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La vie en Bretagne (2ème partie)
Traduction par Nicole Le FOLL d’un article anonyme de la revue
"The Cornhill Magazine", vol.XL, juillet-décembre 1879
(La première partie de l'article a paru dans notre précédent numéro de décembre 1994)

Il est plutôt curieux que de tous ces
hommes, celui qui ait justifié la Révolution
soit le curé de la paroisse, auquel je suis
allé rendre visite seul. Il est, je crois, (il ne
peut en être autrement) la véritable
incarnation des théories catholiques, étant
le prêtre d'une société si dévouée au Pape.
Mais, comme les autres mortels faillibles,
il ne voit pas toujours le sens complet des
expressions qu'il utilise. Alors qu'il
m'entretenait des réparations et ajouts à la
structure de l'église depuis son arrivée dans
les lieux, il m'a dit qu'auparavant le service
de la paroisse incombait à un monastère
situé à quelque distance, et que celui-ci
engloutissait tous les revenus de la paroisse
et laissait l'église tomber en ruines. "Mais
maintenant, m'a-t-il dit, la paroisse est
séparée et il y a un prêtre à demeure, ce qui
est, je crois, ce qu’il y a de mieux pour une
paroisse. " En ajoutant: "Vous voyez, la
séparation était devenue nécessaire: il n 'y
avait plus d'argent pour la paroisse, car la
Révolution avait supprimé toutes les
dotations !". Il apportait ainsi la preuve que
la Révolution avait institué un prêtre
résident et faisait réparer les bâtiments
ecclésiastiques.
Ce fut aussi un dimanche que je
rendis visite au curé, entre deux services, à
un moment où je savais le trouver chez lui.
Il était assis à dîner avec son vicaire et
deux jeunes femmes habillées comme de
simples paysannes, qu'il me présenta
comme ses soeurs. Son histoire est la
même que celle de la plupart des prêtres
bretons. Fils de paysan, il fut élevé dans un

séminaire et lorsqu'une paroisse lui fut
confiée, il installa son père, sa mère et ses
soeurs au presbytère. Le père était un ivrogne de la pire espèce, qui passait son temps
au café, au scandale du prêtre et de
l'Église: il devint donc nécessaire de l'envoyer dans un lointain village où il mourut
il y a environ un an. La mère et les soeurs
habitent encore avec le curé. Elles sont
habillées comme de simples paysannes
avec le bonnet, le col et tout le costume
local, sans honte et sans ostentation. Vous
pensez que c'est tout naturel ; mais il y a
une autre façon de voir les choses si l'on
prend la peine de bien observer. Même
Madame la Comtesse de K..., la femme
nouvellement convertie, au zèle si ardent,
dont je vous ai parlé, dit qu'il n'y a qu'une
chose qu'on peut reprocher à l'Église
romaine, c'est que les prêtres ne sont pas
des gens de bien. Ne rejetez pas ce
problème avec dédain! Cela veut dire que
le curé ne peut pas s'asseoir à la table en
acajou du hobereau, ni se lier avec lui.
Voilà ce que cela peut signifier pour la
Noblesse ; mais pour le peuple, cela a une
signification bien plus grave.
Les bretons n'aiment pas les prêtres,
et cette aversion est bien enracinée, même
chez ces gens superstitieux et
apparemment dévots. D'où vient-elle ? Je
me suis posé cette question, je l'ai même
posée directement aux gens, et j'en ai
découvert l'origine : c'est l'attachement
viscéral du paysan français à l'argent. II
trouve les continuelles demandes des prêtres
insupportables et se révolte.

1/11
Pour vous faire comprendre comment cela
fonctionne, prenons l'exemple de mon
curé. Le Gouvernement le paie, je crois,
1.100 Francs, soit 44 Livres par an ; ces
1.100 Francs sont soumis à une déduction
de 30 Francs pour diverses taxes,
nationales et du diocèse, ce qui laisse au
curé des appointements de 36 Livres par
an. J'admets que cette somme ne peut lui
permettre de vivre que comme un paysan
ou un ermite, mais bien que le clergé prône
si souvent les beautés de la pauvreté, Je
n’ai pas encore rencontre un de ses
membres qui la pratique personnellement.
Je ne dis pas qu'ils demandent plus qu'il
n'est raisonnable, mais je reconnais qu'ils
demandent à vivre comme des hommes
instruits, comme des hommes qui, par
l'éducation qu'ils ont reçue ont acquis des
habitudes et des idées qui les coupent de la
vie des paysans, de la grossièreté des
manières des pauvres et de leur façon de se
nourrir.
Le curé fait ici ce que font les
autres membres du clergé: il demande plus.
A certaines périodes de l'année, il fait le
tour de sa paroisse pour recueillir le denier
du culte, dont le versement n'est pas
obligatoire, et il réussit à récolter un
revenu non négligeable auprès des paysans
réticents.
Il m'a dit lui-même que les gens
détestaient donner de l'argent, et donc
détestaient les prêtres. J'aurais pu lui dire
avec quelle amertume les gens de sa
paroisse m'avaient parlé des prêtres en
général et de lui-même en particulier bien
qu'ils admettent qu'il soit un brave homme
n'ayant qu'un défaut, son amour de l'argent
; amour que je trouve très modéré, car je
crois que tous ses revenus réunis
n'atteignent pas 100 Livres par an.

En fait, c'est véritablement un
homme charmant, aux manières agréables.
Il travaille aussi dur qu'un paysan et ne
ménage pas sa peine pour remplir ses
fonctions, ayant scrupule de m'accompagner en mer dans mon bateau de peur que
les gens lui reprochent d'avoir négligé ses
devoirs et déserté sa paroisse.

2/11
En outre, les gens se méfient des
prêtres et cette méfiance est profondément
enracinée dans leur esprit. Mon ami et
voisin, vieux loup de mer vivant d'une
pension, occupant un obscur emploi de
fonctionnaire et qui a une vraie tête de
Français, m'a prodigieusement amusé
l'autre jour par sa propre version des tonds
paroissiaux. Bien sûr, je ne fais que répéter
ici les paroles d'un homme sans éducation,
ancien maître d'équipage ou peut-être
quartier-maître. Cependant, sa langue bien
pendue n'a fait qu'exprimer les idées qui
sont celles de tous les paysans, bien qu'ils
ne puissent les exprimer ouvertement.
Voici ce qu'il m'a dit : "Pierre D... n'a
jamais été bien malin, il a donc été choisi
comme fabricien. Pierre remplissait ses
fonctions consciencieusement et s’occupait
tout particulièrement des offrandes, car le
curé lui avait dit qu'il fallait prendre grand
soin de l'argent jusqu'à Pâques. Il serait
alors divisé en quatre parties: une partie
pour le Pape, une pour l'évêque, une pour
les pauvres et une pour le prêtre. Pierre
avait donc réuni une somme rondelette, et
quand vint le jour de faire la division, il se
mit au travail avec diligence. L'ensemble
des pièces ayant été réparti en quatre parts,
Pierre demanda ce qui allait en être fait; à
quoi le curé répondit: "Je vais m'en
occuper". "Puis, dit Pierre, il a pris les
quatre parts et les a empochées : C'était
bien la peine que je fasse tout ce travail,
pour voir le curé mettre tout dans sa poche
!". Pierre donna sa démission. "C'est ainsi,
dit mon marin, ces prêtres, même un
imbécile comme Pierre peut les percer à
jour !".
Pourtant, vous, lecteur, et moi-même
savons (ou sommes convaincus) que le
curé a fidèlement rempli la mission dont il
était chargé et a fait remonter les sommes
respectives où il le devait, mais cela avait
fait naître des soupçons qu'il n'était pas
possible de faire disparaître. D'où

proviennent-ils donc ? Pourquoi avoir des
objections à ce que les prêtres aient un
salaire décent ? Cela ne vient pas
seulement de l'amour de l'argent des
paysans, mais aussi du fait que le prêtre
lui-même est un paysan, et ils ne
comprennent pas pourquoi il aurait besoin
d'un meilleur revenu qu'eux-mêmes, ou
pourquoi sa mère et ses soeurs devraient
avoir du vin ou du dessert, alors qu'eux-mêmes mangent du pain noir. La religion
n'est pas pour eux une raison suffisante, et
ils sont ignorants des effets de l'éducation.
Si mes lecteurs ont la patience de
bien vouloir me suivre dans ma description
de "la vie en Bretagne", je ne m'attends pas
à ce qu'un seul d'entre eux choisisse la
Bretagne comme lieu de résidence
permanent, malgré tous les avantages
qu'elle présente! Ce qui est évident, c'est
qu'il y pleut toujours: pas un mois, à peine
une seule journée sans pluie, et quelle
pluie! Elle pénètre partout, rend tout
humide. Les routes secondaires sont
transformées en canaux les trois quarts de
l'année, et ce n'est que grâce à l'excellente
condition des routes départementales, au
prix de fortes dépenses, que l'on peut
circuler. Si nous devions dépendre des
routes communales, nous serions isolés au
moins neuf mois sur douze.
Ce qui, pour des Anglais, serait
également un grave inconvénient, est le fait
d'utiliser en commun maison, étable,
grange et dépendances, ce qui est la règle
de ce pays. Les hommes de condition qui
habitent un château se lassent d'exploiter
leurs terres et les louent à un fermier qui a
le droit d'utiliser une certaine partie des
étables et autres bâtiments. Cet arrangement semble fonctionner relativement bien
avec les gentilshommes bretons qui
connaissent le mode de vie du peuple, mais
il est tout simplement insupportable à un
Anglais.

