume ZAMBRANO
Maître de conférences en Droit privé
Marie-Pierre DUMONT-LEFRAND
Professeur à la Faculté de Droit de Montpellier
Opportunité et stratégie du
règlement consensuel des
litiges au regard des actions
collectives en droit européen de
la concurrence
2
« La Faculté de Droit et de Science Politique n’entend donner aucune approbation ni
improbation aux opinions émises dans ce mémoire ; ces opinions doivent être considérées comme
propres à leur auteur »
3
« Et pourtant le droit gnomique enferme en ses replis bien plus de possibilités qu’on n’en
soupçonnerait en se contentant du De minimis… habituel. Car, malgré les apparences, il ne s’est
jamais résigné sans remords à abandonner les menus litiges aux ténèbres extérieurs, et il a frayé les
chemins sentimentaux ou idéologiques par où les petits peuvent faire écouter leurs plaintes, voire
combiner leurs attaque »
CARBONNIER, Jean in De minimis non curat praetor, in Mélanges dédiés à Jean Vincent,
Dalloz, 1981, p. 29-37
4
RÉSUMÉ
L’opportunité du règlement consensuel des actions collectives (ou class action) demande de
regarder dans un premier temps son sujet qui est l’action collective. L’action collective pourrait se
décrire comme l’action holiste faite de l’agrégation d’actions individuelles. L’existence d’une action
collective en droit de la concurrence est le produit en Europe d’un éclatement du droit en droits
subjectifs par l’arrêt Courage de la Cour de justice. En effet, en donnant un droit d’agir à tout
justiciable en cas de préjudice découlant d’une infraction au droit de la concurrence, le juge a donné
une assise à l’hypothèse même d’une collectivisation des préjudices. Malgré la volonté du juge
européen, reste l’incapacité du législateur à créer un régime harmonisé d’actions collectives au
niveau européen. Cette incapacité frappe les victimes que ce soient les entreprises ou les
consommateurs qui subissent une insécurité juridique et une inégalité de traitement face à une
action collective selon les droits internes applicables. Ainsi, un risque de forum shopping apparaît
au regard des lois contemporaines de droit international privé.
La directive n°2014/104 vient en partie révolutionner le paysage juridique des actions en dommages
et intérêts qui sont regardées comme un complément du travail des autorités publiques. Ce travail,
le public enforcement se caractérise par la sanction, l’amende donnée aux entreprises
contrevenantes. Elle frappe l’auteur parfois comme un coup de tonnerre du fait de l’importance de
son montant. L’action individuelle en dommages et intérêts pour le surcoût payé par la victime, du
fait de son caractère sporadique, s’apparente plus à une pluie agrégée de petites gouttes
correspondant au préjudice personnel de chacun.
Face à ces deux facettes du droit de la concurrence, la directive propose d’accroître leur
coordination tout en respectant le droit à la réparation intégrale du préjudice. Pour cela, elle facilite
la production de preuves, affirme l’autorité des décisions des autorités de concurrence ou protège
l’intérêt du programme de clémence. Ce renforcement des modalités du contentieux privé touche
directement les actions collectives qui n’en sont qu’une modalité procédurale.
Par ailleurs, reste que le risque des actions collectives doit être nuancé au regard de l’apathie
rationnelle du consommateur et des difficultés propres au contentieux concurrentiel notamment sur
le terrain de la caractérisation du préjudice et de sa répartition. Le législateur européen face à ces
difficultés voit dans le règlement consensuel une opportunité de règlement rapide et efficace du
contentieux. Il cherche à promouvoir ce type de règlement amiable quitte à créer une course au
règlement extra-judiciaire pour les entreprises.
Le règlement consensuel a aussi d’autres qualités qui sont notamment la disparition de l’aléa de la
sanction. Aléa qui peut en outre être réduit par des procédures de compliance qui pourront au
demeurant être utilement utilisées lors du contentieux judiciaire ou extra-judiciaire.
Enfin, l’ouverture légalisée par la directive d’un marché européen de la cession de créances
indemnitaires peut être un risque pour l’entreprise du fait de l’établissement de marchands de
procès, mais cela peut aussi être cyniquement une opportunité dans sa recherche de la baisse du
coût infractionnel. 

5
REMERCIEMENTS
Je tiens à remercier toutes les personnes qui m’ont aidé dans la rédaction de ce mémoire.
Tout d’abord, mes directeurs de mémoire : M. le maître de conférences Guillaume Zambrano pour
sa vision approfondie du sujet et son aide jusqu’au dernier instant et Mme. le professeur Marie-
Pierre Dumont-Lefrand pour ses encouragements.
Mme. le professeur Carine Jallamion qui a toujours été bienveillante et d’un soutien indéfectible.
Je voudrais adresser aussi un mot particulier à mon ami Pierre Nicolas avec qui j’ai toujours pu
partager des réflexions juridiques enrichissantes.
Mais aussi, mes voisines, Vérène et Mélanie qui m’ont soutenu et ont apporté de la lumière dans
mon quotidien.
Mes amis qui m’ont chaleureusement entouré et immuablement supporté pendant tant de temps :
Clément, Léonor, Loïc, Julie, Joan, Marie, Ivan, Romain, Stivian.
Ma grand mère qui me souhaite toujours le meilleur.
Mon frère et mes soeurs, pour leurs présences.
Mes parents qui m’ont inlassablement soutenu depuis mon premier cri.
Enfin, mon grand père à qui je dédie ce mémoire.
6
SOMMAIRE
INTRODUCTION
PARTIE 1 -RISQUE DES ACTIONS COLLECTIVES EN DROIT DE LA
CONCURRENCE
Titre 1 - Risque actuel
Chapitre 1: Risque éthéré des actions collectives découlant du droit européen
Chapitre 2: Risque inégal des actions collectives découlant des droits internes
Titre 2 - Risque potentiel
Chapitre 1 - Potentiel accru des actions collectives au travers de la directive sur les actions
en dommages et intérêts
Chapitre 2 - Obstacles pratiques à l’efficacité des actions collectives
PARTIE 2 -GESTION DU RISQUE PAR LE BIAIS DU RÈGLEMENT
EXTRA-JUDICIAIRE
Titre 1 - Opportunité des modes de règlements consensuels
Chapitre 1 - Les différents modes de règlement consensuel
Chapitre 2 - Les modalités concrètes d’utilisation des règlements consensuels
Titre 2 - Stratégie des modes de règlements consensuels face aux actions collectives
Chapitre 1 - Gestion opportune de l’action collective par le règlement extra-judiciaire
Chapitre 2 - Gestion intensive par l’entreprise de l’action collective et de son règlement
consensuel
BIBLIOGRAPHIE
TABLES DES MATIÈRES

7
ABREVIATIONS
ADR : Alternative Dispute Resolution (modes alternatifs de résolution des conflits)
ANC : Autorité nationale de la concurrence
C. com : Code de commerce
C. cons. : Code de la consommation
C. civ : Code civil
CE : Conseil européen
CEDH : Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés
fondamentales ou Convention européenne des droits de l'homme
Cour EDH : Cour européenne des droits de l’homme
CJCE : Cour de justice des Communautés européennes
CJUE : Cour de justice de l’Union européenne


