1. INFORMATIONS OUVRIÈRES N0 237
> La page quinze < SEMAINE DU 7 AU 13 FÉVRIER 2013
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Qui était
A propos d’un document télévisé
“Le grand Georges”,
Georges Guingouin ?
Un entretien avec sa fille, Michèle Guingouin
France 3 a diffusé début janvier un film de François Marthouret, Le Grand Georges.
Si ce document présente l’avantage de revenir sur le grand élan ouvrier et révolutionnaire
de 1944-45, il recèle néanmoins d’importantes zones d’ombre et évoque plusieurs faits relevant
de la pure fiction. Nous avons voulu en savoir plus sur la personnalité et le combat de ce dirigeant
communiste qui fut « le premier maquisard de France », avant d’être évincé politiquement
puis pourchassé par les dirigeants staliniens du PCF de cette époque.
Nous nous sommes donc entretenus avec sa fille, Michèle Guingouin.
Propos recueillis villes, les villages, les entreprises... rique qui s’offrait en France (...) où les
par Jean-Paul Gady Quand il devint maire de Limoges, il ouvriers seraient propriétaires des
considère les agents municipaux au moyens de production ». Dans cette
service de la cité, sous le contrôle direct ville, neuf patrons furent déchus de
Dans les actes du colloque de des habitants réunis autour des leurs droits, tandis qu’une nouvelle
Photo DR
Limoges de 2007 consacré au com- conseillers municipaux dans des comi- direction, élue par les ouvriers, assu-
bat de votre père, le coordinateur, tés de quartiers. La gestion municipale rait la marche de chaque entreprise. Il
Marcel Parent, écrit, à propos de est au plus près des besoins : des efforts en fut de même à Lyon, Sète, Tou-
Georges Guingouin, Charles Tillon et considérables sont faits pour le loge- louse... Une fois en mairie de Limoges, plus isolé, sous des accusations iniques vie, ses démêlés avec le Parti commu-
Gabriel Péri : « En juillet et août 1940, ment, en utilisant d’abord des locaux le choix d’impliquer les employés allant jusqu’aux délits de droit com- niste, « l’affaire » qui a failli encore une
à leurs yeux, Résistance et révolu- disponibles avant de développer la municipaux à la gestion de la ville, en mun, il est exclu par la conférence fédé- fois lui coûter la vie... tout en demeu-
tion se confondent dans un même construction, pour le chauffage, le ravi- y associant élus et habitants, était aussi rale de Haute-Vienne, présidée par rant étrangement lacunaire sur bien
combat, la révolution se profile dans taillement, la jeunesse par la création une forme d’autogestion... Waldeck Rochet, en novembre d’autres dimensions, absolument fon-
l’élan de la Résistance. » Comment de patronages laïques, de colonies de 1952,après avoir été muté de cellule, damentales pour comprendre réelle-
ce combat pour « la construction du vacances et d’un ensemble sportif à Le film montre l’entière et première la sienne lui ayant voté une motion de ment ce qui s’est passé. La première
monde socialiste » s’appuyant sur Beaublanc... responsabilité des dirigeants du PCF confiance ! Un an après, ce fut son partie du film consacrée à la Résistance
les ouvriers et les paysans s’est-il aux ordres de Staline qui l’ont exclu arrestation, à la suite de l’enquête d’un est illisible pour ceux qui ne connais-
exprimé pour Georges Guingouin, en Les FFI s’emparent de Limoges, jet- du parti, permettant ainsi l’hallali des inspecteur qui avait travaillé pour la sent pas la vie de Georges Guingouin :
particulier à la fin de la guerre et tent en prison le patron d’une grosse anciens vichystes et des collabos de police de Vichy, et une nouvelle ten- la genèse et la montée en puissance
quand il devient maire de Limoges ? entreprise. Georges Guingouin écrit : tous poils contre Georges Guingouin. tative d’assassinat en prison... des maquis au cœur de la population,
L’action de Georges Guingouin pen- « Serfs de nos temps modernes, les Dans cette curée, ce que ne montre son projet de politique sociale sont
dant la Résistance ne se cantonne pas ouvriers se sont insurgés, occupant pas bien le film, c’est quelles res- « Le communisme, pour moi, disait absents. Quant au procès, avant et pen-
à l’action militaire : il s’agit, pour lui, les usines des patrons qui se sont vau- ponsabilités ont pris les dirigeants Georges Guingouin dans une inter- dant, le plus complet silence est fait
non seulement de rendre au peuple trés dans la collaboration écono- limousins du PCF d’alors, les Rigout, view, c’est un idéal, pas un parti. C’est sur le déchaînement de la presse et
son territoire mais aussi de le rétablir mique ; ils assurent eux-mêmes la Marcel Paul, etc., et aussi les diri- l’idéal d’une société plus juste pour notamment le rôle de Le Bail et de la
dans ses droits, dans « une France où production. » Ce qui lui fait écrire : geants de la SFIO, les Betoulle, Le les hommes. » Ce qui a fait gloser SFIO : c’est pour moi une faute histo-
règnerait plus de justice sociale ». En « Pourquoi n’envisagerait-on pas de Bail ? nombre d’historiens sur le fait que rique majeure.
