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J
’ai failli intituler ce texte « Je suis
la France du FN ». C’était une
connerie. Une provocation. On
attire l’attention comme on peut ;
surtout quand on a de la peine.
Pourtant, c’est vrai. Je suis né dans
la France du FN. C’est là que j’ai
grandi, dans des zones pavillon-
naires, en faisant des tours dans le
quartier en VTT, loin des grandes
villes, loin de ces barres d’im-
meublesquiabritaientmillemilliers
d’immigrésbouffeursd’alloc’etmal
élevés.C’estentoutcascequisera-
contait dans le monde où j’ai gran-
di.
Tous mes potes étaient des petits
Blancs qui venaient de familles de
petits Blancs. Pas complètement
fauchés, par vraiment nantis. Ou
alors à peine, sur le rebord de la
bourgeoisie, fils de notaire, d’assu-
reurs, de cadres moyens. Avec eux,
j’ai fumé mes premières Chester-
field, écouté Noir Désir et les Pixies,
parlédefillesetdescooters.Ilss’ap-
pelaientDavid,Arnaud,Fred,Julien
ou Steeve. Des gamins des années
80, poussés entre Mourousi et «Top
Gun»dansdesvillesmoyennesavec
leurs stades de foot, leurs tennis
couverts, l’Hyper Carrefour le sa-
medi, le chômage en ligne de mire,
les jeans 501 et les années Mitter-
rand.
A cette époque-là, le racisme faisait
SOS. On nous apprenait la shoah à
l’écoleetilétaitévidentqueçan’ar-
riveraitplusjamais.Lepireétaitder-
rière et on regardait ça avec une in-
crédulité vaguement méprisante.
Comment avaient-ils pu être aussi
immondes ? Cousteau passait à la
télé le dimanche avant Stade 2. Il
nous disait de faire gaffe, la faune,
la flore, les poissons, tout cela bar-
rait déjà légèrement en couille. Ma
génération serait sensible, édifiée ;
elle ferait le nécessaire.
J’ai passé mon adolescence dans la
France du FN, à un moment sans
histoire, entre la chute du Mur et le
11 septembre. Rien n’arrivait. La
France n’était certes pas florissan-
te, entrepreneuse ni redoutable.
Tout flottait dans un ronron mé-
diocre et coupé de mots qui, déjà,
avaient beaucoup perdu de leur
sens. La crise par exemple. Com-
ment qualifier un moment qui ne
serait pas la crise ? Je ne sais pas.
Ça n’existe pas.
On se racontait pas mal d’histoires
aussi. Que la France n’était pas ra-
ciste par exemple. Cent fois pour-
tant,dansmonenfanceetplustard,
j’aientenduautourdemoi,dansles
bistrots, dans les soirées, en famil-
le, des mots comme ratons, bicots
ou melons. Des gens que j’aimais
pouvaient dire sans sourciller : « Je
suis pas raciste, mais
les bougnoules com-
mencent à nous em-
merder. » Ou : « Non
mais les Turcs au
moins, c’est des bos-
seurs. » Les remue-
ments qui déjà se-
couaient les grands
ensembles, ces zones
grises qui tour à tour
se sont appelées ban-
lieues, cités ou quar-
tiers, ces bagnoles in-
cendiées le soir de la
Saint-Sylvestre,toutça
existait et scandalisait
mes parents, mes
oncles et mes tantes,
leurscollèguesetleurs
voisins, les gens qui se
levaient tôt et se sen-
taient chez eux, et en
mêmetempsplustant
que ça. C’est ainsi
qu’onvoyaitleschoses
dans la France du FN
où j’ai grandi.
Je me souviens qu’on
faisaitdéjàlaguerreen
Irak. On avait déjà des
soucis de fin de mois,
d’emploi, de retraite,
de croissance ; des
problèmes avec l’ave-
nir. La violence toute-
fois restait lointaine,
télévisée, routière à la
limite.
Je suis né dans la France du FN. J’y
ai grandi. Elle se trouve entre les
grandscomptoirsdelamondialisa-
tion. Périurbaine ou rurale, dé-
boussolée et coléreuse, inquiète et
vindicative. Nostalgique, par-des-
sus tout. Longtemps, j’ai pensé
qu’elles’étaitconstruitesurdesfon-
dations de labeur et de sang. Il y
avait eu des guerres et des luttes so-
ciales. Puis la fin de la classe ou-
vrière. Il y a eu des espoirs déçus,
des promesses intenables. Alors,
unegrandetristesse,unegrandein-
quiétude sont venues. La peur et la
haine pour finir.