DG comp.. : Direction générale de la concurrence de la Commission européenne
EEE : Espace économique européen
Ibidem : même endroit
i.e. : c’est-à-dire
MARC: modes alternatifs de résolution des conflits
PE : Parlement européen
PME: petites et moyennes entreprises
REC : Réseau européen de concurrence
TFUE : Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne
TUE : Traité instituant l'Union européenne
UE : Union européenne
8
INTRODUCTION
1. Une opportunité stratégique. « Y croire sans y croire, ne rien faire pour tout faire, se
donner, sous les ordres de la Dame-Fortune, les moyens et le temps d’agir, en ne sachant pas ce que
l’action deviendra et en considérant qu’une bonne intention peut dégénérer de façon perverse ou
qu’à quelque chose malheur est bon. Le machiavélisme, dans sa partie descriptive, est un grand
traité de stratégie, une science rationnelle de l’efficacité qui débouche presque sur la théorie des
jeux. La politique n’est plus une fin en soi. Elle devient une panoplie de moyens, un art du réalisme,
de l’ajustement permanent, de la négociation » pointe Michel Bergès.1
Ainsi, homme aux mille visages, le Prince s’évertue au travers de la virtù à faire sien la Fortuna,2
combat démesuré entre la volonté d’un seul et une destinée commune, une mécanique imprévisible.
Lutte individuelle contre la collectivité ou révolte collective contre le souverain, pour le Prince, il
faut faire preuve d’allocentrisme en se figurant tous les points de vue. Vision instable du Prince qui
doit se mettre en abîme, se démultiplier en autant de points de vue que d’acteurs.
Multiplicité donc, mais surtout métamorphose, mutation animalière du Prince qui se transforme au
gré des événements. Le bestiaire princier c’est avant tout un prolongement politique de sa stratégie.
Dès lors, penser une stratégie en s’adaptant à toutes les circonstances, faire face à l’imprévisible,
c’est prendre l’opportunité. Penser l’opportunité, c’est porter, rapporter quelque chose aisément,
c’est in fine prendre une position avantageuse. Il est donc à la fois question d’action par l’usage de
la stratégie qui par sa nature même s’inscrit dans le mouvement: l’acte ; là où l’opportunité3
caractérise un fait. Fait et acte ainsi se font face, mais cette subdivision n’a de sens que si elle
s’inscrit, s’incarne au travers d’un acteur à qui elle se propose.
2. La stratégie dans l’opportunité. Penser l’opportunité comme un fait extérieur peut a priori
être juste, ce qui est opportun c’est nécessairement ce qui est l’intériorisation d’une extériorité,4
d’une possibilité qui se présente. Mais l’opportunité ne peut s’étaler à la vue que d’un acteur qui la
perçoit, tout comme la stratégie pour la saisir. Par conséquent, il s’agit de caractériser face à une
opportunité la pluralité de perceptions possible de celle-ci, qui pourront ainsi en devenir les acteurs.
BERGÈS, Michel in Machiavel, un penseur masqué ?, édité en 2000, Editions Complexe, p.2971
MACHIAVEL, Nicolas in Le Prince paru en 15322
celle-ci se définissant comme une : « Partie de l'art militaire qui consiste à préparer, à diriger l'ensemble des3
opérations de la guerre. […] Il s'emploie aussi figurément et désigne l'Art de manoeuvrer. » in Dictionnaire de
l’Académie Française, 8ème édition (1932-1935)
en effet, intérioriser c’est bel et bien le « processus psychanalytique qui consiste à transporter à l'intérieur de soi les4
conflits auxquels un sujet est confronté dans le monde extérieur » (Larousse) or pas d’opportunité sans subjectivité et un
extérieur à soi-même.
9
Opportunité au pluriel et stratégie multiple, car la stratégie incarnée par un acteur s’inscrit dans sa
volonté, elle est ainsi un ensemble de manières d'organiser, de structurer un travail, de coordonner
une série d'actions, un ensemble de conduites en fonction d'un résultat .5
Celle-ci peut s’inscrire dans l’action ou l’inaction, comme le rappelle d’ailleurs la distinction du
Code civil de 1804. Mais reste à l’horizon la question substantielle de l’objectif, du résultat voulu.
3. Stratégie et concurrence. En l’occurrence, la question du résultat après ce préambule pour
saisir l’enjeu ne s’écarte pas tant de l’oeuvre de Nicolas Machiavel. Cette oeuvre politique trouve
aussi un écho au travers de la notion de Politikè, ou de l’art politique c’est-à-dire la pratique du
pouvoir, celle-ci s’inscrivant dans une lutte. La concurrence est donc aussi un art de la politique.
Art de la politique et politique de la concurrence se présente donc en un miroir et son reflet face à
un même acteur. En ce qui concerne la concurrence comme miroir, i.e. siège darwinien d’une lutte
intestine entre des acteurs pour le pouvoir. Elle s’inscrit dans un paradigme au travers d’acteurs
choisis dans un univers qu’il est nécessaire de qualifier de capitaliste . Dès lors, la concurrence est6
une lutte qui dans ce paradigme est fatalement économique. Elle se reflète au travers d’acteurs qui
ne peuvent être choisis qu’au regard de la norme, de la politique de la concurrence.
En ce qui concerne la concurrence comme politique, ce reflet d’une perception de la réalité se
traduit par un intentionnalisme. En conséquence, cette lutte économique peut prendre place comme
reflet au travers de deux types de surface, de cadre qui techniquement, idéologiquement s’opposent
diamétralement. Modèle économique dit classique (voir néo-classique) ou modèle marxiste ; liberté
dite « absolue » ou planification de l’économie se proposent comme une méthodologie
d’appréhension économique. Prosaïquement, le modèle européen de concurrence s’éloigne pour
partie du « laissez-faire, laissez-passer » mais s’écarte largement du dirigisme économique.7
4. Domination du droit européen. Partant du postulat d’une correction du marché, il s’agit
dans un premier temps d’asseoir le marché unique comme défini dans l’article 3 du Traité sur le
fonctionnement de l’Union européenne . Dans un second temps, il s’agit véritablement au-delà8
d’uniformiser ce marché de créer des instances supra-étatiques correctrices du marché et établissant
au passage sa suprématie. Ce quasi-monopole du droit européen de la concurrence sur les droits
internes est aujourd’hui factuel (voir infra point 26).
Centre national de ressources textuelles et lexicales, définition de « stratégie »5
il apparaît nécessaire de partir du postulat que les acteurs (ici économique) s’inscrivent dans une concurrence au6
travers d’un « système de production dont les fondements sont l'entreprise privée et la liberté du marché » (définition du
capitalisme du dictionnaire Larousse)
aphorisme apparu au XVIIIème siècle attribué à Vincent DE GOURNAY (1712-1759)7
Au titre du préambule : « reconnaissant que l'élimination des obstacles existants appelle une action concertée en vue8
de garantir la stabilité dans l'expansion, l'équilibre dans les échanges et la loyauté dans la concurrence » mais aussi à
divers articles, dont l’article 3 « b) l'établissement des règles de concurrence nécessaires au fonctionnement du marché
intérieur; »
10
5. Politique de la concurrence. La règle juridique comme expression du politique en droit
européen n’est donc que le reflet d’une idéologie qu’il sera nécessaire de saisir pour en comprendre
la forme et la transformation tant passées que futures.
Plus concrètement, la loi régule des acteurs, acteurs économiques qui seront définis comme : le
consommateur, l’entreprise et l’Etat. En outre, ils agissent sur un marché défini par une offre et une
demande. Schématiquement, le droit européen s’inscrit dans ce marché et part du postulat que celui-
ci est faussé par l’abus. Sans son intervention apparaît ainsi une asymétrie entre les acteurs,
asymétrie structurelle qu’elle essaye conjoncturellement de corriger. Dès lors, « la concurrence
apparaît de plus en plus comme une forme d’organisation et non plus comme un état naturel,
spontané, normal ». Il n’y a pas de « invisible hand » ou une théorie hayékienne de l’ordre auto-9 10
organisé du marché (« spontaneous order ») au yeux du législateur européen. Bien au contraire, il11
s’agit de « faire concurrence » et non pas de « laisser-faire concurrence ». Dès lors, le législateur
met en place un cadre juridique qui se veut prescriptif, prohibitif mais surtout dissuasif.
6. Appréciation économique du droit européen. Derrière ce cadre se dévoile ainsi une norme
propre au droit de la concurrence qui est fluctuante au gré de l’appréciation plus ou moins libérale
ou interventionniste faite du « marché » tant par le législateur au travers des textes de loi et des
lignes directrices que par les juges eux-mêmes. Apparaît ainsi la question sous-jacente de toute
étude contextuelle de l’idéologie majoritaire (ou même de la dogma) interne aux racines du12
raisonnement tant du législateur que des institutions ou des juges. À partir de ce constat, il apparaît
incohérent et abscons de ne pas se pencher sur la vision économique, car celle-ci est le fondement
idéologique de la politique tant législative que jurisprudentielle des institutions en charge de créer
ce droit de la concurrence.
En effet, la compréhension de l’approche économique prise par les institutions européennes
nécessite de regarder cette analyse par le prisme de trois écoles de pensée et de courants modernes
plus diffus : Harvard, Chicago, Fribourg et « théorie contemporaine des jeux non coopératifs » et
modèle de Porter.
7. Ecole d’Harvard. Pour l’école structuraliste d’Harvard, la structure détermine les
comportements, il faut intervenir pour réglementer la structure. Ainsi, après avoir déterminé
juridiquement la nature d’un accord, il faut définir le marché pertinent avant d’analyser la structure
dudit marché. Plus concrètement, la thèse structuraliste se traduit par le « modèle SCP » d’Edward
Mason . Ce paradigme s’articule autour de trois séries de critères interdépendants : la structure (S)13
FARIAT, Gérard in Pour un droit économique, PUF, Paris, 1994 p.459
SMITH, Adam in The Wealth of Nations, paru en 1776, Livre IV, Chapitre II, paragraphe IX10
VON HAYEK, Friedrich August in Law, Legislation and Liberty, a new statement of the liberal principles of justice11
and political economy, Volume I, Rules and Order, The University Chicago Press, p.36
au-delà de l’aspect virtuel de penser pouvoir saisir une « courant de pensée » uniformisé à un instant précis12
MASON, Edward S., in Price and Production Policies of Large-Scale Enterprise, American Economic Review, paru13
en mars 1939, vol.29, no 1
11
du marché (caractérisée par la présence ou l’absence de barrières à l’entrée et la mauvaise ou bonne
information des entreprises), les comportements (C) des agents économiques (soit une rivalité
intense exercée entre les différents concurrents et une absence de discrimination déraisonnable, soit
une collusion tacite ou expresse entre les acteurs de marché) et la performance (P) du marché (en
tenant en compte du niveau des prix, de la production et de l’innovation).
En vertu de ce paradigme, la structure du marché conditionne la concurrence qui y règne. La
relation entre la structure du marché et le pouvoir de marché dépend essentiellement des conditions
d’entrée sur le marché, à savoir l’existence de barrières à l’entrée, qui sont définies par Joe Bain
comme :
« The extent to which, in the long run, established firms can elevate their selling prices
above minimal average costs of production and distribution without including potential
entrants to enter the industry ».14
In fine se posent deux questions majeures : le degré de concentration au sein du marché pertinent15
mais aussi les barrières à l’entrée, la croissance de ces indicateurs augmentant le risque de
comportement anticoncurrentiel. Ce paradigme impose donc aux autorités en charge de la
concurrence de répondre par une politique appréhendée au travers de ces deux paramètres.
8. Ecole de Chicago. Pour l’école de Chicago prend pied tout d’abord dans « l’école de
l’offre », critiquant le modèle SCP qui est, selon ce courant, trop basé sur le modèle de concurrence
pure et parfaite des Classiques . Le théoricien phare contemporain est Richard Posner (par16 17
ailleurs juriste), il a une approche dynamique de la concurrence, envisagée comme un processus de
sélection des entreprises les plus efficaces. En outre, il faut inverser le modèle SCP.
En effet, ce sont les comportements des entreprises et les performances qui déterminent la
concentration industrielle. Ainsi, l’entreprise qui propose un produit de meilleure qualité que ses
concurrents acquiert une nouvelle clientèle et pourra, ainsi, détenir une position dominante. La
concentration du marché est alors due aux différences de performance entre entreprises, l’entreprise
en position dominante étant simplement meilleure que ses concurrentes. Il est donc surtout question
d’efficience sur un marché, la concentration pouvant simplement en être le résultat.
Qui plus est, les barrières à l’entrée, or l’exception de barrière légale, ne sont que l’effet de cette
efficience. Par exemple l’existence d’un monopole peut être justifiée car d’autres entreprises
peuvent, si elles le souhaitent, y entrer ; le postulat est donc que ce monopole existe parce que
l’entreprise monopolistique est la seule capable de satisfaire la demande aux conditions requises.
BAIN, Joe in Industrial Organization, paru en 1968, John Wiley and Sons, New York, p. 25214
« small is beautiful » pour reprendre l’expression de David Encaoua et Roger Guesnerie15
KNIGHT, Frank in Risk, Uncertainty and Profit, paru en 1921 où la concurrence pure et parfaite est définie par une16
structure de marché parfaite avec une : atomicité de l'offre et de la demande, homogénéité du produit, liberté d'entrer et
de sortir du marché, information parfaite des acteurs sur le marché, mobilité parfaite des facteurs de production
POSNER, Richard Allen in The Chicago School of Antitrust Analysis, University of Pennsylvania Law Review, paru17
en 1979, Vol.127, no.4, pp. 925-948
12
Par ailleurs, à la fin des années soixante-dix émerge la théorie dite des « contestable markets ».18
Cette théorie met l’accent sur le rôle de la concurrence potentielle comme contrainte pesant sur le
pouvoir de marché des entreprises actives dans un secteur d’activité. Il y a deux moteurs à celle-ci :
l’absence de barrières à l’entrée et à la sortie du marché (sans coût). Ainsi, les entreprises en place
maintiennent leurs prix au niveau concurrentiel en raison de la menace constante représentée par les
entrants potentiels (en cas de prix trop élevés notamment). Ce paradigme impose donc une
intervention plus fluette des autorités, se limitant à éliminer les barrières légales à l’entrée et à la
sortie, mais oblige à se pencher plus amplement sur les gains d’une structure ou un comportement
qui pourraient paraître anticoncurrentiels .19
La défense de la concurrence dans la loi allemande est garante de la liberté économique des acteurs
qu’elle préserve des abus de pouvoir exercé par les entreprises dominantes : la concurrence est un
objet de droit qu’il convient de protéger en soi. L’objectif diffère ainsi de celui qui a fini par
prévaloir aux États-Unis en la matière, à savoir la promotion de l’efficacité économique. Selon
Posner (2001, p. 29) :
« l’efficacité est l’objectif ultime de l’antitrust, mais la concurrence est un objectif
intermédiaire qui est souvent suffisamment proche de l’objectif ultime pour éviter aux
tribunaux de pousser plus loin leurs investigations ».
9. Ecole de Fribourg. Courant de pensée libéral européen dit d’« ordolibéralisme » selon
lequel la mission économique de l'État est de créer et maintenir un cadre normatif permettant la
concurrence libre et non faussée entre les entreprises. Pour les ordolibéraux, il s’agit par là de créer
une économie sociale de marché, qui assume l'idée que le libre-marché est naturellement social.
Pour Walter Eucken, l’ordre de la concurrence n’est pas un ordre naturel, il faut intervenir pour le
corriger. Ainsi, l’État intervient donc dans la vie économique de deux façons : en fixant des règles et
en les faisant appliquer et respecter. Il s’agit de valoriser l'ordre (en référence à la théorie
augustinienne de l'ordre) et de réguler par le biais de l’État (Etat-ordonnateur) ; l'ordolibéralisme se
distingue du libéralisme classique basé sur la dérégulation et le « laissez-faire ».
Idéologie normative, il est nécessaire de trouver une véritable constitution permettant une efficience
concurrentielle , l’ordre concurrentiel en découlant est justifié par l’aspect démocratique de la20
société. S’inspirant des travaux de Heinrich von Stackelberg , il s’agit que l’ordre économique21
réalise une concurrence parfaite dont les points clefs sont la libre formation des prix et des marchés
atomistiques, ce qui suppose une abolition de l’imposition des prix et une législation sur les cartels.
BAUMOL, William, PANZAR, John, WILLIG, Robert in Contestable Markets and the Theory of Industry Structure,18
Harcourt Brace Jovanovich, Revised edition 1988.
Richard Posner précisant ainsi que « that the design of antitrust rules should take into account the costs and benefits19
of individualized assessment of challenged practices relative to the costs and benefits of the rule of thumb prohibitions,
notably the per se rules of antitrust illegality » (in Antitrust Law, Second Edition, University of Chicago Press, édition
de 2009, Préface, ix)
COMMUN, Patricia in L’ordolibéralisme allemand, aux sources de l’économie sociale de marché, paru en 2003,20
CIRAC/CICC, édition Broché, pp.95-100
modèle d’analyse de duopole complétant les travaux d’Antoine Courront et Joseph Bertrand21
13
Courant aujourd’hui consacré au moins textuellement au travers de l’article 3 du Traité de l’Union22
européenne qui use directement d’ « économie sociale de marché » mais aussi économiquement (au
travers de la politique de stabilité monétaire de la Banque centrale européenne).
10. Théorie des jeux non coopératifs et modèle de Porter. Émergent deux courants dominants
basés sur les concepts de « théorie des jeux » et de « forces de Porter ».
En ce qui concerne la théorie des jeux non coopératifs (en dehors d’une position d’entente), elle
incarne un retour de balancier post-Chicago. La théorie des jeux s’intéresse à des situations où des
« joueurs » ou « agents » prennent des décisions, chacun prenant en compte que les gains dépendent
de sa propre décision que de celle des autres « joueurs ». Plus précisément, la théorie des jeux « non
coopératifs » s’inscrit dans une modélisation des interactions stratégiques entre différents joueurs
qui ne cherchent pas à se coordonner. Elle s’accompagne aussi d’une prise en compte explicite des
asymétries d’information qui peuvent exister entre les acteurs et du postulat d’une rationalité de
chacun des joueurs (recherche d’un optimum propre). Tout d’abord, cette théorie réhabilite
l’équilibre de Cournot. Celui-ci s’inscrivant dans le cadre d’un duopole où chaque firme considère
la production de son concurrent comme une donnée. Chaque entreprise choisit simultanément ce
qu’elle va produire en considérant le niveau de production de l’autre comme acquis, ce qui conduit
à un équilibre de Nash (i.e. une situation dans laquelle aucun joueur n’a intérêt à changer de23
stratégie). L’anticipation est donc essentielle à l’équilibre de Nash et la théorie des jeux non
coopératifs recentre le débat sur : d’une part, les prix (notamment : prix limite, le prix de prédation,
les compressions de marge, les remises de prix et les baisses sélectives de prix) mais aussi, sur
d’autres facteurs extérieurs au prix : les informations transmises aux autres acteurs, les signaux
fournis par les acteurs, ou encore les ventes liées, les clauses d’exclusivité et les refus de vente.
À partir de ces données, chaque acteur agit en conséquence et doit chercher la position la plus
avantageuse au regard notamment des informations qu’il a sur le marché pertinent en question et du
prix et autres barrières sur le marché. Il y a donc une prise en compte explicite des asymétries
d’information qui peuvent exister entre les acteurs.
En ce qui concerne le modèle des « cinq forces de Porter », élaboré en 1979 par le professeur24
Michael Porter, la notion de concurrence est élargie et désigne tout acteur économique capable de
réduire la capacité potentielle des entreprises à créer du profit. Selon Michael Porter, la structure
et même idéologiquement comme en atteste l’ancien commissaire à la concurrence Karel Van Miert, dans son22
discours à l’occasion de la réception du prix Ludwig Erhard en 1998 : « Si l’on a fait dès le départ des règles de la
concurrence l’un des piliers de base du Traité CEE, c’est en grande partie à l’influence de l’Allemagne où ce thème
occupait à l’époque le devant de la scène. C’est donc avant tout à l’Allemagne que l’on doit le fait que la concurrence
se soit vue accorder dès le début une importance si grande et qu’elle ait presque joué le rôle de fondement du Traité
CEE. Depuis lors, les politiciens allemands et les juristes allemands spécialisés dans le droit des ententes ont toujours
joué un rôle phare lors de l’élaboration et du développement des règles de concurrence européennes. » ENCAOUA,
David et GUESNERIE, Roger in Politiques de la concurrence, paru en 2006, Rapport La Documentation Francaise, pp.
62-63
NASH, John in Equilibrium Points in N-person Games, publié dans Proceedings of the National Academy Sciences,23
paru en 1950
PORTER, Michael in The Five Competitive Forces That Shape Strategy, Harvard Business Review, janvier 2008,24
p. 78-93
14
concurrentielle d’une industrie (de biens ou de services) est déterminée par cinq forces : le pouvoir
de négociation des clients, le pouvoir de négociation des fournisseurs, la menace des produits ou
services de substitution, la menace d'entrants potentiels sur le marché, l'intensité de la rivalité entre
les concurrents. La distinction se fait donc dans la maîtrise par chaque acteur des éléments en
présence caractérisant ainsi un avantage/faiblesse concurrentiel de cet acteur sur le marché
d’espèce. La question de l’intégration des pouvoirs publics comme « force » reste sujette à caution,
Porter refusant une telle qualification préférant y voir une modalité des cinq autres forces
(notamment comme une barrière à l’entrée).
Pour conclure, ces modèles sont aujourd’hui souvent utilisés par les économistes (tant au service de
la Commission que des entreprises) dans leurs analyses concurrentiels d’un marché ou sur des
questions de prix de transfert, notamment par le biais de l’économétrie .25
11. Analyses structurelles et protectrice du consommateur. L’analyse contemporaine
s’inspire au moins partiellement de tous ses modèles économiques quant à leurs approches
systémiques des interactions des acteurs et le modèle de marché servant de paradigme. Néanmoins,
la vision n’est pas hayékienne, il ne s’agit pas de pencher vers une auto-régulation du marché par un
désengagement total des autorités publiques permettant une forme d’épuration et d’épanouissement
de celui-ci.
Dès lors, il semble au regard de la recherche du « bien-être » du consommateur (notamment au26
travers du 101§3 du TFUE, le progrès économique pouvant étant englobé dans le bien être du
consommateur, ou encore, des lignes directrices du Règlement 330/2010 ou les accords
horizontaux) comme critère d’exemption possible, que le législateur européen soit dans une
approche interventionniste justifiée par une analyse in concreto du marché pertinent en question.
L’analyse rejoignant la conception moderne de « workable competition » ou « effective
competition » telle que définie par John Maurice Clark . Les études d’impacts sont ainsi27
typiquement utilisées par les autorités avant l’édition de toute norme concurrentielle avec les
options à envisager et leurs effets permettant ainsi de contextualiser les hypothèses normatives.
Les autorités européennes se dégagent de l’idéal de concurrence pure et parfaite et présente une
analyse où :
« An industry may be judged to be workably competitive when, after the structural
characteristics of its market and the dynamic forces that shaped them have been
FEGATILLI, Ermano et PETIT, Nicolas in Économétrie du droit de la concurrence, un essai de conceptualisation,25
The Global Competition Law Centre Working Paper Series, Collège d’Europe, GCLC Working Paper 03/08
notion standard tant en droit européen qu’américain, d’ailleurs le Conseil du commerce et du développement26
(Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement) a précisé à Genève en 2012 que : « l’objectif
principal du droit et de la politique de la concurrence est de maintenir et de promouvoir la concurrence comme moyen
[…] la maximisation de l’intérêt des consommateurs devient une préoccupation principale ».