3/11
Il n'est pas une partie de votre lieu de
résidence qui soit bien entretenue. Rien
n'est vraiment à vous. Vous perdez vos
réserves de foin, d'avoine, etc...car le
paysan breton est un spéculateur. Vous
n'avez plus de vie privée: il y a une
perpétuelle interférence entre vos propres
affaires et celles des domestiques. Cet état
de choses s'aggrave encore lorsque le
château a été abandonné et que le maître se
trouve depuis longtemps à Paris ou
ailleurs.
Il est vraiment prodigieux
de
constater combien de belles demeures ont
été désertées par leurs propriétaire dans
cette belle Bretagne. Ont-ils été emportés
par la pluie, ou bien aspirés ailleurs par
l'amour que les Français portent aux
grandes villes et à la vie en société ? Quoi
qu'il en soit, vous voyez ici des maisons
abandonnées avec tout leur mobilier, ce qui
me rappelle le conte célèbre du repas de
mariage préservé en l' état pendant
cinquante ans du fait que le marié avait
subi quelque accident le jour du mariage.
J'allai voir le château de Penanrun l'autre
jour. C'est un bâtiment splendide, d'environ
trente pièces, situé dans un parc, avec des
dépendances anciennes, des jardins et des
vergers. Il est à louer actuellement pour
une bouchée de pain : voici son histoire.
Il y a vingt ans, le fils d'un vieux
soldat qui avait bien servi la France a
hérité de la propriété. Il avait des idées
nouvelles: il a fait raser l'ancien manoir (
qui était, paraît-il, bien plus beau que sa
maison moderne) et fait construire le
présent château à un coût très élevé. Il y a
habité cinq ans, puis soudain a tout fermé
et a quitté le pays. Ce château est resté
fermé quinze longues années, mis à part le
fait que
son beau-frère et sa sœur
venaient y passer quelques semaines l'été.
Mais il y a six ans, le beau-frère en
question est venu comme d'habitude, puis a

quitté les lieux de la même façon que le
propriétaire. Il a suspendu sa veste, son
linge de rechange, ses bottes, tous ses
vêtements, à une patère dans sa chambre
comme s'il allait les mettre quand il viendrait s'habiller. Mais il n'est jamais venu
s'habiller, ses vêtements y sont toujours et
c'est là que je les ai vus, mangés aux mites,
comme si on venait juste de les y placer
une demi-heure auparavant. Toute la
maison est dans le même état: divans,
chaises, tableaux, tout tombe peu à peu en
poussière, de telle façon que tout est abîmé
et inutilisable. Les dépendances sont
louées à un fermier, comme d'habitude.
Qui voudrait s'engager dans les réparations
et la rénovation d'un château tel que celuilà et le meubler à nouveau ?
Ce qui fait le charme de la
Bretagne, ce sont les "paysans". Ce n'est
pas étonnant, car ils sont vraiment "sui
generis", ils diffèrent totalement de toute
autre population. Ils ont à la fois la nature
sombre et taciturne de l'Espagnol et le
tempérament drôle et impétueux de
l'Irlandais. Il est difficile de comprendre
comment une même personne peut être à la
fois silencieuse et bruyante, réservée et
débordante de jovialité. Et pourtant, il en
est ainsi.
Elle doit tenir du tigre, cette population qui jusqu'en 1847 prenait plaisir à
faire périr ses amis à coups de fouet, lequel
était fabriqué de la façon suivante : la
partie souple mesurant environ cinq mètres
de longueur atteignait, à une petite distance
de la poignée, l'épaisseur d'un bras
d'homme pour devenir plus mince vers
l'extrémité tressée terminée par un noeud
très serré, qu'un enduit de glu rendait plus
coupante encore. Ce jouet était fixé à un
manche de bois solide et rigide, et non
seulement pouvait découper un homme en
steaks, mais même lui ôter la vie dès le
premier coup.

4/11
Et cependant un historien local fait le récit
d'une fête à laquelle il a assisté en 1847, où
l'attraction principale fut un combat entre
douze hommes, six de chaque côté, avec
ces armes mortelles. Le claquement de ces
fouets faisait, dit-il, plus de bruit qu'un
coup de fusil: on pouvait l'entendre à une
distance de quatre kilomètres, et lorsque
plusieurs faisaient claquer leurs fouets de
concert, le bruit était si terrible que l'on ne
pouvait que s'enfuir ou se boucher les
oreilles.
Ces douze hommes se faisaient face
à une distance correspondant presque à la
longueur de leur fouet. Ils étaient debout,
n'ayant comme vêtements pour se protéger
que des culottes courtes de feutre et des
chemises en solide toile à voile. Comme
tous les paysans bretons de l'ancien style,
ils portaient les cheveux longs, tressés dans
le dos et coupés sur le front à la façon du
"Garçon Bleu" de Gainsborough. Ils
n'avaient ni chapeau, ni couvre-chef. Le
bras gauche était nu, mais le bras droit, qui
tenait le fouet, était protégé du poignet au
cou par un brassard ou bouclier d'un cuir
épais. On pouvait reconnaître à quel camp
ils appartenaient par la couleur de la
houppe de leur fouet, rouge ou blanche.
Ces hommes qui se tenaient ainsi face à
face étaient prêts à être blessés à mort pour
la gloire, mais aussi pour un prix qui
consistait en une demi-douzaine de
mouchoirs à rayures et une livre de tabac.
Quand le signal fut donné par un
vieux paysan, les lutteurs prirent une
attitude de défi, fouet levé, la lanière retenue dans la main gauche. "Frappez !" dit la
même voix, et les douze câbles furent
lâchés en un instant; mais on n'entendit
aucun claquement quand ils s'emmêlèrent,
s'affrontant dans l'air à mi-hauteur. Les
plus réputés libérèrent rapidement leur
fouet et assénèrent un deuxième et
effroyable coup à leurs adversaires, les
balafrant de longues estafilades livides ou
sanguinolentes. Au troisième coup, le sang
ruisselait et tous les visages étaient

tailladés, à l'exception de deux: ces deux là
étaient les chefs, l'un grand, l'autre petit;
l'un lourd, l'autre léger ; l'un tout en chair,
l'autre musclé et nerveux, bien que faisant
seulement un mètre cinquante. Un étranger
aurait misé sur le géant, mais les gars de
Pipriac 1 connaissaient trop bien les
prouesses du nain pour risquer leur argent
contre lui.
Le combat redoubla de fureur : les
hommes dédaignaient de parer les coups,
ils ne pensaient qu'à en donner. Le bruit
ressemblait à celui d'une salve de fusils.
Les lanières se firent souples pour saisir, se
tendirent à nouveau et se nouèrent dans le
sang. Les visages n'étaient plus humains;
les cheveux longs pendaient en avant,
baignés de sueur et de sang. Mais aucun
des deux champions n'avait reçu un seul
coup. Eux s'étaient ménagés, s'étaient
protégés et avaient paré les coups, sachant
que c'était d'eux que dépendrait l'issue de
la lutte. Mais cette fois, l’homme de haute
taille atteint son but: une longue blessure
bleue, en spirale, le long de laquelle le
sang gicle ici et là, zèbre le bras du petit
Joseph et le fait tituber de douleur. Il se
reprend, lance son fouet en direction de
son adversaire et l'extrémité mortelle ne
rate le visage du grand Joseph que de
quinze centimètres. Stimulé par son
premier succès, Kaer s’avance et met toute
sa force dans le coup qu'il lance en
direction de Josille. Le petit homme ne
prend même pas la peine de l’éviter, il
lance son fouet en souplesse en faisant une
sorte de pirouette, sans aucun effort. Le
coup de Kaer n'atteint pas son but; mais
lorsque Josille retire son fouet d'un coup
sec, tout le visage de Kaer est coupé en
deux, une plaie gigantesque, les os même
sont à nu.
1 Chef-Iieu de canton d'llle-et-Vilaine, près de
Redon.