Maintenant, on y est. Que le FN ait
gagné ou perdu a peu d’importan-
ce.Toutes les hantises qui ont habi-
témonmondesontlà,réalisées.Les
miensonttraversélemiroir.Ilssont
prisauxtripes,ilsn’entendent plus,
ilsneveulentplusêtregourmandés
ou convaincus. Je les ai quittés de-
puis longtemps. Aujourd’hui, je ne
partageplusleurlangue,nileursco-
lères. Je n’ai pas les mêmes intérêts,
ni le même accent. Je porte des lu-
nettes en écailles, un pull en cache-
mire, je lis des livres à couvertures
blanches et vois des films qui se
prennent pour des fenêtres sur le
monde(et«Rocky»aussi,aumoins
une fois par an). Je suis un mec ou-
vert,sermonneur,vaguementbobo,
passimalloti.Untraîtreensomme.
Mais cette France reste la mienne.
Ces électeurs effarants demeurent
monpeupleetmonsang.Jeleshais,
je les comprends. Ces dernières se-
maines, avec les attentats puis les
élections,j’aisentimonterleurrage.
On me dit qu’ils ne sont pas plus
nombreux qu’en 2012. On me parle
d’abstention.Maisjesaismoiqu’ils
sontdesmillionsd’écœurésquiveu-
lent renverser la table et rêvent de
machineàremonterletemps.Parce
quel’actualitéestau-dessusdeleur
forceetquedemainferaitaussibien
de ne pas venir. D’autres veulent
notre perte. Les miens pourraient
bien la précipiter.
JesuisnédanslaFranceduFN.Tout
cequiarriveétaitprévu.Lepiren’est
plus une hypothèse. Au fond, je me
senscommeMichelPiccolidansLes
choses de la vie, pris dans un acci-
dentmortelquivaauralenti.Jesens
encore. Je pense encore. Je me dis
que ça va aller. Mais je ne sais pas
où nous sommes, juste avant ou
juste après le point de non-
retour. Trop tard ou quand
tout peut encore être
sauvé. v
Nicolas Mathieu
METZ LA SEMAINE - 17 DÉCEMBRE 2015 NANCY
Je les hais,
je les comprends
par Nicolas Mathieu
cessaires à cette réforme prévoient la ré-
duction du nombre d’établissements tout
en respectant le libre choix des élus consu-
laires de maintenir un service de proximi-
té pour soutenir les entreprises. Dans l’es-
pritdulégislateur,lanouvelleorganisation
des régions permet d’accentuer le mouve-
mentderationalisationetdemutualisation
des fonctions supports au niveau régional
mises en œuvre depuis 2010, en instituant
unschémarégionald’organisationdesmis-
sions dans chaque chambre de commerce
et d’industrie de région. Plus clairement,
rien ne change sauf le périmètre. Il y a une
chambre régionale qui est le pilote et l’em-
ployeurdetoutlemonde.Seullepérimètre
est modifié.
Mais sur ce point il y a toujours des désac-
cords. Certains veulent trois chambres ter-
ritorialesenAlsace,enChampagne-Arden-
ne,enLorraine.D’autresestimentquedans
ce cas de figure la proximité disparaît et de
cefait,ilsseprononcentenfaveurdumain-
tient des entités départementales. A noter
que la future métropole du Grand Nancy
souhaite (André Rossinot l’a confirmé lors
d’uneréunionle14décembreavecleschefs
d’entreprise), l’avènement d’une chambre
de commerce de statut métropolitain.
Lesbudgets
Pour les nouvelles régions il sera basé sur
l’héritagebudgétairedesanciennes.Enclair
siellessontthéoriquementplusfortes avec
leur taille et leurs nouvelles compétences,
elles disposent encore de ressources insuf-
fisantes pour relever les défis qui leur sont
proposés et surtout pour peser au niveau
européen. En comparaison les régions fran-
çaisesdevraientdisposerautotald’unbudget
avoisinantles30milliardsd’euroscontre300
milliards aux Länder allemands. Faites vos
jeux... Les régions ont plus de possibilités.
Suffisamment?C’estuneautrehistoire.En
attendant la mise en route s’effectuera jus-
qu’au 1er
juillet 2016. Joli jeu de Lego… v
Pierre Taribo
9
Culture Sport Tourisme Langues régionales
Les compétences partagées avec les départements
Repères
Né en 1978 à Epinal, Nicolas Mathieu vit
à Nancy. Romancier, il a publié « Aux animaux la
guerre » (Actes Sud), prix Erckmann Chatrian en
2014, qui sortira en format poche en janvier 2016.
