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Dissuasion of
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dimanche Ouest-France
26 janvier 2014
actualités
Au cœur de l’opération Poker, une simulation de riposte nucléaire
Les Rafale et Mirage 2000 constituent une pièce méconnue de la dissuasion nucléaire française. Reportage lors d’un récent exercice.
Indre
Nièvre
Avord
O.-F.
Allier
30 km
L’Awacs E3-F de l’escadron Berry survole le Finistère. Dix mille mètres plus
bas, dans les terriers bétonnés de l’île
Longue, somnolent les sous-marins
nucléaires lanceurs d’engins (SNLE).
« Ce sont des cousins » plaisantait un
peu plus tôt un pilote de Rafale. Ce
soir, ce capitaine et son navigateur
font partie de l’une des deux vagues
d’assaut qui vont effectuer l’opération
Poker, un raid nucléaire nocturne.
Un exercice grandeur nature
Le gros Boeing gris de détection et
de contrôle aéroportés, au rotodôme
caractéristique, a décollé de la base
d’Avord. Une douzaine de Mirage
2000N et Rafale, en deux vagues,
l’encadrent de loin. L’objectif de ce
soir : une base aérienne ennemie.
« C’est un entraînement, bien sûr,
mais grandeur nature et dont les résultats remontent jusqu’à l’Élysée »,
confiait dans l’après-midi le lieutenant-colonel Raphaël Venot dans le
A.Jeuland © Armée de l’air
Bourges
Le bluff nucléaire
Pour ou contre l’arme nucléaire ?
Pour ou contre le maintien de deux
composantes, l’une aérienne, l’autre
sous-marine ? Dans les hangarettes d’Avord ou dans la carlingue de
l’Awacs, la question n’a pas cours.
« Il faut poser la question aux
chefs », se contentent de dire les
mécaniciens, pilotes et navigateurs.
« En conservant les deux composantes de la dissuasion, nous donnons au Président un choix, résume
le général Charaix. En cas de crise
et de menace directe contre la
France, les SNLE frapperaient en
second. Aux Mirage 2000N et Rafale de conduire la frappe d’avertissement ». Une frappe qui n’en reste
pas moins, selon Jean-Marie Colin,
auteur du livre Arrêtez la Bombe et directeur France de l’organisation Parlementaires pour la non-prolifération
nucléaire et le désarmement, une
« frappe d’anéantissement ».
Philippe CHAPLEAU.
Avant le vol, les mécaniciens équipent le missile.
Pendant l’exercice, ravitaillement en vol d’un rafale équipé de la charge nucléaire factice.
Archives OF
Dans le projet de loi de finances
pour 2014, les crédits liés à la dissuasion s’élèvent à 3,1 milliards d’euros
en autorisations d’engagement et à
3,5 milliards en crédits de paiement
au total. Dans une situation budgétaire tendue, cela peut légitimement
susciter un débat. D’autant qu’en
2019, il faudra se pencher sur la 3e
génération de sous-marins SNLE.
Pour autant, nous n’avons pas intérêt
à supprimer la composante aérienne.
D’abord, la supprimer ne constitue
pas un sujet d’économies substantielles. Ensuite, cette composante est notre deuxième assurance de capacité
de frappe nucléaire puisque les SNLE
ne sont pas à l’abri d’une rupture technologique. Enfin, c’est un outil de dissuasion visible que l’on peut montrer à
un adversaire pour témoigner de notre
détermination ».
Décryptage
Depuis l’abandon de la composante
terrestre de la dissuasion (entre
1991 et 1996), la « force de frappe »
est détenue par la Marine et l’armée
de l’Air.
DR
« Un tiers des investissements globaux
de la Défense vont au nucléaire. Le
budget du ministère diminuant, seules les forces conventionnelles en pâtissent, pas la dissuasion ! Notre défense est devenue dégradée et déséquilibrée, avec un arsenal nucléaire qui
représente 20 % du budget. Or, on ne
peut avoir une dissuasion nucléaire crédible si elle n’est pas appuyée par une
défense conventionnelle crédible. Le
nucléaire seul n’entraîne pas la paix.
La composante aérienne n’est pas
fondamentale ; il n’est pas sûr que nous
devions conserver la permanence à la
mer avec un SNLE continuellement tapi
au fond de l’océan ; pourquoi faudrait-il
alors disposer de quatre de ces sousmarins nucléaires ? Faut-il changer nos
têtes nucléaires et les missiles aussi
souvent ? On les change deux fois plus
souvent que les Américains ! »
A.Jeuland © Armée de l’air
Contre : « Notre défense est déséquilibrée ! »
Général
Vincent Desportes,
commandant
de l’École de guerre
de 2008 à 2010,
professeur associé
à Sciences Po Paris.
Le poste de commandement embarqué de l’Awacs.
La répartition des forces de frappe de la dissuasion française
Pour : « C’est un outil de dissuasion visible »
Gwenegan Bui,
député PS
du Finistère, membre
de la commission
des Affaires étrangères.
A.Jeuland © Armée de l’air
Cher
de l’Air organise aussi Marathon et
Minotaure, des raids nucléaires lointains vers Djibouti, les Émirats Arabes Unis… Des vols éprouvants et exigeants qui réclament des équipages
hors pair. Mais « bien malin celui qui
se dirait infaillible pour préparer un
équipage à une frappe nucléaire »,
admet le lieutenant-colonel Venot.