5/11
Il n 'y a plus que ces deux-là en lice, les
autres ont conclu une trêve et sont occupés
à soigner leurs graves blessures. Kaer,
aveuglé par le choc, protège son visage de
son brassard de cuir et fait une pause.
Josille, bien loin de profiter de l'occasion
pour presser son avantage, sort calmement
son mouchoir de sa poche pour se moucher
bruyamment, au grand amusement de ceux
qui ont misé sur lui et qui considèrent cela
comme une bonne plaisanterie. Les rires
rendent Kaer furieux, il perd son sangfroid, ne se contrôle plus. Il frappe, trépigne, marque quelques beaux coups, mais
Josille garde son calme, et au bout de dix
minutes le géant, couvert de blessures, la
chemise en lambeaux, l'écume à la bouche,
aveuglé, s'affaisse sur les genoux.
"N'abandonne pas !" crient encore
quelques voix. Mais l'effort pour se lever
est vain. Josille, apparemment incapable de
pitié, comme tout bon paysan breton, se
mouche à nouveau et se prépare à porter le
coup de grâce à l'homme presqu'à terre. Un
frisson parcourt la foule... Mais Josille est
meilleur que les apparences ne le laissent
supposer, car au lieu de tailler dans la
pauvre chair, il enlève avec dextérité le
fouet des mains de la victime, puis croise
les bras sur la poitrine. Kaer ferme les yeux
et pose sa tête brûlante sur le sable. Les
Blancs sont proclamés vainqueurs. Les
simples participants reçoivent seulement
un mouchoir d'une valeur de six pence ², et
Josille la livre de tabac. Je ne sais si on voit
encore de telles scènes, mais ce récit est si
récent qu'il éclaire le paysan breton tel que
je le rencontre.

chatoyant. Et cependant, je dois dire, à
mon grand regret, que la façon de s'habiller
change. Nos vieux paysans portent des
sabots, des guêtres, de très amples culottes
serrées sous le genou, avec blouse et gilet,
les cheveux longs comme ceux d'une
femme; un large chapeau plat en feutre
complète le costume. Nos jeunes gens ont
adopté les pantalons, mais ils continuent à
porter la blouse brodée au col et l'ample
gilet fluide, le plus souvent fait d'une étoffe
de couleur bleu-foncé, brodé dans le dos
d'une représentation du Saint Sacrement;
ces broderies disparaissent, ainsi que la
coutume de porter les cheveux longs et
bouclés. Les femmes portent une jupe
courte, de tissu très épais, avec des plis à la
taille, qui ressemble plus à un kilt écossais
qu'à autre chose.

Quant aux vêtements des gens de la
campagne, ils sont pittoresques, si
pittoresques en vérité que lorsque quelque
sotte servante s'entiche de la mode
parisienne et la suit, elle ressemble à une
corneille au milieu d'oiseaux au plumage
² De très faible valeur: une Livre = 20 shilling, un shilling = 12 pence (pluriel de penny).

6/11
Elles ont une sorte de veste de drap brodé
ou gilet avec manches, et par dessus
encore, un autre sans manches, avec une
encolure carrée bien échancrée à l'avant
pour mettre en valeur leur chemisette
blanche joliment empesée ; à la chemisette
est attaché un énorme col qui dépasse
largement les épaules et qui est une
merveille d'adresse dans les arts de
l'empesage et du repassage. Ce col, ainsi
que la grande coiffe de la région, qui
diffère dans chaque commune, complète le
costume. Bien sûr, il y a différentes sortes
de coiffures, certaines amples et légères,
d'autres bien ajustées, certaines sont
colorées, d'autres brodées, et ceci donne à
toute manifestation un aspect très varié et
agréable. Mais ma plume ne saurait décrire
tout cela.
Le foyer du paysan breton est très
spécial et diffère de tout ce que j'ai pu voir
ailleurs. Une vieille étable, une écurie,
n'importe quelle dépendance fait aussi bien
son affaire que tel autre bâtiment, et sera
toujours utilisé dans la mesure où il est
disponible. Mais que la maison soit
construite de pierre, de bois ou de torchis,
l'extérieur est presque toujours le même: il
présente une porte au milieu et deux petites
fenêtres carrées d'environ quarante
centimètres de côté. A l'intérieur le sol est
de terre battue, véritablement en terre, et
comme la Bretagne est un pays très
pluvieux, les sols en terre sont presque
toujours humides, souvent avec des flaques
d'eau.
Je me souviens m'être arrêté un
jour, en revenant de la pêche, dans l'une de
ces masures qui servait d'auberge, et avoir
eu des difficultés à trouver un endroit sec
où poser mes pieds. Étant enclin à
bavarder, je demandai à mon hôte
comment un homme tel que lui, que je
prenais pour un homme d'une certaine
aisance, à voir les meubles de valeur qu'il
possédait, pouvait supporter de vivre dans

une telle porcherie. Il me répondit qu'il
portait toujours des sabots que l'humidité
ne pouvait traverser. Quant à dormir dans
un tel lieu, qu'est-ce que cela pouvait bien
lui faire, lorsqu'il était bien en sécurité
dans son lit clos (merveilleux buffet breton
aménagé en lit). Même si la mer devait
envahir sa demeure, ce serait le dernier de
ses soucis. Les plus pauvres masures ont
leur lit clos et leur armoire d'un bois au
grain fin, pour la plupart magnifiquement
sculptés. Cette auberge avait tout un côté
occupé d'un seul et unique meuble pour
faire dormir toute la famille. Une sorte de
haut placard sculpté prenait toute la
longueur du mur. Il comprenait un lit à
chaque extrémité et une grande horloge au
milieu, une horloge comme nos ancêtres en
avaient dans leur cuisine.
Durant la journée, les lits sont
invisibles, la nuit également, je suppose :
on peut y accéder par deux petites portes
coulissantes qui possèdent des petites
colonnettes pour l'aération. Les portes ne
sont ouvertes que pour permettre l'entrée
ou la sortie du locataire. Elles restent
fermées jour et nuit, si bien qu'il est
possible de pénétrer dans une pièce de ce
type (ce que j'ai fait) à minuit, sans voir
homme, femme ou enfant, jusqu'à ce que
les petites portes s'entr'ouvrent et que les
têtes de toute une famille émergent de ce
que l'on peut bien appeler un salon de nuit.
Si l'on ajoute à ce lit clos une armoire
(buffet aux grandes portes qui se rabattent),
quelques ustensiles de cuisine, un banc ou
deux et une table, vous avez l'inventaire
complet d'une maison bretonne, qu'elle soit
occupée par un fermier ou un ouvrier
agricole. Il y a un an, je suis allé visiter un
château à louer. Il appartenait à un riche
fermier qui s'était installé dans l'étable
immédiatement après son achat. C'est là
que je le vis, avec les vaches, les chevaux,
les cochons et les domestiques, la pièce où
il vivait n'étant séparée d'eux que par une
mince cloison de bois.

7/11
J'ai cité les domestiques avec le bétail:
c'était effectivement ainsi, un homme
dormait dans une sorte de petit lit en bois
brut, dans une étable avec dix vaches.
C'était nécessaire, d'après mon fermier, au
cas où elles se seraient enfuies la nuit.
De même que le paysan breton vit
de façon primitive au milieu de son bétail,
il pense et agit de façon primitive. Il a peu
d'idées et elles lui viennent de ses ancêtres.
Je suppose que la religion en Bretagne
reste à peu de choses près telle qu'elle était
à l'époque de Saint Louis, à l'exception des
abus des prêtres et de leur conduite
répréhensible en accord avec les moeurs du
Moyen Age et en relation avec l'appui que
leur accordait l'État à cette époque.
Jean, le fermier, vient de rentrer
d'un pèlerinage de trois semaines à
Lourdes avec 1.500 bretons, presque tous
des paysans. Il a dû dépenser beaucoup
d'argent : le billet de train et I 'hôtel, ce
n'est pas rien! Cela peut sembler curieux
(de parler de train et d'hôtel à propos de
pèlerinage, et c'est effectivement curieux,
car on s'attend naturellement à ce que l’ouverture et les idées nouvelles que le
premier apporte et le luxe que le second
suggère soient des moyens très efficaces
pour faire cesser des coutumes médiévales
- ce qui se produira un jour - mais pour le
moment ils servent les intérêts de ceux qui
vivent de cette superstition antique et
étrange qui les rend prospères. Plus d'un
expédient utilisé - pour ranimer quelque
temps un rêve qui s'éteint ne rend que plus
inéluctable le réveil final.
Ma bonne, Françoise, a elle aussi
fait son pèlerinage, et a fait l'expérience
d'un miracle sur sa propre personne, auquel
je peux donner tout le poids de mon
témoignage désintéressé.
Tout le monde savait que Françoise buvait
- elle était pratiquement tombée dans la
déchéance - et tous pensaient que c'était
pour toujours, quand, un beau jour , elle
enleva bas et chaussures et se rendit auprès

d'un certain saint afin d'être guérie de son
ivrognerie. Pieds nus elle partit, pieds nus
elle revint, guérie et saine d'esprit. Pendant
six mois elle ne but aucune boisson
fermentée, trouvant quelque soulagement
uniquement avec du vinaigre et de l'eau.
Au bout de six mois elle partit à nouveau
nu-pieds, car elle devait des remerciements
au Bon Dieu pour le miracle qu'il avait fait
pour elle. Elle habite maintenant chez
nous, elle est sobre comme un juge (devrait
l’être), et aussi gaie qu'un grillon. Ce
miracle, je peux en témoigner, et s'il se
prolonge
effectivement,
ce
sera
véritablement un miracle. Il est la preuve
de l'efficacité d'une volonté très forte
tendue vers une fin, même si cette volonté
ne procède que de notre esprit.