Deux ou trois choses
que l’on retiendra
de la Région Lorraine...
1 La dernière bonne surprise c'était
Pompidou. Mêmesicertainsontfait
la fine bouche lorsque la subven-
tion est passée de 4 à 3 millions
d'euros, c'est quand même la Ré-
gionLorrainequiassureunebonne
part du budget de fonctionnement
du centre.
2 Les TER... ils ont changé de géné-
rationetdecadence enfonctiond'un
choixpolitiqueannoncéen2004par
Jean-PierreMasseretetsesalliés.En
fonction des technologies aussi. Ils
sontdevenusvitauxcomptetenude
l'explosion de l'emploi au Luxem-
bourg. Ils ont obtenu un certain
nombre de récompenses dans les
palmarès mais restent encore per-
fectibles en termes de ponctualité
notamment.
3 Al'inversel'A31n'apasbougéd'un
pouce misàparttroisradarsetdeux
panneaux ou une circulation régu-
lée. Pauvre boulevard urbain au
cœur, pauvre artère trop étroite à
ses extrémités. L'A31 était le mou-
ton noir de la campagne de 2004,
on s'est défaussé (à droite comme
à gauche) sur elle de bien des in-
suffisances. Aujourd'hui une en-
quête lénifiante permettra de re-
pousser la réalisation de quelques
années en attendant... de ne pas la
faire. Le dégonflement d'un projet
comme Illange n'arrangera rien à
l'affaire ?
4 Skylander... un coup planant re-
commandéparGérardLonguet et sur
les ailes duquel Jean-Pierre Mas-
seret a cru pouvoir se reposer. Lou-
pé. Comme les Schtroumpfs, mais
là c'était l'Etat qui nous avait pris
des vessies pour des lanternes.
Loupé comme la gare deVandières
transformée en sujet dogmatique
et politicien pour finalement ne
pas être faite mais qui reviendra sur
le tapis.
5 Les coups d'éclat et les coups de
sang politiques. La manœuvre de
Jean-Marie Rausch, une fois élu en
1982 pour ne plus lâcher ce siège
alorsqu'unealternanceavecleRPR
étaitpromise.Ilsepermettramême
d'y cumuler un moment ses fonc-
tionsdeministre,deprésidentdela
région et de maire de Metz. Eclats
de voix lors de la réélection surpri-
se de Jean Marie Rausch en 1992 au
nez et à la barbe de Gérard Longuet
sorti en tête des urnes. Une suspi-
cion de vote FN remettra les cho-
ses... en ordre. v JPJ

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  • 1. J ’ai failli intituler ce texte « Je suis la France du FN ». C’était une connerie. Une provocation. On attire l’attention comme on peut ; surtout quand on a de la peine. Pourtant, c’est vrai. Je suis né dans la France du FN. C’est là que j’ai grandi, dans des zones pavillon- naires, en faisant des tours dans le quartier en VTT, loin des grandes villes, loin de ces barres d’im- meublesquiabritaientmillemilliers d’immigrésbouffeursd’alloc’etmal élevés.C’estentoutcascequisera- contait dans le monde où j’ai gran- di. Tous mes potes étaient des petits Blancs qui venaient de familles de petits Blancs. Pas complètement fauchés, par vraiment nantis. Ou alors à peine, sur le rebord de la bourgeoisie, fils de notaire, d’assu- reurs, de cadres moyens. Avec eux, j’ai fumé mes premières Chester- field, écouté Noir Désir et les Pixies, parlédefillesetdescooters.Ilss’ap- pelaientDavid,Arnaud,Fred,Julien ou Steeve. Des gamins des années 80, poussés entre Mourousi et «Top Gun»dansdesvillesmoyennesavec leurs stades de foot, leurs tennis couverts, l’Hyper Carrefour le sa- medi, le chômage en ligne de mire, les jeans 501 et les années Mitter- rand. A cette époque-là, le racisme faisait SOS. On nous apprenait la shoah à l’écoleetilétaitévidentqueçan’ar- riveraitplusjamais.Lepireétaitder- rière et on regardait ça avec une in- crédulité vaguement méprisante. Comment avaient-ils pu être aussi immondes ? Cousteau passait à la télé le dimanche avant Stade 2. Il nous disait de faire gaffe, la faune, la flore, les poissons, tout cela bar- rait déjà légèrement en couille. Ma génération serait sensible, édifiée ; elle ferait le nécessaire. J’ai passé mon adolescence dans la France du FN, à un moment sans histoire, entre la chute du Mur et le 11 septembre. Rien n’arrivait. La France n’était certes