CLARK, John Maurice in Toward a Concept of Workable Competition, paru en 1940, American Economic Review,27
pp. 241-256
15
thoroughly examined, there is no clearly indicated change than can be effected through
public policy measures that would result in greater social gains than social losses ».28
En dehors de la seule structure de concurrence effective, il y a donc une extension dans l’analyse
concurrentielle des institutions européennes vers la notion plus subjective de « bien-être » de
l’utilisateur (vocable large englobant le consommateur). Celle-ci peut être comprise étroitement
comme le « surplus » économisé par le consommateur (argent économisé du fait du fonctionnement
non tronqué du marché, le « consumer welfare » tel que défini par l’école de Chicago) ou encore
plus largement comme les avantages subjectifs pour celui-ci (accès à un service nouveau, qualité de
la prestation, etc.). Comme le pointe Neelie Kroes, membre de la Commission chargée de la
concurrence : « des règles claires protégeant les consommateurs et promouvant l’innovation sont de
la plus haute importance ». Se profile donc un mouvement cherchant à rapprocher le droit de la
concurrence et le droit de la consommation, en ce que la protection de la structure du marché
aboutit de manière générale au bien-être du consommateur. Ainsi, le législateur et les autorités
européennes tendent aujourd’hui à entendre le champ d’application d’un droit régulateur, d’un «
droit du marché ».
12. Politique contemporaine des institutions de concurrence. Base légale d’un droit du
marché européen de la concurrence qui ne cesse de revendiquer une volonté d’efficience face à29
des acteurs mondiaux qui font au-delà d’un « tax shopping » un « competition shopping »,
cherchant bon an mal an à se protéger d’une sanction par des stratégies juridiques qui
s’affranchissent des simples frontières nationales ou européennes.
Mais ici se pose le premier degré de réflexion, car penser une politique législative de concurrence
n’a intérêt que par son efficience, penser une soumission des acteurs et notamment des entreprises
n’a de réalité qu’au travers des vertus d’une sanction efficace voir efficiente. Dès lors se pose dans
un deuxième temps, la question de la qualification de sanction efficiente ; qu’est-ce qu’une sanction
efficiente ? Sous quel prisme faut-il déformer la notion pour parvenir au résultat voulu ? Quel est le
résultat voulu ?
Comme il sera vu plus bas, la notion centrale est celle du bien-être économique et notamment du
surplus pour le consommateur, dès lors l’usage de bilan concurrentiel est affiné par une analyse plus
économique des effets réels ou potentiels d’un accord potentiellement prohibé. Mais face à cet
objectif se dévoile un échec de la politique anticoncurrentielle, en effet, comme il sera vu, la règle
de droit n’est efficiente que si elle est dissuasive voire punitive ; car elle s’impose alors non pas
comme une norme donnée traductrice d’un devoir-être mais comme une coercition, une force
entrant ontologiquement dans une logique économique de coût. Elle ne peut être un coût dans une
logique économique que si l’agent économique a une espérance de perte plus importante que de
bénéfice.
MARKHAM, Jesse in An Alternative Approach to the Concept of Workable Competition, paru en 1950 dans The28
American Review, p.361
qui contrairement à l’efficacité sous-entend une optimisation des moyens mis en œuvre pour parvenir à un résultat29
16
Ici, l’espérance des acteurs se dévoile au travers de multiples agrégats, le coût se fait par une
indemnisation ou une amende qui doit être plus importante que le bénéfice, une probabilité
procédurale d’être sanctionné et enfin une probabilité de caractériser tant factuellement que sur le
plan probatoire la pratique déviante (caractériser au travers des ententes, abus de position dominante
ou concentration illicites). Autant de facteurs qui transforment la sanction en une probabilité qui
nécessite de dépasser la simple logique de « la politique du bâton » pour se pencher aussi vers « la
carotte ». Il ne s’agit pas pour autant pas que les agents soient récompensés pour des
comportements « non-anticoncurrentielles », mais d’une politique plus souple ou même une
coopération entre les autorités internes ou européennes et les entreprises .30
13. Dualité de l’action publique/privée. L’efficience de ce droit européen va conditionner
l’objet de cette étude, appréhender l’opportunité et la stratégie d’un acteur se fera avant tout face à
la norme. Parmi les agrégats en cause, passé le problème de caractérisation de l’atteinte reste la
question du montant de l’indemnité à payer qui dépend du préjudice causé. Préjudice qui prend
place dans la gravité de l’atteinte et donc du nombre de personnes juridiques touchées
(essentiellement les clients souvent « consommateur » ou encore les concurrents).
Cependant un préjudice peut exister, encore faut-il que la partie lésée agisse en justice pour
réclamer son dû. Dynamique procédurale qui prend forme au travers d’une dualité d’actions
offertes. En effet, existe une dichotomie entre « public enforcement », c’est-à-dire action publique
des autorités de la concurrence pour réparer l’atteinte au marché (au travers d’une amende) et
« private enforcement », action civile du fait d’une atteinte pour réparer un préjudice seulement
personnel. Mais la notion de droit de la concurrence d’ « enforcement » reste d’origine anglo-
saxonne, subsiste dans sa traduction une barrière linguistique entre le mot et son sens, entre le
contenant et le contenu. Le terme « action » ne recouvre qu’une partie de la notion. L’enforcement
renvoie in fine à une notion de force, de mouvement en avant ou plus subtilement pour donner une
image simple de capacité à passer une barrière, passer une porte. Dès lors, prosaïquement en droit
de la concurrence :
« l’expression private enforcement désigne […] les effets privés du droit communautaire
de la concurrence, c'est-à-dire la faculté reconnue aux victimes d'agir en justice, pour
obtenir la sanction civile d'une infraction, par réparation, restitution, nullité ou
injonction ».31
De l’ « enforcement » dépend substantiellement l’efficience du droit de la concurrence tant interne
qu’européen. Plus spécifiquement, l’efficacité du private enforcement (ou dans un traduction
la transaction et la politique de clémence ou la diminution des amendes selon le comportement des entreprises en30
étant des manifestations contemporaines
ZAMBRANO, Guillaume in L’inefficacité de l’action civile en réparation des infractions en droit de la concurrence,31
étude du contentieux français devant le Tribunal de Commerce de Paris (2000-2012), thèse de l’Université de
Montpellier, 2012, p. 5
17
francophone, le contentieux « privé » ou « subjectif») est soumise à l’aléa de l’action des victimes32
que les autorités en charge ne peuvent dépasser sauf à demander elle-même la réparation du
préjudice personnel des victimes et donc agir par procureur.
14. Inefficience du private enforcement. L’inefficacité du private enforcement ou plutôt son
inefficience est avant-tout factuelle, l’inaction des victimes étant le point névralgique de cet échec
pour les autorités concurrentielles.
Mais au-delà de l’inaction des victimes, le droit de la concurrence d’espèce s’inscrit avant tout dans
un cadre politique et idéologique européen, choix politique fort d’un mécanisme européen
d’intégration unique. Intégration unique qui explique aussi cette volonté de fonder comme pilier
central du marché unique un public enforcement sous la houlette de la Commission qui s’impose
ainsi comme un rouage européen d’harmonisation verticale. Verticalité du droit européen de la
concurrence qui prend pied dans la nature même du marché unique constitué ab initio d’agrégats de
marchés nationaux qu’il faut dans un premier temps réguler et uniformiser.
Toutefois, cette autorité européenne laisse une place aux autorités nationales, mais elle reste en
toute hypothèse une autorité référentielle et compétente (donc « supérieure ») dès lors que cela
touche mutatis mutandis substantiellement au marché européen.
Partant de ce postulat de volonté d’harmonisation par le haut, cela explique l’attraction du droit de
la concurrence vers le public enforcement, premier pas d’une harmonisation nécessaire et d’un
équilibre dans l’action de l’autorité (censée notamment être en dehors des rouages politiques de
protectionnisme nationale propre aux juridictions internes).
Subséquemment, les Traités avaient organisé de manière lacunaire le private enforcement .33
Mais le temps ayant fait son ouvrage, la consolidation du droit européen de la concurrence a
nécessité un déploiement plus efficient du private enforcement. Les premiers éléments déclencheurs
furent notamment les arrêts Manfredi et Courage de la Cour de justice (étudiés plus en34 35
profondeur infra points 31 et 32). Ces arrêts fondateurs affirment que les actions indemnitaires
participent à l'« effet utile » des règles de concurrence européenne ainsi dotées de l'effet direct.
Ainsi, « toute personne est en droit » de demander la réparation du préjudice qui lui est causé par la
violation desdites règles de concurrence. Et ceux, même en l'absence de réglementation européenne,
il appartient aux États membres de faire en sorte que leur réglementation garantisse ce droit sur la
base des principes d’« effectivité » et d’« équivalence ». Alors il n’est pas étonnant d’entendre déjà
en 2004 l’ancien commissaire européen Mario Monti dire que :
« The Commission has one particular project in the pipeline which, I hope will have a far
reaching impact on the way in which the competition rules are enforced in the Union.
AMARO, Rafael in Le contentieux privé des pratiques anticoncurrentielles, avant-propos G. Canivet, préf. M. Béhar-32
Touchais, Bruylant, 2014, n° 10
SAINT-ESTEBEN, Robert in L’impact de la future directive sur les actions en dommages et intérêts relatives aux33
pratiques anticoncurrentielles, paru dans AJ Contrats d'affaires - Concurrence - Distribution 2014, p.258
CJCE, arrêt du 13 juill. 2006, n° C-295/04, Manfredi, RTD eur. 2008. 31334
CJCE, arrêt du 20 sept. 2001, n° C-453/99, Courage Ltd, RTD com. 2002. 39835
18
We are looking at ways to encourage actions before courts by private parties to punish
breach of the competition rules [...] Private actions before courts are a central feature
of the modernisation of our competition rules. We want to encourage private parties
actively to seek compensation for harm caused to them by anticompetitive behavior ».36
La même année, les rédacteurs du rapport « Ashurst » constataient l'état de « total sous-
développement » des actions en réparation des victimes de pratiques anticoncurrentielles . Par la37
suite, apparaît un Livre Vert dès 2005 et un Livre Blanc en 2008 avec le même constat cuisant38
d’un sous-développement du private enforcement , constat cinglant surtout quand selon les39
estimations présentées par la Commission accompagnant le Livre Blanc, le dommage direct des
« hardcore cartels » au sein de l’UE oscillerait chaque année entre 25 et 69 milliards d’euros . Le40
montant perdu par son ampleur suffit pour parler d’un échec caractérisant l’état larvaire de cette
voie d’action.
15. Opportunité des actions collectives. Face à ce problème d’inefficience potentielle du
« contentieux privé » tant par l’inactivité des victimes que par l’incapacité des institutions à
déployer cette voie d’action, il pourrait s’agir d’encourager ce contentieux par le biais d’action
collective regroupant une masse de victimes. En outre, l’action collective s’inscrit comme un outils
coercitif du fait de l’agrégation créée permettant ainsi d’exhumer un dommage collectif d’une
certaine dimension. Elle se déploie dans la lignée de l’activité des autorités de concurrence (follow-
on) ou de manière autonome (stand-alone), élargissant ainsi parfois le champ d’application du droit
de la concurrence en dehors de l’activité simple des autorités de concurrence.
Ainsi, l’action collective est une agrégation d’action individuelle, mais que se cache-t-il derrière le
vocable d’ « action collective » ?41
disponible en ligne : http://ec.europa.eu/competition/publications/cpn/interview_monti.pdf36
WAELBROECK, D., SLATER, D. et EVEN-SHOSHAN, G. in Study on the conditions of claims for damages in case37
of infringement of EC competition rules, août 2004, disp. sur le site de la Commission européenne
Livre Vert, du 19 décembre 2005, intitulé : Actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles38
communautaires sur les ententes et les abus de position dominante [COM(2005) 672 final: Non publié au Journal
officiel] ; Trouvé le 2 août 2016 : hhttp://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=URISERV%3Al26120
Commission Européenne, Livre Blanc sur les actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles39
communautaires sur les ententes et les abus de position dominante, 2 avril 2008, COM(2008) 165 final. p. 3. : « dans la
pratique, les victimes d'infractions aux règles de concurrence communautaires n'obtiennent, à ce jour, que rarement
réparation des dommages subis. [...] Le meilleur moyen de lutter contre l'inefficacité actuelle des actions en dommages
et intérêts pour infraction aux règles de concurrence consiste à combiner des mesures tant au niveau communautaire
qu'au niveau national, en vue de garantir, dans chaque État membre, une protection minimale effective du droit des
victimes à obtenir des dommages et intérêts, en application des articles 81 et 82, ainsi que des conditions plus
équitables pour tous et une sécurité juridique accrue dans l'ensemble de l’UE ».
COUTRELIS, Nicole et ZIVY, Fabien in Davantage d’avantages pour le règlement consensuel des litiges ou la40
négociation plutôt que la confrontation, Lamyline, numéro 44, juillet-septembre 2015, p. 97
terme d’ailleurs utilisé par PIETRINI, Silvia in L’action collective en droit des pratiques anticoncurrentielles,41
Bruylant, août 2012
19
Se dévoile la traduction de l’idée de « class action », dérivée du droit américain , les Etats-Unis42
faut-il le rappeler restant le pays fondateur en matière d’antitrust.
« Class » peut se traduire en français par une classe, soit un ensemble de personne ayant des
caractères communs. En ce qui concerne le mot « action », il est la traduction de la capacité d’ester
en justice. Ainsi, par une « class action », il s’agit pour un ensemble de personnes ayant des
caractères communs de s’ester en justice ensemble, ce qui a pu ainsi être traduit par une action
collective. Plus précisément, d’un point de vue processuel, la doctrine a pu définir l’action
collective comme l’action qui : « consiste à réunir dans une seule instance, donnant lieu à un seul
jugement, la réparation de préjudices individuels multiples ayant une origine commune ».43
En ce qui concerne le préjudice, il existe deux typologies de dommages possibles : un « dommage
sériel », c’est-à-dire un même dommage causant différent préjudice selon la victime ou un
« dommage collectif », dommage unique affligé à l’intérêt général.
Réunir dans une seule instance une multiplicité de victimes d’un cartel pour se voir réparer par une
seule décision un dommage pluriel (de l’ensemble des consommateurs, de certains consommateurs
ayant un préjudice propre) apparaît comme un moyen de concentration, facteur d’efficience pour le
droit de la concurrence par le truchement du private enforcement. À titre d’exemple , aux Etats-44
Unis, cinq industriels du tabac se sont faits poursuivre par les victimes du tabac dans l’Etat de
Floride (par le biais d’une class action) donnant lieu en 2000 au versement de 145 milliards de
dollars de dommages et intérêts .45
16. Collectivité de demandeurs. L’action individuelle ou collective n’est que la traduction d’un
pouvoir coercitif, d’une menace qui pèse sur des acteurs hors-la-loi. Le fait d’agir en justice n’est
qu’un mécanisme parmi d’autres pour que s’exerce le monopole de la « violence légitime » telle
que définie par le législateur. La coercition s’exerce avant tout par la persuasion plus que par la
sanction, même si le premier n’a de raison d’être que parce que le second existe de manière
effective. Ainsi, au-delà de ce qui relève de la puissance publique et de la souveraineté étatique,
apparaît que les citoyens (dans le cadre légal) peuvent de manière logique appréhender leurs droits
en une multitude de pouvoirs. En effet, par le procès privé s’oppose deux parties, deux poids qui se
jaugent et où le juge apparaît comme un tiers pesant la véracité des arguments avancés.
Subséquemment, le fait d’agir en justice apparaît de manière générale comme une menace pour le
défendeur (même si le droit d’agir en justice prend aussi pour le défendeur la forme de demande
reconventionnelle) et c’est ici que les actions collectives du fait de l’agrégation jouent un rôle
central de coercition. Concentrer les demandes contrebalance l’iniquité de fait du procès entre d’une
plus précisément, la procédure de « class action » a été introduite en 1938 aux Etats-Unis (règle 23 de la procédure42
civile fédérale) avec la possibilité de dommages et intérêts et d’une injonction. Sous l’impulsion de Ralph Nader, le
texte a par la suite été modifié en 1966, laissant place au modèle contemporain de class action.
CALAY-AULOY, Jean in Pour mieux réparer les préjudices collectifs, une class action à la française ?, La Gazette du43
Palais, 28:29 septembre 2001, p. 13.
exemple à nuancer du fait du treble damages propre au droit antitrust américain44
Engle c/ R.J. Reynolds Tobacco Co., arrêt du 6 Novembre 2000, No. 94:08273 CA:22, 2000 WL 33534572 (Fla. Cir.45
Ct. Nov. 6, 2000).
20
part un consommateur profane et une entreprise experte, mais surtout un acteur ayant certains
moyens financiers propre à soutenir un procès et des avocats qualifiés. De facto, le choix du
contentieux pour un consommateur qui a peut être été lésé de quelques euros ou même centimes
apparaît improbable si ce n’est inopportun. Cette opportunité s’évapore et les entreprises sont
promptes à enfreindre la loi sans probabilité de sanction possible efficiente (au regard du
« contentieux privé »).
Mais la « collectivité » des demandeurs, elle, peut avoir un intérêt à agir, du fait de l’agrégation des
préjudices et des moyens. À partir de ce constat de capacité à agir, il est nécessaire de regarder la
manière dont va être mise en oeuvre ce pouvoir d’agir. En effet, il existe deux voies possibles : la
voie judiciaire et la voie extrajudiciaire. Deux voies distinctes mais pas inconciliables, l’une
pouvant être les prémices d’une autre, l’une pouvant se mêler à l’autre, l’une pouvant influencer la
manière dont s’exerce l’autre.
Par conséquent, séparer les deux voies semblent totalement abscons, la mise en place d’une
stratégie du règlement des actions collectives pour les entreprises ou les consommateurs
demandeurs à l’action nécessite la prise en compte dans le contentieux de ces deux modalités de
voie d’action.
17. Règlement consensuel des actions collectives. L’action collective suppose un litige qui va
prendre forme au travers de la voie judiciaire ou extrajudiciaire.
La voie judiciaire est la voie traditionnelle. Elle présuppose la saisine d’une juridiction et
s’empreint véritablement du système juridique auquel elle est soumise (par exemple, au niveau
procédural tant au niveau interne qu’européen apparait de larges différences selon les cultures
juridiques propres à chaque État). La voie extrajudiciaire, elle, se démarque par son
consensualisme, voie ouverte par le seul consentement des deux parties engagées. Ainsi, qu’un
accord existe a priori ou a posteriori les parties s’accordent pour se dégager du système judiciaire
classique. Le règlement consensuel est donc avant tout le règlement extra-judiciaire d’un litige, sa
définition peut comprendre ou non l’arbitrage, car celui-ci est une solution imposée aux parties (le
consensualisme ne reposant que sur la délégation à un tiers de la mission de juger les parties). En
toute hypothèse, le règlement consensuel peut prendre place au travers de la médiation, la
conciliation ou encore la transaction. C’est ce dernier type de mode de règlement alternatif des
litiges qui est aujourd’hui le plus usuel en droit de la concurrence. En effet, l’étude du règlement
consensuel des actions collectives ne peut pas se faire sans regarder outre-Atlantique avec le succès
relatif que connaît la transaction qui représente 95% du traitement du private enforcement . L’état46
larvaire du contentieux privé en Europe explique peut être la volonté des institutions européennes
de promouvoir les modes de règlement alternatif, même s’il est vrai que ce mouvement est plus
large et s’inscrit dans une politique globale commencée depuis le Conseil de Tampere de 1999.47
COUTRELIS, Nicole et ZIVY, Fabien in Davantage d’avantages pour le règlement consensuel des litiges ou la46
négociation plutôt que la confrontation, Lamyline, numéro 44, juillet-septembre 2015, p. 98 (4ème paragraphe)
Regulation (EU) No 524/2013 of the European Parliament and of the Council of 21 May 2013 on online dispute47
resolution for consumer disputes and amending Regulation (EC) No 2006/2004 and Directive 2009/22/EC (Regulation
on consumer ODR)
21
La question au travers du règlement consensuel est avant tout pour les parties à l’action de
comprendre les modalités des actions collectives, que ce soit au travers de leur fondement, de leur
efficacité ou tout simplement de questions pratiques sur le droit international privé applicable. Le
règlement consensuel s’impose dans un second temps comme un mode de traitement curatif du
risque des actions collectives en droit européen car il présente des avantages que n’offre pas le
traitement contentieux, notamment en terme de coût et de rapidité.
18. Révolution de la directive n°2014/104. La directive n°2014/104 (qui doit être transposée
d’ici décembre 2016) vient en partie révolutionner le paysage juridique des actions en dommages et
intérêts qui sont regardées comme un complément du travail des autorités publiques. Face à ces
deux facettes du droit de la concurrence, la directive propose d’accroître leur coordination tout en
respectant le droit à la réparation intégrale du préjudice. Pour cela, elle facilite la production de
preuves, affirme l’autorité des décisions des autorités de concurrence ou protège l’intérêt du
programme de clémence. Par ailleurs, elle crée un chapitre entier sur le règlement consensuel et
offre à cette voie extra-judiciaire des caractéristiques attractives en terme économique (notamment
par une possible réduction de l’amende des autorités nationales de concurrence). Au demeurant, la
directive sur les actions en dommages et intérêts pour violation du droit de la concurrence européen
est aussi le moment d’une consécration de principes jurisprudentiels acquis depuis longtemps. Elle
est surtout un moyen d’harmoniser les procédures des Etats membres de manière horizontale évitant
les inégalités de traitement et l’insécurité juridique qui prévalaient jusque là.
19. Opportunité et stratégie. La révolution juridique engendrée impose de repenser le
positionnement tant des entreprises que des consommateurs face aux actions collectives telles
qu’elles se présentent aujourd’hui au travers des différents systèmes juridiques au sein de l’Union
européenne. A priori, pour les entreprises s’impose un nouveau défi de gestion de ce type de
contentieux, un risque nouveau. Pour les consommateurs (ou plus globalement les victimes) se
propose une opportunité qu’il faudra gérer de manière efficiente.
Néanmoins, penser une opportunité et/ou une stratégie n’a de sens qu’en ce qu’elle s’inscrit dans
une perspective, un point de vue propre à un acteur. À titre liminaire, en ce qui concerne le point de
vue, l’objet de notre étude sera faite au regard des entreprises, néanmoins sera traité tout autant le
positionnement du consommateur comme un miroir à chaque situation analysée en l’espèce et
comme un risque et ou une opportunité à prendre en compte. Se présente donc à cet acteur un risque
nouveau qu’il faudra analyser pour ensuite s’interroger sur sa possible gestion. En outre, comme un
médecin il faudra d’abord cerner les tenants et aboutissants du risque avant de proposer un
traitement palliatif.
À ce titre, la gestion de ce changement de circonstance, de cette opportunité, nécessite tout d’abord
d’analyser l’environnement juridique et le risque actuel et potentiel des actions collectives (Partie
1). Par la suite, il conviendra de se pencher sur la gestion de ce risque par le règlement
extrajudiciaire des actions collectives (Partie 2).
22
« Lorsque le coup de tonnerre éclate, il est trop tard pour se boucher les oreilles. »
SUN TZU in L’art de la guerre, chapitre I, Champs classiques, page 127