8/11
Ce que l'homme ne peut faire seul, il peut
le faire à l'aide d'une petite fiction bien
mise en scène, les "dramatis personae" et le
tableau final étant tous en place dans
l'esprit de la personne dès le début.
Françoise pense qu'un démon familier veut
faire échouer tous ses projets et s'efforce de
la faire jurer. Hier, elle essaya plusieurs
fois d'allumer une bougie avec un bâton
enflammé, sans succès: c'était la faute de
son démon. Mais quand enfin elle réussit,
elle s'exclama : " Ah! J’ai gagné, tu ne
m'as pas fait jurer "'. Mais la flamme
s'éteignit quand elle posa la bougie sur la
table ; elle remarqua d'un ton lugubre :
"Non, finalement, c'est lui qui a gagné !".
Toutes ces idées sont communes chez nos
Bretons.
Ces gens ne paraissent pas sales.
Leurs vêtements sont toujours convenables
et, les jours de fête, ils sont non seulement
beaux, mais de prix. Et cependant je crois
qu'un paysan breton ne se lave pas une
seule fois dans sa vie. Je n'ai jamais vu
quelque chose qui pouvait servir à la
toilette dans aucune des pièces qu'ils
habitent, je n'en ai jamais vu aucun se laver
dans un baquet, un ruisseau, ni à un puits.
Et pourtant, personne n'est mieux placé que
moi pour les observer. En face de ma
fenêtre se trouve le puits, l'unique point
d'eau de la communauté : c'est là que tous
doivent se rendre pour chercher de l'eau, et
cependant je n'ai jamais vu quelqu'un laver
autre chose que des vêtements au puits ou
aux abords du puits. En vérité, ils sont (il
ne peut en être autrement) aussi sales que
les porcs qui vivent et dorment près de leur
lit. Chaque fois que j'ai affaire à eux, je
laisse un grand espace entre nous,
particulièrement lorsqu'il s'agit d'enfants, et
l'expérience prouve que j'ai tout à fait
raison de prendre cette précaution.
L'hiver en Bretagne est une période

épouvantable, une période de pluie
incessante, de routes si mauvaises qu'elles
sont quasiment impraticables, de longues
et lugubres journées sans soleil. Je ne peux
recommander la Bretagne si l'on cherche
une résidence d'hiver. Il n 'y a pas ici de
"foyer" ; (Home dans le texte) dans le sens
anglais. Les maisons ne sont pas
construites pour l'agrément et le confort.
Les pièces communiquent les unes avec les
autres, si bien qu'elles ont beaucoup de
portes. Pas de salon vraiment confortable,
ni de sièges de détente, ni de cheminée qui
fasse rêver de pantoufles et d'un bon livre ;
pas de chambre de malade susceptible de
devenir presque plus accueillante que le
salon habituel. Même dans les grandes
demeures, les chambres ne sont, pour la
plupart, que de simples placards. Il est vrai
que dans un très grand château, il est
possible de trouver une ou deux pièces
destinées à être des pièces d'apparat,
meublées comme des boudoirs, avec une
alcôve pour le lit, mais c'est rare, et même
dans ce cas les meubles sont là pour le
décor, ils sont inconfortables et ne
permettent pas de se reposer. Il ne faut pas
critiquer les lits français: eux au moins sont
parfaits. L'Angleterre, comparée à la
France dans ce domaine, est un pays sauvage et barbare. Je ne parle pas de la forme
des bois de lit. Je ne m'en prends pas à
l'ancien lit à baldaquin, je parle des matelas
mous, moelleux, épais, entassés sur un
sommier, sorte de coffrage à ressorts. Je
sais que dans certaines maisons
anglaises et que dans la plupart des hôtels
anglais on trouve une pâle imitation de ces
lits français, mais comme ces pâles copies
sont loin d'égaler les originaux ! Les
Anglais économisent sur les matelas, ils
économisent aussi sur ce qui est utilisé
pour le rembourrage, et pire encore, ils ont
l'incorrigible habitude de tellement serrer la
laine, le crin, ou la bourre de laine, que cela
revient à dormir sur une planche.

9/11
Au contraire, tout est mou dans un
véritable lit français, si mou qu'il peut être
ouvert et refait tous les ans à la maison, au
lieu d'attendre des années, comme dans les
maisons anglaises, pour les amener au prix
d'un onéreux voyage chez Maple and Co,
ou Heal and Co, qui font ce travail à la
vapeur
dans
leurs
merveilleuses
installations.
C'est en hiver plus qu'en toute autre
saison que le paysan breton se révèle tel
qu'il est vraiment, car le sol de sa maison
est à mi-distance entre une mare et une
porcherie. Il a des vêtements toujours
humides, quand ils ne sont pas bons à
tordre. Il n'a aucune sorte de confort dans
son intérieur et semble n’en rechercher
aucun. Un grand nombre d’entre eux ne
sont pas seulement d’une richesse relative,
ils sont vraiment très riches. Par exemple
Jean, notre fermier, possède au moins
20.000 Francs, ou 800 Livres, ce qui n'est
pas une somme négligeable pour un
travailleur,
même
en
Angleterre ;
cependant il n'a qu'un désir, augmenter ce
qu'il possède. Rendre sa maison plus
confortable pour l'hiver ne lui vient même
pas à l’esprit. Son cas n'est pas du tout
exceptionnel, et pourtant cet homme va
bientôt mourir de phtisie. Il y a deux ans, le
docteur l'avait prévenu de cesser de
s’exposer au froid et à l’humidité sous
peine d'une mort prochaine ; cependant, il
n'y a pas
renoncé et la conséquence
en est qu’il est maintenant mourant. Il y a
quelques jours, j'ai entendu dire qu'il était
alité, qu'il allait très mal et crachait le sang.
Je lui rendis donc visite et le trouvai
effectivement très mal. Sa chambre ne
pouvait pas être plus humide: elle n'avait
pas de rideaux, la porte d'entrée était
grande ouverte, le feu se réduisait à
quelques braises que l'on ranimerait, en
soufflant dessus, uniquement pour faire la
cuisine ou pour les besoins de la ferme. Il
n'avait pas de médicaments ni de nourriture
particulière, mais se nourrissait comme les

autres de pain de seigle et de galettes ou
crêpes de blé noir. Je lui dis, en présence
de sa femme, que je le trouvais bien mal.
Dans la nuit, elle s'alarma lorsqu'il vomit
du sang, si bien qu'elle vint chez moi, le
matin suivant, en larmes, me demander ce
qu'elle devait faire pour lui. Je lui dis de lui
procurer de la chaleur, de la viande, de la
soupe et autres réconforts, et elle alla donc
acheter deux livres de pain blanc ! Quand
ce pain blanc arriva à la maison, sa mère
(la belle-mère de Jean), qui vit chez eux,
s'emporta, puis resta maussade toute la
journée, car c'étaient, d'après elle, des
dépenses inconsidérées. Il faut savoir que
pendant des jours je lui avais envoyé de la
soupe, de la viande et des pâtisseries de ma
propre table, en partie parce que je pensais
qu'il devait recevoir de l'aide sans délai, en
partie parce que je ne pouvais supporter de
voir cet homme mourir d'inanition sous
mes yeux, car il ne pouvait manger la
grossière nourriture qu'ils consomment
habituellement et donc ne prenait rien du
tout. Ils ont accepté tous mes cadeaux,
pratiquement sans un merci, et n'ont pas
cherché à se procurer autre chose, jusqu'à
ce jour où Yvonne acheta ce pain blanc. Eh
bien, ce jour là, alors que sa mère était
furieuse, elle entra en larmes dans ma
cuisine et dit à ma bonne combien c'était
difficile pour elle. La bonne vint me le
rapporter immédiatement et protesta en
disant que je ne devais pas continuer à
envoyer de la nourriture à un homme riche
et avare, entouré de deux femmes
également avares, alors que de vrais
pauvres n'avaient rien, sinon leur main à
tendre pour demander de l'aide. Je répondis
que je n'avais jamais jusque-là refusé
d'aider un vrai pauvre et que j'avais
l'intention de continuer à prodiguer de
l'aide à Jean" en dépit de son attitude dictée
par son avarice" car je ne pouvais
supporter de voir un homme mourir dans le
besoin alors que je n'étais pas moi-même
dans la gêne.

