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Nouvellesquestphilosophiques
G.Oegger
NOUVELLES
QUESTIONS PHILOSOPHIQUES.
TABLE DES CHAPITRES.
Page.
I. La Vérité 1
n. L 'Infini 4
III. Le Possible et l'Impossible ... 14
IV. La Liberté 20
V. L'homme moral placé partout entre les
Infinis 27
VI. P ourquoi: ou Nature de l'esprit philoso
phique 33
VII. S i:ou les Conditionnels .... 38
VIII. L esDegrés 46
IX. A ctionde Dieu sur ses créatures . . 57
X. C onnaissance des choses futures . .65
XI. L'homme matériel et l'homme spirituel 80
XII- N aturedes songes 89
XIII. La Première langue 96
XIV. Le Malheur éternel 106
XV. La Tolérance 117
XVI. La Philosophie et la Théologie doivent-
elles ê treséparées? 123
Conclusion 126
CHAPITRE I.
La V érité.
Depuis T haïes et Pythagore quelle foule de pen
seurs ont cherché la vérité 1 Quelle légion de philo
sophes , depuis ces tems reculés , ont fait profession
de consacrer leurs vies à cette sainte recherche !
Pourquoi, s'écriait encore Rousseau , la vérité' ne
vient-elle pas se montrer à un cœur fait pour l'a
dorer ?
C'est en effet une recherche fort séduisante que
celle de la vérité. Pour les esprits d'une certaine
trempe la vérité a un attrait magique. Je l'ai long-
tems cherchée moi-même : et ce n'est qu'après un
quart de siècle de méditations que je commençai à
soupçonner que, peut-être, je ne poursuivais qu'un
fantôme.
Il e stcertain que lorsqu'on prend le mot de
vérité dans ce sens vague dans lequel on le prend
d'ordinaire , c'est une pure abstraction ; c'est une
espèce dinfini qui n'a aucun rapport avec l'esprit
Humain. Quelle vérité cherchez-vous donc? est-on
1
en d roitde dire à ces scrutateurs orgueilleux. Cher
chez-vous la vérité absolue ? cherchez-vous toutes les
vérités à la fois? — Vos prétentions sont gran
des ! — Vous emhrassez beaucoup ! — Vous res
semblez à cet homme altéré qui voudrait boire la
mer d'un seul trait.
Heureusement que cette divinité mystérieuse ,
appelée la vérité , change de nature quand on la
fait descendre des cieux , et qu'on la contemple de
près, et en détail , avec les yeux d'un mortel. Reve
nant comme d'un songe un esprit désabusé s'écrie
alors : Mais non , ce n'est pas la vérité absolue que
je cherche ; je ne cherche que des vérités particu
lières , des vérités détachées , et une à une.
Mais d e ces vérités là , n'en avez-vous jamais
trouvé ? N'y en a-t-il pas des myriades qu'on n'a
pas besoin de chercher ? L'histoire , les sciences
et les arts , la physique , la morale , la religion ,
les trois règnes de la nature , le ciel et la terre ne
les étalent-ils pas à tous les yeux ? Tous les jours
encore , quelque savant trouve sujet de s'écrier
comme Archimède , Eurêka ! et de faire part de
ses découvertes à ses contemporains.
Il ne s'agit donc que de coordonner ces vérités
connues , et de les lier en un système : et chacun
peut faire ce travail pour son compte, d'une ma
nière plus ou moins satisfaisante. Nous l'avons fait,
de notre côté ; et cela , avec tant de succès , que
notre système nous semble complet, et que dans
notre joie nous croyons en devoir faire part au
public. Quelques personnes y trouveront le repos
de leur esprit; ce sera pour nous un dédommagement
plus que suffisant. Nous ajouterons seulement ,
avant d'entrer en matière, que notre système est
entièrement fondé sur Yamour , et par conséquent
sur le christianisme.
Dans l esiècle dernier, chercher la vérité ne
signifiait en général que trouver la fausseté du
christianisme; mais plus récemment des esprits
méditatifs, en voulant entièrement secouer le joug
de cette antique croyance , lui ont reconnu des ra
cines plus profondes qu'ils ne l'avaient supposé; et
ils ont commencé à négliger cette philosophie super
ficielle qui a plaisanté sur tout , mais qui n'a
examiné aucune question à fond , et n'a arrêté au
cun principe de manière qu'il pût faire autorité en
fait de religion et de morale. Ceux toutefois qui
de nos jours font encore profession de chercher la
vérité, le plus souvent ne cherchent rien du tout.
En cherchant la vérité dans le sens absolu et com
plexe, on ne saurait, en effet, la trouver qu'en
cherchant celui qui s'est dit la vérité: et peu de
tètes sont mûres pour prendre ce parti. Là est
néanmoins la source où l'esprit humain pourra
puiser éternellement ; et puiser non pas simplement
des vérités nues et sèches , telles qu'en fournit la
philosophie ou la métaphysique ordinaire ; mais des
vérités fécondées par Yamour, qui seules peuvent
donner le bonheur.
CHAPITRE H.
Ulnjini.
Les r éflexionsprécédentes nous conduisent na
turellement à considérer Dieu sous deux points de
vue différents, comme infini et comme fini car
on verra que , par rapport à nous , Dieu ne peut
être que fini. Toutes les qualités divines en tant
qu'infinies nous échappent; il faut raisonner de
toutes comme nous avons fait de la vérité.
Nos t raitésde théologie et de morale commen
cent d'ordinaire par l'énoncé de cette grande vérité:
Dieu est un Etre infiniment hon , infiniment sage,
infiniment puissant, juste, intelligent, en un mot,
un Etre infini sous tous les rapports , ou absolu ,
comme s'exprime l'école allemande, un Etre éternel
et nécessaire. On ajoute même quelquefois que
Dieu est un Etre infiniment saint, mot qui en cet
endroit n'offre aucune idée claire; puis on entre
dans les détails , et on multiplie les preuves et les
explications.
Nous sommes assurément hien éloignés de nier
aucune de ces assertions ; mais nous osons soutenir
que dans toutes les discussions de ce genre il n'y
a rien de pratique ; qu'elles restent absolument
sans ohjet, et que l'esprit de l'homme ne saurait
meme concevoir clairement ce que c'est qu'une
bonté, une sagesse, une puissance, une justice,
une intelligence infinie.
Écoutons raisonner sur cette matière le plus
cloquent et souvent le plus profond de nos philo
sophes.
«C'est a insi,»dit Jean-Jacques, «que contem
plant Dieu dans ses œuvres , et l'étudiant par ceux
des attributs qu'il m'importait de connaître , je suis
parvenu à étendre et augmenter par dégrés l'idée,
d'abord imparfaite et bornée , que je me faisais de
cet Être immense. Mais si cette idée est devenue
plus noble et plus grande , elle est aussi moins pro
portionnée à la raison humaine. A mesure que
j'approche en esprit de l'éternelle lumière , son éclat
m éblouiti me trouble, et je suis forcé d'abandon
ner toutes les notions terrestres qui m'aidaient à
[imaginer. Dieu n'est plus corporel et sensible ;
la suprême intelligence qui régit le monde n'est
plus le monde même: J'élève et fatigue en vain
mon esprit, à concevoir son essence inconcevable.
Quand je pense que c'est elle qui donne la vie et
l'activité à la substance vivante et active qui régit
les corps animés ; quand j'entends dire que mon
âme est spirituelle, et que Dieu est un esprit, je
m'indigne contre cet avilissement de l'essence di
vine : comme si Dieu et mon âme étaient de même
nature ! Comme si Dieu n'était pas le seul Etre ab
solu , le seul vraiment actif , sentant , pensant ,
voulant par lui-même , et duquel nous tenons la
pensée , le sentiment , l'activité , la volonté , la li
berté , l'être ! Nous ne sommes libres que parce-
qu'il veut que nous le soyons, et sa substance
6
inexplicable est à nos âmes ce que nos âmes sont
à nos corps. S'il a créé la matière , les corps , les
esprits , le monde , je n'en sais rien : l'idée de
création me confond et passe ma portée ; je le crois
autant que je puis le concevoir ; mais je sais qu'il
a formé l'univers et tout ce qui existe , qu'il a ioui
fait , tout ordonné. Dieu est éternel , sans doute;
mais mon esprit peut-il embrasser l'idée de l'éter
nité? Pourquoi me payer de mots sans idées?
Ce que je conçois c'est qu'il est avant les choses,
qu'il sera tant qu'elles subsisteront, et qu'il serait
même au delà si tout devait finir un jour. Qu'un
Etre que je ne conçois pas donne l'existence à
d'autres Etres , cela n'est qu'obscur et incompréhen
sible : mais que l'Etre et le néant se convertissent
d'eux-mêmes l'un dans l'autre, c'est une contra
diction palpable, c'est une claire absurdité.»
« Dieu est intelligent ; mais comment l'est-il?
L'homme est intelligent quand il raisonne, et la
suprême intelligence n'a pas besoin de raisonner.
Il n'y a pour elle ni prémisses ni conséquence, il
n'y a pas même de proposition ; elle est purement
intuitive , elle voit également tout ce qui est et tout
ce qui peut être ; toutes les vérités ne sont pour elle
qu'une seule idée, comme tous les lieux un seul
point, et tous les tems un seul moment. La puis
sance humaine agit par des moyens; la puissance
divine agit par elle-même. Dieu peut parcequ'il
veut , sa volonté fait son pouvoir. Dieu est bon ,
rien n'est plus manifeste: mais la bonté dans
7
l'homme est Yamour de ses semblables, et la bonté
de Dieu est Yamour de l'ordre; car c'est par l'amour
de l'ordre qu'il maintient ce qui existe ej lie chaque
partie avec le tout. Dieu est juste , j'en suis con
vaincu , c'est une suite de sa bonté : l'injustice des
hommes est leur œuvre et non pas la sienne: le
désordre moral , qui dépose contre la providence
aux yeux des philosophes , ne fait que la démontrer
aux miens. Mais la justice de l'homme est de
rendre à chacun ce qui lui appartient, la justice de
Dieu , de demander compte à chacun de ce qu'il
lui a donné.»
«Que si je viens à découvrir successivement
ces attributs dontje n'ai nulle idée absolue , c'est
par des conséquences forcées , c'est par le bon usage
de ma raison ; mais je les affirme sans les com
prendre , et, dans le fond, c'est n'affirmer rien.
J'ai beau me dire Dieu est ainsi , je le sens , je me
le prouve ; je ne conçois pas mieux comment Dieu
peut être ainsi. Enfin , plus je m'efforce de con
templer son essence infinie , moins je la conçois.»
Telles s ontles idées de Rousseau sur ce grave
sujet , et par conséquent celles de la philosophie du
siècle. Mais s'il en est ainsi, nous le demandons,
quelle idée arrêtée peut-on se faire de Dieu dans
le système du déiste ? Nest-il pas évident que, pour
nous , un Etre tel qu'il est représenté ici , et rien ,
est la même chose ? Ne serions-nous pas tout aussi
avancés si nous étions matérialistes et si nous
croyions le monde éternel ? — J'ai beau me fatiguer
l'esprit pour trouver quelque avantage à considérer
Dieu de la sorte , je ne puis absolument arriver qu'à
cette conclusion : // n'est rien pour moi.
Il e stparfaitement vrai de dire que nous n'a
vons aucune idée claire ni complète de ce que nous
appelons Yéternité. Pour nous, l'éternité n'est ja
mais que le tems prolongé. Nons savons encore
moins ce que c'est que la nécessité de l'existence.
C'est là un de ces termes absolument inintelligibles ,
inventés ou par la vanité -ou par l'ignorance de
l'école. Quand.Dieu a défini son essence à Moyse,
a-t-il employé cette phrase entortillée : Je suis celui
gui ne peut pas ne pas être ? Non ; il s'est con
tenté de dire: Je suis celui qui est. Et avec de
la réflexion cela se conçoit ; la vérité absolue aussi
bien que Yéternité de l'existence se trouvent dans
le mot Être. Mais la nécessité de l'existence passe
notre conception et ne dit rien à notre esprit.
La vue de la création ne suffit pas non plus
pour prouver à l'homme une bonté infinie. Après
tout la création estfinie : et ce don , de la part d'un
Etre tout puissant, sous un rapport, peut même
être regardé comme peu de chose , puisqu'il ne lui
a coûté qu'un acte de volonté. Les maux sans
nombre qui assiégent l'homme depuis son berceau
jusqu'à sa tombe , sont , de leur côté , un argument
terrible contre cette bonté infinie. Celui qui ne
connait pas Dieu comme Rédempteur , dans la per
sonne du Christ, l'Etre le plus aimant dont l'his
toire nous ait transmis l'image, et seul moyen direct
9
par l equell'esprit humain puisse parvenir à l'idée
de la bonté divine , doit trouver à peine que le bien
contrebalance le mal dans la vie. Cela est si vrai
que long-tems des esprits , du reste éclairés , et des
peuples entiers, ont admis deux principes, l'un
bon et l'autre mauvais, pour expliquer le sort de
l'homme sur la terre.
Il en est de même encore de la toutepuissance.
La création qui estfinie, ne la prouve point. L'acte
créateur seul, considéré comme tel, pourrait être
représenté comme provenant d'une volonté toute-
puissante, si en l'avançant on ne prononçait pas
une de ces phrases vagues dont personne ne sent
la portée. Qu'y aurait-il, d'ailleurs, de pratique,
à savoir qu'il y a encore des myriades de mondes
existants, ou possibles, outre le nôtre? Celui qui
ne croit pas devoir être reconnaissant envers le Créa
teur pour le monde que nous connaissons, ne le
sera jamais.
Il en est de même enfin de tous les attributs
divins. Et qui sommes nous donc , juste ciel ! pour
parler d'une sagesse , d'une intelligence , d'une jus
tice infinie? qui sommes nous pour parler d'un
Etre éternel et nécessaire? nous qui ne savons pas
même si nous devons dire Digfi a créé ou Dieu
crée; Dieu a prévu ou Dieu prévoit, ou même
Dieu ne saurait prévoir, étant présent à tous les
tems ! Nous qui ne pouvons affirmer si Dieu prend
une résolution ou s'il n'en prend pas ; enfin nous
qui ne pouvons concevoir comment Dieu reste libre
l *
10
dans d esdémarches que nous prétendons en même
tems arrêtées de toute éternité*)'. Nés d'hier, four
mis rempantes sur cette terre, ramassons donc
grain à grain des vérités détachées, des vérités utiles
et pratiques qui sont à notre portée, et ne nous
enorgueillissons pas en prononçant de grands mots
dont le Créateur seul connaît le sens.
Il e stévident qu'en tirant des conséquences
rigoureuses des attributs de Dieu que nous appe
lons infinis, et surtout de son éternité, on peut
arriver à la conclusion, qu'il n'est libre en rien,
et qu'il n'est que le fatum des anciens.
Le v raiphilosophe renoncera donc sans peine
comme sans regret à toutes les Questions infinies,
rigoureusement insolubles, ét il reconnaîtra qu'il
nous faut dorénavant distinguer entre Dieu dans
son état infini et inconcevable, tel qu'il est en lui-
même, et Dieu fini, tel qu'il est nécessairement
dans son rapport avec thomme. Le vrai philoso
phe n'adorera plus dorénavant d'autre Dieu qu Em-
manuel ou Dieu avec nous, Dieu rapproché de nous ,
en rapport avec nous; en un mot il n'adorera plus
que Xhomme-Dieu, appelé Jésus-Christ. Etant nous-
mêmes des créaturesfinies, nous ne pouvons atteindre
Dieu que comme fini. Âsscz et trop long-tems
l'école s'est tourmentée à propos de qualités et d'attri
buts qui pour nous ne sont que des abstractions.
*) On sait que St. Augustin soutenait qu'on ne devait
pas dire: Dieu nous a rendus justes, mais Dieu nous
rendjustes continuellement.
11
Après les avoir humblement reconnus en Dieu,
avec Jean-Jacques , ces attributs incompréhensibles,
et l'avoir parconséquent adore d'autant plus profon
dement que nous le comprenons moins, ou plutôt
après l'avoir adoré précisément par ce que nous ne
le comprenons pas (puisque c'est là le point réel
où toute adoration commence), nous passerons doré
navant de suite à ce qui est réel, et surtout prati
que pour nous.
L'impossibilité qu'un Etre fini entre autrement
en rapport avec un Être infini, que d'une manière
finie, est au fond une de ces vérités de métaphysi
que où la limite du possible et de l'impossible est
aussi clairement tracée que dans toutes les questions
géométriques. Est-il possible, en effet, que vous
touchiez autrement cette sphère immense à laquelle
Pascal compare le Créateur, quepar un point? Une
sphère finie même ne saurait etre touchée autre
ment. Dans l'infini moral, ou spirituel, parconsé
quent, bien qu'il ne doive point être considéré
comme étendue, mais comme placé hors du tems et
de l'espace, notre esprit ne peut de même saisir
qu'un point, c'est à dire, une idée, une pensée,
comme nous ne pouvons éprouver qu'un sentiment
à la fois. Sur les ailes de l'imagination nous pouvons
bien décrire un petit cercle dans ces domaines in
finis , ainsi que nous le faisons sur la terre au milieu
des merveilles de la nature ; mais c'est toujours sous
peine de quitter un objet pour un autre: dès que
nous voulons embrasser la moindre étendue, le
12
moindre h orizon,tous les objets individuels rentrent
dans le vague.
Quand J ésus-Christ, ou Dieu Rédempteur,
a dit: personne ne vient au père que par moi, il
a dit la vérité métaphysique la plus palpable qui
se puisse imaginer. Il est rigoureusement impos
sible que l'homme contracte autrement des rapports
directs ou personnels avec l'Etre infini, qu'en recon
naissant que l'âme, ou le moi de Jésus-Christ était
cet Être. Car c'est là ce qu'il appelait le Père qui
était en lui, tout comme il s'appelait lui-même un
Être provenu du Père, le fils venu du Père: c'est à
dire le Père vu, le Père entré en rapport avec le
monde, le Père montré ou manifesté au monde.
Il n'y a point de moyen terme possible à imaginer
à l'égard de Jésus-Christ; il faut lui reconnaître
tout ou rien de la Divinité ! Ou il était le Créateur
personnifié, ou il n'était qu'un homme comme un
autre, un philosophe Juif. Ce dernier sentiment
parait même plus philosophique que l'autre, dans
la bouche de ceux qui ne peuvent s'élever assez haut,
pour voir la Divinité dans un Etre aussi humble et
aussi simple que le Fils de Marie *).
*) J en'ai jamais pu concevoir comment un homme
aussi solide que Herder ait pu s'arrêter à l'idée de
faire de JÉsus-CHRisiunEtre intermédiaire, quin'est
ni Dieu ni homme, un Être éternel et qui toutefois
n'est pas Je .Père de la nature. Un poète du second
, ordre du même pays, a eu, sous ce rapport, des
idées plus saines que ce philosophe renommé. Non
13
«L'esprit humain, dit un auteur ingénieux, ne
saurait construire un pont du fini à l'infini: tout
élan risqué en cet endroit précipite dans l'abîme.»
seulement Seume reconnaît la Divinité de Jésus-
Christ , mais il déclare ,. dans sa Promenade à Syra
cuse, queleifacuitésde l'esprithumain nepeuvent s'élever
quejusqu'à lui. Au de là de Vhomme-Dieu, dit-il, il n'y
a rienpour nous.
licftfeit e r&e&ett/<iber meftt reeiter. Le Dieu éternel et
infini, appelé Jéhovah , est incompréhensible et in
abordable; et un Être intermédiaire et éternel, est
une pure chimère. Il est probable que Herder; aussi
bien que Jérusalem, écrivain religieux du même
genre, et en général tous ceux qui conservent lafoi
chrétienne malgré les trois personnes distinctes, ne
pouvant d'un côté se tirer de ce que les théologiens
ont appelé le mystère de la Trinité, et reconnais
sant de l'autre le caractère plus qu'humain de
Jésus-Christ, en seront restés à peu près au point
où en est resté Jean-Jacques ; eux, si l'on veut, à
force de foi, etJean-Jacques à force de philosophie.
D'autres écrivains, au reste, ou Prédicateurs
de l'Evangile, sont à cetégard dans un vague encore
plus singdlier. Ils écrivent, ils prêchent pendant
des années, que Jésus-Christ, auquel ils donnent
on ne sait trop pourquoi, les titres de Sauveur et
de Rédempteur du monde , était un Envoyé de Dieu,
sans admettre pour cela qu'il existait avant de venir
sur la terre, ou même sans y avoir jamais pensé;
de sorte qu'ils sont tout étonnés quand quelqu'un
s'avise de leur demander comment on peut envoyer
quelqu'un qui n'existe pas. Si Jésus-Christ n'a
réellement été envoyé sur la terre que comme cha
cun d'entre nous, il n'est de même qu'un homme
comme tout autre; et il n'en faut pas faire plus de
bruit que de Socrate, ou de tel autre philosophe
renommé.
Mais du côté de Dieu cette impossibilité n'existe pas;
il a pu construire ce pont, il l'a posé d'un côté sur
YAmour infini, et de l'autre sur le Rocher qui est
le Christ *).
Mais , d ira-t-on, un Etre fini ne peut plus être
Dieu. Cela est faux, complètement faux: En lui-
même, Dieu est toujours infini, quoique dans son
rapport avec nous il soit fini. Quand vous appro
chez de la mer ne dites vous pas aussi? voila la
mer! Et vous parlez juste, quoique vous ne voyiez
qu'une très petite partie de la mer, et que vous
ne puissiez toucher que quelques gouttes de ses eaux
immenses. Il en est de même de Dieu.
CHAPITRE 1U.
Le possible et l'impossible.
L'homme connait-il au juste les limites du pos
sible et de l'impossible ? Non assurément. Mais il
lui est permis de chercher à tracer une ligne de
démarcation entre ces deux empires sans bornes.
Peu de philosophes ont traité cette question; on
rencontre même peu de personnes qui aient osé y
réfléchir. A Dieu tout est possible est un ancien
*) S inous cherchions ici plutôt des autorités que des
raisons, nous pourrions citer entre autres notre
grand Buffon, qui, dans ses immortelles pages sur la
. nature de l'homme, reconnaît comme nous Fimpossi-
bilité où il est d'atteindre Dieu en tant qu'être purement
métaphysique.
adage que chacun admet sans l'approfondir. Cepen
dant le respect pour la Divinité ne doit pas nous
empêcher de raisonner d'Elle et de ses attributs,
comme nous faisons de tous les autres objets de la
nature , en suivant avec simplicité les lumières de la
raison et. du bon sens qu'il nous a donnés. Or en
suivant ces lumières on pourrait trouver presque
autant de choses impossibles qu'il y en a de
possibles.
Dans l ascience des nombres et de l'espace,
c'est à dire dans les mathématiques et la géométrie,
les limites de l'impossible nous frappent si vivement,
du moins dans toute question soluble , que les mé
connaître est aussitôt une absurdité " pour tout le
monde. Dieu lui-même, dit-on, ne pourrait rien
changer ici, parcequ'il est question de sciences
exactes , et que Dieu ne peut pas changer l'essence
des choses. Mais pourquoi dans les sciences mo
rales et métaphysiques n'y aurait'il pas des limites
analogues? Il n'y a nulle raison de les mécon
naître, quoique dans cette partie les limites soient
plus difficiles à déterminer. Dieu ne peut pas faire
qu'une chose soit à la fois etne soit pas ; il ne peut
pas se montrer imparfait, méchant, déraisonnable,
absurde. Quand Dieu a pris une résolution (car il
faut bien que nous usions de cette formule, Dieu
pour nous étant fini) quand , disons nous , Dieu a
pris une résolution , il'en a admis aussi toutes les
conséquences , il ne revient pas sur ses pas ; et par
là même mille choses deviennent impossibles , jus
16
que dans les démarches que nous attribuons à sa
conduite libre. Dieu considéré ainsi après ses ré
solutions prises, est engagé de tous côtés par ses
propres démarches , et sa liberté se restreint à pro
portion. Tout cela est aussi clair que cet adage :
Dieu ne peut pas faire qu'une chose soit' à la fois
et ne soit pas ; qu'une chose qui a une fois existé
n'ait jamais existé ; que deux et deux ne soient point
quatre; ou que les trois angles d'un triangle n'équi
valent, pas à deux angles droits. Le nombre des
choses déraisonnables , ou qui seraient faites mal à
propos , est immense pour Dieu dans sa création ;
et si l'homme raisonnable lui-même ne peut réelle
ment pas faire des choses absurdes, pourquoi le
dirait-on de la Divinité ? Tout ce qui est déraison
nable, quoique possible d'après notre imagination
extravagante , Dieu ne le fera jamais , et il ne peut
pas le faire.
