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25 août 2013
Libres mais conformes
Considérons un instant les faits suivants :
• En Irlande, suite à la crise économique et financière de 2008, à son cortège de
hausse du chômage et de baisse des revenus, de nombreux ménages qui
avaient contracté un emprunt pour acquérir un bien immobilier se sont retrouvés
sur-endettés. Pour sortir de l’impasse, le gouvernement a adopté une loi sur les
faillites personnelles qui permet, sous certaines conditions, l’annulation partielle
des dettes des ménages. Le point qui nous intéresse ici est celui-ci : pour
bénéficier de ce dispositif, les ménages qui en sollicitent l’application devront
renoncer à toute dépense somptuaire, au rang desquelles figurent par exemple
les vacances à l’étranger, l’inscription de leurs enfants à l’école privée,
l’abonnement à la télévision par satellite ou encore la possession d’une voiture,
sauf pour les personnes vivant à l’écart de tout réseau de transport public .
• En Angleterre, le think tank Demos a récemment émis la recommandation de
verser les allocations sociales à leurs bénéficiaires via des cartes de paiement
électroniques pré-payées. D’une part pour rendre plus facile et moins coûteuse la
procédure de versement (il suffirait alors de recharger la carte électronique par
une transaction internet), d’autre part – et c’est le point que nous voulons mettre
en exergue ici – pour contrôler l’usage qui serait fait des allocations ainsi versées
: la carte de paiement pourrait ainsi être paramétrée de manière à interdire les
dépenses non autorisés (par exemple, impossible de payer avec cette carte dans
certains commerces, typiquement dans les bars ou les salles de jeu) . Une
proposition de loi en ce sens a été déposée en décembre 2012 par un député
conservateur, Alec Shelbrooke. Au demeurant, les cinquante Etats des
Etats-Unis utilisent déjà ce système pour verser les allocations d’aide alimentaire
(food stamps) ; tous bloquent l’utilisation des cartes dans les casinos, et vingt
d’entre eux bloquent également leur usage dans les bars.
• Aux Etats-Unis, plusieurs compagnies d’assurance santé proposent à leurs
clients de créditer leur compte de remboursement s’ils acceptent de suivre tel ou
tel programme d’hygiène nutritionnelle ou sportive. C’est notamment le cas des
compagnies Cigna et UnitedHealthCare, s’appuyant l’une et l’autre sur
l’ingénierie technique et administrative fournie par la société française Sodexo.
Cette approche de modulation des droits sociaux selon le style de vie n’est
d’ailleurs pas limitée aux compagnies d’assurance privées. Depuis quelques
années déjà, l’Etat de West Virginia a réformé le dispositif d’assurance maladie
Medicaid dans un sens similaire : seuls les assurés qui s’engagent à une certaine
hygiène de vie ont accès au plein remboursement de leurs dépenses médicales .
Quel est le point commun entre ces anecdotes ? Le constat que, tantôt pour des
raisons de bonne gestion des deniers publics, tantôt pour des raisons d’incitation
à des comportements personnels vertueux, nos actions sont de plus en plus
normées, encadrées par la définition de « bonnes pratiques » que la puissance
publique ne nous impose certes pas, mais à laquelle elle nous encourage
vivement.
A ce stade, il est tentant de rétorquer que tous ces exemples viennent de pays
anglo-saxons et de se féliciter d’habiter en France, où la liberté est gravée au
fronton des édifices publics. Ce soulagement serait illusoire, car notre pays
s’inscrit dans la même tendance. En voici quelques indices épars :
• Nos primes d’assurance automobile sont de plus en plus modulées selon notre
style de conduite. Exemple typique, parmi d’autres : « MMA lance l’offre MMAbox
qui s’appuie sur deux engagements que prend le jeune automobiliste en
souscrivant : ne pas utiliser son véhicule le week-end et les jours fériés entre 1h
et 6h et faire une pause toutes les deux heures. »
• Les municipalités où nous habitons commencent à récompenser le zèle avec
lequel nous trions nos déchets (ou à sanctionner la négligence avec laquelle
nous ne les trions pas). Ainsi la ville de Sèvres a mis en place un dispositif
d’incitation au recyclage nommé CitéGreen : le poids des déchets recyclés,
déterminé par un pesage intégré aux véhicules de collecte, permet aux habitants
de gagner des points qui sont ensuite utilisables dans les services publics locaux
– pour aller à la piscine ou s’inscrire à la bibliothèque.