10/11
Mais je lui recommandai de gronder
Yvonne sévèrement et de lui dire qu'elle
devait remplir son devoir envers son mari"
même si elle devait pour cela mettre sa
mère à la porte" d'autant plus qu'il
s'agissait d"une femme riche qui avait bien
les moyens de tenir sa propre maison. Eh
bien! Faites attention à la réponse
d'Yvonne :
" Ah! Ce n'est pas possible, car il se peut
que mon mari meure bientôt, et alors
j'aurai besoin de l'aide de ma mère… "
Remarquez bien cette réponse, dis-je, son égoïsme le plus complet, et dites moi si de telles personnes ont quelque
valeur, quelque profondeur de caractère '?
Quant à moi, je ne le pense pas.
Le temps a changé et Jean va mieux
depuis quelque temps" mais il n'en a plus
que pour quelques mois à vivre. Il est déjà

sorti sous la pluie et il sera à nouveau alité
dans quelques jours, à vomir du sang.
Comme il allait très mal, sa femme m'avait
supplié, alors que j'allais moi-même chez
le docteur à une quinzaine de kilomètres,
de demander un remède pour les
crachements de sang de son mari. Je le fis,
et expliquai aussi les conditions de vie
liées à l'habitat et à l'entourage familial. Le
docteur, qui est un homme très intelligent,
me dit qu'il les connaissait bien tous, et
qu'Yvonne passerait bientôt un très
mauvais moment. Je dis: "Va-t-il donc
mourir bientôt ?
- Oui! dit-il, mais ce n'est pas là le mauvais
moment auquel je pense. Ce sera encore
bien plus douloureux pour elle quand,
après l’enterrement "elle devra venir payer
mes honoraires !"

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Chroniques de Fouesnant - lmey