Appliquons maintenant ce principe si simple
à la destinée de l'homme sur la terre , et nous au
rons le résultat suivant : Dieu a une fois jugé con
venable de créer l'homme libre ; donc il ne peut plus
l'empêcher d'agir selon son bon plaisir ; il ne peut
plus Yempêcher de se livrer au vice et à l'erreur pré-
fcrablement à la vertu et la vérité.
En c onsidérantl'homme en société , et comme
un anneau de la chaine entière des Etres , ces im
possibilités d'une certaine action de Dieu sur ses
créatures se compliquent ensuite à l'infini ; car dans
les masses la liberté d'un individu est encore modi
17
fiée par celle de mille autres auxquels il est donné
de l'influencer plus ou moins. Il n'est pas jus
qu'aux objets inanimés r qui autrement pourraient
être soumis à un .calcul rigoureux , il n'est pas jus
qu'à l'homme physique , dont on sait que dépend
en partie l'homme moral, et aux autres Etres vivant
moins libres que l'homme, tels que les animaux
dont les instincts pourraient rigoureusement se cal
culer , qui ne soient modifiés ainsi de mille manières
par l'action libre des hommes, excluant entièrement
celle de Dieu.
Qui a uraitcru, par exemple, que les bornes
de ce qui demeure possible à l'action divine sur
notre globe , dussent se rétrécir au point que Dieu
fût contraint de laisser mourir dans la rage et le
plus affreux désespoir , l'infortuné que l'impéritîe
ou l'atrocité humaine a enterré vif, plutôt que de
trancher exlraordinairement le fil secret qui l'attache
à la vie ? Cela est néanmoins prouvé tous les jours
par le fait ; car, quand par hazard on vient à rouvrir
la tombe de ces infortunés , leurs mains rongées et
leur bouche sanglante montrent assez quelle a été
leur triste fin. Ce n'est que dans des cas rares et
extraordinaires , et en sa qualité de Rédempteur , que
Dieu a pu déroger à cet ordre. C'est ainsi que le
Dr. Bertrand , dans son ouvrage sur Xextase magné
tique , cite plusieurs martyrs qui furent tenus dans
un état d'insensibilité corporelle pendant tout le
tems qu'on les tourmentait à mort, et qui chan
tèrent des hymnes jusqu'au moment qu'ils rendirent
18
l'âme. Mais dans l'ordre des choses admis , il est
devenu impossible à Dieu de venir au secours de
tous ces malheureux par ce que nous appelons un
miracle, et cela par la seule raison qu'aucune at
teinte ne doit être portée à leur liberté morale, ou à
celle des Etres en rapport avec eux , soit corporels
soit transformés et passés à l'état d'esprits.
Sous l epoint de vue de la moralité du genre
humain par conséquent, Dieu ne peut faire autre
chose que suivre les individus, et surtout les masses,
pas à pas. Son action par Yexemple , en paraissant
au milieu d'eux sous laforme du mortel le plus ver
tueux et le plus aimant possible , est la seule action
concevable. Toute autre influence est devenue ri
goureusement impossible.
Le vague dans lequel l'esprit humain était resté
jusqu'ici relativement à ce qui est possible à Dieu
en fait d'influence morale , venait de ce que chaque
individu se croyait plus ou moins isolé dans la
création , et de ce que la philosophie a cru pouvoir
considérer les sociétés entières comme isolées. Mais
ces idées sont tout-à-fait erronnées. Non-seulement
les hommes terrestres s'influencent nécessairement
tous les uns les autres ; non-seulement les hommes
esprits continuent à s'influencer entre eux ; mais ces
derniers doivent même conserver une certaine action
sur lés habitants des globes matériels. Le grand
ensemble que la création doit former le requiert
impérieusement. Et quant au lien secret qui nous
unit tous au Créateur individuellement , il est bien
A
plus é troitqu'on ne l'a jamais pense. Il est méta-
physiquement impossible que le Créateur isole de
lui un moi ou un Être intelligent quelconque, de
lui qui est le moi ou Yintelligence suprême. Quand
un pareil isolement serait possible dans la spécula
tion , il ne le serait point dans le fait. 11 faut ab
solument que Dieu garde toujours entre ses mains
les rênes de la conduite des individus, comme de
l'ensemble , si l'ordre éternel ne doit point être
troublé. Nous avons déjà remarqué que l'on peut
dire : Dieu n'a pas créé l'homme ; mais il le crée
continuellement , puisque faire une chose dans un
tems pour qu'elle continue à exister ensuite par
elle-même dans un autre tems, serait une imper
fection, dans l'Etre éternel ; eh bien ! on doit dire
de même : Dieu ne nous a pas simplement influen
cés au moment de notre création , mais il nous in
fluence incessamment ; et par là même il ne peut
pas tout sur notre conduite , puisqu'il nous a laissés
en même "tems libres de résister plus ou moins à
celte influence, et de la modifier sans cesse selon
notre bon plaisir.
Ces c onsidérationssont encore de nature à nous
faire trouver plus concevable l'action de Dieu sur
nous comme homme, que son action comme être
infini et absolu ; et cette vérité ressortira" de plus
en plus.
20
CHAPITRE IV.
La L iberté.
Examinons maintenant avec attention la nature
de la liberté de l'homme. Il eût peut-être fallu
l'avoir déja bien comprise pour raisonner pertinem
ment sur la question précédente ; mais toutes ces
grandes questions tiennent si étroitement l'une à
l'autre qu'on ne sait au juste laquelle il serait plus
avantageux de traiter la première.
La l ibertéde l'homme a toujours été considé
rée comme l'abîme de son esprit. Bien que sous
certain rapport elle offre les qualités de Yinfini,
elle n'est point, toutefois, rigoureusement insoluble,
comme la liberté de Dieu, laquelle se doit combiner
en même tems avec son éternité et son immutabilité.
Les deux réflexions suivantes serviront à éclaircif
cette matière abstruse : Selon nous , d'un côté les
philosophes n'ont point assez restreint notre liberté
morale; de l'autre ils ne l'ont pas assez étendue.
Expliquons et prouvons ces assertions.
En p remier lieu , la liberté de l'homme est
moindre qu'on ne l'a cru ; parcequ'il ne -dépend
pas de lui de se changer au moral aussi facilement,
ni aussi vîte , qu'on l'a supposé. Chaque individu
hérite de ses ancêtres une nuance de caractère mo
ral qui lui restera toute sa vie, et qui se trouve
encore modifiée , surtout dans ses premières an
nées, par l'influence de ses contemporains. La
conformité extérieure des traits des individus le
prouverait, si les caractères nationaux n'étaient
pas une chose généralement admise. Un jeune
Caraïbe et un jeune Européen sont certainement
deux Etres fort différents pour les dispositions mo
rales , même avant d'avoir ressenti l'influence de la
société ; et avec toutes les ressources de l'éducation
vous n'en ferez pas deux hommes semblables. Or
ce qui se remarque chez les peuples , doit avoir lieu
en petit dans les familles. Il y a des exceptions,
nous ne le nions pas; mais ces exceptions ne font
que confirmer notre assertion en thèse générale.
Ces exceptions d'ailleurs ont aussi leurs causes par
ticulières ; et si une marche uniforme était toujours
suivie dans la propagation de l'espèce , elle se ferait
de même remarquer dans les caractères. L'enfant
d'une famille princière , par exemple , serait d'ordi
naire portée à la fierté et à l'amour du commande
ment , tout comme le rejeton d'une famille d'ou
vriers simples et laborieux serait naturellement
timide et soumis. Les dispositions aux vices comme
aux vertus et aux talens se transmettraient ainsi
dp père en fils : et on pourrait y compter hardi
ment dans la plupart des cas. J'en suis si con
vaincu pour ma part, que dans une famille de
souverains bien réglés dans leur conduite, la légi
timité ne me paraîtrait plus un problême , mais un
principe fondé dans la nature , et donnant des droits
réels à l'enfant qui vient de naître. Et quand je
vois sortir au contraire un conquérant de la lie du
22
peuple , je suis toujours tenté de croire que c'est
du sang royal qui cherche à remonter vers sa source.
Quoiqu'il en soit, il résulte toujours de ces
considérations que les individus sont généralement
jetés dans un cercle, dans lequel ils peuvent se
mouvoir , mais dont ils ne leur est pas donné de
sortir. Il faut , en effet , que l'homme combatte
souvent pendant des années, pendant sa vie en
tière , un défaut qu'il a clairement reconnu , et qu'il
hait lui-même le premier. Nos penchants tiennent
si profondément à la racine de notre être , ils sont
tellement identifiés avec notre organisation et avec
notre vie intime , que la meilleure volonté, la plus
forte résolution, ne suffit pas à anéantir un défaut
dans un moment. La prière même et le secours de
Dieu ne sont pas en état d'opérer cette merveille ,
laquelle serait plus que miraculeuse , puisqu'elle est
d'une impossibilité absolue. Dieu n'a jamais pro
mis, et n'a jamais pu promettre, qu'il ferait tout
par lui seul, et en un instant , sur la requête de
l'homme ; il faut que l'homme coopère à son amé
lioration ; laquelle , par suite , est lente , et ne se
fait que par progrès insensibles *). Peut-être même
qu'un défaut ne sera jamais complètement anéanti :
Les anges conservent des taches aux yeuxde l'Eternel.
Par l amême raison les hommes ne sont pas
*) „ Vois, o IsraëL," est-il dit dans l'ancien Testa
ment, „ si tu veux t'attacher à ton Dieu , et former
une alliance avec lui;" et la même chose est dite
à chaque homme en particulier.
23
tous p ropres,à une pratique égale des différentes
vertus. Il ne dépend pas plus de nous de les pra
tiquer toutes en un dégré extraordinaire, qu'il ne
dépend de tous les prêtres d'être des Vincents de
Paule et des Fénélons , ou de tous les poètes d'être
des Virgiles et des Racines.
S'il e stgénéralement reconnu que nos facultés
morales tiennent en partie à la conformation de
notre cœur et de notre cerveau, il est clair qu'il
faudrait un miracle matériel pour nous changer,
tout comme il en faudrait un pour guérir une per
sonne qui aurait quelque partie noble entièrement
viciée. Néanmoins , nous nous hâtons de l'ajouter,
cette observation , encore , il ne faut pas la pousser
trop loin: Avec le lems et du zèle le moral peut
rectifier le physique , tout en suivant les lois ordi
naires de la nature ; de même que dans la maladie
la plus désespérée le ciel peut encore exaucer plus
ou moins la requête fervante d'un patient , en l'é
clairant , lui ou ceux qui le soignent , sur les vrais
remèdes à employer, et le guérir par conséquent
sans recourir à un miracle proprement dit.
Des hommes excellents ; travaillant à leur per
fection morale avec une ardeur inquiète, voyant
qu'ils ne pouvaient pas faire de leur liberté tout
l'usage qu'ils désiraient , sont allés quelquefois jus
qu'à demander que Dieu la leur retirât, afin de
n'être plus que de purs instrumens entre ses mains.
Ils se persuadaient sans doute qu'en faisant cette
demande eux-mêmes, librement, ce n'était plus Dieu
24
qui é taitcensé toucher au dépôt sacré de leur liberté
morale : néanmoins une telle prière ne peut être
qu'indiscrète. Quand il nous arrive de succomber,
malgré notre meilleure volonté , il ne nous reste qu'à
nous humilier, et à faire des résolutions encore
meilleures pour une prochaine occasion, afin de
guérir peu à peu et avec le tems. Dieu ne peut ni
ne veut toucher à notre liberté , qui fait précisément
le prix de notre Etre. Lui seul aussi peut savoir
jusqu'à quel point il doit assister chaque individu ,
meme sur sa propre requête, vû qu'il ne saurait y
avoir devant lui de privilégié, et que les intérêts et
les passions de ses enfans se croisent de mille ma
nières. Lui seul enfin peut apprécier au juste le
degré de notre sincérité et de notre bonne volonté,
sur lesquelles nous nous faisons nécessairement illu
sion, ainsi que le prouve le fait même de nos
rechutes , et celui de la non-intervention du Très-
haut , qui certes n'est jamais en retard quand il
peut nous être utile.
Si donc il peut être permis de demander à Dieu
den'êtreplus qu'un instrument entre ses mains, il faut
toujours se rappeler qu'il ne peut être question que
d'un instrument vivant, agissant, et non d'un in
strument mort.
En s econd lieu si nous considérons l'homme
en général, ou les hommes en masse, nous trouvons
que le degré de leur liberté est plus grand, qu'on
ne le pense communément. C'est sou? ce point
de vue seulement qu'il est vrai de dire de l'homme
A
28
peut s e perfectionner ou se dégarder à l'infini.
Pour ce qui est du champ du perfectionnement du
genre humain , il est absolument illimité. Eternel
lement les hommes pourront se rapprocher de leur
grand modèle, le Père de la nature, le Père céleste,
sans jamais l'atteindre. Et quant au champ de leur
dégradation, il n'a été circonscrit que par le fait
même de la Rédemption, à l'époque où cette dégra
dation , ayant rompu toutes les digues et menaçant
d'entrainer l'universalité des Etres, était devenue
intolérable aux yeux de l'Eternel. L'homme indi
viduel peut, à la vérité, continuer à se dégarder
indéfiniment dans le cercle particulier qui l'envi
ronne -, mais l'homme collectif ne le peut plus. Par
le fait les masses ne sortiront plus du cercle qui
leur à été tracé par Celui qui a dit a leur passions,
comme autrefois à la mer : Tu n'iras pas plus loin ;
là se brisera la rage de tes flots.
Le premier homme (car il faut bien que vous
en supposions un premier pour pouvoir raisonner
clairement, quoiqu'il soit aussi philosophique de
dire que Dieu a toujours été créateur , que de sup
poser qu'il ne l'est devenu que dans le tems , ce qui
ramène la question insoluble de l'éternité), le premier
homme disons-nous , a nécessairement du Etre plus
restreint dans ses pensées, ses connaissances et ses
volontés , que les suivans ; puisque Dieu était forcé
de réserver à chacun de ses enfans le plaisir de la
découverte de quelque nouvelle vérité, ou celui de
mettre quelque nouvelle vertu en honneur sur la
2
terre : d elà cette latitude plus immense donnée aux
masses ; et quil ne faut jamais perdre de vue quand
on veut raisonner pertinemment sur la nature de la
liberté. Cette vérité parait évidente dès qu'on y est
rendu attentif; et il suffit de l'indiquer. Les deux
chapitres suivans serviront, du reste, à l'éclaircir
et à la confirmer. Nous ajouterons seulement , en
terminant celui-ci, que chacun peut facilement se
convaincre que dans le fond la racine de sa liberté
morale lui reste toujours , à tout âge et dans toutes
les situations de lavie. Il peut le voir non seulement
par là nature des reproches de sa conscience, qui
certes ne se soulèverait pas contre une action faite
nécessairement, mais surtout il le pourra quand il
voudra se faire une légère violence dans de petites
démarches qui ne sont pas sous l'influence de quel
que passion devenue trop impérieuse. Dans ce cas
chacun voit clairement quil peut faire précisément
le contraire de ce qu'il désirerait; tout comme entre
deux chemins inégaux de sa promenade il petit pren
dre le plus difficile et le.moins agréable, par la seule
raison que telle est sa volonté. Et si l'on peut se
surmonter dans les petites choses , on le peut aussi,
avec letems, dans les grandes, à mesure que l'on
regagnera du terrain sur les passions que l'on avait
eu l'imprudence de laisser trop grandir.
1 27
CHAPITRE V.
L'homme moral placé partout entre les infinis.
•
Quand nous avons avancé , il y a quelques an
nées , que l'homme moral devait nécessairement se
trouver placé entre les infinis de quelque côté qu'il
se tourne, nous entendions déjà tout ce que nous
venons de dire, savoir que dans son perfectionne
ment comme dans sa dégradation l'homme ne ren
contrait aucune bornes absolument insurmontables :
seulement alors nous n'avions pas encore distingué
entre l'homme individuel et l'homme collectif. Nos
propres idées s'étant étendues depuis, il nous sera
peut-être plus facile de nous faire bien comprendre ;
car nous n'avons fait au fond , que nous confirmer
dans le même sentiment, qui n'est qu'une suite né
cessaire d'une liberté morale dont la nature même est
d'être illimitée , et sous ce rapport, parfaite.
Pour peu que l'homme soit déraisonnable, il
peut , sans être proprementfou selon le monde , par
venir à se prouver qu'il n'y a point de Dieu, ou que
Dieu ne se mêle pas des choses humaines ; qu'il n'y
a point de vie future, et parconséquent aucune dif
férence essentielle entre le bien et le mal ; que toutes
les vertus et tous les vices peuvent se confondre,
selon les tems et les lieux ; qu'enfin, et a plus forte
raison, le christianisme n'est qu'un amas de doctrines
plus ou moins absurdes , fruit du fanatisme et de la
faiblesse humaine. Et, en effet, l'homme ne peut
28
se c oncevoir entièrement libre qu'en le supposant
ainsi placé partout entre les infinis: en d'autres
termes, pour que notre liberté morale soit complète,
il faut que Dieu se soit pour ainsi dire éaché et qu'il
nous ait entiérement abandonnes à nous-mêmes. Si
une main visible nous présentait incessamment du
haut du ciel une riche récompense pour chaque bonne
action, nous ne serions point libres de ne pas les
accomplir , et si le châtiment était toujours prêt pour
chaque action mauvaise, nous n'aurions aucun mérite
de les éviter. Supposez un ordre de choses différent ,
ou l'homme ne sera plus libre du tout , pas plus que
la pierre qui tombe, ou bien il sera libre comme
Dieu , c'est à dire qu'il ne sera libre que dans le bien ,
qualité exclusivement réservéeà l'Etre suprême. Pour
que l'homme fût libre entre le bien et le mal dans
toute la rigueur de l'expression, il fallut que son es
prit pût se retourner d'une manière si admirable',
que sa liberté demeurât encore entière , même alors
qu'on lui oppose telle barrière qui dans le premier
momentsemble insurmontable. Unathée, parexem-
ple , parvient après de longues méditations à recon
naître enfin l'existence de Dieu et l'action de sa pro
vidence sur les destinées de cet univers: dans le
premier moment cet athée peut se croire capable de
pratiquer toutes les vertus sous les yeux d'un pareil
témoin de ses actions; cependant une aussi heureuse
disposition n'est point nécessairement durable. Peu
à peu , ce même homme fera tant de raisonnemens
sur ses rapports avec Dieu , et sur la manière dont
l'Etre i nfinidoit envisager le mal dans ses faibles
créatures , qu'insensiblement il mettra moins de sé
vérité dans ses jugemens , et par conséquent dans
sa conduite; et à la fin il sera à peine plus moral qu'au
paravant : au contraire , il pourra devenir plus cou
pable qu'il n'était , s'il ne fait pas les efforts conve
nables pour vivre d'une manière digne de ses nou
velles convictions.
Mais, d ira-t-on,si les principes que vous déve
loppez sont vrais , comment les accordez-vous avec
le christianisme? comment expliquez vous par exem
ple , les miracles qui doivent avoir été opérés lors de
l'apparition de la Divinité sur la terre? Ces miracles
n'ont-ils pointporté atteinte à la liberté des hommes?
Comment résister à la vue d'un miracle ?
Nous répondons que les miracles de l'Evangile
eux-memes , qui au premier coup d'œil sembleraient
avoir dû forcer l'assentiment des hommes, les ont
encore laissés libres. Que dis-je? ces miracles, les
hommes les ont pu tourner contre le christianisme ,
en les déclarant impossibles , et par suite supposés.
Cette objection n'aurait tout au plus quelque force
qu'à l'égard des temoins oculaires, nccessairement
ébranlés danslepremiermomentparce qu'ilsvoyaient,
si l'on ne savait pas d'ailleurs qu'ils avaient été pré
parés à ces événemens longtems d'avance, et qu'ils
avaient nécessairement acquis un dégré de foi et de ré
solutionmoraleauquel lavue d'un miraclenepouvaità
peu prèsplus rien ajouter. Personne ne sait mieux que
l'intelligence suprême quel coup la vue d'un miracle
30
porte à l aliberté humaine : voilà précisément pour
quoi elle en a été si avare. Les miracles de l'Evan
gile ont été ménagés d'une manière si admirable par
la providence , qu'ils suffisent à l'homme de bonne
volonté, tandis qu'ils n'ont aucune importance pour
ceux qui ne sont pas encore mûrs pour le royaume
de Dieu. Les miracles, en un mot, ont été opérés
pour les masses, pour l'universalité des Etres sensi
bles, et non pour les individus. Pour les individus
Dieu n'en fait point , il ne peut point en faire , il est
forcé, comme nous l'avons dit, de laisser mourir
un malheureux dans la rage et le désespoir , plutôt
que de toucher par un miracle à son organisation
physique. Et ceci peut être étendu jusqu'au moral ,
en tant que le physique l'influence.
Encore ici donc il faut distinguer entre l'homme
individuel et l'homme collectif ou le genre humain
en masse , car il se meuvent dans des cercles tout à
fait différents. L'un ne peut devenir qu'un peu
meilleur ou pire que ses contemporains ; l'autre peut
passer de l'état angélique à l'anthropophagie , et de
l'anthropophagie à la philanthropie chrétienne.
L'homme primitif, par la même raison, a pu être cob-
pable , par exemple, de vouloir scruter des questions
philosophiques que les hommes sont louables d'étu
dier au 19me siècle.
Il e stbien vrai qu'un philosophe, qui, n'étant
encore que déiste , ne connaissant Dieu que comme
Etre absolu ou infini sous tous les rapports, et
n'ayant point encore fait la distinction entre l'homme
51
A
individuel et la masse des Etres intelligents , soutien1
drait que pour être moralement libre il doit être,
lui, placé partout entre les infinis , ce philosophe
aurait atteint le degré suprême de l'orgueil de l'esprit ;
car il aurait accaparé pour lui seul toutes les connais
sances de philosophie morale qui ne devaient être
distribuées qu'a la masse de ses semblables *).
Etant venu néanmoins au 19me siècle, il pour
rait n'être pas plus coupable que chacun des philo
sophes ses devanciers, pris individuellement, qui
tous auraient contribué à le pousser au point où il
serait parvenu.
Mais q u'on se figure le premier des humains
voulant entrer avec le Créateur dans toutes les dis
cussions métaphysiques que nous traitons dans ces
*) Nous avons déjà eu occasion de dire que le mot
absolu est une expression inventée , ou du moins
consacrée par l'école d'allemagne (car nous l'avons
déjà vu employée par Rousseau). Nul doute que les
philosophes de ce pays ne sachent attacher à ce mot
une idée adéquate: pour nous, néanmoins, nous
avouons en toute humilité , que nous ne pouvons pas
même comprendre l'infini sous unseul rapport. Il nous
semhle qu'il serait tout aussi facile d'emhrasser le
soleil avec ses rayons , ou de disséquer sa lumière.
Et encore ici nous nous persuadons que l'on raison
nerait à la fois avec plus de clarté , plus de facilité,
et surtout avec plus d'utilité, si on voulait voir la
Divinité dans le Dieu-homme, voilée simplement sous
la lumière du Thahor, plutôt que de la chercher
dans rabsolu. Il est vrai que cette lumière du Tha
hor, est elle-même déjà trop brillante pour certains
yeux.
chapitres; quelle audace! Dieu, qui s'était néces
sairement présenté à lui avec simplicité, et qui dans
l'intérêt de son bonheur n'avait pu lui recommander
que la modération en toutes choses, comme un père
le dirait encore aujourd'hui à son enfant, ou un ami
à son ami, Dieu, disons-nous, ne pouvait que se
retirer d'un pareil raisonneur, et le priver de ses
rapports directs , pour se contenter d'influencer ses
pensées , entant que Dieu invisible , jusqu'à ce qu'il
pût se représenter à lui dans des conjonctures plus
favorables. Aussi est-ce là précisément ce qui est
arrivé selon la croyance chrétienne. Seulement,
au lieu d'un seul individu auquel nous avons supposé
cette pétulance d'esprit , plusieurs ce sont réunis pour
en partager la culpabilité. Et quand la mesure a
été comblée ,' ou dans la plénitude des tems, l'Etre in
fini s'est présenté aux hommes comme Bédempteur,
leur recommandant avant tout la douceur et l'humi
lité. Ce sont les vices des hommes, et principale
ment leur orgueil , qui ont forcé la Divinité à se déro
ber à leur présence : et ce n'est qu'à l'époque mysté
rieuse appelée par l'Écriture le milieu des Jours
ou des années , c'est à dire , au moment où Funiver-
salité des humains éprouvait le besoin de la solution
des difficultés que nous avons mis dans la bouche de
l'un d'eux, que le Créateur s'est reproduit; et cela
avec l'appareil nécessaire pour maîtriser leur esprit
aussi bien que leur cœur; car l'un avait autant
besoin de réhabilitation que l'autre.