pas florissan- te, entrepreneuse ni redoutable. Tout flottait dans un ronron mé- diocre et coupé de mots qui, déjà, avaient beaucoup perdu de leur sens. La crise par exemple. Com- ment qualifier un moment qui ne serait pas la crise ? Je ne sais pas. Ça n’existe pas. On se racontait pas mal d’histoires aussi. Que la France n’était pas ra- ciste par exemple. Cent fois pour- tant,dansmonenfanceetplustard, j’aientenduautourdemoi,dansles bistrots, dans les soirées, en famil- le, des mots comme ratons, bicots ou melons. Des gens que j’aimais pouvaient dire sans sourciller : « Je suis pas raciste, mais les bougnoules com- mencent à nous em- merder. » Ou : « Non mais les Turcs au moins, c’est des bos- seurs. » Les remue- ments qui déjà se- couaient les grands ensembles, ces zones grises qui tour à tour se sont appelées ban- lieues, cités ou quar- tiers, ces bagnoles in- cendiées le soir de la Saint-Sylvestre,toutça existait et scandalisait mes parents, mes oncles et mes tantes, leurscollèguesetleurs voisins, les gens qui se levaient tôt et se sen- taient chez eux, et en mêmetempsplustant que ça. C’est ainsi qu’onvoyaitleschoses dans la France du FN où j’ai grandi. Je me souviens qu’on faisaitdéjàlaguerreen Irak. On avait déjà des soucis de fin de mois, d’emploi, de retraite, de croissance ; des problèmes avec l’ave- nir. La violence toute- fois restait lointaine, télévisée, routière à la limite. Je suis né dans la France du FN. J’y ai grandi. Elle se trouve entre les grandscomptoirsdelamondialisa- tion. Périurbaine ou rurale, dé- boussolée et coléreuse, inquiète et vindicative. Nostalgique, par-des- sus tout. Longtemps, j’ai pensé qu’elles’étaitconstruitesurdesfon- dations de labeur et de sang. Il y avait eu des guerres et des luttes so- ciales. Puis la fin de la classe ou- vrière. Il y a eu des espoirs déçus, des promesses intenables. Alors, unegrandetristesse,unegrandein- quiétude sont venues. La peur et la haine pour finir. Maintenant, on y est. Que le FN ait gagné ou perdu a peu d’importan- ce.Toutes les hantises qui ont habi- témonmondesontlà,réalisées.Les miensonttraversélemiroir.Ilssont prisauxtripes,ilsn’entendent plus, ilsneveulentplusêtregourmandés ou convaincus. Je les ai quittés de- puis longtemps. Aujourd’hui, je ne partageplusleurlangue,nileursco- lères. Je n’ai pas les mêmes intérêts, ni le même accent. Je porte des lu- nettes en écailles, un pull en cache- mire, je lis des livres à couvertures blanches et vois des films qui se prennent pour des fenêtres sur le monde(et«Rocky»aussi,aumoins une fois par an). Je suis un mec ou- vert,sermonneur,vaguementbobo, passimalloti.Untraîtreensomme. Mais cette France reste la mienne. Ces électeurs effarants demeurent monpeupleetmonsang.Jeleshais, je les comprends. Ces dernières se- maines, avec les attentats puis les élections,j’aisentimonterleurrage. On me dit qu’ils ne sont pas plus nombreux qu’en 2012. On me parle d’abstention.Maisjesaismoiqu’ils sontdesmillionsd’écœurésquiveu- lent renverser la table et rêvent de machineàremonterletemps.Parce quel’actualitéestau-dessusdeleur forceetquedemainferaitaussibien de ne pas venir. D’autres veulent notre perte. Les miens pourraient bien la précipiter. JesuisnédanslaFranceduFN.Tout cequiarriveétaitprévu.Lepiren’est plus une hypothèse. Au fond, je me senscommeMichelPiccolidansLes choses de la vie, pris dans un acci- dentmortelquivaauralenti.Jesens encore. Je pense encore. Je me dis que ça va aller. Mais je ne sais pas où nous sommes, juste avant ou juste après le point de non- retour. Trop tard ou quand tout peut encore être sauvé. v Nicolas Mathieu METZ LA SEMAINE - 17 DÉCEMBRE 2015 NANCY Je les hais, je les comprends par Nicolas Mathieu cessaires à cette réforme prévoient la ré- duction du nombre d’établissements tout en respectant le libre choix des élus consu- laires de maintenir un service de proximi- té pour soutenir les entreprises. Dans l’es- pritdulégislateur,lanouvelleorganisation des