  • 1. La vie en Bretagne (2ème partie) Traduction par Nicole Le FOLL d’un article anonyme de la revue "The Cornhill Magazine", vol.XL, juillet-décembre 1879 (La première partie de l'article a paru dans notre précédent numéro de décembre 1994) Il est plutôt curieux que de tous ces hommes, celui qui ait justifié la Révolution soit le curé de la paroisse, auquel je suis allé rendre visite seul. Il est, je crois, (il ne peut en être autrement) la véritable incarnation des théories catholiques, étant le prêtre d'une société si dévouée au Pape. Mais, comme les autres mortels faillibles, il ne voit pas toujours le sens complet des expressions qu'il utilise. Alors qu'il m'entretenait des réparations et ajouts à la structure de l'église depuis son arrivée dans les lieux, il m'a dit qu'auparavant le service de la paroisse incombait à un monastère situé à quelque distance, et que celui-ci engloutissait tous les revenus de la paroisse et laissait l'église tomber en ruines. "Mais maintenant, m'a-t-il dit, la paroisse est séparée et il y a un prêtre à demeure, ce qui est, je crois, ce qu’il y a de mieux pour une paroisse. " En ajoutant: "Vous voyez, la séparation était devenue nécessaire: il n 'y avait plus d'argent pour la paroisse, car la Révolution avait supprimé toutes les dotations !". Il apportait ainsi la preuve que la Révolution avait institué un prêtre résident et faisait réparer les bâtiments ecclésiastiques. Ce fut aussi un dimanche que je rendis visite au curé, entre deux services, à un moment où je savais le trouver chez lui. Il était assis à dîner avec son vicaire et deux jeunes femmes habillées comme de simples paysannes, qu'il me présenta comme ses soeurs. Son histoire est la même que celle de la plupart des prêtres bretons. Fils de paysan, il fut élevé dans un séminaire et lorsqu'une paroisse lui fut confiée, il installa son père, sa mère et ses soeurs au presbytère. Le père était un ivrogne de la pire espèce, qui passait son temps au café, au scandale du prêtre et de l'Église: il devint donc nécessaire de l'envoyer dans un lointain village où il mourut il y a environ un an. La mère et les soeurs habitent encore avec le curé. Elles sont habillées comme de simples paysannes avec le bonnet, le col et tout le costume local, sans honte et sans ostentation. Vous pensez que c'est tout naturel ; mais il y a une autre façon de voir les choses si l'on prend la peine de bien observer. Même Madame la Comtesse de K..., la femme nouvellement convertie, au zèle si ardent, dont je vous ai parlé, dit qu'il n'y a qu'une chose qu'on peut reprocher à l'Église romaine, c'est que les prêtres ne sont pas des gens de bien. Ne rejetez pas ce problème avec dédain! Cela veut dire que le curé ne peut pas s'asseoir à la table en acajou du hobereau, ni se lier avec lui. Voilà ce que cela peut signifier pour la Noblesse ; mais pour le peuple, cela a une signification bien plus grave. Les bretons n'aiment pas les prêtres, et cette aversion est bien enracinée, même chez ces gens superstitieux et apparemment dévots. D'où vient-elle ? Je me suis posé cette question, je l'ai même posée directement aux gens, et j'en ai découvert l'origine : c'est l'attachement viscéral du paysan français à l'argent. II trouve les continuelles demandes des prêtres insupportables et se révolte. 1/11
  • 2. Pour vous faire comprendre comment cela fonctionne, prenons l'exemple de mon curé. Le Gouvernement le paie, je crois, 1.100 Francs, soit 44 Livres par an ; ces 1.100 Francs sont soumis à une déduction de 30 Francs pour diverses taxes, nationales et du diocèse, ce qui laisse au curé des appointements de 36 Livres par an. J'admets que cette somme ne peut lui permettre de vivre que comme un paysan ou un ermite, mais bien que le clergé prône si souvent les beautés de la pauvreté, Je n’ai pas encore rencontre un de ses membres qui la pratique personnellement. Je ne dis pas qu'ils demandent plus qu'il n'est raisonnable, mais je reconnais qu'ils demandent à vivre comme des hommes instruits, comme des hommes qui, par l'éducation qu'ils ont reçue ont acquis des habitudes et des idées qui les coupent de la vie des paysans, de la grossièreté des manières des pauvres et de leur façon de se nourrir. Le curé fait ici ce que font les autres membres du clergé: il demande plus. A certaines périodes de l'année, il fait le tour de sa paroisse pour recueillir le denier du culte, dont le versement n'est pas obligatoire, et il réussit à récolter un revenu non négligeable auprès des paysans réticents. Il m'a dit lui-même que les gens détestaient donner de l'argent, et donc détestaient les prêtres. J'aurais pu lui dire avec quelle amertume les gens de sa paroisse m'avaient parlé des prêtres en général et de lui-même en particulier bien qu'ils admettent qu'il soit un brave homme n'ayant qu'un défaut, son amour de l'argent ; amour que je trouve très modéré, car je crois que tous ses revenus réunis n'atteignent pas 100 Livres par an. En fait, c'est véritablement un homme charmant, aux manières agréables. Il travaille aussi dur qu'un paysan et ne ménage pas sa peine pour remplir ses fonctions, ayant scrupule de m'accompagner en mer dans mon bateau de peur que les gens lui reprochent d'avoir négligé ses devoirs et déserté sa paroisse. 2/11
  • 3. En outre, les gens se méfient des prêtres et cette méfiance est profondément enracinée dans leur esprit. Mon ami et voisin, vieux loup de mer vivant d'une pension, occupant un obscur emploi de fonctionnaire et qui a une vraie tête de Français, m'a prodigieusement amusé l'autre jour par sa propre version des tonds paroissiaux. Bien sûr, je ne fais que répéter ici les paroles d'un homme sans éducation, ancien maître d'équipage ou peut-être quartier-maître. Cependant, sa langue bien pendue n'a fait qu'exprimer les idées qui sont celles de tous les paysans, bien qu'ils ne puissent les exprimer ouvertement. Voici ce qu'il m'a dit : "Pierre D... n'a jamais été bien malin, il a donc été choisi comme fabricien. Pierre remplissait ses fonctions consciencieusement et s’occupait tout particulièrement des offrandes, car le curé lui avait dit qu'il fallait prendre grand soin de l'argent jusqu'à Pâques. Il serait alors divisé en quatre parties: une partie pour le Pape, une pour l'évêque, une pour les pauvres et une pour le prêtre. Pierre avait donc réuni une somme rondelette, et quand vint le jour de faire la division, il se mit au travail avec diligence. L'ensemble des pièces ayant été réparti en quatre parts, Pierre demanda ce qui allait en être fait; à quoi le curé répondit: "Je vais m'en occuper". "Puis, dit Pierre, il a pris les quatre parts et les a empochées : C'était bien la peine que je fasse tout ce travail, pour voir le curé mettre tout dans sa poche !". Pierre donna sa démission. "C'est ainsi, dit mon marin, ces prêtres, même un imbécile comme Pierre peut les percer à jour !". Pourtant, vous, lecteur, et moi-même savons (ou sommes convaincus) que le curé a fidèlement rempli la mission dont il était chargé et a fait remonter les sommes respectives où il le devait, mais cela avait fait naître des soupçons qu'il n'était pas possible de faire disparaître. D'où proviennent-ils donc ? Pourquoi avoir des objections à ce que les prêtres aient un salaire décent ? Cela ne vient pas seulement de l'amour de l'argent des paysans, mais aussi du fait que le prêtre lui-même est un paysan, et ils ne comprennent pas pourquoi il aurait besoin d'un meilleur revenu qu'eux-mêmes, ou pourquoi sa mère et ses soeurs devraient avoir du vin ou du dessert, alors qu'eux-mêmes mangent du pain noir. La religion n'est pas pour eux une raison suffisante, et ils sont ignorants des effets de l'éducation. Si mes lecteurs ont la patience de bien vouloir me suivre dans ma description de "la vie en Bretagne", je ne m'attends pas à ce qu'un seul d'entre eux choisisse la Bretagne comme lieu de résidence permanent, malgré tous les avantages qu'elle présente! Ce qui est évident, c'est qu'il y pleut toujours: pas un mois, à peine une seule journée sans pluie, et quelle pluie! Elle pénètre partout, rend tout humide. Les routes secondaires sont transformées en canaux les trois quarts de l'année, et ce n'est que grâce à l'excellente condition des routes départementales, au prix de fortes dépenses, que l'on peut circuler. Si nous devions dépendre des routes communales, nous serions isolés au moins neuf mois sur douze. Ce qui, pour des Anglais, serait également un grave inconvénient, est le fait d'utiliser en commun maison, étable, grange et dépendances, ce qui est la règle de ce pays. Les hommes de condition qui habitent un château se lassent d'exploiter leurs terres et les louent à un fermier qui a le droit d'utiliser une certaine partie des étables et autres bâtiments. Cet arrangement semble fonctionner relativement bien avec les gentilshommes bretons qui connaissent le mode de vie du peuple, mais il est tout simplement insupportable à un Anglais. 3/11
  • 4. Il n'est pas une partie de votre lieu de résidence qui soit bien entretenue. Rien n'est vraiment à vous. Vous perdez vos réserves de foin, d'avoine, etc...car le paysan breton est un spéculateur. Vous n'avez plus de vie privée: il y a une perpétuelle interférence entre vos propres affaires et celles des domestiques. Cet état de choses s'aggrave encore lorsque le château a été abandonné et que le maître se trouve depuis longtemps à Paris ou ailleurs. Il est vraiment prodigieux de constater combien de belles demeures ont été désertées par leurs propriétaire dans cette belle Bretagne. Ont-ils été emportés par la pluie, ou bien aspirés ailleurs par l'amour que les Français portent aux grandes villes et à la vie en société ? Quoi qu'il en soit, vous voyez ici des maisons abandonnées avec tout leur mobilier, ce qui me rappelle le conte célèbre du repas de mariage préservé en l' état pendant cinquante ans du fait que le marié avait subi quelque accident le jour du mariage. J'allai voir le château de Penanrun l'autre jour. C'est un bâtiment splendide, d'environ trente pièces, situé dans un parc, avec des dépendances anciennes, des jardins et des vergers. Il est à louer actuellement pour une bouchée de pain : voici son histoire. Il y a vingt ans, le fils d'un vieux soldat qui avait bien servi la France a hérité de la propriété. Il avait des idées nouvelles: il a fait raser l'ancien manoir ( qui était, paraît-il, bien plus beau que sa maison moderne) et fait construire le présent château à un coût très élevé. Il y a habité cinq ans, puis soudain a tout fermé et a quitté le pays. Ce château est resté fermé quinze longues années, mis à part le fait que son beau-frère et sa sœur venaient y passer quelques semaines l'été. Mais il y a six ans, le beau-frère en question est venu comme d'habitude, puis a quitté les lieux de la même façon que le propriétaire. Il a suspendu sa veste, son linge de rechange, ses bottes, tous ses vêtements, à une patère dans sa chambre comme s'il allait les mettre quand il viendrait s'habiller. Mais il n'est jamais venu s'habiller, ses vêtements y sont toujours et c'est là que je les ai vus, mangés aux mites, comme si on venait juste de les y placer une demi-heure auparavant. Toute la maison est dans le même état: divans, chaises, tableaux, tout tombe peu à peu en poussière, de telle façon que tout est abîmé et inutilisable. Les dépendances sont louées à un fermier, comme d'habitude. Qui voudrait s'engager dans les réparations et la rénovation d'un château tel que celuilà et le meubler à nouveau ? Ce qui fait le charme de la Bretagne, ce sont les "paysans". Ce n'est pas étonnant, car ils sont vraiment "sui generis", ils diffèrent totalement de toute autre population. Ils ont à la fois la nature sombre et taciturne de l'Espagnol et le tempérament drôle et impétueux de l'Irlandais. Il est difficile de comprendre comment une même personne peut être à la fois silencieuse et bruyante, réservée et débordante de jovialité. Et pourtant, il en est ainsi. Elle doit tenir du tigre, cette population qui jusqu'en 1847 prenait plaisir à faire périr ses amis à coups de fouet, lequel était fabriqué de la façon suivante : la partie souple mesurant environ cinq mètres de longueur atteignait, à une petite distance de la poignée, l'épaisseur d'un bras d'homme pour devenir plus mince vers l'extrémité tressée terminée par un noeud très serré, qu'un enduit de glu rendait plus coupante encore. Ce jouet était fixé à un manche de bois solide et rigide, et non seulement pouvait découper un homme en steaks, mais même lui ôter la vie dès le premier coup. 4/11