33
Il n'y aque ces considérations qui puissentjeter
toute la lumière nécessaire sur la conduite de Dieu
envers le genre humain, sur la marche, sur lé
mode adopté pour sa réhabilitation, et jusque sur
les expressions dont Dieu s'est servi en se manifes
tant à eux. Dieu à toujours parlé, à la fois, à
l'homme collectif, c'est à dire à l'homme en général ,
à l'universalité des Etres, et à l'individu; et ce qui
ne se conçoit pas pour l'un, se conçoit très bien,
appliqué à l'autre.
CHAPITRE VI.
Pourquoi: ou Nature de Tesprit philosophique.
D'après ce que nous venons de voir, l'esprit
humain est tellement fécond qu'il peut continuelle
ment passer de la cause à l'effet et de l'effet à la cause ;
car on sait qu'ils se transforment incessamment l'un
dans l'autre, à mesure que l'on remonfe ou que l'on
redescend dans l'examen d'une chaîne de vérités.
L'homme , en discutant des vérités de morale ou de
méthaphysique , peut poursuivre ainsi les chaînons
à l'infini. Après chaque assertion il peut articuler
un pourquoi. Si, dans les sciences exactes, on
trouve toujours àla longue un axiome d'une évidence
si frappante que tout pourquoi ultérieur devient ab
surde, il n'en est pas de même des questions dont
il s'agit; surtout quand on les considère dans le
grand ensemble, ou le système complet qu'elles doi
2 *
vent f ormer. Ici l'esprit orgueilleux peut continuer
de scruter sans jamais s'arrêter, ne reconnaissant
jamais pour évident ce qui parait tel aux autres.
Que dis-je? l'esprit peut trouver des raisons pour
infirmer ce qui lui avait paru évident à lui-même.
Le miracle que l'on a vu de ses propres yeux , n'en
sera plus un; si l'on veut, au bout de six semaines :
on a mal vu; on a été trompé; on ignore toutes
les ressources cachées de la nature.
Une a pplicationde ces principes généraux à
un cas particulier les rendra encore plus clairs, et
fera mieux comprendre ce qui a été dit jusqu'ici.
On sait que Jean-Jacques se plaignait souvent que
Dieu ne. vînt point lui parler , comme il avait parlé
à Moyse , aux prophètes et aux apôtres. Si Jean-
Jacques avait réfléchi plus profondément sur la na
ture de l'esprit humain , il en eût trouvé lui-même
facilement la cause. Moyse , d'abord , vivait à une
époque où Dieu avait des raisons d'agir sur l'uni
versalité du "genre humain, qu'il n'avait plus du
tems de Jean-Jacques; la suite des démarches divi
nes développant le grand système de la Rédemption,
depuis Abraham jusqu'à la mort de Dieu-homme ,
le prouve sans replique. Et il faut dire la même
chose de tous les prophètes jusqu'aux apôtres ; car
ils entraient tous dans ce plan. •
Rien d e plus frappant ensuite que la différence
de caractère entre Jean-Jacques et ces différents ser
viteurs de Dieu. Moyse, entre autres, se rendit
facilement , comme on sait , à tout ce que la voix
35
partie du buisson enflamme demanda de lui ; mais
voyez quelles explications interminables Jean-Jac
ques eût entammées avec cette voix ! quelle suite de
pourquoi il eût entassés avant de se rendre , si tant
est qu'il se fût jamais rendu! Qui est-ce qui me
parle? eût-il demandé. Voilà qui est singulier,
une voix en l'air , sans un corps d'homme d'où elle
parte ! un buisson qui brûle et ne se consume pas !
c'est un vrai miracle*, c'est à devenir fou ! Pourquoi
ne vous montrez-vous pas, vous qui me parlez?
Qui êtes-vous ? — Je suis celui qui est ! — Oh !
voilà un grand mot ! il paraît meme profond ce
mot ; je m'éditerai là-dessus : mais en attendant
pourquoi ne me dites-vous pas clairement que vous
êtes Dieu , puis que c'est bien cela que vous voulez
me dire? Pourquoi n'ajoutez-vous pas que vous
êtes le Dieu absolu ; afin que je ne puisse pas vous
confondre avec tous les autres Dieux des nations,
et vous croire seulement un Dieu un peu plus fort
et plus puissant qu'eux? — Comment d'ailleurs
me prouverez-vous ce que vous avancez? comment
pourrai-je savoir que je ne suis point la dupe de
quelque esprit de mensonge qui pourrait m'en dire
tout autant?
Ou b ien, en supposant , qu'entrant dans ses
idées , Dieu se fût montré à Jean-Jacques , voyez
quelles autres réflexions il eût ajoutées. Bien! se
fût-il écrié: voilà maintenant quelque chose de plus
humain qu'un buisson ; vous avez pris les traits de
l'homme ; mais ces traits conviennent-ils bien à la
36
Divinité ? L'Etre infini peut-il se présenter comme
un Etre fini? Peut-il prendre une forme? Ou si
j'accorde, ce qu'il n'est guère possible de nier, que
la forme humaine est géométriquement parlant la
forme la plus parfaite , et par suite la forme indis
pensable par laquelle un Etre sensible et intelligent
puisse entrer en rapport avec un autre ; quelle rai"
son suffisante aviez-vous de prendre telle nuance de
figure plutôt que telle autre? — Bref, il est évi
dent que les comment et les pourquoi de Jean-
Jacques n'eussent jamais eu de fin. Et quelques
singulières que paraissent toutes ces questions ainsi
réunies , il est certain que Jean-Jacques les eût fai
tes; non pas, il est vrai, en un moment; mais à la
longue: ou du moins d'autres philosophes sub
séquents les eussent faites pour lui.
Le d éiste,en effet , qui ne croit pas que la voix
de la conscience, combattant tous les jours ses mau
vais penchants et le tourmentant malgré qu'il en ait,
est la voix même de Dieu, ne le croira jamais d'au
cune voix extérieure , quelque merveilleux que lui
paraissent dans le premier moment des sons articulés
se faisant entendre en l'air. Il n'y a que le héros
de lÉvangile qui ait le droit d'être cru sur parole
quand il se déclare le créateur en personne. A tout
autre Etre , fût-il l'ange le plus resplendissant de
lumière, le philosophe serait en droit de demander
des preuves qu'il lui serait impossible de fournir.
Ce n'est qu'en se personnifiant, ce n'est qu'en se
montrant comme un de ses semblables , et le meil
37
leur de tous, que l'Etre infini a pu maîtriser l'esprit
de l'homme , comme il a maîtrisé ses passions.
Si du reste, peu de personnes ont eu comme
Jean-Jacques la franchise d'avouer publiquement le
désir orgueilleux que la Divinité vienne leur parler,
le nombre de ceux qui ont pensé la même chose dans
leur cœur sans le dire , est plus grand. Et à ceux
là nous promettons que leurs vœux seront exaucés
sous les conditions suivantes. Qu'ils écoutent d'a
bord en tout la voix de leur conscience ; qu'ils dé
fèrent d'abord aux bons avis d'un père , d'une mère,
d'un maître éclairé , d'un véritable ami , autant de
moyens indirects par lesquels le Seigneur s'adresse à
eux (parceque le Seigneur souhaite autant que nous
ayons des rapports d'amour et de reconnaissance
entre nous qu'avec lui) ; alors il pourra aussi s'établir
un rapport ou un entretien direct. En d'autres
termes , pour s'entendre adresser la parole du Très-
haut, il faut etre devenu assez humble pour n'être
point scandalisé de son étonnante simplicité' : il faut
s'être mis, en un mot, en état de la comprendre.
Quand ces conditions sont remplies*, alors la possi
bilité du rapport existe , et on peut le solliciter avec
la confiance d'être exaucé ; quoique l'homme mo
deste se persuadera toujours difficilement qu'il a
réussi à remplir ces conditions. Si Jean-Jacques
avait pu se persuader que Dieu est humble il était
plus fait que qui ce soit pour reconnaître la Divinité
absolue de Jésus-Christ ; car , lui que l'on a décrié
58
commè le plus odieux des incrédules modernes,
était encore plus près du vrai christianisme que tous
les philosophes ses prétendus disciples , et que la
plupart peut-être de ses détracteurs. Mais la plus
grande maladie du genre humain était cet orgueil
qui dans ces derniers teins était parvenu à son apo
gée : les savans et les philosophes marchaient en
tête ; ils prêtaient leur propre morgue à la Divinité,
et l'univers les suivant en masse , il était impossible
qu'on se fit de Dieu aucune idée exacte.
CHAPITRE VH.
Si: ou les Conditionnels.
La n ature même de la liberté de l'homme sup
pose qu'il y a pour lui des futurs conditionnels.
Tous les évènemens futurs qui ne dépendent pas
de causes libres, il peut les prévoir avec certitude:
une éclypse peut être calculée des milliers d'années
d'avance. Les conjectures de l'homme ont encore
prise sur les déterminations morales des Êtres dont
le degré de liberté n'est point parfait ; et les proba
bilités qu'il en peut tirer sur certains évènemens
futurs de ce genre, peuvent approcher de si près
de la certitude qu'elles lui en tiennent lieu. Ainsi
il peut parier mille contre un , que , dans tel tems,
telle occasion, tel ivrogne fera un excès; que tel
homme colère s'emportera ; que tel avare fera une
59
petitesse ; que tel débauché se laissera entraîner à
une bassesse ; ou bien que tel personne aux senti-
mcns généreux fera telle action louable. Le com
merce de la vie , les transactions civiles et politiques,
ne reposent en général que sur cette base. Mais la
science et. les conjectures de l'homme seront en dé
faut chaque fois qu'il devra intervenir un agent assez
libre pour dérouter ses prévisions. C'est alors que
se forment les évènemens conditionnels, et que
l'esprit scrutateur arrive à ces points où il est forcé
de dire : si telle cause est posée , il en résultera tel
effet; maisjusqu'à présentj'ignore si la cause sera
réellement posée ou non. Ces points nous les
appelerons des nœuds. Pour l'homme il y a beau
coup de ces nœuds ; car sa vue est trés bornée quand
il la porte sur les causes secondes non encore déve
loppées; mais pour les esprits supérieurs, ils doi
vent être en moins grand nombre, puisque pour
eux les conditionnels se reculent d'autant qu'ils ont
acquis plus d'expérience ou de perspicacité.
Tout c elaest clair et évident, et n'exige ni
développemens ni preuves ; mais on demande s'il y
a aussi des futurs conditionnels pour Dieu: en
d'autres termes , on demande si Dieu a pu, s'il lui
a été possible, de donner, ou non, aux hommes
une liberté telle , que lui-même ne pût plus prévoir
jusqu'à quel point ils s'égareraient dans les routes
du vice et de [erreur. Voilà la question que nous
avons osé soulever , que peu de philosophes ont eu
le courage de résoudre, comme nous, affirmative
40
ment , e tqui cependant nous parait d'une évïdenee
géométrique comme toutes les autres questions aux
quelles nous avons reconnu ce caractère.
Pour q u'ily ait en effet à l'égard de Dieu des
futurs conditionnels , il suffit que la liberté morale
du genre humain soit parfaite dans son genre ; or
qui peut nier qu'elle le soit? Ce caractère de la
perfection est inhérent à sa nature. Chaque homme
doit de toute nécessité arriver dans sa vie , plusieurs
fois peut-être, mais une fois très certainement, à
un point où sa liberté morale se mette en un équi
libre parfait : Et alors il devient rigoureusement
impossible, pour Dieu comme pour les esprits sub
ordonnés, de savoir d'avance s'il se décidera pour
le bien ou pour le mal. Dieu sera forcé de dire
alors comme l'esprit créé: si telle résolution est
prise par cet agent libre, elle sera suivie de tel
effet. Mais prendra-t-il cette résolution? je ne puis
le savoir, puisqu'il m'a plu de lui donner une li
berté absolue. Donc il y a , même pour Dieu , des
futurs conditionnels.
Et que l'on ne pense pas que par là on re
tranche quelque chose aux perfections et aux préro
gatives de l'Etre des Etres ; car , d'un autre côté,
même dans ce système , la science de Dieu ne de
viendra en rien incertaine ; elle ne deviendra jamais
conjecturale comme celle des hommes, qui, se
décidant souvent mal à propos , s'exposent à l'er
reur : elle sera conditionnelle purement et simple
ment, quoique toujours infiniment certaine. Et
puis, s idans l'hypothèse d'une liberté parfaite, la
prévision certaine devient métaphysiquement im
possible , impossible comme le sont les impossibilités
géométriques et mathématiques , il devient par là
même absurde de réclamer une prérogative pour
quelque esprit que ce soit , pour Dieu comme pour
tous les autres. Dieu lui-même , dans ce cas , n'a
voulu , et ne veut prévoir les résolutions de l'homme
que conditionnellement. Et personne sans doute n'a
le droit de lui dire : Pourquoi cela ? Il est assuré
ment bien le maître de faire une telle disposition.
Je voudrais le voir ce philosophe , ce métaphysicien
ou ce théologien assez hardi, pour oser soutenir
qu'il ne la pas pu , et que cela n'a pas dépendu
de lui. Cette impossibilité pour Dieu de percer au
delà de ces sortes de futurs conditionnels , nous le
répétons , ne vient que de cette bonté , de cet amour
immense , avec lequel il a accordé à ses créatures
sensibles une liberté si entière, si parfaite, si abso
lue, que lui-même ne pût plus prévoir toutes les
résolutions qu'il leur plairait de prendre. Dans cette
grande question , le philosophe se trouve nécessaire
ment entre deux difficultés opposées ; il faut , de
toute nécessité , qu'il retranche ou à l'amour , ou à
la science de la Divinité , et il n'y a pas à balancer;
entre deux inconvénients on choisit le moindre.
C'est Dieu qui a mis son amour au-dessus de toutes
ses autres perfections; ce n'est point nous ; ce n'est
point à nous à nous en plaindre; ce n'est pas à nous à
porter pour cela une main téméraire sur sa liberté,
44
Nous a jouteronsseulement encore ici, qu'en
faisant l'application de cette question des futurs
conditionnels à Dieu-homme, ou Dieu-Rédempteur,
l'esprit , de nouveau , demeure plus vite et plus faci
lement satisfait, qu'en l'appliquant àDieu infini et ab
solu. En entendant, en effet, le héros de la croix
déclarer qu'il a prévu la conduite morale du genre
humain aussi longtems d'avance qu'il [a voulu,
on ne sera guère tenté de lui faire des questions
ultérieures.
Mais i lest surtout intéressant, pour chacun,
de faire l'application de la question des futurs lihres
à sa propre destinée, ou à celle de quelques uns
de ses contemporains. Aucune considération n'est
plus propre que celle-ci à nous rendre indulgens
envers tout le monde; et nous enverrons ce peu de
mots en avant, comme pierre d'attente pour notre
chapitre sur la Tolérance. On peut dire, par
exemple, si tel philanthrope connu, de l'Europe,
fût né en Amérique , il eût été un anthropophage.
Si tel misérable qui expie sur l'cchafaud un
effrayant attentat, eût vécu vingt ans de plus,
il eût réparé tous ces torts et eût reconquis l'estime
de ses concitoyens. Si tel mendiant était né avec
tant soit peu de fortune, il eût été le bienfaiteur
du genre humain. Si tel homme solide et vertueux
que l'on présente comme un modèle au public,
fût né simplement avec un certain degré de faiblesse
du cœur, il serait mort en Grève. Si moi-même
je venais, encore aujourd'hui, à me trouver dans
telles c irconstancesmalheureuses, dans tel embarras
de famille, dans telle détresse de fortune, si j etais
entrainé par une simple imprudence, par l'amour,
ou par l'amitié, dans telle intrigue, je deviendrais
un faussaire , un homme dont l'histoire ne pronon
cerait un jour le nom qu'avec horreur. Il y a certes
de quoi devenir humble et modeste, quand on
pense que la bonté est souvent voisine de la faiblesse ,
et quelafaiblesse esttouslesjours àlaveille de commet
treun crime. Ily a de quoi devenir humble et modeste,
quand on pense que quelques écus de plus ou de
moins dans la poche , que dis-je? des circonstances
plus insignifiantes encore , un regard , une prome
nade, un mot, peuvent changer entièrement notre
destinée sur la terre! Mais il-y-a de quoi trembler,
pour ceux dont le système de morale et de religion
n'est point encore développé ni entièrement arrêté ;
car ceux là vivent tout-à-fait au jour le jour , et ne
peuvent jamais assurer ce qu'ils feront ni ce qu'ils
seront le lendemain. O ciel ! quand je me rappelle
lestourmens, les peines d'esprit , qu'il faut souvent
endurer pour parvenir à la vraie foi , je ne puis envi
sager qu'avec une profonde commisération , ces per
sonnes du monde , ces prétendus philosophes qui se
font un trophée de leur incrédulité en fait de christi
anisme; qui se donnent si ingénument à eux-memes
le brevet d'hommes d'esprit, et plaisantent avec tant
d'agrément sur toutes les questions sérieuses de ce
genre ! Que de souffrances , me dis-je , il vous fau
dra encore endurer ! que de chagrins , que d'humi
46
liations à dévorer! quels déchiremens de l'âme à
subir, avant que vous soyez mûrs pour l'éternité!
Il y a d esindividus si étrangement nés, si
singulièrement constitués , offrant un mélange si
bizarre de faiblesse , de grandeur d'âme , d'apathie,
d'éxaltation, un mélange, en un mot, de tant de
bonnes et de mauvaises qualités, de tant de vices
et de vertus, qu'il leur faut absolument passer par
les épreuves les plus terribles avant de parvenir à
la première condition de tout perfectionnement moral,
à la connaissance d'eux-memes. Bien des malfaiteurs
se sont crus les meilleurs des mortels, jusqu'à ce
que leurs crimes les ont conduits à l'échafaud ; ce
n'est qu'alors qu'ils se sont dit avec surprise: Tu
n'es qu'un monstre! D'autres ont été obliges de
monter sur des trônes pour reconnaître tout leur
orgueil , toute leur ambition, aussi bien que le néant
des choses humaines.
CHAPITRE VIII.
Les Degrés.
Tout d ansla nature a certains degrés , et tout
développement se fait par progrés insensibles. C'est
une loi générale pour toute la création. Voyez les
plantes, les métaux et les minéraux: il faut toujours
un certain laps de tems pour amener leur formation;
et cette formation a lieu d'une manière tout-à-fait
47
inaperçue. Quoique certaines plantes se dévelop
pent avec une telle rapidité, dans certains momens
favorables de l'année, qu'elles puissent croître quatre
à cinq pouces par jour, et s'avancer presque à
l'unisson avec l'aiguille d'une montre , on n'est point
parvenu néanmoins à suivre leur développement im
médiat, même à l'aide des meilleurs myeroscopes.
Nous n'exceptons pas memes ici les plantes appelées
Oscillatoires , dont les mouvemens indiquent plutôt,
qu'ils ne font voir la croissance. Tout ce que l'on
a pu apercevoir clairement, c'est la circulation de
la sève dans certaines plantes aquatiques. Or il en
est de même du règne moral, si on me permet
cette expression: Les progrès de l'homme dans le
bien et le mal sont également insensibles. Jamais
un scélcrat ne se forme du soir au lendemain, il
faut probablement plusieurs générations pour pro
duire des monstres tels que ceux qui. effraient quel
quefois la terre, comme il faut que la matière
électrique s'accumule pendant plusieurs jours pour
amener un orage. Et les vertus doivent croitre
encore plus lentement que les vices , la pente du vice
parmi nous, étant en général devenue rapide, et
le sentier ce la vertu difficile et escarpé.
Il e stvrai , comme nous l'avons déjà remarqué ,
qu'il y a dans la vie de ces époques précieuses , où
l'homme arrive tout à coup à la découverte de quel
que grand principe qui peut servir de levier moral ,
et qui devient , en effet , entre ses mains un levier
assez puissant pour régler la plupart de ses démar-
-
48
ches, e tmême de ses pensées et de ses sentimens.
On serait tenté de croire alors que cet homme dût
devenir aussi en un instant un homme tout nouveau;
et lui-même croit quelquefois que cela ne peut man
quer d'être le cas; néanmoins encore ici il faut recon
naître un progrès moins saillant qu'on pouvait l'es
pérer. Peu à peu l'esprit de cet homme, rayon
nant, comme le soleil, dans tous les sens, vers le
ciel comme vers la terre , ses passions le' tirant en
même tems de tous côtés, il finit par trouver un
contrepoids à toute espèce de force qui l'entraine.
Ce penseur même qui dans toute la force de l'âge,
et à force de philosophie , parvient comme il arrive
quelquefois de nos jours, à reconnaître le Créateur
du ciel et de la terre dans l'Être humble et mystérieux
qui s'est montré sur notre globe , et qui croit do
rénavant être capable de tous les sacrifices sous un
tel chef, ce penseur là même se trouve souvent,
à son grand étonnement, aussi faible et aussi im
parfait qu'auparavant: l'état d'énergie qu'il à éprouve
n'a duré qu'un tems, le vague est revenu peu a
peu par les efforts qu'a faits son esprit pour flatter
encore ses passions, et l'équilibre s'est presque ré
tabli. Dans ces occasions , souvent, quand l'homme
ne trouve plus d'autres raisons , il va jusqu'à mettre
à contribution la bonté même et l'amour infini
du Créateur, pour se donner sur certains points
une plus grande latitude. Une telle disposition
dans l'économie du salut a, je l'avoue , de quoi sur
prendre dans le premier moment ; mais avec un peu
49
de r eflexionon trouve qu'elle aUssi est dans la nature
des choses , et qu'il ne devait ni ne pouvait en être
autrement. Ce n'est qu'avec le tems , que l'homme
arrive à cette espèce de sabbat , ou d'état de repos ,
où l'orage de ses passions et de ses pensées s'ap-
paise ; quoique , encore après cette époque , le balan
cement des vagues doive se faire sentir, puisque
la vie consiste nécessairement dans le mouvement,
dans l'action, et que lorsqu'il n'y a plus progrès
réel, il faut qu'il y ait du moins encore variété
pour que l'esprit y conçoive autre chose que la mort.
On s efourvoie bien souvent dans les raisonne-
mens philosophiques sur l'état, ou le progrès
moral du genre humain, quand on ne fait point
assez d'attention à ces grandes vérités. L'un deman
dera, pourquoi, si le christianisme est une insti
tution divine, et son auteur le Créateur en per
sonne, la moralité de l'univers n'a pas encore fait
des progrès plus rapides et plus apparents. Un
autre fera la même question comme individu:
Pourquoi, s'écriera-t-il , ne suis-je pas capable de
marcher sans broncher dans les voies de la per
fection sous ce guide divin? Et il se découragera.
Tout cela tient à la nature même de la liberté.
Dieu n'y saurait rien changer. L'homme moral
se développe par progrès insensibles comme l'homme
physique. La vie corporelle est le type de la vie
spirituelle. Et quand le christianisme ne ferait
qu'un pas tous les siècles, quand il n'avancerait
5
80
que d 'un degré tous les mille ans , il ne faudrait pas
s'en étonner.
En s eplaçant à cette hauteur , on est surpris de
voir les philosophes raisonner comme ils ont fait
souvent sur le meilleur des mondes. Demander si
le monde tel que nous le voyons, est le meilleur des
mondes possibles, c'est demander si un fruit qui
n'est point parvenu à sa maturité est le meilleur
des fruits. Ce n'est évidemment qu'en y joignant la
loi du développement graduel, que l'assertion de
Pope , Tout est bien , devient une vérité. A savoir
ensuite si par le fait notre monde deviendra jamais
le meilleur, c'est une question analogue: Il en est
de lui sans doute comme des individus; il pourra
se perfectionner éternellement. Et s'il est vrai que
le genre-humain, lui aussi, arrive à son sabbat,
ou à son jour de repos, il faut encore qu'il y ait
pour lui variété dans le bien et le bonheur, s'il
n'y a plus progrès proprement dit. Dans le ciel
même il faut que les évenemens arrivent encore
successivement, qu'il y ait pour ainsi dire histoire,
et que celle de la Rédemption , par exemple , se
développe sans fin, pour que l'on conçoive la vie,
le mouvement et le bonheur des sociétés éternelles.
