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Gioe sibylle L'homme est-il un Dieu en ruine ?
1. L’HOMME EST-IL UN DIEU EN RUINE ?
Concours de plaidoirie de la Conférence Internationale
des Barreaux de tradition juridique commune
Kigali, 2012
L’Homme est-il un Dieu en Ruine ? Mesdames et Messieurs les Bâtonniers, chères
Consœurs, chers Confrères, Mesdames et Messieurs, qui suis-je pour juger la part de Dieu
en l’Homme ?
Juger l’homme est aisé : vous et moi, jeunes avocats et sages Bâtonniers, nous voyons la
misère et l’indignité s’abattant au quotidien sur nos semblables. Nos sœurs réduites au
travail forcé, nos enfants morts dans les conflits armés, nos aïeux vieillissant dans l’indigence.
Nous entendons d’autres semblables de notre espèce se justifier : « les caisses sont vides »,
« on ne peut pas accueillir toute la misère du monde », « légitime défense ! ».
Nous-mêmes, confrères de toutes les nations, élevons nos voix pour défendre, au-delà des
causes particulières, un idéal de justice non désincarnée d’humanité. Mais nous chérissons à
l’aube nos carrières aussi – et très souvent avant tout - pour subvenir à nos besoins, nourrir
nos proches, dormir sous un toit, nous soigner, nous reposer un instant et, enfin, à tout
jamais dans la paix. Nos préoccupations sont-elles vraiment désintéressées, ou avons-nous
l’humilité de reconnaître que notre chair passe, bien souvent, avant notre spiritualité ?
Notre nature humaine nous permet-elle de nous affirmer en tant que Dieux ? Nous
empêche-t-elle, cependant, d’avoir la prétention d’accéder - en certains lieux - à la
suprématie et l’absolu ? Cette accession au divin, contribue-t-elle à la richesse de l’humanité
ou à sa ruine ?
Je souhaite vous y répondre en trois temps : je commencerai d’abord par admettre que
l’Homme n’est pas un Dieu. Je reconnaitrai ensuite que l’homme se réconcilie parfois avec le
divin en son for intérieur et dans ses réalisations. J’en conclurai qu’en ces lieux ne se trouve
pas la Ruine que connaît l’humanité.
L’homme n’est pas un Dieu. Je ne vous parlerai pas de théologie ni de biologie, pas plus
que je ne tenterai de vous définir l’homme ou de vous définir Dieu. Non. Il me suffit, pour
étayer mon propos, de rappeler que l’homme n’est ni omniscient, ni omnipotent – et ce,
peut-être pour un mieux. En quête d’universalité et d’absolu, l’homme erre…
Quel destin réserve d’ailleurs le poète Goethe à son personnage Faust ? Celui qui se
complaint, dès les premières lignes, en ces termes : « Ah ! Philosophie, jurisprudence et
médecine, pour mon malheur ! théologie aussi, j’ai tout approfondi avec une ardeur laborieuse ; et
maintenant me voici là, pauvre fou ! aussi sage qu’auparavant. Je m’intitule, il est vrai, maître,
docteur, et, depuis dix ans, de ça, de là, en long, en large, je traîne mes élèves par le nez, - et vois
que nous ne pouvons rien savoir !... Voilà ce dont mon cœur est presque consumé. […] Oh ! Si par
la force de l’esprit et de la parole certains mystères m’étaient révélés ! Si je n’étais plus obligé de
suer sang et eau pour dire ce que j’ignore ! Si je pouvais savoir ce que contient le monde dans ses
entrailles, assister au spectacle de toute activité, de la fécondation, et ne plus faire un trafic de
paroles creuses ! ».
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2. L’homme n’est pas, de surcroît, tout puissant. Qu’il asservisse l’un des siens, d’autres
s’élèveront pour lutter. Qu’il menace de réduire la terre à feu et à sang pour asseoir sa
suprématie, il ne lui resterait plus de sujets à dominer. Qu’il lutte contre la peste et le
choléra, la terre le noiera et le brûlera encore de ses vagues et volcans.