  • 5. Et cependant un historien local fait le récit d'une fête à laquelle il a assisté en 1847, où l'attraction principale fut un combat entre douze hommes, six de chaque côté, avec ces armes mortelles. Le claquement de ces fouets faisait, dit-il, plus de bruit qu'un coup de fusil: on pouvait l'entendre à une distance de quatre kilomètres, et lorsque plusieurs faisaient claquer leurs fouets de concert, le bruit était si terrible que l'on ne pouvait que s'enfuir ou se boucher les oreilles. Ces douze hommes se faisaient face à une distance correspondant presque à la longueur de leur fouet. Ils étaient debout, n'ayant comme vêtements pour se protéger que des culottes courtes de feutre et des chemises en solide toile à voile. Comme tous les paysans bretons de l'ancien style, ils portaient les cheveux longs, tressés dans le dos et coupés sur le front à la façon du "Garçon Bleu" de Gainsborough. Ils n'avaient ni chapeau, ni couvre-chef. Le bras gauche était nu, mais le bras droit, qui tenait le fouet, était protégé du poignet au cou par un brassard ou bouclier d'un cuir épais. On pouvait reconnaître à quel camp ils appartenaient par la couleur de la houppe de leur fouet, rouge ou blanche. Ces hommes qui se tenaient ainsi face à face étaient prêts à être blessés à mort pour la gloire, mais aussi pour un prix qui consistait en une demi-douzaine de mouchoirs à rayures et une livre de tabac. Quand le signal fut donné par un vieux paysan, les lutteurs prirent une attitude de défi, fouet levé, la lanière retenue dans la main gauche. "Frappez !" dit la même voix, et les douze câbles furent lâchés en un instant; mais on n'entendit aucun claquement quand ils s'emmêlèrent, s'affrontant dans l'air à mi-hauteur. Les plus réputés libérèrent rapidement leur fouet et assénèrent un deuxième et effroyable coup à leurs adversaires, les balafrant de longues estafilades livides ou sanguinolentes. Au troisième coup, le sang ruisselait et tous les visages étaient tailladés, à l'exception de deux: ces deux là étaient les chefs, l'un grand, l'autre petit; l'un lourd, l'autre léger ; l'un tout en chair, l'autre musclé et nerveux, bien que faisant seulement un mètre cinquante. Un étranger aurait misé sur le géant, mais les gars de Pipriac 1 connaissaient trop bien les prouesses du nain pour risquer leur argent contre lui. Le combat redoubla de fureur : les hommes dédaignaient de parer les coups, ils ne pensaient qu'à en donner. Le bruit ressemblait à celui d'une salve de fusils. Les lanières se firent souples pour saisir, se tendirent à nouveau et se nouèrent dans le sang. Les visages n'étaient plus humains; les cheveux longs pendaient en avant, baignés de sueur et de sang. Mais aucun des deux champions n'avait reçu un seul coup. Eux s'étaient ménagés, s'étaient protégés et avaient paré les coups, sachant que c'était d'eux que dépendrait l'issue de la lutte. Mais cette fois, l’homme de haute taille atteint son but: une longue blessure bleue, en spirale, le long de laquelle le sang gicle ici et là, zèbre le bras du petit Joseph et le fait tituber de douleur. Il se reprend, lance son fouet en direction de son adversaire et l'extrémité mortelle ne rate le visage du grand Joseph que de quinze centimètres. Stimulé par son premier succès, Kaer s’avance et met toute sa force dans le coup qu'il lance en direction de Josille. Le petit homme ne prend même pas la peine de l’éviter, il lance son fouet en souplesse en faisant une sorte de pirouette, sans aucun effort. Le coup de Kaer n'atteint pas son but; mais lorsque Josille retire son fouet d'un coup sec, tout le visage de Kaer est coupé en deux, une plaie gigantesque, les os même sont à nu. 1 Chef-Iieu de canton d'llle-et-Vilaine, près de Redon. 5/11
  • 6. Il n 'y a plus que ces deux-là en lice, les autres ont conclu une trêve et sont occupés à soigner leurs graves blessures. Kaer, aveuglé par le choc, protège son visage de son brassard de cuir et fait une pause. Josille, bien loin de profiter de l'occasion pour presser son avantage, sort calmement son mouchoir de sa poche pour se moucher bruyamment, au grand amusement de ceux qui ont misé sur lui et qui considèrent cela comme une bonne plaisanterie. Les rires rendent Kaer furieux, il perd son sangfroid, ne se contrôle plus. Il frappe, trépigne, marque quelques beaux coups, mais Josille garde son calme, et au bout de dix minutes le géant, couvert de blessures, la chemise en lambeaux, l'écume à la bouche, aveuglé, s'affaisse sur les genoux. "N'abandonne pas !" crient encore quelques voix. Mais l'effort pour se lever est vain. Josille, apparemment incapable de pitié, comme tout bon paysan breton, se mouche à nouveau et se prépare à porter le coup de grâce à l'homme presqu'à terre. Un frisson parcourt la foule... Mais Josille est meilleur que les apparences ne le laissent supposer, car au lieu de tailler dans la pauvre chair, il enlève avec dextérité le fouet des mains de la victime, puis croise les bras sur la poitrine. Kaer ferme les yeux et pose sa tête brûlante sur le sable. Les Blancs sont proclamés vainqueurs. Les simples participants reçoivent seulement un mouchoir d'une valeur de six pence ², et Josille la livre de tabac. Je ne sais si on voit encore de telles scènes, mais ce récit est si récent qu'il éclaire le paysan breton tel que je le rencontre. chatoyant. Et cependant, je dois dire, à mon grand regret, que la façon de s'habiller change. Nos vieux paysans portent des sabots, des guêtres, de très amples culottes serrées sous le genou, avec blouse et gilet, les cheveux longs comme ceux d'une femme; un large chapeau plat en feutre complète le costume. Nos jeunes gens ont adopté les pantalons, mais ils continuent à porter la blouse brodée au col et l'ample gilet fluide, le plus souvent fait d'une étoffe de couleur bleu-foncé, brodé dans le dos d'une représentation du Saint Sacrement; ces broderies disparaissent, ainsi que la coutume de porter les cheveux longs et bouclés. Les femmes portent une jupe courte, de tissu très épais, avec des plis à la taille, qui ressemble plus à un kilt écossais qu'à autre chose. Quant aux vêtements des gens de la campagne, ils sont pittoresques, si pittoresques en vérité que lorsque quelque sotte servante s'entiche de la mode parisienne et la suit, elle ressemble à une corneille au milieu d'oiseaux au plumage ² De très faible valeur: une Livre = 20 shilling, un shilling = 12 pence (pluriel de penny). 6/11
  • 7. Elles ont une sorte de veste de drap brodé ou gilet avec manches, et par dessus encore, un autre sans manches, avec une encolure carrée bien échancrée à l'avant pour mettre en valeur leur chemisette blanche joliment empesée ; à la chemisette est attaché un énorme col qui dépasse largement les épaules et qui est une merveille d'adresse dans les arts de l'empesage et du repassage. Ce col, ainsi que la grande coiffe de la région, qui diffère dans chaque commune, complète le costume. Bien sûr, il y a différentes sortes de coiffures, certaines amples et légères, d'autres bien ajustées, certaines sont colorées, d'autres brodées, et ceci donne à toute manifestation un aspect très varié et agréable. Mais ma plume ne saurait décrire tout cela. Le foyer du paysan breton est très spécial et diffère de tout ce que j'ai pu voir ailleurs. Une vieille étable, une écurie, n'importe quelle dépendance fait aussi bien son affaire que tel autre bâtiment, et sera toujours utilisé dans la mesure où il est disponible. Mais que la maison soit construite de pierre, de bois ou de torchis, l'extérieur est presque toujours le même: il présente une porte au milieu et deux petites fenêtres carrées d'environ quarante centimètres de côté. A l'intérieur le sol est de terre battue, véritablement en terre, et comme la Bretagne est un pays très pluvieux, les sols en terre sont presque toujours humides, souvent avec des flaques d'eau. Je me souviens m'être arrêté un jour, en revenant de la pêche, dans l'une de ces masures qui servait d'auberge, et avoir eu des difficultés à trouver un endroit sec où poser mes pieds. Étant enclin à bavarder, je demandai à mon hôte comment un homme tel que lui, que je prenais pour un homme d'une certaine aisance, à voir les meubles de valeur qu'il possédait, pouvait supporter de vivre dans une telle porcherie. Il me répondit qu'il portait toujours des sabots que l'humidité ne pouvait traverser. Quant à dormir dans un tel lieu, qu'est-ce que cela pouvait bien lui faire, lorsqu'il était bien en sécurité dans son lit clos (merveilleux buffet breton aménagé en lit). Même si la mer devait envahir sa demeure, ce serait le dernier de ses soucis. Les plus pauvres masures ont leur lit clos et leur armoire d'un bois au grain fin, pour la plupart magnifiquement sculptés. Cette auberge avait tout un côté occupé d'un seul et unique meuble pour faire dormir toute la famille. Une sorte de haut placard sculpté prenait toute la longueur du mur. Il comprenait un lit à chaque extrémité et une grande horloge au milieu, une horloge comme nos ancêtres en avaient dans leur cuisine. Durant la journée, les lits sont invisibles, la nuit également, je suppose : on peut y accéder par deux petites portes coulissantes qui possèdent des petites colonnettes pour l'aération. Les portes ne sont ouvertes que pour permettre l'entrée ou la sortie du locataire. Elles restent fermées jour et nuit, si bien qu'il est possible de pénétrer dans une pièce de ce type (ce que j'ai fait) à minuit, sans voir homme, femme ou enfant, jusqu'à ce que les petites portes s'entr'ouvrent et que les têtes de toute une famille émergent de ce que l'on peut bien appeler un salon de nuit. Si l'on ajoute à ce lit clos une armoire (buffet aux grandes portes qui se rabattent), quelques ustensiles de cuisine, un banc ou deux et une table, vous avez l'inventaire complet d'une maison bretonne, qu'elle soit occupée par un fermier ou un ouvrier agricole. Il y a un an, je suis allé visiter un château à louer. Il appartenait à un riche fermier qui s'était installé dans l'étable immédiatement après son achat. C'est là que je le vis, avec les vaches, les chevaux, les cochons et les domestiques, la pièce où il vivait n'étant séparée d'eux que par une mince cloison de bois. 7/11