A
L'Etre i nfini,ou absolu, seul, est placé en déhors
ou au-dessus du progrès cl du changement ; l'homme
et l'univers sont seulement appelés à se rapprocher
peu à peu de cet état de perfection, et à s'en rap
procher éternellement sans l'atteindre.
51
Ces d egrésdont nous parlons , et qui peuvent
servir à rectifier un grand nombre de nos idées
dans les questions de morale ou de métaphysique ,
comme dans toutes les autres, se retrouvent partout.
On peut ainsi distinguer des degrés dans Yâme
humaine, ou dans le moi, parcequ'il y en a dans
la vie, et que chaque âme ou moi, n'est qu'un
degré de vie. Le moi d'un enfant qui vient de
naître est certainement moins développé que celui
d'un homme de trente ans. Le moi d'un homme
instruit est plus développé que celui d'un idiot.
Il y a une différence immense entre le moi divin ,
le 77ioi universel-, qui est Dieu , et le moifini d'un
homme créé à son image. Il n'est pas jusqu'aux
animaux qui n'aient un degré du moi ; car, se
sentir exister, en est le premier développement,
Qu'est-ce, en effet, qui constitue le moi individuel
d'un homme ? Ce n'est certes ni son nom , ni son
corps, ni un acte isolé de sa vie qui fait qu'un
homme est un tel; mais l'ensemble de toutes les
pensées qu'il a eues et des sentimens qu'il a éprou
vés, l'ensemble de toutes ses démarches, depuis
sa naissance, et qui l'ont engrené de mille manières
dans la société , qui constituent ïindividualité de
son moi.
Considéré , nous ne saurions le nier , dans son
essence métaphysique (pour ceux du moins qui
savent ainsi considérer un moi), le moi n'a plus
de degrés, et tous les 77101 se ressemblent; mais
alors aussi ces spéculations deviennent absurdes.
9»
C'est comme si quelqu'un avançait que tous les
points mathématiques se ressemblent. Deux moi,
comme deux hommes , parfaitement sembables , se
raient deux Etres bien insipides l'un pour l'autre:
ils n'auraient point un mot à se dire. Cette con
sidération fait toucher au doigt la nécessité absolue
de cette variété dont nous parlions tout-à-l'heure ,
nécessaire encore dans le ciel, pour le bonheur de
ses habitans, comme elle l'était sur la terre. Et
cette variété éternelle proviendra nécessairement de
celle que l'on remarque déjà ici-bas dans les dif
férents caractères des individus. Les nuances ne
sauraient disparaître. Il est probable , par exemple,
qu'un individu humain qui aura été orgueilleux,
formera un esprit supérieur d'un caractère analogue ,
et qu'il continuera à exprimer ses idées et ses sen-
timens d'une façon particulière, peut-être plus
énergiquement que les autres ; tout comme un esprit
humble s'exprimera avec modestie, un esprit doux
avec amour et affection. Le criminel lui-même mê
lera dans ses discours , surtout quand il sera question
de la miséricorde infinie du Seigneur, quelque chose
de plus touchant, de plus pénétrant que celui qui
ne sera pas tombé dans les mêmes égaremens.
La l ibertéa aussi ses degrés: elle n'est pas la
même chez l'homme moral et chez l'homme immo
ral; car l'un en a fortifié le ressort, l'autre l'a af
faibli. Elle n'a pas le même degré chez les enfans
du même âge, quoique ayant reçu une éducation
parfaitement semblable ; car, ainsi que nous l'avons
— ss
dit , chaque individu ne naît pas plus avec des dis
positions morales semblables à celles des autres,
qu'il ne naît avec le même degré de beauté corpo
relle , ou avec les mêmes talents et les mêmes apti
tudes pour les diverses branches des sciences et
des arts.
Pour l edire en passant, cette latitude, de pou
voir distribuer la culpabilité, comme le mérite des
individus, sur un certain nombre de leurs ancêtres
et de leurs contemporains, cette latitude, disons-nous,
soulage le cœur du moraliste, quand il considère
ces crimes horribles que la perversité d'un seul
semblerait ne pas pouvoir expliquer. Les anciens,
comme on sait, allaient plus loin encore, et attri
buaient a l'influence des esprits dégradés, une partie
de la malignité des crimes commis ,- tout comme ils
expliquaient par despossessions les manies , les folies,
et certaines maladies singulières. Et certes, leurs
persuasions à cet égard étaient pour le moins aussi
philosophiques que celles de nos matérialistes mo
dernes, qui prétendent pouvoir rendre raison de
tout par quelques fibres du cerveau. Nous revien
drons sur ce sujet.
Il y a e nfindes degrés dans [amour, et par-
conséquent dans le bonheur, deux sentimens étroi
tement liés. Nous ne parlerons pas de l'amour
infini considéré dans le Créateur, l'esprit humain
ne saurait le concevoir. Pour nous, le sentiment
de l'amour est nécessairement fini ; cela tient à notre
nature d'êtres créés. Ce qu'éprouvent ici-bas les
54
cœurs s ensiblesprès de l'objet aimé, est probable
ment assez voisin des limites du possible dans cette
partie. Il est seulement à croire qu'avec le tems
il faudra que nous parvenions à ce degré de per
fection, que nous n'éprouvions plus ce sentiment
ineffable qu'en présence du beau moral, tandis qu'au
jourd'hui malheureusement l'extérieur physique est
surtout ce qui nous charme : et on voit par là combien
peu, avec notre prétendue bonté de coeur, nous som
mes ce que nous devrions être , et combien la vraie
réhabilitation est difficile.
Pour c equi est de l'amoUr de Dieu ordinaire ,
ce n'est que dans la personne de Jésus-Christ que
nous pouvons véritablement,le concevoir ; car il n'y
a dans la nature qu'un Etre personnel, ou plutôt,
une personne, que l'on puisse réellement aimer.
Tout ce qui est impersonnel glisse sur la super
ficie de notre cœur sans l'échauffer. Il n'en fautA 
pas même excepter l'Etre des Etres, qui considéré
dans son essence métaphysique, est impersonnel
pour nous. L'idée même de dire qu'on peut aimer
autant l'amitié qu'un ami, un pire en général
autant que son père , ou l'idéal d'une parfaite épouse
autant que son épouse , est absurde. Il en faut donc
dire autant de laDivinité, ou de l'Etre absolu, qui n'est
rien pour nous s'il n'a contracté avec nous des rapports
personnels d'amour et de reconnaissance. Comme
Créateur , Dieu ne nous a aimés qu'au point de dire
en notre faveur : que la terre soit; tandis que comme
Rédempteur, il nous a aimés jusqu'à la mort, et
55
jusqu'à la mort de la croix ! — Que la philoso
phie, que le déisme, nous montrent une autre
manière de parvenir à connaître, à apprécier, à
éprouver l'amour de Dieu, que l'incarnation, et nous
cesserons d'être chrétiens. — L'amour dont a fait
preuve le héros de la croix est réellement le seul
amour divin, aussi bien que le plus grand conce
vable. Jésus-Christ l'a déclaré lui-même : Personne
n'a un plus grand amour que celui qui donne sa
viepour ses amis. Comme Rédempteur , Dieu nous
a aimés jusqu'à désirer avec ardeur ce baptême de
sang que lui avait préparé la perversité du genre
humain, mais qui devait rendre le genre humain
attentif à sa dégradation ! Dieu Rédempteur nous
a aimés jusqu'à comparer le jour de sa mort à
celui de ses noces! Que dis-je? Dieu Rédempteur,
nous a aimés au point que cette mort épouvantable
fut pour lui la jouissance d'une mère qui a le
bonheur d'arracher son fils aux flammes, en s'y
précipitant elle-même. Et on pourrait demander
où est le mérite de son sacrifice , si l'amour avait
besoin d'autres titres que lui-même pour exiger le
retour le plus tendre de tout ce qui a un cœur.
Encore une fois, que la philosophie, que le déisme,
cherchent les mêmes motifs d'amour, les mêmes
titres à l'amour , hors du Dieu incarné; nous osons
dire qu'il y a impossibilité absolue d'y réussir, et
absurdité à le tenter. Et qu'on le remarque bien ,
nous ne parlons même pas ici de ses exemples
divins, des exemples encourageants et indispensables
S6
de v ertuqu'il nous a donnes, et que l'on chercherait
aussi vainement ailleurs.
Quant aux degrés du honneur il en faut rai
sonner de même: nous ne connaissons pas le degré
suprême du honneur; parceque notre cœur est fini,
et que le honheur est en raison de l'amour. Ceux
qui ont aime savent seulement que l'amour a diffé
rents degrés , et ils en infèrent que le bonheur en a
de semblables. Quoiqu'il en soit , le bonheur éternel
des esprits bienheureux dans le ciel serait déjà
assez désirable quand il ne remplirait le cœur qu'au
point de ne lui laisser désirer rien de plus; degré
de bonheur dont notre terre elle-même nous donne
quelquefois l'idée, soit au sein de l'amitié, soit
dans le sanctuaire de l'amour conjugal, le plus pur
et le plus vif dont nous puissions nous faire une
idée, et au-delà duquel il n'y a peut-être plus rien.
Dans t ousles cas, si pour les créatures , l'amour
a réellement des bornes, parvenu à son plus haut
période, il se ranimera alors comme la flamme,
par son propre mouvement; il se balancera éter
nellement entre sa plus grande et sa plus petite
intensité : le tableau aura ses ombres , et les plaisirs
de l'hiver rajeuniront éternellement ceux du printems.
«7
CHAPITRE IX.
Action de Dieu sur ses créatures.
On p eutse faire une idée maintenant des diffi
cultés que peut présenter la question de l'action de
Dieu sur ses créatures. Celle sur les agents libres
surtout, a été regardée par bien des philosophes
comme insoluble. Avec nos principes , toutefois ,
nous sortirons de ces difficultés, et cela plus simple
ment que ces théologiens dont les infolios sur les
innombrables espèces de graces qu'ils ont inventées,
offrent à peine une page digne d'être lue par un
homme de bon sens.
L'action d e Dieu sur ses créatures peut être
considérée comme s'exerçant sur la nature morte,
sur la nature animée, et sur les intelligences libres.
Voyons d'abord son influence sur la nature morte
ou sur la matière.
La c réation en général paraît une chose suffi
samment intelligible, quand on reconnait que Dieu
crée la matière comme notre esprit crée les pensées.
Le Créateur , par la force de sa volonté , revêt d'un
corps réel , ce qui chez nous ne reste qu'une image
fugitive et vague, ou plutôt, ce qui chez l'homme
même prend quelquefois du corps, ainsi qu'il arrive
dans le songe et l'extase ; car il y a une différence
évidente entre nos pensées de l'état de veille , et les
images qu'offrent nos songes de la nuit, quand nos
organes matériels se trouvent engourdis. Il est vrai
5 *
38
qu'alors nous ne savons au juste qui forme en nous
ces images substantielles , et qui ont toutes les qua
lités des corps, au point de n'en pouvoir être distin
gués; nous ne savons si c'est notre esprit lui-même
qui les produit, si ce sont des esprits supérieurs qui
nous les communiquent, ou s'il faut remonter jusqu'à
la vertu créatrice primitive pour les expliquer. Ces
trois manières d'en rendre raison sont peut-être égale
ment vraies, selon les divers tems et les diverses
occasions. Quoiqu'il en soit, ce phénomène, ap
précié comme il doit l'être , suffit pour nous rendre
l'idée de la création aussi intelligible que cela est
nécessaire. Nous ajouterons seulement, que, pour
Dieu , conserver n'est autre chose que créer conti
nuellement. C'est notre propre faiblesse qui nous
avait fait supposer si longtems que Dieu crée, en un
tems, les objets qui doivent subsister dans les tems
subséquents, comme si Dieu n'était pas le Dieu de
tous les tems. La création s'effacerait nécessaire
ment comme nos pensées, si Dieu ne la soutenait
sans cesse par sa volonté toute puissante.
Le monde des esprits, le ciel des anges, ou le
paradis , comme vous voudrez l'appeler , est réalisé
de même par la pensée éternellement efficace du
Créateur. Aussi ne concevons-nous d'autre diffé
rence entre ces deux espèces de mondes, que la
diversité des lois d'après lesquelles Dieu agit sur l'un
et sur l'autre. Dans le monde spirituel le Créateur
se sera seulement réservé une plus grande mobilité
des tableaux substantiels qui entourent les hommes
59
esprits , et qui, dans un mouvement presque conti
nuel, suivront les modifications morales des Etres
qu'ils entourent; tandis que dans le monde naturel,
que nous appelons matériel, tout reste glacé, fixe et
mort, les objets divers y étant soumis presque unique
ment aux modifications lentes que l'homme, dans
l'exercice de sa liberté, juge à propos de leur im
primer. La mobilité seule des images substantielles
nous les a fait juger moins réelles que la matière ,
et nous a portés à les appeler immatérielles. Il est
certain néanmoins que la forme sous laquelle un
esprit pur apparaît, bien que invisible et intangible
dans notre état terrestre , devient visible et tangible
dans le songe et l'état extatique, qui ne diffèrent
que comme le plus et le moins; et cette forme ne
saurait absolument être autre chose qu'un ensemble
d'organes en tout semblables aux nôtres , sans même
en excepter la solidité, ou l'apparence de la solidité;
de même que les objets qui l'entourent, ne sauraient
différer essentiellement de ceux que nous voyons
dans la nature ordinaire.
L'action d eDieu sur les animaux se conçoit
également très bien dans notre système, et n'offre
rien de choquant ni de contradictoire, quand ,
comme nous l'avons fait , on admet des degrés dans
le moi, ou ce qui est la même chose , des degrés de
vie; et quand d'ailleurs on suppose cette action plus
ou moins médiate , ou exercée par des Etres inter
médiaires. L'idée de ce théologien, qui disait les
bêtes animées par des diables , n'était peut-être pas
60
aussi s ottequ'il la supposait lui-même: je ne m'op
pose pas du tout à ce que l'on fasse influencer les bêtes
féroces par des esprits méchants, pourvu que les
affections bonnes , que nous remarquons chez d'aut
res animaux, lesquels n'en déplaise à leur prétendu
roi en ont souvent de meilleures que lui , soient
attribuées à l'influence d'esprits bons. Nous agissons
sur les animaux par des moyens matériels , et même
par le langage qui en est déjà très éloigné ; les es
prits purs agiront sur leurs instincts par l'énergie
même de leur volonté, comme un magnétiseur agit
sur ses somnambules: il n'y a rien là qui répugne.
Passons m aintenant à l'action de Dieu sur les
hommes. On la peut partager en deux espèces,
savoir , cette action générale par laquelle Dieu les
fait incessamment penser et sentir, en leur donnant
en même tems la conscience que c'est eux qui pen
sent et sentent; et son action sur leur moralité. La
première de ces actions nous l'appelons indirecte,
parceque l'homme peut croire que ses pensées et ses
sentimens sont de son propre crû, ainsi que cela
était nécessaire pour que sa liberté individuelle fût
parfaite. La seconde nous l'appelons action de Dieu
directe, parce qu'alors Dieu agit comme un Etre
distinct , placé à côté ou en regard de l'homme. La
première espèce d'action de Dieu sur nous est plutôt
obscure qu'inconcevable ; des conséquences forcées
tirées de la nature de Dieu et de la nôtre nous condui
sent à la reconnaître. La peine que nous éprouvons
quelquefois à nous rendre présens certaines idées et
61
certains s entimens, et à en éloigner d'autres qui
nous assiégent malgré nous, mais surtout laconscience
morale qui se met quelquefois en opposition formelle
avec notre moi pour nous ramener sur une meilleure
voie , prouvent assez que nous ne sommes point les
seuls maîtres , que nous ne sommes point les maîtres
absolus de nos pensées et de nos sentimens. Mais
une dissertation plus approfondie sur ce sujet serait du
tems perdu. Chacun peut observer très bien par
lui-même ce qui se passe dans son intérieur. Nous
avons d'ailleurs expliqué plus haut quelle est la
nature de notre liberté. L'action de Dieu sur la
moralité du genre humain est la seule qui nous
intéresse ici : et cette action doit être réduite tout
simplement aux instructions directes données aux
hommes dans l'Ecriture sainte, et aux exemples
personnels de Dieu Rédempteur , qui a vécu et agi
parmi nous , pour nous faire voir comment nous
devons vivre et agir , et qui s'est ainsi mis à la tête
de la famille éternelle , afin que chacun puisse le
connaître , s'attacher à lui et le suivre. Par là tou
tes ces graces mystérieuses de la théologie scholasti-
que sont écartées , et la doctrine chrétienne devient
aussi claire que les plus simples transactions de la
vie ordinaire. Ne pouvant ni ne voulant contraindre
en rien notre libre volonté , qui malgré la voix ami
cale de la conscience s'était portée décidément au
mal , il ne restait absolument à'Dieu que l'efficacité
de son propre exemple. Par là seulement il pouvait
nous entraîner sans nous contraindre ; et c'est aussi
le moyen qu'il a employé. Les expressions mysti
ques du prix du sang de Jésus-Christ  et du mérite
de ses tourmens , représentés par l'ignorance comme
satisfactoires en eux-mêmes , n'ont fait que dérouter
l'univers. On n'a plus rien compris à la Rédemption
dès que l'on est sorti de l'influence toute naturelle
et toute simple des exhortations et des exemples du
Seigneur. -Aussi la Rédemption ou la restauration
morale du genre humain ne s'est-elle pas bornée au
tems de l'apparition de la Divinité sur notre globe ,
autems de la personnification de l'Etre infini parmi
ses créatures intelligentes et sensibles. La Rédemp
tion a commencé avec les premières démarches de
Jéhovah , ou Dieu éternel, infini et invisible , rap
portées dans la Genèse ; et elle s'est continuée depuis
la mort de Dieu-homme , non-seulemént sur notre
terre, où cette grande œuvre se poursuit avec tout
le succès que la libre volonté des hommes lui per
met ; mais surtout dans le séjour éternel , où le
nouveau Boi du genre humain reçoit, touche, in
struit chacun de ses enfans à mesure qu'il se trans
forme, lui assignant la carrière qu'il doit doréna
vant poursuivre, et lui marquant la place qu'il
doit tenir dans la chaîne des Etres.
Une p artiede la Rédemption , d'un autre côté,
a été nécessairement abandonnée aux Etres intelli
gents eux-mêmes, sous la direction de leur chef
suprême; parce que le mérite et la joie de ramener
leurs frères devait rester à leur disposition. Tout
individu qui réussit à procurer le moindre bien
65
moral à un autre , en reçoit la récompense , d'abord
indirectement, de son propre cœur, par la conscience
d'avoir fait le bien; puis directement on extraordi-
nairement, par les mains de Dieu-Rédempteur dont
tous les rapports avec nous sont directs. Celui qui
retire son frère de l'ignorance et du vice , pour le
rendre à la vertu et à la piété , le ramène triomphant
au pied du trône de l'Eternel. Chaque homme en
particulier est ainsi appelé à être l'apôtre de ses
semblables. Les douze collaborateurs que Dieu-Sau
veur s'est adjoints pendant sa vie mortelle , n'étaient
que le type de l'universalité des Etres appelés à se
réformer entre eux. Déja sur la terre s'offre le
spectacle d'hommes consacrés par état au bien moral
de leurs semblables , quoique le feu céleste se soit
souvent changé entre leurs mains en feu infernal :
des efforts plus purs se font sans doute derrière le
voile qui nous dérobe les scènes du monde des es
prits. Et sur notre malheureuse terre aussi , il faut
l'espérer , on comprendra enfin mieux le véritable
esprit du christianisme. Un autre genre d'occupa
tions éternelles que celui du perfectionnement géné
ral et mutuel , un genre d'occupations plus digne et
plus convenable pour des Etres intelligens et sen
sibles, dont la vie consiste nécessairement dans
l'action, n'est point concevable, n'est point dans
l'ordre des choses possibles. Non seulement , nous
le répétons, les hommes transformés et passés à la
nature d'esprits purs , doivent pouvoir agir les uns
sur les autres ; mais ils doivent encore pouvoir in
64
fluencer, jusqu'à un certain point, leurs semblables
restés sur les globes matériels. Le grand ensemble
de tous les Etres de la création l'exige. Le monde
spirituel , placé , comme la pensée , hors du tems et
de l'espace , et incomparablement plus habité que
les mondes matériels qui lui envoient tous les vingt
ans leurs générations , devient ainsi le lien de tous
les globes. Aucun de ces globes n'est isolé , aucun
ne flotte seul dans l'immensité. Tout se tient , toutA
se donne la main ; et l'Etre suprême demeure en
relation avec toutes les sociétés et avec tous les indi
vidus ; il demeure le modérateur suprême de toute
sa création. L'ordre éternel l'exigeait ainsi, quand
bien même les sociétés d'Etres sensibles se multiplie
raient éternellement , ou plutôt , par la raison même
qu'elles se multiplieront pendant toute l'éternité.
Et e ncore ici, quoique l'idée d'une action aussi
étendue et aussi compliquée sur toute la création
par un Etre unique, soit accablante pour l'esprit
humain , nous concevons encore mieux cette action
en la faisant dériver de Dieu-homme , qu'en l'attri
buant à ce même Etre adorable considéré dans son
essence métaphysique et infinie. La raison, bien
consultée, nous dit, en effet, que ce n'est pas en
qualité de Créateur infini, invisible et inaccessible
que Dieu a pu se mettre à la tête de ses créatures
intelligentes et aimantes , entrer dans leur mouve
ment, les influencer et les maîtriser y mais bien
comme roi du Calvaire, ayant un roseau pour
sceptre et une épine pour couronne , roi différent
des r oisde la terre , qui ne l'est que par la vertu
et ne régne que par l'amour.
CHAPITRE X.
Connaissante des choses futures.
Deux q uestionsse présentent ici : Est-il dans
l'ordre des choses possibles que les événemens futurs
soient connus ? Est-il avantageux pour l'homme
de les connaître ?
Personne n'a jamais révoqué en doute la possi
bilité de pénétrer plus ou moins dans la connais
sance des événemens futurs. Tous les philosophes
ont admis que Dieu les' connaissait. On m'aura
même trouvé hardi en me voyant avancer qu'à l'é
gard de certains événemens la prescience de Dieu '
devient conditionnelle, quoique demeurant toujours
parfaitement certaine; mais on ne doit jamais reculer
devant ce que la raison nous enseigne clairement;
la raison vient aussi de Dieu.
L'homme armé de cette simple raison connait"
un grand nombre de choses futures. Il prévoit,
comme nous l'avons dit , avec certitude , tous les
événemens naturels qui dcpendent de lois physiques
connues. Il connait avec une probabilité qui se s
rapproche de la certitude , et qui lui en tient sou
vent lieu , les événemens moraux , civiles et politi
ques que le tems doit faire éclore. Ce n'est point
des futurs de cette espèce qu'il est question ici. Mais
on a é téforcé d'admettre un autre ordre de choses
futures , celles qui ne peuvent en aucune façon être
soumises au calcul humain , et qui pourtant ont été
souvent prévues et prédites. L'histoire prouve trop
clairement que certains individus ont joui du don
singulier de la connaissance des futurs libres , pour
qu'il soit permis au philosophe de le nier. L'existence
des vrais prophètes, celle même des faux, suffit
pour le prouver : " car ces derniers n'étaient point
appelés faux parce qu'on ne leur reconnaissait au
cune connaissance des choses futures, ou cachées,
mais seulement parce qu'ils n'employaient point leur
art selon l'ordre de Dieu. En un mot, les écoles de
prophètes si nomhreuses anciennement chez les Juifs
et les autres nations de cette époque , les oracles ,
les mystères des anciens temples, l'état extatique
provoqué , connu généralement , même chez les sau
vages , et retrouvé récemment parmi nous , sont
une preuve évidente de la possibilité où est l'homme
de pénétrer dans la connaissance d'autres événemens
que ceux soumis au calcul *). Comment ces sortes
*) Dans les œuvres choisies et posthumes de Laharpe
(Migneret 1806, 4 vol. in 8°), on lit la relation
. suivante, imprimée sur un manuscrit de la propre
main de Laharpe, mais que nous retraduisons de
l'allemand , de Stilling , n'ayant pas le texte
français à notre disposition.
