A Pondichéry dans deux écoles du gouvernement, INDP (Intercultural Network for Developement and Peace) conduit des ateliers de peintures inspirés de la méthode d'Arno Stern.
1. Heureux comme un enfant qui peint
J'ai découvert Arno Stern lors de vacances à l'Espace du Possible, un camping où toute personne
possédant des talents peut les faire découvrir à d'autres vacanciers en proposant d'animer un atelier.
C'est ainsi qu'en famille, mes deux enfants et moi, avons participé à un atelier de peinture conduit par
une femme qui appliquait la pédagogie d'Arno Stern.
Arno Stern est né en 1923 en Allemagne. Il s'est installé en France avec sa famille pour fuir le nazisme.
En 1946, à l'âge de 22 ans il entre dans une institution pour orphelins de guerre et commence à les faire
peindre, s'apercevant que cette activité participe à un meilleur bien-être de ces enfants. Il vit toujours à
Paris où il a fondé le Closlieu, et propose à toute personne,
enfant ou adulte, des ateliers réguliers de peinture.
Lorsque j'ai participé à cet atelier inspiré de la méthode d'Arno
Stern, ce fut une révélation car sa méthode exprimait
complètement la manière dont j'avais envie de faire de la
peinture avec des enfants et j'en appliquais déjà sans le savoir
les grands principes avec mes propres enfants.
Mais ceci résume bien trop brièvement le travail d’Arno Stern,
aussi pour ceux qui sont intéressés voici le lien vers son site
internet : https://www.arnostern.com/fr/index.html
Arno Stern en Inde, est-ce possible ?
Animée par une très forte envie de conduire des ateliers de peinture avec des enfants, j'ai proposé à
INDP d'organiser ces ateliers à Pondichéry lors de mes vacances. Augustin Brutus a répondu
favorablement à ma demande et a contacté deux écoles du gouvernement ; l'une dans le centre de
Pondichéry avec des jeunes filles de 11 à 13 ans ; l'autre mixte dans un quartier plus excentré et plus
défavorisé de Pondy.
En Inde, l'éducation, la pédagogie, le rapport aux adultes sont très différents de ce qu'ils sont en France.
La pédagogie d'Arno Stern fondée sur la liberté d'expression des enfants, sans contraintes de la part de
l'adulte présent est à l'antipode de la conception des professeurs qui encadrent les enfants ici. Les
directrices des écoles comme les professeurs imaginaient, à partir de leur expérience, et de ce qu'ils ont
eux-mêmes appris, que j'allais faire un cours de dessin, avec démonstration à l’appui, et que les enfants
devraient reproduire de la manière la plus fidèle ce que je leur aurais enseigné sauf que... rien de tout
cela n'allait se produire.
2. Pour les jeunes eux-mêmes notre approche pouvait également s'avérer très déstabilisante. Augustin fort
de sa grande expérience d'animateur a tout de suite su capter leur attention et provoquer des réactions.
Il paraissait impossible de leur demander de but en blanc de laisser libre cours à leur imagination et de
coucher sur une feuille blanche le fruit de celle-ci. Ceci aurait été trop loin de leurs habitudes.
What is art?
Pour amener les enfants à comprendre ce que nous attendions d’eux, nous avons commencé à parler de
l’art, et de ce que ce mot signifiait pour eux. C’est ainsi que les mains se sont levées les unes après les
autres et ils ont pris la parole :
L’art est partage, sentiments, joie, hobby, souffrance, beauté.
L’art est autant le travail du charpentier que le dessin, la peinture, la sculpture.
L’art est le talent, la beauté, la créativité, l’expression de la nature.
Les deux mots sur lesquels nous nous sommes appuyés pour faire comprendre notre démarche aux
enfants ont été : imagination et expression. C’est ce que nous souhaitions voir surgir, qu’ils fassent
preuve d’imagination et qu’ils ne cherchent pas à reproduire une image, un dessin déjà vus ailleurs. Nous
souhaitions aussi qu’ils expriment ce qu’ils avaient en eux, des souhaits, des sentiments, des rêves
pourquoi pas !
Des consignes tout de même !
Lors des ateliers, l'adulte donne assez peu de consignes à
respecter à l'exception de faire preuve de concentration,
ce qui implique de ne pas se promener dans la salle pour
donner son point de vue sur les productions des autres et
discuter avec ses voisins. Il faut faire preuve de sérieux
car comme le dit Arno Stern, la peinture est « une activité
qui a les vertus du jeu et le sérieux d’une tâche sur
3. laquelle se concentre toutes les facultés de l’être ! »
Si on emploie le terme utilisé par Arno Stern, l'adulte présent joue un rôle de "servant", c'est un
facilitateur et non pas un juge de la production des enfants, il ne fait aucun commentaire sur les travaux,
il ne s'en étonne ni ne félicite. Il est là pour approvisionner les enfants en peinture, en papier, faire des
mélanges si nécessaire, changer l'eau, etc.. J'ai complètement tenu à respecter ce rôle, et veillé à ce que
tout soit bien en place pour faciliter les choses aux enfants qui pour la plupart peignaient pour la
première fois !