1943, il se pose en légaliste, s’instaure substituer la gestion ouvrière à celle Dans son livre Le métallo ministre, Mar- Georges Guingouin avait abandonné Des libertés invraisemblables ont été
« préfet du maquis » et tient le pays, des patrons qui ont pactisé avec l’en- cel Rigout reconnaît que pour le PCF, l’idée même de parti, le marxisme, prises, faussant la vérité historique, le
règle le ravitaillement, fixe le prix des nemi ? » Comment Georges Guin- « au jour même de la libération de le léninisme, etc. Qu’en est-il réelle- caractère et la psychologie du per-
denrées alimentaires par des arrêtés gouin a essayé de mettre en œuvre Limoges, et de l’entrée triomphale du ment, selon vous ? sonnage, sa vie privée... Je pense que
qui sont respectés, pourchasse le mar- cette politique de contrôle et de ges- héros qui allait en devenir le maire, Je dirais simplement que, quoi qu’aient mon père n’aurait pas aimé et qu’il
ché noir... Au cours de l’hiver 1943-44, tion ouvrière ? l’éviction politique de Georges Guin- pu en gloser certains, marxisme et léni- méritait mieux. I
lors d’un entretien, Georges Guingouin Effectivement, juste après la libération gouin était déjà program- nisme sont restés les réfé-
parle déjà d’ « une révolution sociale de Limoges, le patron d’une grande mée ». Très tôt, il apparaît rences de Georges Guin-
inséparable de la Libération » : l’éman- imprimerie, conseiller national de des divergences entre lui “Une chance gouin ; mais c’est ce qu’ont Repères
cipation sociale des prolétaires est dans Pétain, a été arrêté et un comité d’ou- et l’appareil : il est « le fou fait des hommes, les prises
le prolongement du retour à la liberté. vriers assura le bon fonctionnement qui vit dans les bois », l’in-historique de pouvoir, qu’il a combat- G 1931 : Georges Guingouin entre
Obéissant aux directives du Conseil de l’entreprise. Se référant à Jaurès, qui discipliné qui se refuse à tus. Il y a pour lui dichoto- à l’école normale de Limoges.
national de la Résistance (CNR), des avait créé une coopérative ouvrière à obéir aux ordres lui parais- qui s’offrait mie entre le communisme A 18 ans, il adhère
comités locaux de libération se for- Albi, Georges Guingouin expliqua au sant insensés et qui prend des militants, le commu- à la CGT (unitaire), dont la direction
ment en regroupant des résistants, des docteur Gagne, responsable du sec- librement sur le terrain des en France (...) nisme de base visant à une est proche du PCF.
syndicalistes et des politiques dans les teur de Montluçon « la chance histo- initiatives qui s’avèrent, société plus juste, les textes
contrairement à l’avis du où les ouvriers fondateurs, et le commu- G 1935 : il adhère au PCF
parti, judicieuses... Des ten- nisme des appareils, des et devient secrétaire de rayon.
tatives d’élimination phy- seraient détenteurs du pouvoir...
sique de « l’incontrôlable », C’est d’ailleurs en applica- G 1940 : dès juillet, il commence
Pourquoi cet acharnement des staliniens commanditées par la propriétaires tion des textes léninistes à organiser la résistance armée
contre ce communiste ? direction nationale du PCF
échouèrent.