„Le s ouvenirde cette scène extraordinaire,"
dit le célèbre professeur, „est encore tellement
présent à ma mémoire qu'il me semble qu'elle a
eu lieu hier: toutefois elle date de 1788. Nous
67
de communications peuvent-elles être expliquées?
Le voici.
En c réantune société d'Etres sensibles et libres,
qui doivent trouver leur bonheur dans la vie , c'est
étions à table chez un de nos collègues à l'aca
démie, homme de qualité et de beaucoup d'es
prit. (Très probablement le duc de Choiseul.)
La société était nombreuse et bien choisie. Il
y avait des personnes de tous les rangs, des
courtisans, des magistrats, des savans, des aca
démiciens, etc. On avait pris part à la joie d'un
repas splendide et bien ordonné. Au dessert,
le malvoisie et le Champagne avaient encore
augmenté la gaieté, et répandu parmi les con
vives cette espèce de liberté qui ne se tient pas
toujours dans de strictes bornes.
On é taitvenu alors dans le monde à ce point
où il était permis de tout dire, pourvu que
l'on réussit à faire rire. Chamfort nous lut
quelques uns de ses contes impies et dissolus, et
nos dames comme il faut, elles-mêmes, les en
tendirent sans avoir recours à leur éventail.
Cette lecture fut suivie d'une explosion de plai
santeries sur la religion. L'un citait une tirade
de la Pucelle; un autre rappela les vers de Diderot
où il %st dit qu'ilfaut pendre le dernier1 des rois avec
les boyaux du dernier des prêtres; et tout le monde
applaudit. Un troisième se lève, et, le verre en
main, s'écrie: Oui, Messieurs, je suis aussi sûr qu'il
n'y a point de Dieu que je suis sûr que Homère était un
fou. Il était en effet aussi sûr de l'un que de
l'autre: on avait justement parlé de Dieu et
d'Homère, et l'un et l'autre avaient trouvé quel
ques convives qui avaient cru pouvoir en dire
du bien.
La c onservation devint plus sérieuse. On
parla avec admiration de Voltaire, et de la ré
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  • 2.
  • 3.
  • 5.
  • 6. TABLE DES CHAPITRES. Page. I. La Vérité 1 n. L 'Infini 4 III. Le Possible et l'Impossible ... 14 IV. La Liberté 20 V. L'homme moral placé partout entre les Infinis 27 VI. P ourquoi: ou Nature de l'esprit philoso phique 33 VII. S i:ou les Conditionnels .... 38 VIII. L esDegrés 46 IX. A ctionde Dieu sur ses créatures . . 57 X. C onnaissance des choses futures . .65 XI. L'homme matériel et l'homme spirituel 80 XII- N aturedes songes 89 XIII. La Première langue 96 XIV. Le Malheur éternel 106 XV. La Tolérance 117 XVI. La Philosophie et la Théologie doivent- elles ê treséparées? 123 Conclusion 126
  • 7.
  • 8. CHAPITRE I. La V érité. Depuis T haïes et Pythagore quelle foule de pen seurs ont cherché la vérité 1 Quelle légion de philo sophes , depuis ces tems reculés , ont fait profession de consacrer leurs vies à cette sainte recherche ! Pourquoi, s'écriait encore Rousseau , la vérité' ne vient-elle pas se montrer à un cœur fait pour l'a dorer ? C'est en effet une recherche fort séduisante que celle de la vérité. Pour les esprits d'une certaine trempe la vérité a un attrait magique. Je l'ai long- tems cherchée moi-même : et ce n'est qu'après un quart de siècle de méditations que je commençai à soupçonner que, peut-être, je ne poursuivais qu'un fantôme. Il e stcertain que lorsqu'on prend le mot de vérité dans ce sens vague dans lequel on le prend d'ordinaire , c'est une pure abstraction ; c'est une espèce dinfini qui n'a aucun rapport avec l'esprit Humain. Quelle vérité cherchez-vous donc? est-on 1
  • 9. en d roitde dire à ces scrutateurs orgueilleux. Cher chez-vous la vérité absolue ? cherchez-vous toutes les vérités à la fois? — Vos prétentions sont gran des ! — Vous emhrassez beaucoup ! — Vous res semblez à cet homme altéré qui voudrait boire la mer d'un seul trait. Heureusement que cette divinité mystérieuse , appelée la vérité , change de nature quand on la fait descendre des cieux , et qu'on la contemple de près, et en détail , avec les yeux d'un mortel. Reve nant comme d'un songe un esprit désabusé s'écrie alors : Mais non , ce n'est pas la vérité absolue que je cherche ; je ne cherche que des vérités particu lières , des vérités détachées , et une à une. Mais d e ces vérités là , n'en avez-vous jamais trouvé ? N'y en a-t-il pas des myriades qu'on n'a pas besoin de chercher ? L'histoire , les sciences et les arts , la physique , la morale , la religion , les trois règnes de la nature , le ciel et la terre ne les étalent-ils pas à tous les yeux ? Tous les jours encore , quelque savant trouve sujet de s'écrier comme Archimède , Eurêka ! et de faire part de ses découvertes à ses contemporains. Il ne s'agit donc que de coordonner ces vérités connues , et de les lier en un système : et chacun peut faire ce travail pour son compte, d'une ma nière plus ou moins satisfaisante. Nous l'avons fait, de notre côté ; et cela , avec tant de succès , que notre système nous semble complet, et que dans notre joie nous croyons en devoir faire part au
  • 10. public. Quelques personnes y trouveront le repos de leur esprit; ce sera pour nous un dédommagement plus que suffisant. Nous ajouterons seulement , avant d'entrer en matière, que notre système est entièrement fondé sur Yamour , et par conséquent sur le christianisme. Dans l esiècle dernier, chercher la vérité ne signifiait en général que trouver la fausseté du christianisme; mais plus récemment des esprits méditatifs, en voulant entièrement secouer le joug de cette antique croyance , lui ont reconnu des ra cines plus profondes qu'ils ne l'avaient supposé; et ils ont commencé à négliger cette philosophie super ficielle qui a plaisanté sur tout , mais qui n'a examiné aucune question à fond , et n'a arrêté au cun principe de manière qu'il pût faire autorité en fait de religion et de morale. Ceux toutefois qui de nos jours font encore profession de chercher la vérité, le plus souvent ne cherchent rien du tout. En cherchant la vérité dans le sens absolu et com plexe, on ne saurait, en effet, la trouver qu'en cherchant celui qui s'est dit la vérité: et peu de tètes sont mûres pour prendre ce parti. Là est néanmoins la source où l'esprit humain pourra puiser éternellement ; et puiser non pas simplement des vérités nues et sèches , telles qu'en fournit la philosophie ou la métaphysique ordinaire ; mais des vérités fécondées par Yamour, qui seules peuvent donner le bonheur.
  • 11. CHAPITRE H. Ulnjini. Les r éflexionsprécédentes nous conduisent na turellement à considérer Dieu sous deux points de vue différents, comme infini et comme fini car on verra que , par rapport à nous , Dieu ne peut être que fini. Toutes les qualités divines en tant qu'infinies nous échappent; il faut raisonner de toutes comme nous avons fait de la vérité. Nos t raitésde théologie et de morale commen cent d'ordinaire par l'énoncé de cette grande vérité: Dieu est un Etre infiniment hon , infiniment sage, infiniment puissant, juste, intelligent, en un mot, un Etre infini sous tous les rapports , ou absolu , comme s'exprime l'école allemande, un Etre éternel et nécessaire. On ajoute même quelquefois que Dieu est un Etre infiniment saint, mot qui en cet endroit n'offre aucune idée claire; puis on entre dans les détails , et on multiplie les preuves et les explications. Nous sommes assurément hien éloignés de nier aucune de ces assertions ; mais nous osons soutenir que dans toutes les discussions de ce genre il n'y a rien de pratique ; qu'elles restent absolument sans ohjet, et que l'esprit de l'homme ne saurait meme concevoir clairement ce que c'est qu'une bonté, une sagesse, une puissance, une justice, une intelligence infinie.
  • 12. Écoutons raisonner sur cette matière le plus cloquent et souvent le plus profond de nos philo sophes. «C'est a insi,»dit Jean-Jacques, «que contem plant Dieu dans ses œuvres , et l'étudiant par ceux des attributs qu'il m'importait de connaître , je suis parvenu à étendre et augmenter par dégrés l'idée, d'abord imparfaite et bornée , que je me faisais de cet Être immense. Mais si cette idée est devenue plus noble et plus grande , elle est aussi moins pro portionnée à la raison humaine. A mesure que j'approche en esprit de l'éternelle lumière , son éclat m éblouiti me trouble, et je suis forcé d'abandon ner toutes les notions terrestres qui m'aidaient à [imaginer. Dieu n'est plus corporel et sensible ; la suprême intelligence qui régit le monde n'est plus le monde même: J'élève et fatigue en vain mon esprit, à concevoir son essence inconcevable. Quand je pense que c'est elle qui donne la vie et l'activité à la substance vivante et active qui régit les corps animés ; quand j'entends dire que mon âme est spirituelle, et que Dieu est un esprit, je m'indigne contre cet avilissement de l'essence di vine : comme si Dieu et mon âme étaient de même nature ! Comme si Dieu n'était pas le seul Etre ab solu , le seul vraiment actif , sentant , pensant , voulant par lui-même , et duquel nous tenons la pensée , le sentiment , l'activité , la volonté , la li berté , l'être ! Nous ne sommes libres que parce- qu'il veut que nous le soyons, et sa substance
  • 13. 6 inexplicable est à nos âmes ce que nos âmes sont à nos corps. S'il a créé la matière , les corps , les esprits , le monde , je n'en sais rien : l'idée de création me confond et passe ma portée ; je le crois autant que je puis le concevoir ; mais je sais qu'il a formé l'univers et tout ce qui existe , qu'il a ioui fait , tout ordonné. Dieu est éternel , sans doute; mais mon esprit peut-il embrasser l'idée de l'éter nité? Pourquoi me payer de mots sans idées? Ce que je conçois c'est qu'il est avant les choses, qu'il sera tant qu'elles subsisteront, et qu'il serait même au delà si tout devait finir un jour. Qu'un Etre que je ne conçois pas donne l'existence à d'autres Etres , cela n'est qu'obscur et incompréhen sible : mais que l'Etre et le néant se convertissent d'eux-mêmes l'un dans l'autre, c'est une contra diction palpable, c'est une claire absurdité.» « Dieu est intelligent ; mais comment l'est-il? L'homme est intelligent quand il raisonne, et la suprême intelligence n'a pas besoin de raisonner. Il n'y a pour elle ni prémisses ni conséquence, il n'y a pas même de proposition ; elle est purement intuitive , elle voit également tout ce qui est et tout ce qui peut être ; toutes les vérités ne sont pour elle qu'une seule idée, comme tous les lieux un seul point, et tous les tems un seul moment. La puis sance humaine agit par des moyens; la puissance divine agit par elle-même. Dieu peut parcequ'il veut , sa volonté fait son pouvoir. Dieu est bon , rien n'est plus manifeste: mais la bonté dans
  • 14. 7 l'homme est Yamour de ses semblables, et la bonté de Dieu est Yamour de l'ordre; car c'est par l'amour de l'ordre qu'il maintient ce qui existe ej lie chaque partie avec le tout. Dieu est juste , j'en suis con vaincu , c'est une suite de sa bonté : l'injustice des hommes est leur œuvre et non pas la sienne: le désordre moral , qui dépose contre la providence aux yeux des philosophes , ne fait que la démontrer aux miens. Mais la justice de l'homme est de rendre à chacun ce qui lui appartient, la justice de Dieu , de demander compte à chacun de ce qu'il lui a donné.» «Que si je viens à découvrir successivement ces attributs dontje n'ai nulle idée absolue , c'est par des conséquences forcées , c'est par le bon usage de ma raison ; mais je les affirme sans les com prendre , et, dans le fond, c'est n'affirmer rien. J'ai beau me dire Dieu est ainsi , je le sens , je me le prouve ; je ne conçois pas mieux comment Dieu peut être ainsi. Enfin , plus je m'efforce de con templer son essence infinie , moins je la conçois.» Telles s ontles idées de Rousseau sur ce grave sujet , et par conséquent celles de la philosophie du siècle. Mais s'il en est ainsi, nous le demandons, quelle idée arrêtée peut-on se faire de Dieu dans le système du déiste ? Nest-il pas évident que, pour nous , un Etre tel qu'il est représenté ici , et rien , est la même chose ? Ne serions-nous pas tout aussi avancés si nous étions matérialistes et si nous croyions le monde éternel ? — J'ai beau me fatiguer
  • 15. l'esprit pour trouver quelque avantage à considérer Dieu de la sorte , je ne puis absolument arriver qu'à cette conclusion : // n'est rien pour moi. Il e stparfaitement vrai de dire que nous n'a vons aucune idée claire ni complète de ce que nous appelons Yéternité. Pour nous, l'éternité n'est ja mais que le tems prolongé. Nons savons encore moins ce que c'est que la nécessité de l'existence. C'est là un de ces termes absolument inintelligibles , inventés ou par la vanité -ou par l'ignorance de l'école. Quand.Dieu a défini son essence à Moyse, a-t-il employé cette phrase entortillée : Je suis celui gui ne peut pas ne pas être ? Non ; il s'est con tenté de dire: Je suis celui qui est. Et avec de la réflexion cela se conçoit ; la vérité absolue aussi bien que Yéternité de l'existence se trouvent dans le mot Être. Mais la nécessité de l'existence passe notre conception et ne dit rien à notre esprit. La vue de la création ne suffit pas non plus pour prouver à l'homme une bonté infinie. Après tout la création estfinie : et ce don , de la part d'un Etre tout puissant, sous un rapport, peut même être regardé comme peu de chose , puisqu'il ne lui a coûté qu'un acte de volonté. Les maux sans nombre qui assiégent l'homme depuis son berceau jusqu'à sa tombe , sont , de leur côté , un argument terrible contre cette bonté infinie. Celui qui ne connait pas Dieu comme Rédempteur , dans la per sonne du Christ, l'Etre le plus aimant dont l'his toire nous ait transmis l'image, et seul moyen direct
  • 16. 9 par l equell'esprit humain puisse parvenir à l'idée de la bonté divine , doit trouver à peine que le bien contrebalance le mal dans la vie. Cela est si vrai que long-tems des esprits , du reste éclairés , et des peuples entiers, ont admis deux principes, l'un bon et l'autre mauvais, pour expliquer le sort de l'homme sur la terre. Il en est de même encore de la toutepuissance. La création qui estfinie, ne la prouve point. L'acte créateur seul, considéré comme tel, pourrait être représenté comme provenant d'une volonté toute- puissante, si en l'avançant on ne prononçait pas une de ces phrases vagues dont personne ne sent la portée. Qu'y aurait-il, d'ailleurs, de pratique, à savoir qu'il y a encore des myriades de mondes existants, ou possibles, outre le nôtre? Celui qui ne croit pas devoir être reconnaissant envers le Créa teur pour le monde que nous connaissons, ne le sera jamais. Il en est de même enfin de tous les attributs divins. Et qui sommes nous donc , juste ciel ! pour parler d'une sagesse , d'une intelligence , d'une jus tice infinie? qui sommes nous pour parler d'un Etre éternel et nécessaire? nous qui ne savons pas même si nous devons dire Digfi a créé ou Dieu crée; Dieu a prévu ou Dieu prévoit, ou même Dieu ne saurait prévoir, étant présent à tous les tems ! Nous qui ne pouvons affirmer si Dieu prend une résolution ou s'il n'en prend pas ; enfin nous qui ne pouvons concevoir comment Dieu reste libre l *
  • 17. 10 dans d esdémarches que nous prétendons en même tems arrêtées de toute éternité*)'. Nés d'hier, four mis rempantes sur cette terre, ramassons donc grain à grain des vérités détachées, des vérités utiles et pratiques qui sont à notre portée, et ne nous enorgueillissons pas en prononçant de grands mots dont le Créateur seul connaît le sens. Il e stévident qu'en tirant des conséquences rigoureuses des attributs de Dieu que nous appe lons infinis, et surtout de son éternité, on peut arriver à la conclusion, qu'il n'est libre en rien, et qu'il n'est que le fatum des anciens. Le v raiphilosophe renoncera donc sans peine comme sans regret à toutes les Questions infinies, rigoureusement insolubles, ét il reconnaîtra qu'il nous faut dorénavant distinguer entre Dieu dans son état infini et inconcevable, tel qu'il est en lui- même, et Dieu fini, tel qu'il est nécessairement dans son rapport avec thomme. Le vrai philoso phe n'adorera plus dorénavant d'autre Dieu qu Em- manuel ou Dieu avec nous, Dieu rapproché de nous , en rapport avec nous; en un mot il n'adorera plus que Xhomme-Dieu, appelé Jésus-Christ. Etant nous- mêmes des créaturesfinies, nous ne pouvons atteindre Dieu que comme fini. Âsscz et trop long-tems l'école s'est tourmentée à propos de qualités et d'attri buts qui pour nous ne sont que des abstractions. *) On sait que St. Augustin soutenait qu'on ne devait pas dire: Dieu nous a rendus justes, mais Dieu nous rendjustes continuellement.
  • 18. 11 Après les avoir humblement reconnus en Dieu, avec Jean-Jacques , ces attributs incompréhensibles, et l'avoir parconséquent adore d'autant plus profon dement que nous le comprenons moins, ou plutôt après l'avoir adoré précisément par ce que nous ne le comprenons pas (puisque c'est là le point réel où toute adoration commence), nous passerons doré navant de suite à ce qui est réel, et surtout prati que pour nous. L'impossibilité qu'un Etre fini entre autrement en rapport avec un Être infini, que d'une manière finie, est au fond une de ces vérités de métaphysi que où la limite du possible et de l'impossible est aussi clairement tracée que dans toutes les questions géométriques. Est-il possible, en effet, que vous touchiez autrement cette sphère immense à laquelle Pascal compare le Créateur, quepar un point? Une sphère finie même ne saurait etre touchée autre ment. Dans l'infini moral, ou spirituel, parconsé quent, bien qu'il ne doive point être considéré comme étendue, mais comme placé hors du tems et de l'espace, notre esprit ne peut de même saisir qu'un point, c'est à dire, une idée, une pensée, comme nous ne pouvons éprouver qu'un sentiment à la fois. Sur les ailes de l'imagination nous pouvons bien décrire un petit cercle dans ces domaines in finis , ainsi que nous le faisons sur la terre au milieu des merveilles de la nature ; mais c'est toujours sous peine de quitter un objet pour un autre: dès que nous voulons embrasser la moindre étendue, le
  • 19. 12 moindre h orizon,tous les objets individuels rentrent dans le vague. Quand J ésus-Christ, ou Dieu Rédempteur, a dit: personne ne vient au père que par moi, il a dit la vérité métaphysique la plus palpable qui se puisse imaginer. Il est rigoureusement impos sible que l'homme contracte autrement des rapports directs ou personnels avec l'Etre infini, qu'en recon naissant que l'âme, ou le moi de Jésus-Christ était cet Être. Car c'est là ce qu'il appelait le Père qui était en lui, tout comme il s'appelait lui-même un Être provenu du Père, le fils venu du Père: c'est à dire le Père vu, le Père entré en rapport avec le monde, le Père montré ou manifesté au monde. Il n'y a point de moyen terme possible à imaginer à l'égard de Jésus-Christ; il faut lui reconnaître tout ou rien de la Divinité ! Ou il était le Créateur personnifié, ou il n'était qu'un homme comme un autre, un philosophe Juif. Ce dernier sentiment parait même plus philosophique que l'autre, dans la bouche de ceux qui ne peuvent s'élever assez haut, pour voir la Divinité dans un Etre aussi humble et aussi simple que le Fils de Marie *). *) J en'ai jamais pu concevoir comment un homme aussi solide que Herder ait pu s'arrêter à l'idée de faire de JÉsus-CHRisiunEtre intermédiaire, quin'est ni Dieu ni homme, un Être éternel et qui toutefois n'est pas Je .Père de la nature. Un poète du second , ordre du même pays, a eu, sous ce rapport, des idées plus saines que ce philosophe renommé. Non
  • 20. 13 «L'esprit humain, dit un auteur ingénieux, ne saurait construire un pont du fini à l'infini: tout élan risqué en cet endroit précipite dans l'abîme.» seulement Seume reconnaît la Divinité de Jésus- Christ , mais il déclare ,. dans sa Promenade à Syra cuse, queleifacuitésde l'esprithumain nepeuvent s'élever quejusqu'à lui. Au de là de Vhomme-Dieu, dit-il, il n'y a rienpour nous. licftfeit e r&e&ett/<iber meftt reeiter. Le Dieu éternel et infini, appelé Jéhovah , est incompréhensible et in abordable; et un Être intermédiaire et éternel, est une pure chimère. Il est probable que Herder; aussi bien que Jérusalem, écrivain religieux du même genre, et en général tous ceux qui conservent lafoi chrétienne malgré les trois personnes distinctes, ne pouvant d'un côté se tirer de ce que les théologiens ont appelé le mystère de la Trinité, et reconnais sant de l'autre le caractère plus qu'humain de Jésus-Christ, en seront restés à peu près au point où en est resté Jean-Jacques ; eux, si l'on veut, à force de foi, etJean-Jacques à force de philosophie. D'autres écrivains, au reste, ou Prédicateurs de l'Evangile, sont à cetégard dans un vague encore plus singdlier. Ils écrivent, ils prêchent pendant des années, que Jésus-Christ, auquel ils donnent on ne sait trop pourquoi, les titres de Sauveur et de Rédempteur du monde , était un Envoyé de Dieu, sans admettre pour cela qu'il existait avant de venir sur la terre, ou même sans y avoir jamais pensé; de sorte qu'ils sont tout étonnés quand quelqu'un s'avise de leur demander comment on peut envoyer quelqu'un qui n'existe pas. Si Jésus-Christ n'a réellement été envoyé sur la terre que comme cha cun d'entre nous, il n'est de même qu'un homme comme tout autre; et il n'en faut pas faire plus de bruit que de Socrate, ou de tel autre philosophe renommé.
  • 21. Mais du côté de Dieu cette impossibilité n'existe pas; il a pu construire ce pont, il l'a posé d'un côté sur YAmour infini, et de l'autre sur le Rocher qui est le Christ *). Mais , d ira-t-on, un Etre fini ne peut plus être Dieu. Cela est faux, complètement faux: En lui- même, Dieu est toujours infini, quoique dans son rapport avec nous il soit fini. Quand vous appro chez de la mer ne dites vous pas aussi? voila la mer! Et vous parlez juste, quoique vous ne voyiez qu'une très petite partie de la mer, et que vous ne puissiez toucher que quelques gouttes de ses eaux immenses. Il en est de même de Dieu. CHAPITRE 1U. Le possible et l'impossible. L'homme connait-il au juste les limites du pos sible et de l'impossible ? Non assurément. Mais il lui est permis de chercher à tracer une ligne de démarcation entre ces deux empires sans bornes. Peu de philosophes ont traité cette question; on rencontre même peu de personnes qui aient osé y réfléchir. A Dieu tout est possible est un ancien *) S inous cherchions ici plutôt des autorités que des raisons, nous pourrions citer entre autres notre grand Buffon, qui, dans ses immortelles pages sur la . nature de l'homme, reconnaît comme nous Fimpossi- bilité où il est d'atteindre Dieu en tant qu'être purement métaphysique.