23
PARTIE 1 - RISQUE DES ACTIONS COLLECTIVES EN DROIT DE LA
CONCURRENCE
20. Risque actuel et risque potentiel. L’analyse d’une opportunité et d’une stratégie du
règlement consensuel des litiges au regard des actions collectives en droit européen de la
concurrence nécessite un préalable de détermination du risque en question constitué par les actions
collectives. Risque, c’est-à-dire possibilité, probabilité d’un fait, d’un événement considéré comme
un mal ou un dommage qui s’incarne ici par l’action collective.
Il ne sera pas nié qu’une « action collective » ne puisse être qualifiée ontologiquement de risque,
mais comme il a été dit supra penser une stratégie nécessite bel et bien d’adopter téléologiquement
un point de vue. Dès lors, le choix est fait de penser ce renforcement voulu du private enforcement
comme un risque pour les entreprises (du fait d’une possible meilleure efficience de celui-ci par le
biais des actions collectives).
Ce risque, certes, n’est pas indépendant des faits de l’entreprise (au sens large) subissant une action
en justice, le demandeur démontrant bel et bien un intérêt à agir contre cette entreprise, néanmoins
il s’agit ici non pas de caractériser les comportements fautifs ou non, mais de gérer les demandes
suite à ces comportements. Dès lors, ce risque des actions collectives en droit de la concurrence,
nécessitera dans un premier temps de faire un état des lieux du risque actuel (Titre 1), pour ensuite,
appréhender de manière spéculative le risque potentiel encouru (Titre 2).
24
Titre 1 - Risque actuel
21. Droit de la concurrence européen et droits internes de la concurrence. Derrière la
question des actions de groupe en droit de la concurrence s’imbriquent indubitablement des
problématiques au regard du droit de la concurrence applicable et son champ d’application. En
effet, « quel droit de la concurrence » pour les actions collectives et « quelle action collective » ?
Quel droit de la concurrence ? La question semble déjà laisser présager la réponse : le droit de la
concurrence européen. Néanmoins, faut-il rappeler qu’aucun règlement ne régit les actions
collectives en droit européen et qu’en l’état actuel seule une directive qui sera étudiée infra (cf. Titre
2) donne un régime juridique concernant uniquement les actions en dommages et intérêts,
permettant une certaine harmonisation sur ce point.
Quelle action collective ? Les modalités juridiques des actions collectives sont souvent dépendantes
des traditions juridiques de chaque État. Par exemple, il suffit de penser notamment aux dommages
punitifs toujours refusés dans la tradition juridique française (se limitant à la réparation intégrale48
du préjudice) alors qu’ils sont ancrés dans la tradition du Common Law, ou encore à la procédure de
discovery ou au mareva injuction totalement inconnues en droit latin. Se dégage ainsi au sein de49 50
l’Union européenne une « diversité d’action collective » qu’il sera nécessaire de regarder plus en
profondeur (tout de même dans un souci de clarté et de concision, tous les systèmes juridiques ne
seront pas regardés, l’Europe étant constituée de plus de 28 pays et donc d’autant de systèmes
juridiques).
À ce titre, il semble opportun, en ce qui concerne le risque actuel des actions collectives, d’éclaircir
dans un premier temps, les racines juridiques de cette modalité d’agir en droit de la concurrence
européen (Chapitre 1), pour ensuite se pencher sur l’inégalité des droits substantiels et procéduraux
des actions collectives en concurrence dans les États membres (Chapitre 2).
défini dans le Black’s Law Dictionary comme : « la sanction financière prononcée à l’encontre de la partie48
succombante afin de sanctionner son comportement »
se caractérisant comme une modalité procédurale employée par une partie lors d’une action au civil ou au pénal,49
avant un procès, pour requérir de la partie adverse de divulguer des informations qui sont essentielles pour la demande
et que seule l’autre partie connaît ou possède.
qui peut être défini comme : « temporary injunction that freezes the assets of a party pending further order or final50
resolution by the Court, so named after the case which allowed the remedy », la sanction qui est le « contempt of court »
en fait la spécificité, celle-ci pouvant parfois prendre la forme d’une sanction pénale (c.f. Mareva Compania Naviera SA
v. International Bulkcarriers SA, [1975] 2 Lloyd's Rep 509 (C.A. 23 June 1975). , [1980] 1 All ER 213)
25
Chapitre 1 - Risque éthéré des actions collectives découlant du droit européen
22. Être et devoir-être. Nonobstant la nécessité certaine du développement du private
enforcement par le biais des actions collectives est de l’essence même du droit européen qui a
vocation à saisir ce contentieux (Section 1) et l’action majeure du droit prétorien venue pallier la
carence textuelle (Section 2), le droit européen reste aujourd’hui incapable d’offrir un cadre légal
efficient aux actions collectives comme cela peut être statiquement le cas notamment aux États-
Unis .51
Section 1 - Une vocation limitée du droit européen à promouvoir les actions collectives
23. Droit substantiel et champ d’application. Pour saisir l’applicabilité du droit européen aux
actions collectives en droit de la concurrence, il faut d’abord saisir le droit de la concurrence objet
de ces actions collectives. Or, pour s’en saisir il apparaît impérieux d’une part, d’en peindre le
champ d’application (§1) et d’autre part, de pointer le droit substantiel qui en est l’objet (§2).
§1) Champ d’application matériel du droit européen concurrentiel
24. Union européen et droit de la concurrence. Avant de plonger plus en avant dans le champ
d’application ratione loci de ce droit concurrentiel, source de l’action collective, il faut regarder en
quoi le droit de l’Union européenne a vocation à s’appliquer à cette hypothèse. L’Europe en tant que
construction économique d’un « marché unique » a utilisé le droit de la concurrence comme un outil
régulateur, en ce qu’il est normatif et dérégulateur, en ce qu’il permet de mettre à mal le
protectionisme et les barrières nationales. Le droit de la concurrence européen est donc un outil
essentiel à l’uniformisation européenne. Derrière cette uniformisation se transcrit une vision
économique du marché économique tel qu’il devrait être. Ce que l’on a ainsi dénommé
« l’économie sociale de marché » (Marktwirtschaft), qui s’organisera ainsi autour d’une forme
d’ordre économique, appuyée sur des règles spécifiques. Suivant la tradition ordo-libérale, l’État,
garant de la liberté individuelle dans la sphère économique, doit notamment empêcher que la
concurrence ne soit entravée par le comportement des agents dominants, que ceux-ci soient privés
ou publics.
Ainsi, textuellement, l’article 3.3 du Traité de l’Union Européenne précise bien que:
« l’Union établit un marché intérieur. Elle œuvre pour le développement durable de
l'Europe fondé sur une croissance économique équilibrée et sur la stabilité des prix, une
économie sociale de marché hautement compétitive ».
représentant environ 90% du volume contentieux total selon Kathleen Maguire in Antitrust cases filed in U.S. District51
Courts, by type of case 1975-2010 dans Sourcebook of Criminal Justice Statistics. University at Albany, Hindelang
Criminal Justice Research Center, (Table 5.41.2010).
26
Mouvement d’une prééminence du droit européen qui a conduit à élargir son champ de compétence
au fur et à mesure du temps pour un intégration renforcée. Ainsi, en décembre 1989, soit plus de
trente ans après la signature du Traité instituant la Communauté économique européenne et deux
ans seulement avant la date butoir de 1992 assignée à l’achèvement du marché unique, les pays
membres sont parvenus à un accord, qui a délégué à la Commission le pouvoir exclusif de contrôler
les opérations de concentration de dimension communautaire. Par la suite, les diverses directives
comme celle sur l’action en dommages-et-intérêts ou notamment les règlements concernant les
accords de franchise , la procédure , les accords verticaux constituant des ententes confirment52 53 54
cette tendance (comme aujourd’hui concernant la proposition sur le geo-blocking ).55
La construction européenne a donc dès le départ posé le droit de la concurrence en pierre angulaire
de sa fondation et son renforcement comme moteur à sa fortification.
25. Champ d’application. Il apparaît nécessaire de regarder l’assise territoriale du droit
européen de la concurrence.
En premier lieu, conformément à l’article 52 du TUE qui dispose que le droit de la concurrence
s'applique là ou le droit de l’Union s'applique, le droit européen de la concurrence régit les
entreprises présentes sur le territoire de l’espace économique européen (l’Union européenne,56
l'Islande, le Liechtenstein et la Norvège).
En deuxième lieu, il faut ajouter une extension jurisprudentielle par le biais de la doctrine de l’effet.
Selon cette théorie, les règles de concurrence nationale sont applicables aux entreprises étrangères,
mais aussi aux entreprises nationales établies en dehors du territoire national, lorsque leurs
comportements ou leurs opérations produisent un « effet » à l’intérieur de ce territoire.
La nationalité des entreprises est dénuée de pertinence en termes d’application des règles en matière
d’ententes, la théorie des effets vaut pour toutes les entreprises quelle que soit leur nationalité.
La Cour de justice a appliqué cette théorie pour une entente au travers plus spécifiquement de57
l’idée de « mise en oeuvre » au sein de l’espace économique européen par les entreprises,
restreignant l’applicabilité au seul « effet » au sein dudit espace. Par la suite, en ce qui concerne les
Règlement (CEE) n°4087/88 de la Commission du 30 novembre 1988 concernant l'application de l'article 8552
paragraphe 3 du traité à des catégories d'accords de franchise
Règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil du 16 décembre 2002 relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence53
prévues aux articles 81 et 82 du traité (Texte présentant de l'intérêt pour l'EEE)
Règlement (UE) n°33/2010 de la Commission du 20 avril 2010 concernant l’application de l’article 101, paragraphe54
3, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne à des catégories d’accords verticaux et de pratiques concertées.
Proposal for a Regulation of the European Parliament and of the Council on addressing geo-blocking and other forms55
of discrimination based on customers' nationality, place of residence or place of establishment within the internal market
and amending Regulation (EC) No 2006/2004 and Directive 2009/22/EC
suivant l'article 3 du traité sur l'Union européenne56
notamment CJCE, arrêt du 27 septembre 1988, Ahlström Osakeyhtiö e.a. contre Commission (« Pâtes de bois »),57
affaires jointes 89, 104, 114, 116, 117 et 125 à 129 / 85
27
concentrations, le Tribunal de première instance a pu user de cette théorie dans l’arrêt Gencor en58
concluant que :
« lorsqu’il est prévisible qu’une opération de concentration projetée par des entreprises
établies à l’extérieur de la Communauté produise un effet immédiat et substantiel dans
la Communauté, l’application du règlement n° 4064/89 [règlement sur les
concentrations] est justifiée au regard du droit international public ».
En troisième lieu, il faut ajouter la théorie de l’unité économique qui peut servir à imputer des
agissements de filiales à leurs sociétés-mères établies en dehors de l’Union européenne, notamment
l’arrêt du 14 juillet 1972 de la Cour de justice de la Communauté européenne (Imperial Chemical
Industries Ltd. contre Commission des Communautés européennes, affaire 48-69 qui précise au
point 139) :
« Qu’à défaut d’indications contraires, il convient de penser qu’à l’occasion des hausses
de 1965 et de 1967 la requérante n’a pas agi autrement dans ses rapports avec ses
filiales établies dans le marché commun; Que, dans ces conditions, la séparation
formelle entres ces sociétés, résultant de leur personnalité juridique distincte, ne
pourrait s’opposer à l’unité de leur comportement sur le marché aux fins de
l’application des règles de concurrence; Qu’ainsi, c’est bien la requérante qui a réalisé
la pratique concertée à l’intérieur du marché commun; Qu’il n’y a donc lieu de déclarer
que le moyen d’incompétence soulevé par la requérante n’est pas fondé; ».
Plus spécifiquement, les articles 101, 102 du TFUE sur les ententes et abus de position dominante
(cf. infra) s’appliquent aux situations « susceptibles d'affecter le commerce entre États membres ».59
La notion de « commerce » n’est pas limitée aux échanges transfrontaliers traditionnels de produits
et de services, mais a une portée plus large qui recouvre toute activité économique internationale, y
compris l’établissement. Cette interprétation concorde avec l’objectif fondamental du traité
consistant à favoriser la libre circulation des biens, des services, des personnes et des capitaux.
La condition de l’existence d’une affectation du commerce « entre pays de l’Union européenne »
suppose qu’il doit y avoir une incidence sur les activités économiques transfrontalières impliquant
au moins deux pays de l’UE ; La notion « susceptible d’affecter » met en exergue que l’accord en
cause doit, sur la base d’un ensemble d’éléments objectifs de droit ou de fait, permettre d’envisager
avec un degré de probabilité suffisant qu’il puisse exercer une influence directe ou indirecte,
actuelle ou potentielle, sur les courants d’échanges entre pays de l’Union européenne. De plus, il
faut que cela affecte « de manière sensible » le commerce (règle de minimis ), par exemple, dans sa60
communication concernant les accords d’importance mineure, la Commission déclare que les
accords entre petites et moyennes entreprises sont rarement en mesure d’affecter sensiblement le
Tribunal de première instance (TPI), arrêt du 25 mars 1999, Gencor contre Commission, affaire n° T-102/9658
Communication de la Commission - Lignes directrices relatives à la notion d’affectation du commerce figurant aux59
articles 81 et 82 du traité [Journal officiel n° C 101 du 27.4.2004].
avec notamment des indications utiles comme le seuil de 40 millions de chiffre d’affaires hors taxe et du seuil de 5%60
de part de marché
28
commerce entre pays de l’Union. Le lieu d’établissement de l’entreprise ou de conclusion de
l’accord est en toute état de cause irrelevant . De ces deux textes, combinés avec l’article 106 du61
TFUE (pour les entreprises publiques) apparaît l’essence même du private enforcement (en dehors
du droit des aides d’Etat ou des concentrations) mais reste la question de leurs articulations avec les
juridictions et droits internes.
26. Prééminence du droit européen. Comme le pointait déjà l’Avocat général Warner : « le
droit communautaire et le droit national opèrent en combinaison, le dernier occupant le terrain
lorsque le premier le quitte ». D’un point de vue du partage de compétence, après la réforme du62
règlement 17/62 , il y a la mise en place d’un système décentralisé d’application du droit63
européen ; par le biais notamment d’une zone de sécurité offerte par la mise en place d’exception
légale (exemption légale). Tout de même, la compétence de la Commission reste exclusive de celle
des juridictions ou autorités administratives des Etats membres nommés sous le vocable d’autorité
nationale de concurrence (ANC) , les Etats membres ont donc une compétence subsidiaire.64
Néanmoins, reste que les ANC doivent appliquer le droit de la concurrence européen si les autorités
européennes ne l’appliquent pas et qu’il est applicable (traduisant la décentralisation du contentieux
concurrentiel), et ceci, en sus de l’application du droit national de la concurrence (qui en tout état de
cause ne peut être contraire en droit européen). Le droit européen s’impose donc comme un
standard à suivre, une base minimale du droit concurrentiel qui peut même servir de grille de lecture
au droit interne. Ainsi, existe une complémentarité du droit interne et du droit européen même si
celle-ci n’est que le reliquat du la prééminence du droit européen.
§2) Droit substantiel de la concurrence comme assise à l’action individuelle
27. Entente/abus de position dominante et préjudice individuel. Concrètement en ce qui
concerne le droit « substantiel » (en ce qu’il se distingue de la procédure), il convient de regarder
les abus au droit de la concurrence au travers des abus de position dominante et les ententes.
En effet, c’est bien ces situations qui engendrent un surcoût direct pour le consommateur et
pourraient fonder son droit d’agir en justice en se fondant sur le droit européen de la concurrence.
Par ces normes c’est le fondement même du droit européen de la concurrence comme norme
invocable par le citoyen qui est en jeu et donc subsidiairement une possible action collective sur ce
fondement. En outre, les aides d’Etat relèvent d’un contentieux propre n’incluant pas la possibilité
Lignes directrices relatives à la notion d'affectation du commerce figurant aux articles 81 et 82 du traité61
(Communication de la Commission) au considérant 100: « Les articles 81 et 82 s'appliquent aux accords et pratiques
susceptibles d'affecter le commerce entre États membres, même si une ou plusieurs des parties sont établies à l'extérieur
de la Communauté (78). Les articles 81 et 82 s'appliquent quel que soit le lieu d'établissement des entreprises ou le
lieu de conclusion de l'accord, à condition que l'accord ou la pratique soit mis en œuvre (79) ou ait des effets (80) à
l'intérieur de la Communauté »
CJCE, arrêt du 16 décembre 1976, Rewe, aff. 33/76, Rec. 1989, et Comet, aff. 45/76, Rec. 2043, conclusions Warner.62
CEE Conseil: Règlement n° 17: Premier règlement d'application des articles 85 et 86 du traité63
Règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil du 16 décembre 2002 relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence64
prévues aux articles 81 et 82 du traité (Texte présentant de l'intérêt pour l'EEE)
29
directe pour un consommateur de s’ester en justice, celui-ci n’étant pas la victime de la « rupture »
d’égalité concurrentielle. En ce qui concerne le contrôle des concentrations, il s’agit d’un contrôle
anticoncurrentiel a priori, en toute hypothèse le contentieux relève de l’action des ANC et de la
Commission qui à défaut de notification peuvent notamment ordonner des injonctions et des
amendes subséquentes. Au demeurant, de manière complémentaire, la sanction des concentrations
peut a posteriori s’effectuer au travers du droit des ententes et des abus de position dominante. Ces
deux hypothèses ne seront donc peu ou prou pas développées, l’étude du risque se faisant au travers
du droit des pratiques comportementales de la concurrence (et non structurelles).
En ce qui concerne, les ententes le professeur Dubouis les définit comme : « les accords ou
pratiques concertés entre entreprises qui ont pour objet ou pour effet de restreindre la concurrence,
donc d’une manière certaine de cloisonner le marché ».65
Autrement dit, il s’agit de tout partage de marché, fixation de quota de production ou accord sur les
prix entre entreprises pour les maintenir artificiellement élevés. Ces différents comportements
faussent le marché, au détriment des consommateurs et des autres producteurs victimes de ces
pratiques, qui paient leurs biens de consommation à un prix plus élevé ou sont évincés.
L’article 101 § 1 et § 2 TFUE (remplacement l’article 81 du Traité instituant la Communauté
européenne ) dispose ainsi que :66
« 1. Sont incompatibles avec le marché intérieur et interdits tous accords entre
entreprises, toutes décisions d'associations d'entreprises et toutes pratiques concertées,
qui sont susceptibles d'affecter le commerce entre États membres et qui ont pour objet ou
pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur
du marché intérieur, et notamment ceux qui consistent à:
a) fixer de façon directe ou indirecte les prix d'achat ou de vente ou d'autres conditions
de transaction,
b) limiter ou contrôler la production, les débouchés, le développement technique ou les
investissements,
c) répartir les marchés ou les sources d'approvisionnement,
d) appliquer, à l'égard de partenaires commerciaux, des conditions inégales à des
prestations équivalentes en leur infligeant de ce fait un désavantage dans la concurrence,
e) subordonner la conclusion de contrats à l'acceptation, par les partenaires, de
prestations supplémentaires qui, par leur nature ou selon les usages commerciaux, n'ont
pas de lien avec l'objet de ces contrats.
2. Les accords ou décisions interdits en vertu du présent article sont nuls de plein droit. »
Cet article fonde le principe de la nullité de plein droit des accords ou décisions interdites avec un
effet direct. Dès lors, il appartient aux juridictions nationales de constater la nullité des dispositions
concernées et d’en déterminer les effets. De plus, cette nullité a un caractère absolue, ce qui rend
DUBOUIS, Louis et BLUMANN, Claude in Droit matériel de l’Union Européenne, 6ème Edition Domat droit public65
Montchrestien, année 2012
en outre, lors de l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne le 1er
décembre 2009, les articles 81 et 82 du traité instituant66
la Communauté européenne sont devenus les articles 101 et 102 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne
restant identiques en substance
30
l’accord imposable aux tiers , et a, en principe, un caractère rétroactif . Qui plus est, des sanctions67 68
pécuniaires peuvent être infligées par la Commission à l’entreprise contrevenante dans le cadre du
public enforcement.
En ce qui concerne les abus de position dominante, il s’agit de la situation de puissance économique
détenue par une entreprise qui lui donne le pouvoir de faire obstacle au maintien d’une concurrence
effective sur un marché, en lui fournissant la possibilité de comportements indépendants vis-à-vis
de ses concurrents. En outre, cette domination est appréciée in concreto. Le fait qu’elle existe n’est
pas en soi sanctionnable car uniquement l’abus de position dominante est sanctionné (sans regarder
son caractère intentionnel ou non d’ailleurs ).69
L’article 102 TFUE dispose quant à lui que :
« Est incompatible avec le marché intérieur et interdit, dans la mesure où le commerce
entre États membres est susceptible d'en être affecté, le fait pour une ou plusieurs
entreprises d'exploiter de façon abusive une position dominante sur le marché intérieur
ou dans une partie substantielle de celui-ci.
Ces pratiques abusives peuvent notamment consister à :
a) imposer de façon directe ou indirecte des prix d'achat ou de vente ou d'autres
conditions de transaction non équitables,
b) limiter la production, les débouchés ou le développement technique au préjudice des
consommateurs,
c) appliquer à l'égard de partenaires commerciaux des conditions inégales à des
prestations équivalentes, en leur infligeant de ce fait un désavantage dans la
concurrence,
d) subordonner la conclusion de contrats à l'acceptation, par les partenaires, de
prestations supplémentaires qui, par leur nature ou selon les usages commerciaux, n'ont
pas de lien avec l'objet de ces contrats. »
En outre, la sanction est prévue aux articles 5 et 7 du règlement n°1/2003 prévoyant notamment que
la Commission ou les autorités nationales de concurrence (ANC) peuvent imposer des sanctions
pécuniaires en cas d’infraction.
La philosophie de ces textes s’inscrit dans un logique de public enforcement ou « contentieux
objectif », en effet, il s’agit ontologiquement de fournir à la Commission les moyens juridiques de70
sanctionner un cloisonnement du marché mais pas de nourrir le « contentieux subjectif ».
Cela apparaît par exemple au regard des sanctions qui sont essentiellement la nullité et des amendes
permettant uniquement de rétablir l’ordre public économique.
CJCE, arrêt du 25 novembre 1971, Béquelin, 22/71 Rec. 549.67
CJCE, arrêt du 6 février 1973, Brasserie de Haecht, 48/72, Rec.77.68
CJCE, arrêt du 13 février 1979. Hoffmann-La Roche & Co. AG contre Commission des Communautés européennes.69
en ce que le préjudice causé s’apprécie de manière objective et non subjective, c’est-à-dire au regard d’un acteur en70
particulier
31
28. Harmonisation de la politique européenne de concurrence Le droit substantiel étudié ne
peut être efficient que s’il est appliqué de manière homogène.
En outre, les directives successives et règlements (notamment le règlement n°1/2003 sur la
procédure) assurent une harmonie législative certaine, renforcée par les lignes directrices de la
Commission qui servent de grille de lecture et sont utilisées tant par les juridictions européennes71
qu’internes. De plus, dans tous ces textes, le droit européen est fondé sur des définitions propres,
des notions « autonomes » qui sont souvent différentes que celles des droits nationaux, la définition
donnée soit par les textes ou lignes directrices ou par le juge européen permet une homogénéité
d’interprétation ; sans oublier que la plupart des dispositions sont d’effet direct. Cette interprétation
uniforme est surtout permise par les questions préjudicielles, où une juridiction nationale interroge
la Cour de justice de l’Union européenne sur le droit de l’Union européenne. Qui plus est, celle-ci
est aussi assurée par le Réseau européen de la concurrence (REC), structure informelle, facilitant la
coordination entre les autorités chargées de la concurrence. Au demeurant, ce réseau est aussi
essentiel en tant qu’outil permettant une certaine homogénéité dans l’application du droit de la
concurrence européen par chaque Etat membre.
Cette harmonisation permet une sécurité juridique. En outre, l’étude de l’analyse économique de
cette norme (hard ou soft law) entre dans la nécessaire gestion par l’acteur soumis à celle-ci
(l’entreprise essentiellement) du cadre analytique et de la grille de lecture à prendre en compte, au
delà même d’une opportunité, il s’agit d’une nécessité. Dès lors, la stratégie ne pouvant se déployer
vis-à-vis de ces institutions, au-delà d’une « stratégie de rupture », que par une communication dans
la même langue, le même dialecte et la règle doit mutatis mutandis suivre une logique
compréhensive, pour les sujets de droit, sur un marché unique.
29. Rapport entre les articles 101 et 102 TFUE et le private enforcement. Malgré ces textes
normatifs (articles 101 et 102 TFUE) prévoyant des normes concurrentielles, apparaît le constat
qu’avant la directive n°2014/104 aucun texte européen n’avait prévu des modalités techniques de
possibles actions collectives pour violation desdits textes. Pire encore, aucun texte ne prévoyait les
modalités du private enforcement, c’est-à-dire qu’aucun texte européen ne donnait un droit à agir au
consommateur lésé du fait d’une entente ou d’un abus de position dominante. Il y avait donc un
vide juridique sidéral dans l’efficience même du droit antitrust européen.
Ainsi, le préjudice des entreprises victimes et des consommateurs était laissé au seul droit interne
des Etats membres de l’Union européenne. Mais comment expliquer cette incapacité à légiférer sur
ce point crucial ? Ce néant juridique pouvait s’expliquer en particulier par la volonté d’établir en
priorité l’efficience du marché unique par le public enforcement et les quatre piliers : libre
circulation des biens, libre circulation des capitaux, libre circulation des services, libre circulation
des personnes (ceci au détriment du private enforcement dont l’application est délocalisée dans les