La présentation des dessins
Les enfants ont présenté leurs dessins et nous avons constaté
combien ceux-ci exprimaient leurs préoccupations ; ils avaient tous
développé un thème qui les tenait à cœur. La nature était très
présente avec le souci de la préserver.
Mohanasudaram : « soyons en harmonie avec la nature. Il faut qu’on
garde un équilibre dans la nature sans rien détruire. Si on coupe les
arbres il faut en replanter. Entre ta naissance et ta mort, tu dois
planter mille arbres ».
Une jeune fille a intitulé son dessin « Dreams » : « il faut réaliser nos
rêves. Il faut avoir deux rêves. Si un ne marche pas, il faut avoir un
deuxième rêve. C’est facile d’avoir des rêves, il faut continuer quand il
y a des obstacles, ne pas se décourager ».
Le dessin de Pradeep est intitulé « L’éclat des couleurs » : « il ne faut
pas rejeter le noir, c’est aussi une couleur, il faut l’intégrer. Si
quelqu’un est noir, il est aussi mon ami, il ne faut pas faire de
différence entre noirs et blancs. Si on respecte une vie, cette vie
cheminera avec nous. Il ne faut pas tuer une vie, il faut l’aider à se
développer ».
Et pour clore ces ateliers…
Les jeunes ont fait preuve d'une grande agilité d'esprit. Ils ont rapidement compris ce qu'on attendait
d'eux et les peintures réalisées l'après-midi étaient beaucoup plus riches dans les thèmes et les couleurs
que celles du matin. Les jeunes filles timides du premier atelier, qui n'osaient pas prendre la parole en
début de matinée étaient bien difficiles à arrêter en fin d’après midi. Les mains ne cessaient de se lever
pour donner commentaires et impressions sur la journée passée.
Le bilan des jeunes a été très positif et très valorisant pour nous, les organisateurs de ces ateliers. Ils
étaient pleins d’éloge pour cette nouvelle expérience et ses bienfaits :
4. « Je ne sais même pas comment j’ai fait
ce que j’ai fait. Je n’avais jamais peint. Je
ne sais pas si ma mère m’achètera de la
peinture » nous dit Mohanasudaram.
« J’ai aimé peindre, j’ai appris la
peinture. Je suis contente de vous avoir
rencontrés, merci d’être venus de
l’extérieur pour nous apprendre la
peinture » nous dit aussi Varalakshmi.
« Ce n’est pas la raison mais
l’imagination qui m’a guidée. J’ai fait de
la peinture pour la première fois. Avant j’avais utilisé des crayons. Utiliser des pinceaux fut une nouvelle
expérience pour moi » explique Abinaya.
« On a eu une journée entière pour peindre, d’habitude c’est une heure. On a beaucoup communiqué,
dialogué et discuté. On a pris beaucoup de plaisir et ça s’est fait sans tension » a ajouté Kartiga.
Mon bilan est également très positif, mais j’ai envie de dire comme à chaque fois que j’organise une
activité artistique en Inde. Les jeunes filles et garçons indiens ont cette fraicheur, cet enthousiasme, qui
manque parfois aux enfants et adolescents français qui ont déjà presque tout fait et tout vu. Après
quelques instants de doute ou d’interrogation devant la nouveauté, ils se sont jetés à corps perdus dans
le « Jeu » et ont profité au maximum de l’opportunité qui leur était donnée de s’exprimer et de
découvrir de nouvelles choses. Ils montraient beaucoup d’empressement, d’impatience même à aller
chercher de la peinture dans les pots, venaient m’avertir lorsque le pinceau qu’ils convoitaient était pris
par un autre. Il fallait que je fasse quelque chose pour résoudre ce problème !
Enfin, chaque atelier a été clos par la remise d’un
certificat de participation ; moment solennel pour
eux comme pour moi et drôle parfois car bien sûr
les prénoms un peu compliqués me donnaient du
fil à retordre. J’ai eu droit à une reprise de ma
prononciation des prénoms par un chœur rigolard
trop content de me corriger, moi, la professeur qui
n’avait rien enseigné, rien démontré, mais donné
joie et plaisir de peindre !
Christine Mongin
18 février 2017