  • 22. adage que chacun admet sans l'approfondir. Cepen dant le respect pour la Divinité ne doit pas nous empêcher de raisonner d'Elle et de ses attributs, comme nous faisons de tous les autres objets de la nature , en suivant avec simplicité les lumières de la raison et. du bon sens qu'il nous a donnés. Or en suivant ces lumières on pourrait trouver presque autant de choses impossibles qu'il y en a de possibles. Dans l ascience des nombres et de l'espace, c'est à dire dans les mathématiques et la géométrie, les limites de l'impossible nous frappent si vivement, du moins dans toute question soluble , que les mé connaître est aussitôt une absurdité " pour tout le monde. Dieu lui-même, dit-on, ne pourrait rien changer ici, parcequ'il est question de sciences exactes , et que Dieu ne peut pas changer l'essence des choses. Mais pourquoi dans les sciences mo rales et métaphysiques n'y aurait'il pas des limites analogues? Il n'y a nulle raison de les mécon naître, quoique dans cette partie les limites soient plus difficiles à déterminer. Dieu ne peut pas faire qu'une chose soit à la fois etne soit pas ; il ne peut pas se montrer imparfait, méchant, déraisonnable, absurde. Quand Dieu a pris une résolution (car il faut bien que nous usions de cette formule, Dieu pour nous étant fini) quand , disons nous , Dieu a pris une résolution , il'en a admis aussi toutes les conséquences , il ne revient pas sur ses pas ; et par là même mille choses deviennent impossibles , jus
  • 23. 16 que dans les démarches que nous attribuons à sa conduite libre. Dieu considéré ainsi après ses ré solutions prises, est engagé de tous côtés par ses propres démarches , et sa liberté se restreint à pro portion. Tout cela est aussi clair que cet adage : Dieu ne peut pas faire qu'une chose soit' à la fois et ne soit pas ; qu'une chose qui a une fois existé n'ait jamais existé ; que deux et deux ne soient point quatre; ou que les trois angles d'un triangle n'équi valent, pas à deux angles droits. Le nombre des choses déraisonnables , ou qui seraient faites mal à propos , est immense pour Dieu dans sa création ; et si l'homme raisonnable lui-même ne peut réelle ment pas faire des choses absurdes, pourquoi le dirait-on de la Divinité ? Tout ce qui est déraison nable, quoique possible d'après notre imagination extravagante , Dieu ne le fera jamais , et il ne peut pas le faire. Appliquons maintenant ce principe si simple à la destinée de l'homme sur la terre , et nous au rons le résultat suivant : Dieu a une fois jugé con venable de créer l'homme libre ; donc il ne peut plus l'empêcher d'agir selon son bon plaisir ; il ne peut plus Yempêcher de se livrer au vice et à l'erreur pré- fcrablement à la vertu et la vérité. En c onsidérantl'homme en société , et comme un anneau de la chaine entière des Etres , ces im possibilités d'une certaine action de Dieu sur ses créatures se compliquent ensuite à l'infini ; car dans les masses la liberté d'un individu est encore modi
  • 24. 17 fiée par celle de mille autres auxquels il est donné de l'influencer plus ou moins. Il n'est pas jus qu'aux objets inanimés r qui autrement pourraient être soumis à un .calcul rigoureux , il n'est pas jus qu'à l'homme physique , dont on sait que dépend en partie l'homme moral, et aux autres Etres vivant moins libres que l'homme, tels que les animaux dont les instincts pourraient rigoureusement se cal culer , qui ne soient modifiés ainsi de mille manières par l'action libre des hommes, excluant entièrement celle de Dieu. Qui a uraitcru, par exemple, que les bornes de ce qui demeure possible à l'action divine sur notre globe , dussent se rétrécir au point que Dieu fût contraint de laisser mourir dans la rage et le plus affreux désespoir , l'infortuné que l'impéritîe ou l'atrocité humaine a enterré vif, plutôt que de trancher exlraordinairement le fil secret qui l'attache à la vie ? Cela est néanmoins prouvé tous les jours par le fait ; car, quand par hazard on vient à rouvrir la tombe de ces infortunés , leurs mains rongées et leur bouche sanglante montrent assez quelle a été leur triste fin. Ce n'est que dans des cas rares et extraordinaires , et en sa qualité de Rédempteur , que Dieu a pu déroger à cet ordre. C'est ainsi que le Dr. Bertrand , dans son ouvrage sur Xextase magné tique , cite plusieurs martyrs qui furent tenus dans un état d'insensibilité corporelle pendant tout le tems qu'on les tourmentait à mort, et qui chan tèrent des hymnes jusqu'au moment qu'ils rendirent
  • 25. 18 l'âme. Mais dans l'ordre des choses admis , il est devenu impossible à Dieu de venir au secours de tous ces malheureux par ce que nous appelons un miracle, et cela par la seule raison qu'aucune at teinte ne doit être portée à leur liberté morale, ou à celle des Etres en rapport avec eux , soit corporels soit transformés et passés à l'état d'esprits. Sous l epoint de vue de la moralité du genre humain par conséquent, Dieu ne peut faire autre chose que suivre les individus, et surtout les masses, pas à pas. Son action par Yexemple , en paraissant au milieu d'eux sous laforme du mortel le plus ver tueux et le plus aimant possible , est la seule action concevable. Toute autre influence est devenue ri goureusement impossible. Le vague dans lequel l'esprit humain était resté jusqu'ici relativement à ce qui est possible à Dieu en fait d'influence morale , venait de ce que chaque individu se croyait plus ou moins isolé dans la création , et de ce que la philosophie a cru pouvoir considérer les sociétés entières comme isolées. Mais ces idées sont tout-à-fait erronnées. Non-seulement les hommes terrestres s'influencent nécessairement tous les uns les autres ; non-seulement les hommes esprits continuent à s'influencer entre eux ; mais ces derniers doivent même conserver une certaine action sur lés habitants des globes matériels. Le grand ensemble que la création doit former le requiert impérieusement. Et quant au lien secret qui nous unit tous au Créateur individuellement , il est bien A
  • 26. plus é troitqu'on ne l'a jamais pense. Il est méta- physiquement impossible que le Créateur isole de lui un moi ou un Être intelligent quelconque, de lui qui est le moi ou Yintelligence suprême. Quand un pareil isolement serait possible dans la spécula tion , il ne le serait point dans le fait. 11 faut ab solument que Dieu garde toujours entre ses mains les rênes de la conduite des individus, comme de l'ensemble , si l'ordre éternel ne doit point être troublé. Nous avons déjà remarqué que l'on peut dire : Dieu n'a pas créé l'homme ; mais il le crée continuellement , puisque faire une chose dans un tems pour qu'elle continue à exister ensuite par elle-même dans un autre tems, serait une imper fection, dans l'Etre éternel ; eh bien ! on doit dire de même : Dieu ne nous a pas simplement influen cés au moment de notre création , mais il nous in fluence incessamment ; et par là même il ne peut pas tout sur notre conduite , puisqu'il nous a laissés en même "tems libres de résister plus ou moins à celte influence, et de la modifier sans cesse selon notre bon plaisir. Ces c onsidérationssont encore de nature à nous faire trouver plus concevable l'action de Dieu sur nous comme homme, que son action comme être infini et absolu ; et cette vérité ressortira" de plus en plus.
  • 27. 20 CHAPITRE IV. La L iberté. Examinons maintenant avec attention la nature de la liberté de l'homme. Il eût peut-être fallu l'avoir déja bien comprise pour raisonner pertinem ment sur la question précédente ; mais toutes ces grandes questions tiennent si étroitement l'une à l'autre qu'on ne sait au juste laquelle il serait plus avantageux de traiter la première. La l ibertéde l'homme a toujours été considé rée comme l'abîme de son esprit. Bien que sous certain rapport elle offre les qualités de Yinfini, elle n'est point, toutefois, rigoureusement insoluble, comme la liberté de Dieu, laquelle se doit combiner en même tems avec son éternité et son immutabilité. Les deux réflexions suivantes serviront à éclaircif cette matière abstruse : Selon nous , d'un côté les philosophes n'ont point assez restreint notre liberté morale; de l'autre ils ne l'ont pas assez étendue. Expliquons et prouvons ces assertions. En p remier lieu , la liberté de l'homme est moindre qu'on ne l'a cru ; parcequ'il ne -dépend pas de lui de se changer au moral aussi facilement, ni aussi vîte , qu'on l'a supposé. Chaque individu hérite de ses ancêtres une nuance de caractère mo ral qui lui restera toute sa vie, et qui se trouve encore modifiée , surtout dans ses premières an nées, par l'influence de ses contemporains. La
  • 28. conformité extérieure des traits des individus le prouverait, si les caractères nationaux n'étaient pas une chose généralement admise. Un jeune Caraïbe et un jeune Européen sont certainement deux Etres fort différents pour les dispositions mo rales , même avant d'avoir ressenti l'influence de la société ; et avec toutes les ressources de l'éducation vous n'en ferez pas deux hommes semblables. Or ce qui se remarque chez les peuples , doit avoir lieu en petit dans les familles. Il y a des exceptions, nous ne le nions pas; mais ces exceptions ne font que confirmer notre assertion en thèse générale. Ces exceptions d'ailleurs ont aussi leurs causes par ticulières ; et si une marche uniforme était toujours suivie dans la propagation de l'espèce , elle se ferait de même remarquer dans les caractères. L'enfant d'une famille princière , par exemple , serait d'ordi naire portée à la fierté et à l'amour du commande ment , tout comme le rejeton d'une famille d'ou vriers simples et laborieux serait naturellement timide et soumis. Les dispositions aux vices comme aux vertus et aux talens se transmettraient ainsi dp père en fils : et on pourrait y compter hardi ment dans la plupart des cas. J'en suis si con vaincu pour ma part, que dans une famille de souverains bien réglés dans leur conduite, la légi timité ne me paraîtrait plus un problême , mais un principe fondé dans la nature , et donnant des droits réels à l'enfant qui vient de naître. Et quand je vois sortir au contraire un conquérant de la lie du
  • 29. 22 peuple , je suis toujours tenté de croire que c'est du sang royal qui cherche à remonter vers sa source. Quoiqu'il en soit, il résulte toujours de ces considérations que les individus sont généralement jetés dans un cercle, dans lequel ils peuvent se mouvoir , mais dont ils ne leur est pas donné de sortir. Il faut , en effet , que l'homme combatte souvent pendant des années, pendant sa vie en tière , un défaut qu'il a clairement reconnu , et qu'il hait lui-même le premier. Nos penchants tiennent si profondément à la racine de notre être , ils sont tellement identifiés avec notre organisation et avec notre vie intime , que la meilleure volonté, la plus forte résolution, ne suffit pas à anéantir un défaut dans un moment. La prière même et le secours de Dieu ne sont pas en état d'opérer cette merveille , laquelle serait plus que miraculeuse , puisqu'elle est d'une impossibilité absolue. Dieu n'a jamais pro mis, et n'a jamais pu promettre, qu'il ferait tout par lui seul, et en un instant , sur la requête de l'homme ; il faut que l'homme coopère à son amé lioration ; laquelle , par suite , est lente , et ne se fait que par progrès insensibles *). Peut-être même qu'un défaut ne sera jamais complètement anéanti : Les anges conservent des taches aux yeuxde l'Eternel. Par l amême raison les hommes ne sont pas *) „ Vois, o IsraëL," est-il dit dans l'ancien Testa ment, „ si tu veux t'attacher à ton Dieu , et former une alliance avec lui;" et la même chose est dite à chaque homme en particulier.
  • 30. 23 tous p ropres,à une pratique égale des différentes vertus. Il ne dépend pas plus de nous de les pra tiquer toutes en un dégré extraordinaire, qu'il ne dépend de tous les prêtres d'être des Vincents de Paule et des Fénélons , ou de tous les poètes d'être des Virgiles et des Racines. S'il e stgénéralement reconnu que nos facultés morales tiennent en partie à la conformation de notre cœur et de notre cerveau, il est clair qu'il faudrait un miracle matériel pour nous changer, tout comme il en faudrait un pour guérir une per sonne qui aurait quelque partie noble entièrement viciée. Néanmoins , nous nous hâtons de l'ajouter, cette observation , encore , il ne faut pas la pousser trop loin: Avec le lems et du zèle le moral peut rectifier le physique , tout en suivant les lois ordi naires de la nature ; de même que dans la maladie la plus désespérée le ciel peut encore exaucer plus ou moins la requête fervante d'un patient , en l'é clairant , lui ou ceux qui le soignent , sur les vrais remèdes à employer, et le guérir par conséquent sans recourir à un miracle proprement dit. Des hommes excellents ; travaillant à leur per fection morale avec une ardeur inquiète, voyant qu'ils ne pouvaient pas faire de leur liberté tout l'usage qu'ils désiraient , sont allés quelquefois jus qu'à demander que Dieu la leur retirât, afin de n'être plus que de purs instrumens entre ses mains. Ils se persuadaient sans doute qu'en faisant cette demande eux-mêmes, librement, ce n'était plus Dieu
  • 31. 24 qui é taitcensé toucher au dépôt sacré de leur liberté morale : néanmoins une telle prière ne peut être qu'indiscrète. Quand il nous arrive de succomber, malgré notre meilleure volonté , il ne nous reste qu'à nous humilier, et à faire des résolutions encore meilleures pour une prochaine occasion, afin de guérir peu à peu et avec le tems. Dieu ne peut ni ne veut toucher à notre liberté , qui fait précisément le prix de notre Etre. Lui seul aussi peut savoir jusqu'à quel point il doit assister chaque individu , meme sur sa propre requête, vû qu'il ne saurait y avoir devant lui de privilégié, et que les intérêts et les passions de ses enfans se croisent de mille ma nières. Lui seul enfin peut apprécier au juste le degré de notre sincérité et de notre bonne volonté, sur lesquelles nous nous faisons nécessairement illu sion, ainsi que le prouve le fait même de nos rechutes , et celui de la non-intervention du Très- haut , qui certes n'est jamais en retard quand il peut nous être utile. Si donc il peut être permis de demander à Dieu den'êtreplus qu'un instrument entre ses mains, il faut toujours se rappeler qu'il ne peut être question que d'un instrument vivant, agissant, et non d'un in strument mort. En s econd lieu si nous considérons l'homme en général, ou les hommes en masse, nous trouvons que le degré de leur liberté est plus grand, qu'on ne le pense communément. C'est sou? ce point de vue seulement qu'il est vrai de dire de l'homme A
  • 32. 28 peut s e perfectionner ou se dégarder à l'infini. Pour ce qui est du champ du perfectionnement du genre humain , il est absolument illimité. Eternel lement les hommes pourront se rapprocher de leur grand modèle, le Père de la nature, le Père céleste, sans jamais l'atteindre. Et quant au champ de leur dégradation, il n'a été circonscrit que par le fait même de la Rédemption, à l'époque où cette dégra dation , ayant rompu toutes les digues et menaçant d'entrainer l'universalité des Etres, était devenue intolérable aux yeux de l'Eternel. L'homme indi viduel peut, à la vérité, continuer à se dégarder indéfiniment dans le cercle particulier qui l'envi ronne -, mais l'homme collectif ne le peut plus. Par le fait les masses ne sortiront plus du cercle qui leur à été tracé par Celui qui a dit a leur passions, comme autrefois à la mer : Tu n'iras pas plus loin ; là se brisera la rage de tes flots. Le premier homme (car il faut bien que vous en supposions un premier pour pouvoir raisonner clairement, quoiqu'il soit aussi philosophique de dire que Dieu a toujours été créateur , que de sup poser qu'il ne l'est devenu que dans le tems , ce qui ramène la question insoluble de l'éternité), le premier homme disons-nous , a nécessairement du Etre plus restreint dans ses pensées, ses connaissances et ses volontés , que les suivans ; puisque Dieu était forcé de réserver à chacun de ses enfans le plaisir de la découverte de quelque nouvelle vérité, ou celui de mettre quelque nouvelle vertu en honneur sur la 2
  • 33. terre : d elà cette latitude plus immense donnée aux masses ; et quil ne faut jamais perdre de vue quand on veut raisonner pertinemment sur la nature de la liberté. Cette vérité parait évidente dès qu'on y est rendu attentif; et il suffit de l'indiquer. Les deux chapitres suivans serviront, du reste, à l'éclaircir et à la confirmer. Nous ajouterons seulement , en terminant celui-ci, que chacun peut facilement se convaincre que dans le fond la racine de sa liberté morale lui reste toujours , à tout âge et dans toutes les situations de lavie. Il peut le voir non seulement par là nature des reproches de sa conscience, qui certes ne se soulèverait pas contre une action faite nécessairement, mais surtout il le pourra quand il voudra se faire une légère violence dans de petites démarches qui ne sont pas sous l'influence de quel que passion devenue trop impérieuse. Dans ce cas chacun voit clairement quil peut faire précisément le contraire de ce qu'il désirerait; tout comme entre deux chemins inégaux de sa promenade il petit pren dre le plus difficile et le.moins agréable, par la seule raison que telle est sa volonté. Et si l'on peut se surmonter dans les petites choses , on le peut aussi, avec letems, dans les grandes, à mesure que l'on regagnera du terrain sur les passions que l'on avait eu l'imprudence de laisser trop grandir.
  • 34. 1 27 CHAPITRE V. L'homme moral placé partout entre les infinis. • Quand nous avons avancé , il y a quelques an nées , que l'homme moral devait nécessairement se trouver placé entre les infinis de quelque côté qu'il se tourne, nous entendions déjà tout ce que nous venons de dire, savoir que dans son perfectionne ment comme dans sa dégradation l'homme ne ren contrait aucune bornes absolument insurmontables : seulement alors nous n'avions pas encore distingué entre l'homme individuel et l'homme collectif. Nos propres idées s'étant étendues depuis, il nous sera peut-être plus facile de nous faire bien comprendre ; car nous n'avons fait au fond , que nous confirmer dans le même sentiment, qui n'est qu'une suite né cessaire d'une liberté morale dont la nature même est d'être illimitée , et sous ce rapport, parfaite. Pour peu que l'homme soit déraisonnable, il peut , sans être proprementfou selon le monde , par venir à se prouver qu'il n'y a point de Dieu, ou que Dieu ne se mêle pas des choses humaines ; qu'il n'y a point de vie future, et parconséquent aucune dif férence essentielle entre le bien et le mal ; que toutes les vertus et tous les vices peuvent se confondre, selon les tems et les lieux ; qu'enfin, et a plus forte raison, le christianisme n'est qu'un amas de doctrines plus ou moins absurdes , fruit du fanatisme et de la faiblesse humaine. Et, en effet, l'homme ne peut
  • 35. 28 se c oncevoir entièrement libre qu'en le supposant ainsi placé partout entre les infinis: en d'autres termes, pour que notre liberté morale soit complète, il faut que Dieu se soit pour ainsi dire éaché et qu'il nous ait entiérement abandonnes à nous-mêmes. Si une main visible nous présentait incessamment du haut du ciel une riche récompense pour chaque bonne action, nous ne serions point libres de ne pas les accomplir , et si le châtiment était toujours prêt pour chaque action mauvaise, nous n'aurions aucun mérite de les éviter. Supposez un ordre de choses différent , ou l'homme ne sera plus libre du tout , pas plus que la pierre qui tombe, ou bien il sera libre comme Dieu , c'est à dire qu'il ne sera libre que dans le bien , qualité exclusivement réservéeà l'Etre suprême. Pour que l'homme fût libre entre le bien et le mal dans toute la rigueur de l'expression, il fallut que son es prit pût se retourner d'une manière si admirable', que sa liberté demeurât encore entière , même alors qu'on lui oppose telle barrière qui dans le premier momentsemble insurmontable. Unathée, parexem- ple , parvient après de longues méditations à recon naître enfin l'existence de Dieu et l'action de sa pro vidence sur les destinées de cet univers: dans le premier moment cet athée peut se croire capable de pratiquer toutes les vertus sous les yeux d'un pareil témoin de ses actions; cependant une aussi heureuse disposition n'est point nécessairement durable. Peu à peu , ce même homme fera tant de raisonnemens sur ses rapports avec Dieu , et sur la manière dont
  • 36. l'Etre i nfinidoit envisager le mal dans ses faibles créatures , qu'insensiblement il mettra moins de sé vérité dans ses jugemens , et par conséquent dans sa conduite; et à la fin il sera à peine plus moral qu'au paravant : au contraire , il pourra devenir plus cou pable qu'il n'était , s'il ne fait pas les efforts conve nables pour vivre d'une manière digne de ses nou velles convictions. Mais, d ira-t-on,si les principes que vous déve loppez sont vrais , comment les accordez-vous avec le christianisme? comment expliquez vous par exem ple , les miracles qui doivent avoir été opérés lors de l'apparition de la Divinité sur la terre? Ces miracles n'ont-ils pointporté atteinte à la liberté des hommes? Comment résister à la vue d'un miracle ? Nous répondons que les miracles de l'Evangile eux-memes , qui au premier coup d'œil sembleraient avoir dû forcer l'assentiment des hommes, les ont encore laissés libres. Que dis-je? ces miracles, les hommes les ont pu tourner contre le christianisme , en les déclarant impossibles , et par suite supposés. Cette objection n'aurait tout au plus quelque force qu'à l'égard des temoins oculaires, nccessairement ébranlés danslepremiermomentparce qu'ilsvoyaient, si l'on ne savait pas d'ailleurs qu'ils avaient été pré parés à ces événemens longtems d'avance, et qu'ils avaient nécessairement acquis un dégré de foi et de ré solutionmoraleauquel lavue d'un miraclenepouvaità peu prèsplus rien ajouter. Personne ne sait mieux que l'intelligence suprême quel coup la vue d'un miracle
  • 37. 30 porte à l aliberté humaine : voilà précisément pour quoi elle en a été si avare. Les miracles de l'Evan gile ont été ménagés d'une manière si admirable par la providence , qu'ils suffisent à l'homme de bonne volonté, tandis qu'ils n'ont aucune importance pour ceux qui ne sont pas encore mûrs pour le royaume de Dieu. Les miracles, en un mot, ont été opérés pour les masses, pour l'universalité des Etres sensi bles, et non pour les individus. Pour les individus Dieu n'en fait point , il ne peut point en faire , il est forcé, comme nous l'avons dit, de laisser mourir un malheureux dans la rage et le désespoir , plutôt que de toucher par un miracle à son organisation physique. Et ceci peut être étendu jusqu'au moral , en tant que le physique l'influence. Encore ici donc il faut distinguer entre l'homme individuel et l'homme collectif ou le genre humain en masse , car il se meuvent dans des cercles tout à fait différents. L'un ne peut devenir qu'un peu meilleur ou pire que ses contemporains ; l'autre peut passer de l'état angélique à l'anthropophagie , et de l'anthropophagie à la philanthropie chrétienne. L'homme primitif, par la même raison, a pu être cob- pable , par exemple, de vouloir scruter des questions philosophiques que les hommes sont louables d'étu dier au 19me siècle. Il e stbien vrai qu'un philosophe, qui, n'étant encore que déiste , ne connaissant Dieu que comme Etre absolu ou infini sous tous les rapports, et n'ayant point encore fait la distinction entre l'homme
  • 38. 51 A individuel et la masse des Etres intelligents , soutien1 drait que pour être moralement libre il doit être, lui, placé partout entre les infinis , ce philosophe aurait atteint le degré suprême de l'orgueil de l'esprit ; car il aurait accaparé pour lui seul toutes les connais sances de philosophie morale qui ne devaient être distribuées qu'a la masse de ses semblables *). Etant venu néanmoins au 19me siècle, il pour rait n'être pas plus coupable que chacun des philo sophes ses devanciers, pris individuellement, qui tous auraient contribué à le pousser au point où il serait parvenu. Mais q u'on se figure le premier des humains voulant entrer avec le Créateur dans toutes les dis cussions métaphysiques que nous traitons dans ces *) Nous avons déjà eu occasion de dire que le mot absolu est une expression inventée , ou du moins consacrée par l'école d'allemagne (car nous l'avons déjà vu employée par Rousseau). Nul doute que les philosophes de ce pays ne sachent attacher à ce mot une idée adéquate: pour nous, néanmoins, nous avouons en toute humilité , que nous ne pouvons pas même comprendre l'infini sous unseul rapport. Il nous semhle qu'il serait tout aussi facile d'emhrasser le soleil avec ses rayons , ou de disséquer sa lumière. Et encore ici nous nous persuadons que l'on raison nerait à la fois avec plus de clarté , plus de facilité, et surtout avec plus d'utilité, si on voulait voir la Divinité dans le Dieu-homme, voilée simplement sous la lumière du Thahor, plutôt que de la chercher dans rabsolu. Il est vrai que cette lumière du Tha hor, est elle-même déjà trop brillante pour certains yeux.
  • 39. chapitres; quelle audace! Dieu, qui s'était néces sairement présenté à lui avec simplicité, et qui dans l'intérêt de son bonheur n'avait pu lui recommander que la modération en toutes choses, comme un père le dirait encore aujourd'hui à son enfant, ou un ami à son ami, Dieu, disons-nous, ne pouvait que se retirer d'un pareil raisonneur, et le priver de ses rapports directs , pour se contenter d'influencer ses pensées , entant que Dieu invisible , jusqu'à ce qu'il pût se représenter à lui dans des conjonctures plus favorables. Aussi est-ce là précisément ce qui est arrivé selon la croyance chrétienne. Seulement, au lieu d'un seul individu auquel nous avons supposé cette pétulance d'esprit , plusieurs ce sont réunis pour en partager la culpabilité. Et quand la mesure a été comblée ,' ou dans la plénitude des tems, l'Etre in fini s'est présenté aux hommes comme Bédempteur, leur recommandant avant tout la douceur et l'humi lité. Ce sont les vices des hommes, et principale ment leur orgueil , qui ont forcé la Divinité à se déro ber à leur présence : et ce n'est qu'à l'époque mysté rieuse appelée par l'Écriture le milieu des Jours ou des années , c'est à dire , au moment où Funiver- salité des humains éprouvait le besoin de la solution des difficultés que nous avons mis dans la bouche de l'un d'eux, que le Créateur s'est reproduit; et cela avec l'appareil nécessaire pour maîtriser leur esprit aussi bien que leur cœur; car l'un avait autant besoin de réhabilitation que l'autre.