ANC).
comme précisé par le Conseil Constitutionnel français (Décision n° 00-D-82 du 26 février 2001) : « règlement71
précité, sans être applicable à une affaire dans laquelle seul le droit national a été invoqué, peut constituer un guide
d’analyse utile ».
32
Face à ce constat et à l’inaction du législateur européen, le juge intervient donc pour développer le
contentieux subjectif . Pour cela, le juge communautaire a fait preuve d’ingéniosité pour combler72
le vide juridique et a créé de manière prétorienne des droits subjectifs aux particuliers, victime
d’une violation de l’ordre public économique.
Section 2 - Un accroissement prétorien du droit d’agir des victimes limité
30. Action prétorienne et reconnaissance de droit. Comme souvent les juges européens ont
joué un rôle central pour combler le droit de la concurrence, ainsi ils ont cherché à étendre son
application par le biais de la reconnaissance de la qualité à agir en cas de faute concurrentielle (§1)
mais aussi, par une analyse plus profonde du préjudice économique (§2).
§1) Extension de la qualité à agir
31. Qualité à agir et intérêt à agir. La qualité à agir est le « titre juridique en vertu duquel on
agit », c’est donc au niveau processuel la forme que prend l’usage d’un droit substantiel.73
Par principe, la démonstration de l’intérêt à agir suffit pour agir en justice sauf si le législateur a
créé des actions attitrés où une certaine qualité à agir est demandée (traduisant ainsi une certaine
politique juridique).
32. Extension prétorienne du droit à réparation. Un coup de tonnerre éclate dans le ciel du
temple concurrentiel quand résonne le 20 septembre 2001 l’arrêt Courage qui affirme, malgré le
vide textuel, que le droit à réparation des infractions au droit de la concurrence tire son fondement74
des principes du droit communautaire et qu’il s’applique dans certaines conditions à tous, du
particulier à l’entreprise contrevenante. En outre, les juges pointent que le droit substantiel et son
effectivité signifient pour les justiciables l’existence nécessaire d’un droit subjectif d’action. Plus
précisément, celui-ci découle de l'effet direct horizontal des articles 101 et 102 TFUE qui
ALBORS-LLORENS, Albertina in Courage v. Crehan: Judicial activism or consistent approach ?, Cambridge Law72
Journal, vol. 61 issue 1 march 2002, p. 38 : « the judgment can be construed as an endorsement from the Court of [...]
the Commission's competition policy. [...] it implicitly favours the achievement of the main objective pursued by the
recent proposals for the reform of the current system of enforcement of the EC competition rules, namely the fully
decentralised application of article 81 EC ».
VOGEL, Louis in Les actions civiles de concurrence. Union européenne, France, Allemagne, Royaume-Uni, Italie,73
Suisse, États-Unis, p. 36.
il faut noter que ce droit à réparation a une assise constitutionnelle en droit français (cf. Conseil constitutionnel,74
décision n°2010-2 QPC du 11 juin 2010, Mme Viviane L., considérant 11 : « Considérant qu'aux termes de l'article 4
de la Déclaration de 1789 : « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui » ; qu'il résulte de ces
dispositions qu'en principe, tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute
duquel il est arrivé à le réparer ; que la faculté d'agir en responsabilité met en œuvre cette exigence
constitutionnelle ; que, toutefois, cette dernière ne fait pas obstacle à ce que le législateur aménage, pour un motif
d'intérêt général, les conditions dans lesquelles la responsabilité peut être engagée ; qu'il peut ainsi, pour un tel motif,
apporter à ce principe des exclusions ou des limitations à condition qu'il n'en résulte pas une atteinte disproportionnée
aux droits des victimes d'actes fautifs ainsi qu'au droit à un recours juridictionnel effectif qui découle de l'article 16 de
la Déclaration de 1789 »)
33
« produisent des effets directs dans les relations entre les particuliers et engendrent des droits dans
le chef des justiciables ».75
L’arrêt se contente ici de reprendre la formule de principe utilisée par les arrêts Van Gend & Loos ,76
Francovitch ou Delimitis , qui concernaient eux la responsabilité des Etats, selon laquelle les77 78
sujets de l’ordre juridique communautaire :
« sont non seulement les Etats membres, mais également leurs ressortissants et que, de
même qu’il crée des charges dans le chef des particuliers, le droit communautaire est
aussi destiné à engendrer des droits qui entrent dans leur patrimoine juridique; ceux-ci
naissent non seulement lorsqu’une attribution explicite en est faite par le traité, mais
aussi en raison d’obligations que le traité impose d' une manière bien définie tant aux
particuliers qu’aux Etats membres et aux institutions communautaires ».
Cette qualité à agir en réparation du préjudice a une autre justification théorique qui ressort, par
ailleurs de la nature même de la sanction qui est une nullité « absolue » c’est-à-dire invocable par
quiconque. Comme le souligne les Conclusions de l’Avocat général M. Jean Mischo présentées le
22 mars 2001 :
« 22. Comme la nullité de plein droit constitue, ainsi que la Commission l'a rappelé à
juste titre, la sanction fondamentale prévue par l'article 81, paragraphe 2, CE en ce qui
concerne les contrats interdits en vertu du paragraphe 1 du même article, tout obstacle
opposé à cette sanction, en l'espèce par une interdiction pour le cocontractant de
l'invoquer, priverait partiellement cette dis- position d’effet. »
L’arrêt étonne aussi par l’extension du droit à réparation à une partie membre d’un accord
anticoncurrentiel et de l’utilisation du concept d’ « effet utile » pour asseoir le droit à réparation ; en
effet l’arrêt dit bien que :
« 26. La pleine efficacité de l'article 85 du traité et, en particulier, l'effet utile de
l'interdiction énoncée à son paragraphe 1 seraient mis en cause si toute personne ne
pouvait demander réparation du dommage que lui aurait causé un contrat ou un
comportement susceptible de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence.
27. Un tel droit renforce, en effet, le caractère opérationnel des règles communautaires
de concurrence et est de nature à décourager les accords ou pratiques, souvent
dissimulés, susceptibles de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence. Dans cette
perspective, les actions en dommages-intérêts devant les juridictions nationales sont
susceptibles de contribuer substantiellement au maintien d’une concurrence effective
dans la Communauté. »
CJCE, arrêt du 20 septembre 2001, aff. C-453/99, Courage Ltd c. Bernard Crehan, §2375
CJCE, arrêt du 5 février 1963, aff. 26-62, NV Algemene Transport- en Expeditie Onderneming van Gend & Loos76
contre Administration fiscale néerlandaise, Rec. p. 3, pt. 23
CJCE, arrêt du 19 novembre 1991, aff. C-6/90 et C-9/90, Andrea Francovich et Danila Bonifaci et a. contre77
République italienne, Rec. p. I-5357, pt. 31
CJCE, arrêt du 28 février 1991, Aff. C-234/89, Delimitis, Rec. p. I-935.78
34
En outre, comme le pointe David Bosco : « une partie à un accord prohibé par l’article 81 CE doit
pouvoir réclamer une indemnisation à son cocontractant s’il ne porte pas une responsabilité
significative dans la distorsion de concurrence ».79
M. l’Avocat général Mischo argumentait sur ce sens en vertu du : « 39. […] principe de droit selon
lequel une partie ne peut profiter de sa propre turpitude ». Il aurait pu être rétorqué (suivant
d’ailleurs le raisonnement de la jurisprudence anglaise sur ce point) que le contrat est la « chose des
parties », le consentement mutuel est la traduction juridique d’une volonté commune d’atteindre un
objectif partagé qui se traduit par le contrat. Ainsi, l’action en réparation du contractant a pour objet
de profiter d’une situation juridique que le cocontractant a lui même façonné et ainsi se prévaloir de
sa propre turpitude.
De jure, le raisonnement susmentionné semble juste, mais de facto, cela serait faire fi de la réalité
économique qui entoure le contrat. Le déséquilibre dans la négociation contractuelle s’impose
parfois comme une condition même du contrat pour une partie faible (face à la puissance de
négocier de la partie économiquement forte). C’est cette solution pragmatique que les juges
européens ont choisi en demandant de rechercher la responsabilité dans la distorsion de
concurrence. Ce qui demande aux juges dans leurs appréciations souveraines de regarder par
exemple le contexte économique et juridique, le pouvoir de négociation de chacun pour savoir si le
demandeur a été le véritable instigateur de l’entente illicite ou si celle-ci lui a plutôt été imposée par
son partenaire ; l’action étant refusée si la partie demanderesse a « responsabilité significative dans
la distorsion de la concurrence ». Le Cour de justice pose tout de même une garde-fou qui est que
la protection offerte par le droit communautaire : « n'entraîne pas un enrichissement sans cause des
ayants droit ».80
Toutefois, consciente de l’absence d’harmonisation européenne, la Cour de justice mentionne la
nécessité d’avoir recours aux droits nationaux concernant les modalités procédurales capables
d’assurer les droits que les justiciables tirent de l’ « effet direct » du droit communautaire .81
Elle renvoie ainsi au principe de l’autonomie procédurale des États membres. Autonomie bornée par
les principes d’équivalence et d’effectivité. En outre, les modalités en question ne doivent en effet
pas être moins favorables que celles concernant des recours similaires de nature interne, et ne
doivent pas non plus rendre pratiquement impossible ou excessivement difficile l’exercice des
droits conférés.
Néanmoins, comme le soulève Guillaume Zambrano, en utilisant le critère de responsabilité
« significative » comme critère préalable à la responsabilité de la partie adverse, la Cour de justice
de manière prétorienne introduit un nouveau élément au droit substantiel de la responsabilité
BOSCO, David in Note sous CJCE, 20 septembre 2001, Courage Ltd et Bernard Creham, aff. C-453/99 Droit 21,79
2001, Chr., AJ 462
point 30 et voir, notamment en ce sens : CJCE, arrêt du 4 octobre 1979, Ireks-Arkady/Conseil et Commission,80
238/78, Rec. p. 2955, point 14
le droit anglais, la jurisprudence italienne et le législateur allemand ont dû étendre ainsi le droit d’agir à « toute81
personne »
Opportunité et stratégie du règlement consensuel des litiges au regard des actions collectives en droit européen de la concurrence
Opportunité et stratégie du règlement consensuel des litiges au regard des actions collectives en droit européen de la concurrence
Opportunité et stratégie du règlement consensuel des litiges au regard des actions collectives en droit européen de la concurrence
Opportunité et stratégie du règlement consensuel des litiges au regard des actions collectives en droit européen de la concurrence
Opportunité et stratégie du règlement consensuel des litiges au regard des actions collectives en droit européen de la concurrence
Opportunité et stratégie du règlement consensuel des litiges au regard des actions collectives en droit européen de la concurrence
Opportunité et stratégie du règlement consensuel des litiges au regard des actions collectives en droit européen de la concurrence
Opportunité et stratégie du règlement consensuel des litiges au regard des actions collectives en droit européen de la concurrence
Opportunité et stratégie du règlement consensuel des litiges au regard des actions collectives en droit européen de la concurrence
Opportunité et stratégie du règlement consensuel des litiges au regard des actions collectives en droit européen de la concurrence
Opportunité et stratégie du règlement consensuel des litiges au regard des actions collectives en droit européen de la concurrence
Opportunité et stratégie du règlement consensuel des litiges au regard des actions collectives en droit européen de la concurrence
Opportunité et stratégie du règlement consensuel des litiges au regard des actions collectives en droit européen de la concurrence
Opportunité et stratégie du règlement consensuel des litiges au regard des actions collectives en droit européen de la concurrence
Opportunité et stratégie du règlement consensuel des litiges au regard des actions collectives en droit européen de la concurrence
Opportunité et stratégie du règlement consensuel des litiges au regard des actions collectives en droit européen de la concurrence
Opportunité et stratégie du règlement consensuel des litiges au regard des actions collectives en droit européen de la concurrence
Opportunité et stratégie du règlement consensuel des litiges au regard des actions collectives en droit européen de la concurrence
Opportunité et stratégie du règlement consensuel des litiges au regard des actions collectives en droit européen de la concurrence
Opportunité et stratégie du règlement consensuel des litiges au regard des actions collectives en droit européen de la concurrence
Opportunité et stratégie du règlement consensuel des litiges au regard des actions collectives en droit européen de la concurrence
Opportunité et stratégie du règlement consensuel des litiges au regard des actions collectives en droit européen de la concurrence
Opportunité et stratégie du règlement consensuel des litiges au regard des actions collectives en droit européen de la concurrence
Opportunité et stratégie du règlement consensuel des litiges au regard des actions collectives en droit européen de la concurrence
Opportunité et stratégie du règlement consensuel des litiges au regard des actions collectives en droit européen de la concurrence
Opportunité et stratégie du règlement consensuel des litiges au regard des actions collectives en droit européen de la concurrence
Opportunité et stratégie du règlement consensuel des litiges au regard des actions collectives en droit européen de la concurrence
Opportunité et stratégie du règlement consensuel des litiges au regard des actions collectives en droit européen de la concurrence
Opportunité et stratégie du règlement consensuel des litiges au regard des actions collectives en droit européen de la concurrence
Opportunité et stratégie du règlement consensuel des litiges au regard des actions collectives en droit européen de la concurrence
Opportunité et stratégie du règlement consensuel des litiges au regard des actions collectives en droit européen de la concurrence
Opportunité et stratégie du règlement consensuel des litiges au regard des actions collectives en droit européen de la concurrence
Opportunité et stratégie du règlement consensuel des litiges au regard des actions collectives en droit européen de la concurrence
Opportunité et stratégie du règlement consensuel des litiges au regard des actions collectives en droit européen de la concurrence
Opportunité et stratégie du règlement consensuel des litiges au regard des actions collectives en droit européen de la concurrence
Opportunité et stratégie du règlement consensuel des litiges au regard des actions collectives en droit européen de la concurrence
Opportunité et stratégie du règlement consensuel des litiges au regard des actions collectives en droit européen de la concurrence
Opportunité et stratégie du règlement consensuel des litiges au regard des actions collectives en droit européen de la concurrence
Opportunité et stratégie du règlement consensuel des litiges au regard des actions collectives en droit européen de la concurrence
Opportunité et stratégie du règlement consensuel des litiges au regard des actions collectives en droit européen de la concurrence
Opportunité et stratégie du règlement consensuel des litiges au regard des actions collectives en droit européen de la concurrence
Opportunité et stratégie du règlement consensuel des litiges au regard des actions collectives en droit européen de la concurrence
Opportunité et stratégie du règlement consensuel des litiges au regard des actions collectives en droit européen de la concurrence
Opportunité et stratégie du règlement consensuel des litiges au regard des actions collectives en droit européen de la concurrence
Opportunité et stratégie du règlement consensuel des litiges au regard des actions collectives en droit européen de la concurrence
Opportunité et stratégie du règlement consensuel des litiges au regard des actions collectives en droit européen de la concurrence
Opportunité et stratégie du règlement consensuel des litiges au regard des actions collectives en droit européen de la concurrence
Opportunité et stratégie du règlement consensuel des litiges au regard des actions collectives en droit européen de la concurrence
Opportunité et stratégie du règlement consensuel des litiges au regard des actions collectives en droit européen de la concurrence
Opportunité et stratégie du règlement consensuel des litiges au regard des actions collectives en droit européen de la concurrence
Opportunité et stratégie du règlement consensuel des litiges au regard des actions collectives en droit européen de la concurrence
Opportunité et stratégie du règlement consensuel des litiges au regard des actions collectives en droit européen de la concurrence
Opportunité et stratégie du règlement consensuel des litiges au regard des actions collectives en droit européen de la concurrence
Opportunité et stratégie du règlement consensuel des litiges au regard des actions collectives en droit européen de la concurrence
Opportunité et stratégie du règlement consensuel des litiges au regard des actions collectives en droit européen de la concurrence
Opportunité et stratégie du règlement consensuel des litiges au regard des actions collectives en droit européen de la concurrence
Opportunité et stratégie du règlement consensuel des litiges au regard des actions collectives en droit européen de la concurrence
Opportunité et stratégie du règlement consensuel des litiges au regard des actions collectives en droit européen de la concurrence
Opportunité et stratégie du règlement consensuel des litiges au regard des actions collectives en droit européen de la concurrence
Opportunité et stratégie du règlement consensuel des litiges au regard des actions collectives en droit européen de la concurrence
Opportunité et stratégie du règlement consensuel des litiges au regard des actions collectives en droit européen de la concurrence
Opportunité et stratégie du règlement consensuel des litiges au regard des actions collectives en droit européen de la concurrence
Opportunité et stratégie du règlement consensuel des litiges au regard des actions collectives en droit européen de la concurrence
Opportunité et stratégie du règlement consensuel des litiges au regard des actions collectives en droit européen de la concurrence
Opportunité et stratégie du règlement consensuel des litiges au regard des actions collectives en droit européen de la concurrence
Opportunité et stratégie du règlement consensuel des litiges au regard des actions collectives en droit européen de la concurrence
Opportunité et stratégie du règlement consensuel des litiges au regard des actions collectives en droit européen de la concurrence
Opportunité et stratégie du règlement consensuel des litiges au regard des actions collectives en droit européen de la concurrence
Opportunité et stratégie du règlement consensuel des litiges au regard des actions collectives en droit européen de la concurrence
Opportunité et stratégie du règlement consensuel des litiges au regard des actions collectives en droit européen de la concurrence
Opportunité et stratégie du règlement consensuel des litiges au regard des actions collectives en droit européen de la concurrence
Opportunité et stratégie du règlement consensuel des litiges au regard des actions collectives en droit européen de la concurrence
Opportunité et stratégie du règlement consensuel des litiges au regard des actions collectives en droit européen de la concurrence
Opportunité et stratégie du règlement consensuel des litiges au regard des actions collectives en droit européen de la concurrence
Opportunité et stratégie du règlement consensuel des litiges au regard des actions collectives en droit européen de la concurrence
Opportunité et stratégie du règlement consensuel des litiges au regard des actions collectives en droit européen de la concurrence
Opportunité et stratégie du règlement consensuel des litiges au regard des actions collectives en droit européen de la concurrence
Opportunité et stratégie du règlement consensuel des litiges au regard des actions collectives en droit européen de la concurrence
Opportunité et stratégie du règlement consensuel des litiges au regard des actions collectives en droit européen de la concurrence
Opportunité et stratégie du règlement consensuel des litiges au regard des actions collectives en droit européen de la concurrence
Opportunité et stratégie du règlement consensuel des litiges au regard des actions collectives en droit européen de la concurrence
Opportunité et stratégie du règlement consensuel des litiges au regard des actions collectives en droit européen de la concurrence
Opportunité et stratégie du règlement consensuel des litiges au regard des actions collectives en droit européen de la concurrence
Opportunité et stratégie du règlement consensuel des litiges au regard des actions collectives en droit européen de la concurrence
Opportunité et stratégie du règlement consensuel des litiges au regard des actions collectives en droit européen de la concurrence
Opportunité et stratégie du règlement consensuel des litiges au regard des actions collectives en droit européen de la concurrence
Opportunité et stratégie du règlement consensuel des litiges au regard des actions collectives en droit européen de la concurrence
Opportunité et stratégie du règlement consensuel des litiges au regard des actions collectives en droit européen de la concurrence
Opportunité et stratégie du règlement consensuel des litiges au regard des actions collectives en droit européen de la concurrence
Opportunité et stratégie du règlement consensuel des litiges au regard des actions collectives en droit européen de la concurrence
Opportunité et stratégie du règlement consensuel des litiges au regard des actions collectives en droit européen de la concurrence
Opportunité et stratégie du règlement consensuel des litiges au regard des actions collectives en droit européen de la concurrence
Opportunité et stratégie du règlement consensuel des litiges au regard des actions collectives en droit européen de la concurrence
Opportunité et stratégie du règlement consensuel des litiges au regard des actions collectives en droit européen de la concurrence
Opportunité et stratégie du règlement consensuel des litiges au regard des actions collectives en droit européen de la concurrence
Opportunité et stratégie du règlement consensuel des litiges au regard des actions collectives en droit européen de la concurrence
Opportunité et stratégie du règlement consensuel des litiges au regard des actions collectives en droit européen de la concurrence
Opportunité et stratégie du règlement consensuel des litiges au regard des actions collectives en droit européen de la concurrence
Opportunité et stratégie du règlement consensuel des litiges au regard des actions collectives en droit européen de la concurrence
Opportunité et stratégie du règlement consensuel des litiges au regard des actions collectives en droit européen de la concurrence
Opportunité et stratégie du règlement consensuel des litiges au regard des actions collectives en droit européen de la concurrence
Opportunité et stratégie du règlement consensuel des litiges au regard des actions collectives en droit européen de la concurrence
Opportunité et stratégie du règlement consensuel des litiges au regard des actions collectives en droit européen de la concurrence
Opportunité et stratégie du règlement consensuel des litiges au regard des actions collectives en droit européen de la concurrence
Opportunité et stratégie du règlement consensuel des litiges au regard des actions collectives en droit européen de la concurrence
Opportunité et stratégie du règlement consensuel des litiges au regard des actions collectives en droit européen de la concurrence
Opportunité et stratégie du règlement consensuel des litiges au regard des actions collectives en droit européen de la concurrence
Opportunité et stratégie du règlement consensuel des litiges au regard des actions collectives en droit européen de la concurrence
Opportunité et stratégie du règlement consensuel des litiges au regard des actions collectives en droit européen de la concurrence
Opportunité et stratégie du règlement consensuel des litiges au regard des actions collectives en droit européen de la concurrence
Opportunité et stratégie du règlement consensuel des litiges au regard des actions collectives en droit européen de la concurrence
Opportunité et stratégie du règlement consensuel des litiges au regard des actions collectives en droit européen de la concurrence
Opportunité et stratégie du règlement consensuel des litiges au regard des actions collectives en droit européen de la concurrence
Opportunité et stratégie du règlement consensuel des litiges au regard des actions collectives en droit européen de la concurrence
Opportunité et stratégie du règlement consensuel des litiges au regard des actions collectives en droit européen de la concurrence
Opportunité et stratégie du règlement consensuel des litiges au regard des actions collectives en droit européen de la concurrence
Opportunité et stratégie du règlement consensuel des litiges au regard des actions collectives en droit européen de la concurrence
Opportunité et stratégie du règlement consensuel des litiges au regard des actions collectives en droit européen de la concurrence
Opportunité et stratégie du règlement consensuel des litiges au regard des actions collectives en droit européen de la concurrence
Opportunité et stratégie du règlement consensuel des litiges au regard des actions collectives en droit européen de la concurrence
Opportunité et stratégie du règlement consensuel des litiges au regard des actions collectives en droit européen de la concurrence
Opportunité et stratégie du règlement consensuel des litiges au regard des actions collectives en droit européen de la concurrence
Opportunité et stratégie du règlement consensuel des litiges au regard des actions collectives en droit européen de la concurrence
Opportunité et stratégie du règlement consensuel des litiges au regard des actions collectives en droit européen de la concurrence
Opportunité et stratégie du règlement consensuel des litiges au regard des actions collectives en droit européen de la concurrence
Opportunité et stratégie du règlement consensuel des litiges au regard des actions collectives en droit européen de la concurrence
Opportunité et stratégie du règlement consensuel des litiges au regard des actions collectives en droit européen de la concurrence
Opportunité et stratégie du règlement consensuel des litiges au regard des actions collectives en droit européen de la concurrence
Opportunité et stratégie du règlement consensuel des litiges au regard des actions collectives en droit européen de la concurrence
Opportunité et stratégie du règlement consensuel des litiges au regard des actions collectives en droit européen de la concurrence
Opportunité et stratégie du règlement consensuel des litiges au regard des actions collectives en droit européen de la concurrence