régions permet d’accentuer le mouve- mentderationalisationetdemutualisation des fonctions supports au niveau régional mises en œuvre depuis 2010, en instituant unschémarégionald’organisationdesmis- sions dans chaque chambre de commerce et d’industrie de région. Plus clairement, rien ne change sauf le périmètre. Il y a une chambre régionale qui est le pilote et l’em- ployeurdetoutlemonde.Seullepérimètre est modifié. Mais sur ce point il y a toujours des désac- cords. Certains veulent trois chambres ter- ritorialesenAlsace,enChampagne-Arden- ne,enLorraine.D’autresestimentquedans ce cas de figure la proximité disparaît et de cefait,ilsseprononcentenfaveurdumain- tient des entités départementales. A noter que la future métropole du Grand Nancy souhaite (André Rossinot l’a confirmé lors d’uneréunionle14décembreavecleschefs d’entreprise), l’avènement d’une chambre de commerce de statut métropolitain. Lesbudgets Pour les nouvelles régions il sera basé sur l’héritagebudgétairedesanciennes.Enclair siellessontthéoriquementplusfortes avec leur taille et leurs nouvelles compétences, elles disposent encore de ressources insuf- fisantes pour relever les défis qui leur sont proposés et surtout pour peser au niveau européen. En comparaison les régions fran- çaisesdevraientdisposerautotald’unbudget avoisinantles30milliardsd’euroscontre300 milliards aux Länder allemands. Faites vos jeux... Les régions ont plus de possibilités. Suffisamment?C’estuneautrehistoire.En attendant la mise en route s’effectuera jus- qu’au 1er juillet 2016. Joli jeu de Lego… v Pierre Taribo 9 Culture Sport Tourisme Langues régionales Les compétences partagées avec les départements Repères Né en 1978 à Epinal, Nicolas Mathieu vit à Nancy. Romancier, il a publié « Aux animaux la guerre » (Actes Sud), prix Erckmann Chatrian en 2014, qui sortira en format poche en janvier 2016. Deux ou trois choses que l’on retiendra de la Région Lorraine... 1 La dernière bonne surprise c'était Pompidou. Mêmesicertainsontfait la fine bouche lorsque la subven- tion est passée de 4 à 3 millions d'euros, c'est quand même la Ré- gionLorrainequiassureunebonne part du budget de fonctionnement du centre. 2 Les TER... ils ont changé de géné- rationetdecadence enfonctiond'un choixpolitiqueannoncéen2004par Jean-PierreMasseretetsesalliés.En fonction des technologies aussi. Ils sontdevenusvitauxcomptetenude l'explosion de l'emploi au Luxem- bourg. Ils ont obtenu un certain nombre de récompenses dans les palmarès mais restent encore per- fectibles en termes de ponctualité notamment. 3 Al'inversel'A31n'apasbougéd'un pouce misàparttroisradarsetdeux panneaux ou une circulation régu- lée. Pauvre boulevard urbain au cœur, pauvre artère trop étroite à ses extrémités. L'A31 était le mou- ton noir de la campagne de 2004, on s'est défaussé (à droite comme à gauche) sur elle de bien des in- suffisances. Aujourd'hui une en- quête lénifiante permettra de re- pousser la réalisation de quelques années en attendant... de ne pas la faire. Le dégonflement d'un projet comme Illange n'arrangera rien à l'affaire ? 4 Skylander... un coup planant re- commandéparGérardLonguet et sur les ailes duquel Jean-Pierre Mas- seret a cru pouvoir se reposer. Lou- pé. Comme les Schtroumpfs, mais là c'était l'Etat qui nous avait pris des vessies pour des lanternes. Loupé comme la gare deVandières transformée en sujet dogmatique et politicien pour finalement ne pas être faite mais qui reviendra sur le tapis. 5 Les coups d'éclat et les coups de sang politiques. La manœuvre de Jean-Marie Rausch, une fois élu en 1982 pour ne plus lâcher ce siège alorsqu'unealternanceavecleRPR étaitpromise.Ilsepermettramême d'y cumuler un moment ses fonc- tionsdeministre,deprésidentdela région et de maire de Metz. Eclats de voix lors de la réélection surpri- se de Jean Marie Rausch en 1992 au nez et à la barbe de Gérard Longuet sorti en tête des urnes. Une suspi- cion de vote FN remettra les cho- ses... en ordre. v JPJ