Ses pilotes, « rigoureux et droits »,
savent parfaitement que « leur action
éventuelle, en cas de décision du
Président de recourir à l’arme atomique, ne serait pas anodine ».
Les deux pilotes d’un Mirage 2000 avant le début de l’opération.
En tant que citoyen français, je trouve important d’avoir
une armée pour assurer la paix. En ce qui concerne le
nucléaire, on doit vivre avec. On parle de guerre propre mais le nucléaire c’est l’inverse de ça, c’est un
épouvantable paradoxe.
Lorànt Deutsch
Sur l’Île Longue et à Landivisiau
(Finistère). La Force océanique stratégique (Fost) dispose de quatre sousmarins nucléaires lanceurs d’engins
(SNLE) : le Triomphant, le Téméraire,
le Vigilant et le Terrible. Ils sont armés
de missiles M45 ou M51. Les SNLE
ont leur base à l’Île Longue, près de
Brest. La Marine aligne aussi les chasseurs embarqués Rafale des flottilles
11F et 12F (basées à Landivisiau) capables de tirer le missile de croisière
ASMP-A. Ce missile d’une portée de
quelque 400 km, vole à la vitesse
de mach 3 et sa tête nucléaire aurait
une puissance estimée à 300 Kt, soit
quinze fois la bombe d’Hiroshima.
À Istres et Saint-Dizier (Bouches-duRhône et Haute-Marne). Ce même
missile, dont un unique exemplaire est
réellement tiré chaque année (sans
sa charge nucléaire bien sûr), équipe
les avions des Forces aériennes stratégiques de l’armée de l’Air (Fas) qui
A.Jeuland © Armée de l’air
Loiret-Cher
poste de commandement de la zone
d’alerte nucléaire d’Avord. C’est lui
qui, en cas de crise réelle, aurait transmis les ordres présidentiels aux équipages, libérant les Awacs, Rafale, Mirage et leurs ravitailleurs en vol.
« De la pointe bretonne jusqu’aux
Pyrénées, puis vers Montpellier » :
le lieutenant-colonel Arnaud Bourguignon, le commandant des quatre E3-F du Berry, égrène le plan de
vol. « L’Awacs ira ensuite du côté de
Lyon pour sa mission de détection
et de guidage, pendant que les deux
vagues d’assaut remonteront le Massif Central pour une mission de pénétration à très basse altitude ». Au
terme de leur infiltration, les Mirage et
les Rafale, s’ils ne sont pas détruits
par les défenses antiaériennes et la
chasse ennemie, grimperont brutalement pour tirer leurs missiles nucléaires ASMP-A.
« C’est une mission classique, explique le général Patrick Charaix, le
commandant des Forces aériennes
stratégiques. Un suivi de terrain à
très basse altitude et très grande
vitesse pour traverser les systèmes
de défense. Rien de comparable
avec ce que font nos amis américains ; eux ont choisi le raid à haute
altitude, avec des appareils furtifs et
un déploiement massif d’avions de
guerre électronique. Moins discret…
Ce soir, le raid comporte une quinzaine d’avions ; mais Poker, ça peut
aussi être des missions avec 50 appareils si l’on inclut ceux qui jouent
le rôle des défenseurs ! ».
Outre Poker, qui se joue dans l’espace aérien métropolitain, l’armée
J.Fechter © Armee de l’air
Reportage
Le lieutenant-colonel Venot dans la zone d’alerte nucléaire.
disposent de deux escadrons à vocation nucléaire. À Istres est basé l’escadron 2/4 La Fayette et ses Mirage
2000N au standard K3. À Saint-Dizier, l’escadron 1/91 Gascogne est lui
équipé de Rafale. Des appareils qui, à
la différence des SNLE de la Marine,
ne sont pas totalement dédiés au nucléaire : « Nos Mirage 2000N ont tiré
près du tiers des bombes larguées
sur les cibles libyennes », rappelle le
général Charaix, patron des Fas.
À Avord (Cher). L’armée de l’Air dispose d’une troisième base nucléaire,
la base d’Avord, près de Bourges.
Aucun escadron de bombardement
n’y stationne en permanence ; en revanche, la base accueille les quatre
avions Awacs E-3F de l’escadron de
détection et de contrôle aéroportés
Berry, ainsi qu’un stock d’armes nucléaires scrupuleusement surveillé par
des gendarmes et des commandos
de l’air. « La base d’Avord, explique
son commandant, le colonel Mandon,
constitue un terrain de déploiement ;
elle dispose toutefois d’une zone
d’alerte nucléaire (la ZAN) activée
24 heures sur 24, avec une vingtaine
de personnes sur place ». Cette ZAN
comporte douze hangarettes pour des
Mirage 2000N et les Rafale, d’un centre de stockage des armes nucléaires
(la très discrète zone K3) et d’un poste
de commandement enterré, protégé
contre les attaques nucléaires, chimiques, électromagnétiques.
« C’est comme un SNLE sur terre »,
plaisante le lieutenant-colonel Venot,
épisodique commandant de la ZAN
et pilote du La Fayette. C’est lui qui
recevrait, en cas de déclenchement
d’un plan nucléaire, les consignes
présidentielles et donnerait aux pilotes les ordres d’« en alerte à bord »
des avions puis de « mise en route,
roulage ». Des ordres pas tout à fait
inéluctables puisqu’un raid nucléaire
pourrait être annulé « jusqu’à un certain point, avant que les communications avec les avions ne soient
plus possibles ».