Contenu connexe

Similaire à Opportunité et stratégie du règlement consensuel des litiges au regard des actions collectives en droit européen de la concurrence

Colloque apdc 250914 table ronde olivier freget
Colloque apdc 250914   table ronde olivier fregetColloque apdc 250914   table ronde olivier freget
Colloque apdc 250914 table ronde olivier fregetFTDP
 
La concurrence « libre et non faussée, par les mérites », un authentique proj...
La concurrence « libre et non faussée, par les mérites », un authentique proj...La concurrence « libre et non faussée, par les mérites », un authentique proj...
La concurrence « libre et non faussée, par les mérites », un authentique proj...FTDP
 
Exposé final (l abus de faiblesse)
Exposé final (l abus de faiblesse)Exposé final (l abus de faiblesse)
Exposé final (l abus de faiblesse)Soufian Nouali
 
Les élus face à l'enquête pénale (procédures - audition)
Les élus face à l'enquête pénale (procédures - audition)Les élus face à l'enquête pénale (procédures - audition)
Les élus face à l'enquête pénale (procédures - audition)mairie2000
 
FCPA - La France face au droit américain de la lutte anti-corruption
FCPA - La France face au droit américain de la lutte anti-corruptionFCPA - La France face au droit américain de la lutte anti-corruption
FCPA - La France face au droit américain de la lutte anti-corruptionEmmanuel Breen
 
Libres propos fédéralistes
Libres propos fédéralistesLibres propos fédéralistes
Libres propos fédéralistesABARNOU
 
Loi sapin II
Loi sapin IILoi sapin II
Loi sapin IIMarket iT
 
Michel BARNIER, Membre de la Commission européenne, chargé du Marché intérieu...
Michel BARNIER, Membre de la Commission européenne, chargé du Marché intérieu...Michel BARNIER, Membre de la Commission européenne, chargé du Marché intérieu...
Michel BARNIER, Membre de la Commission européenne, chargé du Marché intérieu...Market Engel SAS
 
Cahiers du droit table ronde apcef - février 2014
Cahiers du droit   table ronde apcef - février 2014Cahiers du droit   table ronde apcef - février 2014
Cahiers du droit table ronde apcef - février 2014Mikael Ouaniche
 
Faut il supprimer la limitation de responsabilité en matière de créances ma...
  Faut il supprimer la limitation de responsabilité en matière de créances ma...  Faut il supprimer la limitation de responsabilité en matière de créances ma...
Faut il supprimer la limitation de responsabilité en matière de créances ma...Rabah HELAL
 
Echo du 8 juillet article médiation conciliation
Echo du 8 juillet article médiation conciliationEcho du 8 juillet article médiation conciliation
Echo du 8 juillet article médiation conciliationPierre Fabeck, ir.
 
Mediateur de la_republique_rapport_annuel_2010
Mediateur de la_republique_rapport_annuel_2010Mediateur de la_republique_rapport_annuel_2010
Mediateur de la_republique_rapport_annuel_2010Jerome Messinguiral
 
Droit et innovations radicales - présentation du 25 mai 2015
Droit et innovations radicales - présentation du 25 mai 2015Droit et innovations radicales - présentation du 25 mai 2015
Droit et innovations radicales - présentation du 25 mai 2015Vermeille & Co
 
2015 07-26 la requête en autorisation de recours collectif déposé au québec
2015 07-26 la requête en autorisation de recours collectif déposé au québec2015 07-26 la requête en autorisation de recours collectif déposé au québec
2015 07-26 la requête en autorisation de recours collectif déposé au québecgerard samet
 
2015 07-27 droit de réponse au figaro et à Me Courtois et à Me Busy
2015 07-27 droit de réponse au figaro et à Me Courtois et à Me Busy2015 07-27 droit de réponse au figaro et à Me Courtois et à Me Busy
2015 07-27 droit de réponse au figaro et à Me Courtois et à Me Busygerard samet
 
Sapin 2, Lutter efficacement contre la coruption
Sapin 2, Lutter efficacement contre la coruptionSapin 2, Lutter efficacement contre la coruption
Sapin 2, Lutter efficacement contre la coruptionRaphael GAUVAIN
 
Aide à la détection des opérations financières susceptibles d'être liées à la...
Aide à la détection des opérations financières susceptibles d'être liées à la...Aide à la détection des opérations financières susceptibles d'être liées à la...
Aide à la détection des opérations financières susceptibles d'être liées à la...A3C - Expert Comptable à Dunkerque
 
Revue Lamy Concurrence 2010 N°22-1560, pp.110-118.
Revue Lamy Concurrence 2010 N°22-1560, pp.110-118.Revue Lamy Concurrence 2010 N°22-1560, pp.110-118.
Revue Lamy Concurrence 2010 N°22-1560, pp.110-118.Anne Tercinet
 
"Ruptures" de Serge Portelli
"Ruptures" de Serge Portelli"Ruptures" de Serge Portelli
"Ruptures" de Serge PortelliKelek Szasz
 
La sanction juridique du mensonge juridique
La sanction juridique du mensonge juridiqueLa sanction juridique du mensonge juridique
La sanction juridique du mensonge juridiqueInstitut pour la Justice
 

Similaire à Opportunité et stratégie du règlement consensuel des litiges au regard des actions collectives en droit européen de la concurrence (20)

Colloque apdc 250914 table ronde olivier freget
Colloque apdc 250914   table ronde olivier fregetColloque apdc 250914   table ronde olivier freget
Colloque apdc 250914 table ronde olivier freget
 
La concurrence « libre et non faussée, par les mérites », un authentique proj...
La concurrence « libre et non faussée, par les mérites », un authentique proj...La concurrence « libre et non faussée, par les mérites », un authentique proj...
La concurrence « libre et non faussée, par les mérites », un authentique proj...
 
Exposé final (l abus de faiblesse)
Exposé final (l abus de faiblesse)Exposé final (l abus de faiblesse)
Exposé final (l abus de faiblesse)
 
Les élus face à l'enquête pénale (procédures - audition)
Les élus face à l'enquête pénale (procédures - audition)Les élus face à l'enquête pénale (procédures - audition)
Les élus face à l'enquête pénale (procédures - audition)
 
FCPA - La France face au droit américain de la lutte anti-corruption
FCPA - La France face au droit américain de la lutte anti-corruptionFCPA - La France face au droit américain de la lutte anti-corruption
FCPA - La France face au droit américain de la lutte anti-corruption
 
Libres propos fédéralistes
Libres propos fédéralistesLibres propos fédéralistes
Libres propos fédéralistes
 
Loi sapin II
Loi sapin IILoi sapin II
Loi sapin II
 
Michel BARNIER, Membre de la Commission européenne, chargé du Marché intérieu...
Michel BARNIER, Membre de la Commission européenne, chargé du Marché intérieu...Michel BARNIER, Membre de la Commission européenne, chargé du Marché intérieu...
Michel BARNIER, Membre de la Commission européenne, chargé du Marché intérieu...
 
Cahiers du droit table ronde apcef - février 2014
Cahiers du droit   table ronde apcef - février 2014Cahiers du droit   table ronde apcef - février 2014
Cahiers du droit table ronde apcef - février 2014
 
Faut il supprimer la limitation de responsabilité en matière de créances ma...
  Faut il supprimer la limitation de responsabilité en matière de créances ma...  Faut il supprimer la limitation de responsabilité en matière de créances ma...
Faut il supprimer la limitation de responsabilité en matière de créances ma...
 
Echo du 8 juillet article médiation conciliation
Echo du 8 juillet article médiation conciliationEcho du 8 juillet article médiation conciliation
Echo du 8 juillet article médiation conciliation
 
Mediateur de la_republique_rapport_annuel_2010
Mediateur de la_republique_rapport_annuel_2010Mediateur de la_republique_rapport_annuel_2010
Mediateur de la_republique_rapport_annuel_2010
 
Droit et innovations radicales - présentation du 25 mai 2015
Droit et innovations radicales - présentation du 25 mai 2015Droit et innovations radicales - présentation du 25 mai 2015
Droit et innovations radicales - présentation du 25 mai 2015
 
2015 07-26 la requête en autorisation de recours collectif déposé au québec
2015 07-26 la requête en autorisation de recours collectif déposé au québec2015 07-26 la requête en autorisation de recours collectif déposé au québec
2015 07-26 la requête en autorisation de recours collectif déposé au québec
 
2015 07-27 droit de réponse au figaro et à Me Courtois et à Me Busy
2015 07-27 droit de réponse au figaro et à Me Courtois et à Me Busy2015 07-27 droit de réponse au figaro et à Me Courtois et à Me Busy
2015 07-27 droit de réponse au figaro et à Me Courtois et à Me Busy
 
Sapin 2, Lutter efficacement contre la coruption
Sapin 2, Lutter efficacement contre la coruptionSapin 2, Lutter efficacement contre la coruption
Sapin 2, Lutter efficacement contre la coruption
 
Aide à la détection des opérations financières susceptibles d'être liées à la...
Aide à la détection des opérations financières susceptibles d'être liées à la...Aide à la détection des opérations financières susceptibles d'être liées à la...
Aide à la détection des opérations financières susceptibles d'être liées à la...
 
Revue Lamy Concurrence 2010 N°22-1560, pp.110-118.
Revue Lamy Concurrence 2010 N°22-1560, pp.110-118.Revue Lamy Concurrence 2010 N°22-1560, pp.110-118.
Revue Lamy Concurrence 2010 N°22-1560, pp.110-118.
 
"Ruptures" de Serge Portelli
"Ruptures" de Serge Portelli"Ruptures" de Serge Portelli
"Ruptures" de Serge Portelli
 
La sanction juridique du mensonge juridique
La sanction juridique du mensonge juridiqueLa sanction juridique du mensonge juridique
La sanction juridique du mensonge juridique
 

Opportunité et stratégie du règlement consensuel des litiges au regard des actions collectives en droit européen de la concurrence

  • 1. Université de Montpellier Centre du Droit de l’Entreprise Année : 2016 Mémoire soutenu par M. Édouard BRUC Titre : Directeurs de mémoire : Guillaume ZAMBRANO Maître de conférences en Droit privé Marie-Pierre DUMONT-LEFRAND Professeur à la Faculté de Droit de Montpellier Opportunité et stratégie du règlement consensuel des litiges au regard des actions collectives en droit européen de la concurrence
  • 2. 2 « La Faculté de Droit et de Science Politique n’entend donner aucune approbation ni improbation aux opinions émises dans ce mémoire ; ces opinions doivent être considérées comme propres à leur auteur »
  • 3. 3 « Et pourtant le droit gnomique enferme en ses replis bien plus de possibilités qu’on n’en soupçonnerait en se contentant du De minimis… habituel. Car, malgré les apparences, il ne s’est jamais résigné sans remords à abandonner les menus litiges aux ténèbres extérieurs, et il a frayé les chemins sentimentaux ou idéologiques par où les petits peuvent faire écouter leurs plaintes, voire combiner leurs attaque » CARBONNIER, Jean in De minimis non curat praetor, in Mélanges dédiés à Jean Vincent, Dalloz, 1981, p. 29-37
  • 4. 4 RÉSUMÉ L’opportunité du règlement consensuel des actions collectives (ou class action) demande de regarder dans un premier temps son sujet qui est l’action collective. L’action collective pourrait se décrire comme l’action holiste faite de l’agrégation d’actions individuelles. L’existence d’une action collective en droit de la concurrence est le produit en Europe d’un éclatement du droit en droits subjectifs par l’arrêt Courage de la Cour de justice. En effet, en donnant un droit d’agir à tout justiciable en cas de préjudice découlant d’une infraction au droit de la concurrence, le juge a donné une assise à l’hypothèse même d’une collectivisation des préjudices. Malgré la volonté du juge européen, reste l’incapacité du législateur à créer un régime harmonisé d’actions collectives au niveau européen. Cette incapacité frappe les victimes que ce soient les entreprises ou les consommateurs qui subissent une insécurité juridique et une inégalité de traitement face à une action collective selon les droits internes applicables. Ainsi, un risque de forum shopping apparaît au regard des lois contemporaines de droit international privé. La directive n°2014/104 vient en partie révolutionner le paysage juridique des actions en dommages et intérêts qui sont regardées comme un complément du travail des autorités publiques. Ce travail, le public enforcement se caractérise par la sanction, l’amende donnée aux entreprises contrevenantes. Elle frappe l’auteur parfois comme un coup de tonnerre du fait de l’importance de son montant. L’action individuelle en dommages et intérêts pour le surcoût payé par la victime, du fait de son caractère sporadique, s’apparente plus à une pluie agrégée de petites gouttes correspondant au préjudice personnel de chacun. Face à ces deux facettes du droit de la concurrence, la directive propose d’accroître leur coordination tout en respectant le droit à la réparation intégrale du préjudice. Pour cela, elle facilite la production de preuves, affirme l’autorité des décisions des autorités de concurrence ou protège l’intérêt du programme de clémence. Ce renforcement des modalités du contentieux privé touche directement les actions collectives qui n’en sont qu’une modalité procédurale. Par ailleurs, reste que le risque des actions collectives doit être nuancé au regard de l’apathie rationnelle du consommateur et des difficultés propres au contentieux concurrentiel notamment sur le terrain de la caractérisation du préjudice et de sa répartition. Le législateur européen face à ces difficultés voit dans le règlement consensuel une opportunité de règlement rapide et efficace du contentieux. Il cherche à promouvoir ce type de règlement amiable quitte à créer une course au règlement extra-judiciaire pour les entreprises. Le règlement consensuel a aussi d’autres qualités qui sont notamment la disparition de l’aléa de la sanction. Aléa qui peut en outre être réduit par des procédures de compliance qui pourront au demeurant être utilement utilisées lors du contentieux judiciaire ou extra-judiciaire. Enfin, l’ouverture légalisée par la directive d’un marché européen de la cession de créances indemnitaires peut être un risque pour l’entreprise du fait de l’établissement de marchands de procès, mais cela peut aussi être cyniquement une opportunité dans sa recherche de la baisse du coût infractionnel. 

  • 5. 5 REMERCIEMENTS Je tiens à remercier toutes les personnes qui m’ont aidé dans la rédaction de ce mémoire. Tout d’abord, mes directeurs de mémoire : M. le maître de conférences Guillaume Zambrano pour sa vision approfondie du sujet et son aide jusqu’au dernier instant et Mme. le professeur Marie- Pierre Dumont-Lefrand pour ses encouragements. Mme. le professeur Carine Jallamion qui a toujours été bienveillante et d’un soutien indéfectible. Je voudrais adresser aussi un mot particulier à mon ami Pierre Nicolas avec qui j’ai toujours pu partager des réflexions juridiques enrichissantes. Mais aussi, mes voisines, Vérène et Mélanie qui m’ont soutenu et ont apporté de la lumière dans mon quotidien. Mes amis qui m’ont chaleureusement entouré et immuablement supporté pendant tant de temps : Clément, Léonor, Loïc, Julie, Joan, Marie, Ivan, Romain, Stivian. Ma grand mère qui me souhaite toujours le meilleur. Mon frère et mes soeurs, pour leurs présences. Mes parents qui m’ont inlassablement soutenu depuis mon premier cri. Enfin, mon grand père à qui je dédie ce mémoire.
  • 6. 6 SOMMAIRE INTRODUCTION PARTIE 1 -RISQUE DES ACTIONS COLLECTIVES EN DROIT DE LA CONCURRENCE Titre 1 - Risque actuel Chapitre 1: Risque éthéré des actions collectives découlant du droit européen Chapitre 2: Risque inégal des actions collectives découlant des droits internes Titre 2 - Risque potentiel Chapitre 1 - Potentiel accru des actions collectives au travers de la directive sur les actions en dommages et intérêts Chapitre 2 - Obstacles pratiques à l’efficacité des actions collectives PARTIE 2 -GESTION DU RISQUE PAR LE BIAIS DU RÈGLEMENT EXTRA-JUDICIAIRE Titre 1 - Opportunité des modes de règlements consensuels Chapitre 1 - Les différents modes de règlement consensuel Chapitre 2 - Les modalités concrètes d’utilisation des règlements consensuels Titre 2 - Stratégie des modes de règlements consensuels face aux actions collectives Chapitre 1 - Gestion opportune de l’action collective par le règlement extra-judiciaire Chapitre 2 - Gestion intensive par l’entreprise de l’action collective et de son règlement consensuel BIBLIOGRAPHIE TABLES DES MATIÈRES