  • 40. 33 Il n'y aque ces considérations qui puissentjeter toute la lumière nécessaire sur la conduite de Dieu envers le genre humain, sur la marche, sur lé mode adopté pour sa réhabilitation, et jusque sur les expressions dont Dieu s'est servi en se manifes tant à eux. Dieu à toujours parlé, à la fois, à l'homme collectif, c'est à dire à l'homme en général , à l'universalité des Etres, et à l'individu; et ce qui ne se conçoit pas pour l'un, se conçoit très bien, appliqué à l'autre. CHAPITRE VI. Pourquoi: ou Nature de Tesprit philosophique. D'après ce que nous venons de voir, l'esprit humain est tellement fécond qu'il peut continuelle ment passer de la cause à l'effet et de l'effet à la cause ; car on sait qu'ils se transforment incessamment l'un dans l'autre, à mesure que l'on remonfe ou que l'on redescend dans l'examen d'une chaîne de vérités. L'homme , en discutant des vérités de morale ou de méthaphysique , peut poursuivre ainsi les chaînons à l'infini. Après chaque assertion il peut articuler un pourquoi. Si, dans les sciences exactes, on trouve toujours àla longue un axiome d'une évidence si frappante que tout pourquoi ultérieur devient ab surde, il n'en est pas de même des questions dont il s'agit; surtout quand on les considère dans le grand ensemble, ou le système complet qu'elles doi 2 *
  • 41. vent f ormer. Ici l'esprit orgueilleux peut continuer de scruter sans jamais s'arrêter, ne reconnaissant jamais pour évident ce qui parait tel aux autres. Que dis-je? l'esprit peut trouver des raisons pour infirmer ce qui lui avait paru évident à lui-même. Le miracle que l'on a vu de ses propres yeux , n'en sera plus un; si l'on veut, au bout de six semaines : on a mal vu; on a été trompé; on ignore toutes les ressources cachées de la nature. Une a pplicationde ces principes généraux à un cas particulier les rendra encore plus clairs, et fera mieux comprendre ce qui a été dit jusqu'ici. On sait que Jean-Jacques se plaignait souvent que Dieu ne. vînt point lui parler , comme il avait parlé à Moyse , aux prophètes et aux apôtres. Si Jean- Jacques avait réfléchi plus profondément sur la na ture de l'esprit humain , il en eût trouvé lui-même facilement la cause. Moyse , d'abord , vivait à une époque où Dieu avait des raisons d'agir sur l'uni versalité du "genre humain, qu'il n'avait plus du tems de Jean-Jacques; la suite des démarches divi nes développant le grand système de la Rédemption, depuis Abraham jusqu'à la mort de Dieu-homme , le prouve sans replique. Et il faut dire la même chose de tous les prophètes jusqu'aux apôtres ; car ils entraient tous dans ce plan. • Rien d e plus frappant ensuite que la différence de caractère entre Jean-Jacques et ces différents ser viteurs de Dieu. Moyse, entre autres, se rendit facilement , comme on sait , à tout ce que la voix
  • 42. 35 partie du buisson enflamme demanda de lui ; mais voyez quelles explications interminables Jean-Jac ques eût entammées avec cette voix ! quelle suite de pourquoi il eût entassés avant de se rendre , si tant est qu'il se fût jamais rendu! Qui est-ce qui me parle? eût-il demandé. Voilà qui est singulier, une voix en l'air , sans un corps d'homme d'où elle parte ! un buisson qui brûle et ne se consume pas ! c'est un vrai miracle*, c'est à devenir fou ! Pourquoi ne vous montrez-vous pas, vous qui me parlez? Qui êtes-vous ? — Je suis celui qui est ! — Oh ! voilà un grand mot ! il paraît meme profond ce mot ; je m'éditerai là-dessus : mais en attendant pourquoi ne me dites-vous pas clairement que vous êtes Dieu , puis que c'est bien cela que vous voulez me dire? Pourquoi n'ajoutez-vous pas que vous êtes le Dieu absolu ; afin que je ne puisse pas vous confondre avec tous les autres Dieux des nations, et vous croire seulement un Dieu un peu plus fort et plus puissant qu'eux? — Comment d'ailleurs me prouverez-vous ce que vous avancez? comment pourrai-je savoir que je ne suis point la dupe de quelque esprit de mensonge qui pourrait m'en dire tout autant? Ou b ien, en supposant , qu'entrant dans ses idées , Dieu se fût montré à Jean-Jacques , voyez quelles autres réflexions il eût ajoutées. Bien! se fût-il écrié: voilà maintenant quelque chose de plus humain qu'un buisson ; vous avez pris les traits de l'homme ; mais ces traits conviennent-ils bien à la
  • 43. 36 Divinité ? L'Etre infini peut-il se présenter comme un Etre fini? Peut-il prendre une forme? Ou si j'accorde, ce qu'il n'est guère possible de nier, que la forme humaine est géométriquement parlant la forme la plus parfaite , et par suite la forme indis pensable par laquelle un Etre sensible et intelligent puisse entrer en rapport avec un autre ; quelle rai" son suffisante aviez-vous de prendre telle nuance de figure plutôt que telle autre? — Bref, il est évi dent que les comment et les pourquoi de Jean- Jacques n'eussent jamais eu de fin. Et quelques singulières que paraissent toutes ces questions ainsi réunies , il est certain que Jean-Jacques les eût fai tes; non pas, il est vrai, en un moment; mais à la longue: ou du moins d'autres philosophes sub séquents les eussent faites pour lui. Le d éiste,en effet , qui ne croit pas que la voix de la conscience, combattant tous les jours ses mau vais penchants et le tourmentant malgré qu'il en ait, est la voix même de Dieu, ne le croira jamais d'au cune voix extérieure , quelque merveilleux que lui paraissent dans le premier moment des sons articulés se faisant entendre en l'air. Il n'y a que le héros de lÉvangile qui ait le droit d'être cru sur parole quand il se déclare le créateur en personne. A tout autre Etre , fût-il l'ange le plus resplendissant de lumière, le philosophe serait en droit de demander des preuves qu'il lui serait impossible de fournir. Ce n'est qu'en se personnifiant, ce n'est qu'en se montrant comme un de ses semblables , et le meil
  • 44. 37 leur de tous, que l'Etre infini a pu maîtriser l'esprit de l'homme , comme il a maîtrisé ses passions. Si du reste, peu de personnes ont eu comme Jean-Jacques la franchise d'avouer publiquement le désir orgueilleux que la Divinité vienne leur parler, le nombre de ceux qui ont pensé la même chose dans leur cœur sans le dire , est plus grand. Et à ceux là nous promettons que leurs vœux seront exaucés sous les conditions suivantes. Qu'ils écoutent d'a bord en tout la voix de leur conscience ; qu'ils dé fèrent d'abord aux bons avis d'un père , d'une mère, d'un maître éclairé , d'un véritable ami , autant de moyens indirects par lesquels le Seigneur s'adresse à eux (parceque le Seigneur souhaite autant que nous ayons des rapports d'amour et de reconnaissance entre nous qu'avec lui) ; alors il pourra aussi s'établir un rapport ou un entretien direct. En d'autres termes , pour s'entendre adresser la parole du Très- haut, il faut etre devenu assez humble pour n'être point scandalisé de son étonnante simplicité' : il faut s'être mis, en un mot, en état de la comprendre. Quand ces conditions sont remplies*, alors la possi bilité du rapport existe , et on peut le solliciter avec la confiance d'être exaucé ; quoique l'homme mo deste se persuadera toujours difficilement qu'il a réussi à remplir ces conditions. Si Jean-Jacques avait pu se persuader que Dieu est humble il était plus fait que qui ce soit pour reconnaître la Divinité absolue de Jésus-Christ ; car , lui que l'on a décrié
  • 45. 58 commè le plus odieux des incrédules modernes, était encore plus près du vrai christianisme que tous les philosophes ses prétendus disciples , et que la plupart peut-être de ses détracteurs. Mais la plus grande maladie du genre humain était cet orgueil qui dans ces derniers teins était parvenu à son apo gée : les savans et les philosophes marchaient en tête ; ils prêtaient leur propre morgue à la Divinité, et l'univers les suivant en masse , il était impossible qu'on se fit de Dieu aucune idée exacte. CHAPITRE VH. Si: ou les Conditionnels. La n ature même de la liberté de l'homme sup pose qu'il y a pour lui des futurs conditionnels. Tous les évènemens futurs qui ne dépendent pas de causes libres, il peut les prévoir avec certitude: une éclypse peut être calculée des milliers d'années d'avance. Les conjectures de l'homme ont encore prise sur les déterminations morales des Êtres dont le degré de liberté n'est point parfait ; et les proba bilités qu'il en peut tirer sur certains évènemens futurs de ce genre, peuvent approcher de si près de la certitude qu'elles lui en tiennent lieu. Ainsi il peut parier mille contre un , que , dans tel tems, telle occasion, tel ivrogne fera un excès; que tel homme colère s'emportera ; que tel avare fera une
  • 46. 59 petitesse ; que tel débauché se laissera entraîner à une bassesse ; ou bien que tel personne aux senti- mcns généreux fera telle action louable. Le com merce de la vie , les transactions civiles et politiques, ne reposent en général que sur cette base. Mais la science et. les conjectures de l'homme seront en dé faut chaque fois qu'il devra intervenir un agent assez libre pour dérouter ses prévisions. C'est alors que se forment les évènemens conditionnels, et que l'esprit scrutateur arrive à ces points où il est forcé de dire : si telle cause est posée , il en résultera tel effet; maisjusqu'à présentj'ignore si la cause sera réellement posée ou non. Ces points nous les appelerons des nœuds. Pour l'homme il y a beau coup de ces nœuds ; car sa vue est trés bornée quand il la porte sur les causes secondes non encore déve loppées; mais pour les esprits supérieurs, ils doi vent être en moins grand nombre, puisque pour eux les conditionnels se reculent d'autant qu'ils ont acquis plus d'expérience ou de perspicacité. Tout c elaest clair et évident, et n'exige ni développemens ni preuves ; mais on demande s'il y a aussi des futurs conditionnels pour Dieu: en d'autres termes , on demande si Dieu a pu, s'il lui a été possible, de donner, ou non, aux hommes une liberté telle , que lui-même ne pût plus prévoir jusqu'à quel point ils s'égareraient dans les routes du vice et de [erreur. Voilà la question que nous avons osé soulever , que peu de philosophes ont eu le courage de résoudre, comme nous, affirmative
  • 47. 40 ment , e tqui cependant nous parait d'une évïdenee géométrique comme toutes les autres questions aux quelles nous avons reconnu ce caractère. Pour q u'ily ait en effet à l'égard de Dieu des futurs conditionnels , il suffit que la liberté morale du genre humain soit parfaite dans son genre ; or qui peut nier qu'elle le soit? Ce caractère de la perfection est inhérent à sa nature. Chaque homme doit de toute nécessité arriver dans sa vie , plusieurs fois peut-être, mais une fois très certainement, à un point où sa liberté morale se mette en un équi libre parfait : Et alors il devient rigoureusement impossible, pour Dieu comme pour les esprits sub ordonnés, de savoir d'avance s'il se décidera pour le bien ou pour le mal. Dieu sera forcé de dire alors comme l'esprit créé: si telle résolution est prise par cet agent libre, elle sera suivie de tel effet. Mais prendra-t-il cette résolution? je ne puis le savoir, puisqu'il m'a plu de lui donner une li berté absolue. Donc il y a , même pour Dieu , des futurs conditionnels. Et que l'on ne pense pas que par là on re tranche quelque chose aux perfections et aux préro gatives de l'Etre des Etres ; car , d'un autre côté, même dans ce système , la science de Dieu ne de viendra en rien incertaine ; elle ne deviendra jamais conjecturale comme celle des hommes, qui, se décidant souvent mal à propos , s'exposent à l'er reur : elle sera conditionnelle purement et simple ment, quoique toujours infiniment certaine. Et
  • 48. puis, s idans l'hypothèse d'une liberté parfaite, la prévision certaine devient métaphysiquement im possible , impossible comme le sont les impossibilités géométriques et mathématiques , il devient par là même absurde de réclamer une prérogative pour quelque esprit que ce soit , pour Dieu comme pour tous les autres. Dieu lui-même , dans ce cas , n'a voulu , et ne veut prévoir les résolutions de l'homme que conditionnellement. Et personne sans doute n'a le droit de lui dire : Pourquoi cela ? Il est assuré ment bien le maître de faire une telle disposition. Je voudrais le voir ce philosophe , ce métaphysicien ou ce théologien assez hardi, pour oser soutenir qu'il ne la pas pu , et que cela n'a pas dépendu de lui. Cette impossibilité pour Dieu de percer au delà de ces sortes de futurs conditionnels , nous le répétons , ne vient que de cette bonté , de cet amour immense , avec lequel il a accordé à ses créatures sensibles une liberté si entière, si parfaite, si abso lue, que lui-même ne pût plus prévoir toutes les résolutions qu'il leur plairait de prendre. Dans cette grande question , le philosophe se trouve nécessaire ment entre deux difficultés opposées ; il faut , de toute nécessité , qu'il retranche ou à l'amour , ou à la science de la Divinité , et il n'y a pas à balancer; entre deux inconvénients on choisit le moindre. C'est Dieu qui a mis son amour au-dessus de toutes ses autres perfections; ce n'est point nous ; ce n'est point à nous à nous en plaindre; ce n'est pas à nous à porter pour cela une main téméraire sur sa liberté,
  • 49. 44 Nous a jouteronsseulement encore ici, qu'en faisant l'application de cette question des futurs conditionnels à Dieu-homme, ou Dieu-Rédempteur, l'esprit , de nouveau , demeure plus vite et plus faci lement satisfait, qu'en l'appliquant àDieu infini et ab solu. En entendant, en effet, le héros de la croix déclarer qu'il a prévu la conduite morale du genre humain aussi longtems d'avance qu'il [a voulu, on ne sera guère tenté de lui faire des questions ultérieures. Mais i lest surtout intéressant, pour chacun, de faire l'application de la question des futurs lihres à sa propre destinée, ou à celle de quelques uns de ses contemporains. Aucune considération n'est plus propre que celle-ci à nous rendre indulgens envers tout le monde; et nous enverrons ce peu de mots en avant, comme pierre d'attente pour notre chapitre sur la Tolérance. On peut dire, par exemple, si tel philanthrope connu, de l'Europe, fût né en Amérique , il eût été un anthropophage. Si tel misérable qui expie sur l'cchafaud un effrayant attentat, eût vécu vingt ans de plus, il eût réparé tous ces torts et eût reconquis l'estime de ses concitoyens. Si tel mendiant était né avec tant soit peu de fortune, il eût été le bienfaiteur du genre humain. Si tel homme solide et vertueux que l'on présente comme un modèle au public, fût né simplement avec un certain degré de faiblesse du cœur, il serait mort en Grève. Si moi-même je venais, encore aujourd'hui, à me trouver dans
  • 50. telles c irconstancesmalheureuses, dans tel embarras de famille, dans telle détresse de fortune, si j etais entrainé par une simple imprudence, par l'amour, ou par l'amitié, dans telle intrigue, je deviendrais un faussaire , un homme dont l'histoire ne pronon cerait un jour le nom qu'avec horreur. Il y a certes de quoi devenir humble et modeste, quand on pense que la bonté est souvent voisine de la faiblesse , et quelafaiblesse esttouslesjours àlaveille de commet treun crime. Ily a de quoi devenir humble et modeste, quand on pense que quelques écus de plus ou de moins dans la poche , que dis-je? des circonstances plus insignifiantes encore , un regard , une prome nade, un mot, peuvent changer entièrement notre destinée sur la terre! Mais il-y-a de quoi trembler, pour ceux dont le système de morale et de religion n'est point encore développé ni entièrement arrêté ; car ceux là vivent tout-à-fait au jour le jour , et ne peuvent jamais assurer ce qu'ils feront ni ce qu'ils seront le lendemain. O ciel ! quand je me rappelle lestourmens, les peines d'esprit , qu'il faut souvent endurer pour parvenir à la vraie foi , je ne puis envi sager qu'avec une profonde commisération , ces per sonnes du monde , ces prétendus philosophes qui se font un trophée de leur incrédulité en fait de christi anisme; qui se donnent si ingénument à eux-memes le brevet d'hommes d'esprit, et plaisantent avec tant d'agrément sur toutes les questions sérieuses de ce genre ! Que de souffrances , me dis-je , il vous fau dra encore endurer ! que de chagrins , que d'humi
  • 51. 46 liations à dévorer! quels déchiremens de l'âme à subir, avant que vous soyez mûrs pour l'éternité! Il y a d esindividus si étrangement nés, si singulièrement constitués , offrant un mélange si bizarre de faiblesse , de grandeur d'âme , d'apathie, d'éxaltation, un mélange, en un mot, de tant de bonnes et de mauvaises qualités, de tant de vices et de vertus, qu'il leur faut absolument passer par les épreuves les plus terribles avant de parvenir à la première condition de tout perfectionnement moral, à la connaissance d'eux-memes. Bien des malfaiteurs se sont crus les meilleurs des mortels, jusqu'à ce que leurs crimes les ont conduits à l'échafaud ; ce n'est qu'alors qu'ils se sont dit avec surprise: Tu n'es qu'un monstre! D'autres ont été obliges de monter sur des trônes pour reconnaître tout leur orgueil , toute leur ambition, aussi bien que le néant des choses humaines. CHAPITRE VIII. Les Degrés. Tout d ansla nature a certains degrés , et tout développement se fait par progrés insensibles. C'est une loi générale pour toute la création. Voyez les plantes, les métaux et les minéraux: il faut toujours un certain laps de tems pour amener leur formation; et cette formation a lieu d'une manière tout-à-fait
  • 52. 47 inaperçue. Quoique certaines plantes se dévelop pent avec une telle rapidité, dans certains momens favorables de l'année, qu'elles puissent croître quatre à cinq pouces par jour, et s'avancer presque à l'unisson avec l'aiguille d'une montre , on n'est point parvenu néanmoins à suivre leur développement im médiat, même à l'aide des meilleurs myeroscopes. Nous n'exceptons pas memes ici les plantes appelées Oscillatoires , dont les mouvemens indiquent plutôt, qu'ils ne font voir la croissance. Tout ce que l'on a pu apercevoir clairement, c'est la circulation de la sève dans certaines plantes aquatiques. Or il en est de même du règne moral, si on me permet cette expression: Les progrès de l'homme dans le bien et le mal sont également insensibles. Jamais un scélcrat ne se forme du soir au lendemain, il faut probablement plusieurs générations pour pro duire des monstres tels que ceux qui. effraient quel quefois la terre, comme il faut que la matière électrique s'accumule pendant plusieurs jours pour amener un orage. Et les vertus doivent croitre encore plus lentement que les vices , la pente du vice parmi nous, étant en général devenue rapide, et le sentier ce la vertu difficile et escarpé. Il e stvrai , comme nous l'avons déjà remarqué , qu'il y a dans la vie de ces époques précieuses , où l'homme arrive tout à coup à la découverte de quel que grand principe qui peut servir de levier moral , et qui devient , en effet , entre ses mains un levier assez puissant pour régler la plupart de ses démar- -
  • 53. 48 ches, e tmême de ses pensées et de ses sentimens. On serait tenté de croire alors que cet homme dût devenir aussi en un instant un homme tout nouveau; et lui-même croit quelquefois que cela ne peut man quer d'être le cas; néanmoins encore ici il faut recon naître un progrès moins saillant qu'on pouvait l'es pérer. Peu à peu l'esprit de cet homme, rayon nant, comme le soleil, dans tous les sens, vers le ciel comme vers la terre , ses passions le' tirant en même tems de tous côtés, il finit par trouver un contrepoids à toute espèce de force qui l'entraine. Ce penseur même qui dans toute la force de l'âge, et à force de philosophie , parvient comme il arrive quelquefois de nos jours, à reconnaître le Créateur du ciel et de la terre dans l'Être humble et mystérieux qui s'est montré sur notre globe , et qui croit do rénavant être capable de tous les sacrifices sous un tel chef, ce penseur là même se trouve souvent, à son grand étonnement, aussi faible et aussi im parfait qu'auparavant: l'état d'énergie qu'il à éprouve n'a duré qu'un tems, le vague est revenu peu a peu par les efforts qu'a faits son esprit pour flatter encore ses passions, et l'équilibre s'est presque ré tabli. Dans ces occasions , souvent, quand l'homme ne trouve plus d'autres raisons , il va jusqu'à mettre à contribution la bonté même et l'amour infini du Créateur, pour se donner sur certains points une plus grande latitude. Une telle disposition dans l'économie du salut a, je l'avoue , de quoi sur prendre dans le premier moment ; mais avec un peu
  • 54. 49 de r eflexionon trouve qu'elle aUssi est dans la nature des choses , et qu'il ne devait ni ne pouvait en être autrement. Ce n'est qu'avec le tems , que l'homme arrive à cette espèce de sabbat , ou d'état de repos , où l'orage de ses passions et de ses pensées s'ap- paise ; quoique , encore après cette époque , le balan cement des vagues doive se faire sentir, puisque la vie consiste nécessairement dans le mouvement, dans l'action, et que lorsqu'il n'y a plus progrès réel, il faut qu'il y ait du moins encore variété pour que l'esprit y conçoive autre chose que la mort. On s efourvoie bien souvent dans les raisonne- mens philosophiques sur l'état, ou le progrès moral du genre humain, quand on ne fait point assez d'attention à ces grandes vérités. L'un deman dera, pourquoi, si le christianisme est une insti tution divine, et son auteur le Créateur en per sonne, la moralité de l'univers n'a pas encore fait des progrès plus rapides et plus apparents. Un autre fera la même question comme individu: Pourquoi, s'écriera-t-il , ne suis-je pas capable de marcher sans broncher dans les voies de la per fection sous ce guide divin? Et il se découragera. Tout cela tient à la nature même de la liberté. Dieu n'y saurait rien changer. L'homme moral se développe par progrès insensibles comme l'homme physique. La vie corporelle est le type de la vie spirituelle. Et quand le christianisme ne ferait qu'un pas tous les siècles, quand il n'avancerait 5
  • 55. 80 que d 'un degré tous les mille ans , il ne faudrait pas s'en étonner. En s eplaçant à cette hauteur , on est surpris de voir les philosophes raisonner comme ils ont fait souvent sur le meilleur des mondes. Demander si le monde tel que nous le voyons, est le meilleur des mondes possibles, c'est demander si un fruit qui n'est point parvenu à sa maturité est le meilleur des fruits. Ce n'est évidemment qu'en y joignant la loi du développement graduel, que l'assertion de Pope , Tout est bien , devient une vérité. A savoir ensuite si par le fait notre monde deviendra jamais le meilleur, c'est une question analogue: Il en est de lui sans doute comme des individus; il pourra se perfectionner éternellement. Et s'il est vrai que le genre-humain, lui aussi, arrive à son sabbat, ou à son jour de repos, il faut encore qu'il y ait pour lui variété dans le bien et le bonheur, s'il n'y a plus progrès proprement dit. Dans le ciel même il faut que les évenemens arrivent encore successivement, qu'il y ait pour ainsi dire histoire, et que celle de la Rédemption , par exemple , se développe sans fin, pour que l'on conçoive la vie, le mouvement et le bonheur des sociétés éternelles. A L'Etre i nfini,ou absolu, seul, est placé en déhors ou au-dessus du progrès cl du changement ; l'homme et l'univers sont seulement appelés à se rapprocher peu à peu de cet état de perfection, et à s'en rap procher éternellement sans l'atteindre.