L’homme n’est pas un Dieu. Et pourtant…
L’homme est perméable au divin.
Oui, il est vrai, nos actions et nos pensées sont contingentes à notre condition humaine.
Nous coopérons les uns avec les autres pour notre survie. Nous formons des contrats
sociaux, non pas par pure charité, mais par sécurité. Nous nous accrochons aux dogmes
pour régir nos choix quotidiens, qu’ils procèdent de passion ou de raison.
Mais, heureusement, dans leur for spirituel, les hommes aspirent à transcender leur
existence terrestre. Nous éprouvons notre capacité à nous décentrer de nos intérêts
propres pour porter notre conscience au chevet de l’humanité. Nous veillons au patrimoine
commun, à tous nos semblables, au bien-être, à l’amour et au soin que se doivent
universellement et absolument les êtres et les choses présents et à venir.
Et les hommes, tels leur foi en l’humanité leur étant ravivée, d’écrire, en décembre 1948 :
« que la reconnaissance de la dignité inhérente à tous les membres de la famille humaine et de
leurs droits égaux et inaliénables constitue le fondement de la liberté, de la justice et de la paix dans
le monde. » Que « La méconnaissance et le mépris des droits de l’homme ont conduit à des actes
de barbaries qui révoltent la conscience de l’humanité et que l’avènement d’un monde où les êtres
humains seront libres de parler et de croire, libérés de la terreur et de la misère, a été proclamé
comme la plus haute aspiration de l’homme. »
Les droits de l’homme ne sont bien-sûr qu’un exemple imparfait, parmi d’autres, où une
étincelle divine a frappé les cœurs et a responsabilisé les esprits humains.
Ce Dieu en l’homme point en divers autres domaines : ceux de l’art et de la communication
des savoirs, ceux des mouvements de solidarisation des peuples et de partage des
ressources, ou encore, ceux où l’homme agit pro bono – ou dois-je dire « pro deo » ?
Me rétorquerez-vous que cette foi en l’humanité s’est désormais éteinte, que cette part de
Dieu en l’homme est en ruine, que la misère et l’indignité ont soufflé trop fort sur la braise
pour que le feu se ranime ?
Je vous répondrai que non, l’Homme n’est pas un Dieu en Ruine.
Cette part de divin que l’homme cultive ne l’élève certes pas au rang de Dieu, quoiqu’il le
prétende.
L’homme est d’abord un être imparfait. Notre conscience n’est jamais épuisée. Nos œuvres
ne sont jamais achevées. Privés, par essence, de suprématie divine, nous ne pouvons donc
pas être déchus d’un titre auquel nous n’accédons pas.
Et lorsqu’en certains lieux nous accédons à notre part de divin, nous contribuons
précisément à relever nos semblables des souffrances intrinsèques de l’humanité et à
préserver celle-ci de sa propre perte.
C’est avec son œuvre Soleil et Chair qu’un jeune poète nous illustrait si justement l’homme à
ce propos :
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3. « Misère ! Maintenant il dit : Je sais les choses,
Et va, les yeux fermés, les oreilles closes :
- et pourtant, plus de dieux ! plus de dieux ! l’Homme est Roi,
L’Homme est Dieu ! Mais l’Amour, voilà la grande Foi ! »
Notre part de divin ne fleurit peut-être jamais, pas plus qu’elle ne peut donc faner. Elle est
un embryon d’esprit dans un corps de chair. Elle développe ses racines dans nos consciences
et bourgeonne dans nos réalisations. Parfois porte-t-elle ses fruits que nous cueillons. Elle
nous élève au-delà des différends qui nous animent, et nous réunit au sein des principes de
fraternité, d’égalité et de liberté.
N’est-ce pas là que l’humanité connaît sa plus grande richesse ?
C’est en effet ma conclusion : L’homme n’est pas un Dieu en Ruine. L’homme est un Dieu en
germe.
Le 19 décembre 2012 Sibylle GIOE
Avocate au Barreau de Liège
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