  • 7. 7 ABREVIATIONS ADR : Alternative Dispute Resolution (modes alternatifs de résolution des conflits) ANC : Autorité nationale de la concurrence C. com : Code de commerce C. cons. : Code de la consommation C. civ : Code civil CE : Conseil européen CEDH : Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ou Convention européenne des droits de l'homme Cour EDH : Cour européenne des droits de l’homme CJCE : Cour de justice des Communautés européennes CJUE : Cour de justice de l’Union européenne 
 DG comp.. : Direction générale de la concurrence de la Commission européenne EEE : Espace économique européen Ibidem : même endroit i.e. : c’est-à-dire MARC: modes alternatifs de résolution des conflits PE : Parlement européen PME: petites et moyennes entreprises REC : Réseau européen de concurrence TFUE : Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne TUE : Traité instituant l'Union européenne UE : Union européenne
  • 8. 8 INTRODUCTION 1. Une opportunité stratégique. « Y croire sans y croire, ne rien faire pour tout faire, se donner, sous les ordres de la Dame-Fortune, les moyens et le temps d’agir, en ne sachant pas ce que l’action deviendra et en considérant qu’une bonne intention peut dégénérer de façon perverse ou qu’à quelque chose malheur est bon. Le machiavélisme, dans sa partie descriptive, est un grand traité de stratégie, une science rationnelle de l’efficacité qui débouche presque sur la théorie des jeux. La politique n’est plus une fin en soi. Elle devient une panoplie de moyens, un art du réalisme, de l’ajustement permanent, de la négociation » pointe Michel Bergès.1 Ainsi, homme aux mille visages, le Prince s’évertue au travers de la virtù à faire sien la Fortuna,2 combat démesuré entre la volonté d’un seul et une destinée commune, une mécanique imprévisible. Lutte individuelle contre la collectivité ou révolte collective contre le souverain, pour le Prince, il faut faire preuve d’allocentrisme en se figurant tous les points de vue. Vision instable du Prince qui doit se mettre en abîme, se démultiplier en autant de points de vue que d’acteurs. Multiplicité donc, mais surtout métamorphose, mutation animalière du Prince qui se transforme au gré des événements. Le bestiaire princier c’est avant tout un prolongement politique de sa stratégie. Dès lors, penser une stratégie en s’adaptant à toutes les circonstances, faire face à l’imprévisible, c’est prendre l’opportunité. Penser l’opportunité, c’est porter, rapporter quelque chose aisément, c’est in fine prendre une position avantageuse. Il est donc à la fois question d’action par l’usage de la stratégie qui par sa nature même s’inscrit dans le mouvement: l’acte ; là où l’opportunité3 caractérise un fait. Fait et acte ainsi se font face, mais cette subdivision n’a de sens que si elle s’inscrit, s’incarne au travers d’un acteur à qui elle se propose. 2. La stratégie dans l’opportunité. Penser l’opportunité comme un fait extérieur peut a priori être juste, ce qui est opportun c’est nécessairement ce qui est l’intériorisation d’une extériorité,4 d’une possibilité qui se présente. Mais l’opportunité ne peut s’étaler à la vue que d’un acteur qui la perçoit, tout comme la stratégie pour la saisir. Par conséquent, il s’agit de caractériser face à une opportunité la pluralité de perceptions possible de celle-ci, qui pourront ainsi en devenir les acteurs. BERGÈS, Michel in Machiavel, un penseur masqué ?, édité en 2000, Editions Complexe, p.2971 MACHIAVEL, Nicolas in Le Prince paru en 15322 celle-ci se définissant comme une : « Partie de l'art militaire qui consiste à préparer, à diriger l'ensemble des3 opérations de la guerre. […] Il s'emploie aussi figurément et désigne l'Art de manoeuvrer. » in Dictionnaire de l’Académie Française, 8ème édition (1932-1935) en effet, intérioriser c’est bel et bien le « processus psychanalytique qui consiste à transporter à l'intérieur de soi les4 conflits auxquels un sujet est confronté dans le monde extérieur » (Larousse) or pas d’opportunité sans subjectivité et un extérieur à soi-même.
  • 9. 9 Opportunité au pluriel et stratégie multiple, car la stratégie incarnée par un acteur s’inscrit dans sa volonté, elle est ainsi un ensemble de manières d'organiser, de structurer un travail, de coordonner une série d'actions, un ensemble de conduites en fonction d'un résultat .5 Celle-ci peut s’inscrire dans l’action ou l’inaction, comme le rappelle d’ailleurs la distinction du Code civil de 1804. Mais reste à l’horizon la question substantielle de l’objectif, du résultat voulu. 3. Stratégie et concurrence. En l’occurrence, la question du résultat après ce préambule pour saisir l’enjeu ne s’écarte pas tant de l’oeuvre de Nicolas Machiavel. Cette oeuvre politique trouve aussi un écho au travers de la notion de Politikè, ou de l’art politique c’est-à-dire la pratique du pouvoir, celle-ci s’inscrivant dans une lutte. La concurrence est donc aussi un art de la politique. Art de la politique et politique de la concurrence se présente donc en un miroir et son reflet face à un même acteur. En ce qui concerne la concurrence comme miroir, i.e. siège darwinien d’une lutte intestine entre des acteurs pour le pouvoir. Elle s’inscrit dans un paradigme au travers d’acteurs choisis dans un univers qu’il est nécessaire de qualifier de capitaliste . Dès lors, la concurrence est6 une lutte qui dans ce paradigme est fatalement économique. Elle se reflète au travers d’acteurs qui ne peuvent être choisis qu’au regard de la norme, de la politique de la concurrence. En ce qui concerne la concurrence comme politique, ce reflet d’une perception de la réalité se traduit par un intentionnalisme. En conséquence, cette lutte économique peut prendre place comme reflet au travers de deux types de surface, de cadre qui techniquement, idéologiquement s’opposent diamétralement. Modèle économique dit classique (voir néo-classique) ou modèle marxiste ; liberté dite « absolue » ou planification de l’économie se proposent comme une méthodologie d’appréhension économique. Prosaïquement, le modèle européen de concurrence s’éloigne pour partie du « laissez-faire, laissez-passer » mais s’écarte largement du dirigisme économique.7 4. Domination du droit européen. Partant du postulat d’une correction du marché, il s’agit dans un premier temps d’asseoir le marché unique comme défini dans l’article 3 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne . Dans un second temps, il s’agit véritablement au-delà8 d’uniformiser ce marché de créer des instances supra-étatiques correctrices du marché et établissant au passage sa suprématie. Ce quasi-monopole du droit européen de la concurrence sur les droits internes est aujourd’hui factuel (voir infra point 26). Centre national de ressources textuelles et lexicales, définition de « stratégie »5 il apparaît nécessaire de partir du postulat que les acteurs (ici économique) s’inscrivent dans une concurrence au6 travers d’un « système de production dont les fondements sont l'entreprise privée et la liberté du marché » (définition du capitalisme du dictionnaire Larousse) aphorisme apparu au XVIIIème siècle attribué à Vincent DE GOURNAY (1712-1759)7 Au titre du préambule : « reconnaissant que l'élimination des obstacles existants appelle une action concertée en vue8 de garantir la stabilité dans l'expansion, l'équilibre dans les échanges et la loyauté dans la concurrence » mais aussi à divers articles, dont l’article 3 « b) l'établissement des règles de concurrence nécessaires au fonctionnement du marché intérieur; »
  • 10. 10 5. Politique de la concurrence. La règle juridique comme expression du politique en droit européen n’est donc que le reflet d’une idéologie qu’il sera nécessaire de saisir pour en comprendre la forme et la transformation tant passées que futures. Plus concrètement, la loi régule des acteurs, acteurs économiques qui seront définis comme : le consommateur, l’entreprise et l’Etat. En outre, ils agissent sur un marché défini par une offre et une demande. Schématiquement, le droit européen s’inscrit dans ce marché et part du postulat que celui- ci est faussé par l’abus. Sans son intervention apparaît ainsi une asymétrie entre les acteurs, asymétrie structurelle qu’elle essaye conjoncturellement de corriger. Dès lors, « la concurrence apparaît de plus en plus comme une forme d’organisation et non plus comme un état naturel, spontané, normal ». Il n’y a pas de « invisible hand » ou une théorie hayékienne de l’ordre auto-9 10 organisé du marché (« spontaneous order ») au yeux du législateur européen. Bien au contraire, il11 s’agit de « faire concurrence » et non pas de « laisser-faire concurrence ». Dès lors, le législateur met en place un cadre juridique qui se veut prescriptif, prohibitif mais surtout dissuasif. 6. Appréciation économique du droit européen. Derrière ce cadre se dévoile ainsi une norme propre au droit de la concurrence qui est fluctuante au gré de l’appréciation plus ou moins libérale ou interventionniste faite du « marché » tant par le législateur au travers des textes de loi et des lignes directrices que par les juges eux-mêmes. Apparaît ainsi la question sous-jacente de toute étude contextuelle de l’idéologie majoritaire (ou même de la dogma) interne aux racines du12 raisonnement tant du législateur que des institutions ou des juges. À partir de ce constat, il apparaît incohérent et abscons de ne pas se pencher sur la vision économique, car celle-ci est le fondement idéologique de la politique tant législative que jurisprudentielle des institutions en charge de créer ce droit de la concurrence. En effet, la compréhension de l’approche économique prise par les institutions européennes nécessite de regarder cette analyse par le prisme de trois écoles de pensée et de courants modernes plus diffus : Harvard, Chicago, Fribourg et « théorie contemporaine des jeux non coopératifs » et modèle de Porter. 7. Ecole d’Harvard. Pour l’école structuraliste d’Harvard, la structure détermine les comportements, il faut intervenir pour réglementer la structure. Ainsi, après avoir déterminé juridiquement la nature d’un accord, il faut définir le marché pertinent avant d’analyser la structure dudit marché. Plus concrètement, la thèse structuraliste se traduit par le « modèle SCP » d’Edward Mason . Ce paradigme s’articule autour de trois séries de critères interdépendants : la structure (S)13 FARIAT, Gérard in Pour un droit économique, PUF, Paris, 1994 p.459 SMITH, Adam in The Wealth of Nations, paru en 1776, Livre IV, Chapitre II, paragraphe IX10 VON HAYEK, Friedrich August in Law, Legislation and Liberty, a new statement of the liberal principles of justice11 and political economy, Volume I, Rules and Order, The University Chicago Press, p.36 au-delà de l’aspect virtuel de penser pouvoir saisir une « courant de pensée » uniformisé à un instant précis12 MASON, Edward S., in Price and Production Policies of Large-Scale Enterprise, American Economic Review, paru13 en mars 1939, vol.29, no 1
  • 11. 11 du marché (caractérisée par la présence ou l’absence de barrières à l’entrée et la mauvaise ou bonne information des entreprises), les comportements (C) des agents économiques (soit une rivalité intense exercée entre les différents concurrents et une absence de discrimination déraisonnable, soit une collusion tacite ou expresse entre les acteurs de marché) et la performance (P) du marché (en tenant en compte du niveau des prix, de la production et de l’innovation). En vertu de ce paradigme, la structure du marché conditionne la concurrence qui y règne. La relation entre la structure du marché et le pouvoir de marché dépend essentiellement des conditions d’entrée sur le marché, à savoir l’existence de barrières à l’entrée, qui sont définies par Joe Bain comme : « The extent to which, in the long run, established firms can elevate their selling prices above minimal average costs of production and distribution without including potential entrants to enter the industry ».14 In fine se posent deux questions majeures : le degré de concentration au sein du marché pertinent15 mais aussi les barrières à l’entrée, la croissance de ces indicateurs augmentant le risque de comportement anticoncurrentiel. Ce paradigme impose donc aux autorités en charge de la concurrence de répondre par une politique appréhendée au travers de ces deux paramètres. 8. Ecole de Chicago. Pour l’école de Chicago prend pied tout d’abord dans « l’école de l’offre », critiquant le modèle SCP qui est, selon ce courant, trop basé sur le modèle de concurrence pure et parfaite des Classiques . Le théoricien phare contemporain est Richard Posner (par16 17 ailleurs juriste), il a une approche dynamique de la concurrence, envisagée comme un processus de sélection des entreprises les plus efficaces. En outre, il faut inverser le modèle SCP. En effet, ce sont les comportements des entreprises et les performances qui déterminent la concentration industrielle. Ainsi, l’entreprise qui propose un produit de meilleure qualité que ses concurrents acquiert une nouvelle clientèle et pourra, ainsi, détenir une position dominante. La concentration du marché est alors due aux différences de performance entre entreprises, l’entreprise en position dominante étant simplement meilleure que ses concurrentes. Il est donc surtout question d’efficience sur un marché, la concentration pouvant simplement en être le résultat. Qui plus est, les barrières à l’entrée, or l’exception de barrière légale, ne sont que l’effet de cette efficience. Par exemple l’existence d’un monopole peut être justifiée car d’autres entreprises peuvent, si elles le souhaitent, y entrer ; le postulat est donc que ce monopole existe parce que l’entreprise monopolistique est la seule capable de satisfaire la demande aux conditions requises. BAIN, Joe in Industrial Organization, paru en 1968, John Wiley and Sons, New York, p. 25214 « small is beautiful » pour reprendre l’expression de David Encaoua et Roger Guesnerie15 KNIGHT, Frank in Risk, Uncertainty and Profit, paru en 1921 où la concurrence pure et parfaite est définie par une16 structure de marché parfaite avec une : atomicité de l'offre et de la demande, homogénéité du produit, liberté d'entrer et de sortir du marché, information parfaite des acteurs sur le marché, mobilité parfaite des facteurs de production POSNER, Richard Allen in The Chicago School of Antitrust Analysis, University of Pennsylvania Law Review, paru17 en 1979, Vol.127, no.4, pp. 925-948
  • 12. 12 Par ailleurs, à la fin des années soixante-dix émerge la théorie dite des « contestable markets ».18 Cette théorie met l’accent sur le rôle de la concurrence potentielle comme contrainte pesant sur le pouvoir de marché des entreprises actives dans un secteur d’activité. Il y a deux moteurs à celle-ci : l’absence de barrières à l’entrée et à la sortie du marché (sans coût). Ainsi, les entreprises en place maintiennent leurs prix au niveau concurrentiel en raison de la menace constante représentée par les entrants potentiels (en cas de prix trop élevés notamment). Ce paradigme impose donc une intervention plus fluette des autorités, se limitant à éliminer les barrières légales à l’entrée et à la sortie, mais oblige à se pencher plus amplement sur les gains d’une structure ou un comportement qui pourraient paraître anticoncurrentiels .19 La défense de la concurrence dans la loi allemande est garante de la liberté économique des acteurs qu’elle préserve des abus de pouvoir exercé par les entreprises dominantes : la concurrence est un objet de droit qu’il convient de protéger en soi. L’objectif diffère ainsi de celui qui a fini par prévaloir aux États-Unis en la matière, à savoir la promotion de l’efficacité économique. Selon Posner (2001, p. 29) : « l’efficacité est l’objectif ultime de l’antitrust, mais la concurrence est un objectif intermédiaire qui est souvent suffisamment proche de l’objectif ultime pour éviter aux tribunaux de pousser plus loin leurs investigations ». 9. Ecole de Fribourg. Courant de pensée libéral européen dit d’« ordolibéralisme » selon lequel la mission économique de l'État est de créer et maintenir un cadre normatif permettant la concurrence libre et non faussée entre les entreprises. Pour les ordolibéraux, il s’agit par là de créer une économie sociale de marché, qui assume l'idée que le libre-marché est naturellement social. Pour Walter Eucken, l’ordre de la concurrence n’est pas un ordre naturel, il faut intervenir pour le corriger. Ainsi, l’État intervient donc dans la vie économique de deux façons : en fixant des règles et en les faisant appliquer et respecter. Il s’agit de valoriser l'ordre (en référence à la théorie augustinienne de l'ordre) et de réguler par le biais de l’État (Etat-ordonnateur) ; l'ordolibéralisme se distingue du libéralisme classique basé sur la dérégulation et le « laissez-faire ». Idéologie normative, il est nécessaire de trouver une véritable constitution permettant une efficience concurrentielle , l’ordre concurrentiel en découlant est justifié par l’aspect démocratique de la20 société. S’inspirant des travaux de Heinrich von Stackelberg , il s’agit que l’ordre économique21 réalise une concurrence parfaite dont les points clefs sont la libre formation des prix et des marchés atomistiques, ce qui suppose une abolition de l’imposition des prix et une législation sur les cartels. BAUMOL, William, PANZAR, John, WILLIG, Robert in Contestable Markets and the Theory of Industry Structure,18 Harcourt Brace Jovanovich, Revised edition 1988. Richard Posner précisant ainsi que « that the design of antitrust rules should take into account the costs and benefits19 of individualized assessment of challenged practices relative to the costs and benefits of the rule of thumb prohibitions, notably the per se rules of antitrust illegality » (in Antitrust Law, Second Edition, University of Chicago Press, édition de 2009, Préface, ix) COMMUN, Patricia in L’ordolibéralisme allemand, aux sources de l’économie sociale de marché, paru en 2003,20 CIRAC/CICC, édition Broché, pp.95-100 modèle d’analyse de duopole complétant les travaux d’Antoine Courront et Joseph Bertrand21
  • 13. 13 Courant aujourd’hui consacré au moins textuellement au travers de l’article 3 du Traité de l’Union22 européenne qui use directement d’ « économie sociale de marché » mais aussi économiquement (au travers de la politique de stabilité monétaire de la Banque centrale européenne). 10. Théorie des jeux non coopératifs et modèle de Porter. Émergent deux courants dominants basés sur les concepts de « théorie des jeux » et de « forces de Porter ». En ce qui concerne la théorie des jeux non coopératifs (en dehors d’une position d’entente), elle incarne un retour de balancier post-Chicago. La théorie des jeux s’intéresse à des situations où des « joueurs » ou « agents » prennent des décisions, chacun prenant en compte que les gains dépendent de sa propre décision que de celle des autres « joueurs ». Plus précisément, la théorie des jeux « non coopératifs » s’inscrit dans une modélisation des interactions stratégiques entre différents joueurs qui ne cherchent pas à se coordonner. Elle s’accompagne aussi d’une prise en compte explicite des asymétries d’information qui peuvent exister entre les acteurs et du postulat d’une rationalité de chacun des joueurs (recherche d’un optimum propre). Tout d’abord, cette théorie réhabilite l’équilibre de Cournot. Celui-ci s’inscrivant dans le cadre d’un duopole où chaque firme considère la production de son concurrent comme une donnée. Chaque entreprise choisit simultanément ce qu’elle va produire en considérant le niveau de production de l’autre comme acquis, ce qui conduit à un équilibre de Nash (i.e. une situation dans laquelle aucun joueur n’a intérêt à changer de23 stratégie). L’anticipation est donc essentielle à l’équilibre de Nash et la théorie des jeux non coopératifs recentre le débat sur : d’une part, les prix (notamment : prix limite, le prix de prédation, les compressions de marge, les remises de prix et les baisses sélectives de prix) mais aussi, sur d’autres facteurs extérieurs au prix : les informations transmises aux autres acteurs, les signaux fournis par les acteurs, ou encore les ventes liées, les clauses d’exclusivité et les refus de vente. À partir de ces données, chaque acteur agit en conséquence et doit chercher la position la plus avantageuse au regard notamment des informations qu’il a sur le marché pertinent en question et du prix et autres barrières sur le marché. Il y a donc une prise en compte explicite des asymétries d’information qui peuvent exister entre les acteurs. En ce qui concerne le modèle des « cinq forces de Porter », élaboré en 1979 par le professeur24 Michael Porter, la notion de concurrence est élargie et désigne tout acteur économique capable de réduire la capacité potentielle des entreprises à créer du profit. Selon Michael Porter, la structure et même idéologiquement comme en atteste l’ancien commissaire à la concurrence Karel Van Miert, dans son22 discours à l’occasion de la réception du prix Ludwig Erhard en 1998 : « Si l’on a fait dès le départ des règles de la concurrence l’un des piliers de base du Traité CEE, c’est en grande partie à l’influence de l’Allemagne où ce thème occupait à l’époque le devant de la scène. C’est donc avant tout à l’Allemagne que l’on doit le fait que la concurrence se soit vue accorder dès le début une importance si grande et qu’elle ait presque joué le rôle de fondement du Traité CEE. Depuis lors, les politiciens allemands et les juristes allemands spécialisés dans le droit des ententes ont toujours joué un rôle phare lors de l’élaboration et du développement des règles de concurrence européennes. » ENCAOUA, David et GUESNERIE, Roger in Politiques de la concurrence, paru en 2006, Rapport La Documentation Francaise, pp. 62-63 NASH, John in Equilibrium Points in N-person Games, publié dans Proceedings of the National Academy Sciences,23 paru en 1950 PORTER, Michael in The Five Competitive Forces That Shape Strategy, Harvard Business Review, janvier 2008,24 p. 78-93
  • 14. 14 concurrentielle d’une industrie (de biens ou de services) est déterminée par cinq forces : le pouvoir de négociation des clients, le pouvoir de négociation des fournisseurs, la menace des produits ou services de substitution, la menace d'entrants potentiels sur le marché, l'intensité de la rivalité entre les concurrents. La distinction se fait donc dans la maîtrise par chaque acteur des éléments en présence caractérisant ainsi un avantage/faiblesse concurrentiel de cet acteur sur le marché d’espèce. La question de l’intégration des pouvoirs publics comme « force » reste sujette à caution, Porter refusant une telle qualification préférant y voir une modalité des cinq autres forces (notamment comme une barrière à l’entrée). Pour conclure, ces modèles sont aujourd’hui souvent utilisés par les économistes (tant au service de la Commission que des entreprises) dans leurs analyses concurrentiels d’un marché ou sur des questions de prix de transfert, notamment par le biais de l’économétrie .25 11. Analyses structurelles et protectrice du consommateur. L’analyse contemporaine s’inspire au moins partiellement de tous ses modèles économiques quant à leurs approches systémiques des interactions des acteurs et le modèle de marché servant de paradigme. Néanmoins, la vision n’est pas hayékienne, il ne s’agit pas de pencher vers une auto-régulation du marché par un désengagement total des autorités publiques permettant une forme d’épuration et d’épanouissement de celui-ci. Dès lors, il semble au regard de la recherche du « bien-être » du consommateur (notamment au26 travers du 101§3 du TFUE, le progrès économique pouvant étant englobé dans le bien être du consommateur, ou encore, des lignes directrices du Règlement 330/2010 ou les accords horizontaux) comme critère d’exemption possible, que le législateur européen soit dans une approche interventionniste justifiée par une analyse in concreto du marché pertinent en question. L’analyse rejoignant la conception moderne de « workable competition » ou « effective competition » telle que définie par John Maurice Clark . Les études d’impacts sont ainsi27 typiquement utilisées par les autorités avant l’édition de toute norme concurrentielle avec les options à envisager et leurs effets permettant ainsi de contextualiser les hypothèses normatives. Les autorités européennes se dégagent de l’idéal de concurrence pure et parfaite et présente une analyse où : « An industry may be judged to be workably competitive when, after the structural characteristics of its market and the dynamic forces that shaped them have been FEGATILLI, Ermano et PETIT, Nicolas in Économétrie du droit de la concurrence, un essai de conceptualisation,25 The Global Competition Law Centre Working Paper Series, Collège d’Europe, GCLC Working Paper 03/08 notion standard tant en droit européen qu’américain, d’ailleurs le Conseil du commerce et du développement26 (Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement) a précisé à Genève en 2012 que : « l’objectif principal du droit et de la politique de la concurrence est de maintenir et de promouvoir la concurrence comme moyen […] la maximisation de l’intérêt des consommateurs devient une préoccupation principale ». CLARK, John Maurice in Toward a Concept of Workable Competition, paru en 1940, American Economic Review,27 pp. 241-256
  • 15. 15 thoroughly examined, there is no clearly indicated change than can be effected through public policy measures that would result in greater social gains than social losses ».28 En dehors de la seule structure de concurrence effective, il y a donc une extension dans l’analyse concurrentielle des institutions européennes vers la notion plus subjective de « bien-être » de l’utilisateur (vocable large englobant le consommateur). Celle-ci peut être comprise étroitement comme le « surplus » économisé par le consommateur (argent économisé du fait du fonctionnement non tronqué du marché, le « consumer welfare » tel que défini par l’école de Chicago) ou encore plus largement comme les avantages subjectifs pour celui-ci (accès à un service nouveau, qualité de la prestation, etc.). Comme le pointe Neelie Kroes, membre de la Commission chargée de la concurrence : « des règles claires protégeant les consommateurs et promouvant l’innovation sont de la plus haute importance ». Se profile donc un mouvement cherchant à rapprocher le droit de la concurrence et le droit de la consommation, en ce que la protection de la structure du marché aboutit de manière générale au bien-être du consommateur. Ainsi, le législateur et les autorités européennes tendent aujourd’hui à entendre le champ d’application d’un droit régulateur, d’un « droit du marché ». 12. Politique contemporaine des institutions de concurrence. Base légale d’un droit du marché européen de la concurrence qui ne cesse de revendiquer une volonté d’efficience face à29 des acteurs mondiaux qui font au-delà d’un « tax shopping » un « competition shopping », cherchant bon an mal an à se protéger d’une sanction par des stratégies juridiques qui s’affranchissent des simples frontières nationales ou européennes. Mais ici se pose le premier degré de réflexion, car penser une politique législative de concurrence n’a intérêt que par son efficience, penser une soumission des acteurs et notamment des entreprises n’a de réalité qu’au travers des vertus d’une sanction efficace voir efficiente. Dès lors se pose dans un deuxième temps, la question de la qualification de sanction efficiente ; qu’est-ce qu’une sanction efficiente ? Sous quel prisme faut-il déformer la notion pour parvenir au résultat voulu ? Quel est le résultat voulu ? Comme il sera vu plus bas, la notion centrale est celle du bien-être économique et notamment du surplus pour le consommateur, dès lors l’usage de bilan concurrentiel est affiné par une analyse plus économique des effets réels ou potentiels d’un accord potentiellement prohibé. Mais face à cet objectif se dévoile un échec de la politique anticoncurrentielle, en effet, comme il sera vu, la règle de droit n’est efficiente que si elle est dissuasive voire punitive ; car elle s’impose alors non pas comme une norme donnée traductrice d’un devoir-être mais comme une coercition, une force entrant ontologiquement dans une logique économique de coût. Elle ne peut être un coût dans une logique économique que si l’agent économique a une espérance de perte plus importante que de bénéfice. MARKHAM, Jesse in An Alternative Approach to the Concept of Workable Competition, paru en 1950 dans The28 American Review, p.361 qui contrairement à l’efficacité sous-entend une optimisation des moyens mis en œuvre pour parvenir à un résultat29
  • 16. 16 Ici, l’espérance des acteurs se dévoile au travers de multiples agrégats, le coût se fait par une indemnisation ou une amende qui doit être plus importante que le bénéfice, une probabilité procédurale d’être sanctionné et enfin une probabilité de caractériser tant factuellement que sur le plan probatoire la pratique déviante (caractériser au travers des ententes, abus de position dominante ou concentration illicites). Autant de facteurs qui transforment la sanction en une probabilité qui nécessite de dépasser la simple logique de « la politique du bâton » pour se pencher aussi vers « la carotte ». Il ne s’agit pas pour autant pas que les agents soient récompensés pour des comportements « non-anticoncurrentielles », mais d’une politique plus souple ou même une coopération entre les autorités internes ou européennes et les entreprises .30 13. Dualité de l’action publique/privée. L’efficience de ce droit européen va conditionner l’objet de cette étude, appréhender l’opportunité et la stratégie d’un acteur se fera avant tout face à la norme. Parmi les agrégats en cause, passé le problème de caractérisation de l’atteinte reste la question du montant de l’indemnité à payer qui dépend du préjudice causé. Préjudice qui prend place dans la gravité de l’atteinte et donc du nombre de personnes juridiques touchées (essentiellement les clients souvent « consommateur » ou encore les concurrents). Cependant un préjudice peut exister, encore faut-il que la partie lésée agisse en justice pour réclamer son dû. Dynamique procédurale qui prend forme au travers d’une dualité d’actions offertes. En effet, existe une dichotomie entre « public enforcement », c’est-à-dire action publique des autorités de la concurrence pour réparer l’atteinte au marché (au travers d’une amende) et « private enforcement », action civile du fait d’une atteinte pour réparer un préjudice seulement personnel. Mais la notion de droit de la concurrence d’ « enforcement » reste d’origine anglo- saxonne, subsiste dans sa traduction une barrière linguistique entre le mot et son sens, entre le contenant et le contenu. Le terme « action » ne recouvre qu’une partie de la notion. L’enforcement renvoie in fine à une notion de force, de mouvement en avant ou plus subtilement pour donner une image simple de capacité à passer une barrière, passer une porte. Dès lors, prosaïquement en droit de la concurrence : « l’expression private enforcement désigne […] les effets privés du droit communautaire de la concurrence, c'est-à-dire la faculté reconnue aux victimes d'agir en justice, pour obtenir la sanction civile d'une infraction, par réparation, restitution, nullité ou injonction ».31 De l’ « enforcement » dépend substantiellement l’efficience du droit de la concurrence tant interne qu’européen. Plus spécifiquement, l’efficacité du private enforcement (ou dans un traduction la transaction et la politique de clémence ou la diminution des amendes selon le comportement des entreprises en30 étant des manifestations contemporaines ZAMBRANO, Guillaume in L’inefficacité de l’action civile en réparation des infractions en droit de la concurrence,31 étude du contentieux français devant le Tribunal de Commerce de Paris (2000-2012), thèse de l’Université de Montpellier, 2012, p. 5
  • 17. 17 francophone, le contentieux « privé » ou « subjectif») est soumise à l’aléa de l’action des victimes32 que les autorités en charge ne peuvent dépasser sauf à demander elle-même la réparation du préjudice personnel des victimes et donc agir par procureur. 14. Inefficience du private enforcement. L’inefficacité du private enforcement ou plutôt son inefficience est avant-tout factuelle, l’inaction des victimes étant le point névralgique de cet échec pour les autorités concurrentielles. Mais au-delà de l’inaction des victimes, le droit de la concurrence d’espèce s’inscrit avant tout dans un cadre politique et idéologique européen, choix politique fort d’un mécanisme européen d’intégration unique. Intégration unique qui explique aussi cette volonté de fonder comme pilier central du marché unique un public enforcement sous la houlette de la Commission qui s’impose ainsi comme un rouage européen d’harmonisation verticale. Verticalité du droit européen de la concurrence qui prend pied dans la nature même du marché unique constitué ab initio d’agrégats de marchés nationaux qu’il faut dans un premier temps réguler et uniformiser. Toutefois, cette autorité européenne laisse une place aux autorités nationales, mais elle reste en toute hypothèse une autorité référentielle et compétente (donc « supérieure ») dès lors que cela touche mutatis mutandis substantiellement au marché européen. Partant de ce postulat de volonté d’harmonisation par le haut, cela explique l’attraction du droit de la concurrence vers le public enforcement, premier pas d’une harmonisation nécessaire et d’un équilibre dans l’action de l’autorité (censée notamment être en dehors des rouages politiques de protectionnisme nationale propre aux juridictions internes). Subséquemment, les Traités avaient organisé de manière lacunaire le private enforcement .33 Mais le temps ayant fait son ouvrage, la consolidation du droit européen de la concurrence a nécessité un déploiement plus efficient du private enforcement. Les premiers éléments déclencheurs furent notamment les arrêts Manfredi et Courage de la Cour de justice (étudiés plus en34 35 profondeur infra points 31 et 32). Ces arrêts fondateurs affirment que les actions indemnitaires participent à l'« effet utile » des règles de concurrence européenne ainsi dotées de l'effet direct. Ainsi, « toute personne est en droit » de demander la réparation du préjudice qui lui est causé par la violation desdites règles de concurrence. Et ceux, même en l'absence de réglementation européenne, il appartient aux États membres de faire en sorte que leur réglementation garantisse ce droit sur la base des principes d’« effectivité » et d’« équivalence ». Alors il n’est pas étonnant d’entendre déjà en 2004 l’ancien commissaire européen Mario Monti dire que : « The Commission has one particular project in the pipeline which, I hope will have a far reaching impact on the way in which the competition rules are enforced in the Union. AMARO, Rafael in Le contentieux privé des pratiques anticoncurrentielles, avant-propos G. Canivet, préf. M. Béhar-32 Touchais, Bruylant, 2014, n° 10 SAINT-ESTEBEN, Robert in L’impact de la future directive sur les actions en dommages et intérêts relatives aux33 pratiques anticoncurrentielles, paru dans AJ Contrats d'affaires - Concurrence - Distribution 2014, p.258 CJCE, arrêt du 13 juill. 2006, n° C-295/04, Manfredi, RTD eur. 2008. 31334 CJCE, arrêt du 20 sept. 2001, n° C-453/99, Courage Ltd, RTD com. 2002. 39835
  • 18. 18 We are looking at ways to encourage actions before courts by private parties to punish breach of the competition rules [...] Private actions before courts are a central feature of the modernisation of our competition rules. We want to encourage private parties actively to seek compensation for harm caused to them by anticompetitive behavior ».36 La même année, les rédacteurs du rapport « Ashurst » constataient l'état de « total sous- développement » des actions en réparation des victimes de pratiques anticoncurrentielles . Par la37 suite, apparaît un Livre Vert dès 2005 et un Livre Blanc en 2008 avec le même constat cuisant38 d’un sous-développement du private enforcement , constat cinglant surtout quand selon les39 estimations présentées par la Commission accompagnant le Livre Blanc, le dommage direct des « hardcore cartels » au sein de l’UE oscillerait chaque année entre 25 et 69 milliards d’euros . Le40 montant perdu par son ampleur suffit pour parler d’un échec caractérisant l’état larvaire de cette voie d’action. 15. Opportunité des actions collectives. Face à ce problème d’inefficience potentielle du « contentieux privé » tant par l’inactivité des victimes que par l’incapacité des institutions à déployer cette voie d’action, il pourrait s’agir d’encourager ce contentieux par le biais d’action collective regroupant une masse de victimes. En outre, l’action collective s’inscrit comme un outils coercitif du fait de l’agrégation créée permettant ainsi d’exhumer un dommage collectif d’une certaine dimension. Elle se déploie dans la lignée de l’activité des autorités de concurrence (follow- on) ou de manière autonome (stand-alone), élargissant ainsi parfois le champ d’application du droit de la concurrence en dehors de l’activité simple des autorités de concurrence. Ainsi, l’action collective est une agrégation d’action individuelle, mais que se cache-t-il derrière le vocable d’ « action collective » ?41 disponible en ligne : http://ec.europa.eu/competition/publications/cpn/interview_monti.pdf36 WAELBROECK, D., SLATER, D. et EVEN-SHOSHAN, G. in Study on the conditions of claims for damages in case37 of infringement of EC competition rules, août 2004, disp. sur le site de la Commission européenne Livre Vert, du 19 décembre 2005, intitulé : Actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles38 communautaires sur les ententes et les abus de position dominante [COM(2005) 672 final: Non publié au Journal officiel] ; Trouvé le 2 août 2016 : hhttp://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=URISERV%3Al26120 Commission Européenne, Livre Blanc sur les actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles39 communautaires sur les ententes et les abus de position dominante, 2 avril 2008, COM(2008) 165 final. p. 3. : « dans la pratique, les victimes d'infractions aux règles de concurrence communautaires n'obtiennent, à ce jour, que rarement réparation des dommages subis. [...] Le meilleur moyen de lutter contre l'inefficacité actuelle des actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles de concurrence consiste à combiner des mesures tant au niveau communautaire qu'au niveau national, en vue de garantir, dans chaque État membre, une protection minimale effective du droit des victimes à obtenir des dommages et intérêts, en application des articles 81 et 82, ainsi que des conditions plus équitables pour tous et une sécurité juridique accrue dans l'ensemble de l’UE ». COUTRELIS, Nicole et ZIVY, Fabien in Davantage d’avantages pour le règlement consensuel des litiges ou la40 négociation plutôt que la confrontation, Lamyline, numéro 44, juillet-septembre 2015, p. 97 terme d’ailleurs utilisé par PIETRINI, Silvia in L’action collective en droit des pratiques anticoncurrentielles,41 Bruylant, août 2012
  • 19. 19 Se dévoile la traduction de l’idée de « class action », dérivée du droit américain , les Etats-Unis42 faut-il le rappeler restant le pays fondateur en matière d’antitrust. « Class » peut se traduire en français par une classe, soit un ensemble de personne ayant des caractères communs. En ce qui concerne le mot « action », il est la traduction de la capacité d’ester en justice. Ainsi, par une « class action », il s’agit pour un ensemble de personnes ayant des caractères communs de s’ester en justice ensemble, ce qui a pu ainsi être traduit par une action collective. Plus précisément, d’un point de vue processuel, la doctrine a pu définir l’action collective comme l’action qui : « consiste à réunir dans une seule instance, donnant lieu à un seul jugement, la réparation de préjudices individuels multiples ayant une origine commune ».43 En ce qui concerne le préjudice, il existe deux typologies de dommages possibles : un « dommage sériel », c’est-à-dire un même dommage causant différent préjudice selon la victime ou un « dommage collectif », dommage unique affligé à l’intérêt général. Réunir dans une seule instance une multiplicité de victimes d’un cartel pour se voir réparer par une seule décision un dommage pluriel (de l’ensemble des consommateurs, de certains consommateurs ayant un préjudice propre) apparaît comme un moyen de concentration, facteur d’efficience pour le droit de la concurrence par le truchement du private enforcement. À titre d’exemple , aux Etats-44 Unis, cinq industriels du tabac se sont faits poursuivre par les victimes du tabac dans l’Etat de Floride (par le biais d’une class action) donnant lieu en 2000 au versement de 145 milliards de dollars de dommages et intérêts .45 16. Collectivité de demandeurs. L’action individuelle ou collective n’est que la traduction d’un pouvoir coercitif, d’une menace qui pèse sur des acteurs hors-la-loi. Le fait d’agir en justice n’est qu’un mécanisme parmi d’autres pour que s’exerce le monopole de la « violence légitime » telle que définie par le législateur. La coercition s’exerce avant tout par la persuasion plus que par la sanction, même si le premier n’a de raison d’être que parce que le second existe de manière effective. Ainsi, au-delà de ce qui relève de la puissance publique et de la souveraineté étatique, apparaît que les citoyens (dans le cadre légal) peuvent de manière logique appréhender leurs droits en une multitude de pouvoirs. En effet, par le procès privé s’oppose deux parties, deux poids qui se jaugent et où le juge apparaît comme un tiers pesant la véracité des arguments avancés. Subséquemment, le fait d’agir en justice apparaît de manière générale comme une menace pour le défendeur (même si le droit d’agir en justice prend aussi pour le défendeur la forme de demande reconventionnelle) et c’est ici que les actions collectives du fait de l’agrégation jouent un rôle central de coercition. Concentrer les demandes contrebalance l’iniquité de fait du procès entre d’une plus précisément, la procédure de « class action » a été introduite en 1938 aux Etats-Unis (règle 23 de la procédure42 civile fédérale) avec la possibilité de dommages et intérêts et d’une injonction. Sous l’impulsion de Ralph Nader, le texte a par la suite été modifié en 1966, laissant place au modèle contemporain de class action. CALAY-AULOY, Jean in Pour mieux réparer les préjudices collectifs, une class action à la française ?, La Gazette du43 Palais, 28:29 septembre 2001, p. 13. exemple à nuancer du fait du treble damages propre au droit antitrust américain44 Engle c/ R.J. Reynolds Tobacco Co., arrêt du 6 Novembre 2000, No. 94:08273 CA:22, 2000 WL 33534572 (Fla. Cir.45 Ct. Nov. 6, 2000).
  • 20. 20 part un consommateur profane et une entreprise experte, mais surtout un acteur ayant certains moyens financiers propre à soutenir un procès et des avocats qualifiés. De facto, le choix du contentieux pour un consommateur qui a peut être été lésé de quelques euros ou même centimes apparaît improbable si ce n’est inopportun. Cette opportunité s’évapore et les entreprises sont promptes à enfreindre la loi sans probabilité de sanction possible efficiente (au regard du « contentieux privé »). Mais la « collectivité » des demandeurs, elle, peut avoir un intérêt à agir, du fait de l’agrégation des préjudices et des moyens. À partir de ce constat de capacité à agir, il est nécessaire de regarder la manière dont va être mise en oeuvre ce pouvoir d’agir. En effet, il existe deux voies possibles : la voie judiciaire et la voie extrajudiciaire. Deux voies distinctes mais pas inconciliables, l’une pouvant être les prémices d’une autre, l’une pouvant se mêler à l’autre, l’une pouvant influencer la manière dont s’exerce l’autre. Par conséquent, séparer les deux voies semblent totalement abscons, la mise en place d’une stratégie du règlement des actions collectives pour les entreprises ou les consommateurs demandeurs à l’action nécessite la prise en compte dans le contentieux de ces deux modalités de voie d’action. 17. Règlement consensuel des actions collectives. L’action collective suppose un litige qui va prendre forme au travers de la voie judiciaire ou extrajudiciaire. La voie judiciaire est la voie traditionnelle. Elle présuppose la saisine d’une juridiction et s’empreint véritablement du système juridique auquel elle est soumise (par exemple, au niveau procédural tant au niveau interne qu’européen apparait de larges différences selon les cultures juridiques propres à chaque État). La voie extrajudiciaire, elle, se démarque par son consensualisme, voie ouverte par le seul consentement des deux parties engagées. Ainsi, qu’un accord existe a priori ou a posteriori les parties s’accordent pour se dégager du système judiciaire classique. Le règlement consensuel est donc avant tout le règlement extra-judiciaire d’un litige, sa définition peut comprendre ou non l’arbitrage, car celui-ci est une solution imposée aux parties (le consensualisme ne reposant que sur la délégation à un tiers de la mission de juger les parties). En toute hypothèse, le règlement consensuel peut prendre place au travers de la médiation, la conciliation ou encore la transaction. C’est ce dernier type de mode de règlement alternatif des litiges qui est aujourd’hui le plus usuel en droit de la concurrence. En effet, l’étude du règlement consensuel des actions collectives ne peut pas se faire sans regarder outre-Atlantique avec le succès relatif que connaît la transaction qui représente 95% du traitement du private enforcement . L’état46 larvaire du contentieux privé en Europe explique peut être la volonté des institutions européennes de promouvoir les modes de règlement alternatif, même s’il est vrai que ce mouvement est plus large et s’inscrit dans une politique globale commencée depuis le Conseil de Tampere de 1999.47 COUTRELIS, Nicole et ZIVY, Fabien in Davantage d’avantages pour le règlement consensuel des litiges ou la46 négociation plutôt que la confrontation, Lamyline, numéro 44, juillet-septembre 2015, p. 98 (4ème paragraphe) Regulation (EU) No 524/2013 of the European Parliament and of the Council of 21 May 2013 on online dispute47 resolution for consumer disputes and amending Regulation (EC) No 2006/2004 and Directive 2009/22/EC (Regulation on consumer ODR)
  • 21. 21 La question au travers du règlement consensuel est avant tout pour les parties à l’action de comprendre les modalités des actions collectives, que ce soit au travers de leur fondement, de leur efficacité ou tout simplement de questions pratiques sur le droit international privé applicable. Le règlement consensuel s’impose dans un second temps comme un mode de traitement curatif du risque des actions collectives en droit européen car il présente des avantages que n’offre pas le traitement contentieux, notamment en terme de coût et de rapidité. 18. Révolution de la directive n°2014/104. La directive n°2014/104 (qui doit être transposée d’ici décembre 2016) vient en partie révolutionner le paysage juridique des actions en dommages et intérêts qui sont regardées comme un complément du travail des autorités publiques. Face à ces deux facettes du droit de la concurrence, la directive propose d’accroître leur coordination tout en respectant le droit à la réparation intégrale du préjudice. Pour cela, elle facilite la production de preuves, affirme l’autorité des décisions des autorités de concurrence ou protège l’intérêt du programme de clémence. Par ailleurs, elle crée un chapitre entier sur le règlement consensuel et offre à cette voie extra-judiciaire des caractéristiques attractives en terme économique (notamment par une possible réduction de l’amende des autorités nationales de concurrence). Au demeurant, la directive sur les actions en dommages et intérêts pour violation du droit de la concurrence européen est aussi le moment d’une consécration de principes jurisprudentiels acquis depuis longtemps. Elle est surtout un moyen d’harmoniser les procédures des Etats membres de manière horizontale évitant les inégalités de traitement et l’insécurité juridique qui prévalaient jusque là. 19. Opportunité et stratégie. La révolution juridique engendrée impose de repenser le positionnement tant des entreprises que des consommateurs face aux actions collectives telles qu’elles se présentent aujourd’hui au travers des différents systèmes juridiques au sein de l’Union européenne. A priori, pour les entreprises s’impose un nouveau défi de gestion de ce type de contentieux, un risque nouveau. Pour les consommateurs (ou plus globalement les victimes) se propose une opportunité qu’il faudra gérer de manière efficiente. Néanmoins, penser une opportunité et/ou une stratégie n’a de sens qu’en ce qu’elle s’inscrit dans une perspective, un point de vue propre à un acteur. À titre liminaire, en ce qui concerne le point de vue, l’objet de notre étude sera faite au regard des entreprises, néanmoins sera traité tout autant le positionnement du consommateur comme un miroir à chaque situation analysée en l’espèce et comme un risque et ou une opportunité à prendre en compte. Se présente donc à cet acteur un risque nouveau qu’il faudra analyser pour ensuite s’interroger sur sa possible gestion. En outre, comme un médecin il faudra d’abord cerner les tenants et aboutissants du risque avant de proposer un traitement palliatif. À ce titre, la gestion de ce changement de circonstance, de cette opportunité, nécessite tout d’abord d’analyser l’environnement juridique et le risque actuel et potentiel des actions collectives (Partie 1). Par la suite, il conviendra de se pencher sur la gestion de ce risque par le règlement extrajudiciaire des actions collectives (Partie 2).
  • 22. 22 « Lorsque le coup de tonnerre éclate, il est trop tard pour se boucher les oreilles. » SUN TZU in L’art de la guerre, chapitre I, Champs classiques, page 127