,
des moyens
qu’il a rédigé son rapport de
1949, espérant en vain une
en Limousin.
e 6 novembre 1944, de Gaulle annule par décret la condamnation pour déser- Georges Guingouin ayant autocritique honnête des G 1941 : il prend lui-même le maquis
L tion prononcée cinq ans plus tôt contre Maurice Thorez, secrétaire général du
PCF, qui aura passé toute la guerre au Kremlin. En échange, le PCF acceptera la
dissolution des milices patriotiques. Alors que de Gaulle, fin novembre 1944, ira
été élu maire de Limoges,
se poursuit à son égard
l’hostilité du PCF qui ne le
de production” dirigeants sur leur attitude
pendant la Résistance et
après la Libération, suivi
et reconstitue les réseaux clandestins
du PCF. Il est bientôt à la tête du plus
important maquis Francs-tireurs
signer avec Staline un pacte d’amitié franco-soviétique, Thorez rentre d’exil. Le film soutient pas aux diverses élections sui- d’autres textes, avec des citations de et partisans (FTP) de France.
de FR3 nous le montre participant à sa première réunion du bureau politique du vantes, l’écarte même des législatives Lénine, Staline, jusqu’à son exclusion...
PCF et prononçant ces phrases célèbres qui vont déterminer toute la politique à venir d’octobre 1945 et l’évince de la direc- Mon père a beaucoup écrit, analysé, G 1945 : il est élu à la mairie
de ce parti : « Le camarade Staline nous dit que la révolution n’est pas à l’ordre du
tion de la fédération communiste de transmis... Un autre texte important à de Limoges à la tête d’une liste répu-
jour, ni en France, ni en Italie, ni ailleurs. Les partis communistes doivent se fondre
la Haute-Vienne. Les Gillot, Chaintron, ce sujet, De la pensée marxiste (1969 blicaine, sans la Section française
dans les institutions. Le temps n’est pas aux bavardages révolutionnaires. Il ne doit
y avoir qu’un seul Etat, une seule police, une seule armée. »
Tricard, Rigout, Dupuy, Marcel Paul... et 1979), analyse la pensée marxiste et de l’Internationale ouvrière (SFIO)
Mais aux yeux des masses, le Parti communiste, à ce moment, est identifié aux chefs cherchent à faire régner la suspicion montre la progression de sa propre et le Mouvement républicain
maquisards du centre et du sud de la France, ceux qui ont libéré leurs départements à son égard. De tous côtés, la curée pensée, évoluant vers un marxisme populaire (MRP).
à la tête de dizaines de milliers d’hommes en armes. Ceux-ci ont acquis une auto- s’organise ; c’est le journal L’Epoque humaniste. Nombreuses réalisations sociales.
rité autrement supérieure à celle des apparatchiks. De tous les chefs de la résistance qui l’accuse de crime et d’enrichisse-
intérieure, Georges Guingouin apparaît comme le plus incontrôlable. Il est auréolé ment personnel ; après le retour à la Finalement, quel est votre point de G 1952 : exclusion du PCF à l’issue
par ses faits d’armes, adulé par la population limousine, il ne doit rien au parti. Ses mairie du socialiste Léon Betoulle, qui vue sur Le Grand Georges, le télé- d’une violente campagne
« soldats » ne sont pas ceux d’une armée bourgeoise : ils s’opposaient aux réquisi- avait voté les pleins pouvoirs à Pétain, film qui vient d’être diffusé sur votre de l’appareil stalinien contre lui.
tions, soutenaient les fermiers et métayers menacés d’expulsion, taxaient les profi- c’est Le Populaire du Centre qui, sous père ?
teurs du marché noir, et, pendant quelques semaines, ils imposèrent leur « pouvoir » la plume de Le Bail, intitule une série Ce téléfilm a le mérite d’attirer l’at- G 1953 : emprisonné à la suite
à Limoges, en jetant en prison les patrons pétainistes et en remettant leurs usines d’articles « Limousin, terre d’épou- tention sur Georges Guingouin ; il d’un procès sur dénonciation
aux travailleurs. Extrait de la plaquette du comité de la Haute-Vienne du POI I vante » et qualifie Georges Guingouin contribue à lever le voile et à mettre calomnieuse d’anciens vichystes.
de « colonel Massakrov »... De plus en l’accent sur certains moments de sa Tentative d’assassinat dans sa cellule.