• La même logique donnant-donnant commence à s’installer en matière
d’assurance maladie, avec des prises en charge de certaines dépenses de soins
qui ne sont accordées qu’en contrepartie d’un suivi scrupuleux du traitement
prescrit. C’est le cas, par exemple, du traitement de l’apnée du sommeil : « Un
arrêté publié le 16 janvier dernier au Journal Officiel et qui a pris effet il y a trois
jours, stipule que le patient « doit utiliser son appareil à PPC [pression positive
continue] pendant au moins 84 heures et avoir une utilisation effective d’au moins
trois heures par 24 heures pendant au moins 20 jours », faute de quoi il ne sera
plus remboursé. Il sera averti par le prestataire qui lui loue la machine. Ce
dernier, grâce à un serveur informatique qui stocke toutes les données, sait si le
malade respecte le temps d’utilisation minimum. En cas de non suivi du
traitement, il recevra un courrier du prestataire qui préviendra aussi son
pneumologue et la Caisse primaire d’assurance maladie. Après ces
avertissements, si la situation persiste, le prestataire devra facturer la location de
En bref
2.0Autorité Bonheur Catholicisme
Confiance CriseFamille
GovernmentAsAPlatform IntelligenceCollaborative
Liberté MarchésFinanciers Monnaies numérique
Pape Religion
ServicePublicValeur
Vieillissement
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pourquoi vouloir être quelque
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2. la PPC 20 euros par semaine, soit 1000 euros environ par an à la charge de la
personne dite » non observante ». Si cette dernière ne peut assumer ce coût, le
propriétaire viendra lui retirer le dispositif. »
Ces évolutions me semblent témoigner de deux phénomènes qui signent l’air du
temps. Premièrement, nous vivons dans une époque où, près d’un demi-siècle
après la revendication en ce sens de Mai 68, il est effectivement devenu sinon «
interdit d’interdire », du moins difficile à assumer, pour l’autorité politique, de
décréter des interdits. Notre société est ainsi devenue plus libérale, un peu en
raison d’évolutions juridiques qui visent à mieux protéger les droits et libertés
fondamentaux (voir par exemple le développement de la jurisprudence du la Cour
européenne des droits de l’homme ou, plus récemment, l’instauration de la
question prioritaire de constitutionnalité), mais surtout, me semble-t-il, en raison
de la fragmentation du référentiel de valeurs dans lequel nous agissons.
Devenue plus diverse dans ses convictions et ses références culturelles, la
collectivité que nous formons ne dispose plus d’un cadre moral univoque qui
permettrait de fonder une théorie du bien et du mal, et donc de légitimer des
interdits ou des obligations. C’en est presque au point où le seul motif au nom
duquel un gouvernement, quel qu’il soit, envisage aujourd’hui d’obliger ou
d’interdire, c’est-à-dire pense que ces impératifs seront acceptables par tous,
c’est la sécurité, la prévention des risques, la précaution. Au-delà de cela, à
défaut d’interdire, on dissuade ; à défaut d’obliger, on encourage ; et d’une
manière générale, à défaut d’avoir pris une position tranchée sur les finalités, on
encadre dans des normes procédurales ce qu’on aurait voulu (mais qu’on n’a pas
osé) interdire ou rendre obligatoire.
Deuxièmement, nous vivons aussi dans une époque où punir est devenu difficile.