  • 23. 23 PARTIE 1 - RISQUE DES ACTIONS COLLECTIVES EN DROIT DE LA CONCURRENCE 20. Risque actuel et risque potentiel. L’analyse d’une opportunité et d’une stratégie du règlement consensuel des litiges au regard des actions collectives en droit européen de la concurrence nécessite un préalable de détermination du risque en question constitué par les actions collectives. Risque, c’est-à-dire possibilité, probabilité d’un fait, d’un événement considéré comme un mal ou un dommage qui s’incarne ici par l’action collective. Il ne sera pas nié qu’une « action collective » ne puisse être qualifiée ontologiquement de risque, mais comme il a été dit supra penser une stratégie nécessite bel et bien d’adopter téléologiquement un point de vue. Dès lors, le choix est fait de penser ce renforcement voulu du private enforcement comme un risque pour les entreprises (du fait d’une possible meilleure efficience de celui-ci par le biais des actions collectives). Ce risque, certes, n’est pas indépendant des faits de l’entreprise (au sens large) subissant une action en justice, le demandeur démontrant bel et bien un intérêt à agir contre cette entreprise, néanmoins il s’agit ici non pas de caractériser les comportements fautifs ou non, mais de gérer les demandes suite à ces comportements. Dès lors, ce risque des actions collectives en droit de la concurrence, nécessitera dans un premier temps de faire un état des lieux du risque actuel (Titre 1), pour ensuite, appréhender de manière spéculative le risque potentiel encouru (Titre 2).
  • 24. 24 Titre 1 - Risque actuel 21. Droit de la concurrence européen et droits internes de la concurrence. Derrière la question des actions de groupe en droit de la concurrence s’imbriquent indubitablement des problématiques au regard du droit de la concurrence applicable et son champ d’application. En effet, « quel droit de la concurrence » pour les actions collectives et « quelle action collective » ? Quel droit de la concurrence ? La question semble déjà laisser présager la réponse : le droit de la concurrence européen. Néanmoins, faut-il rappeler qu’aucun règlement ne régit les actions collectives en droit européen et qu’en l’état actuel seule une directive qui sera étudiée infra (cf. Titre 2) donne un régime juridique concernant uniquement les actions en dommages et intérêts, permettant une certaine harmonisation sur ce point. Quelle action collective ? Les modalités juridiques des actions collectives sont souvent dépendantes des traditions juridiques de chaque État. Par exemple, il suffit de penser notamment aux dommages punitifs toujours refusés dans la tradition juridique française (se limitant à la réparation intégrale48 du préjudice) alors qu’ils sont ancrés dans la tradition du Common Law, ou encore à la procédure de discovery ou au mareva injuction totalement inconnues en droit latin. Se dégage ainsi au sein de49 50 l’Union européenne une « diversité d’action collective » qu’il sera nécessaire de regarder plus en profondeur (tout de même dans un souci de clarté et de concision, tous les systèmes juridiques ne seront pas regardés, l’Europe étant constituée de plus de 28 pays et donc d’autant de systèmes juridiques). À ce titre, il semble opportun, en ce qui concerne le risque actuel des actions collectives, d’éclaircir dans un premier temps, les racines juridiques de cette modalité d’agir en droit de la concurrence européen (Chapitre 1), pour ensuite se pencher sur l’inégalité des droits substantiels et procéduraux des actions collectives en concurrence dans les États membres (Chapitre 2). défini dans le Black’s Law Dictionary comme : « la sanction financière prononcée à l’encontre de la partie48 succombante afin de sanctionner son comportement » se caractérisant comme une modalité procédurale employée par une partie lors d’une action au civil ou au pénal,49 avant un procès, pour requérir de la partie adverse de divulguer des informations qui sont essentielles pour la demande et que seule l’autre partie connaît ou possède. qui peut être défini comme : « temporary injunction that freezes the assets of a party pending further order or final50 resolution by the Court, so named after the case which allowed the remedy », la sanction qui est le « contempt of court » en fait la spécificité, celle-ci pouvant parfois prendre la forme d’une sanction pénale (c.f. Mareva Compania Naviera SA v. International Bulkcarriers SA, [1975] 2 Lloyd's Rep 509 (C.A. 23 June 1975). , [1980] 1 All ER 213)
  • 25. 25 Chapitre 1 - Risque éthéré des actions collectives découlant du droit européen 22. Être et devoir-être. Nonobstant la nécessité certaine du développement du private enforcement par le biais des actions collectives est de l’essence même du droit européen qui a vocation à saisir ce contentieux (Section 1) et l’action majeure du droit prétorien venue pallier la carence textuelle (Section 2), le droit européen reste aujourd’hui incapable d’offrir un cadre légal efficient aux actions collectives comme cela peut être statiquement le cas notamment aux États- Unis .51 Section 1 - Une vocation limitée du droit européen à promouvoir les actions collectives 23. Droit substantiel et champ d’application. Pour saisir l’applicabilité du droit européen aux actions collectives en droit de la concurrence, il faut d’abord saisir le droit de la concurrence objet de ces actions collectives. Or, pour s’en saisir il apparaît impérieux d’une part, d’en peindre le champ d’application (§1) et d’autre part, de pointer le droit substantiel qui en est l’objet (§2). §1) Champ d’application matériel du droit européen concurrentiel 24. Union européen et droit de la concurrence. Avant de plonger plus en avant dans le champ d’application ratione loci de ce droit concurrentiel, source de l’action collective, il faut regarder en quoi le droit de l’Union européenne a vocation à s’appliquer à cette hypothèse. L’Europe en tant que construction économique d’un « marché unique » a utilisé le droit de la concurrence comme un outil régulateur, en ce qu’il est normatif et dérégulateur, en ce qu’il permet de mettre à mal le protectionisme et les barrières nationales. Le droit de la concurrence européen est donc un outil essentiel à l’uniformisation européenne. Derrière cette uniformisation se transcrit une vision économique du marché économique tel qu’il devrait être. Ce que l’on a ainsi dénommé « l’économie sociale de marché » (Marktwirtschaft), qui s’organisera ainsi autour d’une forme d’ordre économique, appuyée sur des règles spécifiques. Suivant la tradition ordo-libérale, l’État, garant de la liberté individuelle dans la sphère économique, doit notamment empêcher que la concurrence ne soit entravée par le comportement des agents dominants, que ceux-ci soient privés ou publics. Ainsi, textuellement, l’article 3.3 du Traité de l’Union Européenne précise bien que: « l’Union établit un marché intérieur. Elle œuvre pour le développement durable de l'Europe fondé sur une croissance économique équilibrée et sur la stabilité des prix, une économie sociale de marché hautement compétitive ». représentant environ 90% du volume contentieux total selon Kathleen Maguire in Antitrust cases filed in U.S. District51 Courts, by type of case 1975-2010 dans Sourcebook of Criminal Justice Statistics. University at Albany, Hindelang Criminal Justice Research Center, (Table 5.41.2010).
  • 26. 26 Mouvement d’une prééminence du droit européen qui a conduit à élargir son champ de compétence au fur et à mesure du temps pour un intégration renforcée. Ainsi, en décembre 1989, soit plus de trente ans après la signature du Traité instituant la Communauté économique européenne et deux ans seulement avant la date butoir de 1992 assignée à l’achèvement du marché unique, les pays membres sont parvenus à un accord, qui a délégué à la Commission le pouvoir exclusif de contrôler les opérations de concentration de dimension communautaire. Par la suite, les diverses directives comme celle sur l’action en dommages-et-intérêts ou notamment les règlements concernant les accords de franchise , la procédure , les accords verticaux constituant des ententes confirment52 53 54 cette tendance (comme aujourd’hui concernant la proposition sur le geo-blocking ).55 La construction européenne a donc dès le départ posé le droit de la concurrence en pierre angulaire de sa fondation et son renforcement comme moteur à sa fortification. 25. Champ d’application. Il apparaît nécessaire de regarder l’assise territoriale du droit européen de la concurrence. En premier lieu, conformément à l’article 52 du TUE qui dispose que le droit de la concurrence s'applique là ou le droit de l’Union s'applique, le droit européen de la concurrence régit les entreprises présentes sur le territoire de l’espace économique européen (l’Union européenne,56 l'Islande, le Liechtenstein et la Norvège). En deuxième lieu, il faut ajouter une extension jurisprudentielle par le biais de la doctrine de l’effet. Selon cette théorie, les règles de concurrence nationale sont applicables aux entreprises étrangères, mais aussi aux entreprises nationales établies en dehors du territoire national, lorsque leurs comportements ou leurs opérations produisent un « effet » à l’intérieur de ce territoire. La nationalité des entreprises est dénuée de pertinence en termes d’application des règles en matière d’ententes, la théorie des effets vaut pour toutes les entreprises quelle que soit leur nationalité. La Cour de justice a appliqué cette théorie pour une entente au travers plus spécifiquement de57 l’idée de « mise en oeuvre » au sein de l’espace économique européen par les entreprises, restreignant l’applicabilité au seul « effet » au sein dudit espace. Par la suite, en ce qui concerne les Règlement (CEE) n°4087/88 de la Commission du 30 novembre 1988 concernant l'application de l'article 8552 paragraphe 3 du traité à des catégories d'accords de franchise Règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil du 16 décembre 2002 relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence53 prévues aux articles 81 et 82 du traité (Texte présentant de l'intérêt pour l'EEE) Règlement (UE) n°33/2010 de la Commission du 20 avril 2010 concernant l’application de l’article 101, paragraphe54 3, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne à des catégories d’accords verticaux et de pratiques concertées. Proposal for a Regulation of the European Parliament and of the Council on addressing geo-blocking and other forms55 of discrimination based on customers' nationality, place of residence or place of establishment within the internal market and amending Regulation (EC) No 2006/2004 and Directive 2009/22/EC suivant l'article 3 du traité sur l'Union européenne56 notamment CJCE, arrêt du 27 septembre 1988, Ahlström Osakeyhtiö e.a. contre Commission (« Pâtes de bois »),57 affaires jointes 89, 104, 114, 116, 117 et 125 à 129 / 85
  • 27. 27 concentrations, le Tribunal de première instance a pu user de cette théorie dans l’arrêt Gencor en58 concluant que : « lorsqu’il est prévisible qu’une opération de concentration projetée par des entreprises établies à l’extérieur de la Communauté produise un effet immédiat et substantiel dans la Communauté, l’application du règlement n° 4064/89 [règlement sur les concentrations] est justifiée au regard du droit international public ». En troisième lieu, il faut ajouter la théorie de l’unité économique qui peut servir à imputer des agissements de filiales à leurs sociétés-mères établies en dehors de l’Union européenne, notamment l’arrêt du 14 juillet 1972 de la Cour de justice de la Communauté européenne (Imperial Chemical Industries Ltd. contre Commission des Communautés européennes, affaire 48-69 qui précise au point 139) : « Qu’à défaut d’indications contraires, il convient de penser qu’à l’occasion des hausses de 1965 et de 1967 la requérante n’a pas agi autrement dans ses rapports avec ses filiales établies dans le marché commun; Que, dans ces conditions, la séparation formelle entres ces sociétés, résultant de leur personnalité juridique distincte, ne pourrait s’opposer à l’unité de leur comportement sur le marché aux fins de l’application des règles de concurrence; Qu’ainsi, c’est bien la requérante qui a réalisé la pratique concertée à l’intérieur du marché commun; Qu’il n’y a donc lieu de déclarer que le moyen d’incompétence soulevé par la requérante n’est pas fondé; ». Plus spécifiquement, les articles 101, 102 du TFUE sur les ententes et abus de position dominante (cf. infra) s’appliquent aux situations « susceptibles d'affecter le commerce entre États membres ».59 La notion de « commerce » n’est pas limitée aux échanges transfrontaliers traditionnels de produits et de services, mais a une portée plus large qui recouvre toute activité économique internationale, y compris l’établissement. Cette interprétation concorde avec l’objectif fondamental du traité consistant à favoriser la libre circulation des biens, des services, des personnes et des capitaux. La condition de l’existence d’une affectation du commerce « entre pays de l’Union européenne » suppose qu’il doit y avoir une incidence sur les activités économiques transfrontalières impliquant au moins deux pays de l’UE ; La notion « susceptible d’affecter » met en exergue que l’accord en cause doit, sur la base d’un ensemble d’éléments objectifs de droit ou de fait, permettre d’envisager avec un degré de probabilité suffisant qu’il puisse exercer une influence directe ou indirecte, actuelle ou potentielle, sur les courants d’échanges entre pays de l’Union européenne. De plus, il faut que cela affecte « de manière sensible » le commerce (règle de minimis ), par exemple, dans sa60 communication concernant les accords d’importance mineure, la Commission déclare que les accords entre petites et moyennes entreprises sont rarement en mesure d’affecter sensiblement le Tribunal de première instance (TPI), arrêt du 25 mars 1999, Gencor contre Commission, affaire n° T-102/9658 Communication de la Commission - Lignes directrices relatives à la notion d’affectation du commerce figurant aux59 articles 81 et 82 du traité [Journal officiel n° C 101 du 27.4.2004]. avec notamment des indications utiles comme le seuil de 40 millions de chiffre d’affaires hors taxe et du seuil de 5%60 de part de marché
  • 28. 28 commerce entre pays de l’Union. Le lieu d’établissement de l’entreprise ou de conclusion de l’accord est en toute état de cause irrelevant . De ces deux textes, combinés avec l’article 106 du61 TFUE (pour les entreprises publiques) apparaît l’essence même du private enforcement (en dehors du droit des aides d’Etat ou des concentrations) mais reste la question de leurs articulations avec les juridictions et droits internes. 26. Prééminence du droit européen. Comme le pointait déjà l’Avocat général Warner : « le droit communautaire et le droit national opèrent en combinaison, le dernier occupant le terrain lorsque le premier le quitte ». D’un point de vue du partage de compétence, après la réforme du62 règlement 17/62 , il y a la mise en place d’un système décentralisé d’application du droit63 européen ; par le biais notamment d’une zone de sécurité offerte par la mise en place d’exception légale (exemption légale). Tout de même, la compétence de la Commission reste exclusive de celle des juridictions ou autorités administratives des Etats membres nommés sous le vocable d’autorité nationale de concurrence (ANC) , les Etats membres ont donc une compétence subsidiaire.64 Néanmoins, reste que les ANC doivent appliquer le droit de la concurrence européen si les autorités européennes ne l’appliquent pas et qu’il est applicable (traduisant la décentralisation du contentieux concurrentiel), et ceci, en sus de l’application du droit national de la concurrence (qui en tout état de cause ne peut être contraire en droit européen). Le droit européen s’impose donc comme un standard à suivre, une base minimale du droit concurrentiel qui peut même servir de grille de lecture au droit interne. Ainsi, existe une complémentarité du droit interne et du droit européen même si celle-ci n’est que le reliquat du la prééminence du droit européen. §2) Droit substantiel de la concurrence comme assise à l’action individuelle 27. Entente/abus de position dominante et préjudice individuel. Concrètement en ce qui concerne le droit « substantiel » (en ce qu’il se distingue de la procédure), il convient de regarder les abus au droit de la concurrence au travers des abus de position dominante et les ententes. En effet, c’est bien ces situations qui engendrent un surcoût direct pour le consommateur et pourraient fonder son droit d’agir en justice en se fondant sur le droit européen de la concurrence. Par ces normes c’est le fondement même du droit européen de la concurrence comme norme invocable par le citoyen qui est en jeu et donc subsidiairement une possible action collective sur ce fondement. En outre, les aides d’Etat relèvent d’un contentieux propre n’incluant pas la possibilité Lignes directrices relatives à la notion d'affectation du commerce figurant aux articles 81 et 82 du traité61 (Communication de la Commission) au considérant 100: « Les articles 81 et 82 s'appliquent aux accords et pratiques susceptibles d'affecter le commerce entre États membres, même si une ou plusieurs des parties sont établies à l'extérieur de la Communauté (78). Les articles 81 et 82 s'appliquent quel que soit le lieu d'établissement des entreprises ou le lieu de conclusion de l'accord, à condition que l'accord ou la pratique soit mis en œuvre (79) ou ait des effets (80) à l'intérieur de la Communauté » CJCE, arrêt du 16 décembre 1976, Rewe, aff. 33/76, Rec. 1989, et Comet, aff. 45/76, Rec. 2043, conclusions Warner.62 CEE Conseil: Règlement n° 17: Premier règlement d'application des articles 85 et 86 du traité63 Règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil du 16 décembre 2002 relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence64 prévues aux articles 81 et 82 du traité (Texte présentant de l'intérêt pour l'EEE)
  • 29. 29 directe pour un consommateur de s’ester en justice, celui-ci n’étant pas la victime de la « rupture » d’égalité concurrentielle. En ce qui concerne le contrôle des concentrations, il s’agit d’un contrôle anticoncurrentiel a priori, en toute hypothèse le contentieux relève de l’action des ANC et de la Commission qui à défaut de notification peuvent notamment ordonner des injonctions et des amendes subséquentes. Au demeurant, de manière complémentaire, la sanction des concentrations peut a posteriori s’effectuer au travers du droit des ententes et des abus de position dominante. Ces deux hypothèses ne seront donc peu ou prou pas développées, l’étude du risque se faisant au travers du droit des pratiques comportementales de la concurrence (et non structurelles). En ce qui concerne, les ententes le professeur Dubouis les définit comme : « les accords ou pratiques concertés entre entreprises qui ont pour objet ou pour effet de restreindre la concurrence, donc d’une manière certaine de cloisonner le marché ».65 Autrement dit, il s’agit de tout partage de marché, fixation de quota de production ou accord sur les prix entre entreprises pour les maintenir artificiellement élevés. Ces différents comportements faussent le marché, au détriment des consommateurs et des autres producteurs victimes de ces pratiques, qui paient leurs biens de consommation à un prix plus élevé ou sont évincés. L’article 101 § 1 et § 2 TFUE (remplacement l’article 81 du Traité instituant la Communauté européenne ) dispose ainsi que :66 « 1. Sont incompatibles avec le marché intérieur et interdits tous accords entre entreprises, toutes décisions d'associations d'entreprises et toutes pratiques concertées, qui sont susceptibles d'affecter le commerce entre États membres et qui ont pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du marché intérieur, et notamment ceux qui consistent à: a) fixer de façon directe ou indirecte les prix d'achat ou de vente ou d'autres conditions de transaction, b) limiter ou contrôler la production, les débouchés, le développement technique ou les investissements, c) répartir les marchés ou les sources d'approvisionnement, d) appliquer, à l'égard de partenaires commerciaux, des conditions inégales à des prestations équivalentes en leur infligeant de ce fait un désavantage dans la concurrence, e) subordonner la conclusion de contrats à l'acceptation, par les partenaires, de prestations supplémentaires qui, par leur nature ou selon les usages commerciaux, n'ont pas de lien avec l'objet de ces contrats. 2. Les accords ou décisions interdits en vertu du présent article sont nuls de plein droit. » Cet article fonde le principe de la nullité de plein droit des accords ou décisions interdites avec un effet direct. Dès lors, il appartient aux juridictions nationales de constater la nullité des dispositions concernées et d’en déterminer les effets. De plus, cette nullité a un caractère absolue, ce qui rend DUBOUIS, Louis et BLUMANN, Claude in Droit matériel de l’Union Européenne, 6ème Edition Domat droit public65 Montchrestien, année 2012 en outre, lors de l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne le 1er décembre 2009, les articles 81 et 82 du traité instituant66 la Communauté européenne sont devenus les articles 101 et 102 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne restant identiques en substance
  • 30. 30 l’accord imposable aux tiers , et a, en principe, un caractère rétroactif . Qui plus est, des sanctions67 68 pécuniaires peuvent être infligées par la Commission à l’entreprise contrevenante dans le cadre du public enforcement. En ce qui concerne les abus de position dominante, il s’agit de la situation de puissance économique détenue par une entreprise qui lui donne le pouvoir de faire obstacle au maintien d’une concurrence effective sur un marché, en lui fournissant la possibilité de comportements indépendants vis-à-vis de ses concurrents. En outre, cette domination est appréciée in concreto. Le fait qu’elle existe n’est pas en soi sanctionnable car uniquement l’abus de position dominante est sanctionné (sans regarder son caractère intentionnel ou non d’ailleurs ).69 L’article 102 TFUE dispose quant à lui que : « Est incompatible avec le marché intérieur et interdit, dans la mesure où le commerce entre États membres est susceptible d'en être affecté, le fait pour une ou plusieurs entreprises d'exploiter de façon abusive une position dominante sur le marché intérieur ou dans une partie substantielle de celui-ci. Ces pratiques abusives peuvent notamment consister à : a) imposer de façon directe ou indirecte des prix d'achat ou de vente ou d'autres conditions de transaction non équitables, b) limiter la production, les débouchés ou le développement technique au préjudice des consommateurs, c) appliquer à l'égard de partenaires commerciaux des conditions inégales à des prestations équivalentes, en leur infligeant de ce fait un désavantage dans la concurrence, d) subordonner la conclusion de contrats à l'acceptation, par les partenaires, de prestations supplémentaires qui, par leur nature ou selon les usages commerciaux, n'ont pas de lien avec l'objet de ces contrats. » En outre, la sanction est prévue aux articles 5 et 7 du règlement n°1/2003 prévoyant notamment que la Commission ou les autorités nationales de concurrence (ANC) peuvent imposer des sanctions pécuniaires en cas d’infraction. La philosophie de ces textes s’inscrit dans un logique de public enforcement ou « contentieux objectif », en effet, il s’agit ontologiquement de fournir à la Commission les moyens juridiques de70 sanctionner un cloisonnement du marché mais pas de nourrir le « contentieux subjectif ». Cela apparaît par exemple au regard des sanctions qui sont essentiellement la nullité et des amendes permettant uniquement de rétablir l’ordre public économique. CJCE, arrêt du 25 novembre 1971, Béquelin, 22/71 Rec. 549.67 CJCE, arrêt du 6 février 1973, Brasserie de Haecht, 48/72, Rec.77.68 CJCE, arrêt du 13 février 1979. Hoffmann-La Roche & Co. AG contre Commission des Communautés européennes.69 en ce que le préjudice causé s’apprécie de manière objective et non subjective, c’est-à-dire au regard d’un acteur en70 particulier
  • 31. 31 28. Harmonisation de la politique européenne de concurrence Le droit substantiel étudié ne peut être efficient que s’il est appliqué de manière homogène. En outre, les directives successives et règlements (notamment le règlement n°1/2003 sur la procédure) assurent une harmonie législative certaine, renforcée par les lignes directrices de la Commission qui servent de grille de lecture et sont utilisées tant par les juridictions européennes71 qu’internes. De plus, dans tous ces textes, le droit européen est fondé sur des définitions propres, des notions « autonomes » qui sont souvent différentes que celles des droits nationaux, la définition donnée soit par les textes ou lignes directrices ou par le juge européen permet une homogénéité d’interprétation ; sans oublier que la plupart des dispositions sont d’effet direct. Cette interprétation uniforme est surtout permise par les questions préjudicielles, où une juridiction nationale interroge la Cour de justice de l’Union européenne sur le droit de l’Union européenne. Qui plus est, celle-ci est aussi assurée par le Réseau européen de la concurrence (REC), structure informelle, facilitant la coordination entre les autorités chargées de la concurrence. Au demeurant, ce réseau est aussi essentiel en tant qu’outil permettant une certaine homogénéité dans l’application du droit de la concurrence européen par chaque Etat membre. Cette harmonisation permet une sécurité juridique. En outre, l’étude de l’analyse économique de cette norme (hard ou soft law) entre dans la nécessaire gestion par l’acteur soumis à celle-ci (l’entreprise essentiellement) du cadre analytique et de la grille de lecture à prendre en compte, au delà même d’une opportunité, il s’agit d’une nécessité. Dès lors, la stratégie ne pouvant se déployer vis-à-vis de ces institutions, au-delà d’une « stratégie de rupture », que par une communication dans la même langue, le même dialecte et la règle doit mutatis mutandis suivre une logique compréhensive, pour les sujets de droit, sur un marché unique. 29. Rapport entre les articles 101 et 102 TFUE et le private enforcement. Malgré ces textes normatifs (articles 101 et 102 TFUE) prévoyant des normes concurrentielles, apparaît le constat qu’avant la directive n°2014/104 aucun texte européen n’avait prévu des modalités techniques de possibles actions collectives pour violation desdits textes. Pire encore, aucun texte ne prévoyait les modalités du private enforcement, c’est-à-dire qu’aucun texte européen ne donnait un droit à agir au consommateur lésé du fait d’une entente ou d’un abus de position dominante. Il y avait donc un vide juridique sidéral dans l’efficience même du droit antitrust européen. Ainsi, le préjudice des entreprises victimes et des consommateurs était laissé au seul droit interne des Etats membres de l’Union européenne. Mais comment expliquer cette incapacité à légiférer sur ce point crucial ? Ce néant juridique pouvait s’expliquer en particulier par la volonté d’établir en priorité l’efficience du marché unique par le public enforcement et les quatre piliers : libre circulation des biens, libre circulation des capitaux, libre circulation des services, libre circulation des personnes (ceci au détriment du private enforcement dont l’application est délocalisée dans les ANC). comme précisé par le Conseil Constitutionnel français (Décision n° 00-D-82 du 26 février 2001) : « règlement71 précité, sans être applicable à une affaire dans laquelle seul le droit national a été invoqué, peut constituer un guide d’analyse utile ».
  • 32. 32 Face à ce constat et à l’inaction du législateur européen, le juge intervient donc pour développer le contentieux subjectif . Pour cela, le juge communautaire a fait preuve d’ingéniosité pour combler72 le vide juridique et a créé de manière prétorienne des droits subjectifs aux particuliers, victime d’une violation de l’ordre public économique. Section 2 - Un accroissement prétorien du droit d’agir des victimes limité 30. Action prétorienne et reconnaissance de droit. Comme souvent les juges européens ont joué un rôle central pour combler le droit de la concurrence, ainsi ils ont cherché à étendre son application par le biais de la reconnaissance de la qualité à agir en cas de faute concurrentielle (§1) mais aussi, par une analyse plus profonde du préjudice économique (§2). §1) Extension de la qualité à agir 31. Qualité à agir et intérêt à agir. La qualité à agir est le « titre juridique en vertu duquel on agit », c’est donc au niveau processuel la forme que prend l’usage d’un droit substantiel.73 Par principe, la démonstration de l’intérêt à agir suffit pour agir en justice sauf si le législateur a créé des actions attitrés où une certaine qualité à agir est demandée (traduisant ainsi une certaine politique juridique). 32. Extension prétorienne du droit à réparation. Un coup de tonnerre éclate dans le ciel du temple concurrentiel quand résonne le 20 septembre 2001 l’arrêt Courage qui affirme, malgré le vide textuel, que le droit à réparation des infractions au droit de la concurrence tire son fondement74 des principes du droit communautaire et qu’il s’applique dans certaines conditions à tous, du particulier à l’entreprise contrevenante. En outre, les juges pointent que le droit substantiel et son effectivité signifient pour les justiciables l’existence nécessaire d’un droit subjectif d’action. Plus précisément, celui-ci découle de l'effet direct horizontal des articles 101 et 102 TFUE qui ALBORS-LLORENS, Albertina in Courage v. Crehan: Judicial activism or consistent approach ?, Cambridge Law72 Journal, vol. 61 issue 1 march 2002, p. 38 : « the judgment can be construed as an endorsement from the Court of [...] the Commission's competition policy. [...] it implicitly favours the achievement of the main objective pursued by the recent proposals for the reform of the current system of enforcement of the EC competition rules, namely the fully decentralised application of article 81 EC ». VOGEL, Louis in Les actions civiles de concurrence. Union européenne, France, Allemagne, Royaume-Uni, Italie,73 Suisse, États-Unis, p. 36. il faut noter que ce droit à réparation a une assise constitutionnelle en droit français (cf. Conseil constitutionnel,74 décision n°2010-2 QPC du 11 juin 2010, Mme Viviane L., considérant 11 : « Considérant qu'aux termes de l'article 4 de la Déclaration de 1789 : « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui » ; qu'il résulte de ces dispositions qu'en principe, tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ; que la faculté d'agir en responsabilité met en œuvre cette exigence constitutionnelle ; que, toutefois, cette dernière ne fait pas obstacle à ce que le législateur aménage, pour un motif d'intérêt général, les conditions dans lesquelles la responsabilité peut être engagée ; qu'il peut ainsi, pour un tel motif, apporter à ce principe des exclusions ou des limitations à condition qu'il n'en résulte pas une atteinte disproportionnée aux droits des victimes d'actes fautifs ainsi qu'au droit à un recours juridictionnel effectif qui découle de l'article 16 de la Déclaration de 1789 »)
  • 33. 33 « produisent des effets directs dans les relations entre les particuliers et engendrent des droits dans le chef des justiciables ».75 L’arrêt se contente ici de reprendre la formule de principe utilisée par les arrêts Van Gend & Loos ,76 Francovitch ou Delimitis , qui concernaient eux la responsabilité des Etats, selon laquelle les77 78 sujets de l’ordre juridique communautaire : « sont non seulement les Etats membres, mais également leurs ressortissants et que, de même qu’il crée des charges dans le chef des particuliers, le droit communautaire est aussi destiné à engendrer des droits qui entrent dans leur patrimoine juridique; ceux-ci naissent non seulement lorsqu’une attribution explicite en est faite par le traité, mais aussi en raison d’obligations que le traité impose d' une manière bien définie tant aux particuliers qu’aux Etats membres et aux institutions communautaires ». Cette qualité à agir en réparation du préjudice a une autre justification théorique qui ressort, par ailleurs de la nature même de la sanction qui est une nullité « absolue » c’est-à-dire invocable par quiconque. Comme le souligne les Conclusions de l’Avocat général M. Jean Mischo présentées le 22 mars 2001 : « 22. Comme la nullité de plein droit constitue, ainsi que la Commission l'a rappelé à juste titre, la sanction fondamentale prévue par l'article 81, paragraphe 2, CE en ce qui concerne les contrats interdits en vertu du paragraphe 1 du même article, tout obstacle opposé à cette sanction, en l'espèce par une interdiction pour le cocontractant de l'invoquer, priverait partiellement cette dis- position d’effet. » L’arrêt étonne aussi par l’extension du droit à réparation à une partie membre d’un accord anticoncurrentiel et de l’utilisation du concept d’ « effet utile » pour asseoir le droit à réparation ; en effet l’arrêt dit bien que : « 26. La pleine efficacité de l'article 85 du traité et, en particulier, l'effet utile de l'interdiction énoncée à son paragraphe 1 seraient mis en cause si toute personne ne pouvait demander réparation du dommage que lui aurait causé un contrat ou un comportement susceptible de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence. 27. Un tel droit renforce, en effet, le caractère opérationnel des règles communautaires de concurrence et est de nature à décourager les accords ou pratiques, souvent dissimulés, susceptibles de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence. Dans cette perspective, les actions en dommages-intérêts devant les juridictions nationales sont susceptibles de contribuer substantiellement au maintien d’une concurrence effective dans la Communauté. » CJCE, arrêt du 20 septembre 2001, aff. C-453/99, Courage Ltd c. Bernard Crehan, §2375 CJCE, arrêt du 5 février 1963, aff. 26-62, NV Algemene Transport- en Expeditie Onderneming van Gend & Loos76 contre Administration fiscale néerlandaise, Rec. p. 3, pt. 23 CJCE, arrêt du 19 novembre 1991, aff. C-6/90 et C-9/90, Andrea Francovich et Danila Bonifaci et a. contre77 République italienne, Rec. p. I-5357, pt. 31 CJCE, arrêt du 28 février 1991, Aff. C-234/89, Delimitis, Rec. p. I-935.78
  • 34. 34 En outre, comme le pointe David Bosco : « une partie à un accord prohibé par l’article 81 CE doit pouvoir réclamer une indemnisation à son cocontractant s’il ne porte pas une responsabilité significative dans la distorsion de concurrence ».79 M. l’Avocat général Mischo argumentait sur ce sens en vertu du : « 39. […] principe de droit selon lequel une partie ne peut profiter de sa propre turpitude ». Il aurait pu être rétorqué (suivant d’ailleurs le raisonnement de la jurisprudence anglaise sur ce point) que le contrat est la « chose des parties », le consentement mutuel est la traduction juridique d’une volonté commune d’atteindre un objectif partagé qui se traduit par le contrat. Ainsi, l’action en réparation du contractant a pour objet de profiter d’une situation juridique que le cocontractant a lui même façonné et ainsi se prévaloir de sa propre turpitude. De jure, le raisonnement susmentionné semble juste, mais de facto, cela serait faire fi de la réalité économique qui entoure le contrat. Le déséquilibre dans la négociation contractuelle s’impose parfois comme une condition même du contrat pour une partie faible (face à la puissance de négocier de la partie économiquement forte). C’est cette solution pragmatique que les juges européens ont choisi en demandant de rechercher la responsabilité dans la distorsion de concurrence. Ce qui demande aux juges dans leurs appréciations souveraines de regarder par exemple le contexte économique et juridique, le pouvoir de négociation de chacun pour savoir si le demandeur a été le véritable instigateur de l’entente illicite ou si celle-ci lui a plutôt été imposée par son partenaire ; l’action étant refusée si la partie demanderesse a « responsabilité significative dans la distorsion de la concurrence ». Le Cour de justice pose tout de même une garde-fou qui est que la protection offerte par le droit communautaire : « n'entraîne pas un enrichissement sans cause des ayants droit ».80 Toutefois, consciente de l’absence d’harmonisation européenne, la Cour de justice mentionne la nécessité d’avoir recours aux droits nationaux concernant les modalités procédurales capables d’assurer les droits que les justiciables tirent de l’ « effet direct » du droit communautaire .81 Elle renvoie ainsi au principe de l’autonomie procédurale des États membres. Autonomie bornée par les principes d’équivalence et d’effectivité. En outre, les modalités en question ne doivent en effet pas être moins favorables que celles concernant des recours similaires de nature interne, et ne doivent pas non plus rendre pratiquement impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés. Néanmoins, comme le soulève Guillaume Zambrano, en utilisant le critère de responsabilité « significative » comme critère préalable à la responsabilité de la partie adverse, la Cour de justice de manière prétorienne introduit un nouveau élément au droit substantiel de la responsabilité BOSCO, David in Note sous CJCE, 20 septembre 2001, Courage Ltd et Bernard Creham, aff. C-453/99 Droit 21,79 2001, Chr., AJ 462 point 30 et voir, notamment en ce sens : CJCE, arrêt du 4 octobre 1979, Ireks-Arkady/Conseil et Commission,80 238/78, Rec. p. 2955, point 14 le droit anglais, la jurisprudence italienne et le législateur allemand ont dû étendre ainsi le droit d’agir à « toute81 personne »