  • 8. J'ai cité les domestiques avec le bétail: c'était effectivement ainsi, un homme dormait dans une sorte de petit lit en bois brut, dans une étable avec dix vaches. C'était nécessaire, d'après mon fermier, au cas où elles se seraient enfuies la nuit. De même que le paysan breton vit de façon primitive au milieu de son bétail, il pense et agit de façon primitive. Il a peu d'idées et elles lui viennent de ses ancêtres. Je suppose que la religion en Bretagne reste à peu de choses près telle qu'elle était à l'époque de Saint Louis, à l'exception des abus des prêtres et de leur conduite répréhensible en accord avec les moeurs du Moyen Age et en relation avec l'appui que leur accordait l'État à cette époque. Jean, le fermier, vient de rentrer d'un pèlerinage de trois semaines à Lourdes avec 1.500 bretons, presque tous des paysans. Il a dû dépenser beaucoup d'argent : le billet de train et I 'hôtel, ce n'est pas rien! Cela peut sembler curieux (de parler de train et d'hôtel à propos de pèlerinage, et c'est effectivement curieux, car on s'attend naturellement à ce que l’ouverture et les idées nouvelles que le premier apporte et le luxe que le second suggère soient des moyens très efficaces pour faire cesser des coutumes médiévales - ce qui se produira un jour - mais pour le moment ils servent les intérêts de ceux qui vivent de cette superstition antique et étrange qui les rend prospères. Plus d'un expédient utilisé - pour ranimer quelque temps un rêve qui s'éteint ne rend que plus inéluctable le réveil final. Ma bonne, Françoise, a elle aussi fait son pèlerinage, et a fait l'expérience d'un miracle sur sa propre personne, auquel je peux donner tout le poids de mon témoignage désintéressé. Tout le monde savait que Françoise buvait - elle était pratiquement tombée dans la déchéance - et tous pensaient que c'était pour toujours, quand, un beau jour , elle enleva bas et chaussures et se rendit auprès d'un certain saint afin d'être guérie de son ivrognerie. Pieds nus elle partit, pieds nus elle revint, guérie et saine d'esprit. Pendant six mois elle ne but aucune boisson fermentée, trouvant quelque soulagement uniquement avec du vinaigre et de l'eau. Au bout de six mois elle partit à nouveau nu-pieds, car elle devait des remerciements au Bon Dieu pour le miracle qu'il avait fait pour elle. Elle habite maintenant chez nous, elle est sobre comme un juge (devrait l’être), et aussi gaie qu'un grillon. Ce miracle, je peux en témoigner, et s'il se prolonge effectivement, ce sera véritablement un miracle. Il est la preuve de l'efficacité d'une volonté très forte tendue vers une fin, même si cette volonté ne procède que de notre esprit. 8/11
  • 9. Ce que l'homme ne peut faire seul, il peut le faire à l'aide d'une petite fiction bien mise en scène, les "dramatis personae" et le tableau final étant tous en place dans l'esprit de la personne dès le début. Françoise pense qu'un démon familier veut faire échouer tous ses projets et s'efforce de la faire jurer. Hier, elle essaya plusieurs fois d'allumer une bougie avec un bâton enflammé, sans succès: c'était la faute de son démon. Mais quand enfin elle réussit, elle s'exclama : " Ah! J’ai gagné, tu ne m'as pas fait jurer "'. Mais la flamme s'éteignit quand elle posa la bougie sur la table ; elle remarqua d'un ton lugubre : "Non, finalement, c'est lui qui a gagné !". Toutes ces idées sont communes chez nos Bretons. Ces gens ne paraissent pas sales. Leurs vêtements sont toujours convenables et, les jours de fête, ils sont non seulement beaux, mais de prix. Et cependant je crois qu'un paysan breton ne se lave pas une seule fois dans sa vie. Je n'ai jamais vu quelque chose qui pouvait servir à la toilette dans aucune des pièces qu'ils habitent, je n'en ai jamais vu aucun se laver dans un baquet, un ruisseau, ni à un puits. Et pourtant, personne n'est mieux placé que moi pour les observer. En face de ma fenêtre se trouve le puits, l'unique point d'eau de la communauté : c'est là que tous doivent se rendre pour chercher de l'eau, et cependant je n'ai jamais vu quelqu'un laver autre chose que des vêtements au puits ou aux abords du puits. En vérité, ils sont (il ne peut en être autrement) aussi sales que les porcs qui vivent et dorment près de leur lit. Chaque fois que j'ai affaire à eux, je laisse un grand espace entre nous, particulièrement lorsqu'il s'agit d'enfants, et l'expérience prouve que j'ai tout à fait raison de prendre cette précaution. L'hiver en Bretagne est une période épouvantable, une période de pluie incessante, de routes si mauvaises qu'elles sont quasiment impraticables, de longues et lugubres journées sans soleil. Je ne peux recommander la Bretagne si l'on cherche une résidence d'hiver. Il n 'y a pas ici de "foyer" ; (Home dans le texte) dans le sens anglais. Les maisons ne sont pas construites pour l'agrément et le confort. Les pièces communiquent les unes avec les autres, si bien qu'elles ont beaucoup de portes. Pas de salon vraiment confortable, ni de sièges de détente, ni de cheminée qui fasse rêver de pantoufles et d'un bon livre ; pas de chambre de malade susceptible de devenir presque plus accueillante que le salon habituel. Même dans les grandes demeures, les chambres ne sont, pour la plupart, que de simples placards. Il est vrai que dans un très grand château, il est possible de trouver une ou deux pièces destinées à être des pièces d'apparat, meublées comme des boudoirs, avec une alcôve pour le lit, mais c'est rare, et même dans ce cas les meubles sont là pour le décor, ils sont inconfortables et ne permettent pas de se reposer. Il ne faut pas critiquer les lits français: eux au moins sont parfaits. L'Angleterre, comparée à la France dans ce domaine, est un pays sauvage et barbare. Je ne parle pas de la forme des bois de lit. Je ne m'en prends pas à l'ancien lit à baldaquin, je parle des matelas mous, moelleux, épais, entassés sur un sommier, sorte de coffrage à ressorts. Je sais que dans certaines maisons anglaises et que dans la plupart des hôtels anglais on trouve une pâle imitation de ces lits français, mais comme ces pâles copies sont loin d'égaler les originaux ! Les Anglais économisent sur les matelas, ils économisent aussi sur ce qui est utilisé pour le rembourrage, et pire encore, ils ont l'incorrigible habitude de tellement serrer la laine, le crin, ou la bourre de laine, que cela revient à dormir sur une planche. 9/11
  • 10. Au contraire, tout est mou dans un véritable lit français, si mou qu'il peut être ouvert et refait tous les ans à la maison, au lieu d'attendre des années, comme dans les maisons anglaises, pour les amener au prix d'un onéreux voyage chez Maple and Co, ou Heal and Co, qui font ce travail à la vapeur dans leurs merveilleuses installations. C'est en hiver plus qu'en toute autre saison que le paysan breton se révèle tel qu'il est vraiment, car le sol de sa maison est à mi-distance entre une mare et une porcherie. Il a des vêtements toujours humides, quand ils ne sont pas bons à tordre. Il n'a aucune sorte de confort dans son intérieur et semble n’en rechercher aucun. Un grand nombre d’entre eux ne sont pas seulement d’une richesse relative, ils sont vraiment très riches. Par exemple Jean, notre fermier, possède au moins 20.000 Francs, ou 800 Livres, ce qui n'est pas une somme négligeable pour un travailleur, même en Angleterre ; cependant il n'a qu'un désir, augmenter ce qu'il possède. Rendre sa maison plus confortable pour l'hiver ne lui vient même pas à l’esprit. Son cas n'est pas du tout exceptionnel, et pourtant cet homme va bientôt mourir de phtisie. Il y a deux ans, le docteur l'avait prévenu de cesser de s’exposer au froid et à l’humidité sous peine d'une mort prochaine ; cependant, il n'y a pas renoncé et la conséquence en est qu’il est maintenant mourant. Il y a quelques jours, j'ai entendu dire qu'il était alité, qu'il allait très mal et crachait le sang. Je lui rendis donc visite et le trouvai effectivement très mal. Sa chambre ne pouvait pas être plus humide: elle n'avait pas de rideaux, la porte d'entrée était grande ouverte, le feu se réduisait à quelques braises que l'on ranimerait, en soufflant dessus, uniquement pour faire la cuisine ou pour les besoins de la ferme. Il n'avait pas de médicaments ni de nourriture particulière, mais se nourrissait comme les autres de pain de seigle et de galettes ou crêpes de blé noir. Je lui dis, en présence de sa femme, que je le trouvais bien mal. Dans la nuit, elle s'alarma lorsqu'il vomit du sang, si bien qu'elle vint chez moi, le matin suivant, en larmes, me demander ce qu'elle devait faire pour lui. Je lui dis de lui procurer de la chaleur, de la viande, de la soupe et autres réconforts, et elle alla donc acheter deux livres de pain blanc ! Quand ce pain blanc arriva à la maison, sa mère (la belle-mère de Jean), qui vit chez eux, s'emporta, puis resta maussade toute la journée, car c'étaient, d'après elle, des dépenses inconsidérées. Il faut savoir que pendant des jours je lui avais envoyé de la soupe, de la viande et des pâtisseries de ma propre table, en partie parce que je pensais qu'il devait recevoir de l'aide sans délai, en partie parce que je ne pouvais supporter de voir cet homme mourir d'inanition sous mes yeux, car il ne pouvait manger la grossière nourriture qu'ils consomment habituellement et donc ne prenait rien du tout. Ils ont accepté tous mes cadeaux, pratiquement sans un merci, et n'ont pas cherché à se procurer autre chose, jusqu'à ce jour où Yvonne acheta ce pain blanc. Eh bien, ce jour là, alors que sa mère était furieuse, elle entra en larmes dans ma cuisine et dit à ma bonne combien c'était difficile pour elle. La bonne vint me le rapporter immédiatement et protesta en disant que je ne devais pas continuer à envoyer de la nourriture à un homme riche et avare, entouré de deux femmes également avares, alors que de vrais pauvres n'avaient rien, sinon leur main à tendre pour demander de l'aide. Je répondis que je n'avais jamais jusque-là refusé d'aider un vrai pauvre et que j'avais l'intention de continuer à prodiguer de l'aide à Jean" en dépit de son attitude dictée par son avarice" car je ne pouvais supporter de voir un homme mourir dans le besoin alors que je n'étais pas moi-même dans la gêne. 10/11
  • 11. Mais je lui recommandai de gronder Yvonne sévèrement et de lui dire qu'elle devait remplir son devoir envers son mari" même si elle devait pour cela mettre sa mère à la porte" d'autant plus qu'il s'agissait d"une femme riche qui avait bien les moyens de tenir sa propre maison. Eh bien! Faites attention à la réponse d'Yvonne : " Ah! Ce n'est pas possible, car il se peut que mon mari meure bientôt, et alors j'aurai besoin de l'aide de ma mère… " Remarquez bien cette réponse, dis-je, son égoïsme le plus complet, et dites moi si de telles personnes ont quelque valeur, quelque profondeur de caractère '? Quant à moi, je ne le pense pas. Le temps a changé et Jean va mieux depuis quelque temps" mais il n'en a plus que pour quelques mois à vivre. Il est déjà sorti sous la pluie et il sera à nouveau alité dans quelques jours, à vomir du sang. Comme il allait très mal, sa femme m'avait supplié, alors que j'allais moi-même chez le docteur à une quinzaine de kilomètres, de demander un remède pour les crachements de sang de son mari. Je le fis, et expliquai aussi les conditions de vie liées à l'habitat et à l'entourage familial. Le docteur, qui est un homme très intelligent, me dit qu'il les connaissait bien tous, et qu'Yvonne passerait bientôt un très mauvais moment. Je dis: "Va-t-il donc mourir bientôt ? - Oui! dit-il, mais ce n'est pas là le mauvais moment auquel je pense. Ce sera encore bien plus douloureux pour elle quand, après l’enterrement "elle devra venir payer mes honoraires !" 11/11