  • 56. 51 Ces d egrésdont nous parlons , et qui peuvent servir à rectifier un grand nombre de nos idées dans les questions de morale ou de métaphysique , comme dans toutes les autres, se retrouvent partout. On peut ainsi distinguer des degrés dans Yâme humaine, ou dans le moi, parcequ'il y en a dans la vie, et que chaque âme ou moi, n'est qu'un degré de vie. Le moi d'un enfant qui vient de naître est certainement moins développé que celui d'un homme de trente ans. Le moi d'un homme instruit est plus développé que celui d'un idiot. Il y a une différence immense entre le moi divin , le 77ioi universel-, qui est Dieu , et le moifini d'un homme créé à son image. Il n'est pas jusqu'aux animaux qui n'aient un degré du moi ; car, se sentir exister, en est le premier développement, Qu'est-ce, en effet, qui constitue le moi individuel d'un homme ? Ce n'est certes ni son nom , ni son corps, ni un acte isolé de sa vie qui fait qu'un homme est un tel; mais l'ensemble de toutes les pensées qu'il a eues et des sentimens qu'il a éprou vés, l'ensemble de toutes ses démarches, depuis sa naissance, et qui l'ont engrené de mille manières dans la société , qui constituent ïindividualité de son moi. Considéré , nous ne saurions le nier , dans son essence métaphysique (pour ceux du moins qui savent ainsi considérer un moi), le moi n'a plus de degrés, et tous les 77101 se ressemblent; mais alors aussi ces spéculations deviennent absurdes.
  • 57. 9» C'est comme si quelqu'un avançait que tous les points mathématiques se ressemblent. Deux moi, comme deux hommes , parfaitement sembables , se raient deux Etres bien insipides l'un pour l'autre: ils n'auraient point un mot à se dire. Cette con sidération fait toucher au doigt la nécessité absolue de cette variété dont nous parlions tout-à-l'heure , nécessaire encore dans le ciel, pour le bonheur de ses habitans, comme elle l'était sur la terre. Et cette variété éternelle proviendra nécessairement de celle que l'on remarque déjà ici-bas dans les dif férents caractères des individus. Les nuances ne sauraient disparaître. Il est probable , par exemple, qu'un individu humain qui aura été orgueilleux, formera un esprit supérieur d'un caractère analogue , et qu'il continuera à exprimer ses idées et ses sen- timens d'une façon particulière, peut-être plus énergiquement que les autres ; tout comme un esprit humble s'exprimera avec modestie, un esprit doux avec amour et affection. Le criminel lui-même mê lera dans ses discours , surtout quand il sera question de la miséricorde infinie du Seigneur, quelque chose de plus touchant, de plus pénétrant que celui qui ne sera pas tombé dans les mêmes égaremens. La l ibertéa aussi ses degrés: elle n'est pas la même chez l'homme moral et chez l'homme immo ral; car l'un en a fortifié le ressort, l'autre l'a af faibli. Elle n'a pas le même degré chez les enfans du même âge, quoique ayant reçu une éducation parfaitement semblable ; car, ainsi que nous l'avons
  • 58. — ss dit , chaque individu ne naît pas plus avec des dis positions morales semblables à celles des autres, qu'il ne naît avec le même degré de beauté corpo relle , ou avec les mêmes talents et les mêmes apti tudes pour les diverses branches des sciences et des arts. Pour l edire en passant, cette latitude, de pou voir distribuer la culpabilité, comme le mérite des individus, sur un certain nombre de leurs ancêtres et de leurs contemporains, cette latitude, disons-nous, soulage le cœur du moraliste, quand il considère ces crimes horribles que la perversité d'un seul semblerait ne pas pouvoir expliquer. Les anciens, comme on sait, allaient plus loin encore, et attri buaient a l'influence des esprits dégradés, une partie de la malignité des crimes commis ,- tout comme ils expliquaient par despossessions les manies , les folies, et certaines maladies singulières. Et certes, leurs persuasions à cet égard étaient pour le moins aussi philosophiques que celles de nos matérialistes mo dernes, qui prétendent pouvoir rendre raison de tout par quelques fibres du cerveau. Nous revien drons sur ce sujet. Il y a e nfindes degrés dans [amour, et par- conséquent dans le bonheur, deux sentimens étroi tement liés. Nous ne parlerons pas de l'amour infini considéré dans le Créateur, l'esprit humain ne saurait le concevoir. Pour nous, le sentiment de l'amour est nécessairement fini ; cela tient à notre nature d'êtres créés. Ce qu'éprouvent ici-bas les
  • 59. 54 cœurs s ensiblesprès de l'objet aimé, est probable ment assez voisin des limites du possible dans cette partie. Il est seulement à croire qu'avec le tems il faudra que nous parvenions à ce degré de per fection, que nous n'éprouvions plus ce sentiment ineffable qu'en présence du beau moral, tandis qu'au jourd'hui malheureusement l'extérieur physique est surtout ce qui nous charme : et on voit par là combien peu, avec notre prétendue bonté de coeur, nous som mes ce que nous devrions être , et combien la vraie réhabilitation est difficile. Pour c equi est de l'amoUr de Dieu ordinaire , ce n'est que dans la personne de Jésus-Christ que nous pouvons véritablement,le concevoir ; car il n'y a dans la nature qu'un Etre personnel, ou plutôt, une personne, que l'on puisse réellement aimer. Tout ce qui est impersonnel glisse sur la super ficie de notre cœur sans l'échauffer. Il n'en fautA pas même excepter l'Etre des Etres, qui considéré dans son essence métaphysique, est impersonnel pour nous. L'idée même de dire qu'on peut aimer autant l'amitié qu'un ami, un pire en général autant que son père , ou l'idéal d'une parfaite épouse autant que son épouse , est absurde. Il en faut donc dire autant de laDivinité, ou de l'Etre absolu, qui n'est rien pour nous s'il n'a contracté avec nous des rapports personnels d'amour et de reconnaissance. Comme Créateur , Dieu ne nous a aimés qu'au point de dire en notre faveur : que la terre soit; tandis que comme Rédempteur, il nous a aimés jusqu'à la mort, et
  • 60. 55 jusqu'à la mort de la croix ! — Que la philoso phie, que le déisme, nous montrent une autre manière de parvenir à connaître, à apprécier, à éprouver l'amour de Dieu, que l'incarnation, et nous cesserons d'être chrétiens. — L'amour dont a fait preuve le héros de la croix est réellement le seul amour divin, aussi bien que le plus grand conce vable. Jésus-Christ l'a déclaré lui-même : Personne n'a un plus grand amour que celui qui donne sa viepour ses amis. Comme Rédempteur , Dieu nous a aimés jusqu'à désirer avec ardeur ce baptême de sang que lui avait préparé la perversité du genre humain, mais qui devait rendre le genre humain attentif à sa dégradation ! Dieu Rédempteur nous a aimés jusqu'à comparer le jour de sa mort à celui de ses noces! Que dis-je? Dieu Rédempteur, nous a aimés au point que cette mort épouvantable fut pour lui la jouissance d'une mère qui a le bonheur d'arracher son fils aux flammes, en s'y précipitant elle-même. Et on pourrait demander où est le mérite de son sacrifice , si l'amour avait besoin d'autres titres que lui-même pour exiger le retour le plus tendre de tout ce qui a un cœur. Encore une fois, que la philosophie, que le déisme, cherchent les mêmes motifs d'amour, les mêmes titres à l'amour , hors du Dieu incarné; nous osons dire qu'il y a impossibilité absolue d'y réussir, et absurdité à le tenter. Et qu'on le remarque bien , nous ne parlons même pas ici de ses exemples divins, des exemples encourageants et indispensables
  • 61. S6 de v ertuqu'il nous a donnes, et que l'on chercherait aussi vainement ailleurs. Quant aux degrés du honneur il en faut rai sonner de même: nous ne connaissons pas le degré suprême du honneur; parceque notre cœur est fini, et que le honheur est en raison de l'amour. Ceux qui ont aime savent seulement que l'amour a diffé rents degrés , et ils en infèrent que le bonheur en a de semblables. Quoiqu'il en soit , le bonheur éternel des esprits bienheureux dans le ciel serait déjà assez désirable quand il ne remplirait le cœur qu'au point de ne lui laisser désirer rien de plus; degré de bonheur dont notre terre elle-même nous donne quelquefois l'idée, soit au sein de l'amitié, soit dans le sanctuaire de l'amour conjugal, le plus pur et le plus vif dont nous puissions nous faire une idée, et au-delà duquel il n'y a peut-être plus rien. Dans t ousles cas, si pour les créatures , l'amour a réellement des bornes, parvenu à son plus haut période, il se ranimera alors comme la flamme, par son propre mouvement; il se balancera éter nellement entre sa plus grande et sa plus petite intensité : le tableau aura ses ombres , et les plaisirs de l'hiver rajeuniront éternellement ceux du printems.
  • 62. «7 CHAPITRE IX. Action de Dieu sur ses créatures. On p eutse faire une idée maintenant des diffi cultés que peut présenter la question de l'action de Dieu sur ses créatures. Celle sur les agents libres surtout, a été regardée par bien des philosophes comme insoluble. Avec nos principes , toutefois , nous sortirons de ces difficultés, et cela plus simple ment que ces théologiens dont les infolios sur les innombrables espèces de graces qu'ils ont inventées, offrent à peine une page digne d'être lue par un homme de bon sens. L'action d e Dieu sur ses créatures peut être considérée comme s'exerçant sur la nature morte, sur la nature animée, et sur les intelligences libres. Voyons d'abord son influence sur la nature morte ou sur la matière. La c réation en général paraît une chose suffi samment intelligible, quand on reconnait que Dieu crée la matière comme notre esprit crée les pensées. Le Créateur , par la force de sa volonté , revêt d'un corps réel , ce qui chez nous ne reste qu'une image fugitive et vague, ou plutôt, ce qui chez l'homme même prend quelquefois du corps, ainsi qu'il arrive dans le songe et l'extase ; car il y a une différence évidente entre nos pensées de l'état de veille , et les images qu'offrent nos songes de la nuit, quand nos organes matériels se trouvent engourdis. Il est vrai 5 *
  • 63. 38 qu'alors nous ne savons au juste qui forme en nous ces images substantielles , et qui ont toutes les qua lités des corps, au point de n'en pouvoir être distin gués; nous ne savons si c'est notre esprit lui-même qui les produit, si ce sont des esprits supérieurs qui nous les communiquent, ou s'il faut remonter jusqu'à la vertu créatrice primitive pour les expliquer. Ces trois manières d'en rendre raison sont peut-être égale ment vraies, selon les divers tems et les diverses occasions. Quoiqu'il en soit, ce phénomène, ap précié comme il doit l'être , suffit pour nous rendre l'idée de la création aussi intelligible que cela est nécessaire. Nous ajouterons seulement, que, pour Dieu , conserver n'est autre chose que créer conti nuellement. C'est notre propre faiblesse qui nous avait fait supposer si longtems que Dieu crée, en un tems, les objets qui doivent subsister dans les tems subséquents, comme si Dieu n'était pas le Dieu de tous les tems. La création s'effacerait nécessaire ment comme nos pensées, si Dieu ne la soutenait sans cesse par sa volonté toute puissante. Le monde des esprits, le ciel des anges, ou le paradis , comme vous voudrez l'appeler , est réalisé de même par la pensée éternellement efficace du Créateur. Aussi ne concevons-nous d'autre diffé rence entre ces deux espèces de mondes, que la diversité des lois d'après lesquelles Dieu agit sur l'un et sur l'autre. Dans le monde spirituel le Créateur se sera seulement réservé une plus grande mobilité des tableaux substantiels qui entourent les hommes
  • 64. 59 esprits , et qui, dans un mouvement presque conti nuel, suivront les modifications morales des Etres qu'ils entourent; tandis que dans le monde naturel, que nous appelons matériel, tout reste glacé, fixe et mort, les objets divers y étant soumis presque unique ment aux modifications lentes que l'homme, dans l'exercice de sa liberté, juge à propos de leur im primer. La mobilité seule des images substantielles nous les a fait juger moins réelles que la matière , et nous a portés à les appeler immatérielles. Il est certain néanmoins que la forme sous laquelle un esprit pur apparaît, bien que invisible et intangible dans notre état terrestre , devient visible et tangible dans le songe et l'état extatique, qui ne diffèrent que comme le plus et le moins; et cette forme ne saurait absolument être autre chose qu'un ensemble d'organes en tout semblables aux nôtres , sans même en excepter la solidité, ou l'apparence de la solidité; de même que les objets qui l'entourent, ne sauraient différer essentiellement de ceux que nous voyons dans la nature ordinaire. L'action d eDieu sur les animaux se conçoit également très bien dans notre système, et n'offre rien de choquant ni de contradictoire, quand , comme nous l'avons fait , on admet des degrés dans le moi, ou ce qui est la même chose , des degrés de vie; et quand d'ailleurs on suppose cette action plus ou moins médiate , ou exercée par des Etres inter médiaires. L'idée de ce théologien, qui disait les bêtes animées par des diables , n'était peut-être pas
  • 65. 60 aussi s ottequ'il la supposait lui-même: je ne m'op pose pas du tout à ce que l'on fasse influencer les bêtes féroces par des esprits méchants, pourvu que les affections bonnes , que nous remarquons chez d'aut res animaux, lesquels n'en déplaise à leur prétendu roi en ont souvent de meilleures que lui , soient attribuées à l'influence d'esprits bons. Nous agissons sur les animaux par des moyens matériels , et même par le langage qui en est déjà très éloigné ; les es prits purs agiront sur leurs instincts par l'énergie même de leur volonté, comme un magnétiseur agit sur ses somnambules: il n'y a rien là qui répugne. Passons m aintenant à l'action de Dieu sur les hommes. On la peut partager en deux espèces, savoir , cette action générale par laquelle Dieu les fait incessamment penser et sentir, en leur donnant en même tems la conscience que c'est eux qui pen sent et sentent; et son action sur leur moralité. La première de ces actions nous l'appelons indirecte, parceque l'homme peut croire que ses pensées et ses sentimens sont de son propre crû, ainsi que cela était nécessaire pour que sa liberté individuelle fût parfaite. La seconde nous l'appelons action de Dieu directe, parce qu'alors Dieu agit comme un Etre distinct , placé à côté ou en regard de l'homme. La première espèce d'action de Dieu sur nous est plutôt obscure qu'inconcevable ; des conséquences forcées tirées de la nature de Dieu et de la nôtre nous condui sent à la reconnaître. La peine que nous éprouvons quelquefois à nous rendre présens certaines idées et
  • 66. 61 certains s entimens, et à en éloigner d'autres qui nous assiégent malgré nous, mais surtout laconscience morale qui se met quelquefois en opposition formelle avec notre moi pour nous ramener sur une meilleure voie , prouvent assez que nous ne sommes point les seuls maîtres , que nous ne sommes point les maîtres absolus de nos pensées et de nos sentimens. Mais une dissertation plus approfondie sur ce sujet serait du tems perdu. Chacun peut observer très bien par lui-même ce qui se passe dans son intérieur. Nous avons d'ailleurs expliqué plus haut quelle est la nature de notre liberté. L'action de Dieu sur la moralité du genre humain est la seule qui nous intéresse ici : et cette action doit être réduite tout simplement aux instructions directes données aux hommes dans l'Ecriture sainte, et aux exemples personnels de Dieu Rédempteur , qui a vécu et agi parmi nous , pour nous faire voir comment nous devons vivre et agir , et qui s'est ainsi mis à la tête de la famille éternelle , afin que chacun puisse le connaître , s'attacher à lui et le suivre. Par là tou tes ces graces mystérieuses de la théologie scholasti- que sont écartées , et la doctrine chrétienne devient aussi claire que les plus simples transactions de la vie ordinaire. Ne pouvant ni ne voulant contraindre en rien notre libre volonté , qui malgré la voix ami cale de la conscience s'était portée décidément au mal , il ne restait absolument à'Dieu que l'efficacité de son propre exemple. Par là seulement il pouvait nous entraîner sans nous contraindre ; et c'est aussi
  • 67. le moyen qu'il a employé. Les expressions mysti ques du prix du sang de Jésus-Christ et du mérite de ses tourmens , représentés par l'ignorance comme satisfactoires en eux-mêmes , n'ont fait que dérouter l'univers. On n'a plus rien compris à la Rédemption dès que l'on est sorti de l'influence toute naturelle et toute simple des exhortations et des exemples du Seigneur. -Aussi la Rédemption ou la restauration morale du genre humain ne s'est-elle pas bornée au tems de l'apparition de la Divinité sur notre globe , autems de la personnification de l'Etre infini parmi ses créatures intelligentes et sensibles. La Rédemp tion a commencé avec les premières démarches de Jéhovah , ou Dieu éternel, infini et invisible , rap portées dans la Genèse ; et elle s'est continuée depuis la mort de Dieu-homme , non-seulemént sur notre terre, où cette grande œuvre se poursuit avec tout le succès que la libre volonté des hommes lui per met ; mais surtout dans le séjour éternel , où le nouveau Boi du genre humain reçoit, touche, in struit chacun de ses enfans à mesure qu'il se trans forme, lui assignant la carrière qu'il doit doréna vant poursuivre, et lui marquant la place qu'il doit tenir dans la chaîne des Etres. Une p artiede la Rédemption , d'un autre côté, a été nécessairement abandonnée aux Etres intelli gents eux-mêmes, sous la direction de leur chef suprême; parce que le mérite et la joie de ramener leurs frères devait rester à leur disposition. Tout individu qui réussit à procurer le moindre bien
  • 68. 65 moral à un autre , en reçoit la récompense , d'abord indirectement, de son propre cœur, par la conscience d'avoir fait le bien; puis directement on extraordi- nairement, par les mains de Dieu-Rédempteur dont tous les rapports avec nous sont directs. Celui qui retire son frère de l'ignorance et du vice , pour le rendre à la vertu et à la piété , le ramène triomphant au pied du trône de l'Eternel. Chaque homme en particulier est ainsi appelé à être l'apôtre de ses semblables. Les douze collaborateurs que Dieu-Sau veur s'est adjoints pendant sa vie mortelle , n'étaient que le type de l'universalité des Etres appelés à se réformer entre eux. Déja sur la terre s'offre le spectacle d'hommes consacrés par état au bien moral de leurs semblables , quoique le feu céleste se soit souvent changé entre leurs mains en feu infernal : des efforts plus purs se font sans doute derrière le voile qui nous dérobe les scènes du monde des es prits. Et sur notre malheureuse terre aussi , il faut l'espérer , on comprendra enfin mieux le véritable esprit du christianisme. Un autre genre d'occupa tions éternelles que celui du perfectionnement géné ral et mutuel , un genre d'occupations plus digne et plus convenable pour des Etres intelligens et sen sibles, dont la vie consiste nécessairement dans l'action, n'est point concevable, n'est point dans l'ordre des choses possibles. Non seulement , nous le répétons, les hommes transformés et passés à la nature d'esprits purs , doivent pouvoir agir les uns sur les autres ; mais ils doivent encore pouvoir in
  • 69. 64 fluencer, jusqu'à un certain point, leurs semblables restés sur les globes matériels. Le grand ensemble de tous les Etres de la création l'exige. Le monde spirituel , placé , comme la pensée , hors du tems et de l'espace , et incomparablement plus habité que les mondes matériels qui lui envoient tous les vingt ans leurs générations , devient ainsi le lien de tous les globes. Aucun de ces globes n'est isolé , aucun ne flotte seul dans l'immensité. Tout se tient , toutA se donne la main ; et l'Etre suprême demeure en relation avec toutes les sociétés et avec tous les indi vidus ; il demeure le modérateur suprême de toute sa création. L'ordre éternel l'exigeait ainsi, quand bien même les sociétés d'Etres sensibles se multiplie raient éternellement , ou plutôt , par la raison même qu'elles se multiplieront pendant toute l'éternité. Et e ncore ici, quoique l'idée d'une action aussi étendue et aussi compliquée sur toute la création par un Etre unique, soit accablante pour l'esprit humain , nous concevons encore mieux cette action en la faisant dériver de Dieu-homme , qu'en l'attri buant à ce même Etre adorable considéré dans son essence métaphysique et infinie. La raison, bien consultée, nous dit, en effet, que ce n'est pas en qualité de Créateur infini, invisible et inaccessible que Dieu a pu se mettre à la tête de ses créatures intelligentes et aimantes , entrer dans leur mouve ment, les influencer et les maîtriser y mais bien comme roi du Calvaire, ayant un roseau pour sceptre et une épine pour couronne , roi différent
  • 70. des r oisde la terre , qui ne l'est que par la vertu et ne régne que par l'amour. CHAPITRE X. Connaissante des choses futures. Deux q uestionsse présentent ici : Est-il dans l'ordre des choses possibles que les événemens futurs soient connus ? Est-il avantageux pour l'homme de les connaître ? Personne n'a jamais révoqué en doute la possi bilité de pénétrer plus ou moins dans la connais sance des événemens futurs. Tous les philosophes ont admis que Dieu les' connaissait. On m'aura même trouvé hardi en me voyant avancer qu'à l'é gard de certains événemens la prescience de Dieu ' devient conditionnelle, quoique demeurant toujours parfaitement certaine; mais on ne doit jamais reculer devant ce que la raison nous enseigne clairement; la raison vient aussi de Dieu. L'homme armé de cette simple raison connait" un grand nombre de choses futures. Il prévoit, comme nous l'avons dit , avec certitude , tous les événemens naturels qui dcpendent de lois physiques connues. Il connait avec une probabilité qui se s rapproche de la certitude , et qui lui en tient sou vent lieu , les événemens moraux , civiles et politi ques que le tems doit faire éclore. Ce n'est point des futurs de cette espèce qu'il est question ici. Mais
  • 71. on a é téforcé d'admettre un autre ordre de choses futures , celles qui ne peuvent en aucune façon être soumises au calcul humain , et qui pourtant ont été souvent prévues et prédites. L'histoire prouve trop clairement que certains individus ont joui du don singulier de la connaissance des futurs libres , pour qu'il soit permis au philosophe de le nier. L'existence des vrais prophètes, celle même des faux, suffit pour le prouver : " car ces derniers n'étaient point appelés faux parce qu'on ne leur reconnaissait au cune connaissance des choses futures, ou cachées, mais seulement parce qu'ils n'employaient point leur art selon l'ordre de Dieu. En un mot, les écoles de prophètes si nomhreuses anciennement chez les Juifs et les autres nations de cette époque , les oracles , les mystères des anciens temples, l'état extatique provoqué , connu généralement , même chez les sau vages , et retrouvé récemment parmi nous , sont une preuve évidente de la possibilité où est l'homme de pénétrer dans la connaissance d'autres événemens que ceux soumis au calcul *). Comment ces sortes *) Dans les œuvres choisies et posthumes de Laharpe (Migneret 1806, 4 vol. in 8°), on lit la relation . suivante, imprimée sur un manuscrit de la propre main de Laharpe, mais que nous retraduisons de l'allemand , de Stilling , n'ayant pas le texte français à notre disposition. „Le s ouvenirde cette scène extraordinaire," dit le célèbre professeur, „est encore tellement présent à ma mémoire qu'il me semble qu'elle a eu lieu hier: toutefois elle date de 1788. Nous
  • 72. 67 de communications peuvent-elles être expliquées? Le voici. En c réantune société d'Etres sensibles et libres, qui doivent trouver leur bonheur dans la vie , c'est étions à table chez un de nos collègues à l'aca démie, homme de qualité et de beaucoup d'es prit. (Très probablement le duc de Choiseul.) La société était nombreuse et bien choisie. Il y avait des personnes de tous les rangs, des courtisans, des magistrats, des savans, des aca démiciens, etc. On avait pris part à la joie d'un repas splendide et bien ordonné. Au dessert, le malvoisie et le Champagne avaient encore augmenté la gaieté, et répandu parmi les con vives cette espèce de liberté qui ne se tient pas toujours dans de strictes bornes. On é taitvenu alors dans le monde à ce point où il était permis de tout dire, pourvu que l'on réussit à faire rire. Chamfort nous lut quelques uns de ses contes impies et dissolus, et nos dames comme il faut, elles-mêmes, les en tendirent sans avoir recours à leur éventail. Cette lecture fut suivie d'une explosion de plai santeries sur la religion. L'un citait une tirade de la Pucelle; un autre rappela les vers de Diderot où il %st dit qu'ilfaut pendre le dernier1 des rois avec les boyaux du dernier des prêtres; et tout le monde applaudit. Un troisième se lève, et, le verre en main, s'écrie: Oui, Messieurs, je suis aussi sûr qu'il n'y a point de Dieu que je suis sûr que Homère était un fou. Il était en effet aussi sûr de l'un que de l'autre: on avait justement parlé de Dieu et d'Homère, et l'un et l'autre avaient trouvé quel ques convives qui avaient cru pouvoir en dire du bien. La c onservation devint plus sérieuse. On parla avec admiration de Voltaire, et de la ré