Ainsi non seulement le périmètre des obligations et des interdictions, du moins en
tant qu’impératifs moraux, rétrécit, mais encore, lorsque les lois sont enfreintes, il
devient plus difficile de sanctionner. Là encore, plusieurs causes concourent à cet
effet. D’une part l’ingéniosité des individus et la complexité des réglementations
rendent plus facile de contourner la norme. Ensuite l’engorgement des appareils
administratifs et judiciaires chargés de la surveillance et de la répression des
fraudes et infractions en tous genres atténue la probabilité d’être pris et
effectivement sanctionné.
Dans ce contexte d’évolution des interdits et obligations vers des procédures
d’une part, et d’affaiblissement de l’effectivité des sanctions d’autre part, tout se
passe comme si l’autorité publique s’en remettait peu à peu à deux adjuvants qui
apparaissent plus efficaces : la contrainte technologique d’un côté et l’arbitrage
économique de l’autre.
C’est par la contrainte technologique que Demos, dans l’exemple évoqué
ci-dessus, préconise de veiller à la saine utilisation des allocations sociales; de
même, peut-être le respect des limites de vitesse dans la circulation routière ne
dépendra-t-il plus, à l’avenir, de notre civisme ou de notre peur du gendarme,
mais nous sera imposé tout simplement parce que les commandes de notre
voiture seront asservies à des capteurs situés le long des routes ; et d’ailleurs
notre automobile refusera de démarrer si les capteurs de bord détectent que
nous avons trop bu. Dans le registre de l’incitation économique, on peut, sans
grand effort d’imagination, supposer que les remboursements d’assurance-
maladie et les prestations sociales seront de plus en plus modulés en fonction de
notre comportement.
En somme, si ces tendances se poursuivent, nous allons passer peu à peu d’un
triptyque interdire-surveiller-punir à un quadriptyque normer-surveiller-inciter-
empêcher ; et, dans ce cadre nouveau, l’accent majeur se sera déplacé des
finalités, qui légitiment les interdictions, vers la surveillance, et la normativité
qu’elle permet d’assurer.
Autrement dit, si rien ne vient perturber les tendances à l’oeuvre aujourd’hui,
nous nous préparons à vivre dans une société où, paradoxalement, nous serons
plus libres que naguère mais invités à être beaucoup plus conformes ; moins
soumis à des impératifs moraux mais beaucoup plus encadrés par des normes
de comportement au quotidien.
Extrapolons un peu. A quoi ressemblerait une telle société, si on en poussait les
semences jusqu’à leurs fruits ? Ce serait un monde où l’ordre public reposerait
moins sur la robustesse du sens moral des citoyens, trop aléatoire, que sur celle
des systèmes techniques destinés à y suppléer – et, soit dit en passant, on frémit
à la perspective d’une panne générale des réseaux d’électricité ou de
télécommunications (relire Ravage, de René Barjavel, pour méditer ce type de
scénario).
Eventuellement une société à plusieurs niveaux de citoyenneté où, au-delà des
quelques obligations et interdictions de base, chacun choisirait le niveau de droits
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3. et devoirs auquel il entend adhérer, accepterait tel degré de contrainte sur son
comportement personnel pour avoir accès à tel niveau de service public : la
notion de citoyenneté prendrait finalement la forme d’un dispositif donnant-
donnant d’autorisations, de contreparties, de droits, de procédures et de «
bouquets d’options » souscrits en marge du contrat de base, comme pour les
forfaits d’abonnement téléphonique.
Une société du pragmatisme et de l’efficience, qui aurait choisi d’esquiver les
débats sur les valeurs et les finalités faute de pouvoir les trancher. Et qui, comme
telle, éduquerait ses enfants non pas en les formant à la réflexion et au
discernement, mais en leur apprenant les « bonnes pratiques », les arbres de
décision et les comportements permettant de faire face efficacement à toute
situation.
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